La métamorphose de l’adversaire en âne dans les lettres polémiques de saint Jérôme
p. 271-288
Texte intégral
1Sainteté ne rime pas toujours avec bénignité, et s’il en fallait une preuve on la trouverait sans mal dans la Correspondance de saint Jérôme. Celle-ci présente en effet un grand nombre de lettres de combat, polémiques ou apologétiques, dans lesquelles l’épistolier met en œuvre toutes sortes de moyens de dénigrement destinés à déconsidérer son adversaire avant même de songer à le réfuter. Le mot de Le Nain de Tillemont à propos de Jérôme, « Quiconque l’a eu pour adversaire a presque toujours été le dernier des hommes1 », est à ce point fameux qu’on hésite presque à le citer ! Parmi le riche arsenal polémique dont il fait montre2, Jérôme recourt fréquemment au glissement du domaine de la doctrine à celui de l’éthique3. Il n’hésite pas alors à jouer sur les mots pour subvertir le nom de ses adversaires4, ou à identifier ces derniers à différents animaux peu recommandables. Ceux-ci se caractérisent par leur capacité à mordre, aboyer, piquer, grogner… On rencontre ainsi à maintes reprises des chiens5, diverses espèces de serpents6, des scorpions7, des cochons et des truies8, voire des monstres hybrides issus de la mythologie et de la poésie profane9. On rencontre aussi, à quatre reprises, des ânes, auxquels Jérôme donne une place toute particulière dans la Lettre 27, qu’il adresse en 384 à Marcella, et dans laquelle il dénonce l’hypocrisie et l’incompétence de ceux qui, à Rome, critiquent sa révision latine des Évangiles réalisée sur la base du texte grec original. L’animal y fait l’objet d’un traitement tout à fait original qui repose sur un jeu complexe d’intertextualité. On en prendra d’autant mieux la mesure qu’on aura davantage présente à l’esprit la façon dont le quadrupède est convoqué dans les trois autres lettres à caractère polémique ou à tonalité satirique où il pointe ses oreilles. Mais un rappel préalable de la symbolique traditionnelle de l’âne dans l’Antiquité est nécessaire pour saisir toute la singularité de sa mise en œuvre par Jérôme.
2Étienne Wolff a donné voici plus de dix ans une synthèse rapide et complète de la symbolique de l’âne dans l’Antiquité à laquelle il me permettra de puiser largement les quelques éléments qui suivent10. Même si dans le monde oriental et sémitique l’âne jouit d’une image plutôt positive qui transparaît notamment dans la présentation qu’en donnent les Écritures saintes, il faut bien reconnaître que l’animal est plutôt dévalorisé dans le monde gréco-romain. Ainsi chez les auteurs grecs et latins à l’école desquels Jérôme a reçu sa formation scolaire, l’âne est avant tout associé à l’ignorance et à la bêtise et ses grandes oreilles n’en font pas pour autant un bon musicien, puisqu’un proverbe grec bien connu lui dénie toute capacité à goûter au doux son de la lyre11, alors qu’une fable de Phèdre le montre incapable d’en jouer12. Loin de tout raffinement, l’âne n’est bon que pour les tâches serviles et les lourdes charges. Il est également tenu pour déployer une activité sexuelle hors du commun et symbolise fréquemment une sexualité débridée et bestiale. Dans le règne animal, l’âne fait pâle figure devant la force du lion et se montre inférieur au cheval, monture des guerriers, et à la mule, plus vigoureuse que lui. Peu s’en faut qu’il n’occupe la dernière place dans l’échelle symbolique des bêtes de somme !
3C’est donc avec un déficit d’image certain que l’âne apparaît sous la plume des auteurs latins et Jérôme ne déroge pas à la tradition dans laquelle il s’inscrit, lorsqu’il convoque l’animal pour discréditer ses adversaires.
4La première occurrence d’asinus dans la Correspondance se trouve dans la Lettre 7 que Jérôme adresse vers 375 à des amis d’Aquilée qu’il a quittés pour partir au désert de Chalcis, en Syrie, afin d’y faire l’expérience de la vie d’ermite. À cette occasion, il leur demande de veiller sur sa sœur dont la vocation religieuse est menacée, car elle est restée à Stridon, sa ville natale, où l’Église locale ne brille guère par sa vertu. Il brosse alors un petit tableau sans concession de cette dernière :
Car dans ma patrie d’une nature intrinsèquement rustique, Dieu c’est le ventre [cf. Ph 3, 19] et on vit au jour le jour : le plus saint est celui qui est le plus riche ! Sur ce pot, selon le proverbe courant du langage populaire, s’est posé un couvercle qui lui convient : l’évêque Lupicinus. Celui-ci vérifie également le bon mot qui, selon Lucilius, fit rire Crassus pour la seule fois de sa vie : « à chaque lèvre sa laitue, puisque l’âne mange des chardons », si bien que, évidemment, le navire qui prend l’eau est dirigé par un faible pilote, l’aveugle conduit des aveugles à la fosse [cf. Lc 6, 39] et le gouverneur est semblable à ceux qu’il gouverne.13
5On constate que Jérôme se plaît ici à multiplier les métaphores dévalorisantes qui se font écho pour stigmatiser l’indignité de l’évêque de Stridon en une accumulation qui, il faut le reconnaître, sent un peu l’exercice scolaire. Le « bon mot » de l’âne qui mange des chardons ne fait donc qu’illustrer, à sa manière, l’idée du rapprochement des semblables qui préside à cette série d’expressions. L’âne s’y présente comme un animal peu délicat auquel convient une nourriture grossière ; de même, par ses compromis vraisemblables avec la vie mondaine, l’évêque Lupicinus convient à des fidèles peu enclins à quitter leurs habitudes païennes pour s’adonner aux exigences de la vie ascétique. Mais, à considérer l’ordre d’énonciation des premières métaphores (pot-couvercle/lèvre-laitue/âne-chardon/navire-pilote), il semble que la figure de l’âne se rapporte plus aux fidèles qu’au pasteur et que l’évêque soit le chardon dont se nourrit son troupeau d’ânes. Quoi qu’il en soit, ânes ou chardon, tous sont dénoncés pour leur aveuglement délétère.
