Chapitre II
La fabrication du saké
p. 37-46
Texte intégral
1Le côté inclassable du saké et la difficulté de le définir viennent en grande partie de la complexité de sa fabrication. Celle-ci pose la question suivante : comment produire un « vin » aussi alcoolisé à partir d’une céréale sans utiliser la distillation ?
2Pour expliquer ce phénomène, il est nécessaire de bien comprendre le processus qui permet, à partir du riz, d’obtenir une boisson fermentée. Le détail technique des processus à l’œuvre permet d’entrevoir la complexité de la fabrication d’une boisson fermentée à partir du riz, ce qui n’a pas été sans conséquence au niveau historique sur l’évolution des territoires et de leur renommée. Son analyse n’est donc pas uniquement technique mais pose les bases de la compréhension des localisations et de la distribution des fabriques de saké.
Enjeux et principes de la fermentation alcoolique
Une manifestation de la vie
3Le terme fermentation vient du verbe latin fervere qui signifie bouillir. Elle se caractérise par un dégagement de bulles de gaz observé lorsque l’on abandonne un produit alimentaire à l’action de micro-organismes1. Ce dégagement gazeux qui fait bouger la pâte ou le liquide mis à fermenter est dû à l’action des levures, des champignons endomycètes du genre saccharomyces. En milieu anaérobie, c’est-à-dire en absence d’oxygène libre, les levures par leur respiration entraînent des processus d’oxydoréduction producteurs d’énergie dans lesquels les composés organiques servent aussi bien d’émetteurs que de récepteurs. La fermentation provoque donc une décomposition du milieu de culture et la formation de sous-produits et différentes enzymes, responsables du goût des produits fermentés.
4La fermentation et l’action des levures ont longtemps été entourées de mystère et les processus à l’œuvre dans les cuves sont longtemps restés une manifestation divine de la vie en action. Les mécanismes complets n’ont été véritablement mis en valeur en Europe qu’avec les travaux de Pasteur et de Büchner à la fin du xixe siècle. Au Japon, c’est l’arrivée de la science européenne et les travaux d’Atkinson (1881) qui ont véritablement décrypté l’ensemble des processus à l’œuvre dans la fabrication du saké.
5Dans le cas de la fermentation alcoolique, les sucres sont transformés en alcool éthylique et en anhydride carbonique. Les agents de la fermentation alcoolique sont les levures. Il en existe plusieurs types utilisés pour la fabrication des boissons alcooliques : saccharomyces cerevisiae pour la bière et le saké, saccharomyces ellipsoideus pour le vin, saccharomyces fragilis pour la seconde fermentation du champagne.
6Les levures peuvent vivre aussi bien en milieu anaérobie qu’en milieu aérobie. En présence d’oxygène, elles respirent activement et brûlent les sucres pour pouvoir se multiplier. Par contre, en l’absence de l’air, elles puisent l’oxygène dans les molécules de sucre et le transforment en alcool avec dégagement de chaleur. Le processus de fermentation s’accompagne d’un important dégagement de dioxyde de carbone qui fait bouger le mélange.
7En termes de fabrication de boissons alcooliques, deux caractéristiques sont à prendre en considération. La première est la sensibilité des levures à la toxicité de l’alcool qu’elles produisent, ce qui fait que les boissons issues de la fermentation naturelle ne dépassent guère en général les 14-15°. Au-delà, le degré d’alcool du mélange fermenté tue les levures et arrête la fermentation. La seconde est que, si les levures sont capables de transformer les différents types de sucres simples (glucose, fructose), elles ne peuvent transformer directement les polyholosides comme l’amidon qui nécessite une hydrolyse préalable. Cette seconde caractéristique introduit une grande différence entre la fermentation des fruits, qui contiennent à l’état naturel de l’eau et du sucre, et celle des céréales, composées d’amidon.
La fermentation des fruits
8Les fruits contiennent à l’état naturel des sucres simples qui peuvent directement être transformés en alcool par les levures. Le principe de la fermentation des fruits est donc relativement simple et peut avoir lieu sans intervention de l’homme par l’intermédiaire de la macération en laissant agir les levures directement présentes sur la peau des fruits.
