A.B.C. Sibthorpe (v. 1840-1916), historien sierra-léonais : au centre ou à la marge ?
p. 259-287
Texte intégral
1Figure à éclipse, Aaron Belisarius Cosimo Sibthorpe fut tour à tour célèbre en son temps pour avoir écrit la première histoire de la Sierra Leone en 1868, puis négligé par ses contemporains, ressuscité par les promoteurs d’une histoire de l’Afrique en 1970, avant de tomber à nouveau dans l’oubli. La trajectoire heurtée de cette personnalité hors du commun, polygraphe mais surtout historien, met en évidence l’impact du statut social et institutionnel sur les formes d’écriture et la reconnaissance, donc sur la visibilité et la postérité. La biographie de Sibthorpe le situe autant au centre qu’à la marge, selon les périodes et les contextes mais aussi selon les définitions relatives de ces termes. Sibthorpe évolue dans une société tout à fait particulière pour l’Afrique occidentale des années 1850, celle d’un établissement fondé par des philanthropes britanniques à la fin du xviiie siècle. Dans le contexte de l’abolition de la traite atlantique et de la guerre d’indépendance des États-Unis, la question du devenir des anciens esclaves est discutée outre-Atlantique et en Grande-Bretagne1. L’idée d’un retour, spontané ou forcé, vers le continent d’origine de leurs ancêtres aboutit au projet de création d’une enclave (settlement) en Afrique de l’Ouest, à sa fondation en 1787 puis à la genèse d’une société nouvelle, édifiée à partir de valeurs européennes (christianisation, scolarisation…) et locales.
2Suivre la trajectoire de ce personnage intriguant permet d’aborder la question de la localisation d’un auteur dans l’espace et dans la société, c’est-à-dire son appartenance ou non aux élites sociales et intellectuelles, de son positionnement dans les réseaux de savoir, et d’appréhender la façon dont l’auteur en joue ou le subit. Sibthorpe connut son heure de gloire, apportant une contribution majeure à la connaissance de son pays tout neuf, avant de se retrouver marginalisé, autant sur le plan scientifique que disciplinaire ou social. Alors qu’on peut qualifier Sibthorpe de précurseur à ses débuts, des années 1860 aux années 1880, on constate sa double marginalisation au fil des décennies pour des raisons qui tiennent à la fois au contexte historique et à des choix personnels. C’est ce destin qui est retracé ici. Il nous permet d’éclairer des questions générales : quels sont les critères de notoriété dans un contexte donné ? Comment varient-ils au fil des années ? Quels sont les acteurs ou les mécanismes en jeu ? Quelle marge de manœuvre a un individu donné pour affirmer sa place ?
3Faire revivre ce personnage est une expression adéquate lorsqu’on évoque Sibthorpe, lui qui utilise la métaphore de la résurrection de Lazare pour glorifier le pouvoir qu’ont les historiens de redonner vie aux hommes du passé :
L’historien, le monarque du passé, utilisant ses privilèges les plus nobles, quand il fait le tour de son domaine, n’a qu’à toucher les ruines et les morts avec sa plume pour reconstruire les palaces et ressusciter les hommes. À sa voix, comme celle d’un Dieu, les os desséchés se réunissent, la chair les recouvre à nouveau, de beaux habits les revêtent ; et dans cet immense Jehoshaphat (Joël III, 2, 12), où les enfants de trois millénaires sont rassemblés, son seul caprice décide de son choix, et il n’a qu’à déclamer les noms des Marrons ou des Colons qu’il souhaite, pour les faire sortir de leur tombe, pour qu’ils enlèvent leur linceul avec leurs propres mains, et répondent comme Lazare à notre Sauveur « Me voici, Seigneur. Que veux-tu de moi. »2
4Après avoir présenté Sibthorpe et ses contributions à l’histoire de la nation sierra-léonaise, dont cet extrait donne en partie le ton, j’analyserai les raisons de sa notoriété intermittente, de son passage d’un certain centre à une forme de marge de son vivant. Sibthorpe, qui vécut d’environ 1840 à 1916, soit une longue vie pour sa génération et son milieu, est passé à la postérité par ses nombreux écrits, publiés de 1868 à quelques années avant sa mort. Il doit sa propre résurrection à Christopher Fyfe, historien de la Sierra Leone, qui lui consacre un premier article en 1958 et suggère la publication de son History of Sierra Leone dans une collection qui valorise la constitution d’un savoir en Afrique même, en reproduisant des ouvrages-clés mais souvent totalement méconnus. C’est ainsi que la troisième édition (1906) de l’ouvrage de Sibthorpe est publiée en fac-similé en 1970, dans la collection « African Modern Library » (no 9) par Frank Cass, à Londres3.
« I was a perfect cosmopolitan », « People will say Sibthorpe is eccentric » : un homme singulier dans une société cosmopolite
5Formée par l’agrégation de populations très diverses, la Sierra Leone semble prédisposer ses habitants à une ouverture d’esprit mais aussi à une démarche d’autoréflexion afin de comprendre la genèse de ce qui constitue, peu à peu, une nouvelle communauté.
Recaptive4 ou fils d’Africain libéré ?
6La colonie britannique de la Sierra Leone est conçue à l’origine par des philanthropes britanniques pour accueillir des populations noires jugées inadaptées, voire indésirables, qui se trouvent en Europe. Un premier contingent, dit des « Black Poor » (« indigents noirs »), largement décimé sur place, est rejoint par d’autres, notamment les dynamiques Black Loyalists ou Nova Scotians, esclaves ou Noirs libres américains ayant combattu aux côtés de la Grande-Bretagne lors de la guerre d’indépendance des États-Unis. Relocalisés au Canada, en Nouvelle-Écosse, mécontents des conditions qui leur sont faites, ils négocient leur départ pour Freetown, mais échouent, là aussi, à faire accepter leur fonctionnement démocratique et leurs droits fonciers face à la volonté de la Compagnie de Sierra Leone puis de la Couronne de gouverner directement l’établissement. Ils sont de fait considérés comme rebelles, ce qui explique en partie le jugement négatif exprimé par Sibthorpe à leur égard5.
7Au total, les premiers colons (settlers), arrivés entre 1787 et 1808, se décomposent ainsi : 411 Black Poor, 1 200 Black Loyalists et environ 550 Marrons (esclaves fugitifs) exilés de Jamaïque. À partir de 1808, Freetown, au nom symbolique, est choisi comme port de débarquement des esclaves libérés des bateaux négriers après l’interdiction de la traite par la Grande-Bretagne et lieu d’installation d’une cour de justice6. Appelés liberated Africans (Africains libérés) ou recaptives (recapturés), ils rejoignent les premiers colons, au nombre d’environ deux milles en 1808 quand la Sierra Leone devient colonie de la Couronne7. Ils seront à peu près cent mille à être débarqués jusque dans les années 1860, où la traite clandestine est finalement jugulée8. C’est dans ce milieu que grandit Sibthorpe sans que l’on soit sûr ni de la date, ni de son lieu de naissance. L’incertitude sur la date n’est pas étonnante. Quant à celle du lieu, elle débouche sur une question de fond : était-il un recaptive, c’est-à-dire a-t-il été libéré très jeune par les Britanniques alors qu’il était prisonnier d’un navire négrier ? Ou est-il né sur place de parents libérés ? Cette dernière hypothèse semble la plus probable car nulle part il ne mentionne l’expérience traumatisante de la captivité et du bateau négrier, pas même dans son discours prononcé en 1907 à l’occasion du centenaire de l’abolition de la traite par la Grande-Bretagne, dont le ton souvent lyrique met en avant les souffrances vécues par les esclaves.
8Les populations, colons au sens strict et Africains libérés, forment peu à peu un ensemble socio-culturel très divers qui s’homogénéise au fil des années, tout en se diversifiant sur le plan social. Ces habitants, connus sous le nom de Sierra Léonais, Créoles et, depuis les années 1980, Krio9, s’opposent aux populations qui habitaient auparavant dans la zone occupée, principalement les Temnés et Mendé, selon des modalités qui vont de conflits ouverts à un modus vivendi10. Ces éléments sont renforcés par des migrants venus de l’intérieur, attirés par les opportunités économiques de la colonie. Ils sont appelés génériquement les Aborigines par les Britanniques. Cette dichotomie marque l’histoire de la Sierra Leone primitive, petite péninsule de l’actuel pays.
9Pour camper cet auteur prolixe et quelque peu mystérieux, l’on peut citer certaines de ses propres paroles qui informent sur sa personnalité. Sibthorpe se qualifie lui-même de cosmopolite (p. 167) mais réfute l’adjectif d’excentrique qui lui est accolé. Il le commente ainsi :
Fig. 1. La Sierra Leone coloniale : protectorat et colonie.