6Une vingtaine d’années plus tard, en 396, dans la Lettre 61, Jérôme s’emporte contre Vigilance qui l’accusait d’être hérétique et de souscrire aux erreurs doctrinales d’Origène. Il est difficile de trouver un ton plus vif que celui de cette lettre polémique où Vigilance s’entend reprocher sa versatilité, son ignorance et ses vaines prétentions à faire le savant. Mais sa fatuité et sa bêtise sont telles, si l’on en croit Jérôme, qu’il ne sert à rien de tenter de le corriger, et c’est tout naturellement qu’il se voit comparé à un âne incapable d’apprécier le son de la lyre :
Aussi, cesse de me provoquer et de m’écraser sous le poids de tes livres. Épargne au moins l’argent qui te permet, en payant les services de sténographes et de secrétaires, de compter autant de partisans que tu as de copistes qui ne te louent peut-être que pour gagner de l’argent par leurs travaux d’écriture. Si tu veux exercer ton esprit, mets-toi à l’école des grammairiens et des rhéteurs, apprends la dialectique, suis les enseignements des philosophes en sorte que, quand tu auras appris tout cela, tu commenceras au moins à te taire. Mais je suis bête de chercher des maîtres pour qui est le maître de tous, et d’imposer la mesure à celui qui, ne sachant pas parler, est incapable de se taire. Comme il est vrai ce proverbe des Grecs : « ὄνῳ λύρα [pour un âne, une lyre] ? » !14
7L’enchaînement des idées est ici on ne peut plus attendu et l’image de l’âne n’a plus qu’à venir couronner le portrait de l’ignorant indécrottable. Comble de l’ironie, c’est en grec que Jérôme cite le proverbe15, alors que toute la lettre laisse à penser que, malgré sa prétendue science, Vigilance, originaire d’Aquitaine, ne connaît pas cette langue. Il est donc clair que c’est pour convaincre ses autres lecteurs, réellement savants, que Jérôme décoche ce dernier trait. Et celui-ci est d’autant plus perfide que si Vigilance veut en connaître la teneur, il sera obligé de dévoiler son ignorance en demandant l’aide d’un plus savant qui découvrira, avant même de la lui révéler, sa métamorphose en âne ! Mais, à cette finesse de mise en œuvre près, la lettre ne fait que reprendre le lieu commun de l’assimilation à l’âne de la bêtise et de l’ignorance humaines.
8On retrouve une dernière fois la figure de l’âne, mêlée à d’autres figures animales, dans la Lettre 125, adressée au moine Rusticus vers 412. Jérôme lui prodigue ses conseils pour vivre dignement son état monastique. Il l’invite, entre autres, à étudier longuement avant de prétendre écrire et enseigner, et le met en garde contre les flatteurs qui, par devant, couvrent l’ignorant d’éloges, alors qu’ils se moquent de lui par derrière :
Ne te précipite pas pour écrire en te laissant guider par une folle légèreté. Apprends longtemps pour avoir de quoi enseigner. Ne fais pas confiance à ceux qui te louent, ou pour mieux dire, ne va pas prêter l’oreille à des gens qui se moquent de toi ; car si tu te retournes, une fois qu’ils t’auront encouragé par leurs flatteries et rendu en quelque sorte incapable de penser, tu pourras les surprendre dans ton dos en train d’imiter le cou des cigognes, de faire avec leur main des oreilles d’âne ou de tirer une langue de chien assoiffé !16
9La petite scène que Jérôme offre ici à la réflexion de Rusticus, pour l’inciter à la prudence et à l’humilité en matière de prétention littéraire et d’enseignement, fait curieusement écho à la raillerie dont il avait accablé Vigilance dans la Lettre 61, et il est vraisemblable qu’en l’écrivant il ait songé à ce dernier et aux encouragements hypocrites et intéressés qu’il pouvait recevoir de son entourage17. Cet écho, confirmé par l’évocation satirique de la figure de Rufin dans la suite immédiate de la Lettre à Rusticus, confère au passage une tonalité polémique, et l’on n’est pas surpris d’y retrouver, avec les oreilles d’âne, la stigmatisation de l’ignorance qui veut passer pour savante. Ce geste de moquerie est ici associé à l’imitation du cou de la cigogne, dont le sens, nécessairement dépréciatif, n’est toutefois pas explicite pour nous. La langue du chien qui complète la série de mimiques renvoie, pour sa part, à l’idée de l’animal qui attend tout de son maître et, en particulier, de quoi étancher sa soif ; elle peut ainsi souligner, pour reprendre la fable française bien connue, l’idée que « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute » !
10Dans les trois lettres que nous venons de citer, l’âne se présente dans un rôle attendu d’animal ignorant et peu difficile sur sa nourriture, aux antipodes de l’idéal d’exigences intellectuelles et spirituelles que défend Jérôme. À première vue, il semble bien qu’il en va de même dans la Lettre 27 où, comme nous l’avons dit, Jérôme justifie sa révision des Évangiles sur le grec, contre ceux qui la critiquent. Observons-y ensemble les différentes apparitions de la figure de l’âne.
11Après avoir rappelé à Marcella le grief de ses adversaires, Jérôme annonce sa réponse :
Mais, alors que pour ma part, j’aurais bien le droit de les mépriser – car jouer de la lyre à un âne, c’est perdre son temps –, voici cependant ce que je leur réponds pour qu’ils n’aillent pas, selon leur habitude, m’accuser d’orgueil.18
12Cette simple allusion au proverbe grec, cité ici non en grec, mais en latin, pourrait suffire à stigmatiser l’incompétence des critiques. Jérôme en renforce cependant encore le trait en insistant ensuite sur le paradoxe de ces derniers qui ne se montrent incompétents que lorsqu’il s’agit des Saintes Écritures, alors qu’ils sont experts dans l’art de choisir les mets qu’ils font servir à leurs tables. On comprend dès lors que les ânes aux-quels il a affaire ne sont ni des intellectuels de haut vol, ni des chrétiens acquis à l’idéal ascétique.
