La propagande de M. le Maire ou la communication d’une ville moyenne des Hauts-de-Seine
p. 241-259
Texte intégral
1Dans la communication urbaine la place dévolue à la description des activités du maire est toujours importante. Les journaux municipaux y consacrent une large place. Le maire est aussi mis en scène sur les affiches municipales ou sur les panneaux d’information et d’annonce. Lorsqu’il participe à des cérémonies, qu’il prononce des discours, il n’est pas seulement un magistrat dans l’exercice de ses fonctions. Parfois, il ajoute un esprit polémique et même, suivant la proximité des élections, il peut tenir un véritable discours de campagne. Dans tous les cas, sa présence apporte un surcroît de sens aux événements. Il en est conscient et, habile, peut en jouer. L’objet de cette communication est de rechercher quelle est l’image du maire qui se dégage de toutes ces interventions ou plutôt de voir ce qu’est la communication d’un maire dans la France des années 1980-1990. Pour ce faire, nous avons privilégié une approche monographique. Le nombre et la nature des interventions demandées à un maire étant extrêmement variés, il nous a semblé qu’une monographie permettrait de dresser une typologie de ces actes et d’en rechercher ensuite la construction et la perception par comparaison avec d’autres situations municipales. Ce terrain restreint a permis la mise en œuvre d’une méthodologie quantitative qui laisse la place à de futures comparaisons. Nous souhaitions par ailleurs évaluer la mobilisation de différentes ressources de prestige. Il nous fallait donc un maire relativement connu au niveau national afin de voir comment il utilise cet atout sur le plan local. Notre choix s’est finalement porté sur Antony, sous-préfecture des Hauts-de-Seine dont le premier magistrat est Patrick Devedjian. Nous avons dépouillé le journal, les affiches municipaux. Nous avons étudié le processus d’élaboration de sa stratégie de communication. De là se déduisent quelques-uns des mécanismes de propagande dont le maire use dans le cadre d’une communication qui se veut municipale.
L’évolution de l’image du maire : une mise en phase
2La présence de Patrick Devedjian sur les photographies publiées par le bulletin municipal n’est pas constante. L’étude de son évolution numérique est un premier indice pour comprendre comment cette publication intervient dans la construction de l’image du maire au gré des stratégies de communication.
Evolution du nombre de photographies par an

Phase 1 : L’élection et l’implantation
3En 1983, à la suite d’une contestation des résultats antérieurs, une élection municipale partielle est organisée à Antony. Elle oppose le maire sortant, le communiste André Aubry, à un jeune néo-gaulliste, Patrick Devedjian. Ce dernier réussit à la surprise générale à l’emporter. Commence une période durant laquelle son activité essentielle est vouée à la construction de son image de maire dans l’opinion publique municipale. Cette phase est pour lui capitale. La suite de son règne et le devenir de son implantation locale en dépendent.
4Le lancement du bulletin municipal participe de cette entreprise d’implantation. Le premier numéro paraît dès le mois de décembre 1983. L’éditorial que Patrick Devedjian signe à cette occasion justifie l’opération en déclarant que « l’information est une des conditions de la démocratie »1. Il explique le retard très relatif de ce lancement, peut-être afin d’éluder la question de la légitimité, en attirant l’attention sur l’opportunité de la parution. Il précise cependant que cet organe d’information ne remplit pour lui qu’une fonction seconde car « pour faire savoir, il faut d’abord faire »2.
5Durant cette première période l’image du maire dans le bulletin a deux caractéristiques. D’abord le nombre de photographies avec Patrick Devedjian est très important. Si l’on se reporte au graphique qui montre l’évolution du nombre de photographies par an, on relève la plus forte présence du maire entre 1983 et 1987. D’autant plus forte si l’on songe que le magazine n’a alors qu’une faible pagination (toujours moins de 20 pages) et demeure peu illustré. Le faible chiffre de 1983 s’explique par le début tardif de l’organe municipal. Entre 1984 et 1987 ce sont entre 53 et 63 photographies avec le maire qui sont publiées par an. Pour un bimensuel de format tabloïd la performance dit assez la volonté d’imprimer l’image du nouvel édile dans l’œil des citoyens. D’autant plus que le journal est fourni gratuitement à tous les habitants et mis à leur disposition à domicile et dans les établissements municipaux.
