Chapitre 3. De l’institution à la loi : naissance de la sage-femme française
p. 109-155
Texte intégral
1Entre 1802 et 1803, le paysage de l’enseignement obstétrical français connaît un bouleversement sans précédent. L’école de l’Hospice de la Maternité de Paris est créée le 11 messidor an x, puis la loi du 19 ventôse an xi dispose expressément, en son titre v, De l’instruction et de la réception des sages-femmes. À l’orée d’une nouvelle époque, les méthodes de formation obstétricale les moins efficaces et les plus coûteuses ont été écartées, les exigences scientifiques et sociales ont été posées. La sage-femme est devenue un instrument-clé dans l’accomplissement d’un devoir politique envers la vie.
2Dans l’émergence simultanée du modèle de l’école nationale, l’Hospice de la Maternité de Paris, et du modèle du cours d’accouchement départemental, l’idéal et la pratique se confrontent. Il en surgit une identité professionnelle, vite érigée en référence exportable dans tous les espaces sous influence ou domination française.
École exceptionnelle, école unique : l’Hospice de la Maternité de Paris
Et Paris ?
3Alors que de toute la France, annonces de cours d’accouchement, projets de cours, demandes d’autorisation remontent au ministre de l’Intérieur, Paris semble formellement en retrait de la riche variété des lieux d’apprentissage de l’obstétrique qui s’y côtoyaient sous l’Ancien Régime. Au regard des règlements qui entrent en vigueur en ce tout début de xixe siècle, les trois villes sièges des écoles de médecine (Paris, Strasbourg et Montpellier) ne sont pas censées disposer d’autre établissement de formation médicale, ces écoles remplissant en théorie tous les besoins, et aucune exception n’étant prévue, même pour la capitale. Qu’en est-il dans les faits ?
4Le monde de l’enseignement privé d’avant la Révolution, avec ses cours d’accouchement au domicile du chirurgien, du médecin ou de la sage-femme, perdure1. La liberté de métier, la quasi disparition des anciennes institutions enseignantes, la lenteur à les remplacer forment un terreau particulièrement riche pour la floraison de démonstrateurs libres. Les cours privés les mieux connus sont ceux destinés aux étudiants en médecine et en chirurgie, mais les apprenties sages-femmes en bénéficient tout autant2. Exemple parmi d’autres, qui met en scène un des accoucheurs les plus véhéments et les plus controversés de la place de Paris : le cours théorique et pratique d’accouchement du chirurgien Jean-François Sacombe ouvert pour la vingt-et-unième année le 1er germinal an vii, rue Gît-le-Coeur3. Sacombe se présente comme professeur de médecine et de chirurgie des accouchements au « Palais national des sciences et des arts », c’est-à-dire au Louvre.
5Il existe par ailleurs à Paris une tradition ancienne de formation institutionnelle des sages-femmes4. Depuis le xive siècle, le service de maternité de l’Hôtel-Dieu, l’Office des Accouchées, accueille des apprentisses. Celles-ci sont en petit nombre (cinq à six) jusqu’au xviiie siècle et suivent pendant trois mois les leçons et les démonstrations de la maîtresse sage-femme. En 1735, une réforme double les effectifs et met en place deux cours simultanés, un réservé aux élèves sages-femmes souhaitant s’installer à Paris, et l’autre, à celles qui veulent exercer en province. Une vingtaine d’accoucheuses instruites sort désormais annuellement de cette institution qui devient une référence européenne par la qualité de l’enseignement qu’elle dispense et l’exceptionnelle formation clinique à laquelle les élèves ont accès5. Néanmoins, l’installation de ce service au sein de l’Hôtel-Dieu laisse fortement à désirer et les accouchées y sont, selon le Mémoire sur les hôpitaux de Paris de Jacques-René Tenon, dans une « situation déplorable6 ». Promiscuité, entassement, proximité entre femmes en couches, femmes enceintes et femmes malades font de ce service un repoussoir pour les hygiénistes et un « mouroir » en temps d’épidémie7.
6La législation sociale des débuts de la République souligne la nécessaire association entre aide aux femmes en couches et lutte contre l’abandon des nouveau-nés ; elle encourage le rapprochement de l’Office des Accouchées et de la Maison de la Couche devenue Hospice des Enfants trouvés8 qui aboutit malgré quelques rebondissements au déménagement en 1795 des deux services, réunis sous le nom d’Hospice de la Maternité, dans les bâtiments de Port-Royal et de l’Oratoire (ill. 1)9. Au sein de la nouvelle organisation, les cours à destination des sages-femmes sont les derniers à retrouver leur place10.
7La formation des accoucheuses s’interrompt donc quelques mois avant de reprendre à l’identique sous la houlette de Marie Dugès, sage-femme en chef de l’Hôtel-Dieu depuis 177511, et de sa fille, Marie-Louise Lachapelle qui remplit depuis 1795 les fonctions d’adjointe de sa mère avant de lui succéder en 1798 (ill. 2). Le nombre de sages-femmes instruites à l’Hospice de la Maternité pendant ces années reste cependant limité12. La dernière « promotion » d’apprentisses quitte l’hospice le 2 nivôse an ix, quelques mois après la publication du décret de création de la nouvelle école13.
8L’autre pôle d’enseignement obstétrical parisien est l’École de santé. Le cours magistral d’accouchement est un cours semestriel qui se tient pendant l’été, de germinal à vendémiaire14. Selon l’art. 8 du règlement du 14 messidor an iv, il se divise en un cours pour les étudiants en médecine et les élèves de la patrie pendant les quatre premiers mois et un cours pour les élèves sages-femmes pendant les deux mois restants15. La chaire d’accouchements est conjointement détenue par le médecin Alphonse Leroy et le chirurgien Jean-Louis Baudelocque (ill. 3), respectivement professeurs titulaire et adjoint16.
9Après un cours annulé en thermidor de l’an iv17, le premier cours pour les sages-femmes débute, sur proposition d’Alphonse Leroy, le 1er pluviôse an v et se tient dans l’amphithéâtre de perfectionnement pour la clinique. Il peut être ouvert à quelques étudiants en médecine « laissant à [la] prudence [du professeur] à en faire le choix, à en fixer le nombre, et le chargeant, sous sa responsabilité, d’y faire régner la décence18 ». Soucieuse d’obtenir la plus large audience, l’École de santé fait annoncer le cours par des affiches et par une lettre circulaire envoyée à l’ensemble des départements appartenant au ressort de l’établissement.
10L’enseignement est finalement confié à Jean-Louis Baudelocque qui remplace le professeur titulaire, façon de ménager l’amour-propre des deux praticiens en leur offrant à chacun un domaine d’exercice précis. Or, Baudelocque est le plus apte à assurer ce cours. Ses Principes de l’art des accouchements sont, depuis leur première édition en 1775, une référence essentielle des manuels d’obstétrique pour les sages-femmes19. Son expérience pédagogique (collège de chirurgie de Paris depuis 1771) n’a d’égale que son expérience pratique et il conserve pendant la Révolution à Paris une clientèle nombreuse20. De son côté, Alphonse Leroy, ancien docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, s’est toujours montré plus sensible au développement de la formation obstétricale des médecins qu’à celle des sages-femmes. Son projet présenté à l’Assemblée nationale en 1790 et intitulé Motifs et plan d’établissement, dans l’hôpital de la Salpêtrière, d’un séminaire de médecine pour l’enseignement des maladies des femmes, des accouchements et de la conservation des enfants n’est destiné qu’aux étudiants en médecine. Après le rejet de cette première proposition, Leroy persiste en rédigeant un second mémoire adressé à la municipalité parisienne où il envisage l’ouverture d’un « séminaire de médecine » couplé à l’école vétérinaire d’Alfort, déménagée à Paris dans les locaux de l’ancienne abbaye Saint-Victor21. Nulle mention de sages-femmes dans ces deux projets, et un rejet très clair de ce que Leroy considère comme une mainmise indue de la chirurgie sur l’obstétrique. Rien d’étonnant donc à le voir quelques années plus tard conserver la haute main sur les cours réservés aux étudiants en médecine de l’École de santé.
11La claire partition de l’enseignement obstétrical dans cette institution, qui ouvre sur une chaire des accouchements bicéphale, efface la traditionnelle distinction entre professeur titulaire et professeur adjoint (ou prétendant) : le médecin et le chirurgien sont professeurs à part entière. Dès le 21 floréal an vi, à la demande de Jean-Louis Baudelocque, la durée du cours pour les sages-femmes passe de deux à trois mois et les élèves masculins en sont exclus. Il obtient en outre qu’en lieu et place du certificat de présence et d’assiduité habituellement délivré à la fin du cours, les élèves accoucheuses reçoivent un certificat de capacité, rétablissant ainsi la délivrance d’un diplôme22.
12Malgré une durée équivalente, une différence fondamentale sépare le cours de l’Hospice de la Maternité et celui de l’École de santé : l’accès à un enseignement clinique. Les élèves de Jean-Louis Baudelocque doivent, comme les étudiants en médecine, se contenter d’un cours magistral23, même si le Conseil des hospices de Paris autorise le 11 thermidor an x quelques-unes des élèves de l’École à assister, en présentant une carte d’entrée, aux cours professés par Baudelocque à l’Hospice de la Maternité, sans les admettre toutefois aux exercices pratiques24.
13L’enseignement institutionnel parisien de l’obstétrique avant 1802 est donc pris entre deux établissements aux réelles insuffisances dont la complémentarité ne va pas de soi. L’École de santé, structure de référence du nouvel enseignement médical révolutionnaire, n’a pas les moyens des ambitions qu’on entend lui faire porter. Par ailleurs, en perpétuant à l’identique la tradition d’assistance et de transmission professionnelle de l’Office des Accouchées dans le jeune Hospice de la Maternité, la Convention conserve à Paris un établissement exceptionnel dans ses potentialités pédagogiques mais incapable en l’état de répondre aux besoins quantitatifs d’accoucheuses instruites.
14Dans les projets législatifs de l’an ix, la réforme tant attendue de l’enseignement médical n’intègre pas cette bipolarité parisienne et de ce point de vue, la création par Chaptal de l’école de l’Hospice de la Maternité de Paris en messidor de l’an x n’entre pas dans le schéma initial des législateurs. Elle se comprend plutôt dans une généalogie française et parisienne, celle déjà évoquée de l’Office des Accouchées, mais aussi dans un mouvement européen de fondation et de développement des maternités-écoles, et enfin comme un espace d’élaboration d’une définition spécifique de la sage-femme.
Maintien et invention de la Maternité dans la constellation européenne
15L’arrêté du 11 messidor an x naît d’un projet d’organisation du service de la maternité présenté par le Conseil d’administration des hospices de la ville de Paris au ministre de l’Intérieur25. Ce projet et l’arrêté qui en découlent ont pour objet de fixer les deux principaux aspects du service qui sont : l’instruction des élèves sages-femmes et le service des enfants trouvés.
16En 1802, l’école de l’Hospice de la Maternité de Paris prend donc sans solution de continuité la suite des cours donnés aux apprentisses par la sage-femme en chef de l’Hôtel-Dieu. Le principe d’une école où le volet clinique constitue l’axe structurant de l’enseignement est conservé. Mais le personnel enseignant et la taille des classes n’ont plus rien à voir avec la transmission quasi familiale du savoir par la sage-femme en chef à ses quelques élèves. Les leçons sont désormais données pour la théorie par le chirurgien-accoucheur en chef et pour le « manuel des accouchemens » par la sage-femme en chef (art. 8 et 9). Quant au nombre d’élèves, il est fonction de ce que les bâtiments peuvent accueillir (art. 2). L’arrêté-règlement prévoit même qu’en cas de dépassement de ce nombre, le conseil d’administration des hospices trouve des logements supplémentaires « si mieux n’aiment les élèves se loger à leurs frais » (art. 4). La durée de formation est doublée (six mois), voire quadruplée lorsque les élèves suivent deux cours consécutifs (art. 5 et 6).
17Au bout du compte, le changement d’échelle est spectaculaire. Numériquement, on passe d’une dizaine d’élèves à une centaine par an pendant les premières années d’existence de l’école26. Pédagogiquement, l’adjonction d’un autre enseignant à la sage-femme, le chirurgien-accoucheur en chef, semble rompre avec la logique d’un enseignement strictement féminin. Géographiquement, le ressort de l’école de l’Hospice de la Maternité de Paris est l’ensemble de la France, soit le ressort des trois écoles de médecine. Dernière caractéristique : l’établissement n’est ouvert qu’aux élèves féminines, après que la proposition du service de santé des hôpitaux de Paris d’y admettre des étudiants en médecine a été repoussée27.
18La principale raison donnée de cette éviction des hommes est la préservation de la pudeur et de la moralité des élèves. Marie-Louise Lachapelle s’insurge contre la perspective d’un enseignement mixte28, et plus tardivement, c’est encore cette raison qui revient sur les lèvres des obstétriciens parisiens lorsqu’ils évoquent la fermeture de la Maternité à la gent masculine29.
19Encadrement pédagogique renforcé, élargissement de l’audience de la formation, approfondissement du savoir délivré : l’établissement nouvellement créé acquiert une place à part dans le réseau européen des maternités-écoles. Pour prendre la mesure de cette place, il faut revenir sur celle de l’Office des Accouchées avant lui. La primauté et l’antériorité de l’établissement parisien en font l’ancêtre et le point de mire de toutes les institutions européennes de formation obstétricale.
20L’Italie est un excellent exemple de cette influence française. Dans la continuité de la tradition savoyarde d’appel à des sages-femmes françaises, la maternité de Turin fondée en 1720 met à sa tête une ancienne élève de l’Hôtel-Dieu et huit ans plus tard, une réforme en fait une véritable école de sages-femmes sur le modèle parisien30. Aux marges du royaume de France et de là, dans l’Empire, l’inspiration puisée à l’Office des Accouchées de Paris est réinventée à la lumière de l’importance accordée à l’enseignement universitaire. Strasbourg, sous la houlette de Jean-Jacques Fried et du prêteur royal Klinglin, réforme entre 1728 et 1737 le statut des accoucheuses de la cité et leur formation31. La création en 1737 d’une véritable école pratique dans les locaux de l’hôpital civil32 offre à la ville son « Office des Accouchées » rhénan, « école mère de toutes celles de l’Allemagne33 ». Elle inaugure dans l’espace germanique une association, alors inédite mais appelée à un bel avenir : celle de la réunion, dans un même établissement d’enseignement, des sages-femmes et des étudiants en médecine. La création de l’école pratique est ainsi confortée par la création conjointe d’une chaire extraordinaire de l’art des accouchements à la faculté de médecine, détenue par le Hebammenmeister (professeur de l’art des accouchements) puis par son adjoint. Le lien entre université et école d’accouchement est posé, même s’il faut attendre la création de la maternité-école de Göttingen en 1751 pour qu’une institution de ce type ait officiellement un statut universitaire34. Élève et compatriote de Fried à Strasbourg, Johann George Roederer reçoit lui aussi le titre de professor extraordinarius35. L’enseignement de l’obstétrique entre donc par la bande – un statut de professeur extraordinaire36 – dans le paysage des facultés de médecine. L’association officielle entre un établissement d’accueil des parturientes et le cursus universitaire devient le nouveau modèle de l’enseignement obstétrical, semant l’Empire d’une multitude de maternités-écoles dans la seconde moitié du siècle : Berlin (hôpital de la Charité, 1751), Cassel (1763), Brunswick (1768) et tant d’autres dans la décennie 177037.