13Le deuxième paragraphe confirme l’identité des adversaires qui pourraient se sentir visés par les saillies satiriques de Jérôme : il s’agit de Romains chrétiens appartenant à un milieu social élevé et qui, malgré leur conversion, n’ont pas renoncé aux habitudes du luxe et aux raffinements de la vie mondaine ; les mêmes, précisément, que ceux qui se sont sentis visés par les tableaux satiriques de la Lettre 22 qui, la même année, exhortait Eustochium à consacrer à Dieu sa virginité. Mais la critique des banquets et des plaisanteries de table dont ils sont familiers ne donnent lieu à aucune apparition de l’âne. Nous ne nous y attarderons donc pas.
14L’animal reparaît dans le troisième paragraphe où Jérôme, qui reconnaît s’être écarté un instant de son propos, y revient en citant fort à propos deux vers d’Horace :
Mais pour ne pas donner à Flaccus l’occasion de rire de nous –
Voilà qu’on commence à modeler une amphore ;
la roue tourne ; pourquoi en sort-il une cruche ?19 –
revenons à nos ânons bipèdes et faisons retentir à leurs oreilles l’éclat de la trompette plutôt que le chant de la cithare.20
15À la différence de la locution française « revenons à nos moutons » dont le succès ne se dément pas depuis son apparition dans la Farce de Maître Pathelin, l’expression « reuertimur ad nostros bipedes asellos » utilisée par Jérôme pour revenir à son sujet est totalement originale dans un tel contexte où l’on attendrait plutôt : reuertimur ad nostrum propositum21. Sa force vient de ce qu’elle reprend, en la dépréciant par le diminutif et l’adjectif anthropomorphique « bipedes », l’identification des adversaires à des ânes, que nous avons déjà rencontrée au premier paragraphe à travers le proverbe de l’âne et de la lyre, proverbe auquel fait également écho la métaphore musicale de la trompette remplaçant la cithare.
16Jérôme peut alors citer quelques pièces du procès pour confondre ses adversaires. Curieusement, alors qu’on s’attend à le voir comparer entre elles deux versions des Évangiles, ce sont les versions contradictoires de quelques versets de saint Paul, essentiellement tirés de la Première Épître à Timothée, qu’il propose22. Il termine alors sa lettre par une dernière charge dans laquelle il oppose, en recourant à une nouvelle métaphore animale, l’arrogante ignorance de ses contradicteurs à l’humilité chrétienne dont le Christ a donné l’exemple :
Pour finir, qu’ils se réjouissent de leurs chevaux gaulois castrés, nous, ce qui nous plaît, c’est l’ânon de Zacharie libéré de ses liens et préparé en vue du mystère du Sauveur, cet ânon qui, après avoir offert son dos au Seigneur, commença à entonner la louange d’Isaïe : Heureux celui qui sème au bord de l’eau, là où marchent le bœuf et l’âne [Is. 32, 20].23
17Que des ânes, dont l’intelligence est réduite, prennent plaisir à se servir de chevaux diminués, voilà qui n’a pas lieu de surprendre. Mais l’image des chevaux castrés prend un sens particulier dans cette lettre où l’enjeu est de montrer que les détracteurs de Jérôme revendiquent un texte latin des Évangiles fautif, déformé et mutilé par l’erreur des traducteurs et des copistes, et non un texte authentique, restauré et rétabli dans son intégrité par les soins de Jérôme. Cependant, on aurait pu s’attendre que ce dernier présente sa version révisée sous les traits du cheval de race tel qu’on le trouve, par exemple, chez Virgile24. Mais il préfère puiser à des sources sacrées et, fidèle à la pratique de l’exégèse allégorique qui, selon le contexte, peut prendre une même figure en bonne ou en mauvaise part, retourner en positif l’image jusque-là négative de l’âne. Il choisit donc d’opposer aux chevaux castrés l’ânon prophétisé par Zacharie (Za 9, 9) et servant de monture glorieuse à Jésus dans l’épisode de son entrée royale à Jérusalem (Mt 21, 5). Cette première opposition se double d’une seconde : l’ânon de Zacharie, qui accepte de jouer humblement son rôle de monture, discrédite définitivement les « ânons bipèdes » qui refusent de reconnaître humblement leur incompétence dans le domaine scripturaire et se permettent de critiquer orgueilleusement les travaux des vrais savants.
18On le voit, Jérôme soigne particulièrement la mise en œuvre de la figure de l’âne dans sa Lettre 27, et le lecteur qui peut en apprécier la finesse dans le texte latin ne laisse pas d’être désappointé lorsqu’il découvre la traduction de la pointe finale par Jérôme Labourt, dans la Collection des Universités de France :
Un dernier mot : qu’ils se réjouissent de leurs hongreries dignes des Galles ! quant à nous, nous trouverons notre plaisir avec cet ânon de Zacharie, libéré de ses longes, préparé pour le mystère du Sauveur […].
