1 Cette double recherche d’efficacité et de valeur symbolique a été bien expliquée par A. Salamagne, « Le symbolisme monumental et décoratif : expression de la puissance seigneuriale », dans Actes du 17e congrès national des Sociétés savantes (1992), Section d’histoire médiévale, Paris, 1995, p. 563-579. En ce sens, Vincennes porte à son maximum le pouvoir expressif de la régularité.
2 Sur ces plans polygonaux réguliers (ou circulaires) qui existent dès le xiiie siècle, voir Jean Mesqui, Châteaux et enceintes de la France médiévale, 2 vol., Paris, 1991 et 1993,1.1, p. 50-55. À notre avis, c’est Concressault (et non le port d’Ostie) qui a inspiré à Rabelais le plan hexagonal de l’abbaye de Thélème.
3 Une seule exception, mais il ne s’agit pas d’un château : le pavillon de bains octogonal de Châteauneuf-sur-Loire, s’il date de Louis d’Orléans.
4 Sur ce type, illustré vers 1300 par la tour du Temple de Paris, voir Uwe Albrecht, Von der Burg zum Schloss. Französische Schlossbaukunst im Spätmittelalter, Worms, 1986, p. 33.
5 Un seul exemple de tour-résidence relevé dans, Claude Mignot et Monique Châtenet, Le manoir en Bretagne 1380-1600, Paris, 1993, p-122. Premiers exemples de logis allongé desservi par une vis hors-œuvre : La Roche Jagu, La Bellière autour de 1400. Une différence essentielle, toutefois, avec le type de la grande vis : on entre dans la salle basse avant d’accéder à la vis. Sur ce développement, longtemps indépendant de celui de la région de la Loire, voir l’étude de Christel Douard dans ce même ouvrage, p. 136-153.
6 Nobles d’importance locale, les Chevenon sont entrés au service du roi et trois d’entre eux furent pendant deux générations « capitaine du château et tour de Vincennes » : ce qu’ils virent là leur donna l’idée de construire un logis neuf élevé, bien conçu pour l’habitation et doté d’une vis hors-œuvre. L’exécution fut ensuite confiée à des maçons locaux qui eurent quelques difficultés à faire coïncider les marches de l’escalier avec les niveaux des étages... Les travaux furent-ils entrepris par Guillaume de Chevenon mort en 1384, ou par ses fils Huguenin et Jean ? Ce dernier semble un personnage important, lié au connétable de Sancerre puisqu’il est en 1402 son exécuteur testamentaire (ce qui pourrait expliquer certaines ressemblances entre Chevenon et Sagonne). Une datation autour de 1400 paraît donc la plus vraisemblable. Sur ce château, voir Uwe Albrecht, Von der Burg...,op. cit., note 4, p. 77-78 ; Idv Der Adelssitz im Mittelalter, Berlin, 1995, P- 88, et par ailleurs l’excellente brochure de Jean-Paul Bardin, Le château de Chevenon, Nevers, 1988, qui contient le plan que nous reproduisons (avec des modifications de détail).
7 Sur ce point, voir Jean Mesqui, « Les ensembles palatiaux et princiers en France aux xive et xve siècles », dans Annie Renoux (éd.), Palais royaux et princiers au Moyen Age, Le Mans, 1996, p. 51-70.
8 Sur ces deux hôtels, voir notre étude, « Un tournant dans l’histoire de la galerie : les hôtels parisiens de la fin du xive siècle », dans Bulletin monumental, 2008,1, p. 27-31, et Florian Meunier, « Le renouveau de l’architecture civile sous Charles VI, de Bicêtre à l’hôtel de Bourbon », dans La création artistique en France autour de 1400, Paris, 2006, p. 219-246. Ces deux études s’appuient en partie sur les textes rassemblés par Isabelle Taveau, L’architecture civile et religieuse à Paris sous le règne de Charles VI, thèse de dodorat d’histoire, Paris-Sorbonne, 1988.
9 Voir Gottfried Kerscher, Architektur als Repräsentation. Spätmittelalterliche Palastbaukunst zwichen Pracht und zeremoniellen Voraussetzungen. Avignon, Mallorca, Kirchenstaat, Tübingen, 2000; Mary Whiteley, « The courts of Edward III of England and Charles V of France : a comparison of their architectural setting and cérémonial fondions », dans Fourteenth Century England, 1.1, Woodbridge, 2000, p. 153-166. Voir aussi les contributions de ces deux auteurs dans Werner Paravicini (éd.), Zeremoniell und Raum, Sigmaringen, 1997, P-155 à 198.
10 Les dénominations « chambre à parer » et « chambre de retrait » apparaissent dans les comptes du Louvre et de Saumur. Voir Jean Mesqui, « Les ensembles palatiaux... », op. cit., note 2, t. II, p. 129-131.
11 Jean Guérout, « Le Palais de Paris : l’hôtel du roi », dans Jean Chapelot et Elisabeth Lalou, Vincennes. Aux origines de l’État moderne, Paris, 1996, p. 219-288, spécialement p. 254.