21Mais l’émergence d’une formation clinique à destination des étudiants en médecine et en chirurgie, de plus en plus fréquemment inscrite dans le cadre universitaire, renvoie de facto les sages-femmes au second rang des préoccupations pédagogiques affirmées, comme le résume en 1800 Osiander, successeur de Roederer à la tête de la maternité de Göttingen : « Le centre d’accouchement de Göttingen a d’abord pour but de former des obstétriciens compétents, dignes du nom de Geburtshelfer. Son deuxième objectif est de former des sages-femmes38 ».
22La diffusion de ce nouveau modèle est remarquable et résulte d’un triple mouvement. Le premier aspect est politique et institutionnel, dans un espace germanique où l’université est un instrument d’affirmation des micro-États impériaux39. La diffusion du nouveau modèle est en second lieu individuelle et érudite, par la circulation perpétuelle des hommes de sciences à travers l’espace germanique et, plus largement, à travers l’Europe40. Le mouvement, enfin, est scientifique, avec l’apothéose d’un savoir-faire – l’art des accouchements – en savoir – l’obstétrique41. Il ne s’agit plus seulement d’aider à terminer un accouchement lorsque la nature fait défaut mais bien de comprendre les mécanismes les plus profonds de ce phénomène42. L’obstétrique opératoire n’est plus qu’une facette parmi d’autres de cette spécialité médicale43.
23Toutefois, la pertinence d’un enseignement strictement réservé aux sages-femmes à la fois du point de vue temporel (cours à une période précise de l’année) et institutionnel (maternité-école spécifique) n’est au fond pas complètement écartée par le modèle universitaire. Strasbourg accueille à partir de 1779 une école d’accouchement pour les élèves sages-femmes de la campagne abritée dans les locaux de l’hôpital militaire44. Au-delà, l’espace germanique compte aussi quelques maternités-écoles pour les seules futures accoucheuses quand nombre d’établissements veillent à faire alterner pendant l’année les cours pour chacun des publics.
24L’éducation des accoucheuses reste un objet de grand intérêt pour les élites politiques et médicales. L’exemple de Göttingen, étudié par Jürgen Schlumbohm, est révélateur des enjeux différenciés que recouvrent l’instruction des futurs médecins et celle des futures sages-femmes. La comparaison entre les effectifs des deux groupes qui suivent les cours de Friedrich Benjamin Osiander entre 1792 et 1800 révèle une large disproportion en faveur des étudiants en médecine (600), tandis qu’à peine une centaine de sages-femmes reçoivent leur instruction dans le même cadre45. Mais seules les secondes sont réellement destinées à fournir l’encadrement obstétrical des villes et villages du Hanovre. L’autorisation d’exercer n’est délivrée désormais qu’aux femmes qui ont suivi auparavant le cours trimestriel de l’université. De surcroît, à la maternité de Göttingen, les futures sages-femmes bénéficient bien plus que les étudiants en médecine d’une vraie formation pratique (examen, accouchement) hebdomadaire voire bi-hebdomadaire, signe qu’à l’opposé des professions de foi d’Osiander sur la nature universitaire de son enseignement, la dimension pratique de ce dernier bénéficie avant tout à celles qui en ont le plus besoin46.
25En Russie, c’est encore la formation des sages-femmes (strictement séparée de celle des étudiants en médecine) qui est privilégiée : fondations des impératrices Élisabeth Petrovna, Catherine II et Maria Feodorovna entre 1754 et 1800 à Saint-Pétersbourg et à Moscou, scolarité longue en instituts fermés, désignation d’élèves boursières ensuite envoyées dans les provinces47. La réforme de 1800 fait par ailleurs de l’Institut moscovite une école pionnière puisqu’à l’issue de trois ans de cours, les élèves peuvent échanger leur attestation de capacité de l’Institut contre un diplôme de l’université de Moscou48.
26Au bout de ce chemin se trouvent Paris et son école de l’Hospice de la Maternité. L’école créée par Chaptal est l’aboutissement d’une évolution circulaire. Dans les années 1720, l’Office des Accouchées répand son modèle en Europe ; au début du xixe siècle, le modèle revient affûté aux armes de plusieurs générations d’accoucheurs et de pédagogues. De Moscou à Paris, en deux ans, la légitimité d’une grande institution toute réservée aux élèves sages-femmes a refait vigoureusement surface. Que la résurgence ait lieu dans des États fortement peuplés et très majoritairement ruraux où l’encadrement médical de la naissance ne peut matériellement et moralement pas passer par des mains masculines n’est pas un hasard. À l’opposé d’un espace germanique où le pullulement des États leur impose de chercher un relais de puissance dans les institutions non strictement politiques que sont les universités, France consulaire et Russie tsariste, marquées par la force croissante du pouvoir central, appliquent, pour l’encadrement de l’accouchement, une démarche qui refuse tout intermédiaire entre le gouvernement et la sage-femme, instituée agent protecteur des peuples à naître. Conserver pour les seules accoucheuses le vaste champ clinique de l’Hospice de la Maternité de Paris manifeste alors l’individualisation d’un corps professionnel, celui des sages-femmes, volontairement soustrait pour son recrutement et sa formation au contrôle médical universitaire.
Une seule école pour former la sage-femme française : le ministre et le médecin
Le plaidoyer du ministre
27Depuis l’an iii, les écoles de santé forment en théorie des sages-femmes. Depuis l’an viii, des cours départementaux d’accouchement se multiplient de nouveau dans tout le pays. Fonder à Paris l’école de l’Hospice de la Maternité impose donc au ministre de l’Intérieur, Chaptal, de justifier sa décision, ce qu’il fait dans sa lettre-circulaire du 9 thermidor an x. L’argumentaire n’y consacre qu’une mince place à la déploration traditionnelle des méfaits des matrones, car l’intérêt du ministre réside dans la substitution d’une seule école nationale aux institutions départementales.
28Après avoir salué la « sollicitude » des préfets qui ont tenté d’établir des cours49, le ministre ne s’étend pas sur les défauts des créations précédentes, privilégiant la description des avantages de la jeune institution, tout en assénant l’interdiction à peine voilée de fonder de nouveaux cours :
La mesure que je vous indique est préférable à l’ouverture des cours d’accouchemens dans chaque arrondissement, puisque, indépendamment d’une instruction plus étendue, plus conforme aux principes, elle vous donne aussi, par l’économie dans la dépense, le moyen de former un plus grand nombre d’élèves.50
29Se saisir de l’argument financier à une période où l’autorisation ministérielle est indispensable au fonctionnement d’un cours est un appel à la bonne gestion autant qu’une menace. Le fond de la circulaire développe pourtant une réflexion bien plus profonde. La description de la formation délivrée dans la nouvelle école de l’Hospice de la Maternité consacre une pédagogie et fonde une exigence :
Tout, dans ce règlement, a été calculé pour la meilleure instruction possible à donner aux élèves sages-femmes. Là, non seulement elles recevront des leçons théoriques et élémentaires, mais elles y seront aussi exercées au manuel des accouchemens ; elles pourront même être appelées à tour de rôle à opérer dans quelques uns des cas difficiles. L’établissement, où près de deux mille accouchemens ont lieu par année, en offre tous les moyens ; il offre de plus la facilité d’y puiser la connaissance des observations et de tous les cas extraordinaires qui peuvent intéresser l’étude des accouchemens. Ainsi, de cette réunion de la pratique à la théorie, les élèves retireront nécessairement un grand avantage, et retourneront dans leur domicile avec des principes solides et bien développés, qui pourront faire enfin cesser les maux et les accidens que l’inexpérience n’a que trop souvent produits dans cette partie de l’art de guérir.51
30En 1802, dans bien des cours d’accouchements, le « recyclage » (Gélis) des matrones est encore le seul horizon. La création de Chaptal bouscule ce fatalisme et propose un idéal : une sage-femme pleinement compétente et légitime dans son rôle d’accompagnement des parturientes et des accouchées. L’enseignement, conçu selon cet idéal, rassemble toutes les facettes de l’obstétrique opératoire : la transmission des connaissances théoriques, celle du savoir pratique de base (mannequin) et son approfondissement par l’apprentissage clinique. L’Hospice de la Maternité, avec ses « deux mille accouchemens par année », est l’instrument privilégié de l’observation, puisqu’en six mois ou un an, les futures accoucheuses voient plus de naissances qu’en une décennie de carrière pour certaines. La répétition à cette échelle de l’observation offre une réplique en miniature des fantaisies de la nature. L’accouchement dystocique y est ramené à sa juste place, une relative rareté, mais reste suffisamment fréquent pour devenir une difficulté que la combinaison du savoir, de l’observation et de l’expérience peut résoudre.
Défense et illustration de l’Hospice de la Maternité par son professeur
31Deux textes postérieurs soulignent l’ambition et l’originalité de la Maternité : l’« avertissement de l’auteur » en tête de la troisième édition des Principes sur l’art des accouchements de Jean-Louis Baudelocque paru en 180652 et le Mémoire historique et instructif sur l’Hospice de la Maternité (1808), œuvre collective de l’agent de surveillance de l’établissement, Hucherard, du préposé à l’état civil, Sausseret, et du contrôleur du mouvement intérieur de l’hospice, Girault53.
32Le texte de Baudelocque, rédigé en 1805, alors que son auteur occupe depuis trois ans le poste de chirurgien-accoucheur en chef de l’Hospice de la Maternité pose un premier bilan de la toute jeune institution. Ouvrage ancien (1775), les Principes sur l’art des accouchements sont devenus en 1806 indissociables de l’institution dont ils sont le manuel de référence. L’avertissement en est la preuve, qui lie étroitement méthode et institution, enseignement obstétrical et Hospice de la Maternité :
[…] mais que pour atteindre ce but, il falloit changer quelque chose à l’organisation des nouvelles écoles, et en restreindre le nombre au lieu de les multiplier comme on le faisoit […] ; que cette instruction ne pouvoit être donnée que dans les grands hospices où l’on reçoit habituellement beaucoup de femmes enceintes : plus de deux cents élèves, sorties de celui de la Maternité de Paris, depuis trois années, avec le degré de savoir qui convient aux sages-femmes pour rendre de grands services à l’humanité, ne me laissant aucun doute en ce moment sur la possibilité d’en procurer de bonnes à toute la France […].54
33L’école parisienne est définie comme une réalisation exemplaire, sans être pourtant destinée à demeurer unique, la seule condition d’éventuels nouveaux établissements étant d’égaler la perfection de l’institution princeps. Dans ce cadre sans rival peut éclore la nouvelle sage-femme, pour qui le manuel de Baudelocque sera un aide-mémoire, le rappel simplifié du cours et de l’expérience clinique acquise :
Notre intention d’ailleurs n’a jamais été qu’elles apprissent cet ouvrage par cœur, et qu’elles le récitassent littéralement, mais qu’elles l’étudiassent à loisir, qu’elles le méditassent de même, […] enfin qu’elles pussent y retrouver en tout temps, et se retracer à l’esprit tout ce qui aura pu leur être enseigné dans les cours d’accouchemens ; ce qu’elles auront vu faire, et pu opérer elles-mêmes, soit au lit des femmes en couches, soit sur les mannequins.55
34Le chirurgien-accoucheur en chef ne fixe par ailleurs aucune limite à la curiosité des élèves qu’il entend susciter sans prétendre la satisfaire par cet ouvrage. Borner le savoir des futures sages-femmes porte en germe le risque de ne pas reconnaître le danger et de laisser l’accouchement tourner au tragique par une « perfide tranquillité ». Au contraire, Baudelocque préconise un savoir qui libère la décision de la sage-femme d’agir ou de ne pas agir, de demander du secours ou de terminer l’accouchement par sa seule habileté56. Conscient des périls que signe le recours au chirurgien accoucheur, son souhait est de former au mieux les sages-femmes pour que leurs diagnostics avisés réduisent aux seuls accidents indépendants des savoir et savoir-faire de l’accoucheuse (hémorragie, éclampsie, bassin excessivement resserré) l’intervention de ses collègues :
S’ils [les accouchements dystociques] paroissent encore assez fréquens aujourd’hui, ils le deviendront bien moins par la suite, à mesure que ces connoissances, qui doivent faire la base de l’éducation de sages-femmes, se répandront davantage : peut-être même ces cas deviendront-ils si rares qu’alors on oubliera qu’il fut un temps où l’accouchement […] étoit [regardé] comme une des plus importantes opérations de chirurgie, et ne devoit être [confié] qu’à des hommes d’un grand talent.57
35Alors seulement le chirurgien revient dans sa sphère, qui n’est pas et ne doit pas être l’accouchement physiologique. Le travail de la sage-femme et du praticien est complémentaire, correspond à deux espaces contigus de compétences :
Si l’on retranche de ces accouchemens qu’on s’est vu dans la nécessité d’opérer, ceux que la mauvaise conformation du bassin, et son défaut de proportion avec la tête du fœtus, ont rendus difficiles, et le cas de grossesse extra-utérine, dont il a été parlé, il n’en est pas un seul peut-être qui n’ait pu être terminé par une sage-femme intelligente, comme ils l’ont été presque tous par celle qui est en chef à l’Hospice de la Maternité.58
36L’exemple de Marie-Louise Lachapelle, qui a toute la confiance de Baudelocque, vient à point nommé prouver la capacité féminine. La latitude d’intervention de la maîtresse sage-femme s’étend à l’usage d’instruments tels que le forceps qu’elle applique sans en référer parfois au chirurgien-accoucheur, comme l’y autorise l’article 16 du premier règlement de l’établissement59. L’appel au chirurgien tient alors de la marque de politesse entre collègues, sans qu’y entre une subordination particulière :
[…] aussi toutes les fois qu’il [Baudelocque] était appelé à l’Hospice pour quelques accouchemens laborieux, il confiait à Madame Lachapelle le soin de les terminer elle-même. Il aimait beaucoup la voir opérer sous ses yeux, et ne manquait jamais d’applaudir à ses succès.60
37Le duo formé par le chirurgien-accoucheur en chef et la sage-femme sous les auspices duquel l’école de l’Hospice de la Maternité vit ses premières années, est la parfaite incarnation de la complémentarité qu’envisage l’auteur, et sa source d’inspiration. Du respect d’un champ d’exercice propre aux sages-femmes et donc des compétences respectives naîtra, selon Baudelocque, le progrès obstétrical, soit la recherche et l’obtention des meilleures conditions possibles de l’accouchement.
La diversification des enseignements
38Une fois reconnues les capacités des accoucheuses, il reste à leur permettre de maîtriser les pratiques thérapeutiques qui complètent leur rôle d’auxiliaire de la naissance, pendant la grossesse, et dans les soins à l’accouchée et au nouveau-né. L’évolution du programme d’enseignement de l’école de l’Hospice de la Maternité est très rapide et dès 1808, le Mémoire historique et instructif rend compte des ajouts à la formation des élèves sages-femmes depuis la fondation de l’établissement :
L’enseignement des élèves s’est progressivement étendu, à mesure que l’ordre s’est établi dans l’école, et que l’expérience a démontré la possibilité d’accroître les connaissances dont les sages-femmes pouvaient faire avec utilité l’application, dans l’exercice de leur état : la théorie et la pratique des accouchements ; la vaccination ; la phlébotomie ou l’art de saigner : l’étude des plantes usuelles.61
39L’élargissement de l’instruction à la lutte contre la variole est une proposition qui remonte aux années 178062. Le remplacement de la technique de l’inoculation par celle de la vaccination (Jenner, 1798) réactive cette volonté63. Un hospice central de vaccine est créé à Paris et des liens privilégiés s’établissent entre cette institution et l’Hospice de la Maternité64.