19Le jeu d’opposition entre les chevaux castrés et l’ânon évangélique, figures respectives du texte latin mutilé et de la révision hiéronymienne, est totalement brouillé par cette traduction malencontreuse. Mais il y a plus grave : elle perd totalement de vue un jeu littéraire que Jérôme ajoute au double jeu d’opposition que nous avons observé et que le traducteur de la CUF aurait pu deviner s’il avait pris la peine de se reporter à des traductions plus anciennes. En effet, l’origine gauloise des chevaux castrés (gallicis canteriis ou cantheriis) dont il est question n’est pas indifférente, car de tels chevaux sont directement tirés d’une comédie de Plaute. Dans l’Aulularia, en effet, Mégadore, un homme aisé qui vient demander la main de la fille d’Euclion et souhaite l’épouser sans dot, parce qu’il déplore que les filles richement dotées, sûres d’être courtisées, se dispensent de chercher la vertu, déclare à propos de ces dernières :
Qu’elles épousent qui elles voudront, pourvu que leur dot ne les suive pas. Si les choses se passaient ainsi, elles s’efforceraient d’acquérir, en guise de dot, plus de vertus qu’elles n’en apportent aujourd’hui. Je garantis que les mulets, dont le prix dépasse celui des chevaux, se vendraient bien moins cher que les chevaux gaulois castrés.25
20Dans ces vers, comme on peut le constater, Plaute se sert déjà de la métaphore animale dans le cadre d’une comparaison qui lui permet de renverser la hiérarchie établie entre les deux catégories de filles à marier. L’apparente supériorité économique de la fille dotée ou du mulet de haut prix est contestée au profit de la supériorité réelle et morale de la fille non dotée ou du cheval gaulois castré. Ce renversement est littéralement révolutionnaire, puisqu’il place d’un même coup tout en haut de l’échelle des valeurs le parti considéré comme le moins avantageux et la bête de somme la moins prisée sur le marché aux chevaux. Un tel renversement ne pouvait que séduire Jérôme, grand lecteur à la fois de Plaute et des Évangiles où l’on en rencontre de semblables. Force est cependant de constater que si ce dernier reprend bien le cadre comparatif de son modèle, il ne retient pas pour autant la valeur positive que celui-ci attribue aux chevaux gaulois qu’il prend pour ce qu’ils sont : des bourrins de seconde catégorie, bien dignes des ânes qui braient contre lui !
21Il n’est pas étonnant que les multiples harmoniques de la reprise de l’expression plautinienne aient échappé à Jérôme Labourt, puisque ce dernier ne se doutait pas de l’emprunt fait par Jérôme. Il est en revanche étonnant que certaines traductions antérieures ne rendent pas la subtilité de cet emprunt alors même qu’elles le signalent en note. C’est, par exemple, le cas de la traduction que dom Guillaume Roussel a donnée en 1743 sur l’édition de Jérôme établie par les Mauristes. On y lit ainsi, pour ce passage :
Qu’ils disent que Jésus-Christ monta sur un de ces chevaux hongres qui viennent des Gaules26 : Pour nous nous disons qu’il monta sur cet ânon, qui, selon le Prophète Zacharie [Zach 9], étoit préparé pour le Sauveur […].27
22Quelques qualités qu’offre par ailleurs cette traduction, elle trahit ici totalement le propos de Jérôme, en donnant les hongres gaulois comme monture alternative pour l’entrée de Jésus à Jérusalem, au mépris du texte évangélique (mais, dans l’esprit de dom Roussel, ce mépris est sans aucun doute celui des détracteurs de Jérôme) ! Il y a plus grave : cette traduction s’est maintenue en France dans les traductions du xixe siècle qui affirment pourtant se garder des libertés prises par leur prédécesseur avec le texte source28, alors que, dans le même temps, elles oublient de mentionner l’emprunt fait à Plaute. Ainsi dans leur traduction de 1837, Jacques-François Grégoire et François-Zénon Collombet proposent la traduction suivante :
Enfin qu’ils se plaisent à soutenir que le Christ monta sur un de ces chevaux qui viennent des Gaules ; quant à nous, aimons à dire qu’il prit cet ânon dégagé de tout lien, préparé, suivant Zacharie, pour le Sauveur […].29
23Dans leur sillage, l’année suivante, Benoît de Matougues reprend à son tour le même contresens qu’il leur emprunte d’ailleurs sans vergogne :
Enfin qu’ils se plaisent à soutenir que le Christ monta sur un de ces chevaux qui viennent des Gaules ; quant à nous, nous aimons à dire qu’il prit cet ânon dégagé de tout lien, préparé, suivant Zacharie, pour le Sauveur […].30
24Si l’on se tourne vers les traductions dans d’autres langues – pour celles du moins que j’ai pu consulter –, on constate que la traduction de Francisco Lopez Cuesta qui fit autorité en Espagne de la fin du xviie siècle jusqu’à la fin du xviiie31, ne mentionne pas l’emprunt à Plaute, mais que les traductions respectivement anglaise de la fin du XIXe32, et allemande du milieu du XXe33, le signalent l’une et l’autre et en proposent une traduction satisfaisante34. Mon enquête sur les traductions n’est certes pas exhaustive, puisque je n’ai eu accès à aucune traduction italienne ni aux traductions espagnoles les plus récentes, mais les errements sur ce passage, depuis près de trois siècles, des traducteurs en langue française nous incitent à rester vigilants dans le maniement des lettres de Jérôme et à ne jamais perdre de vue le texte latin original.