9L’exemple de la vinification du vin, de loin la plus élaborée, permet de montrer qu’il s’agit pour les fruits d’une maitrise et d’un contrôle d’un processus entièrement naturel. Selon les types de vins recherchés, il est possible d’avoir recours à une vinification en rouge ou en blanc. La différence essentielle entre ces deux procédés réside dans le fait que, dans le cas de la vinification en blanc, il n’y a pas de macération préalable et que le jus fermente ainsi sans contact avec les matières solides (peau, pépins). Pour la vinification en rouge, la vendange est mise en cuve pendant une période plus ou moins longue et la macération va permettre aux matières colorantes contenues dans la pellicule du raisin de se dissoudre et de colorer ce qui est en train de devenir du vin. Cependant, dans les deux cas, les sucres du raisin permettent une action directe des levures, ce qui est impossible avec une céréale.
La fermentation des céréales
10Pour toute fermentation alcoolique de céréales, il faut obligatoirement une opération préalable qui va transformer l’amidon en sucre et permettre aux levures de réaliser la transformation du glucose en alcool.
11L’amidon est un polymère du glucose abondant dans toutes les céréales et tubercules. Sa transformation en sucre, selon un processus de dégradation appelé saccharification, est réalisée par des enzymes, amylases et maltases, qui rompent les liaisons d’hydrogène et transforment l’amidon en dextrines, maltose puis glucose. Les enzymes de la saccharification peuvent être synthétisées par la graine elle-même lors de la germination, elles sont aussi présentes dans la salive et les sucs intestinaux des êtres vivants.
12Pour utiliser l’amidon des céréales dans une fermentation alcoolique, la saccharification peut être réalisée de différentes manières. Dans le cas de la bière, ce sont les amylases de la germination des grains qui permettent l’hydrolyse lors de la fabrication du malt. Dans le cas du saké, l’hydrolyse est obtenue par l’action d’une moisissure, le kôji (aspergillus oryzae), qui produit les enzymes qui transforment l’amidon du riz cuit en sucre simple. Il est aussi possible d’utiliser la salive d’un être vivant, même si dans ce cas l’amidon est simplement transformé en dextrines. Le peu de sucre obtenu fait que le mélange ne pourra pas avoir un degré d’alcool important après l’action des levures.
Une fabrication complexe
Les quatre ingrédients du saké
13Le saké est une boisson alcoolique fermentée dont les ingrédients sont l’eau, le riz, le kôji et les levures. Pour produire un litre de saké il faut environ 30 litres d’eau et un kilo de riz. Le kôji sert à transformer l’amidon du riz en sucre et les levures à transformer le sucre en alcool.
14L’eau est l’ingrédient le plus important quantitativement (80 % du saké). Sa nature et sa composition en oligo-éléments jouent un grand rôle dans la fabrication en modifiant les réactions enzymatiques, le pH du saké, sa stabilité et son amertume. Ainsi par exemple, la présence de bicarbonate de calcium conférera au saké une amertume désagréable, tandis que le chlorure de calcium va plutôt arrondir le goût.
15Le riz est le second élément. Les variétés de riz peuvent être considérées comme l’équivalent des cépages pour le raisin. Ce sont elles qui vont donner au saké ses caractéristiques gustatives fondamentales. Si dans l’absolu, toutes les variétés peuvent produire une boisson fermentée, la caractéristique recherchée par les brasseurs japonais est en général un riz rond, non glutineux, à gros grains. Ce choix s’explique par le fait que l’amidon des riz non glutineux ne forme pas au contact de l’eau de solution visqueuse et blanchâtre qui troublerait l’apparence du saké. Comme les grains sont en général polis avant la fabrication pour éliminer les parties tendres où la concentration de lipides et de protéines est plus importante, il vaut mieux utiliser des variétés à grains suffisamment gros. Les variétés de riz utilisées pour la fabrication du saké se caractérisent toutes par une cavité au cœur de l’albumen que les grains ordinaires ne possèdent pas.
16Le kôji, aspergillus oryzae, est un champignon filamenteux de type moisissure dont l’action est de permettre la première transformation de l’amidon du riz en sucre. Il est l’élément caractéristique du saké puisque c’est son utilisation qui va distinguer le saké d’une bière de riz. Sa nature influence directement la base du goût du saké, puisque de cette première transformation va dépendre tout le cycle de fabrication. Les champignons aspergillus ont une répartition mondiale mais leurs formes présentent des nuances régionales bien typées. La variété japonaise distingue le kôji des moisissures employées ailleurs en Asie. Le kôji fait partie des éléments caractéristiques des produits de base de la cuisine japonaise. Outre son utilisation pour le saké, il est également à l’origine de la fabrication du miso et du shôyu.