40Les attributions de la sage-femme, traditionnellement circonscrites aux soins des premières heures ou des premiers jours, s’étendent par ce biais à la petite enfance. Les raisons de leur confier cette pratique (inoculation puis vaccination) n’ont pas changé depuis la fin du xviiie siècle :
Est-il un moyen plus sûr de parvenir à déraciner le préjugé que les gens de la campagne ont contre la vaccine ; l’expérience, les conseils même des officiers de santé ne parviennent que lentement à le détruire, mais cette confiance qu’inspirera tout naturellement une sage-femme, qui le plus souvent se trouve parente ou alliée de presque tous les habitants de sa commune, les amènera pas à pas et sans contrainte à faire jouir leurs enfants du bienfait de cette découverte65.
41La scientificité du savoir de la sage-femme s’est accrue dans l’intervalle, et son rôle d’intermédiaire culturel s’est accentué dans les mêmes proportions, puisque le milieu social d’origine ne s’est guère modifié66. La sage-femme a sur les médecins l’avantage de ne pas tenir rang parmi les notables et d’être une femme, double gage de confiance pour les paysans, artisans et boutiquiers du monde rural et des petites villes, et pour les mères.
42Autre facette de la formation élargie : la pratique de la saignée, qui fait encore, au début du xixe siècle, partie intégrante de l’arsenal thérapeutique de la grossesse67. Malgré des débats passionnés sur l’opportunité de saigner les femmes enceintes, les tenants des risques abortifs de cette pratique ne l’ont pas emporté, même si l’habitude à l’Hospice de la Maternité, sous la conduite du docteur Chaussier, est de limiter autant que possible le recours à la saignée68. L’apprentissage de cette technique se fait donc dans un cadre très précis et en rapport direct avec les soins dus à la femme enceinte69.
43L’influence du docteur François Chaussier, médecin en chef de l’Hospice70, se lit dans un troisième et dernier accroissement du corpus de connaissances : l’étude des plantes usuelles. Dès sa prise de poste en 1804, il souligne l’intérêt pour les accoucheuses de posséder quelques notions de botanique. Cette science si étroitement liée à la pharmacopée a fait l’objet d’une diffusion notable depuis son inscription au programme des écoles centrales créées en l’an iii et la création conjointe d’un jardin botanique dans chacune d’elles71. Son entrée dans la formation des sages-femmes s’éclaire par cette promotion de la botanique au rang des savoirs utiles et nécessaires. Elle s’inscrit aussi dans la volonté d’encadrer et de préciser des pratiques empiriques de recours aux plantes pour soulager femmes enceintes et accouchées :
[…] l’administration n’a pas entendu que ces élèves feraient un cours de botanique, mais que, se renfermant dans un cercle de 150 à 200 plantes, on pourrait leur apprendre à comparer les plantes fraîches, avec les plantes sèches, et leur en indiquer l’usage, ou par infusion, ou par décoction ; elle a pensé qu’il serait très avantageux pour les sages-femmes de savoir distinguer ces plantes partout où elles les trouveraient, de les choisir avec plus de soin lorsqu’elles iraient en faire l’achat, et enfin de les conserver avec précaution parce qu’elles en apprécieraient mieux l’importance.72
44La variété de la formation délivrée donne aux sages-femmes une position très particulière, aux confins des différentes spécialités médicales : médecine, chirurgie, mais aussi pharmacie et herboristerie (ill. 4). L’usage autorisé d’un nombre non négligeable de plantes aux vertus médicinales constitue pour les accoucheuses un embryon de droit de prescription. Le caractère atypique des ressources savantes accordées à cette profession fait de la sage-femme sortie de l’Hospice de la Maternité de Paris une figure à part, et régulièrement égratignée pour cela par les plumes acides du corps médical français ou étranger73.
45Si la situation française est spécifique, c’est grâce à l’existence de la sage-femme en chef de l’Hôtel-Dieu, devenue sage-femme en chef de l’Hospice de la Maternité de Paris. En 1802, dans le principal service de maternité français, le champ n’est pas libre et il n’est envisageable ni pour les accoucheurs parisiens, ni pour le conseil général des hospices, ni pour le ministre de l’Intérieur, de dessaisir Marie-Louise Lachapelle du poste qu’elle occupe par la légitimité de l’expérience et du talent. Serait-ce alors un concours de circonstances qui a présidé à la naissance d’une sage-femme française, instruite et autonome ? Il apparaît plus sûrement que le niveau d’instruction s’est naturellement élevé à la hauteur des compétences de l’enseignante puisqu’il était impossible d’imposer à la sage-femme en chef de brider sa pratique pour transmettre un savoir expurgé. Les murs de Port-Royal ont donc vu la rencontre d’un choix antérieur et général, celui de la sage-femme plutôt que du chirurgien, et d’une individualité remarquable, susceptible d’inspirer les traits de l’accoucheuse idéale.
Des ambitions à la pratique
19 ventôse an xi
46La création de l’école de l’Hospice de la Maternité en messidor an x instaure un cadre pour l’enseignement des sages-femmes mais ne résout pas les problèmes inhérents à l’exercice de cette profession. Il faut attendre le vote de la loi du 19 ventôse an xi pour qu’un texte règlementaire national pose les bases de ce métier, de la formation à l’exercice pratique. L’objet de la loi de ventôse est la réforme de l’enseignement de la médecine et de la police de cet art tant attendue depuis l’an iii et la création des trois écoles de santé. Porté par le même rapporteur, Fourcroy, ancien conventionnel devenu conseiller d’État, ce texte a trois objectifs : renforcer les structures pédagogiques ; réintroduire l’obligation du diplôme pour exercer ; réintégrer du même coup praticiens d’Ancien Régime et révolutionnaires dans un corps médical unifié autour des titres de docteur et officier de santé74. Le texte passe ainsi traditionnellement pour le point de départ de la dichotomie médicale appliquée à tous les types de personnels (des médecins aux pharmaciens en passant par les sages-femmes) qui traverse le xixe siècle.
47La loi du 19 ventôse consacre aux sages-femmes son titre V, intitulé De l’instruction et de la réception des sages-femmes et composé de 5 articles75. Deux discours avaient dessiné les objectifs avant le vote final : l’exposé des motifs de la loi lu par Fourcroy devant le Tribunat le 7 ventôse76 et l’intervention du tribun Jard-Panvilliers devant le Corps législatif le jour du vote77.
48Fourcroy reprend en les résumant les principales dispositions du titre V, confirmant le choix de la sage-femme comme agent de l’encadrement obstétrical du pays78. La loi de ventôse paraît ainsi dans l’exposé des motifs le prolongement naturel de la fondation de l’école de l’Hospice de la Maternité créé quatre mois plus tôt. Une surprise cependant : cet établissement d’élite scientifique et pédagogique n’y est jamais explicitement mentionné, pas plus que dans les articles de la loi. Même silence dans le discours de Jard-Panvilliers :
Quoique la nature se suffise le plus ordinairement à elle-même dans la reproduction des êtres vivants, il est des cas assez fréquents où elle a besoin des secours de l’art ; mais ces secours, loin de lui être utiles, ne peuvent que lui devenir funestes lorsqu’ils sont administrés mal à propos ou par des mains inhabiles, comme cela n’arrive que trop souvent dans les campagnes, où la pratique de l’art des accouchements est presque exclusivement livrée à des sages-femmes sans instruction. Il y a déjà longtemps que le mal à cet égard était parvenu à un tel point qu’il avait fixé l’attention de l’ancien Gouvernement, qui avait envoyé des sages-femmes instruites dans quelques provinces pour y former des élèves. Depuis ce temps, on a vu des chirurgiens instruits qui, de leur propre mouvement, par zèle pour les progrès de l’art et pour le bien de l’humanité, ou sur l’invitation de quelques préfets, ont ouvert des cours gratuits d’accouchements ; mais ces moyens isolés et, pour ainsi dire, momentanés, en éclairant quelques individus, n’ont point dissipé l’ignorance presque générale des sages-femmes dans les campagnes : le projet dont j’ai l’honneur de vous entretenir aura sans doute un résultat plus avantageux.79
49Tous les topoï sont rassemblés : l’évocation de la nature généreuse mais aux caprices imprévisibles, l’aide nécessaire pour y remédier et les dangers de l’ignorance, mais surtout la désignation des coupables : les sages-femmes « sans instruction », ce qui dédouane la profession du reproche d’irrémédiable incompétence.
50Le bref historique des cours d’accouchement instaurés sous et depuis l’Ancien Régime, laisse de côté l’épisode révolutionnaire, reprenant l’esprit de l’exposé de Fourcroy : « L’anarchie seule, qui ne respecte aucune institution, a pu méconnaître l’importance de l’art de guérir80. » Entre Angélique du Coudray et l’action des préfets, règne donc le néant, à peine traversé d’initiatives individuelles de « chirurgiens instruits ». Nier l’action des administrations départementales pendant la décennie 1790 ajoute encore à l’opposition entre anarchie et civilisation sur laquelle le Consulat fonde son œuvre législatrice. De plus, face à la multiplicité des cours d’accouchement de la période révolutionnaire, les législateurs ont sans doute du mal à mesurer leurs traits communs, leur qualité et leur audience. Le bilan qu’ils en tirent est miné par l’impression d’éparpillement et de provisoire des structures de formation. Au-delà, il y a une vraie logique à l’œuvre dans la dépréciation des efforts de formation antérieurs, logique qui sous-tendait déjà l’argumentaire chaptalien dans la circulaire annonçant la création de l’Hospice de la Maternité.
51Qu’en est-il toutefois de l’oubli, volontaire ou non, de l’Hospice de la Maternité de Paris, à cette date la plus grande école française de sages-femmes ? L’auteur de la loi du 19 ventôse an xi peine visiblement à placer l’établissement dans l’organigramme qu’il propose, ruminé depuis une quinzaine d’années. L’Hospice de la Maternité pose problème car il a détaché l’enseignement à destination des sages-femmes du grand corps de l’enseignement médical. C’est de l’extérieur qu’il fournit un modèle (l’école au sein d’une maternité), que Fourcroy reprend et adapte sans le revendiquer. Car au cœur de la loi de ventôse, il y a les écoles de médecine, nées des écoles de santé de l’an iii, et qui forment les relais nationaux de la formation des sages-femmes :
Art. 30. Outre l’instruction donnée dans les Écoles de médecine, il sera établi dans l’hospice le plus fréquenté de chaque département un cours annuel et gratuit d’accouchement théorique et pratique, destiné particulièrement à l’instruction des sages-femmes.81
52L’article ne dit rien d’une éventuelle hiérarchie des institutions d’instruction. La formulation prévoit avant tout un élargissement du réseau d’établissements de formation, sans évoquer de distinction entre deux catégories de sages-femmes en fonction de leur lieu d’apprentissage. Les exigences de formation envisagent trois voies spécifiques pour se présenter à l’examen (art. 31). La première voie est entendue dans le cadre des cours départementaux prévus à l’article 30 et porte l’obligation d’avoir suivi deux cours et vu pratiquer pendant neuf mois, la loi ne tranchant pas sur le caractère successif ou concomitant de ces formations. Les deux voies suivantes posent que la pratique personnelle, en hospice ou auprès d’un professeur, même sans enseignement théorique préalable ou complémentaire, équivaut au premier cursus, selon le principe appliqué aux officiers de santé pour qui six ans d’apprentissage chez un docteur ou cinq ans de pratique dans un hôpital équivalent à trois ans d’études dans une école de médecine82.
53La légitimation de ces différents modes d’acquisition des savoirs reconnaît la valeur de l’expérience pratique et celle de la transmission interpersonnelle. Elle maintient en théorie la possibilité d’un enseignement privé dépendant du bon vouloir des seuls docteurs. Au-delà, cette latitude de formation hors d’un parcours scolaire et institutionnel est en fait reconnaissance a posteriori des femmes en exercice comme elle l’est pour les officiers de santé83. De ce point de vue, la loi de ventôse vaut consécration du savoir clinique.
54Inscrire dans la loi la diversité des voies d’accès à l’examen constitue néanmoins un élément de fragilité pour les cours d’accouchement projetés, puisque l’hospice de maternité n’est pas présenté comme seul modèle légitime d’acquisition du savoir. La ligne de fracture intellectuelle et scientifique au sein de la formation prévue pour les accoucheuses passe donc entre celles qui fréquenteront des cours publics et les autres, c’est-à-dire entre l’enseignement scolaire et la mise en apprentissage. À l’issue de l’instruction cependant, l’examen est identique :
Art. 32. Elles seront examinées par les jurys sur la théorie et la pratique des accouchements, sur les accidents qui peuvent les précéder, les accompagner et les suivre, et sur les moyens d’y remédier. Lorsqu’elles auront satisfait à leur examen, on leur délivrera gratuitement un diplôme, dont la forme sera déterminée par le règlement prescrit par les articles 9 et 20 de la présente loi.84
55Unicité de l’examen, unicité du diplôme pour un seul corps des sages-femmes : la loi du 19 ventôse an xi maintient les positions des projets de l’an ix85. La gratuité pour l’obtention du diplôme constitue même une avancée par rapport aux frais de réception envisagés en ventôse et prairial an ix (100 francs)86. Les jurys qui décident d’accorder ou non le diplôme sont identiques à ceux qui examinent les officiers de santé (art. 16 et 18)87. L’alignement sur les officiers de santé est toutefois à double tranchant. À leur image, les sages-femmes sont subordonnées aux docteurs pour certains actes. Là où l’officier de santé ne peut « pratiquer les grandes opérations chirurgicales que sous la surveillance et l’inspection d’un docteur » (art. 29), l’accoucheuse ne peut « employer les instruments, dans les cas d’accouchements laborieux, sans appeler un docteur ou un médecin ou chirurgien anciennement reçu » (art. 33)88. La tolérance officielle prévue par le règlement de l’Hospice de la Maternité de Paris en cas d’urgence disparaît du texte législatif. Sage-femme et officier de santé sont donc placés sur le même plan car le second n’est pas du nombre des recours possibles en cas d’accouchement dystocique89. La loi de ventôse fait de la sage-femme un membre à part entière du personnel médical, comme le prouve son recensement sur les listes préfectorales (art. 34)90. En la tirant du côté de l’officier de santé, elle l’intègre toutefois au second ordre de praticiens et au type de médecine que Fourcroy destine aux classes populaires91. Le type d’examen, les modalités d’instruction, tous ces éléments laissent penser que la loi de ventôse projette de cantonner la profession de sage-femme aux limites d’exercice qu’elle a assignées à celle d’officier de santé : subordination au docteur, rayon d’exercice départemental. La seule exception concrète et préexistante, si dérangeante que le texte omet de la citer, est la sage-femme d’élite de l’école de l’Hospice de la Maternité de Paris.
56Pourtant, la sage-femme définie par le titre V de la loi du 19 ventôse an xi n’est pas le symbole d’un retour en arrière. L’accoucheuse-type dessinée par la loi est au contraire l’aboutissement logique d’un processus général de redéfinition du monde médical. Cela ne signifie pas que soient exigées d’elle moins de connaissances fondamentales. L’accoucheuse de ventôse doit être instruite pour être accoucheuse. À ses côtés, l’élève de la Maternité naît du dérapage enthousiaste des espoirs scientifiques et pédagogiques des deux plus belles figures de l’obstétrique française de ce temps, nourries aux innovations européennes du demi-siècle précédent. L’enfant symbolique de Marie-Louise Lachapelle et des maternités allemandes est la sage-femme d’exception que n’auraient pas su ni voulu créer les écoles de médecine et qui trouble l’homogénéité socio-professionnelle de ce corps conçu à l’aune de l’accoucheuse ordinaire. La loi de ventôse ne consacre pas la dualité de la profession, elle tente au contraire une dernière fois de nier l’évidence que l’exception parisienne ne peut manquer de faire éclater. L’évolution décisive se situe entre le 19 ventôse et le 20 prairial de l’an xi, entre la loi et son arrêté d’application.