[Wyse Akintola J.G., The Krio of Sierra Leone : An Interpretive History, London, Hurst/International African Institute, 1989, p. XIV ; réalisation : Université Paris Diderot, Pôle Image]
Les gens diront que Sibthorpe est un excentrique11, qu’on ne peut pas le comprendre etc. Laissons-les porter des coups avec leur langue, et comme Thémistocle le dit à son camarade lors de la grande invasion perse, qu’ils frappent mais qu’ils m’écoutent.12
10Divers éléments biographiques confirment cependant ces deux qualificatifs. Ainsi, malgré l’abondance d’informations personnelles égrenées tout au long de ses écrits, Sibthorpe laisse planer un air de mystère sur certains aspects de sa vie, à commencer par son apparence. Alors qu’il s’initie à la photographie dès les années 1860, l’on ne connaît qu’un seul portrait de lui, une photographie figurant en frontispice sur de rares exemplaires de l’édition de 1906 de son History of Sierra Leone : il s’y présente en tenue de magicien, avec une longue robe étoilée, une baguette magique et un chapeau pointu13. Cet accoutrement est révélateur de la façon dont il se met en scène, c’est-à-dire comme organisateur de séances de lanterne magique, appareil projetant des images peintes sur des plaques de verre pour distraire le public, et non comme notable.
11Il en va de même pour son patronyme qui intrigue : Aaron Belisarius Cosimo, soit A.B.C., Sibthorpe. Comme pour la majorité des Africains libérés, le patronyme de Sibthorpe est celui du bienfaiteur, en l’occurrence le révérend Richard Waldo Sibthorp (1792-1879), qui finance, à distance, son éducation. Cette pratique, adoptée par les missionnaires, explique les patronymes britanniques de la majorité des recapturés. Les prénoms portent la marque à la fois de la christianisation et de la culture classique ; ils s’ancrent dans la lignée biblique et antique et non dans un héritage africain. On suppose que Sibthorpe s’est doté lui-même de cette succession de deuxième et troisième prénoms, aux initiales alphabétiques, ce qui serait, selon Fyfe, la marque de l’humour de leur propriétaire14. Les prénoms de sa fille, Sibthorpias Magna Jubilante, témoignent aussi d’une propension certaine à la dérision ostentatoire, voire à l’étalage d’un ego satisfait15. Quoiqu’il en soit, il est important de noter le choix de Sibthorpe de ne pas africaniser son nom, comme le suggérait Edward Wilmot Blyden (1832-1912), Antillais installé au Liberia en 1851 puis à Freetown en 1869, vif critique de l’anglicisation des Créoles et héraut des valeurs considérées comme africaines, ce qui en fait le précurseur du panafricanisme16. Contrairement à nombre de ses contemporains, comme le médecin James Beale Africanus Horton (1835-1883), Sibthorpe n’adopta pas ou ne rajouta pas de prénom aux consonances locales. À ces prénoms aux origines incertaines s’ajoute le flou d’une titulature ambiguë, qu’il affiche sur certaines de ses publications, et dont on ne sait que penser : à quoi renvoie cette revendication d’origines princières du Niger, à la fois comme auteur – « A.B.C. Sibthorpe alias Aucandu, prince of Cucuruku, Niger, F.P. » – et dans son identité – « J’ai eu la chance d’être instruit parmi des princes africains : qui se ressemble s’assemble17 » – ? La réponse reste ouverte, entre généalogie inventée et facétie. C’est en tout cas sous ce titre qu’il publie en 1906 la troisième édition de son History of Sierra Leone et signe encore un discours en 1907.
12Le mystère plane toujours car le recours à d’autres sources, archives ou presse locale, ne permet pas de combler ces lacunes et de mettre fin à ces incertitudes. Plus connues sont sa formation et ses activités.
Une formation classique, des talents diversifiés et des activités professionnelles polyvalentes
13Sibthorpe grandit dans une société ouverte, en pleine gestation, qui laisse de la place aux initiatives et donne aux individus qui ont des talents la possibilité de s’affirmer. Freetown est alors un carrefour de populations et d’idées entre l’Europe (la Grande-Bretagne principalement), les États-Unis, les Antilles mais aussi la diaspora qui se forme le long de la côte africaine dès la fin des années 183018. Certains Africains libérés décident en effet de quitter Freetown pour retourner dans leur zone d’origine, dans l’actuel Bénin ou Nigeria notamment. Dans ce contexte Sibthorpe reçoit, enfant, une formation classique qui s’insère dans la logique de l’administration de la colonie, confiée à des missionnaires, essentiellement à la Church Missionary Society implantée depuis 1804. Il fréquente ainsi d’abord une école primaire villageoise à Kissy puis l’école normale-séminaire à Freetown. Il étudie les disciplines prônées en son temps : grammaire, géographie, anglais, latin, grec, histoire biblique mais aussi mathématiques, mécanique et sciences. Parallèlement, il effectue un apprentissage pratique, notamment agricole. Son maniement des citations latines et ses nombreuses références à l’Antiquité et à la Bible, comme l’ont montré celles à Lazare ou Thémistocle, témoignent de son imprégnation par les lettres classiques. Il développe également une grande curiosité pour le milieu naturel (botanique, pédologie, minéralogie), en parcourant régulièrement la campagne.
14Après quelques années passées à Freetown, entre 1865 et 1869, où il rédige son premier manuscrit, Sibthorpe passe sa vie entre le village de Hastings et le hameau de Grafton, dans l’arrière-pays de Freetown. Il est toute sa vie à la fois enseignant et catéchiste, tout en exerçant ses autres talents : ainsi il utilise ses connaissances botaniques pour offrir ses compétences comme herboriste et phytothérapeute tandis que ses capacités artistiques le conduisent à décorer par ses peintures l’église de Hastings puis celle de Grafton en 1905. Sibthorpe déploie son énergie pour faire connaître ses travaux et intéresser les autorités missionnaires ou administratives au potentiel économique de la colonie, en vain. Il expose ses peintures à Freetown en 1865 lors d’une exposition industrielle et obtient un prix ; il envoie ensuite des spécimens botaniques ou minéralogiques à diverses expositions en Europe : exposition forestière d’Édimbourg en 1884, exposition de Strasbourg en 1885, exposition coloniale et indienne à Londres en 1886. Finalement il participe aux célébrations du jubilé de 1887 à Freetown (Sierra Leone Centenary-Jubilee Exhibition) en exposant des peintures et des échantillons de minerais et teintures végétales. Toutes ces activités ne suscitent cependant guère de retombées concrètes ni pour lui-même, ni pour la colonie et il se décourage peu à peu19.
15À partir de la fin des années 1880, les activités extérieures de Sibthorpe se réduisent. Il a alors plus de quarante ans et a perdu la fougue de sa jeunesse mais aussi, en partie, son réseau, ses pairs et ses promotionnaires à Freetown. Sa vie devient plus monotone, loin des remous de Freetown, et souvent difficile car le salaire qu’il perçoit de la paroisse n’est pas élevé, ce qui n’empêche pas ses qualités de pasteur d’être louées : « L’office était assuré par le célèbre A.B.C. Sibthorpe, auteur de The History et de The Geography of Sierra Leone qui a fait un sermon sophistiqué basé sur Osée III20. »
Sibthorpe, un incontestable précurseur dans un milieu ouvert
16Ce cadre posé, voyons en quoi la position, parfois fragile, de Sibthorpe put favoriser l’innovation historique à un moment où se jouait le devenir de l’histoire comme discipline.
The History of Sierra Leone (1868) : l’histoire d’un hasard ?
17Les conditions d’élaboration du premier texte de Sibthorpe, écrit alors qu’il est maître d’école à Freetown (école de Christ Church, Pademba Road), sont peu connues. En revanche, on sait que le manuscrit est prêt lorsqu’en 1868 l’inspecteur scolaire, J.S. Laurie, arrive de Londres pour effectuer la première inspection officielle en Sierra Leone, seule colonie en Afrique dont on proclame le maintien dans le giron britannique et qu’on envisage de conduire, par étapes, au self-government. Le rapport d’une commission parlementaire venait en effet de discuter en 1865 du sort des possessions impériales. Prenant connaissance de ce texte, l’inspecteur le recommande au gouverneur Kennedy mais surtout l’emporte à son retour en Angleterre et utilise son réseau familial, en l’occurrence son frère, pour le faire publier par l’éditeur Elliot Stock, aux frais de Sibthorpe toutefois, avec une aide de deux livres du gouvernement21. Le livre est adopté comme manuel scolaire dans toutes les écoles primaires de la colonie et diffusé à plus de mille exemplaires. Sans qu’il puisse en être conscient, il s’agit là de l’apogée pour Sibthorpe.