6La thématique de ces images révèle une volonté d’identifier Patrick Devedjian avec sa fonction de maire. Les photographies avec l’écharpe tricolore sont majoritaires. Il est vêtu d’un costume sombre avec une cravate. Les photographies de commémoration ou de célébration civique sont dominantes durant cette période. Une page entièrement illustrée soutient très vite ce dispositif. Elle montre le maire en diverses occurrences3. Bientôt elle devient une rubrique à part entière dont le nom s’impose quand le journal entre dans une période nouvelle de routinisation4.
Phase 2 : La routinisation d’un outil propagandiste
7Devenu régulier le journal municipal n’en est pas pour autant un simple instrument de communication au service de la citadinité5, une sorte de journal de banlieue, équivalent restreint de la presse régionale. Non, il s’agit avant tout d’un organe de propagande de la politique municipale. Le traitement même des pages sur l’Agenda du maire dit assez le désir promotionnel qui sous-tend la mise en forme. Point de chronologie ou d’élément pour suivre le calendrier municipal en matière de décision, mais simplement la juxtaposition d’une série d’images montrant le maire à des cérémonies ou des manifestations officielles. L’ensemble donne le sentiment d’un homme actif proche des électeurs. En un sens la visualisation de la présence du maire est moins indispensable qu’auparavant et on commence même à trouver sur ces pages des photos d’où Patrick Devedjian est absent (le lecteur doit pourtant supposer qu’il s’y est rendu, ne serait-ce qu’à cause du nom de la rubrique).
8La présence du maire baisse donc relativement à suivre la courbe des indices mais aussi en valeur absolue : entre 30 et 36 images de lui par an. Le recul n’est pas seulement dû à un changement de formule survenu en septembre 19896. Il traduit aussi le désir d’introduire un nouveau type de relation entre le maire et ses administrés. La réélection de Patrick Devedjian obtenue avec un score amélioré a conforté une position notabiliaire clairement acquise depuis 1986, quand Patrick Devedjian a conquis le siège de député de sa circonscription urbaine. L’identité urbaine se conjugue désormais avec une certaine histoire du maire. Il lui faut s’institutionnaliser presque au-dessus des partis ; c’est l’achèvement de la logique du fief personnel.
9Cette tactique visuelle rencontre une tendance plus généralement perceptible dans les bulletins municipaux, qui consiste à accorder une place aux partis d’opposition. Patrick Devedjian fait ce choix précocement, à la veille des élections municipales, sans doute parce qu’il vient à un moment favorable pour lui, ou pour compenser un déséquilibre trop voyant de l’usage propagandiste d’un instrument quasi public. Car le journal est publié par une association loi de 1901 qui bénéficie du soutien financier de la municipalité. L’outil est donc de droit privé pour un usage public et n’entraîne de ce fait pas d’appel d’offre détaillé pour l’impression ou la mise en page voire pour la publicité. Reste que cette ouverture vient plus tôt que dans d’autres villes des environs y compris celles dirigées par des élus de gauche : dans le même secteur, le Plessis-Robinson, Châtenay-Malabry et Bourg-la-Reine n’en font rien.
