Conflit d’intérêts et stratégies rhétoriques dans l’Épître II, 2 d’Horace
p. 447-465
Texte intégral
1Si elles affichent une propension commune à parler massivement de poésie, les deux pièces que la tradition éditoriale a pris l’habitude de réunir pour former le livre II des Épîtres d’Horace s’adressent à des destinataires bien distincts. Le premier et le plus éminent d’entre eux est bien sûr Auguste, à qui le poète écrit, semble-t-il, afin de réparer un manquement. Dans sa Vita Horati, Suétone évoque en effet une lettre dans laquelle le souverain se serait dit mécontent de n’avoir vu encore aucune œuvre horatienne lui être directement adressée1. Quant au destinataire de l’Épître II, 2, il s’agit d’un certain Julius Florus, déjà connu des lecteurs d’Horace puisque l’Épître I, 3 lui avait été destinée. Cette dernière pièce a pour cadre énonciatif l’intégration du jeune homme à la « cohorte », pour reprendre le terme horatien, qui accompagne Tibère en Asie en 21 avant notre ère ; pour une telle campagne, le prince, lui-même âgé d’une vingtaine d’années, s’est effectivement entouré de jeunes gens de bonne famille, versés, qui plus est, dans l’étude et la pratique de la poésie2. Et, au sein même de ce groupe d’élite, Florus se distingue par ses aptitudes dans les domaines oratoire et poétique, Horace lui promettant notamment « le lierre, prix de la victoire » pour chaque poème composé3.
2Le soubassement énonciatif de l’Épître II, 2 partage, de toute évidence, avec celui de l’Épître I, 3 la participation de Florus à une expédition menée par Tibère. Bien que le texte se révèle plus allusif, le poète ne faisant qu’évoquer le départ de son jeune destinataire par le biais d’un proficiscenti tibi (v. 20), il semble que référence soit faite ici à la mission de gestion des provinces gauloises qu’Auguste avait confiée à son beau-fils4. Les deux situations de communication diffèrent néanmoins de manière assez significative : alors que, dans l’Épître I, 3, Horace cherche d’abord à savoir vers quelles contrées orientales s’est portée la troupe emmenée par Tibère, puis se préoccupe de l’activité poétique de son destinataire et de certains de ses compagnons, il répond, dans l’Épître II, 2, à un double reproche que Florus lui a fait :
Dixi me pigrum proficiscenti tibi, dixi
talibus officiis prope mancum, ne mea saeuos
iurgares ad te quod epistula nulla rediret.
Quid tum profeci, mecum facientia iura
si tamen adtemptas ? Quereris super hoc etiam quod
expectata tibi non mittam carmina mendax.5
3Selon toute vraisemblance, le jeune homme a fait parvenir au Venousien une lettre dans laquelle il déplore son mutisme et le non-respect de ce qui a été apparemment interprété comme une promesse. Une telle situation, on le voit bien, porte les germes d’une querelle potentielle, qui pourrait devenir effective si Horace, le grand poète du régime augustéen au moment de la rédaction de l’épître6, prenait le parti de répliquer avec virulence ou, du moins, avec tranchant aux plaintes de Florus. Exaspéré par l’outrecuidance de ce dernier, il pourrait faire valoir son statut et écarter d’un revers de la main les réclamations d’un jeune fat. Mais, sans doute en vertu de l’amitié qui le lie à son destinataire, il va privilégier une tout autre stratégie.
4Porphyrion, l’un des principaux commentateurs antiques d’Horace, présente ce Julius Florus comme un scriba, ce qui, à n’en pas douter, renvoie à la fonction de secrétaire qu’il devait exercer auprès de Tibère7, et surtout comme un saturarum scriptor, cuius sunt electae ex Ennio Lucilio Varrone saturae8. De cette formule ambiguë, qui fait du jeune homme soit l’auteur de satires inspirées de celles d’Ennius, de Lucilius et de Varron, soit le concepteur d’une anthologie de leurs compositions satiriques9, nous ne retiendrons que l’attachement au genre de la satura. Et c’est sur ce témoignage que se fonde l’hypothèse de lecture que nous souhaitons défendre. Il a été démontré que les Satires et les Épîtres, en tant qu’elles mobilisent la langue du sermo, de la conversation libre, manifestent entre elles d’importantes similitudes10. Or, l’Épître II, 2 convoque, avec une constance frappante, les procédés et les thèmes de prédilection de la satire horatienne. Nous voudrions tirer parti de ce constat par une mise en perspective avec la situation d’énonciation propre à l’épître. Pourquoi Horace a-t-il, ici plus que dans n’importe quelle autre pièce épistolaire, instillé de la satire ? C’est que, selon nous, une telle stratégie lui permettait de légitimer son point de vue – je n’ai, dit-il, plus l’âge de m’adonner aux bagatelles de la poésie et préfère me consacrer à la méditation philosophique – tout en amusant son destinataire, particulièrement sensible à la tournure satirique du propos, et en ménageant ainsi sa susceptibilité. Les emprunts à la satire au sein de l’Épître II, 2, en effet, n’ont pas pour but d’invectiver Florus comme s’il était devenu un ennemi ou une cible. Ils semblent plutôt relever d’une volonté d’allier considérations sérieuses et représentations légères, conformément au principe du σπουδογέλοιον, cher au genre satirique11. Ainsi, la part de σπουδή, de sérieux, soutient la justification horatienne face aux reproches du jeune compagnon de Tibère, encourageant l’abandon de l’activité poétique et l’orientation vers la philosophie, que les soixante-quinze derniers vers de l’épître actualisent ; quant à la part de γέλοιον, de plaisanterie, elle constitue une sorte d’enrobage visant, de mon point de vue, à faire passer plus facilement un discours qui, sans ces artifices, pourrait paraître sec, voire désobligeant. Si l’on admet que le poète a une haute opinion de l’amitié qu’il entretient avec Florus et qu’il cherche donc à la préserver, on serait tenté de dire qu’il met en pratique un axiome formulé, précisément, dans les Satires :
Ridiculum acri
fortius et melius magnas plerumque secat res.12
5Nous étudierons par conséquent, dans le cadre d’une première partie, les accents satiriques traversant les deux premiers tiers de cette Épître II, 2 ; il s’agira surtout d’examiner les procédés par l’intermédiaire desquels Horace légitime son intention de ne plus écrire de vers et évite ainsi tout conflit qu’une réponse cinglante serait susceptible de générer. Puis, nous essaierons de montrer que le dernier tiers de l’épître, où la situation de communication initiale semble avoir été oubliée, maintient en réalité le lien avec Florus par des allusions multiples aux Satires horatiennes. En faisant collaborer le sermo philosophique, promu au sein des Épîtres, avec le sermo satirique, Horace semble vouloir signifier à son destinataire, attaché au genre de la satura, la prédominance de la réflexion morale, servie par l’un et l’autre type de discours13. En fin de compte, la satire influence la forme, mais aussi le fond de l’Épître II, 2.
