La pomme de terre dans la chanson d’expression française
p. 177-213
Note de l’éditeur
Le texte de Jean-Marie Moine reprend la communication qu’il a présentée lors de ce colloque et qu’il accompagnait à l’orgue de Barbarie. Il doit être lu en le complétant par l’écoute du CD-Rom qui accompagne ce livre et qui reprend en partie l’interprétation des chansons citées ici. Lorsqu’une chanson figure sur le CD-Rom ; une indication ⚪ renvoie à la bonne piste dans le texte.
Texte intégral
1Un corpus d’environ 300 chansons a été rassemblé pour nourrir cette communication, chronologiquement très déséquilibrée. Pour la chanson traditionnelle et le xixe siècle (étendu jusqu’à la première guerre mondiale incluse) la glanée, pourtant opérée en tournant les pages de nombreux recueils et anthologies, n’atteint pas 30 textes, auxquels il faut ajouter 181 décomptés dans la thèse complémentaire de Pierre Pierrard, Les chansons en patois de Lille (1966) qui s’appuie sur plus de 950 textes de la fin des années 1830 à 1870. Des années 1920 à nos jours, la récolte a été pour l’essentiel effectuée grâce aux sites Internet de paroles de chansons, principalement paroles.net, à partir de mots-clés : pomme(s) de terre, patate(s), frite(s), chips et purée. Les frites se sont révélées les plus prolifiques avec plus de 110 textes, devant les patates (près de 70), suivies par les pommes de terre et la purée : autour de 40 références pour chacune, avec un avantage pour la seconde. La proportion de chansons dans laquelle la pomme de terre, ou ses déclinaisons, est le sujet principal ou figure dans le titre, est d’environ un dixième pour les pommes de terre et les frites, du double pour les patates et la purée (celle-ci grâce aux chansons enfantines). Les chansons belges et québécoises représentent un dixième du corpus.
La chanson traditionnelle et la chanson au XIXe siècle
2Dans la chanson traditionnelle, dont le terreau est le milieu rural des provinces, au xviiie siècle et dans les premières décennies du xixe siècle, le statut de la pomme de terre semble très positif. Quelques exemples :
Chanson des yapis (= vignerons), Bas Berry2
Ah quel souper délectable !
Une bonne soupe aux pois
Des pommes de terre sur la table
On s’en liche les doigts.
C’était dimanche la fête, Lorraine (traduit du patois)
Nous prenons chacun une chaise
Puis au coin du feu
Nous mangeons des bonnes pommes de terre
Qui étaient cuites dans leur jus.
Je suis un Français, Alsace
De l’air, de l’eau et des pommes de terre
Que faut-il de plus pour être joyeux ?
3La pomme de terre c’est une bonne nourriture, simple, associée à une idée d’abondance, de prospérité, qu’on trouve aussi dans cette bourrée de Basse Auvergne, Je l’aime :
Le Pierre
Va se marier
Un vendredi
Pour ne pas faire gras
Bouillie
Et pois fricassés
Pommes de terre
Ne manquerons pas !
4L’image de la répétitivité de l’aliment qui revient un peu trop régulièrement dans les assiettes est déjà présente, signe que la pomme de terre était très répandue dans les campagnes. Ainsi dans cette chanson de schlitteurs et bûcherons vosgiens du xviiie siècle :
Quand nous suons sur la glèbe, et quand nous restons près du poële, nous mangeons des pommes de terre, quand nous réparons nos forces pour les travaux du jour, le matin ou le soir, nous mangeons des pommes de terre. Nous évertuons-nous de bonne heure et nous couchons-nous tard, nous mangeons des pommes de terre ; tombons-nous enfin malades, sommes-nous menacés de mourir, nous mangeons des pommes de terre3.
5Le paysan breton Jean-Marie Déguignet (1843-1905) évoque dans ses mémoires une chanson de domestiques se plaignant de manger trop souvent des pommes de terre, des variétés de surcroît très médiocres4. L’idée de monotonie se retrouve aussi dans cette Chanson des pommes de terre ⚪1 dont j’ai pu retrouver quatre versions très proches :
J’ai une histoire à raconter.
Qu’est d’la plus grande simplicité
C’est que sur toute la terre
Oui bien, oui bien vous m’entendez
On mange des pommes de terre.
[…]
Au déjeuner, premier repas
Que ça te plaise ou n’te plaise pas
On s’met plein la cuillère
Oui bien, oui bien, vous m’entendez
De plats de pommes de terre.
Et tous les jours la même histoire
Les jours de fête, les jours de foire
Pour la soupe et l’dessert
Oui bien, oui bien, vous m’entendez
On mange des pommes de terre.
Et même ça c’est encore mieux
Les deux fiancés au coin du feu
Au lieu d’s dire leurs affaires
Oui bien, oui bien, vous m’entendez
Se passent des pommes de terre.
6Dans le répertoire des sociétés chantantes de type Caveau, riche en chansons de table, des premières années du xixe siècle jusqu’au Second Empire, la pomme de terre occupe une petite place5, très loin derrière les viandes, volailles, charcuteries, poissons et crustacés, mais sur un mode qui demeure laudatif, même si c’est plutôt une nourriture de pauvres, sans qu’elle leur soit réservée exclusivement toutefois :
Les légumes (E. Grangé, président du Caveau)
En tête des farineux
Citons la pomme de terre
Chère aux riches, au prolétaire
Et manne des besogneux.
Rien n’égale son mérite
Au lait, en purée, au lard
En robe de chambre, en frite
De plaire à tous elle a l’art.
Gourmands et gourmets (E. Dentu)
Le laborieux prolétaire
Qui chaque jour pioche les champs
De lard et de pommes de terre
Se fait des ragoûts alléchants
7Elle est présente sur les éventaires des marchands, parmi d’autres légumes :
À deux liards la botte
Hier en marchant j’criais :
Des bonnes pommes de terre
Et puis j’vendais des navets6
8Et Frédéric Bérat, l’auteur de l’immortelle Ma Normandie, lance en 1846 en tête du refrain d’Au diable les leçons :
Vive la joie et les pommes de terre
Vive le bon temps, le plaisir, la gaieté7
9Dans les chansons en patois lillois recueillies par P. Pierrard, la pomme de terre est surtout une nourriture pour la table des prolétaires, parfois servie par les Fourneaux économiques, plus rarement associée à la fête, à la ducasse. Elle est promesse d’échappatoire à la misère quand on peut s’établir marchand de « peunn’tières frites ». Parmi le répertoire des cafés-concerts au tournant des xixe et xxe siècles, je n’ai trouvé que trois chansons mentionnant la pomme de terre8. Marginalement dans le célébrissime Ah les p’tits pois (F. Mortreuil, E. Spencer) interprété par Dranem :
Y en a qui disent que les patates
C’est très bien avec les tomates
Les haricots, les choux farcis
10Plus substantiellement dans Le roi des cuistots (Boucot, G. Labaroche, F. Pearly) :
Je faisais dernièrement
Des pommes de terre frites en plein vent
Mais un coup de vent arriva
Et ma boutique s’envola
Depuis ce temps j’suis dans la purée.
11En vedette dans Pommes frites (L. Anthos, W. J. Paans – 1906) :
Un cornet d’frites c’est en somme
Un chouette cadeau d’petit homme
Ça s’mange et ça fait d’l’effet
Quand on danse devant l’buffet
[…]
Allons Suzon descends vite
Entends-tu sauter les frites
Y a pas d’os et pas d’noyaux
Comme un baiser ça s’prend chaud.
Refrain
[…]
À nous le cornet charmant
Où les doigts plongent tour à tour
Vive la joie et les pommes frites
Vive la vie et ton amour.
12Ce thème des frites, nourriture de la rue pour ceux qui n’ont guère d’argent en poche, n’était pas nouveau9. Associé de surcroît à la séduction amoureuse, il aura beaucoup d’avenir comme on le verra plus avant. J’ai pu retrouver une chanson de comique troupier où notre tubercule au contraire fait partie des mauvais souvenirs du service militaire :
Ça y est les gars (A. Canfara, J. Baselli)
Plus de corvée de soupe ou bien de quartier
Corvée d’autre chose ou corvée de pommes de terre10
13À l’inverse dans La défense de Paris, complainte et récit véridique des maux soufferts par la population durant le siège ⚪3, écrite en 1873, sa quasi-disparition est regrettée par les gardes nationaux qui défendent les fortifications :
Et le matin quand on rentre
De la garde du rempart,
Des pommes de terre au lard
Feraient tant de bien au ventre ;
Mais ce légume est passé,
Du moins c’est pour les blessés.