10Le visage du maire étant connu et son image d’homme politique de dimension nationale largement construite, le bulletin municipal se contente de l’entretenir et de l’enrichir. Les apparitions du maire s’orientent vers d’autres activités que celles qui avaient jusqu’alors prévalues. Les photographies affinent une thématique trop institutionnelle pour jouer davantage la proximité. Son attachement pour la jeunesse, par exemple, ne se manifeste plus par l’inauguration d’espaces verts mais plutôt par sa rencontre avec des écoliers ou par sa venue à des événements sportifs. Patrick Devedjian reste le maire des enfants. Une idée qu’il applique dans une initiative civique qui lui vaut une couverture nationale par la presse et la télévision : la création du premier conseil municipal des enfants. Le compte-rendu de ce premier conseil est publié dans Vivre à Antony en juin 19887. L’activité décisionnelle rejoint ainsi la mise en scène et solidifie un système de représentation que ses promoteurs pensent déjà inattaquable.
Phase 3 : Recul et autonomisation partielle du bulletin
11La lecture de l’évolution annuelle du nombre de photographies du maire révèle une baisse tendancielle à partir de 1992. Seule l’année 1996 contredit cette observation. La cause essentielle en est la loi de 1990 sur la communication des personnes morales. Elles ne peuvent plus désormais faire de publicité en faveur de candidats à des élections. L’information électorale ou politique disparaît donc lors des années électorales. Patrick Devedjian cesse ses éditoriaux et sa photo connaît un recul dû à la succession des élections en France, en 1993, 1995 et 1997. L’année 1994 voit dès le mois d’octobre la même réserve. À la contrainte légale s’ajoute un changement de maquette qui réduit la part accordée au suivi du maire à partir de 1994.
12Le conseil municipal comble cette carence dans le cas des élections cantonales et législatives. Ses décisions sont régulièrement publiées et des photographies des adjoints au maire, surtout du premier adjoint, apparaissent davantage. Ce phénomène reste cependant limité.
13Le recul de la figure du maire entraîne une autonomisation relative du bulletin par rapport à la politique. La structure du journal, autour des manifestations locales, des institutions municipales, des associations et le rappel des services mis à la disposition des habitants, se survit alors que les aspects les plus dévoués à Patrick Devedjian ont disparu. Vivre à Antony, dans la perspective de communication qui est la sienne, essaye d’anticiper cette évolution en lançant une enquête sur ses lecteurs8. Le procédé ne consiste pas à employer une entreprise compétente mais tout simplement à publier le questionnaire dans l’édition du magazine et demander au lecteur de renvoyer sa réponse. Les questions sont parfois à la limite de la manipulation et orientent les réponses. On peut ainsi lire :
« Pour vous, Vivre à Antony est avant tout un journal (un choix obligatoire, cocher une case uniquement)
- Utile, pratique
- Agréable à lire, divertissant »9
14L’enquête cherche cependant à trouver des indications sur les outils de communication de la mairie. Plusieurs demandes servent à évaluer la place de l’affichage ou celle des plaquettes d’information de la ville. Par ailleurs les manifestations municipales font aussi l’objet d’une évaluation. Le questionnaire remplit donc une réelle fonction d’investigation même si l’on devine un désir d’obtenir un bon résultat.
15En dépit du tirage du journal (30 000 exemplaires) le taux de réponse est jugé encourageant par la rédaction : 459 réponses10. Deux tendances se font jour dans les réponses, en dépit du caractère faiblement représentatif de l’échantillon. Elles nous semblent indicatives des choix de la politique rédactionnelle ou du moins de l’image que la rédaction souhaitait voir renvoyée d’elle-même. Vivre à Antony doit correspondre aux besoins de ses lecteurs (78, 8 %), vivant (91,5 %), moderne et dynamique (92,6 %), surtout, et c’est le titre d’un des encadrés, pratique et utile (94,4 %). Il serait la première source d’information locale pour les habitants d’Antony, devant l’affichage urbain jugé lui aussi satisfaisant. Le journal est cependant appelé à se transformer car cinq de ses rubriques n’obtiennent pas la moyenne, en particulier le Carnet, le Courrier et le Sport (bon dernier). En revanche d’autres sont attendues dont le contenu n’était pas plus explicité : Pourquoi ? Comment ? Combien ? Dossiers sur les grands problèmes et un Dossier d’histoire régionale.