Les accents satiriques de l’Épître II, 2
6L’Épître II, 2, on l’a dit, est notamment marquée par l’évocation de griefs que Florus a, de toute évidence, adressés au poète. Celui-ci doit alors, en retour, exposer les raisons pour lesquelles – ou plutôt la raison pour laquelle – il n’a pas tenu son engagement. De façon tout à fait surprenante, l’explication n’arrive réellement qu’aux vers 141 et suivants, qui, justement, opèrent la transition vers le second mouvement de l’épître, dévolu à la méditation morale :
Nimirum sapere est abiectis utile nugis,
et tempestiuum pueris concedere ludum,
ac non uerba sequi fidibus modulanda Latinis,
sed uerae numerosque modosque ediscere uitae.14
7Horace réaffirme ici une volonté qu’il avait déjà clamée, en des termes proches, au sein de l’Épître I, 1, adressée à Mécène :
Prima dicte mihi, summa dicende Camena,
spectatum satis et donatum iam rude quaeris,
Maecenas, iterum antiquo me includere ludo ?
Non eadem est aetas, non mens. […]
Nunc itaque et uersus et cetera ludicra pono,
quid uerum atque decens, curo et rogo et omnis in hoc sum.15
8La même posture est donc reprise16, mais il est édifiant de constater à quel point la répartition thématique diffère dans l’une et l’autre pièce. Dès les premiers vers de l’Épître I, 1, Horace énonce avec netteté sa résolution de quitter le champ de la poésie et d’arpenter les sentiers de la philosophie. En douze hexamètres, il fait ainsi ses adieux à l’art des Muses et s’engage « tout entier » dans la nouvelle mission qu’il s’est attribuée : la réflexion morale occupe alors le texte jusqu’à son terme. L’Épître II, 2 accorde une place autrement plus importante aux adieux à la poésie, puisque ce n’est qu’au vers 141, on l’a vu, que le regard d’Horace se porte, à proprement parler, sur la philosophie17. De fait, on y voit ménagée une sorte de stratégie de retardement, les deux premiers tiers de la composition apparaissant dans ce cas comme préparatoires à l’aveu mis en exergue plus haut. On peut s’interroger sur le rapport entre cette différence de répartition et l’identité des destinataires. Pourquoi Horace prend-il la liberté d’opposer à Mécène, dont l’éminence à l’époque augustéenne n’est pas à démontrer, un refus direct, quoique exprimé avec diplomatie, alors qu’il invoque, face à Florus, une série de motifs qui finissent par le mener, bien tardivement, à dire en termes explicites son renoncement à la poésie ? On ne peut, ici, que s’en tenir au domaine de la conjecture, et voici celle que nous risquerons : au moment de la parution de l’Épître II, 2, sans doute en 18 avant J.-C.18, Horace a déjà dédié à Mécène un grand nombre de poèmes, et il lui a rendu un hommage singulier en faisant de son nom le premier mot du recueil des Odes, qu’il plaçait ainsi sous son patronage19. On peut donc penser le dignitaire romain plus disposé que le jeune Florus à entendre la défection du poète. Une forme d’empathie, liée à l’âge, pouvait également permettre à Mécène de comprendre l’intérêt exclusif d’Horace pour la philosophie et sa propension à considérer désormais la pratique poétique comme relevant de la bagatelle. Florus, lui, n’a pas la maturité du Venousien et de son protecteur ; il est épris de poésie et tient certainement cette activité pour la plus noble qui soit. Lui refuser les vers promis sans aucune forme de ménagement le mortifierait à coup sûr, et c’est pourquoi, selon nous, Horace met en œuvre une stratégie fondée, nous l’avons dit, sur le recours à la satire et, plus particulièrement, sur le principe du σπουδογέλοιον.
9Le début de l’Épître II, 2 surprend. Après une apostrophe mentionnant le nom du destinataire et ses liens avec Tibère20, l’auteur augustéen, plutôt que de parler d’emblée des motifs d’insatisfaction de Florus et d’y apporter une réponse franche et directe, déploie une sorte d’apologue censé illustrer la situation de communication elle-même :
Flore, bono claroque fidelis amice Neroni,
siquis forte uelit puerum tibi uendere natum
Tibure uel Gabiis et tecum sic agat : « Hic et
candidus et talos a uertice pulcher ad imos
fiet eritque tuus nummorum milibus octo,
uerna ministeriis ad nutus aptus erilis,
litterulis Graecis inbutus, idoneus arti
cuilibet ; argilla quiduis imitaberis uda ;
quin etiam canet indoctum, sed dulce bibenti.