Dans le sillage parisien, obstination de la politique ministérielle
57Trois mois ont suffi pour intégrer l’école de l’Hospice de la Maternité de Paris dans le plan de Fourcroy. Trois mois pour doubler la dualité docteur/officier de santé d’une dualité sage-femme nationale/sage-femme départementale. L’arrêté du gouvernement portant règlement pour exercice de la médecine du 20 prairial an xi rassemble dans son paragraphe 7, De la réception des sages-femmes, les fils laissés épars par le vote du mois de mars précédent :
Art. 42. Les élèves sages-femmes seront soumises, dans les jurys, à un examen dans lequel elles répondront aux questions qui leur seront faites et exécuteront sur le fantôme les opérations les plus simples des accouchements. Il leur sera délivré gratuitement un diplôme, suivant le modèle no 3, joint au présent arrêté.
Art. 43. – Celles des élèves sages-femmes qui se présenteront aux Écoles de médecine pour leur réception seront soumises à deux examens ; elles devront avoir suivi au moins deux cours de l’École ou de l’hospice de la Maternité à Paris. Les frais pour leur réception seront de 120 francs. Les sages-femmes ainsi reçues pourront s’établir dans tous les départements.92
58La complémentarité hiérarchique ainsi obtenue s’explique de diverses manières. Le premier cours de l’Hospice de la Maternité est à la veille de se terminer. Le mode d’examen défini aux articles 24 et 25 de son règlement ne correspond pas à celui imposé par la loi de ventôse93, puisqu’il ne permet pas à lui seul la délivrance d’un diplôme mais la remise d’un certificat de capacité, désormais insuffisant pour exercer. Il est donc urgent de statuer sur le devenir de ces élèves pour que la formation parisienne leur soit comptée comme une instruction suffisante et leur ouvre droit à l’examen devant un jury médical. D’autre part, l’équivalence entre Hospice de la Maternité et cours de l’École de médecine s’incarne très concrètement en la personne de Jean-Louis Baudelocque qui professe à Paris dans les deux établissements. Traiter différemment ses élèves ne se justifie pas.
59Rapprocher ainsi l’Hospice de la Maternité du cours purement théorique de l’École de médecine revient certes à ne pas lui reconnaître sa spécificité (enseignement pratique de la sage-femme en chef), mais la décision l’intègre au groupe des établissements universitaires, c’est-à-dire au niveau le plus haut de la formation médicale. Ce degré supérieur d’instruction offre à celles qui y accèdent une prérogative de poids (le droit d’exercice national) à laquelle la loi du 19 ventôse fournit le modèle tout trouvé des docteurs en médecine et en chirurgie. La sage-femme de ventôse, y compris l’ancienne élève des écoles de médecine, était attachée à son terroir ; la sage-femme de prairial peut espérer faire fortune loin de sa terre natale et user du prestige de sa formation dans les plus grandes villes de France.
60Enfin et surtout, après l’épisode législatif, l’initiative revient dans le camp du ministre de l’Intérieur, Antoine Chaptal, « chargé de l’exécution du présent arrêté94 », bien décidé à ne pas laisser péricliter sa création. Dès l’envoi de la circulaire du 9 thermidor an x, Chaptal a prôné l’envoi d’élèves sages-femmes à Paris comme la seule formation viable. Les préfets ont dans l’ensemble assez rapidement réagi à la sollicitation ministérielle, parfois avec enthousiasme comme dans la Drôme :
La mesure que vous avez adoptée me paroît infiniment préférable aux cours locaux, la plus part du tems assez insignifians, toujours insuffisans et trop dispendieux pour des moyens aussi limités que ceux de ce département. Elle a le cachet de l’attention éclairée qui distingue tous vos actes, spécialement lorsqu’ils ont pour but les intérêts de l’humanité.95
61Cependant, les refus sont nombreux et leurs raisons, multiples : distance, crainte de voir les élèves dévergondées par la grande ville, non-maîtrise de la langue française. Face à ces réactions polies mais négatives, l’attitude du ministre est d’une rare intransigeance, réaffirmant le caractère national de l’établissement parisien. Le ministre tient sur l’impératif d’en passer par l’école qu’il vient de fonder : « Je vous invite, de nouveau, à exécuter mon arrêté précité du 11 messidor » écrit-il au préfet de l’Aveyron96. Ses deux arguments phares sont l’incompétence ou du moins la compétence inférieure des praticiens de province, et l’absence dans le reste du pays de centre d’enseignement clinique équivalent à celui de Port-Royal. Sur le fond, la loi du 19 ventôse ne change rien à l’affaire. La reprise en mains du texte par le ministère dès l’arrêté d’application permet de maintenir, sans varier, le cap antérieur. Après le mois de prairial, qui renouvelle toutefois la décision de création de cours dans les hospices, on cherche, en vain, une circulaire encourageant les départements à mettre en œuvre les prescriptions législatives. Au mois de septembre suivant, Chaptal, dans un courrier aux préfets, daigne une allusion au texte de ventôse :
Les cours particuliers d’accouchement dont la loi du 19 ventôse an xi autorise la création dans les départements, pourront être avantageux pour les femmes des campagnes […] ; mais ces cours n’offriront jamais les mêmes sources d’instruction et la même abondance de lumières que ceux de la Maternité.97
62Le détour rhétorique par la loi sur l’exercice de la médecine n’est qu’une pirouette imposée par l’impossibilité d’ignorer complètement ce texte. Mieux, l’évocation ambiguë de cours « particuliers », sur la nature desquels le qualificatif fait planer un doute (cours publics ou privés ?), est une occasion supplémentaire de réitérer le jugement déjà porté sur le manque d’habileté des enseignants et les lacunes de l’enseignement pratique. Tout projet de cours départemental se discrédite donc par son incapacité intrinsèque à atteindre le niveau de formation dispensé à Paris. À Orléans, toutes les tentatives de l’administration pour prouver l’existence d’un champ réel d’instruction pratique se soldent par une rebuffade :
Je ne puis trop vous répéter, citoyen, que quelles que soient les ressources que présente la ville d’Orléans pour l’instruction dans l’art des accouchements, il n’est pas possible que l’enseignement y soit aussi complet qu’à la maternité.98
63Le point n’est pas de savoir si les élèves provinciales ont ou non accès à une expérience clinique pendant leurs études, mais de considérer que toute expérience clinique n’ayant pas l’envergure parisienne perd automatiquement sa valeur. Cet élitisme impose une double transgression : transgression du modèle médical de l’accoucheuse ordinaire tel que l’envisage la loi de ventôse et transgression du modèle social afférent, celui de la paysanne tout juste dégrossie dont on attend qu’elle serve ses semblables sans espérer y gagner sa subsistance. En un mot, là où le texte du 19 ventôse n’envisage qu’une sage-femme départementale, le discours et les actions du ministère n’acceptent qu’une sage-femme nationale : première classe contre deuxième classe même si l’opposition n’est pas encore posée en ces termes.
64Pour réduire les obstacles, l’obstination ministérielle déploie des trésors de mauvaise foi, ce qu’illustre une note du cabinet à l’intention du chef de la 3e division du ministère de l’Intérieur, Barbier-Neuville :
La loi du 19 ventôse ordonne l’établissement d’un cours d’accouchement dans l’hospice le plus fréquenté de chaque département. Le ministre n’a pas cru devoir exécuter cette disposition, parce qu’il est persuadé que l’art des accouchements ne peut être enseigné, avec succès, qu’à Paris… Il a constamment répondu dans ce sens aux demandes particulières des préfets, ayant pour objet d’être autorisés à établir des cours dans leurs départements. Il eût été bon de dire un mot de ces cours particuliers dans la circulaire dont le projet est ci-joint, mais comme cette circulaire sera imprimée et adressée à plus de 80 préfets, la matière devient délicate à traiter, vu qu’il s’agit de paralyser l’effet d’une loi.99
65À bout d’arguments cependant, et après trois ans de manifestations d’autorité, le successeur de Chaptal, Champagny finit par lancer une enquête sur les établissements hospitaliers susceptibles de recevoir un cours d’accouchement100. Tout en manifestant un intérêt immédiat pour ces questions, il s’interroge sur la politique intransigeante de Chaptal. Sans avis préconçu, le nouveau ministre écarte un projet de décret inspiré par l’École de médecine de Paris, prévoyant la création de dix cours d’accouchement pour l’Empire, car ses services sont « convaincus qu’il n’y a pas un plus grand nombre de villes qui offrent des professeurs assez habiles et des faits assez nombreux pour l’instruction des élèves101 ». Un modèle Port-Royal à peine élargi, en somme. Soucieux de ne pas se lier à ces vœux pas plus qu’aux décisions antérieures de Chaptal, mais attentif aux préventions qui les ont dictés, Champagny choisit la via media de l’enquête. Dans un contexte de fortes attentes départementales, la circulaire du 18 vendémiaire an xiv qui transmet le questionnaire semble prendre pour la première fois en compte les sollicitations préfectorales et annoncer une application, contrôlée mais réelle, de la loi de ventôse. Ce que le texte législatif établit comme un devoir des départements (l’ouverture d’un cours d’accouchement dans un hospice) et ce qui apparaît de fait comme un droit dans l’esprit des préfets et des assemblées départementales, devient sous la plume du ministre de l’Intérieur une tolérance sous conditions. Champagny se fait seul juge de la conformité des ressources aux exigences définies depuis la fondation de l’école de l’Hospice de la Maternité.
66Le formulaire de l’enquête est conçu en fonction des principes pédagogiques mis en valeur depuis 1802. Les quatre premiers points portent ainsi sur l’estimation des capacités de l’hospice en matière de formation pratique (salle propre aux femmes en couches, nombre de lits réservés, nombre d’accouchements). Le second ensemble de l’enquête (questions 5-6) est consacré au futur personnel enseignant (nature ; inscription ou non dans un cadre institutionnel). Le questionnaire se préoccupe aussi des conditions d’études des futures élèves sages-femmes en évaluant les possibilités d’établir des internats dans les hospices choisis (question 10). Les cinq autres questions posent enfin le problème du financement du cours d’accouchement dans ses différentes parties : traitement du professeur, dépendant ou non de l’hospice (question 7)102, frais annexes d’installation et recettes disponibles (questions 8-9) et enfin frais de logement et nourriture des élèves sages-femmes et recettes utilisables pour cet objet (questions 11-12).
67Les résultats du questionnaire remontent assez rapidement au pouvoir central et les conclusions qu’en tire le ministère de l’Intérieur sont pleinement significatives des intentions prudentes et restreintes de départ. Dans le détail des réponses, Champagny trouve l’arme pour refuser avec aplomb la régularisation de nombreux cours déjà en place :
(Au préfet de la Côte-d’or, juin 1807) Cette institution ne me paraît point, Monsieur, pouvoir remplir le but de la loi du 19 ventôse an xi, […] soit parce qu’elle n’est point organisée d’après les bases déterminées par cette loi, soit parce qu’il est impossible que des élèves sages-femmes prises dans les campagnes puissent acquérir dans six semaines, les connaissances nécessaires pour exercer sans danger l’art difficile des accouchemens, à peine pourrait-on en aussi peu de temps s’assurer des dispositions de celles dont l’esprit a été le mieux cultivé ; et l’expérience prouve que ce n’est qu’après six mois, même une année entière de résidence à l’hospice de la maternité où l’on donne des leçons tous les jours et où la pratique est en permanence, que les élèves de cette école peuvent être en état de se présenter devant le jury d’examen.103
68Pour contester la validité du cours dijonnais, le ministre reprend l’extrait d’une délibération des professeurs de l’École de médecine de Paris du 23 avril précédent où ces derniers repoussaient l’opportunité d’un projet de cours à Nancy104. La durée minimale de cours est désormais incompressible : six mois et plus nécessairement un an, à l’image de ce qui se pratique désormais régulièrement à l’Hospice de la Maternité105.
69En février 1807, la première révision du règlement intérieur de Port-Royal permet d’ailleurs à Champagny, en pleine étude des dossiers départementaux de rappeler la qualité indépassable de cet établissement phare, le « [seul] de ce genre qui puisse exister en France », tout en dénonçant les lacunes des cours locaux qui « ne peuvent exister dans les départements avec succès, ni même sans danger106. » La pression sur les préfets est constante, accentuée encore par les articles du Règlement révisé qui présentent l’envoi d’élèves sages-femmes à Paris comme une obligation (art. 1). Les commissions administratives des grands hospices, seuls susceptibles d’accueillir des cours locaux, sont à leur tour mises à contribution pour fournir à Port-Royal leur contingent d’élèves :
Art. 3. Les Commissions administratives des hospices civils dont les ressources annuelles s’élèvent à 20 000 francs, entretiendront également chaque année, sur leurs revenus, à l’école de la Maternité une élève accoucheuse, choisie de préférence parmi les filles élevées dans ces établissements.107
70Et pourtant : malgré la prose parisianocentrée de Champagny, un tournant sensible se prend à cette date. Certes, l’enquête de l’an xiv favorise souvent le contournement des prescriptions de la loi du 19 ventôse an xi, mais en donnant aux préfets l’occasion de justifier, selon les critères ministériels, les qualités de leurs initiatives, elle accorde pour la première fois une valeur à leurs décisions. Une brèche est ouverte dans l’exigence d’unicité, et les lendemains de l’enquête débouchent sur une tolérance inédite puisque les préfets sont désormais autorisés à tenter de s’approcher du modèle parisien en soumettant au ministère de l’Intérieur des règlements calqués sur ses structures. Le 6 juin 1807, passée la charge brutale contre le cours de Dijon, le ton de Champagny s’adoucit dans la conclusion :
Dans ces circonstances, Monsieur, il devient indispensable de vous occuper, sans délai de l’organisation régulière et légale d’un cours d’accouchements dans l’hospice le plus fréquenté de la ville de Dijon. Je vous invite en conséquence à me soumettre un projet de règlement à ce sujet, basé sur les dispositions du titre 5 de la loi du 19 ventôse an xi et sur celles de mon arrêté du 17 janvier dernier, concernant l’hospice de la maternité, autant toutefois que les localités le permettront.108
71Ces quelques lignes concentrent toute la politique ultérieure du gouvernement : d’école destinée à rester unique, l’Hospice de la Maternité devient école modèle de toutes les écoles à créer. La concession aux capacités des « localités » est plus qu’un geste politique. Elle brise le lien entre instruction exigible d’une sage-femme et supériorité éminente de l’institution parisienne. Le rêve d’un seul établissement national de formation a vécu109, mais il n’abdique son monopole que pour mieux affirmer sa prééminence, dans les frontières traditionnelles de la France, et au-delà dans les territoires réunis sous l’Empire.
L’enseignement obstétrical français à l’épreuve du Grand Empire
72L’espace territorial français connaît entre 1792 et 1815 un élargissement remarquable. Progressivement, la Révolution, le Consulat et l’Empire agrègent provinces et États à l’ancien royaume, jusqu’à former l’immense continuité de la mer du Nord à l’Italie centrale qu’est, en 1811, l’Empire des 130 départements. L’entrée sous autorité française, dans le cadre administratif du département, de régions dotées de très fortes identités entraîne des confrontations avec la volonté politique impériale. La « police médicale110 » constitue un champ de rencontre des pratiques françaises et étrangères, en un domaine où la volonté de marquer les nouveaux départements de l’empreinte française s’exprime très intensément. Le développement de la formation des sages-femmes, qui a passionné toute l’Europe dans la seconde moitié du xviiie siècle111, forme un terrain privilégié où s’opposent à partir de 1802 le modèle de l’Hospice de la Maternité et les habitudes antérieures.
