Changement social et ségrégation spatiale dans les grandes villes européennes
p. 339-345
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur1
2Ce projet visait à développer une recherche comparative sur les transformations de la structure sociale et urbaine de six métropoles européennes. La méthode de travail retenue a été la constitution d’un groupe de chercheurs dont chacun était spécialiste d’une des villes et travaillait déjà sur cette thématique.
3Les moyens attribués par l’ACI-Ville ont permis de réunir ce groupe chaque semestre depuis décembre 1999. Ces séminaires ont donné lieu à la confrontation des débats propres à chaque pays ou ville, à la présentation des données existantes et des analyses empiriques permettant de caractériser les structures sociales, les formes de la ségrégation et leur évolution dans les dernières décennies. Ils ont aussi porté sur l’identification des causes et des conséquences, le plus souvent fortement imbriquées, de la ségrégation.
4Le groupe a décidé de cristalliser le résultat de ses travaux sous forme d’un ouvrage collectif en cours de préparation, dont le texte qui suit présente le schéma et les principaux éléments d’argumentation.
INTRODUCTION
5L’introduction situera le projet de l’ouvrage dans les débats de la dernière décennie sur l’évolution des grandes métropoles.
6Le point de référence majeur étant le modèle de la « ville globale » de S. Sassen [1991], ce modèle a suscité de nombreux débats autour de trois thèmes principaux : la pertinence de l’analyse économique et de ses implications spatiales ; la validité de la dualisation socio-spatiale censée en être la conséquence, et des formes associées de caractérisation de la structure sociale ; et enfin l’importance du rôle de l’État, tant dans l’économie que dans le « social » (welfare, redistribution) et aussi pour la régulation de la ville (politiques urbaines). Une des formes du débat est l’interrogation sur la permanence d’un modèle commun de la « ville européenne » qui s’opposerait à la ville américaine.
7Ces débats ont déjà suscité plusieurs ouvrages cherchant à tester le modèle et prenant en compte ces différentes dimensions et questions dans des approches comparatives [Musterd, Osterdorf, 1998 ; Marcuse, van Kempen, 2000]. Mais leur argumentaire repose principalement sur la mobilisation d’études de cas.
8L’objectif du livre est de construire cette approche plus systématiquement en considérant pour chaque thème la situation des six métropoles considérées dans leur ensemble comme dans la diversité des situations qui les composent. Chaque chapitre sera donc une comparaison thématique des six villes.
9Le plan initial proposé pour chaque chapitre en préparation indiquera :
- Les thèmes généraux du débat scientifique international.
- Les termes du débat public (politico-médiatique et académique) propre à chaque pays/ville.
- Une présentation comparative des données disponibles, et une analyse comparative des tendances d’évolution.
- Des conclusions élargies par la prise en compte d’éléments plus qualitatifs ou de données non systématiquement comparables.
ÉCONOMIE
10Les différentes lectures de la globalisation, des restructurations économiques plus généralement, proposent des conséquences diverses sur les formes d’organisation spatiale, explicites comme dans la lecture de S. Sassen, de P. Veltz [1996] ou celle de M. Storper [1997] ou implicites comme dans celle de la théorie de la régulation [Boyer et al, 1995].
11Un modèle de référence commun s’est imposé dans le débat public – les villes en compétition face au marché globalisé – mais les déclinaisons et les qualifications sont assez différentes :
- Londres : la prééminence du marché financier profite-t-elle à l’ensemble, et est-elle compatible avec la cohésion sociale [Buck et al., 2002] ?
- Paris : de la nécessaire décentralisation au renforcement de la compétitivité internationale ?
- Berlin : fin de la vitrine de l’Ouest, puis nouvelle capitale politique mais pas économique, mais potentialités liées à l’ouverture de l’Europe à l’Est ?
- Copenhague : renforcer l’efficacité dans l’innovation, économie de niche ?
- Athènes : la tertiarisation sans industrialisation préalable ?
STRUCTURES SOCIALES ET INÉGALITÉS
12La caractérisation des structures sociales s’appuie d’abord sur les systèmes de catégorisation sociale, or, ceux-ci diffèrent fortement d’un pays à l’autre [Kieffer, Oberti, Preteceille, 2002] et donc le type de caractérisation qu’on peut opérer en France avec les catégories socioprofessionnelles [Desrosières, Thévenot, 1988] n’est guère généralisable, ce qui rend les comparaisons difficiles, sauf à pouvoir construire des catégories équivalentes, ce qui a pu être tenté dans certains cas (Madrid, Athènes) mais est impossible dans d’autres (Berlin).
13Le mode d’appréhension le plus classique des inégalités, par les revenus, est plus facile, et certaines enquêtes européennes donnent même des données plus homogènes, mais pas nécessairement exploitables à l’échelle des villes. Les tendances paraissent assez proches à Londres et à Paris – augmentation des inégalités dues avant tout à la très forte progression du décile supérieur – mais elles sont moins clairement convergentes ailleurs.
SÉGRÉGATION SOCIALE
14L’objectif est ici de comprendre l’organisation spatiale de la structure sociale, l’ampleur et la structure des écarts entre les espaces sociaux les plus contrastés mais aussi l’ampleur et la structure des différents mélanges typiques observables.