16Ces prescriptions indiquent un désir de renforcer l’ancrage local par l’histoire et les éléments de vie pratique. Le dossier sur les grands problèmes paraît contradictoire avec cette perspective et ne connaît pas de suite, signe que l’enquête devait légitimer une orientation prédéfinie du bulletin. Un dossier qui approfondit un aspect de la politique urbaine en revanche s’impose bientôt. La politique générale reste à la porte de ce bulletin alors qu’à plusieurs reprises Patrick Devedjian avait dans ses éditoriaux et dans ces choix associatifs orienté l’aide municipale dans une direction partisano-humanitaire : aide à l’Arménie, exaltation de l’effondrement du mur de Berlin, soutien à la politique gouvernementale entre 1986 et 1988. Mais n’est-il pas le seul à avoir le droit de parler des enjeux nationaux ?
17Le nouveau cours éditorial suppose que la politique soit exceptionnelle et cantonnée dans un cadre visible pour le lecteur de façon que le maire apparaisse comme le responsable d’une publication neutre et comme un personnage au-dessus des Apartis. Le point d’aboutissement de ce raisonnement est la mise en place à partir de 1996 de pages de politique réservées aux groupes de la majorité municipale au nom de l’équilibre avec les forces d’opposition : trois demi-pages pour l’opposition et autant pour la majorité. Leur traitement n’est pas identique. Depuis leur origine en 1989 les pages de l’opposition sont traitées par leurs commanditaires. Ceux-ci fournissent un typon ou un film transmis tel quel aux imprimeurs. La rédaction du journal se préserve ainsi de toute accusation éventuelle de manipulation11. Les groupes de la majorité confient leurs pages au maquettiste du journal. De là une différence visible dans l’insertion de ces pages. Cela limite l’effet d’autonomisation pourtant né du recul de la propagande politique pendant les périodes électorales.
Les principales orientations de l’image du maire
18L’observation synchronique du corpus met au jour d’autres stratégies visuelles. Sur le rythme annuel des images d’abord. Sur les effets à long terme de cette thématique ensuite. Sur la mise en scène enfin.
Des images saisonnalisées
19Le nombre d’images du maire n’est pas constant dans l’année ni même par numéro, si l’on exclut les périodes d’interdiction légale, où il est nul. Une saisonnalité est perceptible. La moyenne mensuelle des photographies sur l’ensemble de la période étudiée montre l’existence de quatre mois lors desquels le maire est davantage visible. La lecture de cette saisonnalité croisée à la thématique des photographies est indicative d’un choix de communication et d’une certaine pratique routinière de l’activité municipale.
Nombre de photographies du Maire par mois

20La première des pointes correspond au mois de février. C’est le numéro dans lequel toutes les activités festives correspondant à la nouvelle année sont abordées. On y voit en particulier plusieurs clichés de Patrick Devedjian recevant à l’hôtel de ville les principales associations ou corps de métier pour leur adresser les vœux de la municipalité. Le record pour ce type d’images a lieu en février 1992 où pas moins de 14 photographies y sont consacrées en un seul numéro.
21Il faut attendre l’été pour retrouver une telle présence. Ce sont les commémorations du mois de juin — le débarquement et le retour des camps — qui alimentent le numéro. Cette dernière manifestation est très importante dans une ville qui possède une forte communauté juive et qui abrite une synagogue. Vient ensuite la fête d’Antony qui eu parfois les faveurs de quelques artistes grand public, venus « faire les ménages » pour un élu de leur mouvance politique à l’instar de Danièle Gilbert qui pose, en 1986, avec Patrick Devedjian12. S’y ajoutent parfois des photos du maire à des manifestations sportives.
22Au mois d’octobre les clichés pris à l’occasion de la foire aux fromages et aux vins, prennent le relais. Cette réunion commerciale, lancée par la mairie, suscite des attractions parallèles pour les enfants. Patrick Devedjian n’hésite pas à y paraître en simple curieux, sans veste ni, bien sûr, écharpe officielle. La Libération d’Antony célébrée au mois de septembre fournit quelques prises plus classiques à la rédaction. C’est en personnage symbole que le maire s’y rend.