[…]
Semel hic cessauit et, ut fit,
in scalis latuit metuens pendentis habenae ».21
10Une telle entrée en matière crée un réel effet de suspense22, qui ne se dissipe qu’aux vers 20 et suivants (cités plus haut), et c’est à la lumière de cette précision que le destinataire et, du reste, le lecteur quelconque sont invités à reconsidérer le développement liminaire. Le texte appelle à un jeu d’identification entre les protagonistes de la courte histoire et les deux individus que l’épître engage. Horace joue le rôle du vendeur, Florus celui de l’acquéreur. Mais il convient également de noter qu’un parallèle implicite est établi entre l’épistolier et l’esclave23. L’un et l’autre présentent de multiples qualités, mais pèchent en un point : tandis que le seruus, un jour, s’est soustrait à sa tâche, le Venousien fait désormais preuve de paresse lorsqu’il s’agit pour lui d’écrire des vers. L’idée d’oisiveté assure ainsi le lien entre les deux personnages. Une telle identification a poussé Ellen Oliensis à souligner la volonté horatienne de délaisser le masque d’autorité que le poète aurait pu revêtir ici en se disant préoccupé par des considérations plus importantes24. En renonçant à cette posture, il étouffe dans l’œuf tout conflit éventuel, et par l’incongruité d’une image toute satirique – c’est le sourire aux lèvres qu’on imagine l’honorable Horace dissimulé sous l’escalier et tremblant à l’idée d’être châtié pour manquement à son devoir –, il donne à son propos une tournure plaisante prompte à mettre son destinataire dans de bonnes dispositions. La stratégie mise en place par les vers liminaires et ce début in medias res25 trouve confirmation dans les vers 26 et suivants, qui peuvent légitimement surprendre. Alors que la situation de communication s’éclaire enfin et que l’on entre, si l’on peut dire, dans le vif du sujet, l’évocation des motifs de mécontentement de Florus tourne court et cède la place à un αἶνος26, une courte histoire, qui, en l’occurrence, met en scène un soldat de l’armée que Lucullus dirigeait lors de la troisième campagne contre Mithridate de 74 à 66 avant notre ère :
Luculli miles collecta uiatica multis
aerumnis, lassus dum noctu stertit, ad assem
perdiderat ; post hoc uehemens lupus, et sibi et hosti
iratus pariter, ieiunis dentibus acer,
praesidium regale loco deiecit, ut aiunt,
summe munito et multarum diuitererum.
Clarus ob id factum donis ornatur honestis,
accipit et bis dena super sestertianummum.
Forte sub hoc tempus castellum euertere praetor
nescio quod cupiens hortari coepit eundem
uerbis quae timido quoque possent addere mentem ;
« I, bone, quo uirtus tua te uocat, i pede fausto,
grandia laturus meritorum praemia. Quid stas ? »
Post haec ille catus, quantumuis rusticus : « Ibit,
ibit eo, quo uis, qui zonam perdidit » inquit.27
11À la considérer à l’aune des vers précédents, on ne saisit pas bien le rapport de cette anecdote avec les premiers développements. Le lien que sont censés entretenir l’acte héroïque du soldat et son refus de combattre avec la paresse horatienne en matière d’écriture ne saute pas aux yeux. On est, en tout cas, frappé par la dimension satirique du passage, notamment fondée sur une reprise parodique des codes de l’épopée (exploit individuel d’un personnage qui se découvre, pour un temps, une force surhumaine, discours d’exhortation auquel le personnage répond par un bon mot)28. Il s’agit là d’un procédé que les Satires horatiennes affectionnent particulièrement : pour s’en assurer, il n’est que de consulter la Satire II, 5, qui se pose comme un ajout burlesque à la fameuse νεκυία de l’Odyssée. On peut alors supposer – et nous partageons ici l’avis de Michael McGann – que Florus ait été progressivement « absorbé » par l’histoire elle-même, dont il a sans doute apprécié la tournure satirique, et qu’il ait eu quelque peu tendance à perdre de vue sa relation directe avec le cadre énonciatif de l’épître29. Cette relation est, en réalité, explicitée dans les vers suivants, ce qui donne lieu à un effet de retardement comparable à celui précédemment mis en œuvre :
Romae nutriri mihi contigit atque doceri
iratus Grais quantum nocuisset Achilles.
Adiecere bonae paulo plus artis Athenae,
scilicet ut uellem curuo dinoscere rectum
atque inter siluas Academi quaerere uerum.
Dura sed emouere loco me tempora grato
ciuilisque rudem belli tulit aestus in arma
Caesaris Augusti non responsura lacertis.