14Lerépertoire du mouvementouvrier n’a livré – mais iln’apasété explorésys-tématiquement – que Vengeance bourgeoise ⚪2 de Félicien Jager11, où la pomme de terre est réduite au rang de minimum vital pour les prolétaires exploités :
Oui d’un bout de l’année à l’autre
On ne cessait de travailler ;
Et le patron en bon apôtre
Savait bien vous rémunérer :
D’quoi manger des pommes de terre
Cuites dans leur jus, et boire de l’eau.
15Pendant la première guerre mondiale, elle semble avoir été peu utilisée pour alimenter les stéréotypes brocardant l’envahisseur germain. Ainsi dans Il était un peuple paisible ⚪4 sur l’air de Il était un petit navire, « Guillaume le sanguinaire »
Quand il n’eut plus de pommes de terre
Et qu’il ne trouva, va, rien à manger
fit des offres de paix à la France12. On se félicitait de la pénurie qui accablait l’Allemand :
Ah ! les boches (E. Defrance)
Plus d’jambon
D’saucisson
Plus d’patate
Ça c’est bath
16Mais il était vu surtout comme un mangeur de choucroute13.
17Après la première guerre mondiale, on assiste à une prolifération de la pomme de terre dans la chanson. Il semble que ce mouvement soit allé crescendo. Mais il n’est pas possible de préciser davantage faute de disposer de la date de toutes les chansons. D’autre part, les sites de paroles privilégient plutôt des textes récents ou assez récents, les périodes plus anciennes étant certainement moins mises en valeur par ce média.
Une nourriture modeste et monotone
18L’image de la pomme de terre demeure marquée par l’ambivalence. Les aspects positifs sont toujours présents. Au jardin de la Pierrette est un jardin de cocagne :
Tout y pousse admirablement
Poireaux, pommes de terre, arbre au vent
Persil, cerfeuil, radis, salades
19Le potager chanté par la marionnette Léonard :
Gloubi-boulga (C. Izard, R. Pauly – 1974)
[…] donne toute l’année
De quoi manger des potées, des soupes et des crudités
[…]
Des potirons, des pommes de terre et de l’oseille
De gros oignons, un carré de choux de Bruxelles
20Les imaginations enfantines les font même pousser sur les arbres :
Zim boum laitoula
J’y rencontre un pommier
Qu’était chargé de prunes
Je vais le secouer
Il en tombe des figues
Je vais les ramasser
C’étaient des pommes de terre.
21Ou dans un lieu encore plus paradoxal :
Le dromadaire (C. Fontane – 2006)
Dis-nous donc dromadaire
Qu’as-tu donc dans ta bosse ?
Trois pommes de terre
Le petit maraîcher (P. Bru)
Sur son dos il portait sa hotte
Et chantait : Gai landeriré
Des oignons, d’la belle carotte !
Des pommes de terre et du navet !
22Et dans Les bons légumes, chantés par Passe-partout et les Cowboys fringants, tout le monde se régale avec
Des carottes pis des tomates
Du céleri pis du maïs
Pis des pommes de terre !
23Parmi les objets de désir de Jehan Jonas dans Garçon donnez-moi (1971) il y a « un champ de pommes de terre », « une paire de pommes de terre », « un rêve de pommes de terre », « une fille de pommes de terre », tandis que Dany Brillant dans Le rat (1996) exprime ses doléances :
Tu sais très bien que j’aime les pommes de terre
Alors pourquoi tu me fais des petits pois ?
24La pomme de terre est en valeur dans les jardins et sur les marchés, elle est bonne à manger mais ce qui paraît désormais dominer, avec la banalisation chansonnière, c’est une certaine dévalorisation :
La complainte du laboureur (Elmer Food Beat)
Ouh elle m’a laissé tomber
Comme une vulgaire pomme de terre
René Bouteille (La Tordue)
Depuis qu’il a vu le jour
Il a trimardé sur terre
Mais il n’a pas eu plus d’amour
Qu’un sac de pommes de terre.
25C’est un aliment concurrencé par des mets plus appréciés :
Mange des tomates, mon amour (F. Barcellini, P. Cour – 1958, interpréte J. Ary)
Les acrobates, les pêcheurs
Les diplomates, les boxeurs
Délaissent les patates
Pour ce fruit écarlate
Je me dégoûte (Bratisla Boys – 2002)
J’aime quand tu me fais des pâtes
Ça me soulage les quiss de ma prostate
Oui c’est bien, c’est bien mieux que quand tu me fais des patates
26Médiocre :
Patate (Algeri V, J. Linan, interprète Branko)
Elle a une forme bizarre cette chose-là
[…]
Elle a des boutons sur la peau c’t’affaire-là
Paraîtrait qu’y en a qui bouffent ce truc-là
Ça doit avoir un goût fadasse c’t’engin-là
27Sempiternel, base de menus fort peu variés, sur le modèle de l’armée (ce qui n’est pas un thème tout à fait neuf) :
Dites à ma mère (A. Willemetz, M. Yvain – 1927, interprète M. Chevalier)
Pourquoi l’ordinaire
L’année tout entière
C’est des pommes de terre
Et des re-pommes de terre tout l’temps ?
Les Patates (interprète Les Ricounes)
Moi, j’ai choisi une femme
Qui n’sait pas cuisiner
Et toute la vie elle va me faire bouffer
Refrain
Lundi des patates
Mardi des patates
Mercredi des patates
Jeudi des patates
Vendredi des patates
Samedi des patates aussi
Et le dimanche, le jour du Seigneur
Chez nous on mange
Des patates au beurre.
28Pollué :
Vert de colère (P. Perret)
Les blés, les patates
Sont bourrés de nitrates
29Pour les assiettes des pauvres, des gagne-petit, des déclassés :
Il a mal aux reins, Tintin (G. Koger, P. Caron, V. Scotto – 1937)
Lui qui dans le temps aimait les coktails
Les bons vins et la bonne chère
Maint’nant il bouffe que des pommes de terre.
Où est le fric ? (B. Vian – 1957)
Ce soir j’ai encore juste assez pour bouffer des patates
Plein la poire (P. Perret – 1971)
J’épouse une femme pleine d’ambition
Qui vient faire de l’épate.
Pour s’acheter la télévision
On bouffe que des patates
T’as pas, t’as pas tout dit (B. Lapointe – 1975)
T’y a dit : « Je bouffe rien que du caviar
[…] »
Si t’avais été moins vantard
T’aurais dit : « Je bouffe que des pommes de terre
[…] »
On se la pète (Les Wriggles – 2002)
Au début c’était la galère, au début c’était l’enfer
Que des pâtes l’été, des patates l’hiver
Mon père était tellement de gauche (Les Fatals Picards – 2007)
On mangeait des Lenin’s burger, fallait vraiment faire attention
T’avais du chou, une pomme de terre, la viande elle était en option.
30Acheté parfois à crédit :
Je cherche fortune (d’après A. Bruant)
Chez l’ marchand d’ frites
Fais-moi crédit
J’n’ai plus d’argent
J’paierai samedi
Si tu n’veux pas
M’donner des frites
J’te casse la gueule
Dans tes marmites.
31Dont saura se contenter, pourvu que la quantité ne fasse pas défaut, un vieux volatile désireux d’échapper à sa bohême :
Pigeon (J. Leloup)
Le pigeon fait sa requête : quelques frites à volonté
Un petit coin tranquille, il veut finir en beauté.
32Associé à la crise économique :
Y a trop d’tout ⚪10 (P. Vaillant-Couturier, M. Marc – 1935)
Y a trop d’patates y a trop d’carottes.
33À l’oppression ancestrale subie par la gent féminine :
Une femme c’est fait pour souffrir (anonyme, années 1970)
Va chercher des pommes de terre,
Sors ton frère, donne lui du lait
Aide moi donc, disait sa mère
34Et à des personnages peu sympathiques, tels ces « p’tites bourgeoises faux culs » qui font une Concurrence déloyale (G. Brassens – 1966) aux filles de joie en vendant « au prix de gros »
Leurs charmes qui fleurent encore
La pomme de terre.
35Ou ce bourreau : Le copain de mon père (A. Leprest, R. Didier – 1994) qui a
Pacifié l’Algérie
Mangé des pommes de terre
Brûlé des champs de riz.
36Ou cette victime : Pomme de terre (Blair – 1995)
[…] inerte dans un champ
Ni sang, ni nerfs, ni pensée, ni sentiments
[…]
Pomme de terre, rien n’a d’intérêt
Tout m’indiffère, les gens sentent mauvais
[…]
Visage immobile, regard inexpressif
Quelques germes font leur apparition sur le pif.
[…]
Pomme de terre un jour a rencontré
Pomme de fer qui l’a sodomisé,
Passé à tabac, pendu par les testicules.