18On peut analyser cet enchaînement comme un heureux hasard ou un jeu de circonstances favorables qui ne se reproduira guère par la suite : se cumulent alors l’initiative créative d’un jeune historien en herbe, le passage fortuit d’un inspecteur scolaire plein de ressources et la volonté du gouvernement sierra-léonais de renforcer l’enseignement, un des points forts de sa politique caractérisée par un financement étatique, ce qui n’est pas le cas en Grande-Bretagne même. En lui donnant le titre The History of Sierra Leone, Sibthorpe se positionne comme l’auteur de l’histoire définitive de la Sierra Leone (« The History »), par rapport au plus modeste « A History of », adopté plus tard par certains auteurs dont Fyfe22. Il s’agit en tout cas de la première histoire écrite par un autochtone alors que circulent déjà divers textes rédigés par des étrangers de passage. On peut signaler celui de F. Harrison Rankin, The White Man’s Grave : A Visit to Sierra Leone in 1834, publié en 1836, auquel Sibthorpe puise allègrement sans le citer toutefois23. The History of Sierra Leone, bref ouvrage fortement imprégné par les méthodes missionnaires d’enseignement, se présentait sous la forme d’un catéchisme, avec un système de questions et réponses. Cette première version, désormais introuvable, mais dont témoignent quelques extraits publiés dans la revue Missions catholiques à Lyon en 1872, servit de base aux deux rééditions successives de 1881 et 1906, largement augmentées et réactualisées pour les années ultérieures à 1868.
19Lorsqu’il rédige son texte, Sibthorpe n’est pas un total inconnu. Il venait d’être distingué à l’exposition de 1865 pour ses peintures mais sa carrière n’était pas lancée pour autant. D’une certaine manière donc Sibthorpe démarre au sommet, au centre, par la diffusion d’un opuscule dont le titre demeure par la suite et qui continue à faire sa réputation. Dès cette première version de 1868, Sibthorpe se situe dans l’optique de l’écriture d’une histoire nationale comme le montre sa préface :
Considérant le plaisir et l’intérêt que manifeste en général le public à lire l’histoire de nations étrangères, et considérant que tout le monde dans la colonie n’a pas le privilège de pouvoir entendre ou lire l’histoire de la nation de ses père ou mère ; et comme nous avons été condamnés par le hasard et la nature à devenir sur cette terre un seul peuple ou nation, d’origines différentes, j’ai essayé de proposer, sous une forme condensée, l’histoire de l’endroit où nous habitons maintenant. Et pour que cela soit facile à comprendre, j’ai écrit ce petit ouvrage d’une façon qui, je l’espère, intéressera le public.24
20Sibthorpe se donne pour mission d’écrire l’histoire de populations aux passés hétérogènes, fusionnées en un seul ensemble par un accident de l’histoire, de recueillir et léguer l’histoire de cette communauté, la sienne, afin qu’elle soit transmise aux générations futures et connue de tous, au même titre que les histoires des nations étrangères. Pour Sibthorpe, conscience historique et conscience nationale sont liées, dans un contexte où le devenir politique de la Sierra Léone est encore ouvert et où la perspective du self-government attire de nombreux Créoles. On pourrait dire que Sibthorpe se sent investi d’une mission et le terme ne serait pas trop fort, d’autant qu’il inclut une dimension religieuse, conforme à la formation chrétienne de l’auteur. Celui-ci est persuadé que la connaissance du passé joue un rôle de ciment fondamental, autant dans les sociétés africaines que dans l’éducation classique dont il a bénéficié. Cette mission, et son côté quasi mystique, est encore plus clairement exprimée dans la métaphore de Lazare25 : Sibthrope proclame haut et fort que la mission de l’historien est de garder vivants les hommes du passé ou, selon sa métaphore biblique, de les ressusciter d’entre les morts. Son style lyrique nous rappelle Michelet écrivant La Sorcière à la même époque (1862), sans, bien sûr, que Sibthorpe n’ait eu connaissance de ce texte, mais comme témoin d’une sensibilité commune, fille d’une éducation et d’une période. Dans une formule ramassée, Sibthorpe reprend la même idée, quelques années plus tard : « C’est l’historien qui inscrit les royaumes et les empires dans la durée26. »
21Dans l’optique assumée d’une réflexion sur la construction d’une nation unique, il fait débuter son History of Sierra Leone en 1787, date de l’arrivée des Black Poor de Grande-Bretagne (cf. supra), date qu’il commente laconiquement ainsi : « La colonie est passée d’autres mains à celle des Anglais27 », ne consacrant qu’une page à la période antérieure. Même s’il consacre par la suite quelques passages aux pratiques politiques et sociales des Temnés, il concentre son écrit sur la genèse de cette nouvelle communauté formée à partir d’éléments disparates.
Un travail précurseur
22Travaillant de manière isolée, Sibthorpe affirme sa personnalité et son originalité. Il a d’emblée conscience de l’histoire comme processus, comme un récit qu’il faut constamment améliorer. Au fil des années, il retravaille le texte, l’amplifie et le modifie par des recherches personnelles et en faisant appel aux lecteurs pour des critiques ou des suggestions. Par deux fois il remet son ouvrage sur le métier et procède à des rééditions. Sibthorpe écrit la première version sous la forme d’un manuel à une période où l’histoire ne s’est pas encore forgée comme discipline et ne s’est donc pas dotée de codes précis. Il invente ainsi sa façon d’écrire l’histoire, tout en s’inspirant de modèles existants, notamment les catéchismes ou les chroniques suivant les règnes ou les mandats administratifs. L’aspect novateur de son travail a déjà été souligné ; ses points forts en sont indubitablement la multiplicité des sources, la volonté d’une histoire totale, et une perspective inclusive28.
23Outre sa propre expérience, souvent prise en exemple, Sibthorpe a manifestement cherché à fonder son récit sur une multitude de sources. Il a eu accès à des archives (il cite par exemple des listes précises de prix ou de bateaux) mais aussi à des livres, récits de voyage ou études historiques, comme celui de Rankin cité plus haut. Fyfe a traqué les emprunts faits par Sibthorpe qui lit abondamment et utilise parfois de manière chronologiquement inexacte, voire anachronique, des informations trouvées dans les ouvrages qu’il exploite. Or Sibthorpe rend rarement hommage aux auteurs ainsi pillés car il ne cite pas ses sources : mais peut-on vraiment lui en faire grief à une époque où la pratique des notes de référencs en bas de page, marque forte des historiens, n’est pas encore ancrée ? Évoluant dans un milieu où l’accès à l’écrit reste un privilège et où d’autres formes de savoirs circulent, Sibthorpe diversifie ses sources d’information. Il recueille des témoignages oraux et cite des proverbes, des slogans ou des chansons. Il ne s’agit donc pas tant de traditions orales stricto sensu, car elles supposent des formes de transmission qui sont rompues lors de la mise en esclavage initiale des habitants arrachés à leur milieu d’origine, que d’un recours à l’oralité, à une époque où ce genre n’est pas reconnu dans l’écriture historique, voire méprisé. Sibthorpe choisit d’interroger les descendants des premiers Sierra-Léonais ou d’anciens Africains libérés en faisant attention, note-t-il, qu’ils ne soient ni anglicisés, ni musulmans de longue date, c’est-à-dire non contaminés par d’autres analyses et valeurs que les siennes. Il fait aussi des enquêtes auprès de Temnés ou d’Européens, aussi bien des personnalités locales et britanniques que des gens plus simples, par exemple des cheminots. Dans l’édition de 1906, il signale l’apport spécifique de tel ou tel individu et exprime directement ses remerciements29. Cette innovation méthodologique est centrale dans son travail et lui confère une valeur inestimable, celle de donner la parole aux acteurs locaux. De même, lors de son évocation de la révolte fiscale du protectorat de 1898 (Hut Tax War), le recours à des entretiens avec des Temnés, une des populations concernées, lui permet d’apporter un éclairage précieux et empathique : « Sa Majesté est morte ; l’Angleterre est donc en ruines. Comment comprendre autrement le fait qu’un Gouvernement, qui verse une rente à nos rois, taxerait maintenant ces mêmes rois et leurs sujets30 ? »
24La région où démarre l’insurrection dirigée par Bai Burey perçoit en effet une rente depuis 1871. Payer un impôt semble donc paradoxal. Les Créoles ont été accusés de soutenir la révolte.