Vnde simul primum me dimisere Philippi,
decisis humilem pinnis inopemque paterni
et laris et fundi paupertas impulit audax
ut uersus facerem ; sed quod non desit habentem
quae poterunt umquam satis expurgare cicutae,
ni melius dormire putem quam scribere uersus ?30
12Le texte se concentre enfin sur la personne d’Horace, et l’on attend les premiers arguments venant justifier sa position face aux griefs qui lui ont été imputés. Là encore, l’épistolier ne va pas directement au but. Ce n’est qu’après un excursus autobiographique d’une quinzaine de vers qu’une ébauche d’explication se fait jour : le poète se détourne de l’activité poétique car il jouit désormais d’une aisance matérielle lui offrant la possibilité de ne rien faire. Le rapprochement avec le soldat de Lucullus prend alors, d’une manière rétrospective, tout son sens : privé de sa cassette, celui-ci accomplit un exploit remarquable, mais reste immobile dès lors qu’il a retrouvé son bien ; privé de ressources à son retour de Philippes, Horace se lance dans la carrière poétique, mais y met un terme dès lors que sa situation pécuniaire ne l’oblige plus à écrire. Mais, une fois de plus, la stratégie discursive retient l’attention. Le fragment d’autobiographie que le poète nous livre ici se déploie avec une certaine grandiloquence, perceptible dans la périphrase iratus Grais quantum nocuisset Achilles (v. 42), qui désigne l’Iliade31, ou dans la métaphore de la « tempête politique » (v. 47), que les odes civiques du même Horace n’auraient pas reniée. La formule paupertas audax, une « audacieuse pauvreté » (v. 51), soutient le tour emphatique de la présentation, mais la proposition complétive ut uersus facerem régie par le verbe impulit crée une sorte de rupture dysphorique qui s’appuie de toute évidence sur un procédé d’autodérision. En effet, après avoir fait état des vicissitudes passées dans le cadre d’un récit aux accents élevés, l’épistolier déjoue l’attente du destinataire – et du lecteur – en proposant une chute inattendue32. « J’ai étudié à Rome et à Athènes, dit-il, j’ai été happé par la guerre, je me suis heurté à la force militaire d’Auguste, et, sans le sou, je me suis mis à faire des vers ». Dénouement surprenant et, somme toute, caricatural, presque comique, la référence à l’argent évoquant à son tour l’univers de la satire33. De fait, l’œuvre poétique d’Horace passe pour avoir été conçue par nécessité financière ; or, s’il est probable que le Venousien ait connu une période difficile après la débâcle de Philippes et la confiscation de ses biens patrimoniaux, on ne peut s’empêcher de soupçonner ici un net effet d’exagération34. Le procédé favorise l’apparition d’un contraste saisissant entre un passé dominé par l’indigence et un présent placé sous le signe du confort matériel. Certes, le destinataire trouve à lire les premiers éléments d’explication relatifs à la promesse non tenue, mais on peut penser que son attention est régulièrement détournée des expectata carmina par la technique discursive de l’auteur, qui met à profit la souplesse formelle et thématique du sermo pour accompagner ses arguments de représentations plaisantes ou susceptibles de distraire : le principe du σπουδογέλοιον trouve alors un parfait terrain d’application.
13Il semble ainsi qu’Horace cherche à capter le regard de Florus en lui soumettant une série de tableaux, tous empreints de satire. L’un d’entre eux l’immerge dans une Rome triviale, celle des faubourgs, fréquemment arpentée dans les compositions satiriques horatiennes35 ; le passage frappe par sa propension à mobiliser les tropes de l’euidentia36 :
Praeter cetera me Romaene poemata censes
scribere posse inter tot curas totque labores ?
Hic sponsum uocat, hic auditum scripta, relictis
omnibus officiis ; cubat hic in colle Quirini,
hic extremo in Auentino, uisendus uterque ;
interualla uides humane commoda. « Verum
purae sunt plateae, nihil ut meditantibus obstet. »
Festinat calidus mulis gerulisque redemptor,
torquet nunc lapidem, nunc ingens machina tignum,
tristia robustis luctantur funera plaustris,
hac rabiosa fugit canis, hac lutulenta ruit sus ;
i nunc et uersus tecum meditare canoros.37
14Ces quelques vers mettent en scène une galerie de personnages – les deux Romains alités, l’entrepreneur affairé, les membres du convoi funèbre, le chien, le porc38 – que viennent compléter d’autres figures dépourvues, elles aussi, de toute épaisseur référentielle précise. L’épître délaisse les rues encombrées de Rome pour transporter le destinataire à Athènes, où un homme, désigné par le simple terme d’ingenium (v. 81), s’est installé afin de s’adonner à l’étude et à la méditation en toute tranquillité. Horace brandit alors le tumulte de la cité romaine comme obstacle majeur à la création poétique39. Mais le texte ne s’attarde pas sur cet argument. Il reprend aussitôt sa dynamique fondée sur l’alternance de sérieux et de plaisant en évoquant deux nouveaux caractères, dont le comportement n’est pas sans rappeler celui de certains poètes, dont Horace lui-même :
Frater erat Romae consulti rhetor, ut alter
alterius sermone meros audiret honores,
Gracchus ut hic illi, foret huic ut Mucius ille.
Qui minus argutos uexat furor iste poetas ?
Carmina compono, hic elegos, « mirabile uisu
caelatumque nouem Musis opus. » Aspice primum
quanto cum fastu, quanto molimine circum
spectemus uacuam Romanis uatibus aedem ;
mox etiam, si forte uacas, sequere et procul audi
quid ferat et qua re sibi nectat uterque coronam.
Caedimur et totidem plagis consumimus hostem,
lento Samnites ad lumina prima duello.
Discedo Alcaeus puncto illius ; ille meo quis ?
Quis nisi Callimachus ? Si plus adposcere uisus,
fit Mimnermus et optiuo cognomine crescit.40
15Le Venousien se représente sous les traits d’un poète lyrique engagé dans un combat parodique avec un élégiaque, parfois identifié à Properce, qui, dans l’un de ses poèmes, s’octroie le surnom de « Callimaque romain »41. Dans la suite de l’épître, qui vient en quelque sorte ponctuer le passage mis en exergue, il formule en termes explicites un autre prétexte en faveur de son désengagement : il n’écrit plus de vers lyriques, car il ne tient plus à écouter les lectures des autres poètes afin de voir, en retour, ses propres compositions prises en considération et plébiscitées ; il cherche à fuir les mondanités. Une fois encore, l’épistolier a mené son destinataire là où il le souhaitait, mais par des sentiers détournés. Le prétexte n’est pas asséné de manière abrupte, mais vient conclure la description d’un tableau aux accents satiriques. Une saynète de ce type, destinée à stigmatiser la fatuité des poètes, trouverait aisément sa place dans le recueil des Satires horatiennes42. Le maintien de ce souffle satirique dans la seconde partie de l’épître, consacrée à la méditation philosophique, ne laisse pas de surprendre.