15Il est aussi de rendre compte de la géographie sociale typique de chaque ville (quelle est la pertinence d’un modèle de ville européenne où le centre serait le lieu de résidence privilégié des classes supérieures, opposé au modèle américain marqué par la suburbanisation des élites ? Londres, Copenhague et Berlin paraissent au moins en partie peu conformes au modèle européen).
16Il est enfin de saisir les tendances récentes d’évolution qui sont susceptibles de modifier la structure actuelle, le plus souvent marquée par une accumulation et une inertie historique.
CLASSES MOYENNES DANS LA VILLE
17Dans les six villes, les classes moyennes, au sens sociologique français du terme, ont progressé notablement, un peu moins en termes relatifs que les catégories supérieures. Ceci invalide clairement la thèse du shrinking middle corollaire de celle de la dualisation.
18Trois thèmes de débats s’ouvrent à ce propos.
19Le premier est celui du type de recomposition des structures sociales qui s’y opère : cette montée des classes moyennes accompagnant celle des catégories supérieures doit-elle être interprétée selon le modèle de la « moyennisation » d’H. Mendras [1988], polarisée sur les nouvelles catégories supérieures salariées – la « professionnalisation » à la Hamnett [2003] –, ou s’accompagne-t-elle de nouveaux clivages, voire d’un « retour des classes sociales » [Chauvel, 2001] ?
20Le deuxième est lié, c’est celui de la place et du rôle des classes moyennes dans les mélanges sociaux, dans la construction des relations sociales entre catégories différentes, qu’il faut lier aussi à leur place dans les trajectoires de mobilité sociale et résidentielle.
21Le troisième est celui des évolutions les plus récentes liées aux processus de précarisation et de dévalorisation de statut touchant des professions moyennes jusque là considérées comme le noyau central solide des classes moyennes : enseignants, personnels de santé, fonction publique.
WELFARE REGIMES
22L’interprétation des résultats pour les différentes dimensions d’analyse de la ségrégation met en évidence, outre l’inertie historique mentionnée, le poids des structures de l’économie métropolitaine, qu’on ne saurait réduire aux seules tendances les plus récentes, mais aussi le rôle des marchés du logement et du développement plus ou moins fort du logement social, et celui des structures familiales.
23C’est l’imbrication historiquement construite et en évolution de ces éléments qui permet de rendre compte de certaines spécificités des structures socio-spatiales : l’articulation entre production et accès marchands, intervention publique, formes de socialisation privées et structures familiales.
24La perspective est ici de développer pour l’analyse urbaine les réflexions comparatives sur les welfare regimes initiées par Esping-Andersen [1990] et enrichies par exemple par Mingione, Oberti et Pereirinha [2001].
IMMIGRATION
25À Londres et à Paris, la dimension ethno-raciale de la ségrégation sociale est majeure, dans le débat public comme dans l’analyse sociologique.
26La comparaison n’est pas si simple du fait du problème des catégories statistiques [Simon, 1997, 1998]. A priori, le contraste était fort entre ces deux métropoles mondialisées de longue date par leur histoire coloniale, et les autres, où le poids absolu de l’immigration était faible.
27Mais la période récente a rapproché les préoccupations, avec l’afflux rapide de nouveaux immigrés à Madrid et à Athènes. Berlin mêle aussi des immigrés liés à différentes périodes et histoires migratoires, et Copenhague connaît à son tour les « peurs européennes » malgré son welfare restrictif mais protecteur.
VALORISATION
28Numéro spécial de la revue The Greek Review of Social Research, n° 113, 2004.
29mailto:edmond.preteceille@sciences-po.fr
Observatoire Sociologique du Changement
Fondation Nationale des Sciences Politiques – CNRS
11, rue de Grenelle
75007 Paris
Bibliographie
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RÉFÉRENCES
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10.3917/dec.desro.2002.01 :Desrosières Alain, Thévenot Laurent, (1988), Les catégories socioprofessionnelles, Paris, Éditions La Découverte.
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Veltz Pierre, (1996), Mondialisation, villes et territoires. L’économie d’archipel, Paris, Presses Universitaires de France.
Notes de bas de page
1 Sociologue, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’I.E.P. Paris, membre de l’Observatoire Sociologique du Changement (FNSP-CNRS).
Auteur
Responsable scientifique
Personnes ayant collaboré à la recherche : Thomas Maloutas (Institut de Sociologie Urbaine – Ekke, Athènes – Grèce), Hartmut Haussermann (Institut fuer Sozialwissenschaften, Université Humboldt, Berlin – Allemagne), Hans Thor Andersen (Department of Geography, University of Copenhagen, Danemark), John Jørgensen (Department for Urban and Regional Planning, Forest and Landscape Research Institute, Copenhague – Danemark), Chris Hamnett (Department of Geography, King’s College, Londres – Royaume Uni), Jesus Leal (département de sociologie, Universidad Complutense, Madrid – Espagne).
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Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004. Volume 2
Action concertée incitative Ville. Ministère de la Recherche
Émilie Bajolet, Marie-Flore Mattéi et Jean-Marc Rennes (dir.)
2006
Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004. Volume I
Action concertée incitative Ville. Ministère de la Recherche
Émilie Bajolet, Marie-Flore Mattéi et Jean-Marc Rennes (dir.)
2006