25Par ailleurs, la réflexion de Sibthorpe s’insère dans ce qu’on pourrait appeler avant la lettre une histoire totale, englobant tous les aspects de l’histoire sociale et culturelle à une époque où l’histoire politique et événementielle est largement valorisée. Alors que Sibthorpe est surtout connu comme historien, ses centres d’intérêt sont vastes, dans un contexte où l’on ne parle pas, certes, de pluridisciplinarité, mais où les frontières disciplinaires ne sont pas encore tracées. Il rédige d’ailleurs parallèlement un manuel de géographie. Ce caractère polyvalent, mêlant curiosité scientifique et pratique professionnelle, traverse son History of Sierra Leone où il se présente fréquemment comme un autodidacte polyvalent : « Peintre, sculpteur, graveur et modeleur » (p. 81) ; « M. Sibhorpe est devenu phrénologiste en étudiant cette discipline dans un livre emprunté » (p. 85) ; « M. Sibthorpe, un photographe autodidacte » (p. 85) ; « M. Sibthorpe pratiquait la gravure sur bois sans maître » (p. 86) ; « Il a exercé aussi la médecine » (p. 86).
26Cette dimension du travail de Sibthorpe, que l’on peut concevoir parfois sous l’angle de l’amateurisme, du touche-à-tout, doublée de son envie constante de se mettre en avant, lui a valu des critiques, comme l’illustrent les propos de Robert July dans son introduction de la quatrième édition (1970) :
Son travail comporte des défauts graves. Autodidacte, il méconnaissait apparemment des concepts tels que la continuité historique, la relation de cause à effet, ou l’organisation des sources pour illustrer des thèmes spécifiques dans la durée.31
27Cette appréciation apparaît toutefois comme anachronique et le côté novateur de Sibthorpe l’emporte.
28Finalement, Sibthorpe s’efforce de procéder de manière inclusive en faisant rentrer dans la nation tous les segments de la société. Ainsi, sans parler anachroniquement de perspective de genre, il différencie les devenirs masculin et féminin dans une société pionnière où l’activité économique des femmes comme commerçantes ou artisanes ainsi que leur rôle social sont reconnus, même si les valeurs victoriennes s’imposent peu à peu dans les catégories dominantes qui s’approprient le modèle de la femme éduquée, certes, mais bonne épouse et bonne mère avant tout. Par ailleurs, son travail ne se limite pas à ceux que la mémoire retient le plus, les élites, productrices de sources sur elles-mêmes. De même, il s’efforce de présenter la diversité des populations, tout en marquant une préférence implicite pour les Aku ou Yoruba, originaires du Nigeria, groupe auquel il appartient, et en portant un jugement sévère à l’encontre des Nova Scotians (cf. supra). Par ailleurs, alors qu’il se donne pour objectif d’écrire l’histoire d’une nation en construction, il n’exclut pas totalement les autres groupes, notamment les Temnés dont il évoque l’organisation politique32.
29Sibthorpe ne fut pas le seul Africain de son temps à s’essayer à l’histoire de son pays. Ainsi, Samuel Johnson (1846-1901) rédigea une History of the Yorubas en 1897, publiée en 1921 seulement sous une forme très remaniée33, tandis que le pasteur Carl Christian Reindorf (1834-1917), bénéficiant du réseau missionnaire, fut l’auteur d’une History of the Gold Coast and Asante (écrite en ga, traduite en anglais et publiée en 1895), recourant également à l’oralité34. Cependant, Sibthorpe est certainement le moins relié à un réseau international et le plus original, ce qui explique en partie sa marginalisation progressive. Tout son parcours se déroule sans relation directe avec l’Europe, ce qui constitue une des clés de son glissement progressif du centre vers la marge.
Du centre à la marge ?
30Sur la durée de la longue vie de Sibthorpe, soit plus de soixante-dix ans, on constate un double mouvement de marginalisation, disciplinaire et sociale. Après 1868, sorte d’apogée précoce, ses écrits ne rencontrent plus le même écho tandis que Sibthorpe lui-même ne s’inscrit pas vraiment dans la bonne société, la high society, de Freetown. Être situé dans des réseaux efficaces était indispensable en effet pour avoir accès aux matériaux et informations et disposer d’une reconnaissance et d’une certaine visibilité. Ce processus fonctionne selon un mécanisme de cercle vicieux, qui expliquerait le glissement progressif de Sibthorpe d’une sphère à l’autre sans que l’on puisse vraiment déterminer dans quelle mesure il s’est marginalisé ou a été marginalisé.
Marginalisation ou marginalité sociale
31À la fin de sa vie, Sibthorpe est généralement qualifié de « Sibthorpe de Hastings », village où il vit. Cette appellation marque de manière nette sa non-appartenance à l’élite de Freetown, situé pourtant à une vingtaine de kilomètres seulement. Dès 1869, il quitte la capitale pour ne plus revenir y habiter. Plus le temps passe, moins Sibthorpe est intégré aux réseaux de l’élite créole. Ce qui n’est pas fondamental vers 1850 le devient de plus en plus à la fin du siècle, alors que le contexte politique change et que les Créoles affirment leur appartenance à la fois au monde local et aux réseaux internationaux. La raison fondamentale de ce constat est que Sibthorpe n’est pas passé par la voie royale, c’est-à-dire des études à Fourah Bay College sur place et, mieux encore, à l’étranger. À sa grande déception et contrairement à certains de ses contemporains, il échoue à obtenir une bourse pour poursuivre ses études en Europe, que ce soit en Grande-Bretagne, comme son promotionnaire James Horton (1835-1883), auteur de West African Countries and People (1868), ou en Italie où il espérait pouvoir suivre des cours de peinture, autre facette de son activité. À part un bref voyage en Gambie en 1880, son expérience se limite à la colonie de Sierra Leone, avec des incursions dans l’intérieur. Sa formation scolaire limitée ne lui permet pas non plus d’atteindre un poste élevé dans la hiérarchie missionnaire de l’Église anglicane, même s’il est manifestement apprécié comme pasteur. Vivant dans un village trop éloigné de Freetown, il ne participe pas aux événements sociaux qui lient les membres de l’élite entre eux et aux Européens jusqu’aux années 1890. Cela ne veut pas dire qu’il soit un parfait inconnu et des nouvelles le concernant sont annoncées dans la presse comme le décès accidentel en 1890 de sa petite-fille, mordue par un serpent, ou, deux ans plus tard, la mort de son épouse le laissant avec quatre enfants35. Or les événements mondains ou festifs sont des lieux où se créent les réseaux et où circulent les informations. Sa non-appartenance aux cercles de l’élite est visible, a contrario, par son absence dans le carnet mondain publié dans la presse, notamment lors des mariages où la parution sur la liste des convives est importante pour situer un individu socialement ; ainsi, il n’est pas cité lors du mariage de son ancien camarade de classe, Horton, en juin 1875. Sibthorpe n’a donc pas forcément les bons codes pour faire connaître ses découvertes et ses écrits, activités parallèles qu’il poursuit infatigablement dans son coin. Il n’a pas non plus accès au même type d’information. Ce double aspect expliquerait pourquoi, en 1894, l’ouvrage de J.C.E. Parkes, A Geography of Sierra Leone and its Hinterland, est choisi pour les écoles : écrit également comme un catéchisme, il est mieux documenté que celui de Sibthorpe écrit au même moment, The Geography of the Surrounding Territories of Sierra Leone. Parkes, créole comme lui, est alors superintendant du département des Aborigènes, donc mieux placé pour disposer de renseignements précis étant donné sa proximité avec les autorités administratives.
32Finalement, la personnalité de Sibthorpe semble contribuer à sa marginalisation loin de la haute société car il affirme son originalité. Sibthorpe pouvait agacer par son côté atypique, excentrique, qui se reflète dans son style d’écriture et détonne dans une société créole conformiste. Bien inséré dans les circuits officiels jusqu’à la fin des années 1880 – ainsi le consul honoraire allemand, Ernst Vohsen, le recommande pour l’exposition de Strasbourg en 1885 –, il pâtit du fléchissement de son ancrage local. Son éloignement physique et symbolique des cercles de décision ne l’empêche pas d’être prolixe mais limite sa capacité à diffuser ses écrits. Alors qu’au fil des années, il poursuit inlassablement ses recherches, malgré des conditions de vie et de travail difficiles, il peine à en faire connaître les résultats. Au-delà des difficultés concrètes liées à sa carrière et au contexte général de la colonie, certaines orientations de son travail peuvent également expliquer cette évolution.