25On pourrait croire qu’avec cette restitution à Plaute de l’expression empruntée par Jérôme nous sommes parvenus au terme de notre enquête sur la transformation des adversaires en ânes dans la Lettre 27, mais la citation de l’Aulularia n’est pas la seule reprise que se permet Jérôme dans son entreprise de disqualification. De fait, nous avons noté, au début du troisième paragraphe, l’originalité de l’expression bipedes asellos qui lui permet de revenir à l’enjeu même de sa lettre : la défense de sa révision du texte latin des Évangiles. Or, pour être originale, cette expression n’est pas totalement inédite dans la latinité, puisqu’on la trouve déjà, quoique au singulier, dans la neuvième Satire de Juvénal. Cette dernière met en scène un personnage qui fait commerce de ses charmes et se voit éconduit par l’homme dont il était l’amant et auquel il avait de surcroît permis d’être père, en couchant avec son épouse. Dépité d’être ainsi rejeté après tant de services rendus, il répond au poète qui l’interroge sur les intentions de l’amant ingrat :
« Il reste indifférent et cherche à se pourvoir d’un autre âne bipède ».35
26Les commentateurs de cette satire interprètent cette expression comme une métaphore de l’activité sexuelle intense recherchée chez un amant. Certains vont même jusqu’à y voir une allusion à la longueur des attributs sexuels de celui-ci36. Mais que diable un amant bien membré a-t-il à voir avec les opposants à la version latine révisée des Évangiles ? Jérôme n’aurait-il fait qu’une simple reprise de mots sans songer au contexte d’origine de l’expression ? C’est ici qu’il nous faut regarder de plus près le deuxième paragraphe de la lettre. En effet, pour calmer les inquiétudes de Marcella qui craint qu’il ne s’abandonne trop librement à la veine satirique, Jérôme se justifie en se défendant de s’être jamais laissé aller à des conduites moralement répréhensibles, et en présentant, sous forme de questions adressées à sa correspondante, l’inconduite qu’il reproche à ses détracteurs :
Je sais qu’à la lecture de ces lignes, tu fronces les sourcils de crainte que ma liberté de ton ne soit à nouveau source de discordes et tu voudrais, si c’était possible, me fermer la bouche avec le doigt pour que je n’aie pas l’audace de dire ce que d’autres ne rougissent pas de faire. Je te le demande, qu’avons-nous dit de si libre ? Ai-je seulement décrit les idoles ciselées sur les plats ? Ai-je seulement présenté aux yeux des vierges, au milieu d’un repas chrétien, les embrassements des bacchantes et des satyres ? Mon discours trop mordant a-t-il choqué quelqu’un ? Ai-je seulement déploré que des mendiants devinssent riches ? Ai-je seulement blâmé ceux qui ne laissent que leur sépulture en héritage ? La seule chose que j’ai dite, pour mon malheur, c’est que les vierges devraient être plus souvent en compagnie des femmes que des hommes !37
27Il est assez clair, à la lecture de ces lignes, que Jérôme dénonce vigoureusement l’immoralité de ses ennemis dont il avait déjà souligné la gourmandise dans le premier paragraphe. Dans un tel contexte, force est de reconnaître que la réécriture au pluriel de l’expression de Juvénal n’est ni fortuite, ni innocente. Elle fait comprendre, à mots couverts, mais décelables par des lettrés, que Jérôme ne se contente pas des attaques explicites contre la conduite de ses adversaires à table et leurs propension à la médisance, mais qu’il leur reproche également leurs mœurs païennes et leur sexualité débridée. S’ils sont des ânes, ils le sont autant par leur ignorance que par leur goût pour la débauche ! On imagine qu’avec une telle accusation Jérôme a dû soulever un tollé contre lui… à moins que, faute d’avoir lu Juvénal, les ânes qu’il vise n’aient pas compris l’allusion !
28Je ne peux clore cette étude sans signaler que les « bipedes asellos » de Jérôme ont eu une postérité inattendue et qu’on en trouve la trace dans la latinité jusqu’au xvie siècle. J’en ai relevé trois occurrences. La première - et ceci nous intéresse tout particulièrement dans nos travaux sur l’épistolaire - se rencontre dans la correspondance d’un humaniste italien du début du xve siècle, Poggio Bracciolini, secrétaire successif de plusieurs papes, grand amateur de manuscrits grecs et latins, et connu en France sous le nom de Le Pogge. Dans une lettre datée du 29 septembre 1425 – à savoir la veille de la Saint Jérôme, et cette date n’est peut-être pas étrangère à l’emprunt qu’il lui fait –, il s’insurge auprès de son correspondant Niccolò Niccoli contre le fait qu’à sa mort, l’humaniste Antonio Corbinelli a légué sa bibliothèque aux moines de la Badia Fiorentina qui, à ses yeux, ne sauront en faire l’usage qu’elle mérite :
Par les deux lettres que tu m’as envoyées, j’ai pris connaissance des livres d’Antonio. On a, par Hercule, agi de façon totalement insensée en abandonnant ce trésor dans un lieu tel qu’il n’y portera aucun fruit. Je ne sais quelle idée l’a pris d’aller placer des livres grecs chez ces ânons bipèdes qui ne connaissent même pas les livres latins. Ce n’est pas aux Muses qu’il les a voués, mais à la poussière et aux mites, je crois, de peur que quelqu’un ne vienne en cueillir quelque fruit. Cependant, s’ils ne respectent pas son testament qui interdit qu’on les puisse vendre, ils auront vite fait, à mon avis, de les mettre aux enchères sous le coup de l’avarice ou de l’ignorance !38
29La deuxième occurrence humanistique sort du cadre strict de l’épistolaire, puisqu’elle figure dans une consolation composée à Paris, au milieu du xve siècle, par Guillaume Fichet, à la suite de la mort d’un ami. Il y déplore l’état lamentable dans lequel se trouvaient alors les études latines à l’Université de Paris, où les philosophes et les théologiens voyaient d’un mauvais œil ses efforts pour rétablir un enseignement du latin littéraire, à l’école des grands écrivains de l’Antiquité :
En effet, bien que ni mon esprit, ni mon enseignement, ni mon éloquence ne me permettent de mettre mes pas dans les leurs, je leur emprunterai cependant d’autant plus volontiers la permission d’écrire que, dans la lie de notre temps, nous ne voyons que trop peu de personnes qui savent écrire, je ne dis pas avec élégance, mais même en latin… D’ailleurs, si les barbarismes et les solécismes pouvaient parler, nul doute qu’ils le feraient de façon balbutiante par la bouche, ô combien impure, de la muse de notre siècle. Mais, sortis de cette lie des hommes, viendront en troupeau certains ânons bipèdes qui crieront après moi pour avoir voulu enseigner Minerve. Qu’il me suffise de leur répondre : ce n’est pas aux agazones [bêtes de somme] et aux ânons qui leur ressemblent que j’adresse publiquement mes exhortations (car à l’instar du bétail stupide, ils sont incapables de devenir savants), ce n’est pas non plus aux amis de Minerve (car ils n’ont pas besoin de notre savoir), mais bien à ceux qui sont le plus appliqués à connaître Minerve.39
30La troisième et dernière occurrence humanistique que j’ai relevée est encore plus éloignée que la précédente du domaine épistolaire. Elle se trouve dans Le Zodiaque de la vie, poème philosophique publié en 1534 par Marcello Palingenio Stellato, dit Palingène. Le poète y dénonce la fascination exercée sur les esprits par la richesse et l’adulation dont les riches sont l’objet :
Alors quoi ? est donc permis, et il faut louer, ce qui plaît à ces Riches ? Non point ; car on ne sait pas en général Combien de bipèdes revêt l’or, combien d’ânons la pourpre.40
31Même si l’expression fait l’objet d’une disjonction dans cette dernière occurrence, elle sert, comme dans les deux autres que nous venons de signaler, à disqualifier les adversaires auxquels elle est appliquée. Dans le cas de Poggio Bracciolini et de Guillaume Fichet, elle stigmatise l’inculture et l’ignorance dans lesquelles les préjugés religieux confinent moines florentins et théologiens sorbonnards, et rejoint ainsi la symbolique traditionnelle de l’âne, parangon de stupidité. Dans celui de Marcello Palingenio, elle prend une coloration plus sociale et morale, en renversant la hiérarchie de la fortune au profit de celle de l’esprit ; mais la métamorphose des riches en ânons vêtus d’or et de pourpre met également en lumière la profondeur de leur ignorance. Force est toutefois de reconnaître que, malgré sa vigueur, l’expression hiéronymienne s’est sensiblement appauvrie sous la plume de ses héritiers qui n’ont gardé de l’âne que la bêtise et, perdant de vue l’emprunt de Jérôme à Juvénal, ont totalement privé l’animal de ses performances sexuelles !