73L’intégration progressive des départements italiens correspondant aux anciennes républiques Cisalpine et Ligurienne, puis celle en 1811 du royaume de Hollande et enfin la réunion d’une partie des territoires du Saint-Empire, fait entrer dans le giron français des traditions diverses de transmission du savoir obstétrical. La réaction du pouvoir central face à ces situations divergeant du modèle qu’il cherche à promouvoir est variable d’une région à l’autre. Elle exprime toutefois de façon constante la certitude de proposer la meilleure méthode pour fournir à ces populations un encadrement obstétrical de qualité, niant des complémentarités qui transcendaient naguère les frontières politiques.
74L’incorporation dans l’Empire français nationalise et territorialise tout à la fois l’enseignement obstétrical. La rupture avec la tradition germanique des migrations éducatives se lit bien dans ces lettres envoyées à Paris par les préfets de l’Ems Supérieur et des Bouches-du-Weser :
(Ems Supérieur) Dans la partie de ce département qui précédemment appartenait au pays d’Hanovre, on envoyait les élèves sages-femmes à Celle où elles recevaient des leçons théoriques et pratiques dans l’art de l’accouchement. Ceci a cessé vû que la ville de Celle fait toujours partie du royaume de Westphalie.112
(Bouches-du-Weser) Avant la réunion de ces contrées à l’Empire français, les personnes qui vouloient s’adonner à l’art des accouchemens se rendaient à Celle dans le royaume de Westphalie […]. Mais depuis la formation des départemens hanséatiques, on n’admet plus à l’école de Celle les élèves sages-femmes de ces départemens […].113
75La rupture intervient dans un contexte d’États-frères, puisque depuis le traité de Tilsitt en 1807 le royaume de Westphalie est placé sous l’autorité de Jérôme Bonaparte. Il ne s’agit donc pas seulement de marquer une frontière nette entre l’Empire et ses voisins, tout fraternels soient-ils, mais plutôt d’affirmer l’emprise de la pratique pédagogique française, par la dissociation des complémentarités précédentes et le rejet des pratiques anciennes sur le territoire de l’Empire élargi. Dans le département de l’Arno, la ville de Florence perpétue l’héritage grand-ducal en matière de formation des sages-femmes et des accoucheurs114. Depuis 1761, l’Ospedale di Santa Maria Nuova abrite les cours dispensés aux accoucheuses et aux étudiants en chirurgie. Les vicissitudes politiques n’interrompent pas les cours d’accouchement. Mais l’influence française sur les professeurs florentins est patente puisque Giuseppe Vespa et Francesco Valli comptent parmi les disciples d’André Levret, et que le gouvernement toscan conserve tout au long du siècle l’habitude d’envoyer ses enseignants se former à Paris, comme le rappelle Giovanni Bigeschi dans un courrier au ministre de l’Intérieur français au début des années 1810115. L’enseignement se déroule dans un hospice et les principes de l’obstétrique sont tirés de la science française. Pourtant, le jugement de Fauchet, second préfet de l’Arno, rapporté par le ministre Montalivet, est extrêmement critique :
Vous ajoutez, enfin, que l’instruction des sages-femmes, dont le nombre est, d’ailleurs, insuffisant dans votre département, n’est point donnée d’après la bonne méthode d’où il résulte de très fréquents accidents dans les campagnes.116
76L’état sanitaire de l’unique service de maternité florentin laisse aussi à désirer et l’administration travaille rapidement à y remédier en envisageant son transfert de Santa Maria Nuova à l’Ospedale degli Innocenti. Mais la sévérité du préfet se lit à l’aune de l’alignement prescrit sur le modèle parisien, bien plus que comme un jugement impartial des efforts toscans en matière de formation des sages-femmes.
77À l’autre bout de l’Empire, dans le département des Bouches-de-la-Meuse, né de l’annexion en 1811 du royaume de Hollande, le relais du gouvernement français à La Haye, Goswin de Stassart porte un regard moins critique sur les institutions locales à destination des sages-femmes : (juillet 1812) « Il y a des ressources dans plusieurs villes du département pour procurer de l’instruction aux femmes qui se vouent à l’art des accouchemens117. » Un an plus tard, en août 1813, lorsqu’il répond à l’enquête de l’an xiv, il admire le « vrai mérite » des professeurs, tout en soulignant qu’à Leyde, « il n’y a point de dépenses à faire puisque les choses sont déjà établies sur un bon pied », qu’à La Haye, « il y a un local convenable » pour les cours théoriques tandis que « les leçons pratiques se donnent à domicile », et que ce système peut être adopté provisoirement à Rotterdam et Gorcum118.
78S’il prend la précaution de reconnaître dans chacun de ses courriers la supériorité de l’enseignement délivré à l’Hospice de la Maternité de Paris, le préfet temporise lorsqu’il reçoit l’ordre de supprimer les cours de Leyde, La Haye et Rotterdam et réclame du ministre une nouvelle confirmation de la décision119.
79Son collègue des Bouches-du-Weser se montre moins timoré, annonçant en janvier 1812 qu’il a « provisoirement autorisé M. Gramberg à continuer son cours » à Oldenbourg, après avoir rappelé que son département était auparavant pour l’enseignement de la médecine et de la chirurgie dans l’orbite de l’université de Göttingen120. Le ministre de l’Intérieur reste circonspect et se contente d’envoyer un exemplaire du règlement parisien pour inciter à réformer l’institution oldenbourgeoise, qu’il encourage dès l’année suivante à délaisser au profit d’un projet neuf à Brême121.
80Plus au nord, dans les Bouches-de-l’Elbe, la démonstration préfectorale du fonctionnement régulier et efficace du cours de Lübeck122, ne suscite du ministère que la demande d’envoi d’élèves à Port-Royal123.
81Avec le décalage chronologique propre à la date d’entrée des nouveaux départements dans le giron français, le ministre de l’Intérieur formule donc les mêmes exigences que celles qu’il destinait à l’Hexagone des années 1802-1806, en invitant encore et toujours ses préfets à envoyer leurs futures sages-femmes à l’Hospice de la Maternité de Paris. De l’autre côté, le même argument évident revient sous la plume des préfets pour refuser l’envoi : les futures élèves ne parlent pas français.
82Les instances ministérielles cèdent toutefois assez rapidement devant la barrière de la langue : « Les femmes de vos communes n’entendent point encore la langue française », reconnaît Montalivet dans un courrier au préfet des Bouches-du-Rhin en 1812124. À l’opposé, les préfets des régions non-francophones tentent des prouesses pour répondre aux souhaits du ministre. En 1812, Patrice de Coninck, en poste à Hambourg, dit son espoir « que d’ici à l’ouverture du cours d’accouchement de l’année prochaine, quelques élèves se seront rendues habiles à profiter de la faveur qui leur est offerte125 ». En 1813, l’essai est transformé dans l’ancien royaume de Hollande, puisque deux élèves originaires des Bouches-de-la-Meuse suivent les cours de l’Hospice de la Maternité126. Ces prodiges restent cependant des exceptions.
83La persévérance du ministre de l’Intérieur à proposer, avant toute autre solution de formation, l’envoi des élèves sages-femmes à Paris ne tient aucun compte des difficultés matérielles et linguistiques (même si les départements italiens semblent partiellement dispensés127) Elle s’ancre dans la volonté de conserver la primauté symbolique de l’Hospice de la Maternité. Les départements réunis avant le Consulat, qui plus est dans des régions francophones, suivent l’évolution des « vieux » départements français et obtiennent une autonomie plus précoce en matière de formation obstétricale que les espaces conquis sous le Consulat et l’Empire. Il en est de même pour les départements créés sur la rive gauche du Rhin, et dont l’assimilation administrative se fait progressivement entre 1798 et le décret consulaire du 30 juin 1802128. Dès 1807-1808, le ministre de l’Intérieur ordonne la mise en place d’écoles départementales d’accouchement à Cologne (Roer), Mayence (Mont-Tonnerre) et Trèves (Sarre)129. Pour les départements intégrés après la proclamation de l’Empire, la circulaire du 18 vendémiaire an xiv est simplement ressortie des archives130.
84La loi de ventôse portait dans son article 30 que devait être choisi l’hospice le plus fréquenté du département pour accueillir le cours d’accouchement. La correspondance ultérieure du ministre de l’Intérieur spécifie l’abstraction législative en indiquant le volume de la fréquentation (nombre de femmes enceintes admises dans l’établissement), et en définissant même, à l’issue des premières réponses à l’enquête de l’an xiv, un seuil minimal de lits réservés à ces femmes dans l’hospice (10 à 12)131. Ce seuil, officialisé par une communication ministérielle à valeur de circulaire d’application, constitue dès lors l’horizon minimal et indispensable de tout cours d’accouchement conforme aux principes de ventôse revus et corrigés à la lumière de Port-Royal. Il justifie par exemple d’imposer à l’automne 1812 au préfet de Jemmapes de revoir sa copie pour son projet de cours à l’hospice de Mons132.
85Pourtant, de la théorie à la pratique, se déploie toute la gamme des petits arrangements particuliers. En frimaire de l’an xiv, à la question sur « l’hospice le plus fréquenté quant aux accouchements », le préfet du Léman répond : « Il n’en existe aucun qui ait cette destination. L’hôpital de Genève en particulier n’a que peu ou point de femmes à recevoir pour y faire leurs couches133. » Après ce constat, il poursuit :
L’établissement d’un cours d’accouchement dans un hôpital entraîne presque nécessairement celui d’une chambre pour les accouchemens illégitimes, puisqu’il n’y a guère que cette espèce de sujets qu’on ait le droit d’exposer à une inspection publique ; les petites villes présentent sur un pareil établissement des considérations toutes différentes que celles que fournissent les grandes cités. […] Il y a trop de considérations locales et morales qui s’opposent à cet établissement dans l’hôpital pour calculer ce qu’il pourrait coûter.
86De telles observations semblent appeler une fin de non-recevoir à la poursuite du cours d’accouchement professé sur demande du préfet par le docteur Jurine, qui « trouve dans les domiciles de particuliers ou chez les sages-femmes les sujets de ses leçons de pratique ». Malgré cet empêchement apparemment dirimant, le ministre de l’Intérieur, dans une lettre du 6 juin 1807, déclare « qu’on ne peut trop se hâter d’organiser dans cette ville le cours gratuit ».
87Il existe donc deux poids et deux mesures. Le préfet de l’Ems Oriental se voit ainsi refuser en 1813 le rétablissement officiel d’un cours poursuivi depuis 1797 par le professeur von Halem sur des bases modestes mais rigoureuses incluant un minimum de formation clinique134, alors que le Simplon est autorisé la même année à organiser à Sion un cours d’accouchement de trois mois dont les fondements pratiques sont inexistants135.
88La contradiction se résout dans l’attitude vis-à-vis des traditions de formation antérieures à l’installation française. Pour être pérennisée, l’institution doit déjà relever du modèle français. C’est le cas à Bruges où la continuité de l’enseignement a été rompue près de dix ans avant l’enquête de l’an xiv et où son rétablissement est projeté dans un hospice accueillant près de 120 accouchements par an136. Plus encore, c’est le cas à Turin où l’influence française a présidé à la naissance de l’école-maternité en 1728. En 1800, les troupes de Bonaparte reprennent le Piémont et la République subalpine remplace la République piémontaise de 1798. Cette année-là, la maternité est séparée de l’hôpital et sa direction est confiée à un accoucheur, cumulant les soins aux femmes enceintes et la formation obstétricale, préfiguration de l’organisation de l’Hospice de la Maternité de Paris137. Au moment de la départementalisation de la République subalpine, le pouvoir central ne remet nullement en cause le fonctionnement d’un établissement qui répond à tous les critères souhaités par Paris.
89En revanche, lorsqu’il doit choisir entre le maintien et l’adaptation d’un établissement ancien ne relevant pas de la filiation française et une création, le ministre de l’Intérieur choisit la seconde solution qui répond mieux à la volonté politique impériale. La pertinence immédiate des structures créées est donc sacrifiée dans certains cas à l’application rigide d’un modèle idéologique. Mais cette approche volontariste se fonde aussi dans une perspective à long terme qui juge l’efficacité des cours à l’aune de leur développement futur. L’hospice principal de Genève ne reçoit pas de femmes enceintes ? Qu’à cela ne tienne, l’offre entraînera la demande – sans considération pour les intentions moralisantes du préfet – et les ressources cliniques inexistantes finiront par se multiplier avec les années.
90Le destin de l’Empire ne s’accorde toutefois pas avec ses objectifs. La retraite de Russie en 1812, la reconstitution de l’alliance européenne contre la France en 1813 et la guerre qui occupe la fin du régime interrompent net la politique d’intégration des nouveaux départements, tous perdus dès 1814. Le bilan est mitigé. De nombreux projets sont restés en suspens : Brême, Bois-le-Duc, Amsterdam, Sion, Florence… en cours d’organisation au moment où tout s’écroule. Dans les départements de la rive gauche du Rhin, les résultats des écoles mises en place à Cologne, Mayence et Trèves ne sont pas à la hauteur des espérances, et c’est la poursuite, illégale, des cours d’accouchement sur le modèle ancien dans le département du Rhin-et-Moselle qui porte les meilleurs fruits pendant la durée de l’occupation française138. La décennie 1800 sous domination française interrompt des dynamiques antérieures, qu’elle délégitime au motif qu’elles ne correspondent pas à la définition impériale de l’instruction des sages-femmes. Elle fige les initiatives en interdisant le maintien de cours dans l’attente d’un hypothétique envoi dans une institution adéquate. Le projet de cours toujours repoussé à Amsterdam dans le Zuydersée bride les autres départements de l’ancien royaume de Hollande, invités à patienter et à envoyer leurs élèves « près les cours d’accouchement qui seront établis dans les principales villes des départements réunis139 ». Ce sont autant d’accoucheuses qui ne sont pas instruites dans l’intervalle, même s’il faut nuancer l’obéissance aux ordres de suppression des formations existantes.
91Quelle postérité de l’eldorado parisien tant vanté par les ministres successifs ? La distance, la non maîtrise du français en ont éloigné bien des sages-femmes potentielles, mais la persévérance des préfets a réussi à faire entrer quelques dizaines d’élèves dans le giron de l’école. Entre l’an xi et avril 1808, 40 futures accoucheuses issues des départements de l’Empire élargi passent les portes de Port-Royal140. Elles viennent pour 36 d’entre elles de régions francophones (départements des Forêts, de Jemmapes, de l’Ourthe, de Sambre-et-Meuse et du Mont-Blanc), annexées à la France entre 1792 et 1795. La participation des nouveaux départements (8 % des élèves sages-femmes admises entre l’ouverture de l’école et 1808) reste néanmoins modérée, comparée à l’élargissement qu’a connu la France pendant ces années et à la fréquentation générale de l’Hospice de la Maternité de Paris.
92L’intégration des républiques italiennes et du royaume de Hollande ne modifie pas en profondeur le recrutement de l’établissement qui accueille en 1810-1811 36 futures sages-femmes originaires de huit départements du Grand Empire141, mais parmi lesquels on retrouve les principaux pourvoyeurs des années précédentes (Jemmapes, Forêts, Sambre-et-Meuse). Les départements néerlandophones de l’Escaut et des Deux-Nèthes envoient chacun une élève. L’ancien royaume de Sardaigne, départementalisé entre 1792 et 1802, est représenté par une élève du Mont-Blanc et quatre de la Stura. Les années suivantes ne connaissent aucune modification radicale de la fréquentation de l’Hospice de la Maternité dont le recrutement ne s’accroît jamais vraiment au-delà de la Wallonie et de la Savoie.