Marginalisation de Sibthorpe comme historien de la Sierra Leone
33Depuis la parution en 1868 de son opuscule, Sibthorpe travaille à une nouvelle version. Celle-ci paraît finalement en 1881, chez le même éditeur à Londres mais le succès est limité, alors que le budget consacré par le gouvernement à l’éducation est en baisse. Sibthorpe va alors avoir recours à un autre moyen de diffusion, novateur pour lui mais relativement fréquent au xixe siècle, la parution dans la presse en feuilleton.
34En 1885, à la demande de son ami S.H.A. Case, fondateur du premier syndicat de la colonie et d’un magazine36, Sibthorpe accepte que les nouvelles révisions en cours de son livre soient publiées dans les colonnes de The Artisan, journal paraissant de manière irrégulière entre 1884 et 1888. Le Sierra Leone Weekly News (SLWN), fondé en 1884, s’en fait l’écho et signale que The History of Sierra Leone est un ouvrage digne d’intérêt : « Il est utile de lire et d’étudier The History of Sierra Leone de Sibthorpe, publié par The Artisan37. » Ceci assure à Sibthorpe une certaine visibilité sur la scène sierra-léonaise mais confirme aussi sa marginalisation par rapport au cercle des auteurs qui comptent au-delà de la péninsule. Les éléments parus dans The Artisan en 1885-1886 ne sont pas publiés par la suite en tant que livre. Il en va de même pour une nouvelle série qui innove thématiquement : mettant à profit ses contacts avec d’anciens esclaves libérés, Sibthorpe décide d’élargir son aire d’intérêt en proposant une histoire des régions dont sont originaires les recapturés venus peupler involontairement la Sierra Leone. Ces écrits, portant sur la côte Atlantique, du Sénégal au Congo en passant par la Gambie, le Liberia, le Dahomey, le Yorubaland, paraissent en feuilleton dans le SLWN en 1893.
35Dans ce travail, Sibthorpe exploite les témoignages collectés, tout en utilisant des ouvrages ou documents qu’il cite parfois, ce qui lui permet de dresser des listes de traités ou de proposer des chronologies complexes. Ainsi l’histoire du Dahomey est présentée comme une succession de dates et d’événements à partir de 1741, tandis que celle du Sénégal énonce précisément les accords signés avec des puissances européennes ou que celle du Congo évoque la succession des lignages et le processus de conversion au xvie siècle. Ce type d’information ne peut découler d’entretiens. Sibthorpe n’arrive toutefois pas à susciter un engouement suffisant pour ce projet pourtant ambitieux. Il conserve dans ce travail son intérêt pour une histoire sociale. Ainsi, quand il aborde l’histoire des Aku, il décrit les activités économiques diversifiées des hommes et des femmes, les régimes alimentaires ou les vêtements. Il fait preuve d’esprit critique et met en garde contre les préjugés courants : « Les Africains ne sont pas nus, comme beaucoup de gens le supposent généralement38. » Cette analyse détaillée suscite l’admiration d’un journal de la côte, le Lagos Intelligence (Nigeria) qui en publie des extraits, ce qui confirme une circulation hors de Sierra Leone.
36Dans d’autres cas, Sibthorpe est manifestement influencé par certains courants qui irriguent l’ethnologie de la fin du siècle, comme lorsqu’il hiérarchise les populations selon une échelle des civilisations. Il situe ainsi les Jollars (ou Feloops) au degré zéro de celles-ci en tant que sauvages, asociaux, païens (sic). Il s’agit en l’occurrence de peuples de la Casamance contemporaine (Sénégal). De même, il met une partie de son analyse de divers peuples africains sous le signe de la recherche des dix tribus perdues d’Israël. C’est ainsi qu’il range les Foulah dans « la 3e classe ou tribu » et évoque les Peuls errants (wandering Foulahs), reflet de théories raciales du temps. L’ensemble de ces articles est publié par la suite en auto-édition locale sous le titre révélateur de Bible Review of Reviews. The Discovery of the Lost Ten Tribes, Yorubas or Akus (Cline Town, 1909) mettant en avant la notion biblique des dix tribus perdues.
37Désormais la presse est son principal lieu de publication et c’est dans le SLWN qu’il fait paraître en 1894-1895 une nouvelle version de son History of Sierra Leone, s’arrêtant toutefois à 1793. Il signe de ses initiales uniquement – A.B.C.S. –, preuve d’une certaine foi en sa notoriété. Dans un texte, il s’explique sur le temps écoulé depuis 1868, malgré les attentes supposées du public, pour mettre à jour l’ouvrage qui avait, dit-il, excité la curiosité du public dès sa parution. Il donne là une belle leçon de méthodologie historique, évoquant la nécessité de reprendre toute l’analyse suite à la découverte d’une nouvelle source :
Que celui qui reconstitue un récit à partir de documents éparpillés à tout vent, nombreux et contradictoires doit souvent, au cours de recherches difficiles et en jonglant avec les sources, passer plus de mois qu’il n’avait envisagé de passer de semaines. Que la découverte d’un seul document, dont l’existence était méconnue auparavant, peut non seulement éclairer d’une lumière nouvelle un sujet mais lui donner un sens totalement neuf et obliger l’auteur à modifier, réorganiser, voire supprimer maints passages auxquels il pensait avoir donné la dernière touche. C’est pourquoi, le retard qui a souvent été interprété comme un manque de sérieux littéraire, et qui est l’objet d’une censure si fréquente et si insensible, devrait plutôt être accueilli, dans bien des cas, avec admiration, car c’est un devoir que l’auteur, consciencieusement et à ses dépens, accomplit pour la société et la vérité.39
38Fyfe a analysé de manière détaillée ces contributions, en relevant les sources mobilisées, ou au contraire les divergences avec les écrits de l’époque, et en pointant ce qui peut être, a posteriori, considéré comme des erreurs. Il met aussi l’accent sur des aberrations, produits d’une imagination trop fertile et de contre-sens, et sur la non-application du principe affirmé de vérification des sources. Ces dérives tardives peuvent irriter ou susciter des critiques dénonçant un mode d’écriture d’un lyrisme accentué, un agencement peu logique ou encore une autopromotion omniprésente (parfois, les découvertes botaniques ou minérales de l’auteur y sont mises en avant et tendent à occuper plus de place que des événements politiques majeurs40).
39Ce double mouvement d’auto-exclusion probable et de mise à l’écart ne peut s’analyser sans renvoyer aux profonds changements de la fin du xixe siècle. Alliés précieux des Britanniques, les Sierra-Léonais sont progressivement écartés des instances de pouvoir dans le contexte de l’impérialisme conquérant41. Ils affirment alors d’autant plus leurs valeurs propres, intégrant l’héritage britannique, et ferment la porte aux excentricités. Ils sont l’objet d’attaques virulentes, connues sous le nom de Krio baiting, par des individus qui ne voient en eux que de mauvais imitateurs des Britanniques, les méprisés Black Englishmen, et leur dénient le droit d’affirmer leurs choix culturels et politiques, marque de leur histoire mêlée. Leur marginalisation démographique, pour des raisons aisément explicables étant donné que les apports se tarissent après 1870, fragilise encore plus les Créoles qui s’interrogent sur leurs responsabilités dans ce déclin. La part des Créoles est passée de 63 % de la population de Freetown en 1818 (2 804 sur 4 430 habitants) à 90,5 % en 1868, date de leur apogée quantitatif (19 225 sur 21 974) puis à 49 % en 1911 (16 716 sur 34 09042). Ces derniers chiffres marquent leur baisse autant relative que brute.
Décalé ou avant-garde ?