32Je me rappelle avoir récité, à l’école de mon enfance, ce vers bien innocent : « J’aime l’âne si doux/marchant le long des houx »41. Mais peut-être le poète, plus au fait que les enfants des écoles de la symbolique traditionnelle de l’animal, a-t-il voulu le réhabiliter et, tel Victor Hugo prenant le parti de l’araignée et de l’ortie, le présenter sous un meilleur jour. Ce n’est nullement le cas de Jérôme qui, loin de prendre la défense du pauvre animal, s’en sert dans ses lettres dans le plus strict respect de la symbolique gréco-romaine. Non seulement ses détracteurs se voient transformés en ânes ignorants, dès qu’ils critiquent ses travaux savants et prétendent lui en remontrer sur les Saintes Écritures, mais ils sont même métamorphosés en ânons lubriques, dès lors qu’ils mettent en cause sa défense de l’ascèse chrétienne et de la vie monastique. Cependant, Jérôme ne se contente pas de mettre en œuvre un simple lieu commun. Déjà, dans les Lettres 7 et 61, c’est par le biais d’un bon mot et d’un proverbe grec qu’il convoque l’animal pour réduire les prétentions au savoir de ses adversaires ; et dans la Lettre 125, c’est par une petite scène pleine de vie qu’il met en garde son correspondant contre le ridicule de l’ignorant qui veut passer pour savant. Mais c’est dans la Lettre 27 qu’apparaît toute la virtuosité avec laquelle il reprend la figure dépréciative de l’âne. Celle-ci n’y est pas un simple motif passager, mais devient un des fils conducteurs de l’argumentation, puisque la métaphore y est filée et orchestrée depuis sa première mention sous la forme du proverbe grec cher à Jérôme, jusqu’à sa reprise à travers la double citation de Juvénal et de Plaute. Seul le jeu de l’intertextualité permet de saisir la richesse du sens que revêt alors la mention de l’animal. À défaut d’y être sensible, l’interprète – et à plus forte raison le traducteur – s’expose immanquablement au contresens ou, pour le moins, au sens moindre. Nous avons ainsi pu prendre quelques-uns de nos prédécesseurs en flagrant délit d’ignorance ou de méconnaissance et avons, nous l’espérons, rendu à Jérôme ce qui est aussi à Juvénal.
Notes de bas de page
1 Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, 1707, tome 12, p. 2. Repris, notamment, par Barral Pierre, Dictionnaire historique, littéraire et critique, Paris, 1759, tome 3, p. 865.
2 Pour un bon aperçu des habitudes de Jérôme en la matière, voir Duval Yves-Marie, « Pélage est-il le censeur inconnu de l’Aduersum Iouinianum à Rome en 393 ? ou : du “portrait-robot” de l’hérétique chez S. Jérôme », RHE, 75, 1980, p. 525-557.
3 Voir notamment à ce sujet Jeanjean Benoît, « Saint Jérôme polémiste et hérésiologue (du portrait à charge à l’hérésiologie dans l’Aduersus Heluidium, l’Aduersus Iouinianum et le Contra Vigilantium) », dans Les chrétiens face à leurs adversaires dans l’Occident latin au ive siècle, Rouen, 2001, p. 143-153.
4 Vigilance devient « Dormitance » (Contra Vigil., 1, 355A) et Jovinien se voit assimilé à Jupiter et à ses vices (Aduersum Iou., II, 38, 352 B-C).
5 Voir Epist. 33, 5 (CUF, t. 1, p. 43, l. 28) ; Epist. 50, 1 (t. 2, p. 150, l. 23) ; Epist. 97, 1 (t. 5, p. 33, l. 8-9).
6 Voir Epist. 6, 2 (Hibera excetra, t. 1, p. 21) ; Epist. 147, 8 (excetrae stimulis, t. 8, p. 128, l. 11) ; Epist. 97, 1 (coluber tortuosa, uenenatissima uipera, t. 5, p. 33, l. 5) ; Ibid., 2 (serpentina generatio, p. 33, l. 14) ; Epist. 108, 23 (instar colubri, t. 7, p. 191, l. 14).
7 Voir Epist. 130, 16 (quasi scorpionis ictu, t. 7, p. 188, l. 5).
8 Voir Epist. 50, 5 (feta scrofa, t. 2, p. 155, l. 31) ; Epist. 119, 11 (crassae sues grunniunt, t. 6, p. 119, l. 18-19).