La méditation philosophique, vraie cause de l’abandon de la poésie
16Horace, on l’a vu, a apporté plusieurs justifications à sa défection : son aisance matérielle, qui lui permet de ne plus avoir à écrire pour gagner sa vie, le tumulte de Rome, incompatible avec la tranquillité requise pour la composition poétique, ou encore sa lassitude face à la nécessité d’entretenir de bonnes relations avec les autres poètes et, plus largement, avec le (son) public. Mais la raison profonde pour laquelle le Venousien abandonne l’activité poétique n’est énoncée qu’aux vers 141 et suivants, reproduits plus haut ; il conçoit la poésie comme une pratique futile et s’appliquera désormais à « étudier le rythme et la mesure de la vie véritable ». Imaginons un instant ces vers transférés au seuil de l’épître et placés à proximité directe du passage faisant état des reproches que Florus a adressés au poète. Ils pourraient avoir quelque chose de désobligeant, dans la mesure où le jeune homme serait enclin à s’identifier à l’un des pueri attachés aux frivolités de la poésie. À cette représentation dévalorisante s’opposerait alors celle, positive, d’un Horace apparaissant sinon comme un maître de sagesse, du moins comme un homme mûr, préoccupé par des questions d’un plus grand intérêt43. Mais l’énonciation tardive de ce nouveau projet confère au passage une tout autre portée. Avant d’y parvenir, l’épistolier a inséré des tableaux dans lesquels il s’est volontiers mis en scène, que ce soit dans les rues de Rome, alors qu’il doit rendre visite à des amis alités, ou sur le Palatin, près du temple d’Apollon44, où il s’engage dans un fervent échange d’éloges avec un ami poète. Dans de telles conditions, le destinataire est disposé à lire ces vers non pas tant comme l’expression d’un contraste entre un Florus infantilisé et un Horace voué à l’étude de plus nobles objets, que comme l’évocation de deux étapes distinctes au sein d’un même cheminement. Son âge, sa maturité invitent Horace à passer de la poésie à la philosophie, et il n’y a pas lieu de croire que l’allusion aux bagatelles de la poésie vise ici le compagnon de Tibère. La réflexion morale à laquelle se livre ensuite l’épistolier jusqu’à la fin de la pièce semble le confirmer.
17Le vers 145 introduit en effet une longue diatribe consacrée au thème de l’avarice :
Quocirca mecum loquor haec tacitusque recordor…45
18Le tour introspectif que la formule donne au propos invite à penser que l’auteur va se détacher de la situation de communication afin de s’absorber dans une méditation de nature philosophique. Le terme de « soliloque » a été avancé par la critique pour désigner cette soudaine immersion dans une pensée de facture éthique46. Mais, si l’on y regarde bien, l’épître ne délaisse pas pour autant les accents satiriques dont elle s’était dotée jusqu’alors et continue ainsi d’appliquer le principe du σπουδογέλοιον, à cette différence près que la part de σπουδή ne porte plus sur les raisons du désengagement horatien, mais procède tout bonnement d’un discours d’édification morale, comparable en bien des points à ceux que l’on peut trouver au sein du recueil des Satires. De nets jeux d’écho sont d’ailleurs perceptibles entre l’Épître II, 2 et la Satire I, 1, qui faisait déjà la part belle au thème de l’avarice47. L’un d’eux se fonde sur une utilisation commune du motif du tas. À cette démonstration tirée de la satire liminaire du livre I :
Quid iuuat inmensum te argenti pondus et auri
furtim defossa timidum deponere terra ?
« Quod si comminuas, uilem redigatur ad assem. »
At ni id fit, quid habet pulchri constructus aceruus ?
Milia frumenti tua triuerit area centum,
non tuus hoc capiet uenter plus ac meus, ut, si
reticulum panis uenalis inter onusto
forte uehas umero, nihilo plus accipias quam
qui nil portarit. Vel dic, quid referat intra
naturae finis uiuenti, iugera centum an
mille aret ? « At suauest ex magno tollere aceruo. »
Dum ex paruo nobis tantundem haurire relinquas,
cur tua plus laudes cumeris granaria nostris ?48
19répond l’extrait suivant, issu de l’épître adressée à Florus :
Vtar et ex modico, quantum res poscet, aceruo
tollam, nec metuam quid de me iudicet heres,
quod non plura datis inuenerit ; et tamen idem
scire uolam quantum simplex hilarisque nepoti
discrepet et quantum discordet parcus auaro.
Distat enim, spargas tua prodigus an neque sumptum
inuitus facias neque plura parare labores,
ac potius, puer ut festis Quinquatribus olim,
exiguo gratoque fruaris tempore raptim.49
20L’image, empruntée à la diatribe, a partie liée avec le paradoxe sorite, qui repose sur la question du nombre de grains nécessaires à la formation d’un tas50. Sa convocation dans l’Épître II, 2 œuvre au maintien de la veine satirique sensible dans la première partie du texte. De ce fait, si le champ de la destination semble s’être élargi, dans la mesure où Horace n’invoque plus les raisons pour lesquelles il n’a pas tenu sa promesse, mais délivre à présent un enseignement moral s’adressant au plus grand nombre, Florus reste concerné par le propos, qui s’appuie toujours sur une alternance de sérieux et de plaisant. La fin de l’épître, d’ailleurs, est marquée par une nouvelle allusion à la Satire I, 1, qui, en guise de conclusion, proposait déjà une assimilation métaphorique de l’homme ayant pleinement vécu sa vie à un conuiua satur, un « convive rassasié » :
Inde fit ut raro, qui se uixisse beatum
dicat et exacto contentus tempore uita
cedat uti conuiua satur, reperire queamus.51
21La proximité avec les derniers vers de l’Épître II, 2 est frappante :
Vivere si recte nescis, decede peritis.