40En l’absence d’archives privées, il est difficile de juger de la déception, voire de la frustration, ressenties par un Sibthorpe vieillissant qui ne trouve effectivement pas de soutien pour diffuser son œuvre puisqu’il ne dispose ni des réseaux sociaux, ni des ressources financières personnelles nécessaires. Sibthorpe ne rencontre manifestement pas le succès escompté et sa notoriété baisse. La presse est un bon baromètre de sa réputation et de sa visibilité locale, comme le montre un sondage dans les principaux titres, notamment le SLWN, hebdomadaire qui prend son essor au milieu des années 1880 et s’impose rapidement43. Si l’historien est connu et diffusé dans la décennie 1880, au point que « Saturday militia », expression qu’il a forgée pour désigner les pauvres44, s’est répandue dans la société de Freetown45, sa notoriété décline après 1895. L’on ne trouve pratiquement plus d’extraits de ses travaux pendant les dix dernières années de sa vie. En témoigne aussi le faible écho que rencontre son appel à souscription lancé en 1897 ; il promettait la réédition de son livre si le chiffre de cinq cents souscriptions était atteint. Ce ne fut pas le cas. Le livre fut quand même réédité, en 1906, à Londres, ce qui confirme le maintien d’un lien et d’un intérêt dans les cercles coloniaux. Sibthorpe se plaint d’ailleurs d’être lu davantage par des Européens que par ses concitoyens. L’ouvrage passe de 86 pages en 1881 à 228. La préface, très optimiste, démontre plutôt un irréalisme certain :
La demande croissante venant de toute part pour mon History m’a encouragé à préparer une nouvelle édition augmentée. Tout en conservant toutes les informations utiles et faisant le succès des éditions précédentes, j’ai décidé de donner à mes lecteurs une série intéressante de nouvelles descriptions. Celles-ci ajouteront beaucoup à la renommée de l’ouvrage, et mon espoir est que des centaines de milliers de lecteurs seront poussés à l’acheter.46
41L’espoir de centaines de milliers de lecteurs est totalement décalé par rapport à l’impact réel de l’ouvrage, mais aussi, bien concrètement, à l’état du marché du livre à Freetown et au-delà. Cet optimisme résulte sûrement de l’isolement de l’auteur et d’une perte des repères, à moins qu’il ne s’agisse d’un pur envol littéraire. Dans ce même ouvrage, Sibthorpe promet d’autres publications si le public les réclame, ce qui ne sera pas le cas. Il laisse à sa mort divers manuscrits non publiés. Ses derniers discours disponibles, relayés ponctuellement par la presse, témoignent pourtant de l’affirmation de sa foi, autant chrétienne que philosophique, dans les réalisations de son peuple, dont il a retracé l’histoire et montré le dynamisme propre. La commémoration de l’abolition de la traite en 1907 permet à Sibthorpe de revenir ponctuellement sur le devant de la scène. Dans ce cadre il prononce, dans son village de Hastings – ce qui montre son positionnement face à la bourgeoisie de Freetown –, un discours célébrant le centenaire de l’abolition de la traite, événement qui est à l’origine de l’essor de la colonie. Il rappelle ainsi aux nouvelles générations le lien intrinsèque existant entre la colonie et l’esclavage. Ce discours, intitulé « Sibthorpe’s oration », paraît dans le SLWN avant d’être publié en fascicule à Londres par son fidèle éditeur et vendu sur place par le libraire S.T. Sawyerr au prix de deux shillings47. Sa couverture rouge, choix de l’éditeur, fait écho à la fois aux souffrances endurées par les esclaves et à Red Rubber, ouvrage du journaliste E.D. Morel sur les exactions au Congo belge paru l’année précédente48. Le dr William Renner fait paraître un article pour louer les qualités du fascicule de Sibthorpe : « Ce livre devrait être entre les mains de tout Noir anglophone d’Afrique, d’Amérique et des Antilles49. » Cette publicité poussa une poignée de membres de la diaspora de Lagos, indignés à la pensée que cet historien pionnier soit négligé par ses concitoyens, à lever une souscription sous le patronage de l’homme d’affaires Peter J.C. Thomas50. Une cérémonie eut lieu au Wilberforce Memorial Hall, bâtiment municipal de Freetown, pour lui remettre la somme de vingt-cinq livres collectée comme « consolation dans son vieil âge51 ». La liste des donateurs est publiée dans la presse ainsi que le discours prononcé par le révérend J.T. Roberts au titre parlant, « Le rôle de l’histoire dans l’évolution d’un peuple ». Dans ses remerciements, Sibthorpe, touché par ce geste, met en avant, non son intérêt personnel, mais la nécessité pour l’Afrique de se prendre en main :
L’argent m’est absolument nécessaire actuellement : pas, toutefois, pour être dépensé pour ma chère personne, mais comme moyen pour activer le levier de l’imprimerie d’un mouvement perpétuel afin de faire bouger le monde grâce à des idées venant d’esprits purement africains. Que leur acte courageux stimule tous les Créoles ; que chacun fasse de son mieux selon son âge, sa couleur, sa génération […]. Et si l’Afrique doit s’élever, que cela soit grâce à ses propres fils. Recevoir aides et soutiens de l’étranger est bien, mais s’aider soi-même est mieux. Et Dieu pourvoira assurément au succès de l’entreprise.52
42Ces idées sont à la fois innovatrices et conformes au courant développé par des penseurs contemporains, notamment par l’éminent politiste Edward Wilmot Blyden depuis les années 1880. Si Sibthorpe ne semble pas avoir développé de relation avec Blyden, qu’il ne mentionne pas dans ses écrits alors qu’il aurait pourtant pu aisément le croiser à Freetown53, il en partage manifestement certaines analyses dans un contexte où la colonisation, et non le self government attendu, s’est étendue sur la quasi-totalité du continent. Comment doit-on comprendre cependant l’expression « esprits purement africains » quand fait rage en Sierra Leone le débat sur l’identité des Créoles, sur leur « africanité », et que les Britanniques opposent de plus en plus les populations de l’intérieur, « vrais Africains », aux Créoles54 ? Sibthorpe se positionne manifestement comme défenseur d’une unité commune de tous les habitants de la Sierra Leone, colonie et protectorat réunis, en tant qu’enfants du continent. Il s’était exprimé de la même manière en qualifiant Samuel Lewis de pure Nègre (« pure negro ») lorsque cette personnalité de premier plan, avocat et premier maire de Freetown, avait été promu chevalier : « Et ceci prouve que sous les règne des Britanniques le hasard de la couleur n’empêche pas une promotion méritée55. »
43L’initiative privée de 1908 ne fut suivie d’aucun effet et Sibthorpe ne reçut aucune reconnaissance officielle ou aide financière à la fin de sa vie bien qu’il soit salué comme « le meilleur historien de la Colonie » par le gouverneur Leslie Probyn en 190956 ou « l’historien reconnu de la Sierra Leone », lors d’un banquet pour le 37e anniversaire de la Wesleyan High School-Old Boy’s Association57. En 1913 encore, un billet du SLWN s’étonne que les livres de géographie et d’histoire de Sibthorpe ne soient pas utilisés dans les écoles alors que circulent des manuels scolaires où les gens sont effectivement noirs mais représentés de manière caricaturale58. Comment forger l’estime de soi dans ces conditions ?
44Sibthorpe meurt à plus de soixante-dix ans, largement méconnu et dans la pauvreté, le 20 juin 1916. Seul le Sierra Leone Guardian and Foreign Mail lui consacre un article, grâce à un correspondant à Kissy qui le connaissait bien : « Une des nouvelles les plus importantes de la semaine dernière fut la mort d’un grand homme, M.A.B.C. Sibthorpe59. »
45L’éloge qu’il fait de Sibthorpe confirme son aura locale mais aussi son éloignement des cercles mondains de Freetown :
Grand dans tous les sens du mot. Grand comme enseignant, comme savant, et grand par sa rectitude morale. Il avait une grande culture, et certains secrets de la nature ne lui étaient pas inconnus. Il avait acquis son savoir essentiellement par une étude sérieuse et des observations approfondies et attentives. Il détonnait parmi nous du fait de son aspect solitaire. Comme Mathusalem, à part sa femme et ses enfants, il n’avait pas d’autre parent. Il a écrit plusieurs ouvrages ; et, selon des conversations que j’ai eues avec lui, il y a encore des manuscrits en la possession de son fils. S’il est vrai que la Vertu peut exceller en haillons et chiffons tout comme elle le fait dans l’habit violet [des évêques], alors cette affirmation s’applique tout à fait ici. Voici un homme qui se présentait toujours simplement, bien loin des riches apparats – mais dont émanaient néanmoins les plus belles qualités. Qu’il repose en paix/60
46De manière étonnante mais symptomatique, le SLWN ne mentionne le décès de celui qui fut le premier historien de la colonie que par une brève, quoique laudative, nécrologie. Sibthorpe y est qualifié de « missionnaire chevronné et écrivain du village de Grafton ». On cite ses History, Geography et Oration ainsi que ses activités multiples – « Il était maître d’école, agent paroissial, artiste, herboriste et auteur » – pour finalement déplorer sa perte : « La mort de cet homme distingué est une dure perte pour la Sierra Leone et pour l’Afrique occidentale61. » Sibthorpe n’est plus au cœur de la vie du chef-lieu de la Sierra Leone62.