9 Voir Epist. 97, 1 (Prima hominis facies… utero commissa luporum = Virg., Aen. III, 426-428, t. 5, p. 33, l. 6) ; Epist. 125, 18 (unum monstrum nouamque bestiam diceres esse conpactam iuxta illud poeticum : Prima leo, postremo draco, media ipsa chimaera = Hom., Il. 6, 181, t. 7, p. 130, l. 24-27) ; Epist. 130, 16 (sibilantia hydrae ora, t. 7, p. 187, l. 24).
10 Cf. Wolff Étienne,« Miserandae sortis asellus (Ovide, Amores II, 7, 15)-La symbolique de l’âne dans l’Antiquité », Anthropozoologica, no 33-34, 2001, p. 23-28.
11 Proverbe dont Jérôme fait usage à plusieurs reprises, comme nous le verrons plus bas.
12 Fabula a, 12 : Asinus iacentem uidit in prato lyram…
13 Epist. 7, 5 (CUF, t. 1, p. 24) : In mea enim patria rusticitatis uernacula Deus uenter est et de die uiuitur : sanctior est ille, qui ditior est. Accessit huic patellae, iuxta tritum populi sermone prouerbium, dignum operculum, Lupicinus sacerdos – secundum illud quoque, de quo semel in uita Crassum ait risisse Lucilius : « similem habent labra lactucam asino cardus comedente » –, uidelicet ut perforatam nauem debilis gubernator regat et caecus caecos ducat in foueam talisque sit rector, quales illi qui reguntur (traduction personnelle).
14 Epist. 61, 4 (t. 3, p. 113, l. 28 - p. 114, l. 9) : Quam ob rem desine me lacessere et uoluminibus tuis obruere. Parce saltem nummis tuis, quibus notarios librariosque conducens eis et scriptoribus uteris et fautoribus, qui te ideo forsitan laudant ut lucrum scribendo faciant. Si libet exercere ingenium, trade te grammaticis atque rhetoribus, disce dialecticam, sectis instruere philosophorum, ut, cum omnia didiceris, saltem tunc tacere incipias ; quamquam stultum faciam magistro cunctorum magistros quaerere et ei modum inponere, qui loqui nescit et tacere non potest. Verum est illud apud Graecos prouerbium : ὄνῳ λύρα. (Traduction : Lettres de saint Jérôme lues par Benoît Jeanjean, Paris, Le Cerf, Collection de l’abeille, 2012.)
15 Jérôme cite le proverbe à deux autres reprises, mais en latin (Epist. 27, 1 et Apol. adu. Libros Rufini, 2, 20), ce qui prouve l’intention particulière qui préside à sa citation en grec dans la Lettre 61.
16 Epist. 125, 18 (t. 7, p. 129, l. 29 – p. 130, l. 6) : Ne ad scribendum cito prosilias et leui ducaris insania. Multo tempore disce, quod doceas. Ne credas laudatoribus tuis, immo inrisoribus aurem ne libenter adcommodes, qui cum te adulationibus fouerint et quodam modo inpotem mentis effecerint, si subito respexeris, aut ciconiarum deprehendas post te colla curuari aut manu auriculas agitari asini aut aestuantem canis protendi linguam.
17 Epist. 61, 4, cf. supra note 14.
18 Epist. 27, 1 (t. 2, p. 17, l. 7-10) : Quos ego cum possim meo iure contemnere – asino quippe lyra superflue canit –, tamen, ne nos superbiae, ut facere solent, arguant, ita responsum habeant [...]. Sauf précision, toutes les traductions de la Lettre 27 sont reprises à Lettres de saint Jérôme lues par Benoît Jeanjean…, op. cit.
19 Horace, Ars poetica 21-22.
20 Epist. 27, 3 (t. 2, p. 18, l. 15-18) : Verum, ne Flaccus de nobis rideat - amphora coepit institui : currente rota cur urceus exit ? -, reuertimur ad nostros bipedes asellos et in eorum aurem bucina magis quam cithara concrepamus.
21 Pour cette expression chez Jérôme, voir notamment Epist. 128, 4 (t. 7, p. 152, l. 3-4) et Epist. 130, 8 (t. 7, p. 178, l. 14-15).
22 On peut en déduire qu’il envisage alors d’étendre aux Épîtres de Paul la méthode de révision qu’il vient d’appliquer aux Évangiles ; mais on sait qu’il n’a pas mené ce projet à son terme, puisqu’il n’est pas l’auteur de la traduction de ces Épîtres dans la Vulgate.
23 Epist. 27, 3 (t. 2, p. 18, l. 28 – p. 19, l. 1-5) : Ad extremum illi gaudeant gallicis canteriis, nos solutus uinculis et in saluatoris mysterium praeparatus Zachariae asellus ille delectet, qui, postquam Domino terga praebuit, coepit Esaiae consonare praeconio : beatus, qui seminat secus omnem aquam, ubi bos et asinus calcant.
24 Il aurait pu notamment se rappeler Georg. III, 75-81 qui décrit le poulain de bonne race en des termes avantageux.
25 Aulularia, 492-493 : Quo lubeant nubant, dum dos ne fiat comes. / Hoc si ita fiat, mores meliores sibi / parent, pro dote quos ferant, quam nunc ferunt. / Ego faxim muli, pretio qui superant equos, / sient uiliores Gallicis cantheriis (traduction Alfred Ernout, Paris, Belles Lettres, CUF, 1932, légèrement retouchée).
26 Je reproduis ici la note de dom Roussel : « Le texte porte Gallicis cantheriis. S. Jerôme a emprunté cette expression de Plaute Aulul. Act. III. sc. V. Ego faxim muli pretio qui superant equos, sient uiliores Gallicis cantheriis ».
27 Lettres de S. Jérôme traduites en François sur la Nouvelle Edition des Peres Benedictins de la congrégation de S. Maur ; avec des Maximes Morales, des Notes et des Remarques sur les endroits difficiles, Par Dom Guillaume Roussel, Religieux de la même congrégation, Nouvelle édition, Tome quatrième, A Paris, chez Bordelet, 1743.