23Décembre est l’occasion d’une débauche d’images, lors de la préparation des fêtes de Noël et d’initiatives en faveur des enfants. Les jumelages sont aussi à l’honneur à cette période. On trouve le bref reportage sur le 11 novembre, toujours avec le maire. Progressivement le mois de décembre a perdu son intensité propagandiste. La nécessité d’accoler l’image de Patrick Devedjian aux fêtes de fin d’année semble décroître à partir de 1987. La différence avec les autres mois de pointe s’estompe. Décembre devient un mois routinier : remises de médailles, mariages... Les classiques.
24La présence du maire à l’image est donc en partie dépendante de l’actualité locale et des activités auxquelles cet élu est tenu de prendre part. La ressource image est facilement mobilisable en ces occurrences car la ville dispose d’un photographe officiel chargé des reportages. Il tient les clichés à la disposition des services municipaux. Mais le calendrier n’est pas totalement dépendant de la conjoncture. Il correspond aussi au désir de mettre en valeur certains aspects. D’abord le rôle de médiateur de la collectivité tenu par le maire. D’où l’insistance sur les cérémonies publiques et la fréquence des images de Patrick Devedjian en position institutionnelle par rapport à une fraction de la population municipale. Il faut aussi montrer jusqu’en 1988 que le jeune élu remplit pleinement ses attributions. De là l’éclipsé relative des aspects les plus pesants de cette entreprise à mesure que l’installation au pouvoir s’éloigne et que la position institutionnelle s’identifie à l’homme, dans la durée, comme c’est le cas lors des vœux de début d’année et des solennités de fin d’année.
Les thèmes des photographies du maire
25Cette stratégie visuelle est confirmée par l’étude des principaux thèmes des photographies sur lesquelles apparaît le maire.
Les thèmes des photos

26Ce sont les photographies de groupe qui dominent le corpus13. La primauté des commémorations explique ce constat. Sur ces images le maire apparaît toujours avec plusieurs personnages, généralement situés sur le même plan que lui. Parfois, seule une foule est visible à l’arrière plan. Plus souvent ce sont d’autres acteurs officiels qui l’accompagnent au cours des célébrations. La mise en scène des photographies est stéréotypée. Lors de manifestations en faveur de la jeunesse ou d’un événement avec de nombreux spectateurs notamment, il se tient dans la foule des anonymes, à la différence près qu’il en occupe le centre. Sa tenue est dans plus de 90 % des cas un complet-veston avec une cravate, sorte d’uniforme des élus. Les images de décontraction restent assez rares mais sont significativement apparues après 1988, c’est-à-dire après la phase d’installation.
27L’iconographie porte donc une vision avant tout institutionnelle du maire. Les images montrent prioritairement un homme dans l’accomplissement de sa fonction voire d’un rituel. Ce que cette thématique signifie dépasse la simple communication à destination d’un public disjoint mais unifié par la notion d’électorat. Se profile en filigrane l’idée que la présence du maire fait le contexte municipal. Sur le long terme, et en dépit des interruptions dues au cadre légal, cette pratique a un effet contraignant sur l’opinion. Nulle réunion n’est véritablement municipale sans la présence de l’élu. La tactique civique de l’opposition en est singulièrement réduite. Elle ne peut tenir que des meetings et doit se contenter de mener des attaques contre la politique de l’homme en place alors qu’il lui faudrait mettre en cause l’identification même entre l’homme, la magistrature et l’institution urbaine. La publication d’un magazine d’opposition ne corrige pas cet effet dans le mesure où il n’est que rarement distribué à la population. Quant à l’utilisation des pages laissées à sa disposition dans le bulletin officiel, elle produit presque un contre effet. Les élus de l’opposition s’escriment à contester une politique sur une demi-page alors que toutes les réalisations de la municipalité sont présentées, dans un style presque objectif, comme autant de pièces cumulatives pour un bilan favorable, sur plusieurs dizaines de pages. Point d’espoir de sortir de ce cercle vicieux sauf à construire une solution alternative fondée sur une recomposition des rendez-vous et des rituels municipaux. Bref, une liturgie. Mais vue la situation de l’opposition divisée entre des groupes davantage concurrents que compléments une telle réalisation reste un vœu pieux.