[…]
Le monde des humains n’est pas fait pour les tubercules
Les pommes de terres cuisinées
37Cette nourriture modeste et répétitive est cependant l’objet d’une diversité certaine dans ses préparations culinaires. Elles peuvent être « bouillies » : Uppercut violent (Isabelle Mayereau), « en beignets » : Repas Bougie Wouah (Sylvain Richardot – 1991, interprète Chanson plus bifluorée), en « omelette », quoiqu’on ne sache plus la faire depuis que les « plats tout prêts » et les « surgelés » ont tout envahi : Les micro-ondes (Chanson plus bi-fluorée).
38Elles font
La carriole de grand-père (C. Trénet).
[...] un bon fricot
Avec un lapin superbe
Cuit aux herbes [...]
39Deux suffisent pour « […] faire la soupe à ma grand-mère » : Combien faut-il de pommes de terre ? (comptine à nombres). Une « pincée d’sel de mer » leur « donne du goût » : Paille au vent (L. Tua, Niobé – 2004). Les pommes de terre dont le « vieux papa » remplit son assiette « avec sa cuillère » sont « bien cuites » : Emmène-moi (G. Allright, J. Clément, A. Reynolds – 1966). Il arrive qu’elles « […] brûlent dans le four » : Je veux pleurer comme Soraya (F. Mallet-Joris, M. Grisalia, M. P. Belle). Et qu’on puisse manger « Des pommes de terre pourries » : Un jour en colonie (chanson enfantine). En version patates elles peuvent être « crues » : Patates crues (Regg’Lyss), « à l’eau » :
Maman Chauvier (S. Lama, Y. Gilbert – 1936),
Avec du jambon, du beurre
[...] à la vapeur
Et des p’tits cornichons aussi
40La raclette au ski (P. Gigot, B. Roblès – 1996, interprète Le Festival Roblès), « au gratin » dans une chanson dramatique de F. Blanche : Le mot de billet (1956), où un brave artisan rentre à la maison « après une journée de labeur » et trouve « un petit mot d’billet déposé sur l’fourneau ». Persuadé que sa femme l’a quitté et qu’il s’agit de la lettre de rupture, il se tire une balle dans le cœur. Quelques heures plus tard les voisins découvrent le cadavre et « la lettre homicide » qui simplement lui disait :
Fais réchauffer les patates au gratin
[…]
Moi je rentre vers minuit vingt
J’suis au cinéma du coin
41La purée, si elle peut contribuer à retenir le technicien entré chez une dame pressée de se faire réviser « la boite agrafeuse » et « débourrer le papier » :
Je viens réparer la photocopieuse (Canet)
Non mais je vous en prie, restez
En plus j’ai fait de la purée.
servir de lit au « filet de porc » : Repas Boogie Wouah (op. cit.), ou être accompagnée de « fraises » dans les fantasmes alimentaires d’une femme enceinte : Si c’est une fille (Thérèse – 2007), est surtout affaire de gastronomie enfantine. Renaud se souvient dans Les dimanches à la con (1991) des
p’tits volcans super chouettes
qu’[…] on f ’sait dans nos assiettes
Avec la purée toute bête.
42Elle est fréquemment associée au jambon :
Babby sitting blues (Renaud – 1985)
La p’tite a voulu manger, l’étudiante lui a dit : « Bon
J’vais t’préparer une purée au jambon »
Ma fille a dit : « L’a du gras », a foutu l’assiette par terre
Purée jambon (D. Dimey – 1996)
Quand les papas font les repas
Ils ne mitonnent pas d’petits plats
[…]
Ils n’ont pas beaucoup d’imagination
Lundi c’est purée jambon
Mardi c’est purée jambon
[etc.]
43Les petits ne s’en lassent pas :
La purée (C. Haslée – 2007)
Refrain :
Moi j’aime la purée
Moi j’veux d’la purée
Rien que d’la purée
Au déjeuner au dîner.
44On peut y mettre les mains : La purée (M. Rongier – 1995)
De la gadoue plein les doigts ah ah
Ah la purée que j’aime ça.
45Elle est l’étalon du bon et du bien pour les bambins, comme ceux de ce chômeur :
Papa fait la cuisine (Thibault – 1997)
On a eu droit à tout
La côtelette sucrée
L’incendie dans l’ragoût
Les lentilles sur l’pavé
Mais on a vu surtout
Son sourire qui r’venait
Et c’était mieux pour nous
Qu’la meilleure des purées.
46L’industrie ne s’y est pas trompée, dont une marque a fondé d’ailleurs sa promotion sur une chansonnette serinée sur les écrans des téléviseurs par une mère de famille nombreuse et sa progéniture (1976) :
Quand je fais de la purée mousline
Je suis sûre que tout le monde en reprend
[…]
Moi j’vais en manger tellement
Que j’serai grande comme un géant
Quand je fais de la purée Mousline
Je suis sûre que tout l’monde en reprend
Purée Mousline on en reprend
47Le mode de préparation de la pomme de terre qui l’emporte ce sont incontestablement les frites. C’est un plat réputé facile à réaliser et qu’on mange rapidement :
Peter Pan (Saule, B. Lalien – 2006)
Ce soir ma femme a fait des frites
Et j’vais les manger super vite
Parce qu’après le souper
Y a un copain que j’ai invité
À v’nir jouer d’la guitare
48Elles peuvent être agrémentées de moutarde, moins utile cependant que le mercurochrome :
À cause du gosse (P. Perret – 1979)
Pendant les repas où ça barde
[…]
Sous une pluie de frites
ou de mayonnaise : Pom pom pom frites (Les Blaireaux)
[…] les gamins de Mogadiscio
Rêvent aussi d’frites mayo,
et être servies :
J’aime les frites (B. Santini, interprète : Les gnoufs)
Avec du sucre14, avec du sel
En tranches ou en rondelles
49Quand elles ne se suffisent pas à elles-mêmes, elles sont fréquemment l’accompagnement d’une tranche de viande de bœuf :
Eh, hop… on s’en sortira (Saint-Granier, L. Ferrari – 1946)
On reverra les pommes frites et l’beefsteak
Et c’est même sûr qu’y aura du beurre avec
La vierge Eponine (H.-G. Clouzot, Gilles, interprète : Les frères Jacques)
La vache quand elle s’envoie des frites
Il lui faut du beefsteak avec
Je ne sais pas ce qui se passe en moi (M. Dubas, H. Dauphin, M. Genton – 1948)
Mon voisin d’gauche savoure une entrecôte pommes frites
Ou de poulet
Le bon temps qui passe (E. Mitchell)
Mon poulet-frites
Voulait se sauver
Dolorosa (Cali – 2003)
Invite ton amant dimanche à dîner
Dimanche c’est le jour des frites et du poulet
de moules :
Jef (J. Brel – 1964)
Puis on ira manger
Des moules et puis des frites
Des frites et puis des moules
Et du vin de Moselle
Gaby, oh Gaby (B. Bergman, A. Bashung – 1980)
Alors, à quoi ça sert la frite si t’as pas les moules ?
Papy (P. de La Galite – 2005)
Dis-moi Papy
Qu’est-ce que t’as mis dans ton ventre ?
Des moules, des frites
et de plus en plus de merguez : Rock’ n’roll cow boy (N. Ferrer)
Ils sont assis comme des veaux parmi les papiers gras
Ils sont remplis de merguez, de frites et de coca
particulièrement appréciées par les rappeurs :
La vie n’est qu’un moment (MC Solaar)
J’ai vendu des merguez pour me faire du pèze
Pèze réinvesti dans les frites merguez15
Paris a le blues (Mad in Paris)
Y en a qui méritent des baffes tout comme mon estomac mérite
À chaque fois qu’il s’excite, vite un merguez-frites
Le rapublicain (Faf la rage)
Situation critique, fini les merguez-frites, tandis que les gars en haut
Se pavanent dans les restos chic, ils gagnent trop de fric
50Pour la boisson font bon ménage « le rouge qui tache et les frites grasses » : Trianon (La Ruda Salska), la bière :
51Les moules et les frites (H. Ithier, F. Lecoultre – 1982, interprète The Fany Sisters)
Avec des frites et la bière
Ça suffira pour faire deux maris du tonnerre
52Flo (C. Lemesle, P. Billon – 1980, interprète Joëlle)
Pourtant t’étais née dans l’bruit des guinguettes.
