Système productif, réseaux internationaux de villes, dynamiques urbaines : les villes européennes de l’aéronautique intégrées au système productif Airbus
p. 515-521
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur1
OBJET ET PROBLÉMATIQUES
2Peut-on qualifier les relations entre « systèmes productifs » et réseaux internationaux de villes ? Quelles sont les formes de relations et de compétitions entre les villes, et leurs conséquences sur les dynamiques de développement local ?
3Dans le cadre d’une approche des rapports entre territoire urbain et système productif, les réponses apportées à ces interrogations procèdent d’une analyse des activités aéronautiques, plus particulièrement du programme civil des avions Airbus dont la production relève d’une organisation constituant un réseau d’entreprises et d’établissements, tissé à partir de sites urbains répartis dans plusieurs pays européens.
4Par rapport aux attendus de la recherche, les caractéristiques du système productif de l’aéronautique pour les avions Airbus répondaient aux critères suivants :
- Une dynamique positive affirmée tant en termes de concurrence internationale à l’échelle mondiale que de processus de concentration d’entreprises à l’échelle européenne et de réorganisation de ce système, de création d’établissements et d’emplois dans les villes concernées.
- La multiplication par le secteur de l’aéronautique des activités « amont » (recherche fondamentale et RD, formations, services technologiques), se restructurant au niveau plus purement productif (fournisseurs, partenaires, sous-traitants), et développant à l’aval de multiples activités prenant une place de plus en plus importante dans le processus d’ensemble d’organisation du secteur (activités financières, commerciales, marketing, services après-vente…).
- L’organisation supposée au sein de ce même système productif d’une coopération étroite, même si fort complexe, entre les établissements qui y contribuent, dispersés dans de multiples villes européennes, dont les deux pôles majeurs sont Toulouse et Hambourg, à la fois coopérantes et concurrentes, auxquelles s’ajoutent les autres cités participant aux productions : Bristol et Chester en Grande-Bretagne, Brême et les autres petites villes formant complexe en Allemagne du Nord, Méaultes, Nantes et Saint-Nazaire en France ainsi que Madrid, Séville et Cadix en Espagne.
5Au-delà de la compréhension de l’organisation d’un mécano industriel ou d’un puzzle géographique, l’objet de l’analyse est de saisir comment autour d’un produit s’organise dans une ville donnée, les rapports entre les différentes activités qui contribuent à sa réalisation, leur dynamique, leurs interférences, et au-delà des entreprises et des organismes qui y contribuent, l’implication des acteurs institutionnels locaux. Le développement des activités de haute technologie aéronautique au travers des exemples fournis par Hambourg, au moment où se restructurent l’activité portuaire et les activités liées, ou par l’agglomération toulousaine (réalisation du nouveau site Aéro-Constellation pour l’assemblage du gros-porteur A380) renvoie à l’analyse de l’aménagement du territoire et des processus d’urbanisation, dans une réflexion sur les rapports entre mutations économiques et urbanisation.
MÉTHODOLOGIE ET TERRAIN
6La méthodologie mise en œuvre a revêtu un double contenu. D’une part, un travail de recueil documentaire et d’établissement de contacts avec les entreprises, les organismes et les interlocuteurs susceptibles de fournir des informations dans les villes intéressées. D’autre part, une importante enquête de terrain tant auprès des firmes que des organismes gérant les villes concernées (Toulouse, Hambourg, Bristol et Chester, Madrid et Séville) s’est déroulée essentiellement à partir d’entretiens et de leur dépouillement.
7Cette manière de procéder devait rendre compte :
- Du jeu des relations « entrepreunariales » entre firmes et villes européennes du système productif d’Airbus : il s’agit là d’un niveau macro géoéconomique permettant une discussion sur la notion de réseaux.
- Des processus d’organisation économique métropolitaine en montrant les liens industriels de proximité et l’existence concrète d’un « milieu » de relations entre formation-recherche, industrie et gestionnaires de l’urbain. – Des mécanismes de polarisation, voire de développement de centres secondaires d’agglomération générés par les politiques locales d’aménagement.