12 Le logis de l’épouse n’a pas une position fixe : il se situait en dessous de celui du roi au Palais et au Louvre et cette disposition se retrouve probablement à Mehun. À Saumur la duchesse a pu loger au-dessus du premier logis ducal (ce qui expliquerait bien l’escalier privé réunissant les deux niveaux) ou bien, plus tard, dans l’aile droite où les pièces sont aussi monumentales que dans l’aile du fond. En ce cas, il n’y aurait plus parallélisme mais une sorte de symétrie.
13 Nous remercions Thomas Rapin, qui prépare une thèse sur le château de Poitiers, de nous avoir communiqué le texte de ce paiement (AN KK 257b, f° 84). Les deux tours (il y en a trois en tout) sont probablement celles situées aux extrémités du logis.
14 Léonard de Vinci, évidemment surpris par cette disposition inconnue en Italie, n’a pas manqué de la noter : il dessine le plan d’une tour de ce type en marge de son projet pour le château de Romorantin (Codex Atlanticus, f° 209 r°. Reproduit dans Paolo Galluzzi et Jean Guillaume (éd.), Léonard de Vinci ingénieur et architecte, Montréal, 1987, fig. 338, en haut).
15 Sur ce sujet, voir Jean Mesqui, « Les ensembles palatiaux... », op. cit., note 2, t. II, p. 149-161, qui ne donne pas d’exemples clairs du type qui nous intéresse et notre étude sur « La galerie dans le château français : place et fonction », dans Revue de l’art, n° 102,1993, p. 32-42 où ce type est clairement défini mais où le XIVe siècle est traité trop rapidement. La galerie étroite établie au-dessus de la courtine, partant de la chambre du maître (mais pas directement liée à elle), à Coucy, pourrait annoncer ce type (plan dans Jean Mesqui, « Les ensembles palatiaux... », op. cit., note 2, t. II,p. 31).
16 Avignon : ambulatorium magnum au-dessus de l’escalier rampe sur rampe menant à la grande chapelle ; Orthez : galerie connue par Jean Froissart, Chroniques, L. III, chap. XVIII (1388) qui précise (chap. X) que la galerie accessible de la salle par un escalier était chauffée quand le duc séjournait au château (éd. Buchon, t. II, Paris, 1837, p. 418 et 391)- Nous remercions Mark Girouard de nous avoir fait connaître ce texte.
17 Ces mentions sont réunies par V. Hoffmann dans son compte rendu de Wolfram Prinz, Die Enstehung der Galerie..., dans Architectura, 1971, p. 102-112, mais les textes seuls ne permettent pas de savoir s’il s’agit de galeries prolongeant le logis, même lorsqu’ils mentionnent un décor.
18 Chronique du Religieux de Saint-Denys..., éditées et traduites par Louis Bellaguet, Paris, 1842 (rééd. 1994), t. III, p. 192-193 (août 1404).
19 Cette liaison est sûre à l’hôtel de Bourbon où la galerie s’appuie sur le logis signalé parle superbe balcon orné d’emblèmes ducaux donnant sur le Seine. Elle est probable à l’hôtel de Nesle où le logis, adossé à la muraille, devait occuper l’espace compris entre la galerie et une grande pièce (la salle ?) dont les murs sont encore visibles sur le plan de la Gouache. Étude détaillée des deux galeries dans notre article cité note 8.
20 Voir Mary Whiteley, « Deux escaliers royaux du xive siècle : les “grands degrez” du palais de la Cité et la “grande viz” du Louvre », dans Bulletin monumental, 1989, p. 133-154, et l’étude fondamentale de Jean Chapelot, « Le Vincennes des quatre premiers Valois... », dans Jean Chapelot et Elisabeth Lalou, Vincennes. Aux origines..., op. cit., note 11, p. 53-114, spécialement p. 82.
21 Ce château, oublié de l’histoire de l’architecture, mériterait une étude approfondie. Courte notice de Jean-Yves Ribault dans Jean-Marie Pérouse de Montclos (éd.), Architectures en région Centre, Paris, 1988, et brochure récente de François Spang-Babou, Château de Sagonne, Sagonne, s.d., utile pour connaître les propriétaires successifs – dont Jules-Hardouin Mansart qui éleva à partir de 1699 des bâtiments axés sur la tour d’escalier du vieux château, volontairement conservée.
22 Notre analyse diffère sur ce point de celle de Jean Mesqui qui suppose que l’on a adopté la vis hors-œuvre au Louvre parce qu’il était impossible de construire dans la cour un escalier rampe-sur-rampe monumental analogue à celui du palais des Papes (Jean Mesqui, « Les ensembles palatiaux... », op. cit., note 2, t. II, p. 166). La recherche des effets verticaux, évidente dans les parties hautes des tours, nous semble plus décisive que des raisons pratiques.