47En quelques décennies, il est passé du centre à la marge, mais l’héritage qu’il laisse est fondamental. Celui qui l’a réhabilité, Fyfe, le résume ainsi : « Il est mort en 1916, personnalité excentrique non reconnue, talentueuse, dont The History et The Geography avaient montré en 1868 que les Créoles étaient un peuple à part, sophistiqué, fier de ses réalisations et de son pays63. »
48De la lointaine Sierra Leone, Sithorpe a réussi le tour de force de faire paraître trois éditions successives de son History of Sierra Leone entre 1868 et 1906, dans des contextes politiques et historiographiques fort différents. Lointaine Sierra Leone si on se situe par rapport à la métropole, où les livres sont fidèlement édités, et aux centres européens, où la discipline historique se dote de règles, valorisant l’écrit et le système de la preuve. Mais proche car la Sierra Leone cumule le statut de lieu de production narrative et d’espace de la communauté décrite, à une époque où cela était rare : les subalternes, qui n’existaient pas conceptuellement, s’exprimaient peu64. Écrivant au plus près mais publiant au loin, Sibthorpe participe à la fois d’un centre et d’une marge, d’où il rayonne et offre des modalités innovantes d’investigation et d’écriture. Par choix mais aussi par contrainte, Sibthorpe transforme sa position en lieu de création historique, en déployant des stratégies par la mise en œuvre de solutions imaginatives, voire alternatives, pour rester présent sur la scène médiatique de son temps. Bien sûr, son aire de diffusion diminue, tout comme sa visibilité, au fil des années, et on peut détecter des dérapages fantaisistes dans son œuvre finissante mais l’héritage est bien là, autant méthodologique qu’épistémologique. La défense des Créoles est au cœur de son approche, du manuscrit de 1868 au discours de 1907, quelques années avant sa mort. Là réside la contribution essentielle de Sibthorpe : affirmer le rôle des Créoles et, dans ses derniers écrits, des Africains comme entité, en tant qu’acteurs de leur propre histoire. Affirmer qu’ils ont, que l’Afrique a, une histoire, et ceci à contre-courant du préjugé qui proclame, comme cette revue missionnaire en 1873, que « L’Afrique du Nègre n’a pas de passé65 ». En témoigner par l’écriture, constamment renouvelée et puisant à des sources tant orales qu’écrites, internes qu’externes, voilà le legs de Sibthorpe.
49Peu importe que sa mémoire soit ensuite à éclipse, suivant en partie le destin de sa propre communauté, Sibthorpe fait réellement figure de précurseur. Jamais totalement absent de la mémoire nationale, il ne figure toutefois pas parmi les cinquante « héros sierra-léonais », dont six pour le xixe siècle, de la liste établie en 1988 par un comité à la demande du gouvernement. Il n’est évoqué que comme « le grand A.B.C. Sibthorpe », instituteur à Hastings d’un des héros de la liste. Alors que la première moitié du xxe siècle (jusqu’à l’indépendance en 1960) est marquée par la prééminence des auteurs étrangers, britanniques surtout, dans l’écriture de l’histoire de la Sierra Leone, Sibthorpe a ouvert le chemin pour la nouvelle génération, celle d’Arthur T. Porter (né en 1924), puis celle des années 1940 (Arthur Abraham, Cecil Magbaily Fyle suivi d’Akintola J.G. Wyse) disloquée ensuite par la guerre civile66.
50Un de ses successeurs, Magbaily Fyle, résume ainsi les mérites de Sibthorpe et la dette des historiens sierra-léonais envers lui :
Les écrits de Sibthorpe sont des ouvrages pionniers, rédigés alors que les seuls écrits sur l’Afrique étaient des essais condescendants et racistes produits par des Européens.
Sibthorpe a tenté d’écrire une histoire équilibrée d’un peuple africain, tirée largement de sources imprimées mais aussi d’observations contemporaines et de traditions orales. Il enrichit son histoire de détails sur la vie économique et sociale, si rares même dans les études contemporaines. […]
Sibthorpe a bénéficié de peu de reconnaissance pour ses écrits de son vivant, dans une société où les autorités coloniales ne s’intéressaient pas à l’histoire d’un peuple africain, et ne croyaient pas qu’elle pouvait exister, et où ses propres pairs, l’élite éduquée à l’occidentale, raisonnaient pratiquement comme les Européens qui les avaient formés. Il est mort en 1916, mais son History of Sierra Leone vit toujours.67
51Alors que la méthodologie historique est reconsidérée par la discipline, que la notion de preuve est élargie et que l’on discute des rapports entre histoire et mémoire, redécouvrir les écrits de Sithorpe, à la fois témoin de son temps et historien, s’impose.
Principales publications de A.B.C. Sibthorpe
52The History of Sierra Leone, London, Elliot Stock, 1868 ; 2e éd. : London, Elliot Stock, 1881 ; 3e éd. : London, Elliot Stock, 1906 ; 4e éd. : London, Frank Cass, 1970, fac-similé de la 3e édition.
53The Geography of Sierra Leone, 1868 ; 2e éd. : London, 1881 ; 3e éd. : London, 1906.
54The Geography of the Surrounding Territories of Sierra Leone, London, 1892.
55Sibthorpe’s Oration on the Centenary of the Abolition of the Slave Trade by the English Government, London, Elliot Stock, 1907.
56Bible Review of Reviews, The Discovery of the Lost Ten Tribes, Yorubas or Akus, Cline Town, 1909 (publié en feuilleton auparavant dans le Sierra Leone Weekly News).
Encadré 1. Histoire de la Sierra Leone : principales étapes (1787-1902)
1787 Fondation d’un settlement géré par l’Association de la baie de Saint-George (1790) qui devient en 1791 la Compagnie à charte de Sierra Leone
1804 Arrivée des premiers missionnaires de la Church Missionary Society)
1807 La traite des esclaves interdite par le Parlement britannique
1808 La Sierra Leone devient une colonie de la Couronne
1811 Arrivée du premier missionnaire wesleyen envoyé d’Europe
1858 sq. Début des conflits militaires avec l’hinterland
1861 Instauration d’une église anglicane locale (future Sierra Leone Church)
1863 Création des conseils exécutif et législatif
1887 Jubilé de la colonie
1895 Création de la municipalité de Freetown
1896 Établissement du protectorat (mainmise sur l’intérieur)
1898 Hut Tax War (soulèvement du protectorat)
1901 Fondation de Hill Station, lotissement ségrégé
1902 Fondation du West African Medical Service
Notes de bas de page
1 Sur la Sierra Leone, voir les synthèses de Fyfe Christopher, A History of Sierra Leone, Londres, Oxford University Press, 1962 ; Wyse Akintola J.G., The Krio of Sierra Leone. An interpretative History, London, Hurst/International African Institute, 1989. Cf. encadré 1 à la fin de ce chapitre.
2 The Artisan, 22 février 1885, cité dans Fyfe Christopher, « A.B.C. Sibthorpe : a tribute », History in Africa, vol. 19, 1992, p. 327-352, ici p. 327.
3 Outre la presse contemporaine, voir Id., « A.B.C. Sibthorpe : a neglected historian », Sierra Leone Studies, no 10, 1958, p. 99-109 ; Id., « A.B.C. Sibthorpe : a tribute », art. cit. Les citations de Sibthorpe proviennent de l’édition de 1970.
4 Ce terme est parfois traduit en français par « recapturé ». Après 1815, la marine britannique arraisonne des bateaux négriers au large de l’Afrique : les Africains « recapturés » ainsi sont conduits en Sierra Leone.
5 Gainot Bernard, « L’établissement libre de Sierra Leone, et les projets de colonisation nouvelle en Afrique (1783-1802) », Cahiers Charles V, no 46, 2009, p. 71-95 ; Frey Sylvia R., Water From the Rock. Black Resistance in a Revolutionary Age, Princeton, Princeton University Press, 1991 ; Peterson John, Province of Freedom. A History of Sierra Leone, 1787-1870, London, Faber & Faber, 1969.
6 Fyfe C., A History of Sierra Leone, op. cit. ; Wyse A.J.G., The Krio of Sierra Leone…, op. cit.
7 Schwarz Suzanne, « D’une administration privée au contrôle de la Couronne : expérimentations et adaptation en Sierra Leone à la fin du xviiie et au début du xixe siècle », in Bourhis-Mariotti Claire, Dorigny Marcel, Gainot Bernard, Rossignol Marie-Jeanne et Thibaud Clément (dir.), Couleurs, esclavages, libérations coloniales. 1804-1860, Bécherel, Les Perséides, 2013.
8 Da Silva Daniel Domingo et al., « The diaspora of Africans liberated from slave ships in the nineteenth century », Journal of African History, vol. 55, no 3, 2014, p. 347-369.
9 Le terme désignait la langue uniquement auparavant.
10 Goerg Odile, « Sierra-léonais, Créoles, Krio : la dialectique de l’identité », Africa, vol. 65, no 1, 1995, p. 114-132.