Lusisti satis, edisti satis atque bibisti ;
tempus abire tibi est, ne potum largius aequo
rideat et pulset lasciua decentius aetas.52
22Et si, dans l’absolu, il fallait déterminer l’appartenance générique de l’un et l’autre passage, on serait presque tenté de croire que le premier s’inscrit dans le cadre d’une épître, le second dans celui d’une satire. Les vers finaux de l’Épître à Florus, en particulier, adoptent un ton péremptoire qu’Horace satiriste mobilise volontiers lorsqu’il s’agit pour lui de conclure sa démonstration par la formulation d’un précepte moral. Surtout, la répétition de l’adverbe satis, que le poète augustéen, toujours dans la Satire I, 1, rapproche implicitement de la satura sur un plan lexical afin d’exposer et de promouvoir sa propre conception du genre53, entérine les accointances de l’Épître II, 2 avec la satire et fait jouer le ressort du σπουδογέλοιον jusqu’à la fin. En définitive, les reproches envisagés dans la première partie du texte sont bien loin, et le destinataire attitré semble avoir été occulté. Il nous paraît cependant plus juste de dire que la situation de communication initiale n’a pas été évacuée, mais dépassée par des considérations plus importantes aux yeux de l’épistolier, et que Florus n’a pas été oublié, mais intégré à un ensemble de destinataires beaucoup plus large que ne le laissaient présager les premiers développements. Preuve en est, selon nous, la veine satirique qui parcourt l’épître jusqu’à son terme. Nous pensons qu’elle assure la cohérence du texte dans sa globalité et qu’elle garantit le lien entre Horace et Florus, y compris dans la seconde partie de la pièce, présentée comme plus introspective. Elle désamorce dans un premier temps le conflit en germe dans les protestations du compagnon de Tibère, puis soutient la diatribe finale avec le souci constant de plaire autant que d’édifier. Enfin, elle relie la Satire I, 1, qui, à défaut de constituer la première œuvre d’Horace dans la chronologie rédactionnelle54, n’en figure pas moins en tête du premier recueil publié par le Venousien, et l’Épître II, 2, qui apparaît comme la composition d’un homme mûr. Elle dévoile ainsi la continuité d’une pensée qui, au fil des années, a su s’affiner sans se trahir.
Notes de bas de page
1 Cf. Vita Horati, 10-11, dans Villeneuve François (éd.), Horace. Épîtres, Paris, CUF, 2002 (10e tirage), p. 86-87.
2 Voir Pasoli Elio, Le epistole letterarie di Orazio, Bologne, Pàtron, 1964, p. 63.
3 Cf. Epist. I, 3, 20-25.
4 Au sujet de la datation de la pièce et des débats qu’elle suscite, voir Brink Charles Oscar, Horace on Poetry. Prolegomena to the Literary Epistles, Cambridge, University Press, 1963, p. 241-243.
5 « Je t’ai dit, à ton départ, que j’étais paresseux, je t’ai dit que pour de telles tâches j’étais comme manchot, et ce pour éviter que, dans ta cruauté, tu ne me gourmandes parce qu’il ne t’est venu aucune lettre de ma main. Qu’y ai-je donc gagné si, malgré cela, tu maltraites le droit, qui est de mon côté ? Tu te plains, de surcroît, que je t’aie menti et que je ne t’aie pas envoyé les vers promis » (Epist. II, 2, 20-25). Nous proposons nos propres traductions des textes d’Horace que nous citons.
6 À la mort de Virgile en 19 avant J.-C., Horace devient le chantre du régime augustéen. Une consultation du livre IV des Odes, commandé par le Princeps, suffit à le prouver (cf. Vita Horati, 9-10).
7 Voir Pasoli E., Le epistole…, op. cit.
8 Hauthal Ferdinand (éd.), Acronis et Porphyrionis commentarii in Q. Horatium Flaccum, Amsterdam, Schippers, 1966, p. 387.
9 Villeneuve F., Horace…, op. cit., p. 138.
10 On pourra se reporter à l’article, daté mais toujours convaincant, de Hendrickson George Lincoln, « Are the letters of Horace satires ? », American Journal of Philology, 18, 1897, p. 313-324.
11 Highet Gilbert, The Classical Tradition : Greek and Roman Influences on Western Literature, Oxford, Clarendon Press, 1949, p. 305, en fait le maître-mot du genre satirique.
12 « La plupart du temps, la plaisanterie tranche les questions importantes plus efficacement et mieux que la rudesse de ton » (Sat. I, 10, 14-15).
13 La vocation morale du genre de la satire n’est plus à démontrer.
14 « Il est utile, assurément, de mettre de côté les bagatelles et de cultiver la sagesse, de laisser aux enfants des jeux appropriés à leur âge, et de ne pas rechercher des mots pour les faire résonner sur les cordes de la lyre latine, mais d’apprendre le rythme et la mesure de la vraie vie » (Epist. II, 2, 141-144).
15 « Toi qu’a nommé ma première Camène, toi que devra nommer ma dernière, tu me demandes, Mécène, à moi que l’on a assez contemplé et que l’on a déjà gratifié du bâton d’honneur, de m’enfermer à nouveau dans l’ancien camp d’entraînement ? Je n’ai pas le même âge, pas le même état d’esprit […]. C’est pourquoi je délaisse aujourd’hui les vers et toutes les autres bagatelles : je me préoccupe de ce qui est vrai et approprié, je m’interroge sur ce sujet, je suis tout entier absorbé par cette réflexion » (Epist. I, 1, 1-11).
16 Au sujet de la proximité des deux passages, voir Klingner Friedrich, Studien zur griechischen und römischen Literatur, Zürich, Artemis Verlag, 1964, p. 322.
17 Sur ces répartitions inégales, voir Becker Carl, Das Spätwerk des Horaz, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1963, p. 54.
18 Au sujet des différentes hypothèses de datation concernant l’Épître II, 2 – et les autres œuvres d’Horace –, voir Frischer Bernard, Shifting paradigms. New approaches to Horace’s Ars Poetica, Atlanta, 1991, p. 17 sqq.