Éléments pour construire la personnalité d’un élu
28Le mensuel contribue à affiner l’image aimable du maire afin de maintenir le soutien que lui apportent ses concitoyens. Ici, le portrait officiel remplit une fonction plus importante encore qu’à l’échelle nationale.
Pour un portrait officiel
29La thématique laisse, en effet, une large place aux portraits de Patrick Devedjian. Son image accompagne systématiquement l’éditorial qu’il signe dans le journal. Ce portrait se retrouve parfois sur d’autres documents municipaux, notamment les affiches qui livrent les horaires des audiences du député-maire. Les mairies annexes en possèdent toutes une de même que les autres bâtiments du domaine de la ville. Il existe donc un portrait officiel. Sa logique de représentation n’a pas été permanente et stable. Plusieurs portraits officiels se sont succédés ; de même les portraits illustrant l’éditorial de Vivre à Antony ont-ils connu une évolution.
Tableau : L’évolution des portraits du maire dans le bulletin

30Le plus durable de ces clichés et celui qui fut le plus officialisé par une large diffusion sous forme d’affiche est celui de janvier 1993 qui présentait Patrick Devedjian assis derrière son bureau, en bras de chemise et cravate, souriant : l’homme feint de s’interrompre dans son travail pour une brève pose.
31Le précédent tableau appelle cependant quelques remarques. La première a trait à la chronologie du renouvellement iconique. Les années à cheval entre les deux mandats sont celles pendant lesquelles les hésitations furent les plus grandes dans le choix d’un portrait, 1988-1990. La seule année 1989, électorale on s’en souvient, voit quatre changements. Avant les élections, en 1988, il s’agit de substituer un cliché plus récent à l’image jeune et joviale de 1985. Après les élections de 1989 s’impose une posture plus respectable, celle de l’efficacité et de la modernité, pour le second mandat.
32En 1991, le cliché rompt avec une longue pratique de plans rapprochés, inaugurant une nouvelle stratégie. Le côté conventionnel du costume cède la place à une image plus décontractée. « L’efficacité proche de vous » semblent dire ces images. La photographie de janvier 1993 et sa relative pérennité solidifient un temps cette nouvelle politique visuelle. En septembre 1995, en revanche, le retour à une image en léger profil avec une veste, prise en extérieur, indique le désir de se situer sur un autre plan que la gestion des affaires quotidiennes. La figure de l’homme-institution reparaît. Patrick Devedjian entame alors son troisième mandat. Cette image produit un effet de distanciation par rapport au public. Comme si l’élu ne se mettait plus au service de la collectivité mais prétendait redevenir une institution en soi et donc laissait percer une ambition autre que locale.
Ressources d’un leader national
33Le recours à des ressources visuelles extramunicipales est un des éléments forts de cette tactique. Le maire d’Antony est en effet un personnage important dans le dispositif du RPR et c’est même son haut niveau dans la machine partisane qui lui a valu la possibilité de constituer un fief dans le sud des Hauts-de-Seine. Son action nationale fut encore renforcée par son soutien à Edouard Balladur dès avant la cohabitation et fit de lui un ministrable. Initialement, il jouissait de la faveur de Jacques Chirac, et cela lui a permis une carrière rapide et dès 1986 une candidature à la députation. Son élection comme député est le véritable accélérateur de sa promotion au rang de personnalité nationale.
