Thomas Mathieu. Le portail
La nouvelle vague de l’expérimentation numérique
p. 326-328
Texte intégral
L’œuvre
1Le Portail est une œuvre complète qui relève d’un genre encore très peu présent dans la bande dessinée numérique française : l’épouvante. Les principes de la création numérique sont mis au service d’un récit d’ambiance regardant du côté du genre cinématographique du home invasion, ces histoires où des individus bourgeois sont confrontés à l’irruption, dans leur domicile, de la violence et de la peur. Formellement, Le Portail est un diaporama en images fixes en noir et blanc. L’exploitation des effets de rythme habituels dans ce type de mise en écran est très progressive pour ménager un suspens. La rareté des animations, l’absence de bruitages, le trait épais de Thomas Mathieu et son traitement de l’image par gros plans et aplats de gris et de noir créent une atmosphère lourde. L’ambiance angoissante est aussi largement enrichie par l’ajout d’une musique électronique (de Martin Wautié) qui vient souligner la présence d’un décalage malsain dans le quotidien nocturne d’un jeune couple bourgeois. Puisant dans la tradition du cinéma d’horreur, elle renforce un propos sur les lâchetés et la peur de l’autre d’une certaine classe moyenne.
L’auteur
2Thomas Mathieu est un jeune auteur dont la carrière s’est lancée en partie grâce à une notoriété acquise sur le Web. Formé à l’École supérieure des arts Saint-Luc à Bruxelles, il lance son premier blog en 2006 et multiplie dès lors les projets numériques en auto-publication, ou sur des plateformes dédiées. On le retrouve ainsi sur Manolosanctis, puis sur la plateforme EspritBD où il réalise des œuvres plus expérimentales (Une Soirée de chien). Il commence à y développer son univers peuplé d’animaux anthropomorphes, de drague, de films de série B et de sexe. Le Projet Crocodiles lancé sur Tumblr en 2013 lui permet d’aborder la bande dessinée documentaire, sur le thème du sexisme et du harcèlement de rue. Enfin, il participe activement au feuilleton collectif Le Secret des cailloux qui brillent en 2016. Parallèlement, il publie ses premiers albums imprimés à partir de 2009, notamment Les Dragues-misères, commencé sur le Web. Mais la plupart de ses albums sont issus de projets numériques, preuve d’une intrication très forte des deux modalités de diffusion chez la jeune génération d’auteurs.
Le contexte
3La revue Professeur Cyclope, depuis 2012, a largement contribué à l’émergence d’une « nouvelle vague » de création numérique qui ancre chez de nombreux auteurs les principes spécifiques et les potentialités uniques des outils informatiques au service de la narration graphique. Le Portail mêle ainsi une mise en écran devenue traditionnelle, le principe du diaporama, et l’ajout de sons, qui renvoie à l’ère multimédia mais s’avère plutôt originale à une période qui considère parfois encore ce type d’ajout comme des « gadgets ». Par ailleurs, les techniques, graphiques ou numériques, sont mises au service d’un vrai propos narratif, d’une ambiance, et sortent ainsi de la seule expérimentation formelle et de l’exercice de style. L’absence d’une contrainte éditoriale rigide sur la forme des œuvres numériques produites pour Professeur Cyclope permet à plusieurs auteurs d’y tester des combinaisons inédites d’effets numériques (animations, interactivité, scrolling…) qui dépassent le seul diaporama, format standard de cette époque. Il s’agit aussi bien, comme Thomas Mathieu ou Sacha Goerg, de jeunes auteurs déjà habitués à la création en ligne, ou d’auteurs qui y font leurs premiers pas numériques, comme Philippe Dupuy et Stéphane Blanquet.

Thomas Mathieu, « Le portail », dans Professeur Cyclope, no 15, 2014.

Thomas Mathieu, « Le Portail », dans Professeur Cyclope, no 15, 2014.
Bibliographie
Bibliographie
Philippe Paolucci, La bande dessinée numérique : entre rupture et continuité. Pour une approche socio-sémiotique du 9ème art : l’exemple de la revue en ligne Professeur Cyclope, thèse de doctorat sous la direction de Pascal Robert et Patrick M’Pondo, Université Toulouse 2, 2016.
Récit complet publié dans le no 15 du webzine Professeur Cyclope. ♦ Accès payant (abonnement).

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