93Là où l’emprise scientifique et pédagogique est ancienne, là aussi où elle a rencontré d’autres traditions comme à Milan où se mêlent à l’Ospedale Santa Caterina alla Ruota influences parisienne et viennoise, l’adaptation des structures locales aux principes de l’occupant se fait sans trop de difficultés. À Bologne, la création en 1805 du royaume d’Italie coïncide avec le début officiel des cours confiés à Maria Dalle Donne142. La formation des sages-femmes qu’elle dirige est à cette date séparée de l’Istituo delle Scienze où Tarzisio Riviera continue d’enseigner les étudiants en chirurgie. L’instruction clinique doit, selon les plans d’origine, prendre place dans un établissement hospitalier.
94Le cas bolonais est symptomatique de la transposition en Italie des principes fondateurs de l’Hospice de la Maternité. L’enseignement est scindé en deux structures, correspondant à deux métiers clairement sexués, et l’enseignante choisie par le gouvernement républicain dès 1804 est docteur en médecine, soit une femme au savoir très largement supérieur à celui exigé pour ce poste. Ce décalage entre les diplômes de Maria Dalle Donne et son rôle de maîtresse sage-femme peut s’interpréter autant comme un cantonnement dans une fonction traditionnellement dévolue à son sexe, que comme la reconnaissance des compétences nécessaires au projet ambitieux de cette école d’accouchement.
95Le départ des Français ne signe pas la fin de tous les mouvements lancés pendant la période d’occupation et l’influence se fait sentir bien au-delà de la domination impériale. Florence en est la preuve. Entre 1810 et 1814, le préfet Faucher prépare avec Montalivet la mise en place d’une institution conforme aux principes de ventôse an xi et de l’Hospice de la Maternité. En janvier 1814, un rapport au ministre de l’Intérieur dresse l’état des lieux : l’emplacement du futur établissement est défini et ne restent à approuver que les nominations du professeur et de la sage-femme143. Seuls des obstacles matériels surmontables (financement et local) entravent la bonne marche du projet144.
96Après la défaite de Napoléon face à l’Europe coalisée, le traité de Paris du 30 mai 1814 ramène la France à ses frontières de 1792. Au Congrès de Vienne en 1815, Florence et la Toscane sont rendues à l’ex-grand-duc Ferdinand III. Quelques mois plus tard, une école-maternité voit le jour dans l’Ospedale degli Innocenti145, et Giovanni Bigeschi, approuvé le 13 janvier 1814 comme professeur d’accouchement de la future école du département de l’Arno par le ministre français de l’Intérieur146, peut enfin prendre ses fonctions, confirmées par le pouvoir grand-ducal147. La continuité est parfaite, signe de l’appropriation, hors de toute pression politique étrangère, du modèle parisien refondé en 1802.
La légitimité départementale : résistances locales et appropriation de la loi de ventôse
97La dynamique qui porte la formation des sages-femmes pendant le premier quart du xixe siècle n’émane pas toute entière de la capitale. Les départements jouent une partition propre. L’accélération des recréations de cours d’accouchement à partir de l’an viii tient un rôle décisif dans la vocation nationale donnée par Chaptal à l’école de l’Hospice de la Maternité, de même qu’elle inspire Fourcroy lorsqu’il rédige le titre V de la loi du 19 ventôse an xi. Une même cause aboutit à deux projets différents. Dans le premier cas, il s’agit de couper court à la multiplication d’institutions disparates pour privilégier une forme spécifique d’instruction incarnée dans un établissement unique. Dans le second, la même volonté de contrôle des structures provinciales de formation est à l’œuvre mais passe par la réduction législative de la variété primitive à un seul mode de transmission des connaissances. Le texte de ventôse prend acte de l’acquis et ouvre la voie à une continuité maîtrisée. Il justifie et légitime l’échelle départementale, fondant l’aspiration de ces collectivités à disposer d’un établissement spécial d’instruction. D’enjeu sanitaire, le cours départemental d’accouchement devient enjeu de pouvoir. À ce titre, la défense de l’enseignement local est un travail de longue haleine qui pose longtemps et avec insistance la question des rapports entre patrie et « petite patrie ».
Paris comme repoussoir
98Aux origines des cours départementaux il y a le refus de Paris148. « L’éloignement de la capitale est un grand obstacle à l’accomplissement des vues de Votre Excellence149. » Paris est loin, pour les paysannes toscanes ou flamandes, mais tout autant pour les Françaises qui vivent dans les limites anciennes du pays. La distance ne se mesure d’ailleurs pas uniquement en kilomètres effectifs, sinon les départements frontaliers feraient, seuls, grief à l’Hospice de la Maternité de son éloignement (Hautes-Pyrénées, Hautes-Alpes150.) Mais les départements proches de Paris ne sont pas en reste pour dire l’impossibilité du déplacement. Le préfet du Loiret souligne la cherté des frais de voyage « dont la quotité exclurait un grand nombre151 », s’attirant le rappel irrité du ministre de l’Intérieur de la proximité du département.
99C’est pourtant surtout le dépaysement qui nourrit les inquiétudes des élèves potentielles comme de leur entourage152. Les préfets ont conscience de l’effort fourni par les femmes venues suivre un cours au chef-lieu du département, point extrême de leur capacité d’éloignement153. Les courriers au ministre de l’Intérieur disent tous l’exception parisienne. Le nom de la capitale est à lui seul justification du refus, car à chaque ligne, Babylone point derrière Paris :
(Nord) Les parents tremblent pour les mœurs de leurs enfants abandonnés dans l’âge des passions à tous les dangers d’une ville comme Paris.154
(Meurthe) […] qu’on décidera difficilement une femme ou fille honnête et domiciliée à quitter ses foyers, pour un tems un peu long, aux risques de sa santé et de ses mœurs (car Paris passe aux yeux des bonnes gens de campagne pour une ville immonde sous plusieurs rapports) […].155
100Surgit l’image de la dépravation comme maladie dont Paris est le haut-lieu de fermentation et d’infestation. La sage-femme contaminée par l’immondice parisien est vecteur de contagion d’immoralité, aussi dangereuse aux yeux du médecin lorrain que l’impéritie d’accoucheuses peu ou mal formées. La préservation de l’honnêteté passe par le refus du séjour à Paris. Par ricochet, l’opprobre est jeté sur les candidates potentielles, soupçonnées de vouloir aller nourrir leur vice à la source (« des aventurières ») ou d’être trop bêtes pour saisir le péril qui les guette (« d’ineptes protégées »). La contagion des mauvais principes contractés dans la capitale se retrouve dans le repentir d’un courrier du préfet de la Côte-d’Or au ministère :
[…] si on imposait aux élèves sages-femmes l’obligation de ne s’instruire désormais qu’à l’école de la Maternité, […] on […] ne procurerait à la grande partie de celles qui se voueraient à la profession d’accoucheuse, que l’occasion de perdre leurs mœurs et de corrompre, à leur retour, celles de leurs compatriotes.156
101Les préfets se contentent alors de mettre en avant les préoccupations morales des familles. En l’an xi, les parents de Marguerite Lafon-Duroux, élève corrézienne choisie pour rejoindre l’école de Port-Royal, font dépendre leur consentement de la certitude que « les élèves sont logées ensemble à l’hospice » et que « leur conduite sera sévèrement surveillée157 ». De fait, l’institution a des failles, rares mais terriblement gênantes pour la commission administrative des hospices civils de Paris. Le 11 mai 1806, le membre de la commission « spécialement chargé de l’Hospice de la Maternité », Alhoy, écrit au préfet de l’Ardèche pour l’informer de « faits pénibles158 ». La demoiselle Frugier, boursière du département, a dû être éloignée de l’école pour cacher sa grossesse. Or cette jeune femme n’a pas été admise enceinte dans l’établissement. Alhoy intercède pour que l’argent destiné au paiement de la pension soit versé à la demoiselle Frugier afin de lui permettre de subvenir à ses besoins jusqu’à la date des examens qu’elle est autorisée à passer. La jeune femme doit pouvoir poursuivre sa vie d’avant la faute et pour cela, le préfet doit « rester le seul confident de ce secret ». L’enfant, s’il a vécu, a probablement été abandonné. L’oubli de l’affaire est une chance pour l’élève ardéchoise, et un impératif pour la réputation de l’établissement. Sept mois plus tard, le nouveau règlement de l’Hospice de la Maternité prévoit désormais que l’externat est soumis à l’autorisation écrite de la sage-femme en chef après vérification de la respectabilité de la maison choisie (titre IV, art. 3 et 4)159. Une même autorisation est indispensable pour toute sortie d’élève interne (titre IV, art. 6). En 1810, la possibilité de l’externat n’est plus évoquée et les sorties sont drastiquement limitées, dépendant du bon vouloir de l’agent de surveillance et de la présence d’un proche parent (père, mère ou époux) (titre IX, art. 2 à 5)160.
102Autant considérer dès lors que la scolarité à Port-Royal correspond à une année de claustration complète puisque les familles ne se déplacent pas, ce qui est un motif supplémentaire de réticence chez les candidates potentielles : filles ou épouses, « les personnes qui se livrent à cette profession sont toutes peu aisées, et presque toujours nécessaires à une famille qu’elles ne peuvent quitter très longtemps161 ». Les pourcentages de femmes mariées parmi les élèves de l’établissement parisien sont révélateurs de l’obstacle exprimé par les correspondances, puisqu’entre 1810 et 1819, ces femmes représentent 18,1 % de l’effectif total162. L’ennui, l’absence de nouvelles pour l’élève comme pour sa famille sont des réalités particulièrement pesantes, surtout dans des milieux peu lettrés. Le malaise décrit, la « répugnance », sont autant moraux que physiques. C’est la raison qui rend sans doute le plus précisément compte du ressenti des futures élèves parisiennes. De là l’impuissance des maires et des préfets à vaincre une aversion qui résiste à presque toutes les tentatives de persuasion.
103Paris l’immorale, Paris l’ogresse, Paris l’étrangère aussi… où la provinciale court le risque de ne pas être comprise et de ne pas pouvoir se faire comprendre163. La non francophonie est une réalité quotidienne de la France du xixe siècle164. Les régions les plus concernées sont les marges du pays (Bretagne, Alsace), mais aussi le midi occitan dont la frontière septentrionale court de la Charente à l’Ain165. L’argument linguistique du refus est alors commun aux élèves pressenties et à l’administration. Les préfets, les conseils généraux ne cessent d’affirmer au ministre de l’Intérieur l’inutilité de l’envoi à Paris, son aberration même puisqu’il ne serait que temps et argent perdus. S’il faut consacrer des fonds à la formation des sages-femmes, ces dernières doivent comprendre ce qu’on leur enseigne. D’autre part, les principes qui guident la réflexion des préfets et des conseils généraux sont ceux qui définissent le « recyclage des matrones ». S’ensuit un cercle vicieux : la seule élève possible à leurs yeux est une femme qui exerce déjà l’art des accouchements, et les caractéristiques culturelles de cette élève sont en complète contradiction avec les exigences de l’Hospice de la Maternité. La conclusion des préfets et des conseils généraux est recevable dans le cadre précis de leur raisonnement. Mais la prémisse fausse l’ensemble du raisonnement, puisque rien n’impose à la future élève sage-femme de Port-Royal qu’elle ait une quelconque expérience du métier qu’elle part apprendre.
104Autre obstacle : les ressources départementales ne sont pas extensibles. Le prix de la pension à payer pour le semestre de cours à l’Hospice de la Maternité passe de 250 francs en l’an x (art. 3) à 300 francs en 1807 (art. 8)166. Lorsque la durée de la formation passe à un an, la somme est automatiquement doublée et aux 600 francs annuels s’ajoutent les achats d’ouvrages obligatoires, les frais de blanchissage et les frais de voyage alors laissés à la convenance des préfets et des commissions administratives des hospices (67,75 francs)167. Immédiatement, l’usage contredit l’économie promise par Chaptal aux départements en 1802 et les correspondants du ministère sont unanimes à affirmer que l’établissement de Port-Royal est incapable de pourvoir au manque chronique d’accoucheuses diplômées. Pied à pied, avec une diplomatie redoutable, les préfets bataillent pour défendre leur politique locale. Avec précision, ils alignent les besoins des départements, leur capacité d’envoi à Paris et les résultats réels ou probables d’une école de chef-lieu. L’argumentation du préfet de l’Eure dans sa réponse à la circulaire ministérielle de février 1807 est un modèle du genre :
[…] il faudrait au moins trente réceptions par année pour subvenir aux besoins des communes rurales […]. Or il est impossible que trente élèves sortent du département pour l’école de la maternité. La plupart des filles qui embrassent cette profession sont extrêmement pauvres, une fille de bon laboureur dans ce département dédaigne l’état de sage-femme, il n’y avait donc que la pension gratuite qui pourrait attirer des élèves à Paris, mais pour la procurer, deux de nos hospices, Vernon et Louviers, en ont seuls la faculté. Je n’ai pour cette dépense aucune ressource. 1° le Conseil général n’a point voté de fonds pour les cours d’accouchement, et je n’ai pas l’espoir d’en obtenir en 1808. 2° les fonds affectés aux dépenses variables sont annuellement absorbés. 3° Le produit des rétributions provenant des officiers de santé […] pourrait tout au plus pourvoir à l’entretien d’une élève chaque année. Voici trois élèves à pension gratuite, supposons deux élèves à leurs frais, ce qui est bien supposition, total cinq élèves par an pour le département de l’Eure ; penserez-vous, Monseigneur, que l’instruction de ces cinq élèves, quelque perfectionnée qu’elle soit, puisse pour l’intérêt de l’humanité, s’acheter aux dépens de celle de trente femmes qui sans autre déplacement que de se rendre au chef-lieu puiseraient dans des cours périodiques au moins les premiers élémens de leur art et des notions suffisantes pour travailler dans les cas ordinaires.168
105Qui, dès lors, est « dangereux », du cours départemental modeste mais régulier ou du ministre campé sur ses principes ? Et quand bien même l’argent coulerait à flot, l’Hospice de la Maternité n’a pas la possibilité matérielle d’accueillir toutes les élèves que les départements ont la nécessité de faire former. Le ministère de l’Intérieur finit d’ailleurs par l’admettre : « On est bien persuadé que l’école de l’Hospice de la Maternité ne suffit pas pour fournir des sages-femmes à tout l’Empire169. »
106Dans ce face-à-face du pouvoir central et de son plus fidèle représentant renaît la tension contradictoire entre les modèles de Port-Royal et de ventôse an xi. Malgré l’obéissance due, l’ancrage local fait, la plupart du temps pencher le préfet du côté du texte législatif contre son ministre de tutelle. Ceci posé, le refus de Paris est un refus fécond qui ouvre la voie à la justification positive de l’enseignement provincial et à l’invention d’une complémentarité entre la capitale et les départements.