LES RÉSULTATS
8Dans ses différentes villes d’implantation, l’organisation productive du système Airbus se caractérise conjointement par la montée en puissance des activités « amont » centrées sur les fonctions de conception et par la consolidation de l’ensemble lié à la fonction manufacturière proprement dite (assemblage, contrôle et essais) avec au fur et à mesure des programmes, une organisation affinée des relations entre les différentes strates d’entreprises. Seul, le pôle toulousain se singularise par l’importance croissante d’un sous-ensemble « aval » de plus en plus stratégique, regroupant autour du siège d’Airbus les fonctions prestataires financières et commerciales mais aussi la formation des personnels navigants, le conseil auprès des compagnies aériennes, l’assistance à la livraison et à la maintenance des flottes aériennes.
9« L’entreprise réseau » Airbus, déployée au travers de différents sites européens, structure dans chaque ville où elle est implantée un fonctionnement « d’entreprise étendue » qui procède d’une multiplicité de relations entre diverses strates d’entreprises, des institutions de formation et des centres de recherche.
10Les complexes productifs locaux de l’aéronautique des différentes villes étudiées affichent cependant un contenu de plus en plus élaboré à la faveur notamment du lancement des projets industriels récents (A380, A-400M). On observe des logiques de proximité relationnelle et spatiale, marquées par l’intensification des rapports entre l’avionneur Airbus et ses partenaires, la diffusion d’un processus dit de « sous-traitance en cascade », le recours à des services technologiques et à la recherche appliquée à mesure qu’augmentent les charges de travail dans les segments concepteurs. Ces logiques productives participent du renforcement respectif des sites producteurs d’Airbus en accentuant les polarisations spatiales autour du principal donneur d’ordre qu’est Airbus.
11Le « territoire » des villes du système Airbus dans le développement local de l’industrie aéronautique montre qu’il s’inscrit dans des logiques évolutives d’imbrications de plus en plus poussées entre acteurs de l’urbain et acteurs économiques. Qu’il s’agisse des stratégies de soutien du secteur par des actions de formation initiale ou continue, de financement régional de recherche s’articulant à des programmes nationaux et européens, d’aides aux PME sous-traitantes ou de politiques locales d’aménagement, l’interpénétration entre la grande entreprise, les représentants de milieux économiques et les gestionnaires locaux et régionaux est fortement prégnante. Surtout, à l’heure où certaines analyses annoncent le retrait inéluctable de l’industrie ou du moins sa dématérialisation, la mise en place d’un projet industriel comme celui de la production de l’A380 rappelle opportunément, qu’il s’agisse de besoins logistiques (équipements routiers ou structures portuaires), d’aménagement de vastes zones d’activités et leur mobilisation foncière, de construction d’immenses ateliers avec des procédés techniques novateurs, que la ville n’en a pas fini avec ses paysages industriels.
12L’impact sur l’urbanisation des activités aéronautiques est aussi nettement repérable dans le fonctionnement quotidien des espaces urbains au travers de la localisation des salariés de plus en plus qualifiés dans des aires périurbaines élargies de bassins d’emplois distendus, de la distribution des revenus, des politiques d’habitat, d’équipements et de planification. Un des apports de la recherche est d’avoir tenté d’assurer une continuité entre l’économique et l’urbain, en appréhendant leurs influences réciproques même si l’on ne peut échapper à une certaine détermination de la ville par l’économique dans ce type d’analyse. Toutefois, si l’impact urbain du développement d’Airbus est relativement classique, relevant d’une logique économique de « pôle de croissance », les politiques publiques d’accompagnement renvoient à une logique de régulation politique et sociale permettant à ces territoires urbains de l’industrie aéronautique de dégager des avantages comparatifs. C’est sans doute là que réside l’intérêt d’une analyse territoriale en introduisant des considérations non seulement économiques mais aussi sociales et culturelles.
VALORISATION
Articles et publications
13Leriche F., (2004), « Le “système Airbus” en Grande-Bretagne : mutations industrielles et enjeux territoriaux », Papiers du CIEU, n° 6 « Le territoire, variable de la régulation du développement économique », CIRUS-CIEU.
14Zuliani J.-M., Grossetti M., (2004), « L’agglomération toulousaine, un système productif localisé de la R&D ? », dans Les systèmes productifs locaux en Midi-Pyrénées : vers l’émergence de systèmes régionaux ?, Rapport, Région Midi-Pyrénées – Conseil Consultatif Régional pour la Recherche et le Développement Technologique.