17Les levures, appelées kôbo en japonais (saccharomyces cerevisiae), transforment le sucre en alcool. Elles permettent également la différenciation et les nuances de goût du saké. Elles sont semblables aux levures de bière et, selon leurs caractéristiques, elles vont produire des enzymes qui vont directement influencer le goût du saké, ses parfums et sa stabilité biologique. Le type de levure utilisé dépend du type de fermentation recherché, de la variété de riz utilisée et des conditions de température ou d’humidité. La levure influence tout particulièrement l’odeur du saké.
L’originalité du processus : des fermentations multiples et parallèles
18La méthode de fabrication du saké utilisée par les brasseurs japonais date de la fin de xvie siècle. La recherche scientifique a bien sûr permis des améliorations sensibles et une meilleure compréhension des phénomènes à l’œuvre, mais, dans ses principes fondamentaux, la technique n’a pas vraiment changé depuis l’époque d’Edo.
19Un saké de qualité de type seishu se réalise en quatre étapes qui durent une vingtaine de jours : polissage du riz, cuisson, fermentations, pressage. Le but de la méthode de fabrication est de réaliser la conversion de l’amidon en sucre puis du sucre en alcool, le tout sans que la fermentation ne s’arrête vers les 12-13° comme c’est le cas pour la méthode du maltage utilisée par les brasseurs de bière.
20L’explication biochimique de cet arrêt de la fermentation tient dans la concentration de sucre. Pour avoir 20 % d’alcool, il faut convertir 40 % de l’amidon en glucose. Un tel taux initial inhibe complètement la production car la concentration d’alcool augmente trop vite et tue les levures. Pour l’éviter, la seule solution est de convertir moins d’amidon au départ, ce qui n’est pas possible en réalisant deux étapes successives.
21Les brasseurs de saké utilisent donc une méthode de fermentations multiples et parallèles. La transformation de l’amidon en sucre et celle du sucre en alcool interviennent en même temps dans la même cuve. Le taux de sucre dans le mélange reste donc toujours faible et la teneur en alcool peut ainsi monter dans certains cas jusqu’à 21°, record absolu pour un mélange fermenté2.
Polissage
22Cette étape a pour but d’enlever les impuretés et l’excès de lipides contenus dans l’endosperme du grain. Il s’agit d’une opération distincte du mondage3, réalisée plus en profondeur. Plus les grains sont polis, plus le saké est pur et plus son aspect est transparent. Dans l’idéal, il ne faudrait conserver que le cœur du grain, la partie la plus riche en amidon. Le polissage est effectué de façon mécanique à l’aide de meules. Le cœur du grain étant la partie la plus dure, c’est elle qui subsiste à la fin du processus.
Cuisson du riz
23La fermentation se fait à partir de riz cuit. Elle a deux fonctions : stériliser le riz et rompre les molécules d’amidon, ce qui permet une meilleure action du levain. Le riz est donc lavé soigneusement puis placé dans un conteneur d’eau où on le laisse absorber environ 30 % du liquide. La cuisson permet d’accélérer la vitesse de transformation de l’amidon en glucose. Lors de la cuisson, la chaleur va également pénétrer plus rapidement dans le grain. La cuisson proprement dite se fait à la vapeur pendant 30 à 60 minutes. Le riz est ensuite divisé dans des bacs et mis à refroidir car le départ du mélange se fait à froid.
Fermentations
24Pour réussir les fermentations parallèles, il est nécessaire de procéder par étapes afin que le taux de sucre du mélange reste toujours faible. Après la fabrication du levain, une partie du riz très concentrée en kôji va servir de démarrage à l’action des levures. Ce départ de la fermentation est appelé moto, ce qui signifie « base ». Les brasseurs effectuent ensuite des ajouts successifs de riz et d’eau afin que le taux de sucre reste toujours faible.
25Le mélange (moromi) se fait en 3 étapes d’ajouts successifs d’eau, de riz-kôji et de riz cuit pour pouvoir à la fois contrôler le taux de sucre, la multiplication des levures et la température. Traditionnellement le brassage était effectué dans de larges cuves ouvertes en bois et le moromi était mélangé avec de longues pelles. Aujourd’hui il est pratiquement toujours fait dans des appareils mécaniques, ce qui le rend plus homogène car dans les cuves mécaniques le mélange peut en effet se faire par le bas alors que dans les cuves traditionnelles en bois, le fond était souvent mal mélangé.