Défense et illustration de l’enseignement obstétrical de province
107La loi du 19 ventôse an xi ouvre pour les institutions départementales de formation obstétricale, lorsqu’elle est connue, des perspectives qu’on croyait oubliées depuis Chaptal. La diffusion du texte suit les voies législatives normales, grâce à La Gazette nationale ou Moniteur universel qui retranscrit quotidiennement, avec quelques jours de décalage, les débats au Conseil des Cinq-Cents. Certains maires ne le découvrent pourtant que très tardivement. En thermidor an xiii, le maire de la commune audoise de Cuxac-Cabardès fait part à son préfet de sa science visiblement toute neuve :
La lecture de la loi du 19 ventôse an xi, relative à l’exercice de la médecine a relevé mes espérances. […]. Il résulterait, Monsieur le Préfet, de l’exécution de ces dispositions de la loi du 19 ventôse que le but où tendait en l’an ix le conseil général du département, et vers lequel j’osais viser dans ma lettre du 10 floréal an xiii que vous avez daigné accueillir, serait atteint.170
108La fondation de l’Hospice de la Maternité de Paris et l’unicité du centre de formation retenue par le ministre de l’Intérieur ont créé, avant le vote de mars 1803, une situation inédite d’illégalité pour les cours départementaux. L’absence de tout texte règlementaire antérieur les protégeait, mais la fondation de l’école de Port-Royal les place en porte-à-faux avec les nouvelles exigences du gouvernement. La loi sur l’exercice de la médecine permet la réintégration potentielle de toutes les structures pédagogiques existantes. L’enjeu pour les départements est donc d’obtenir l’application de cette loi en s’offrant d’en prouver la légitimité pratique. Mais avant même de justifier les modalités possibles d’exécution des prescriptions législatives, les administrations départementales doivent rappeler le caractère contraignant du texte, dans une remarquable inversion de rôles avec le ministre. La circulaire de février 1807 qui transmet le nouveau règlement modifié de l’Hospice de la Maternité de Paris met le feu aux poudres. L’adjectif « dangereux », appliqué à tous les cours d’accouchement qui ne suivent pas l’enseignement donné à Port-Royal, suscite des répliques immédiates et encourage la résistance des institutions provinciales. La réaction est d’autant plus forte qu’elle succède au regain d’espoir qu’avait provoqué l’enquête de l’an xiv. L’interrogation est simple : pourquoi faire une loi si c’est pour ne pas l’appliquer ? La réponse ministérielle l’est tout autant : la loi n’est pas appliquée car les conditions locales d’enseignement ne le permettent pas.
109C’est donc sur ce problème des conditions de l’enseignement que peut se construire un contre-argumentaire provincial. Il faut faire la différence entre les raisons pratiques mises en avant par les préfets pour garder leurs élèves sages-femmes dans le département et les raisons pédagogiques avancées pour prouver le bien-fondé d’une instruction non parisienne. Ce sont les médecins qui développent ces dernières, parfois à la demande des administrateurs. Parmi eux, le docteur Edme Romieux, professeur du cours d’accouchement de La Rochelle, rédige en 1813 un Mémoire sur l’utilité des cours d’accouchement dans les départements à l’attention du ministre de l’Intérieur171.
110Le passif du cours rochelais est lourd : trois rejets catégoriques du projet préfectoral, deux condamnations sans appel de l’École de médecine de Paris entre 1806 et 1812 ; autant dire un véritable camouflet pour le professeur. Il y a dans les 28 pages manuscrites qui parviennent au ministère une part de justification personnelle. L’entrée en matière est une attaque en règle contre Jean-Louis Baudelocque, présenté comme l’ennemi acharné des cours départementaux :
Feu M. Baudelocque occupoit alors le premier rang parmi les accoucheurs ; il a vu d’un œil défavorable les cours d’accouchement des départements et il a travaillé à leur suppression. […] M. Baudelocque ! […] Plein de votre mérite comme accoucheur, jaloux surtout de la grande réputation que vous vous étiez faite en cette qualité, vous teniez à la conservation, et tout ce qui pouvoit y donner de l’étendue combloit votre cœur des plus douces jouissances.
111En clouant Baudelocque au pilori, Edme Romieux se trompe pourtant de cible. Par ses cours à l’École de médecine de Paris, l’homme de Port-Royal est jusqu’à sa mort confronté à un enseignement sans clinique, réduit aux mots et au mannequin. L’introduction à l’édition de 1806 des Principes sur l’art des accouchements révèle un Baudelocque sans préjugé sur les projets portés par la loi de ventôse :
[…] si les élèves sages-femmes savent profiter des sources d’instruction qui s’ouvrent partout en leur faveur, d’après la loi du 19 ventôse an xi, et surtout si on exécute ponctuellement cette loi […].172
112Au-delà d’un portrait à charge de feu Baudelocque, calculé pour épargner les autres rédacteurs potentiels des avis de l’École de médecine, l’intérêt du mémoire rochelais tient aux réponses de fond qu’il apporte aux critiques de l’École de médecine qui soulèvent les risques d’une instruction au rabais qui peuplerait le pays de demi-savantes sûres de leur droit. L’auteur défend l’article 30 de la loi du 19 ventôse an xi, rejetant tout antagonisme entre prescriptions législatives et objectifs du corps médical :
La loi du 19 ventôse an xi n’a pas été faite sans la participation des membres les plus renommés, les plus sages et les plus influents du corps médical de la capitale […]. Comment se fait-il que, peu de temps après, l’école soutienne que non seulement ces cours sont inutiles mais même qu’ils sont dangereux ? Cette différence d’opinion n’a pu être décidée par l’expérience.173
113Le point fondamental de l’argumentation réside dans le parallèle établi entre les cours départementaux et les « cours particuliers de la capitale qui ont formé presque tous les accoucheurs répandus dans les différents pays de la France » (cinq mentions). Docteur en médecine de la faculté de Paris, l’auteur fait de l’instruction qu’il a reçue une référence exemplaire et réactive ainsi une solidarité d’étudiants-accoucheurs exclus de l’Office des Accouchées puis de l’Hospice de la Maternité :
À Paris les professeurs particuliers d’accouchement rassemblent chez une sage-femme, une fois par semaine, dix à douze femmes enceintes qu’ils soumettent au toucher. Les professeurs des départements n’ont-ils pas souvent dans leurs hospices, un pareil nombre de femmes enceintes ? […] Dans les départements, les élèves peuvent acquerrir sur ce point de pratique, autant de lumière que ceux qui suivent les cours particuliers de la capitale.
114Le caractère restreint voire insuffisant des occasions d’observation clinique est soigneusement passé sous silence174. Edme Romieux s’appuie sur un raisonnement tautologique et corporatiste : les accoucheurs sont bien formés car ils sont accoucheurs et les cours particuliers parisiens délivrent un enseignement de qualité parce qu’ils sont le lieu principal d’instruction des accoucheurs.
115Ceci posé, Romieux développe une argumentation riche et originale, en s’appuyant opportunément sur la plus importante somme obstétricale de son époque : L’Art des accouchements, principal ouvrage de celui qu’il a désigné comme le contempteur de l’enseignement provincial175 : « Je vais démontrer, l’ouvrage de M. Baudelocque à la main, que tout ce qui regarde l’art d’accoucher peut être enseigné dans les départements176. »
116Le choix de ce qu’on appelle à l’époque le « Grand Baudelocque » n’a rien d’anodin. Le médecin rochelais vise au plus haut des connaissances obstétricales accumulées dans le demi-siècle précédent. Reprenant l’ouvrage du maître en suivant strictement son plan, l’auteur s’interroge à chaque étape sur le matériel pédagogique nécessaire, sur la manière la plus simple et la plus efficace de présenter les connaissances relatives à ce sujet, puis sur les qualités requises du professeur et enfin sur la possibilité, tous ces aspects combinés, de donner cet enseignement dans un cours départemental. Lorsque l’auteur se heurte à des éléments complexes de l’art des accouchements, l’enjeu du mémoire est alors de séparer ce qui relève de la recherche fondamentale en obstétrique et ce qui relève de l’obstétrique appliquée. Les moyens de reconnaître précocement la grossesse et le développement du fœtus pendant ses premiers mois sont par exemple opposés, car considérés comme superflus, au savoir sur le déroulement final de la gestation et sur les présentations de l’enfant à l’accouchement, définis comme essentiels. Le champ de l’utilité est circonscrit au fil du texte. Certains domaines en sont bannis, par exclusion de la compétence des sages-femmes (médecine légale) ou du savoir obstétrical (théories de la conception).
117Romieux remet à l’honneur le rôle fondamental du cours théorique, en insistant sur l’importance des qualités oratoires du professeur. Il définit ainsi un certain nombre de sections de l’ouvrage dont l’enseignement passe avant tout par la parole : les transformations occasionnées par la grossesse à l’utérus, celles entraînées par le déclenchement de l’accouchement, les accidents de la délivrance et les causes des accouchements contre nature. Sur ces deux derniers points, il nuance d’ailleurs l’apport de l’observation clinique. La supériorité numérique évidente des cas étudiés par les élèves sages-femmes de l’école de Port-Royal est reconnue pour ses avantages quantitatifs (pratique plus fréquente du toucher) mais contestée quant à son apport réel pour l’étude des accouchements dystociques qui demeurent rares, même à l’Hospice de la Maternité.
118S’ensuit une seconde remise à l’honneur : celle de la démonstration sur le mannequin puisque le recours à cet instrument est au cœur de la pédagogie prônée par Romieux. La « nature vivante » voit dans le discours de l’auteur sa place réduite à la portion congrue. La part respective de l’entraînement sur mannequin (pratique artificielle) et de l’équivalent au lit des femmes en couches (pratique clinique) dans l’instruction des sages-femmes est alors conçue en fonction des possibilités offertes aux accoucheurs français et européens177.
119La faiblesse clinique d’un enseignement « à la Romieux » n’échappe cependant pas à son auteur et sa contestation du monopole national de l’Hospice de la Maternité ne le dispense pas de proposer un moyen d’améliorer les capacités cliniques des cours départementaux. L’enquête de l’an xiv a donné une image figée et surtout rétrospective du public des hospices destinés à accueillir les cours d’accouchement. Nombre de départements ont répondu qu’aucun de leurs hospices ne recevait de femmes en couches ou que leur présence était trop rare pour justifier l’existence de salles spécifiques178, sans en déduire toutefois d’empêchement au développement de cette activité. L’exemple de l’Eure est révélateur puisqu’après avoir signalé que l’hospice d’Evreux n’a jamais admis de femme en couches, le préfet propose d’ouvrir une salle à cet effet pour permettre la mise en place de l’instruction des sages-femmes179. Dans un esprit similaire, Edme Romieux défend dans son Mémoire l’idée d’un élargissement de l’accueil des hospices, arguant du rétablissement récent de la Société de Charité maternelle180. La proposition révèle à quel point la reconnaissance de la formation provinciale des sages-femmes dépend du vivier de cas cliniques appelé à se constituer dans les hospices. Ce qu’Edme Romieux réclame au fond, c’est que soit laissé à l’enseignement départemental le temps de faire la preuve de son efficacité et à la loi de ventôse an xi, le temps de mettre correctement en œuvre ses dispositions.
120L’apport du texte du médecin rochelais est ambigu. À l’échelle nationale, les mémoires de ce type sont rares et leur qualité ne suffit pas à compenser leur petit nombre. À l’échelle de la Charente-Maritime, il précède immédiatement la reconnaissance ministérielle du cours dirigé par Romieux (arrêté du 24 février 1813). À l’échelle de la France, il intervient à une période où le ministre de l’Intérieur a déjà renoncé au monopole de l’Hospice de la Maternité de Paris pour travailler à imposer son modèle à taille réduite dans les départements. À ces deux égards, le Mémoire sur l’utilité des cours d’accouchements dans les départements n’initie pas un mouvement, il lui offre plutôt son grand texte récapitulatif de défense et illustration. En parallèle, les grands hommes de Port-Royal ont soufflé à l’oreille du pouvoir central la seule solution pour pérenniser la primauté de l’établissement : faire de l’école de la Maternité le sommet de l’enseignement, en lui donnant le rôle d’une « école de perfectionnement181 », complémentaire des formations départementales182. Le recrutement parisien se maintient donc par ce moyen qui renforce, par la subordination explicite qu’il engendre, la distinction entre sages-femmes de première et de deuxième classe.
121L’exemple rochelais éclaire un espace trouble d’illégalité tolérée par le pouvoir central ou maintenue contre ses avis. En six ans, le ministre de l’Intérieur refuse à trois reprises la régularisation d’un cours d’accouchement au chef-lieu de la Charente-Maritime. Or, pendant toutes ces années, depuis l’an xiii voire depuis l’an xi si l’on suit le témoignage d’Edme Romieux, la formation des sages-femmes fonctionne et des accoucheuses sont autorisées à exercer à l’issue de ce cours qui se revendique comme la simple application de la loi du 19 ventôse an xi183. Ce cas qui n’est pas si particulier correspond à l’une des nombreuses manières dont les départements tranchent le dilemme entre obéissance au ministère de l’Intérieur et exécution des prescriptions législatives. La décennie 1810 constitue cependant un temps de conciliation des modèles d’enseignement – parisien et monopoliste, départemental et multiple – dans un système déconcentré d’adaptation du règlement de l’Hospice de la Maternité à des terrains moins naturellement favorables. La conciliation institutionnelle porte d’ailleurs en elle le compromis hiérarchique mis au point pour préserver le champ d’action et de savoir de la sage-femme de Port-Royal dont l’aura rayonne jusqu’à envelopper l’accoucheuse instruite en province. Mais dans la duplication à l’infini de la Maternité parisienne se joue bien plus que le prestige de l’établissement ou la fierté du ministre de l’Intérieur. L’unicité de la profession et la légitimation de son appartenance au corps médical y puisent, armées de l’intransigeance gouvernementale, leurs meilleurs arguments contre la piètre réputation d’une fonction déconsidérée.
Notes de bas de page
1 Fosseyeux M., « Sages-femmes et nourrices à Paris au xviiie siècle », La Revue de Paris, 1921, septembre-octobre, p. 538 et 544-545.
2 Delaunay P., La Maternité de Paris, Paris, Librairie Jules Rousset, 1909, p. 368 ; Huard P., « L’enseignement libre de la médecine à Paris au xixe siècle », Revue d’histoire des sciences, 1974, t. 27, no 1, p. 45-62.
3 Delaunay P., « Les chirurgiens-accoucheurs en chef de la Maternité de Paris, titulaires et prétendants », BSFHM, 1906, no 5, p. 330.
4 Gélis J., La Sage-femme ou le médecin…, op. cit., p. 56 à 64.
5 Delaunay P., La Maternité…, op. cit., p. IV de la préface du docteur Porak.
6 Tenon J.-R., Mémoire sur les hôpitaux de Paris, Paris, Royez, libraire, 1788, p. 238-239.
7 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital …, op. cit., p. 33.
8 Ibid., p 59-62.
9 Hervé G. (Dr), « Un mémoire de Hombron sur l’Hospice de la Maternité en 1801 », BSFHM, 1913, no 12, p. 524.
10 Chaussier F. (Dr), Notice sur la vie et les écrits de Mme Lachapelle, décédée sage-femme en chef de la maison d’accouchement, Paris, imprimerie de Madame Huzard, 1823, p. 8-9.
11 Delacoux A., Biographie des sages-femmes célèbres, anciennes et modernes, Paris, Trinquart, 1834, p. 73.
12 Chaussier F. (Dr), Notice sur la vie et les écrits de Mme Lachapelle …, op. cit., p. 9 ; P. Delaunay, La Maternité…, op. cit., p. 256.
13 Delaunay P., La Maternité…, op. cit., p. 280-281.
14 Prévost A., La Faculté de médecine de Paris, ses chaires, ses annexes et son personnel enseignant de 1790 à 1900, Paris, A. Maloine, 1900, p. 16.
15 RLRES 1, p. 43. Les élèves de la patrie sont des jeunes gens choisis dans chaque district départemental par des officiers de santé. La scolarité de ces jeunes gens est prise en charge par l’État et ils reçoivent un traitement égal à celui des élèves de l’École centrale des travaux publics.
16 Prévost A., La Faculté de médecine de Paris…, op. cit., p. 28-29.
17 AD Marne, 1 L 1248.
18 Prévost A., L’École de santé de Paris…, op. cit., p. 118.
19 Baudelocque J.-L., Principes de l’art des accouchements par demandes et réponses, en faveur des élèves sages-femmes, 7e édition augmentée, Paris, Germer-Baillière, 1837, avec reprise de l’avertissement de l’auteur pour la 3e édition, p. XI.