15Zuliani J.-M., Jalabert G., (2003), « Airbus, zone Aéroconstellation, un équipement structurant de l’agglomération toulousaine », dans Fontan J.-M., Klein J.-L., Lévesque B., Reconversion économique et développement territorial, PUQ, collection « Géographie contemporaine ».
16Zuliani J.-M., Leriche F., (2004), « Airbus et les recompositions territoriales à Toulouse et Bristol », Géographie et Culture, n° 48, pp. 60-78.
Communications
17Jalabert G., Zuliani J.-M., (2002), « L’aménagement de la zone d’assemblage de l’Airbus A380 (« AéroConstellation ») comme catalyseur des nouveaux projets urbains dans la périphérie nord-ouest de Toulouse », Colloque de la Commission Urbaine du Conseil National de la Géographie, Métropolisation et grands équipements structurants, Toulouse, 5 et 6 septembre 2002.
18Zuliani J.-M., (2001), « L’agglomération toulousaine, un système productif de la recherche et développement ? », Symposium Les systèmes productifs locaux et l’économie sociale : une voie pour le développement local ?, ARUC (Alliances de Recherche Universités – Communautés), Montréal, 23 novembre 2001.
19Zuliani J.-M., (2001), « L’interaction des composantes sectorielles – conception, assemblage final, commercialisation –, comme caractéristique d’un système industriel localisé : l’exemple d’Airbus à Toulouse », Troisièmes journées de la proximité Nouvelles croissances et territoires, Paris, 13 et 14 décembre 2001.
20Zuliani J.-M., (2001), « NTIC et système productif localisé : le cas de l’industrie aéronautique dans l’agglomération toulousaine », Séminaire GRESOC NTIC et systèmes productifs localisés, Castres, 11 mai 2001.
21Zuliani J.-M., (2003), « Entre Madrid et l’Andalousie, une organisation régionale hiérarchisée de l’industrie aéronautique en Espagne », Séminaire CIRUS- CIEU Villes et territoires de l’aéronautique, Toulouse, 21 mars 2003.
22Zuliani J.-M., (2003), « L’organisation productive du système Airbus en Europe : entreprise-réseau, systèmes productifs locaux et spécialisations urbaines », Séminaire CIRUS-CIEU Villes et territoires de l’aéronautique, Toulouse, 21 mars 2003.
23mailto:zuliani@univ-tlse2.fr
Centre Interdisciplinaire de Recherches
Urbaines et Sociologiques (CIRUS-CIEU)
UMR 5193 CNRS
Maison de la Recherche
Université Toulouse-Le Mirail
31058 Toulouse Cedex 9
Tél. : 05 61 50 42 71
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
RÉFÉRENCES
Beckouche P., (1996), La nouvelle géographie des industries aéronautiques européennes, Paris, L’Harmattan.
Benko G., Lipietz A. (dir.), (2000), Les régions qui gagnent, districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique, Paris, PUF.
10.2307/j.ctv18pgqs6 :Fontan J-M. (dir.), (1999), Entre la métropolisation et le village global, PUQ.
Gormand C., (1993), L’industrie aéronautique et spatiale, logique économique, logique de marché, Paris, L’Harmattan.
Jalabert G., (1995), Toulouse, métropole incomplète, Paris, Anthropos- Economica.
Muller P., (1989), Airbus, l’ambition européenne, logique d’État, logique de marché, Paris, L’Harmattan.
Ravix J.T., (2000), Les relations interentreprises dans l’industrie aéronautique et spatiale, Paris, La Documentation Française.
Scott A.J., (2001), Les régions et l’économie mondiale, Paris, L’Harmattan.
Notes de bas de page
1 Maître de conférences au département de géographie de l’Université de Toulouse-le Mirail et rattaché au Centre Interdisciplinaire d’Études Urbaines (CIEU – UMR CNRS 5053).
Auteur
Responsable scientifique
Personnes ayant collaboré à cette recherche : Guy Jalabert, Frédéric Leriche.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004. Volume 2
Action concertée incitative Ville. Ministère de la Recherche
Émilie Bajolet, Marie-Flore Mattéi et Jean-Marc Rennes (dir.)
2006
Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004. Volume I
Action concertée incitative Ville. Ministère de la Recherche
Émilie Bajolet, Marie-Flore Mattéi et Jean-Marc Rennes (dir.)
2006