34Cette ressource est surtout utilisée dans la communication municipale entre 1986 et 1988 mais elle revient régulièrement. La méthode est simple, il suffit de montrer le député-maire au côté des leaders nationaux et particulièrement des ministres, la légende insistant sur ces qualités.
35Le procédé révèle l’existence d’un argument implicite. Le détail des références à la politique nationale en témoigne. En 1986 la ville d’Antony obtient un bureau de poste supplémentaire pour un des quartiers éloignés du centre, photo avec Gérard Longuet, un raccordement supplémentaire avec les transports régionaux, photo avec Jacques Douffiagues ; puis en 1987 un réseau câblé assez précoce, encore une photo avec Longuet ; en 1988 aménagement d’une cuisine scolaire centrale, photo avec Philippe Séguin14... Ses rencontres avec les ministres pour la signature des protocoles ou lors des inaugurations prétendent montrer l’influence nationale du maire. L’argument repose sur l’idée que l’homme tire des gains pour la collectivité de sa force de conviction et de ses hautes relations. Cette dimension est toujours présente dans le balancement entre la position d’élu local et celle d’acteur national. Un effet parallèle ou complémentaire de ce jeu est visible dans la mise en scène plus régulière de personnages de marque dans les cérémonies municipales. Ces personnalités, de Philippe Séguin à Charles Pasqua (ici autorité intermédiaire comme président du conseil général), sont autant de preuves de l’importance donnée au maire et à la ville : des indices de rayonnement. Au fond, la mobilisation du prestige national est une forme d’établissement de la notabilité, une manière étonnante en un pays centralisateur de prouver la noblesse de sa situation. Trop affirmée elle risque cependant de modifier la figure du maire, de métamorphoser le représentant des citoyens en aristocrate électif.
36La figure du maire dans Vivre à Antony emprunte donc à des répertoires différents. Deux logiques émergent qui peuvent être contradictoires lorsqu’elles sont mal dosées. La première est celle de l’institutionnalisation qui suppose la recherche systématique des clichés les plus légitimes socialement et politiquement. Le magistrat occupe le centre de l’image et porte tous ses insignes officiels ; il peut bénéficier de la présence de personnalités plus prestigieuses encore que lui. La propagande joue alors sur l’autorité acquise pour peser sur l’opinion. La seconde est celle de la proximité avec l’électeur. L’élu doit ainsi être omniprésent. Il s’identifie à chacun des groupes sociaux de sa commune et en revêt les oripeaux, quitte à lâcher le traditionnel costume-cravatte pour une fête détendue. Cette stratégie de la simplicité pourrait fragiliser, si elle était excessivement utilisée, l’image lentement structurée d’homme officiel. Dans le cas de Patrick Devedjian, le journal a trouvé une formule de compromis qui repose sur un idéal de spécialisation et de travail avec les associations c’est-à-dire avec une opinion institutionnalisée. La figure de l’homme politique compétent en émerge. Or, l’écoute et la proximité sont un des signes contemporains de la compétence et de l’autorité.
37On retrouve ici une tendance générale de la communication politique : établir l’image à partir de certains présupposés de réception. D’autres journaux municipaux ont le même fonctionnement, dans les Hauts-de-Seine et ailleurs. Pourtant les liens entre ces journaux ne sont pas institutionnels. L’association des maires de France s’intéresse peu à cette dimension, dans la formation des magistrats urbains. Les rédacteurs et les dirigeants des bulletins municipaux ne proviennent pas d’une même filière et ont rarement suivi des cursus spécifiques de communication. La pratique entraîne cependant des comportements similaires. L’imitation aussi. Car tous ces journaux se regardent et s’apprécient. Les directeurs de publication empruntent les uns aux autres les recettes efficaces et souvent en discutent lorsqu’il leur arrive de se rencontrer15. Les méthodes de propagande et les techniques de communication apparaissent ici comme un savoir mobile, loin des constructions dogmatiques. L’historien constate que, dans ces organes, l’objectif d’influence a finalement conduit à la structuration d’un véritable secteur d’information locale. Émerge une figure nouvelle, exemplaire de la presse contemporaine, dans laquelle l’information ne renvoie plus à une appartenance sociale (la nouvelle comme base pour la conservation d’une élite) mais ressort d’une technologie subtile de domination. Curieuse évolution d’un organe politique vers un discours « objectif » pour mieux exercer son influence quand la presse nationale, de son côté, renonce à son autonomie pour servir d’autres intérêts que ceux de ses lecteurs.