20 Delaunay P., « Les chirurgiens-accoucheurs en chef de la Maternité de Paris… », art. cit., p. 327-328.
21 AN, F15/1861.
22 Prévost A., L’École de santé de Paris …, op. cit., p. 29.
23 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital…, op. cit., p. 108.
24 Delaunay P., La Maternité…, op. cit., p. 290.
25 RLRES 1, p. 87-89, arrêté-règlement du ministre de l’Intérieur sur les divisions du service de la Maternité, 11 messidor an x.
26 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital…, op. cit., p. 137.
27 Ibid., p. 108 ; Delaunay P., La Maternité…, op. cit., p. 281.
28 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital…, op. cit., p. 137.
29 Siebold E. C. J. (von), Lettres obstétricales, traduites de l’allemand par Alphonse Morpain, avec une introduction d’Alexis Stoltz, Paris, Baillière, 1866, p. 76.
30 Ibid., p. 178 ; Filippini N. M., « Sous le voile : les parturientes et le recours aux hospices de maternité à Turin, au milieu du xixe siècle », RHMC, t. 49, no 1, janv.-mars 2002, p. 179 ; Pancino C., Il bambino e l’acqua sporca…, op. cit., p. 93-97.
31 Gélis J., La Sage-femme ou le médecin…, op. cit., p. 297-298.
32 AD Bas-Rhin, 150 J 110, manuscrit de Joseph-Alexis Stoltz sur l’école d’accouchement de Strasbourg, notes inédites.
33 Siebold E. C. J. (von), Essai sur l’histoire de l’obstétricie, Göttingen, 1839 (t. 1), 1845 (t. 2), Paris, G. Steinheil, 1891, t. 2, p. 371, citation d’Osiander, professeur d’obstétrique et directeur de la maternité de Göttingen entre 1792 et 1822.
34 Schlumbohm J., « Comment l’obstétrique est devenue une science », ARSS, 2002, vol. 143, no 1, p. 18 et 20.
35 Ibid., p. 19.
36 Le statut de professeur extraordinaire ne donne droit à aucune rémunération de l’université.
37 Siebold E. C. J. (von), Essai sur l’histoire de l’obstétricie, op. cit., p. 397, 401, 411.
38 Schlumbohm J., « Comment l’obstétrique… », art. cit., p. 21.
39 Saada A., « De Halle à Göttingen. Processus d’institutionnalisation et développement intellectuel », dans Bödeker H. E., Büttgen P., Espagne M. (dir.), Göttingen vers 1800, l’Europe des sciences de l’homme, Paris, Cerf, 2010, p. 31-32.
40 Gélis J., La Sage-femme ou le médecin…, op. cit., p. 292-294.
41 Schlumbohm J., « Comment l’obstétrique… », art. cit. ; id., « Les limites du savoir : médecin et femmes enceintes à la maternité de l’université de Göttingen aux alentours de 1800 », RHMC, 2005, 52-1, p. 64-94.
42 Schlumbohm J., « Les limites du savoir… », art. cit., p. 75 sq. ; Gélis J., La Sage-femme ou le médecin..., op. cit., p. 254 sq.
43 Schlumbohm J., « The Practice of Practical Education : Male Students and Female Apprentices in the Lying-in Hospital of Göttingen University, 1792-1715 », Medical History, 2007, 51, p. 13.
44 AD Bas-Rhin, 150 J 110.
45 Schlumbohm J., « The Practice of Practical Education… », art. cit., p. 6.
46 Ibid., p. 16.
47 Siebold E. C. J. (von), Essai sur l’histoire de l’obstétricie, op. cit., p. 546-547 ; Lefort L., Des Maternités, étude sur les maternités et les principales institutions charitables d’accouchement à domicile dans les principaux pays états de l’Europe, Paris, Victor Masson et fils, 1866, p. 156-158.
48 Lefort L., Des maternités…, op. cit., p. 167 et 171.
49 AD Aveyron, 3 X 45.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 Baudelocque J.-L., Principes sur l’art des accouchemens…, op. cit. ; l’ouvrage a été consulté dans sa 7e édition qui reproduit l’avertissement de l’auteur paru dans la 3e édition de 1806.
53 Hucherard, Sausseret, Girault, Mémoire historique et instructif sur l’hospice de la maternité, Paris, 1808. Dès sa parution, cet ouvrage est mis au nombre des livres fournis aux élèves sages-femmes à leur entrée dans l’établissement.
54 Baudelocque J.-L., Principes sur l’art des accouchemens …, op. cit., p. XIII-XIV.
55 Ibid., p. XVIII.
56 Ibid., p. XXIV.
57 Ibid., p. XXIV-XXV.
58 Ibid., p. XXX.
59 AD Aveyron, 3 X 45.
60 Chaussier F. (Dr), Notice sur la vie et les écrits de Mme Lachapelle …, op. cit., p. 15-16.
61 Hucherard, Sausseret, Girault, Mémoire historique et instructif …, op. cit., p. 60.
62 Cette maladie tue encore près de 80 000 personnes par an à la fin du xviiie siècle, voir Darmon P., « L’odyssée pionnière des premières vaccinations françaises au xixe siècle », HES, 1982, vol. 1, no 1, p. 106.
63 Darmon P., « Vaccins et vaccinations avant Jenner : une querelle d’antériorité », HES, 1984, vol. 3, no 4, p. 58.
64 Hucherard, Sausseret, Girault, Mémoire historique et instructif …, op. cit., p. 61.
65 Ibid.
66 Gélis J., « L’accoucheuse rurale au xviiie siècle : transformation du rôle d’un intermédiaire entre culture rurale et culture urbaine », art. cit., p. 127-137.
67 Voir Berthiaud E., « Attendre un enfant ». Vécu et représentations de la grossesse aux xviiie et xixe siècles (France), thèse pour le doctorat en histoire, Université de Picardie-Jules-Verne, 2011, p. 435-446.
68 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital…, op. cit., p. 193-194.
69 Hucherard, Sausseret, Girault, Mémoire historique et instructif…, op. cit., p. 62.
70 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital…, op. cit., p. 125.
71 Guillaume J. (éd.), Procès-verbaux du Comité d’instruction publique…, op. cit., p. 307. Le Mémoire historique et instructif signale qu’un « jardin pharmaceutique » est établi pour servir de base à cet enseignement.
72 Hucherard, Sausseret, Girault, Mémoire historique et instructif …, op. cit., p. 62.
73 Siebold E. C. J. (von), Essai sur l’histoire de l’obstétricie, op. cit., p. 479-480.
74 Léonard J., Les médecins de l’Ouest …, op. cit., p. 261 sq.
75 RLRES 1, p. 99-100.
76 Ibid., p. 90-93.
77 EDRES, p. 554-567.
78 RLRES 1, p. 93.
79 EDRES, p. 566.
80 RLRES 1, p. 90.
81 Ibid., p. 99.
82 Ibid., p. 96.
83 Léonard J., Les médecins de l’Ouest …, op. cit., p. 270.
84 RLRES 1, p. 99.
85 EDRES, p. 494, projet de loi sur l’enseignement et la police de la médecine, 29 pluviôse an ix, art. 28 ; ibid., p. 501, projet d’arrêté concernant les écoles de médecine, 23 prairial an ix, art. 15.
86 Ibid.
87 RLRES 1, p. 96.
88 Ibid., p. 98 et 100.
89 Léonard J., Les médecins de l’Ouest …, op. cit., p. 279.
90 RLRES 1, p. 100.
91 Léonard J., Les médecins de l’Ouest …, op. cit., p. 281.
92 RLRES 1, p. 115.
93 Ibid., p. 89.
94 Ibid., p. 116.
95 AD Drôme, 5 M 18.
96 AD Aveyron, 3 X 45.
97 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital …, op. cit., p. 113, extrait de la circulaire ministérielle du 30 fructidor an xi.
98 AN, F17/2463, Loiret.
99 AN, F17/2468, Seine.
100 Flottes L., Enquête de l’an xiv : prémices d’une formation organisée pour les sages-femmes, mémoire pour le diplôme d’État de sage-femme, École de sages-femmes Baudelocque, 2014.
101 AN F17/2460, Finistère.
102 La distinction faite entre les deux types de professeurs est liée à l’obligation de payer une rétribution beaucoup plus forte au chirurgien qui exerce « en libéral » qu’au chirurgien de l’hospice, déjà défrayé pour le reste de sa charge.
103 AD Côte-d’Or, M7 n I/1.
104 AN, F17/2463, Meurthe.
105 Le passage d’une scolarité de six mois à un an se fait lors de la deuxième révision du Règlement, en 1810.
106 AD Corrèze, 1 X 161. C’est le ministre qui souligne.
107 Ibid.
108 AD Côte-d’Or, M7 n I/1.
109 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital …, op. cit., p. 117.
110 Hudemann-Simon C., « La politique sociale de l’État français sur la rive gauche du Rhin occupée puis annexée, 1794-1814 », HES, 1996-4, p. 602.
111 Gélis J., La Sage-femme ou le médecin …, op. cit., p. 85-107 ; 173-194.
112 AN, F17/2459, Ems Supérieur.
113 AN, F17/2457, Bouches-du-Weser.
114 Sur la mise en place d’une formation des accoucheuses à Florence au xviiie siècle, voir Brau J., « La professionnalisation de la santé dans la Toscane des Lumières, 1765-1815 », RHMC, t. 41, no 3, juil.-sept. 1994, p. 430 sq.
115 AN, F17/2457, Arno.
116 AN, F17/2457, Arno.
117 AN, F17/2457, Bouches-de-la-Meuse.
118 Ibid.
119 Ibid.
120 AN, F17/2457, Bouches-du-Weser.
121 Ibid.
122 AN, F17/2457, Bouches-de-l’Elbe.
123 Ibid.
124 AN, F17/2457, Bouches-du-Rhin.
125 AN, F17/2457, Bouches-de-l’Elbe.
126 AN, F17/2457, Bouches-de-la-Meuse.
127 AN, F17/2460, Gênes : « L’éloignement où votre département se trouve de la capitale et la difficulté d’y rencontrer des sujets assez familiarisés avec la langue française pour profiter des leçons qu’on donne dans cette langue à la maternité, ne vous permettent probablement pas, Monsieur, d’exécuter mon arrêté du 17 janvier ».
128 Hudemann-Simon C., « La politique sociale de l’État français… », art. cit., p. 602.
129 Ibid., p. 605. Sur le département de la Sarre, voir Labouvie E., Beistand in Kindsnöten…, op. cit., p. 269 sq.
130 AN, F17/2463, Méditerranée.
131 AN, F17/2462, Jemmapes.
132 Ibid.
133 AN, F17/2462, Léman.
134 AN, F17/2459, Ems Oriental.
135 Vouilloz-Burnier M.-F., L’accouchement entre tradition et modernité …, op. cit., p. 134-135.
136 AN, F17/2463, Lys.
137 Filippini N. M., « Sous le voile… », art. cit., p. 180.
138 Hudemann-Simon C., « La politique sociale de l’État français… », art. cit., p. 605-606.
139 AN, F17/2457, Bouches-de-l’Escaut.
140 Hucherard, Sausseret, Girault, Mémoire historique et instructif…, op. cit., p. 66-67.
141 Deux-Nèthes, Escaut, Forêts, Jemmapes, Mont-Blanc, Ourthe, Sambre-et-Meuse, Stura, voir Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital…, op. cit., p. 138.
142 Berti Logan G., « Women and the Practice and Teaching of Medecine in Bologna in the Eighteenth and Early Nineteenth Centuries », Bulletin of the History of Medicine, vol. 77, no 3, 2003, p. 517 sq.
143 AN, F17/2457, Arno.
144 Ibid.
145 Brau J., « La professionnalisation de la santé dans la Toscane des Lumières… », art. cit., p. 431.
146 AN, F17/2457, Arno.
147 Siebold E. C. J. (von), Essai sur l’histoire de l’obstétricie, op. cit., p. 674.
148 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital …, op. cit., p. 114-116.
149 AN, F17/2462, Jura.
150 AD Hautes-Pyrénées, 1 N 2* ; AN, F17/2457, Hautes-Alpes.
151 AN, F17/2463, Loiret.
152 J. Gélis a montré combien le changement d’échelle du cadre quotidien pouvait décourager les futures accoucheuses, voir La Sage-femme ou le médecin …, op. cit., p. 149-150.
153 Dupâquier J., « Sédentarité et mobilité dans l’ancienne société rurale. Enracinement et ouverture : faut-il vraiment choisir ? », Histoire et Sociétés Rurales, no 18, 2002, p. 122-123.
154 AN, F17/2464, Nord.
155 AN, F17/2463, Meurthe.
156 AD Côte-d’Or, M 7/n I/1. Le passage en italiques correspond au morceau de phrase raturé dans le brouillon de la lettre.
157 Sage Pranchère N., Mettre au monde …, op. cit., p. 161.
158 AD Ardèche, 5 M 30.
159 AD Corrèze, 1 X 161.
160 Ibid.
161 AN, F17/2463, Loiret.
162 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital …, op. cit., p. 136.
163 Ibid.
164 Weber E., La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, 1870-1914, Paris, Fayard, 1983, p. 108-109 et 841 sq.
165 Sage Pranchère N., Mettre au monde …, op. cit., p. 131-132.
166 RLRES 1, p. 87, arrêté-règlement du ministre de l’Intérieur sur les divisions du service de la Maternité, 11 messidor an x ; AD Corrèze, 1 X 161.
167 AD Corrèze, 1 X 161.
168 AN, F17/2459, Eure.
169 AN, F17/2458, Charente-Maritime.
170 AD Aude, 5 MD 16.
171 AN, F17/2458, Charente-Inférieure.
172 Baudelocque J.-L., Principes sur l’art des accouchemens …, op. cit., p. XVII et XXXIII.
173 AN, F17/2458, Charente-Inférieure.
174 À la même époque, le directeur de la maternité de Göttingen, Benjamin Osiander, voit au contraire un atout dans la taille réduite de son établissement, voir Schlumbohm J., « Comment l’obstétrique… », art. cit., p. 24.
175 Baudelocque J.-L., L’Art des accouchements, Paris, Méquignon l’aîné, 1781. Il est probable que l’édition utilisée par Edme Romieux soit la troisième (1796) ou la quatrième (1807).
176 AN, F17/2458, Charente-Inférieure.
177 Dénoncée par Osiander lors de son passage à Paris au début du siècle, la faiblesse de la formation des praticiens au lit des parturientes est confirmée par Eduard Caspar Jacob von Siebold vingt ans plus tard, voir Essai sur l’histoire de l’obstétricie, op. cit., p. 628 : « Un cours durait ordinairement un trimestre, pendant lequel il y avait dix ou quinze accouchements ; chaque auditeur inscrit avait le droit de pratiquer un accouchement normal ».
178 Flottes L., Enquête de l’an xiv : prémices d’une formation organisée pour les sages-femmes, op. cit., p. 22-25.
179 AN, F17/2459, Eure.
180 Berthiaud E., « Les sociétés de charité maternelle : de la charité à l’assistance médicale », dans M.-C. Dinet-Lecomte, S. Beauvalet, Lieux et pratiques de santé du Moyen Âge à la Première Guerre mondiale, Encrage, 2013, p. 167-197. Fondée à Paris en 1788, la Société, disparue pendant la période révolutionnaire, est refondée sous les auspices de l’impératrice Marie-Louise par décret impérial du 5 mars 1810.
181 AN, F17/2457, Calvados.
182 Beauvalet-Boutouyrie S., Naître à l’hôpital …, op. cit., p. 117.
183 AN, F17/2458, Charente-Inférieure.
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