Entre un steack-frites et un couple de demi de bière
53Conviennent aussi le vin blanc, de Moselle par exemple, et le coca, comme on l’a vu, mais il convient d’éviter l’eau : Quand vient le petit matin (Les Matchhoxx – 2003)
Ne rajoute pas de l’eau dans ton assiette de frites […]
Les frites se prêtent aussi à des innovations d’avant-garde :
J’ai d’quoi m’nourrir dix années
Avec leurs beefsteaks – pommes frites en pilules
se félicite Le cosmonaute de Ricet Barrier et Bernard Leleu tandis qu’en 1973 Pierre Perret portraiture dans Electra un robot qui va le dimanche
Déguster des frites synthétiques
Arrosées d’un p’tit cru biologique
quelques années après la mise au point par l’ingénieur Boris Vian du « coupe-friture », alimenté par le « canon à patates » pour La complainte du progrès (B. Vian, Alain Goraguer – 1955) et du « bouton pour le beefsteak-pommes frites », équipant « une bagnole pleine de trucs mécaniques » pour Moi j’préfère la marche à pied (B. Vian, H. Salvador – 1958)16. On notera encore que la pomme de terre, quelles que soient les façons dont elle est accommodée, paraît fâchée avec la diététique :
Nous maigrirons ensemble (P. Perret – 1979)
Y a des gens hypocrites
Qui vous traitent de bon gros
[…]
Plus de nouilles, plus de frites
La chanson hypocalorique (P. Delanoë, A. Dona)
Faut supprimer la purée, l’apéro, le Vouvray, le Gevrey-Chambertin
Et faut se priver de faisan, d’perlesan, d’ragoput, de goulash et de frites
Au nom des frustrées (Lynda Lemay)
Je vais kidnapper Adjani et Sophie Marceau
Je vais leur faire bouffer des chips et des brownies à la pocheté
Jusqu’à voir apparaître deux gros ventres flasques.
Le gourmand (Les Cowboys fringants – 2002)
Les sucreries, les pâtisseries me réconfortent dans la nuit
Les chips quand il y a un but au hockey sont mes amis pour célébrer
54Les Mac Do y sont un peu pour quelque chose : Nefast food
Les patatoes make the big nose
Tous ces obèses ça fait du pèze
Ouvert le dimanche, c’est bon pour les hanches !
55Mais ce n’est pas là que Thomas Dutronc, Les frites bordel (2007), ira brandir l’étendard de sa révolte :
À mort le haricot
Vive la choucroute
Un bon gros morceau de viande et des pommes de terre bien grasses
[…]
Ras le cul d’ces régimes !
56Les chansons prêtent à la pomme de terre des vertus aphrodisiaques ou tout au moins stimulantes pour les sentiments amoureux, surtout sous la forme des frites grâce aux propriétés physiques et romantiques de celles-ci, avec un rapport qualité/prix remarquable :
57Cornet de frites ⚪ 11 (F. Lemarque, B. Astor – 1950, interprète Y. Montand)
Dans un cornet de papier
Près du quai de la Rapée
Un jour on s’était payé des frites
Moi j’avais les mains graisseuses
Mais toi tu restais gracieuse
Et tu mangeais malicieuse tes frites
Pour égayer ton sourire
Des fleurs j’aurais pu t’offrir
Mais t’as préféré sans rire des frites
Voilà comment les amoureux
Font leur bonheur avec un peu
Un peu d’soleil et pour eux deux
Un cornet d’frites
Quand les beaux jours reviennent
Bras d’ssus, bras d’ssous on se promène
En grignotant le long d’la Seine
Un cornet d’frites
Quand on a tout mangé
On r’tourne en acheter
Puis on rentre s’aimer. Bien vite.
Pom pom pom frites (op. cit.)
Le plus bel amour de ma vie
Je le dois à une friterie
Du stade Grimonprez-Jooris
Un soir qu’il faisait moins 10
Il n’se passait rien sur le terrain
Quand j’ai osé lui prendre la main
Et lui disant : « Réchauffe toi vite
Tout contre mes frites ! »17
58Les frites ont également un pouvoir sédatif en cas de chagrin d’amour.
Pour calmer ma douleur
Il m’a donné des frites
s’écrie la femme qui « idolâtre » son Gaston qui la bat « comme plâtre » dans Tant pis pour la rime (J. Nohain, Mireille – 1938, interprète M. Dubas), tandis que Valérie Lemercier donne ce conseil, lui très soucieux de la rime, à une copine abandonnée : Goûte mes frites
Oublie ce type
Viens, goûte mes frites
59Le monopole sentimental des frites n’est cependant pas total. Dans Pan pan pan poireaux pommes de terre ⚪12 (B. Vian, A. Goraguer – 1956) c’est l’offrande de ces deux légumes, association classique, notamment pour la soupe, qui fonde un grand amour dans son éclosion comme dans sa durée
Elle en avait assez des déclarations ressassées
Des grands serments intellectuels, des madrigaux rapetassés
Connaissant son passé, lorsqu’il se mit à s’empresser
Évitant d’être spirituel, il sussura ces mots sensés :
« Pan pan pan pan pan pan
Belle Bérengère
Pan pan pan pan pan pan
Voici des poireaux
Pan pan pan pan pan pan
Et des pommes de terre
Pan pan pan pan pan pan
Dont j’vous fais cadeau. »
[…]
Mais elle s’est lassée de cet amant par trop sensé
Et des sornettes solennelles qu’il balançait sans sourciller
Elle allait le chasser, leur bel amour serait cassé
Mais se redressant devant elle, il certifia très assuré :
« Pan pan pan pan pan pan
Si j’pars Bérengère
Pan pan pan pan pan pan
Je r’prends les poireaux
Pan pan pan pan pan pan
Et les pommes de terre
Pan pan pan pan pan pan
Qui sont sur l’fourneau. »
Très attendrie par sa chanson
Elle proposa un bon potage
Et tout en parlant mariage
Ils proclamaient à l’unisson :
« Pan pan pan pan pan pan
Un amour sincère
Pan pan pan pan pan pan
Y a rien de plus beau ! »
Géographie de la pomme de terre
60Les chansons situent la pomme de terre et ses déclinaisons dans l’espace, à une double échelle. Macrogéographique tout d’abord. Les frites, toujours les plus en vue, s’inscrivent en priorité dans une vaste aire culturelle ouest-européenne :
– la France : Bleu blanc rouge et des frites (F. Thomas, Y. Dessca, J.-P. Bourtayre – 1972) est un succès de Marcel Aumont qui décrit les festivités populaires d’un 14 juillet et illustre parfaitement les remarques de Raymond Barthes dans Mythologies (1957) « […] la frite est nostalgique et patriote […] la frite est le signe alimentaire de la ‘‘francité’’ ».
– plus particulièrement le Nord :
Entre mon Nord et ton Midi (D. Dugay, interprète R. de Godewarswelle)
J’aime pas ton pays avec ses guinguettes
Tes frites et ton ciel où toujours il pleut
Chtimi rock (Renaud – 1979)
Dans les bouges de Lille et les bistrots de Tourcoing
Où la bière coule à flot sous des tonnes de frites
Tout en haut de ch’terril (Renaud18- 1993)
Viandox, pommes de terre frites, morceau d’lard
[…]
À l’poche de m’barette j’aves sur m’tiête euch codron à frites
– la Belgique : de J.-R. Caussimon Comme à Ostende (musique de L. Ferré)
Mais voilà qu’une odeur de bière
De frites et de moules marinières
M’attire vers vous dans un estaminet
à Jacques Brel19 : Madeleine (musique de J. Costi, G. Jouannet – 1962)
On prendra le tram trente-trois
Pour manger des frites chez Eugène
en poursuivant avec des auteurs infiniment moins connus :
Tu es blonde (Les Squatteurs, 2005)
Tu crois qu’la Belgique
C’est une marque de frite.
J’aime Paris (Bébé Lilly – 2006)
La Belgique c’est
Gourmande de frites.
61La Belgique a produit de véritables hymnes aux frites20 tels Les frites de Bruxelles (Eduardo) ou Moi j’aime les frites (C. Marlier)
Refrain : Moi j’aime les frites avec la mayonnaise
On n’en fait pas de meilleures que chez nous
Moi j’aime les frites plus que la bouillabaise
Moi j’aime les frites pour l’odeur et le goût.
62– Et jusqu’aux Pays-Bas : Amsterdam (J. Brel – 1964)
Et ça sent la morue
Jusque dans le cœur des frites
63Les chips renvoient à l’Angleterre21 : Natation synchronisée (V. Delerm – 2004)
Nous avons essayé le dry Schweppes pamplemousse
[…]
Les barquettes plastique de fish and chips à Portsmouth.