26L’ajout d’eau est un moyen de contrôler l’action des levures, tout comme la fermeture de la cuve et l’augmentation ponctuelle de la pression. Après 15 à 18 jours, le moût approche les 20° d’alcool et la fermentation s’arrête naturellement, la concentration d’alcool étant trop forte pour que les levures puissent continuer à vivre dans le mélange.
Pressage et filtrage
27Le pressage est effectué immédiatement après la fin de la fermentation. Il ne faut pas attendre trop longtemps avant de presser le saké car les levures mortes pourraient affecter le goût. Le mélange est pressé dans des sacs de coton. Le liquide obtenu est transparent et a une forte teneur d’alcool qui avoisine parfois les 21°. Le saké nouveau est ensuite laissé au repos pendant 10 jours puis pasteurisé. Certains saké, appelés namazake, peuvent être commercialisés sans pasteurisation et doivent être consommés rapidement.
Vieillissement
28Le saké est généralement élevé en fûts pendant 6 mois à 1 an, puis additionné d’eau pour faire baisser son taux d’alcool. En général les sakés présentent des degrés d’alcool variant entre 12 et 17°, un niveau proche de celui du vin qui permet de les boire facilement avec des accompagnements. Certains sakés sont vieillis plus longtemps en fûts de cèdre. Le bois leur communique alors une couleur plus foncée. Ils sont commercialisés sous le nom de koshu, ce qui signifie « vieux saké ».
29Le processus de fabrication du saké est donc éminemment complexe du fait de la multiplicité des étapes et des ingrédients qui entrent dans sa composition. On pourrait ainsi parler pour le saké de « boisson cuisinée ». De fait, le vin de riz japonais est une boisson très subtile. En se basant sur une étude du professeur Koizumi Takeo, en additionnant les composants responsables du bouquet, de la saveur, de la douceur et de la robe, on arrive à plus de 600 paramètres, ce qui fait du saké une boisson aussi complexe que le vin4. Un grand saké s’apprécie donc de la même manière qu’un grand cru, à l’œil, au bouquet, au goût. Il révèle les subtilités du riz et de l’eau, la maîtrise de la technique, le talent de celui qui l’a fait. Il révèle aussi un terroir, même si celui-ci se définira de manière sensiblement différente de celui du vin.
Évolution des techniques, qualité et contraintes
30Observer un processus de fabrication accompli comme celui du saké ne doit pas faire oublier son ancienneté et les tâtonnements qui ont mené à sa normalisation. Si les contraintes de la technique et de la qualité des ingrédients sont aujourd’hui maîtrisées, ce n’a pas toujours été le cas. Un bon saké est d’abord un saké dont les fermentations sont réussies. Ce qui paraît une évidence aujourd’hui avec les techniques modernes ne l’était pas forcément il y a 150 ans. Une fois ce principal problème réglé, d’autres éléments peuvent être évoqués qui peuvent se rapporter aux localisations.
31Au niveau du processus lui-même et de ses étapes, le premier souci pour réussir un vin de riz tient dans la mise en place du ferment. Il est avéré que les premiers sakés n’utilisaient pas le kôji mais une méthode consistant à mastiquer du riz cuit puis à le recracher pour permettre la première transformation de l’amidon en sucre. D’après les dernières recherches il est probable que la méthode du kôji ne se soit vraiment imposée qu’au ve siècle et que jusqu’au Moyen Âge il y ait eu deux méthodes de fabrication. À cette époque, un bon saké était d’abord un saké utilisant du kôji.
32Un autre problème a longtemps été la maîtrise des fermentations. La température est le meilleur moyen de contrôler l’action des moisissures de kôji et des levures. La culture du kôji nécessite de la chaleur (30 °C environ), mais la fermentation oblige à avoir des températures inférieures à 15 °C. Autrefois le brassage des sakés de qualité se faisait donc exclusivement en hiver. La disposition des pièces de la brasserie tenait compte des impératifs de température et elles utilisaient un système de volets pour régler la circulation de l’air. Les régions de production de sakés de qualité devaient avoir un hiver bien marqué qui leur permette d’avoir un bon contrôle des fermentations.