23 Pour le Louvre, voir supra l’article d’Alain Salamagne. Nous suivons également son interprétation de la vue de Saumur des Très Riches Heures : la flèche pourrait couronner la petite vis adossée à la tour nord (il y en a une semblable au-dessus de la vis près de la tour est) et la petite pièce rectangulaire encore plus élevée située à sa droite (sans doute accessible par la tourelle visible sur l’angle) est probablement la chambre-haute de la grande vis. Flèche et chambre-haute sont mal placées par le peintre, mais celui-ci ne pouvait les voir de l’extérieur : sa vue, à cet endroit, est « construite ».
24 Il est peu vraisemblable qu’il s’agisse d’un remaniement puisque la peinture due aux Limbourg (à l’exception sans doute de la figure du premier plan) appartient au groupe le plus ancien des Très riches heures.
25 Les deux chambres et la petite vis se retrouvent à Paris, vers 1407, à l’hôtel du duc de Bourgogne, mais la forme des chambres est exceptionnelle : elles sont destinées au duc qui s’y réfugie la nuit quand il se sent menacé (Françoise Autrand, Charles VI, Paris, 1986, p. 363) et elles se développent en longueur, bien au-delà de l’escalier, portées par deux piliers et des arcs. Voir Philippe Plagnieux, « La tour Jean sans Peur... » dans Histoire de l’art, n° 1/2,1988, p. 11-20.
26 Étude d’ensemble des mâchicoulis sur consoles et de leur « esthétisation » dans Jean Mesqui, « Les ensembles palatiaux... », op. cit., note 2, t. II, p. 335-344
27 La lucarne ne comporte pas de fenêtre : elle ouvre sur une petite loggia au fond de laquelle on voit la porte-fenêtre. Cet aménagement se situe vers 1387 (voir Anne Dodd-Opritesco, « Le château de Saumur : nouvelles hypothèses chronologiques et architecturales », 303, n° 57,1998, p. 40-49. On ne conclura pas cependant avec l’auteur que le chemin de ronde fut ainsi « transformé en galerie d’agrément »).
28 Description de Jean Chaumeau, Histoire du Berry, Lyon, 1566, p. 275 : « le dessus [des logis neufs appuyés à l’enceinte et aussi haut qu’elle] est couvert d’ardoise [...], le sommet de plomb doré et enrichi de figures de plusieurs animaux, spécialement d’ours et de cygnes, excellemment peints et portraits d’après le naturel ». Ce texte capital ne semble pas connu car les auteurs citent toujours une copie de cette description parue l’année suivante dans Nicolas de Nicolay, Description générale du pays et duché de Berry, où l’ours et le cygne ne sont pas mentionnés, si bien que l’on a mis en doute l’attribution du logis à Jean de Berry).
29 Il y eut auparavant quelques tentatives en ce sens. La plus intéressante est l’emploi de tourelles couvertes d’une flèche de pierre, motif emprunté à l’architecture religieuse, de part et d’autre de l’entrée à Armentières (vers 1250) ou au palais des Papes d’Avignon (1342-1352). On retrouve ces flèches en couvrement d’escaliers secondaires à Saumur.
30 Avant Pierrefonds (1398-1405) les mâchicoulis couverts surmontés d’une partie haute massive se voient au château de Vilvorde (avec mâchicoulis continu – comme à Langeais un siècle après – du côté de l’entrée) construit à partir de 1380, à Valenciennes (porte de Tournai) vers 1385, au château de Courtrai (tour-maîtresse) entre 1394 et 1404. Nous remercions Alain Salamagne d’avoir attiré notre attention sur ces précédents.
31 On peut se demander si l’allège de fenêtre ornée d’un réseau aveugle n’est pas également apparue à Saumur mais il faudrait, pour l’affirmer, être sûr que les fenêtres du second étage de l’avant corps sud-est du château (différentes de celles du premier) datent de Louis Ier. De toute façon cette allège ornée est ici un motif isolé qui ne sert pas à lier verticalement les fenêtres, comme ce sera le cas à la fin du xve siècle.
32 Le côté cour est plus simple, d’autant qu’il n’y pas de grande vis. Sur ce bâtiment élevé vers 1380, que nous attribuons à Louis Ier d’Anjou, voir notre étude dans Congrès archéologique, 1997, Touraine, Paris, 2003, p. 239-253 (où la figure 8 a été inversée).
33 Charles V donne à Paris une nouvelle enceinte, élève Vincennes et la Bastille en même temps qu’il rénove le Louvre, Louis d’Anjou dispose de l’immense château d’Angers, Jean de Berry de la ville de Bourges, proche de Mehun.
34 Dans ces vues, toutes les hauteurs sont exagérées, mais cette « erreur » a un sens : elle révèle que les contemporains ont été avant tout sensibles à l’effet de silhouette, aux formes dressées vers le ciel, aux ornements dorés des toits, en un mot au caractère féerique. La peinture montre ce qu’ils ont retenu de ces châteaux.