19 Sur les relations horatiennes avec les puissants telles qu’elles sont mises en scène dans les œuvres du poète, voir Bowditch Phebe Lowell, Horace and the Gift Economy of Patronage, Berkeley, University of California Press, 2001, en particulier p. 10-29.
20 Tibère est parfois appelé Néron en référence à son père, Tiberius Néron ; cf. Suét., Vita Tiberi, 4.
21 « Florus, ami fidèle du bon et renommé Néron, si d’aventure quelqu’un voulait te vendre un esclave né à Tibur ou à Gabies et qu’il te parlait en ces termes : “Celui-ci sera blanc et beau de la tête jusqu’aux talons, et deviendra ta propriété pour huit mille sesterces, esclave domestique prêt au service au moindre signe du maître, imprégné d’une modeste culture grecque, pouvant s’adonner convenablement à n’importe quel art. C’est une argile humide que tu façonneras à ta guise ; bien plus, il pourra chanter, sans en avoir appris l’art, mais de manière à être agréable pendant que l’on boit. […] Une fois seulement il s’est attardé dehors et, comme il arrive, s’est caché sous l’escalier, craignant la lanière pendue au mur” » (Epist. II, 2, 1-15).
22 Voir McGann Michael, « Horace’s Epistle to Florus (Epist. 2.2) », Rheinisches Museum, 97, 1954, p. 344.
23 Voir Rutherford Richard Brown, « Horace, Epistles 2.2 : Introspection and Retrospective », Classical Quarterly, 31, 1981, p. 376, qui se penche en particulier sur les vers 7 à 9.
24 Oliensis Ellen, Horace and the rhetoric of authority, Cambridge, University Press, 1998, p. 9.
25 Tout comme celui de l’Épître aux Pisons ; sur ce rapprochement, voir Brink Charles Oscar, Horace on Poetry. Epistles Book II : The Letters to Augustus and Florus, Cambridge, University Press, 1982, p. 267.
26 Le terme est emprunté à M. McGann.
27 « Alors qu’une nuit, il ronflait brisé de fatigue, un soldat de Lucullus, qui avait amassé un butin au prix de bien des épreuves, avait perdu jusqu’au dernier as ; après cela, il devint un loup violent, en colère à la fois contre lui-même et contre l’ennemi, les dents acérées par le jeûne, et délogea une garnison royale particulièrement bien gardée, dit-on, et pleine de richesses. Rendu célèbre par cet exploit, il est récompensé par d’estimables dons et reçoit de surcroît vingt mille sesterces. Il se trouva, en ce temps-là, qu’un préteur, désireux de renverser je ne sais quel bastion, aborda notre homme en des termes propres à donner du courage à un poltron : “Va, homme de bien, là où t’appelle ton courage, va d’un pied favorisé par les dieux pour emporter des récompenses aussi grandes que tes mérites. Pourquoi restes-tu figé ?” À ces paroles, il répondit avec finesse, tout campagnard qu’il était : “Il ira, il ira là où tu veux que j’aille, celui qui a perdu sa ceinture” » (Epist. II, 2, 26-40).
28 Les expressions uehemens lupus et clarus ob id factum constituent deux allusions nettes au champ de l’épopée (voir Brink C. O., Horace on Poetry. Epistles Book II…, op. cit., p. 282 et 284).
29 « It is most unlikely that Florus will have grasped the relevance of the story when he reached its conclusion in 40 » (McGann M., art. cit., p. 347-348).
30 « Il me fut donné d’être élevé à Rome et d’y apprendre à quel point la colère d’Achille avait nui aux Grecs. La bonne Athènes ajouta un peu plus à mes connaissances, c’est-à-dire que je voulus distinguer la ligne droite de la courbe et rechercher le vrai parmi les bosquets d’Académus. Mais des temps difficiles m’éloignèrent d’un endroit qui m’était agréable, et le tourbillon des guerres civiles me poussa, dans mon inexpérience, vers des armes qui devaient le céder au bras de César Auguste. Puis, aussitôt que Philippes m’eut renvoyé, les ailes coupées, rampant sur le sol et privé du lare et du fonds paternels, une audacieuse pauvreté m’incita à faire des vers ; mais quelle dose de ciguë pourrait jamais suffire à me purger, moi qui n’ai rien qui me fasse défaut, si je ne pensais pas qu’il vaut mieux dormir qu’écrire des vers ? » (Epist. II, 2, 41-54).
31 Comme le remarque Paolo Fedeli, Q. Orazio Flacco. Le opere, II : Le Epistole ; L’Arte poetica, Rome, Istituto poligrafico e Zecca dello Stato, 1997, p. 1405, l’Iliade est ici identifiée avec son proème.
32 Certains commentateurs parlent ici d’ἀπροσδόκητον pour caractériser l’effet de surprise ménagé par la fin du récit (voir Kiessling Adolf et Heinze Richard (éds.), Q. Horatius Flaccus. Briefe, Berlin, Weidmann, 1961 (7e tirage), p. 251 et Wistrand Erik, « Archilochus and Horace », dans Archiloque : sept exposés et discussions, Genève, Fondation Hardt, 1964, p. 263).
33 Les Satires I, 1 à I, 3, dites diatribiques, font grand cas du thème de l’argent.
34 Voir Fedeli P., Q. Orazio Flacco…, op. cit., p. 1408.
35 Cf. en particulier la Satire I, 9.
36 Voir Kilpatrick Ross, The poetry of criticism. Horace, Epistles II and Ars poetica, University of Alberta Press, 1990, p. 20.