Notes de bas de page
1 Antony - Bulletin municipal officiel, n° 1, décembre 1983. À partir du numéro deux, il prend pour nom Vivre à Antony.
2 Idem.
3 Elle trouve sa forme canonique à partir de février 1985.
4 Rubrique « L’Agenda du maire », dans Vivre à Antony, n° 26, novembre 1988.
5 Sur ce concept voir « Citoyenneté et citadinité en Italie (xixe-xxe s.) », dans Sud, Bulletin du CERIM, Rome, École française de Rome, n° 6, 1996, 294 p.
6 Vivre à Antony, n° 33, septembre 1989. Le tabloïd cède la place à un magazine tout en couleur.
7 Vivre à Antony, n° 23, juin 1998.
8 Vivre à Antony, n° 78, janvier 1994, p. 21.
9 Idem.
10 Vivre à Antony, n° 82, mai 1994.
11 Entretien avec Agnès Doitrand-Laplace, rédactrice en chef de Vivre à Antony, le 4 février 1998.
12 Vivre à Antony, n° 14, juillet 1986, p. 32.
13 Les photographies étant accompagnées de textes il n’est guère difficile de les qualifier en fonction d’un certain type de pratique de l’activité de maire. Les titres de pages, de rubriques ou de reportages pour les séries de photographies nous ont aidé à construire les différentes catégories thématiques que nous avons utilisées ici. L’accent y est le plus souvent mis sur un événement et sur un public auquel il a été donné de voir Patrick Devedjian. La légende précise ensuite le sens que la rédaction du journal assigne à la photographie. Nous avons donc dans un premier temps relevé les catégories ainsi définies par le journal pour effectuer nos comptages. Dans un second temps nous avons regroupé certaines catégories numériquement faibles en fonction des stratégies de communication détectable, notamment en fonction du public visé. Ainsi, la catégorie jeune regroupe parfois des documents sur lesquels apparaissent des adolescents primés pour une activité extrascolaire et certaines images sur lesquelles le maire en visite dans une école rencontre des enfants. Il y avait là sans doute deux optiques différentes sur l’idéal éducatif de Patrick Devedjian mais il nous semble que l’ensemble concoure à construire une certaine représentation de la relation entre le maire et les jeunes. Les catégories pour lesquelles cette question s’est posée étaient : jeunesse, personnes âgées et médailles. Cette dernière thématique regroupait des images avec une mise en scène identique : le maire au milieu d’un groupe de lauréats de face, en ligne, à l’occasion d’une remise de médaille de la famille (des femmes) ou du mérite (des hommes). Là encore, deux idées différentes obéissent à une logique similaire correspondant à une activité éminente de la magistrature, l’allocation de récompense. Avec ce système il était possible de classer les photographies suivant un choix simple tant les volontés de la rédaction du journal étaient clairement exprimées.
14 Vivre à Antony, n° 16, décembre 1986 ; n° 18, mai 1987 ; n° 23, juin 1988.
15 Entretien cité avec Agnès Doitrand-Laplace.
Auteur
Fabrice d’ALMEIDA, ancien membre de l’École française de Rome, est actuellement maître de conférences à l’université de Paris X-Nanterre. Co-fondateur de la revue L’Image, il a notamment publié :
- Images et propagande, Paris, Casterman, 1995,192 p.
- La Question médiatique, ouvrage présenté par F. d’ALMEIDA, Paris, Seli Arslan, 1997, 224 p.
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