64Et figurent aussi dans la chanson québécoise :
65Fu Man Chu (C. Gagnon, M. Sabourin, R. Charlebois)
Les jeunes barbeux des derniers rangs
Qui pitchaient des chips dans l’écran
Ti-Jésus (Plume Latraverse – 1971)
Saint-Joseph, le carpenter
Qui mangeait des chips
66Mais cette dernière goutte surtout les patates. Dans la lignée du baryton d’opéra, comédien, metteur en scène et chansonnier Lionel Daunais (1901- 1981), auteur des Patates :
Les patates seront bonnes cette année
Boum badiboum !
[…]
On les mange en purée
Ou en french potatoes22
67Et de La Tourtière :
À part les patates
Les patates à part
Le ragoût de patte
La soupe aux pois, qu’est-ce qu’on dévore ? Quoi ?
68Les patates sont souvent liées à la poutine, un plat national québécois23 :
69Les patates (Mononc’ Serge)
J’avais une terre à Ste Agathe
Où j’faisais pousser des patates
[…]
Ah ! c’est bon les patates
C’est bon dans le bedon
[…]
Et rendons-nous dans la cuisine
Éplucher les bonnes patates pour une poutine.
Hommage en grains (Mes aïeux)
Patates, sauce brune et fromage, c’est engraissant, quel dommage !
Patates, sauce brune et fromage, une part de notre héritage
Patates, sauce brune et fromage, nous te rendons cet hommage
En grains !
Les grands-pères (J.-P. Ferland – 1963)
Hidihop, Farlatine, des patates et de la poutine
Rentre ton cul, ton cul sur le bord du mien
Chicoutoumi (Los Carayos)
Ils mangent la poutine, ça fait pas rigoler
Quelques frites bien cramées
Fromage élastique et sauce à gerber !
70De rares destinations exotiques élargissent l’horizon chansonnier de la pomme de terre :
– louisianaises24 :
ÀNew Orléans (Gil et Jan, Guida, Royster – 1961, interprète J. Hallyday)
Vous verrez aussi mes amis tout près de Bessingstreet
Comment on fait une jam et dégustant des frites.
Préservation (M. Sardou, P. Delanoë, J. Renaux)
À la Nouvelle-Orléans
Un soir marchant dans Burbon Street
Entre une boutique de frites
Et un bordel béant
– caraïbes et sud-américaines :
Mamadou Mémé (N. Ferrer)
Quand j’étais planteur à la Jamaïque
[…]
On mangeait des frites sous les bananiers.
La banana (J.-P. Mottier, L. Missir – 1963, interprète Ben et sa tumba)
J’avais décidé de planter ma tente
Tout près de Cuba baignée de soleil
[…]
Pas de petits pois, pas de pommes de terre
Que des bananiers dans les plantations.
Buenos Aires (P. Chatel – 1978)
[…] c’était si bien, c’était troublant
D’voir au milieu des pommes de terre
Buenos Aires.25
71Les évocations chantées de la pomme de terre dessinent une riche microgéographie. Le tubercule est parfois présenté dans les jardins, comme on l’a vu, ce qui n’a rien d’étonnant. Assez peu dans les champs, théâtre de l’accident survenu à Henri IV quand il s’est « cassé la patte » et lieu de razzia pour Les gorets [qui] sont dans les patates (P. André, A. Hervé). Pour les frites Thibault, dans Hymne à la frite (1997), propose une sorte de retour à la terre :
Ce serait quand même plus malin
Qu’elles poussent les frites dans les jardins
[…]
Ce s’rait quand même plus mignon
Qu’elles poussent tout comme des champignons
Elles se doreraient au soleil
Y aurait même plus besoin de graisse
[…]
Pour les friteries ce s’rait la crise
Elles n’ouvriraient plus qu’en hiver
[…]
On irait tous à quatre pattes
À courir par monts et par vaux
Glisser ces perles de patates
Dans nos poches, dans nos chapeaux.26
72Pour les déclinaisons de la pomme de terre les lieux sont ceux de la commercialisation et de la consommation. Le restaurant n’est pas le plus fréquent :
Les petites patates
Quand je commande au restaurant
Je prends toujours des petites patates27
Pom, pom, pom frites (op. cit.)
Quand j’allais avec les parents
Dîner dans un grand restaurant
[…]
Au risque qu’ils me déshéritent
J’ prenais des frites.
L’incompétence (L. Lemay – 1998)
La fille du restaurant
[…]
Elle est là qu’elle s’entête
Qu’elle peut pas changer les frites
Pour mettre du riz à la place
73La cantine semble réservée à la purée (qui se consomme aussi en famille, à la maison) :
Corinne (Les Nonnes troppo)
À la cantine quand on a de la purée j’mélange Corinne
Avec la fourchette c’est super
Teenager forever (Les Wriggles – 2004)
À la cantine, des batailles de purée !
74Pour y manger des pommes de terre sous une autre forme, il faut quitter cette terre :
Pom pom pom frites (op. cit)
Quand j’arriv’rai au purgatoire
Du cholestérol plein l’tiroir
J’demanderai au chef de cuisine
C’qu’on mange à la cantine
S’il me répond : « D’la pomme de terre ! »
J’irai tout droit en enfer
Au moins j’s’rai sûr qu’elles s’ront bien cuites
75La microgéographie chansonnière des frites est d’une plus grande diversité. Des années 1920 aux années 1950, on constate une hégémonie de la guinguette de banlieue :
La chanson de l’accordéon (R. P. Groffe, A. Evrard – 1928)
Quand j’étais môme avec grand-mère
L’dimanche par n’importe quel temps
J’vendais des frites à la barrière
Au caboulot d’la Rose des vents
Là où il y a des frites ⚪7 (L. Dommel, L. Daniderff – 1935)
Il connaît un p’tit coin près d’Saint Cloud
Où l’patron vous pêche près d’un égoût
Une friture de goujons pour cent sous, qu’est pépère.
Dans l’parfum d’une usine à trottins
On y sert de la moule et du gros pain.
Bébert vous le dira ah qu’c’est chouette tout ça
Bien servi sur un beau papier gras
Refrain
Là où y a des frites, au rythme d’un orchestre qui fait des pom ! pom !
On s’enfile des litres, le gros bleu, ça fait mieux passer les pom ! pom !
Avec Titine et Totor, gueule en or, ma tantine et tonton nous allons, pom ! pom !
Là où, là où, là où, là où y a des frites
Ah ! le petit vin blanc ⚪8 (J. Drejac, C. Borel-Clerc – 1943)
De fraîches guinguettes
Des filles bien faites
Les frites sont prêtes
Et y a du vin blanc.
À Joinville-le-Pont (R. Pierre, E. Lorin – 1952)
Au bord de l’eau il y a les pêcheurs
Et dans la Marne, il y a les baigneurs
On voit des gens qui mangent des moules
Ou des frites s’ils n’aiment pas les moules
On mange avec les doigts c’est mieux
Y a qu’les belles filles qu’on mange des yeux28
76Puis on observe une diversification avec le bistrot, le café :
L’inexpressible (N. Ferrer – 1962).
Le suivre dans ce café
Où qu’il y avait du néon
Des frites et de la fumée
Des liqueurs et de l’accordéon ?
Mais il y a l’accordéon (J. Rech – 1973, interprète Dalida)
Un vieux bistrot et une odeur de frites
Un verre de vin venez je vous invite
77La restauration rapide :
Snack-bar chez Léon (F. Pérusse)
Y’a un cheveu sur ton steack et le chef plein de frites sur la tête
Au comptoir on peut s’y asseoir juste à côté du gros motard
Cash money (MC Solaar, Eric K-Roz, Alain J – 2003)
Moi au fast food ? J’aime pas les déconneurs
J’vaux plus que deux frites, un soda, un cheeseburger
éventuellement sur l’autoroute : Frites moules (Les Nonnes troppo – 1988)
Soudain un Jacques Borel
Se découpe dans le ciel
[…]
Je m’assois sur une chaise
Ça sent la frite-merguez
78Voire les Restaus du cœur : On a faim (Bérurier noir – 1987)
C’est tout d’même mieux que chez les bonnes sœurs !
En revenant de la Fontaine
J’ai attaqué mon frite-merguez
T’as pas balle cent, eh kamarade !
79Avec toujours une préférence pour la banlieue, plus celle des guinguettes des bords de Marne mais celle des rappeurs des cités :
Ne dis jamais (Simik et Vitoa)
Je viens de la banlieue j’suis condamné à faire des frites
Le duc de Boulogne (Booba)
[…] j’représente la banlieue comme un grec-frites
80Les frites se consomment aussi dans les lieux de rassemblement populaire temporaire que sont les fêtes foraines :
Toi qui disais (J.-C. Darnal, D. Suesse – 1953, interprète C. Sauvage)
Les lampions de la baraque aux frites
Où tout va vite au son de l’accordéon
Tournaient en rond.