11 Expression reprise par Fyfe et Wyse (Wyse A.J.G., The Krio of Sierra Leone…, op. cit., p. 45).
12 The Artisan, supplément no 4, août 1884.
13 Selon la description donnée par Fyfe qui l’a vue à Freetown mais n’a pu en trouver de copie en Grande-Bretagne.
14 Fyfe note que, peu après sa mort, ces prénoms sont déformés en « Aaron Berisurus Casimo », ce qui montre bien leur étrangeté localement (« A.B.C. Sibthorpe : a tribute », art. cit., p. 348).
15 Sibthorpe nomme aussi de son nom multiples découvertes minéralogiques ou botaniques (« Sibthorpe-acetate-of-alum », « Sibthorpe fever bark »…) : air du temps, marque d’arrogance ou pratique distanciée teintée d’humour ?
16 Blyden Edward Wilmot, Christianity, Islam and the Negro Race, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1967 (1re éd. 1887), p. XVIII.
17 Sibthorpe A.B.C., The History of Sierra Leone, p. 166.
18 Lynn Martin, « Technology, trade and “a race of native capitalists” : the Krio diaspora of West Africa and the steamship, 1852-5 », Journal of African History, vol. 33, no 3, 1992, 421-440 ; Wyse A.J.G., The Krio of Sierra Leone…, op. cit., chap. 2.
19 Fyfe (« A.B.C. Sibthorpe : a tribute », art. cit., p. 334) détaille toutes ses découvertes et les efforts faits pour les faire connaître lors d’expositions en Sierra Leone ou en Europe.
20 SLWN, « A trip to Grafton », 24 octobre 1891, signé par une certain Ommodunei qui demande explicitement que l’article soit publié car Grafton est peu connu.
21 Fyfe C., « A.B.C. Sibthorpe : a tribute », art. cit., p. 329-330.
22 Id., A History of Sierra Leone, op. cit.
23 Rankin F. Harrison, The White Man’s Grave : A Visit to Sierra Leone in 1834, 2 vol., London, R. Bentley, 1836.
24 Sibthorpe A.B.C., The History of Sierra Leone, préface de la 1re édition, 1868 (éd. 1970, p. v).
25 Cf. infra note 2 (The Artisan, 22 février 1885).
26 « History of Dahomey », SLWN, 18 février 1893.
27 Sibthorpe A.B.C., The History of Sierra Leone, op. cit., p. 8.
28 Goerg Odile, « A.B.C. Sibthorpe : un historien précurseur en Sierra Leone », in Kouamé Nathalie et al., Historiographies d’ailleurs. Comment écrit-on l’histoire en dehors du monde occidental ?, Paris, Karthala, 2014, p. 105-117 ; Fyfe C., « A.B.C. Sibthorpe : a tribute », art. cit.
29 Sibthorpe A.B.C., The History of Sierra Leone, op. cit., préface, p. iii.
30 Ibid., p. 125.
31 Ibid., p. xii.
32 Ibid., p. 17.
33 The History of the Yorubas, London, George Routledge and Sons, 1921.
34 History of the Gold Coast and Asante, Londres, Kegan Paul, Trench, Trübner & Co., 1895 ; Jenkins Paul (éd.), The Recovery of the West African Past. African Pastors and African history in the Nineteenth Century. C.C. Reindorf & Samuel Johnson, Basel, Basler Afrika Bibliographien, 1998.
35 Respectivement SLWN, 4 octobre 1890, et Sierra Leone Times, 30 juillet 1892 ; il se remarie en 1909.
36 The Artisan, 1884-1888.
37 SLWN, 17 octobre 1885.
38 SLWN, 6 mai 1893.
39 SLWN, 24 février 1894, p. 3.
40 Par exemple p. 86, « 1871-1873 memorable events » : sur dix lignes, la moitié des « événements » concerne ses propres découvertes.
41 Fyfe C., A History of Sierra Leone, op. cit., p. 516 : sur environ 40 postes administratifs importants, 18 sont tenus par des Créoles en 1892 ; en 1912, sur 92 postes, ils en occupent 15 dont 5 sont supprimés peu après.
42 Ces pourcentages donnent un ordre de grandeur. Les premiers chiffres sont des estimations tandis qu’à partir de 1881 des recensements décennaux sont effectués dans la colonie de Sierra Leone. Goerg Odile, Pouvoir colonial, municipalités et espaces urbains. Conakry et Freetown, des années 1880 à 1914, vol. 1, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 108-111.
43 Accessible via The World Newspaper Archive (African section) jusqu’en 1922. The Independent (décembre 1874 à mai 1878), ne comporte aucune référence à Sibthorpe pas plus qu’avant lui l’African interpreter & Advocate (février 1867 à avril 1869).
44 Depuis le milieu du xixe siècle, les pauvres reçoivent un pécule du gouvernement le samedi et paradent ensuite dans les rues, demandant l’aumône.
45 SLWN, 1er août 1885.
46 Préface de la 3e éd., 1906 (éd. 1970, p. iii).
47 Le SLWN coûte alors trois pence et le salaire journalier des manœuvres était d’un shilling (soit douze pence) en 1892.
48 Morel Edmund D., Red Rubber. The Story of the Rubber Slave Trade Flourishing on the Congo in the Year of Grace 1906, London, T. Fisher Unwin, 1906.
49 SLWN, 10 août 1907.
50 SLWN, 17 et 24 octobre 1908.
51 Cette somme est importante. À titre de comparaison : en 1891, son salaire annuel est à Hastings de quinze livres, diminué par la suite car la paroisse est trop pauvre.
52 SLWN, 24 octobre 1908.
53 Est-ce le résultat d’une compétition implicite, Blyden bénéficiant d’une renommée internationale affirmée et d’un statut local ?
54 Goerg O., « Sierra-éonais, Créoles, Krio… », art. cit.
55 Sibthorpe A.B.C., The History of Sierra Leone, op. cit., p. 122. Le terme « Negro », employé fréquemment par les Africains ou Noirs américains, n’a pas la connotation négative qu’il prit par la suite ou dans d’autres contextes d’emploi.
56 SLWN, 31 juillet 1909.
57 SLWN, 1er avril 1911.
58 SLWN, 28 juin 1913 : « “Rambling talk” by rambler : African reading books ».
59 Signé Eolus, 30 juin 1916.
60 Loc. cit.
61 SLWN, 24 juin 1916, cité dans Fyfe C., « A.B.C. Sibthorpe : a tribute », p. 348.
62 Ainsi, le Colony and Provincial Reporter ne fait rien paraître pour son décès mais le cite le 12 juin 1920 parmi les Sierra-léonais connus.
63 Fyfe C., A History of Sierra Leone, p. 382.
64 Voir la redécouverte contemporaine de sources écrites locales : Barber Karin (éd.), Africa’s Hidden Histories. Everyday Literacy and Making the Self, Bloomington, Indiana University Press, 2006 ; Ficquet Éloi et Mbodj-Pouye Aïssatou (éd.), « Culture de l’écrit en Afrique. Anciens débats, nouveaux objets », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 64, 2009, p. 751-764.
65 Church Missionary Intelligencer, cité dans Fyfe C., « A.B.C. Sibthorpe : a tribute », art. cit., p. 337.
66 Voir leurs premières publications significatives : Porter Arthur T., Creoledom. A Study of the Development of Freetown Society, Oxford, Oxford University Press, 1963 ; Abraham Arthur, Mende Government and Politics under Colonial Rule. A Historical Study of Political Change in Sierra Leone, 1890-1937, Oxford, Oxford University Press, 1979 ; Magbaily Fyle Cecil, The History of Sierra Leone : A Concise Introduction, London, Evans, 1981 ; Wyse A.J.G., The Krio of Sierra Leone…, op. cit. De nombreux historiens sierra-léonais sont aux États-Unis désormais, surtout depuis la guerre civile des années 1990.
67 Magbaily Fyle Cecil, Historical Dictionary of Sierra Leone, Lanham, Scarecrow, coll. « Historical Dictionaries of Africa », no 99, 2006, p. 179-180.
Auteur
Professeure d’histoire de l’Afrique contemporaine à l’université Paris Diderot (USPC) et membre du CESSMA (UMR 245). Ses recherches portent sur l’histoire sociale et culturelle en contexte urbain, notamment sur les loisirs. Son dernier ouvrage porte sur le cinéma, Fantômas sous les tropiques. Aller au cinéma en Afrique coloniale (Éditions Vendémiaire, 2015). Elle a également publié divers articles sur ce phénomène (censure, sociabilité, visibilité des publics africains…).
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