28 Voir Lettres de Saint Jérôme traduites en Français avec le texte en regard, Par J.-F. Grégoire et F.-Z. Collombet, Tome 1, Lyon-Paris, 1837, Préliminaires, p. xv-xvi : « La traduction de D. Roussel est, en effet, remarquable pour l’époque ; généralement elle est fidèle et exacte ; elle entre dans le sens de l’original, mais, suivant le système du temps, elle en délaie la noble simplicité, elle en paraphrase la puissante concision, si bien que les traits les plus caractéristiques s’effacent d’ordinaire sous la main du translateur. Notre langue, prude alors et timide pour ces œuvres secondaires, a conquis aujourd’hui une heureuse souplesse, une mâle énergie, et des qualités que l’on s’efforcerait vainement de lui contester. C’est le moment favorable, ce nous semble, pour traduire Jérôme, dont le style a une grande ressemblance avec celui de notre siècle ».
29 Ibid., Tome 2, Lyon-Paris, 1837.
30 Œuvres de Saint Jérôme, Par Benoît de Matougues, Paris, 1838. D’une façon générale, cette traduction est une belle réécriture de celle de Grégoire et Collombet, mais une réécriture infidèle qui ne présente aucune marque d’une prise en compte du texte latin original.
31 Epistolas selectas de San Geronimo, traducidas de latin, Francisco Lopez Cuesta, Madrid 1665 (réédition en 1794).
32 Nicene and Post-Nicene Fathers, Series II, vol. VI, W.-H. Fremantle, Edinburgh, Grand Rapids, Michigan, 1892.
33 Des heiligen Kirchenvaters Eusebius Hieronymus ausgewählte Briefe (Des heiligen Kirchenvaters Eusebius Hieronymus ausgewählte Schriften Bd. 2-3, Bibliothek der Kirchenväter, 2. Reihe, Band 16 und 18), Kempten, München, 1936-1937. Traduction de Ludwig Schade.
34 Fremantle : « Lastly, let them take as much pleasure as they please in their Gallican “geldings” ; we will be satisfied with the simple “ass” of Zechariah, loosed from its halter and made ready for the Saviour’s service […] ». Schade : « Mögen sie sich bis zum Überdruß an gallischen Wallachen ergötzen. Wir wollen uns bescheiden freuen an jenem losgebundenen Eselchen des Zacharias, das dazu bestimmt war, mitzuwirken am geheimnisvollen Werke des Erlösers […] ».
35 Sat. IX, 91 : Neclegit atque alium bipedem sibi quaerit asellum. Traduction P. de Labriolle, CUF, Paris, 1921, p. 118, légèrement retouchée.
36 Voir Wolff E., Miserandae sortis asellus…, op. cit., p. 25.
37 Epist. 27, 2 (t. 2, p. 17, l. 28 – p. 18, l. 1-10) : Scio te, cum ista legeris, rugare frontem et libertatem rursum seminarium timere rixarum ac meum, si fieri potest, os digito uelle conprimere, ne audeam dicere, quae alii facere non erubescunt. Rogo, quid a nobis libere dictum est ? numquid in lancibus idola caelata descripsi ? Numquid inter epulas christianas uirginalibus oculis Baccharum satyrorumque conplexus ? num quem amarior sermo pulsauit ? numquid ex mendicis diuites fieri dolui ? numquid reprehendi hereditarias sepulturas ? unum miser locutus sum quod uirgines saepius deberent cum mulieribus esse quam cum masculis !
38 Poggio Bracciolini, Lettere, I, Lettere a Niccolò Niccoli, a cura di H. Hart, Firenze, 1984, p. 161 : Ex binis tuis ad me litteris cognovi de Antonii libris. Insulse mehercule factum eum thesaurum detrudi in locum, ubi nullum fructum sit allaturus. Nescio quod eius fuerit consilium grecos libros collocasse apud illos bipedes asellos, qui ne latinos quidem ulla ex parte nossent. Non Musis illos dicavit, sed pulveribus ac tineis credo, veritus ne quis aliquem fructum ex eis caperet. Tamen nisi cavent testamento ne possent vendi, cito, ut opinor, auctionem facient aut avaritia impulsi, aut ignorantia.
39 Guillaume Fichet, In consolationem Parisiensis luctus (ms autographe BnF lat. 16685, fol. 14, inédit, cité par Beltran Evencio, « Le combat de Fichet pour l’enseignement du latin à l’université de Paris », dans Colloque Les Historiens et le latin médiéval (Paris, Sorbonne, 9-11 septembre 1999), éd. par Goullet Monique & Parisse Michel, Publication de la Sorbonne, Paris, 2001 (p. 75-94), p. 80-81, note 13 : Quamquam enim et ingenio et doctrina et eloquentia nulla eorum uestigia sequar, tamen eo michi liberius scribendi licentiam mutuabor, quo pauciores hac temporum fece uidemus, qui non dicam ornate scribere, sed ne latine quidem agnoscant… itidem si barbarismi soloecismique loquerentur <musae> ore profecto seculi nostri (et quidem impurissimo) balbutirent. At uenient gregatim ex hac hominum fece aselli quidam bipedes qui me docere Mineruam uoluisse acclamabunt. Quibus satis responderim : si non agazones suique asellos consimiles (qui uelut insulsum pecus erudiri nequeunt) sed ne Mineruas quidem (que nostra eruditione non egent) ; sed Mineruarum studiosissimos coram exhortabor.
40 Marcello Palingenio Stellato, Zodiacus vitae, Livre I, Bélier, 161-163 (édition Jacques Chomarat, Genève, Droz, 1996) : Quid tum ? Proinde licent, et sunt laudanda, quod ipsis/Diuitibus placeant ? Non sic. Nam quilibet haud scit,/Quot bipedes aurum, quot purpura vestit asellos.
41 Poème de Francis Jammes, dans De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir, 1898.
Auteur
Université de Bretagne Occidentale/HCTI (E.A. 4249)
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Les écritures de la douleur dans l’épistolaire de l’Antiquité à nos jours
Patrick Laurence et François Guillaumont (dir.)
2010