33Le polissage du riz, de même que le filtrage avec des linges de soie datent du xvie siècle. C’est à la même époque que se sont formalisés les ajouts de riz et d’eau en trois étapes. La technique du hi ire qui est en fait une pasteurisation a, à la même époque, permis d’éviter que le saké ne soit gâté par l’action de bactéries non désirées. Ces techniques, très en pointe pour une société préindustrielle, étaient complexes et coûteuses. Elles ont donc induit une autre forme de distinction des territoires par leur capacité ou non de les mettre en œuvre.
34La réflexion sur la qualité de l’eau est plus tardive que l’on croit et ne date que du milieu du xixe siècle. Il est certain que l’eau dure ou douce donne des sakés différents et qu’une trop forte minéralisation est préjudiciable au goût du saké. Comme elle est l’élément le plus important quantitativement, elle a forcément une influence sur le goût. Aujourd’hui avec les techniques de filtrage et de décarbonatation qui datent du début du xxe siècle, les mauvaises caractéristiques d’une eau peuvent être dépassées, ce qui va dans le sens d’une ouverture des lieux de production.
35Les travaux sur les variétés de riz, eux, ont commencé dans les années 1920. En utilisant le cœur du grain, la meilleure partie, la perte est importante allant parfois jusqu’à 70 % et les prix de ces sakés sont donc naturellement les plus élevés. Jusqu’au milieu du xixe siècle, le polissage permettait d’obtenir des sakés plus alcoolisés que ceux dont les grains n’étaient pas polis, en poussant le processus des fermentations jusqu’à son terme. Aujourd’hui, il s’agit d’un critère parmi d’autres. Bien sûr le goût diffère et les sakés aux grains les plus polis sont plus fins, mais au fond le goût et le charme d’un saké a peu à voir avec une éventuelle supériorité de ce seul élément. Le choix de la variété de riz est semble-t-il aussi important, même s’il n’est pas autant mis en avant.
36Tous ces éléments ont permis une évolution des contraintes de fabrication. Ils représentent une victoire de la technique sur les contraintes du milieu, une réponse apportée aux problèmes posés qui permettent de s’en affranchir au moins en partie. Avec l’utilisation des techniques modernes de brassage, il est devenu presque impossible aujourd’hui de manquer un saké. Il est donc possible au Japon de faire du bon saké partout. Du fait de la meilleure connaissance des processus du brassage, la qualité du vin de riz est devenue avant tout affaire de bons ingrédients et de choix. Les contraintes de localisation ne sont donc pas très nombreuses. Il n’y a plus de contrainte climatique et, le riz pouvant être transporté, seule la présence d’une source d’eau joue, mais de manière azonale uniquement.
37Faire un « vin » à partir d’une céréale est un processus complexe. L’impossibilité de faire fermenter l’amidon est résolue par le kôji et permet d’obtenir une boisson aussi alcoolisée, voire plus, que si elle était faite à base de fruits. L’évolution des techniques, leurs améliorations ont permis au cours du temps de régler les différents soucis posés par la fabrication du saké et nous ne pouvons pourtant qu’être admiratifs devant la technique des brasseurs traditionnels qui, avec des méthodes inductives et des appareillages rudimentaires, ont réussi à maîtriser ces processus extrêmement complexes.
38La difficulté même de la fabrication a induit des critères de localisation divers aux cours du temps : la présence d’un hiver bien marqué, des techniques d’encadrement et des capacités techniques et financières, la présence d’une eau suffisamment pure. Des critères aujourd’hui résolus par la technologie qui permet de contourner la plupart des handicaps.
Notes de bas de page
1 Bien que la plus connue, la fermentation alcoolique n’est pas la seule fermentation existante. Les principales fermentations utilisées pour l’alimentation humaine sont la fermentation lactique, qui permet la fabrication des yaourts, du beurre et des fromages, et la fermentation propionique, qui donne le vinaigre.
2 Il ne faut pas confondre le degré d’alcool du mélange et celui de la boisson. S’il existe effectivement des boissons bien plus alcoolisées que le saké, le processus de fabrication utilisant la méthode des fermentations multiples est celui qui donne la boisson au taux d’alcool le plus important sans recourir à la distillation ou à un ajout d’alcool. Le whisky par exemple est distillé à partir d’un mélange contenant environ 6° d’alcool. Koizumi (2008), p. 7.
3 Le mondage correspond au décorticage plus au blanchiment du grain. Abe (2007).
4 Koizumi (op. cit.), p. 5.
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