[…]
Près des nougats, les ch’vaux d’bois
Descendaient et remontaient
La foire (J. Brel, L. Logist – 1953)
Ça sent la graisse où dansent les frites
Ça sent les frites dans les papiers
La kermesse (A. Leprest, R. Deligny – 1986)
Des crêpes et des beignets, des nougats jaunes et verts
Des saucisses de Francfort, des frites de pommes de terre
Un tour sur la grand roue, un tour en train fantôme
81Et sur les lieux de vacances : plages, villes balnéaires, campings…
On n’a pas trouvé la mer (P. Perret – 1977)
Le marchand de frites nous dit c’est fou
Elle a dû se retirer d’un coup
Y a cinq minutes elle était là
Et je l’ai vue comme je vous vois
Oh ! Oh ! Les Sables-d’Olonne (J.-L. Guillard, F. Thomas, C. Vallois – 1980)
Dans l’état où j’étais sur la jetée
J’étais bon pour la bronchite
Gauche, droite, plus une auto
Y avait même plus la baraque à frites
Brr (Marcel et son orchestre)
Ma tante est battante
Elle fait des frites sous la tente
Lorsque la pluie est battante
82La consommation des frites est marquée par une ambiance sensorielle forte, assez peu caractérisée par la couleur :
Le temps des puces (P. Perret – 1971)
Il n’est pas loin le temps des puces
Des frites blondes et du lilas
davantage par les sons : l’accordéon, les chansonnettes, les postes de radio et tout simplement le murmure des mots d’amour ; surtout par les odeurs mélangées des frites, d’autres nourritures, des fleurs… et des corps, luisants de sueur et de crème solaire :
Ici l’on pêche (J. Tranchant – 1933)
L’air embaume les pommes frites
Les gaufres et les lilas blancs
C’est la guinguette (C. François, G. Claret – 1935)
Une bonne odeur de frites
Vient griser les délicats
Et l’accordéon excite
Les sens avec une java
La petite vague qui avait le mal de mer (Renaud – 1995)
[…] des adolescents faisaient hurler leurs transistors et des baraques à frites enfermaient le tout d’une odeur d’huile chaude qui se mêlait à celle dont les corps étaient enduits […]
Julie (Mano Solo)
Et tu viendras me servir
En bougeant autour de moi
Et je sentirai l’odeur
De sous tes bras
Et même tes cheveux gras
De l’odeur de frites
83La consommation des frites est ainsi généralement perçue dans les chansons comme un moment agréable, heureux, détendu, liée à une sociabilité récréative et ludique et souvent à l’épanouissement des sentiments amoureux. Elle est aussi caractéristique des milieux populaires. La modestie du conditionnement : cornets, sachets, barquettes, et du prix, est le signe d’une place peu élevée dans la hiérarchie sociale ce qui confirme les constatations faites à propos de la pomme de terre ou des patates dans la seconde partie de cette communication :
Où est-il donc ? ⚪6 (A. Decaye, L. Caral, V. Scotto – 1926, interprète Fréhel)
Où sont-ils tous mes repas sans galette ?
Avec un cornet de frites à deux ronds ?
Il ne faudra jamais (B. Dimey, F. Bernheim, interprète S. Reggiani)
Quand j’ai vidé ma poche
Il me reste le prix
De quatre roses rouges
Et d’un cornet de frites.
84Les marchands de frites appartiennent au même monde des petites gens29 :
85Jean Sébastien (M. Krikorian, M. Cywie, G. Di Dino – 1998, interprète Gérard Lenorman)
Sa mère était vendeuse de frites
Son père dealer de rêves
Pas de quoi payer l’électricité
Ni même des notes de synthé
86C’est un commerce cependant porteur d’un espoir d’ascension sociale :
87Chanson des jumelles (J. Demy, M. Legrand – 1967, film Les demoiselles de Rochefort)
Elle voulait faire de nous des érudites
Et pour cela vendit toute sa vie des frites
Quand le soleil devient froid (MC Solaar)
Donne-moi mille poulets, je crée un KFC
Avec la plus value rachète le volailler
Puis exploite le filon, vends frites et sodas
C’est le plan américain, le client est roi !
88L’évocation d’une économie industrielle de la frite est assez rare30 :
Et vous ? (P. Perret – 1976)
Un pauvre PDG qui chiale sur son attache-case
Et qui me dit : « Mon brave je viens de voir s’écrouler à Wall Street
Mes actions d’huile de vidange qui faisait de si bonnes frites »
La faute à personne (G. Laffaille)
Il faut vendre à la Chine
Produire à Colombo
Faut des boites de sardines
Faut des frites en sachets
Activer les turbines
89Elle est davantage suggérée pour les chips qui s’achètent en hypermarché : 35 heures (Sniper – 2003)
Moi j’ai l’œil
J’suis le gros brutos posté près de l’accueil
Pour des frites ou des chips
Celui qui chippe moi j’le cueille
90Et dont le mode de consommation est plus individualiste et plus passif :
Y a une fille qui habite chez moi (Bénabar – 2001)
Où sont mes potes qui glandaient devant la télé
Les boîtes de pizza, les paquets de chips éventrés
[…]
Les piles (V. Paradis, M. – 2007)
Telle une mouche léthargique
Je zone sur le canapé
Je vide le paquet de chips31
J’ai fini le fromage râpé.
Les usages argotiques et métaphoriques
91Ils sont nombreux et, une fois de plus, infiniment plus pour les déclinaisons que pour la pomme de terre elle-même. Celle-ci n’intervient guère que pour être comparée au nez32 :
Cinq filles à marier (Les Compagnons de la chanson)
La deuxième comme son père
A de la barbe au menton
Le nez comme une pomme de terre
Les pieds plats et le dos rond
en concurrence avec la patate : Ta bouche (U. Desbois – 2000)
Ton nez au beau milieu de ta figure
Comme une patate qui s’ennuie
Et qui sait que personne va la manger
laquelle renvoie aussi aux attributs sexuels masculins :
Je suis un petit branleur (J. Anal – 2002)
Si j’ai les patates dans le fond d’la sacoche
Je me fais du bien, j’me soulage les balloches.
Je veux te voir (Yelle)
Dans un film pornographique
En action avec ta bite
Forme patatoes ou bien frites
92La frite quant à elle désigne le visage en pleurs ou secoué par le rire, ou par extension la personne dans son ensemble33 :
Dépêche-toi mon amour (P. Perret – 1971)
Je poireautais près d’elle au même confessionnal
Je l’entends qui sanglote et je lui demande si ça va mal
Les calots dans la flotte, la frite au bain-Marie
Olga (P. Perret – 1971)
Tu vas voir tu vas te fendre la frite
Attends que je te raconte la suite
Ma p’tite Julia (P. Perret – 1974)
Je comprends vite
Quand elle en a
marre de ma frite
93Les expressions argotiques qui émaillent les chansons se caractérisent par une nette dichotomie, qui rejoint la constante de l’ambivalence qui caractérise notre tubercule. Certaines sont porteuses de significations positives, d’autres résolument négatives.
94Avoir la patate c’est avoir de la chance, de l’énergie, être en pleine forme :
95Les grillons (P. Delanoë, H. Giraud – 1961, interprète P. Vassiliu)
Ceux qui ont la patate et le rouge vrai de vrai
C’est bien les Fran – fran, c’est bien les Français.
Pourvu que ça dure (Patrick Sébastien)
T’es en pleine bourre et t’as la patate
Même si ce soir t’as perdu aux cartes
[…]
Tu plais aux gonzesses, les minauds te badent
La patate (Pigalle : F. Hadji – Lazzaro)
Tiens qu’est-ce que j’ai c’matin, quel friton putain
Mais j’ai une pêche d’enfer… Ça va l’faire
C’est la vie qui éclate, j’ai vraiment la patate
Je crois que ça va pas être possible (Zebda)
Mais je lâcherai pas l’affaire, cousins, cousines
J’ai la patate à faire peur à la pile alcaline
Incassables (Diam’s – 2003)
Sinik m’a dit « Tu sais ici c’est la merde
Pour t’en sortir il faut une patate d’enfer […] »
Etc. etc.34,
et s’y cramponner : Lâche pas la patate (Z. Richard)
Hey : lâche pas la patate mon neg. Hey ! Lâche pas la patate
96Avoir la frite est exactement synonyme35, quoi qu’il y ait souvent du déficit :
La blanche (Renaud – 1980)
Mais j’suis un vieux con vivant, j’ai la gaule, j’suis content
Toi t’as les boules, moi j’ai la frite
Faut pas rêver (J. Kopf, C. Dingler – 1985, interprète C. Dingler)
Il remplit de cigares sa petite Samsonite
Et va bosser un peu même s’il n’a pas la frite.