37 « Mis à part tout le reste, crois-tu que je puisse écrire des poèmes à Rome, au milieu de tant de soucis, de tant d’occupations ? Un tel m’invite à lui servir de caution, un autre à écouter ses écrits, toutes affaires cessantes ; l’un est alité sur la colline de Quirinus, l’autre au bout de l’Aventin, et il faut rendre visite à l’un et à l’autre : tu vois que la distance est joliment convenable. “Mais ce ne sont que larges rues, de sorte que rien ne fait obstacle à ceux qui méditent.” Un entrepreneur bouillant se hâte avec ses mules et ses portefaix, un cabestan élève tantôt une pierre, tantôt une poutre énorme, un convoi funéraire endeuillé engage une lutte avec d’imposants chariots pour passer, par ici une chienne enragée prend la fuite, par là une truie se traîne dans la boue. Va maintenant et médite en toi-même des vers harmonieux » (Epist. II, 2, 65-76).
38 Au sujet de ces obstacles, voir Becker C., Das Spätwerk…, op. cit., p. 55.
39 Epist. II, 2, 77-86.
40 « Il y avait, à Rome, deux frères, un jurisconsulte et un orateur ; l’un n’entendait sortir de la bouche de l’autre qu’hommages à son propre égard, de sorte que celui-ci était un Gracchus aux dires de celui-là, celui-là un Mucius aux dires de celui-ci. Cette folie tourmente-t-elle à un moindre degré les poètes harmonieux ? Je compose des poèmes lyriques, lui des élégies, “ouvrage admirable à voir et ciselé par les neuf Muses”. Observe d’abord avec quel orgueil, avec quel air important nous promenons nos regards sur le temple ouvert aux poètes romains. Puis, si tu n’as rien à faire, suis-nous et écoute de loin ce que nous rapportons et comment nous tressons pour l’autre une couronne. Nous nous frappons et nous épuisons l’ennemi par le même nombre de coups, tels des Samnites engagés dans un duel qui s’étend jusqu’aux premières lueurs du jour. Je le quitte en étant, de son point de vue, un Alcée ; qui est-il selon moi ? Qui, sinon un Callimaque ? S’il semble en réclamer davantage, il devient un Mimnerme, et ce surnom choisi le grandit encore » (Epist. II, 2, 87-101).
41 Cf. Properce, IV, 1, 64 ; au sujet de cette identification, voir notamment Brink C. O., Horace on Poetry. Epistles Book II…, op. cit., p. 316.
42 Voir Rutherford R. B., art. cit., p. 377.
43 Voir Wili Walter, Horaz und die augusteische Kultur, Bâle, Schwabe, 1948, p. 314.
44 Voir Brink C. O., Horace on Poetry. Epistles Book II…, op. cit., p. 322.
45 « C’est pourquoi je me dis en moi-même et me rappelle, sans en parler, les choses suivantes… » (Epist. II, 2, 145).
46 Voir Brink C. O., Horace on Poetry. Epistles Book II…, op. cit., p. 506.
47 Sur le thème de l’avarice, cf. aussi Sat. II, 3, 82-175, Epist. I, 1, 52 sqq. ou I, 2, 44 sqq.
48 « Que te sert-il de déposer, craintif, une immense quantité d’argent et d’or dans la terre creusée en cachette ? “Si on l’entamait, elle en serait réduite à un misérable as.” Mais si cela n’arrive pas, qu’a de beau l’architecture d’un tas ? Ton aire aura battu cent mille boisseaux de froment, mais ton ventre n’en sera pas plus rempli que le mien ; de même, si d’aventure, parmi les esclaves à vendre, tu transportais la charge d’un filet à pain sur ton épaule, tu ne recevrais rien de plus que celui qui n’aurait rien porté. Ou dis-moi encore, qu’importe, à quelqu’un qui vit dans les limites de la nature, d’avoir cent ou mille arpents à labourer ? “Mais il est doux de prélever d’un grand tas.” Pourvu que tu nous laisses puiser la même quantité à un petit tas, pourquoi accorder plus d’éloges à tes greniers qu’à nos coffres à blé ? » (Sat. I, 1, 41-53).
49 « Je jouirai et je tirerai d’un tas modeste autant que la situation l’exigera, et je ne redouterai pas ce que mon héritier pourra penser de moi parce qu’il n’aura pas trouvé plus que ce qu’on m’avait donné ; et pourtant je voudrais moi-même savoir dans quelle mesure l’homme naturel et joyeux diffère du dissipateur, dans quelle mesure l’homme économe se distingue de l’avare. Ce n’est, en effet, pas la même chose de dilapider ses biens par prodigalité et de faire des dépenses sans regret, de ne pas travailler à amasser davantage, mais plutôt, comme l’on faisait autrefois, enfant, à la fête des Quinquatries, de profiter d’un court moment de plaisir saisi à la volée » (Epist. II, 2, 190-198).
50 Freudenburg Kirk, Satires of Rome. Threatening poses from Lucilius to Juvenal, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2001, p. 29.
51 « Aussi arrive-t-il rarement que nous puissions trouver un homme qui dise avoir vécu heureux et, le temps venu, quitte la vie content, tel un convive rassasié » (Sat. I, 1, 117-119).
52 « Si tu ne sais pas vivre convenablement, cède la place à ceux qui savent. Tu as assez joué, assez mangé et bu ; il est temps pour toi de partir, pour éviter qu’un âge à qui le badinage convient mieux ne se moque de toi et ne te pourchasse, voyant que tu as bu plus que de raison » (Epist. II, 2, 213-216).
53 Voir, à ce sujet, Freudenburg K., Satires of Rome…, op. cit., p. 35.
54 À propos de la chronologie rédactionnelle des Satires, voir Cartault Augustin, Étude sur les Satires d’Horace, Paris, Alcan, 1899, p. 45 sqq.
Auteur
Université de Lille III/Halma-Ipel (UMR 8164)
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Les écritures de la douleur dans l’épistolaire de l’Antiquité à nos jours
Patrick Laurence et François Guillaumont (dir.)
2010