Zoo-Zumains-Zébus (H.-F. Thiéfaine)
Je n’ai pas la frite
Repasse me voir demain, lady
Etc., etc.
97Sur le versant négatif on ne saurait avoir la frite, ou alors toute petite, ou la patate, si on en a gros sur cette dernière :
Ballade comestible (S. Gainsbourg)
J’avais d’autres candidates
J’en ai gros sur la patate
Moi qui n’suis pas tout beau
Elle m’court sur l’haricot
Le modeste (G. Brassens – 1976)
Quand on enterre un imbécile
De ses amis, s’il raille, s’il
À l’œil sec et ne manifeste
Aucun chagrin, t’y fie pas trop
Sur la patate il en a gros
L’oiseau dans l’allée (P. Perret – 1977)
Le vent qui bat sa porte est fait de mes soupirs
Elle ne m’fit malgré qu’j’en eu gros sur la patate
Les honneurs de son corps qu’en sortant de la mairie.
98Mais les chagrins, le plus souvent d’amour, semblent peu de chose devant la tristesse et l’accablement éprouvés quand on est dans la purée, la mouise, poursuivi par la malchance ou la misère. C’est probablement l’expression argotique la plus anciennement employée dans la chanson. Dans ses Souvenirs Théodore Botrel raconte qu’au cabaret des Noctambules des étudiants aimaient reprendre ce refrain :
Ah ! populo, pauvre populo
Ton sort n’est pas rigolo
La purée !!
99Chez Bruant elle est fréquente, surtout via un dérivé, les purotins, qui sont parmi les miséreux et marginaux qui peuplent ses chansons :
Sous les ponts36
Miteux, gougnafiers ou poètes
Pilons, mandigots, purotins,
Fileurs de cloches, de comètes.
Fils de ribauds, fils de putains
Manchots, aveugles, culs de jatte
Fripes, fripouilles et fripons37
100Dans la même veine, des chansons mélodramatiques et réalistes affectionnent la purée :
Sérénade de la purée (Perchicot – 1921)
Quand tu seras dans la purée reviens vers moi
Je n’mène pas une vie droite comme celle d’un roi
Mais j’ai toujours ma p’tite carrée au d’ssous des toits
Un croûton, une côtelette panée, ce s’ra pour toi
Ma chanson (R. Gaël, R. de Buxeuil – 1923)
J’ai chanté les gueux et les filles
Tous les purotins du trottoir
Dont le cœur bat sous les guenilles
101Les chevaliers d’ la purée ⚪9 (J. Bertet, E. Gitral, V. Scotto – 1924, interprère Georgel)
Errant sous la lune voilée
Ce sont les forçats du malheur
Traînant avec douleur
Leur dégout, leur rancœur
La purée (L. Bauthié – 1935)
J’ai pas un rond, ça c’est bien dur
Et malgré ma face bouffonne
Je suis un pauvre bougre pur
102Après la deuxième guerre mondiale cet usage argotique de la purée tend à s’effacer. On en trouve encore quelque écho chez Léo Ferré dans La mélancolie :
C’est une rue barrée
C’est c’qu’on peut pas dire
C’est dix ans d’purée
103Ou Po po po, dis ! (E. Macias, M. Pecarrere – 1966), une chanson sur les pieds noirs rapatriés d’Algérie interprétée par Marcel Amont.
Soleil, soleil de mon pays si beau
Tu fais rien qu’tomber en morceaux
« La purée d’nous autres »
104Aujourd’hui n’en subsiste que ce pâle reflet qualifiant les insomnies des géniteurs d’un bébé affamé, tyrannique et braillard en se confondant avec la nourriture absorbée par le moutard38 :
Ça sent le bébé (Lynda Lemay – 2003)
Dès que j’pousse leur porte
Ça sent à plein pif
Les nuits en compote
Des parents captifs
Ces heures en purée
Que le bébé mange
105Les patates c’est encore l’argent :
106Raymond joue moi du jazz (J.-L. Dabadie, R. Bernard – 1997, interprète Serge Reggiani)
Et puis un p’tit hold up
Une banque dans une ZUP
Sans vouloir faire des maths
Cinq cent petites patates anciennes, etc.,
les insultes39 :
Abonné au gaz (Bourvil)
Vous m’avez marché sur les pieds
Va donc eh patate
L’automodébile (R. Gotainer, 1995)
Et alors, espèce de patate pourrie, tu la pousses ta poubelle de merde,
et les coups :
Le père Noël noir (Renaud – 1980)
Petit papa Noël
Toi qui est descendu du ciel
Retournes y, vite fait bien fait
Avant que j’te colle une droite
Avant que j’t’allonge une patate
Que j’te fasse une tête au carré !
32 mesures de haine (Sinik)
Toujours poussé à blok mon meilleur pote s’appelle fusil à pompe
Où tu vas prendre que des patates si t’as pas d’arme
Que des putains de balafres […]
107Coups qui peuvent réduire leur victime en bouillie :
Zorro est arrivé (B. Michel, J. Leiber, M. Staller - 1964, interprète H. Salvador)
Donne moi ton ranch, eh, poupée
Ou j’te transforme en purée
Bon voyage (Drôle de sire – 2003)
En bas c’était de la purée
Au moins la chose est entendue
Elle ne m’emmerdera plus40
108Effet qui doit être pouvoir atteint par le tir nourri d’une arme à feu : La Julie à Charlie (P. Perret, J.-J. Robert – 1960)
Les poulets pas si bourriques
Ont vite pigé la musique
Et juste au moment de se tirer
Y z’y ont balancé la purée
Des p’tits pruneaux pas plus gros que mon doigt
109Et peut valoir à l’auteur quelque séjour en prison : Le guide du loubard (113)
J’aime bien les films de Bruce Lee, j’ai testé la prise sur un mec,
J’lui ai pété la mâchoire.
Deux mois de purée Mousline.
110Ajoutons, puisque tout finit par des chansons, que la pomme de terre n’est pas insensible à la musique :
Le génie (Amine et la farine – 2004)
Je voudrais des oasis et des belles miss
Des sons patates […]
La blondinette (N. Ferrer)
Mais je pêche dans la marmite
Où bouillonnent comme des frites
Les mélodies non écrites
Et les notes et les mots non dits.
Bo le lavabo (V., Lil L. – 1990, interprète Lagaf’)
Alors tu reviens deux ans plus tard
Tu gardes la même purée et tu changes les paroles
111Mais la question est controversée : Le boogie du bagout (Mauranne – 1986)
C’était l’histoire d’un mec qui n’avait rien dans sa tête
Sauf un peu de fantaisie bébète
Il voulait ressembler à tous les chanteurs de hits
Qui swinguaient aussi bien qu’un paquet d’frites
Digestif
112Dans ses souvenirs J’ai chanté41, Charlus, un artiste de café concert, raconte qu’un jour sur le boulevard Rochechouart, il rencontra La Goulue qui, après avoir été chahuteuse puis dompteuse dans une ménagerie de fête foraine, gagnait sa vie en vendant des légumes à la sauvette (dont des pommes de terre ?). Il lui donna une pièce et l’invita dans un café. « Elle prit une purée. L’absinthe c’était son vice. »
Notes de bas de page
1 Dont six d’Alexandre Desrousseaux (1820-1892) parmi lesquels le très populaire Marchand de pommes de terre (1839) :
Tout boulants ! tout boulants
V’là des puns d’tierr’charmants !
2 Autre version dans l’Auxerrois sous le titre Dès le matin on prend la hotte.
3 Cité par Thouvenot C., Le pain d’autrefois. Chroniques alimentaires d’un monde qui s’en va, 1977, p. 51. Il note qu’on consommait beaucoup de pommes de terre dans la montagne vosgienne avant Parmentier, fréquemment avec du fromage blanc ou du lait caillé ; ou fricassées avec du lard ou du saindoux.
4 Chanson blasphématoire selon les riches, d’où la colère de Dieu qui a envoyé la maladie de la pomme de terre en 1845. Mémoires d’un paysan bas breton, 2000, p. 50.
5 Ainsi que dans les menus reproduits dans La Chanson française. Moniteur du Caveau, 1874-1876, où elle accompagne les poissons : cabillaud ou saumon à la hollandaise.
6 Le Rôdeur, chansonnier des boulevards, des ponts, des quais et des halles, s.d. [avant 1850].
7 Gourdon de Genouillac H., Les refrains de la rue de 1830 à 1890, 1879, p. 64.
8 Quelques croisements curieux entre elle et des vedettes des caf’conc’. Suzanne Lagier, qui a débuté en 1865 à L’Eldorado, descendait de Parmentier en ligne maternelle. La chanteuse réaliste Eugénie Buffet a fondé à Montmartre en 1910 le cabaret La Purée. À la génération suivante, Fred Gouin (1889-1959), interprète de La fille du bédouin et de Ramona, amant de Berthe Sylva, a fini comme tenancier d’une baraque à frites.
9 Ferraille à vendre ! chiffons, ou La chiffonnière, 1853 :
Ah, laisse ferraille et chiffons
Vends ta pomme de terre frite
10 Autre exemple, de 1932 : À la cantine (L. Bouquet, répertoire de Bach et Lavergne) Et qu’est ce que tu fais quand on t’appelle pour les patates ?
J’tâche de ficher l’camp, j’essaye de me tirer des pattes.
Et si t’es manquant, les patates qui c’est qui les gratte ?
11 Parue dans L’Ouvrier en voitures, no 138, janvier 1905.
12 Dans Guillaume s’en va-t’en guerre (air de Malborough), la pomme de terre n’est là que pour la rime :
Pomme de pin, pomme d’amour, pomme de terre ! (Comme le « pet de nonne » dans un autre couplet).
13 Néanmoins dans une version lorraine de La chanson des pommes de terre (voir supra) :
J’ai une histoire à vous conter, Guillaume 1er est associé à la pomme de terre :
Quand le roi de Prusse mourra
À son enterrement l’on dira
Nous perdons un bon père, et bien
C’est le père des pommes de terre.
14 Et encore : La seule chose que tu n’as pas ratée (Marc Aryan – 1976)
« Tu as parfois des distractions subites
Tu sucres mon plat de frites »
15 Vers presque identiques dans Je me souviens.
16 La purée en reste à une technologie traditionnelle et peu élaborée : Elucubrations revisited (Antoine – 1978)
« Quand j’étais petit, je n’étais pas très doué
Un matin j’avais avalé le presse purée[…] »
17 Le sommet de l’émotion est atteint lorsqu’il y a association avec la viande de bœuf :
Les Baisers (P. Perret – 1968)
Le baiser saignant et garni
Avec un steak-frites, une serviette
Et le service est compris.
Dans J’ai raté Télé-Foot (1981) Renaud propose une version anthropomorphique de la frite :
On veut des feuilletons soviétiques
Et même des belges y en a des bien
Y en a un c’est l’histoire d’une frite
Qu’est amoureuse d’un communiste.
18 Renaud Séchan est, avec 8 chansons répertoriées dans le corpus, derrière Pierre Perret : 14, l’auteur-compositeur qui semble avoir le plus fait de place à la pomme de terre, principalement aux frites : 7 chansons dont 2 sur le Nord, 11 chez Perret, aucune sur le Nord. La mère de Renaud est issue d’une famille de mineurs du Nord.
19 Parodié par Michel Leeb dans I want you (1985)
Mathilde vous êtes revenue hein, comment ça va hein ?
Eh bien tenez, je vous ai apporté des fleurs
Parce que les frites c’est périssable !
20 À signaler le sketch d’Alain Boivin, Fritologie, fondé sur de multiples calambours et qui présente la frite comme le symbole de la joie (« la frite rit ») et de la sagesse (« le sage est de frite »). L’hégémonie des frites n’est cependant pas totale en Belgique ; voir les chansons gaumaises publiées dans la brochure Pomme de notre terre…, Florenville, 2004 : Je voudrais des pommes de terre, Les patârs, Les crombires ⚪5, Les patates, La toufaye…
21 Où les potatoes sont bien présentes dans les chansons. Mais
Il paraît qu’en Angleterre ceux qui font caca par terre
On leur coupe le derrière pour en faire des pommes de terre
Ils ont des chapeaux ronds (chanson enfantine)
22 C’est-à-dire frites.
23 Mélange de pommes de terre frites et de fromage en grains arrosé d’une sauce chaude.
24 La patate, chanson populaire de La Nouvelle Orléans – 1953 : Quand la patate est cuite faut la manger
La manger tout de suite
Quand même elle est dans l’feu ou dans la cendre
Beaucoup brûlée ou peu
Faut la manger sans plus attendre.
25 Seule référence septentrionale repérée : Les patates de Sibérie, chanson enfantine (Sanshiro – 2003).
26 Autre exemple d’espace imaginaire : Des frites avec les pieds (La Baronne)
Je suis un drôle de diable
Avec de drôles d’idées
[…]
Je préfère voyager tout seul dans ma tête
Liberté chérie, liberté
Et manger des frites avec les pieds.
27 Dans Purée jambon de Dimey D. (supra), le dimanche on va au restaurant, pour échapper à la purée omnijournalière.
28 À la guinguette la séduction passe par les frites.
29 Brute, la pomme de terre peut se prêter à un commerce de gros :
Avec ma flamande (Tribal Mustachal)
C’est une fille Vandamme – Mesmaeker
Elle est grossiste en pommes de terre.
30 Quant au travail lié à la pomme de terre il est exclusivement présenté sous des aspects domestiques :
Les moutons qui font bêê (Pascal Gigot, Bruno Roblès – 1996)
J’plante des patates, des topinambours
Je n’suis plus l’maître chez moi (Hugues Aufray, Uline Buggy, Sabar)
Faut rentrer quelques patates et va t’en tirer de l’eau[…]
Pomme de terre (Jules Mougin)
On me gratte, on me pèle, on m’écrase
Mariette (Michel Thibault – 1998, interprète Grand dérangement)
J’ai pleuré des patates
31 Paquet qui peut, au moins en imagination, être retourné contre le capitalisme qui l’a produit : Les colonies (MC Solaar – 2001) […]
Parfois je rêve de mettre un gun dans un paquet d’chips
De braquer la Banque mondiale. Pour tout donner aux townships
32 Ou suggérer l’entassement et la promiscuité : Détention universitaire (G. Genty – 2004) 605 colocataires
On est un peu comme pommes de terre
33 Ce qui est aussi le cas de la patate, l’importance de l’individu concerné dépendant du calibre : Pom pom pom frites (op. cit.) […]
Depuis quand j’croise une grosse patate
Qu’ essaie d’ se prendre pour un Goliath
La petite patate (Duodébi)
Alors mon petit gars
Si t’es une petite patate comme moi
J’te conseille de courir vite
Si tu ne veux pas finir taillé en frite.
34 À contrario :
HLM 3 (Ali, Booba, M. Jouanneau, interprète Lunatic)
C’est la patate quand il y a plus d’chattes, que l’effet du shit chute
Quand tu fais un que-tru, qu’tes potes se chient d’ssus
Ta mie t’attend (Mes aïeux – 2004)
Un clou qui traînait sur l’asphalte
Et tous tes plans qui font patate
T’as fait un flat.
35 À contrario : Des poux et des sous (P. Perret – 1996)
Ma très chère épouse qui m’avait laissé choir
Tomber dans les frites, tomber dans le cafard.
36 Voir aussi : À Saint-Ouen, Au bois de Vincennes, Conasse, Les culs gelés, Pour les fortifs, Sur le tas. Dans A. Mazas, l’interjection : « Mince d’purée ». André Salis, le clochard de Montmartre et du quartier Latin qui se prétendait le secrétaire de Verlaine, était surnommé Bibi la purée. Dans La chanson de Craonne (anonyme – 1917) les « pauvres purotins » sont les soldats dont la vie est sacrifiée pour « défendre les biens » des « gros » et des « embusqués ».
37 Et les « psychopatates » ! Décadence (Jean Leloup).
38 Dans Ô Sophie d’Etienne Auberger (1986), c’est la purée mousline qui sustente un artiste désargenté et sa compagne, modernes purotins :
Je l’embrassais plus persuadé
Que bientôt dans un manteau de zibeline,
On oublierait la purée Mousline…
39 Une patate c’est aussi un niais, un naïf : Agathe (Fernandel)
En flagrant délit, je l’ai prise. Elle nie tout.
Agathe, Agathe, Agathe, elle me prend pour une patate.
40 Un homme balance dans l’escalier une armoire où il a enfermé sa femme qui l’horripile et l’énerve.
41 www.chanson.org
Auteur
Maître de conférences en histoire contemporaine,
Cermahva, Université François-Rabelais de Tours.
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Un aliment sain dans un corps sain
Perspectives historiques
Frédérique Audouin-Rouzeau et Françoise Sabban (dir.)
2007
La Pomme de terre
De la Renaissance au xxie siècle
Jean-Pierre Williot et Marc de Ferrière le Vayer (dir.)
2011