La figure d’Auguste dans les Tristes et les Pontiques d’Ovide
p. 263-278
Texte intégral
1« “Soldats, dit le César, coupez-lui les ailes”. Les prétoriens […] taillèrent les ailes d’Ovide. Celles-ci tombèrent à terre comme des plumes molles et Ovide comprit que sa vie finissait à cet instant. »1 C’est en l’an 8 que l’Histoire fait brutalement irruption dans la vie du poète : en ordonnant sa relégation à Tomes, l’actuelle Constanza, en Roumanie, l’empereur Auguste coupe véritablement les ailes du poète qui n’aura de cesse, dans les Tristes puis les Pontiques, d’implorer son pardon ou, à tout le moins, un allègement de sa peine. Entre suppliques flatteuses et élans de fière révolte, les lettres d’exil se construisent sur une dialectique qui marie le réel à l’idéal et l’éloge à la critique jusqu’au dépassement de la dichotomie. Nous verrons donc comment l’image de propagande élaborée par Auguste est déconstruite par le poète qui parvient, par un surprenant et subtil renversement de perspective, à se reconstruire des ailes2.
Auguste ou « l’image d’épinal » : la flatterie d’un poète exilé
Un monde bien ordonné
2Auguste est présenté comme attaché à sa patrie, dont il est à la fois « le maître et le père », patriae rector […] paterque3, celui qui la dirige dans le droit chemin, en s’investissant personnellement dans sa fonction : il la « protège » et la « sécurise » comme un vrai « père », attentif à la sécurité tout autant qu’au bien-être de son enfant, patriam quae te tuta et secura parente est4. En encadrant les deux adjectifs, tuta et secura, par la disjonction du sujet et du nom de l’ablatif absolu, Ovide rend concrète la protection puissante et rassurante exercée par Auguste, qui devient véritablement « le salutaire appui de la puissance romaine »5, l’incarnation de « la paix auguste » qui règne sur l’univers et dont il est « l’auteur », auctorem pacis6, puisqu’il a la capacité de se dédoubler, veillant « sur la ville et présent par une partie de [lui]-même tout en menant « au loin des guerres impitoyables par une autre partie de [lui]-même7.
3Il « tient en effet les rênes de l’empire » avec une « sage modération »8. Le vocabulaire choisi par Ovide associe les qualités militaires et administratives à la tempérance d’un philosophe : « tenir les rênes de l’empire », imperii […] frena tenere, c’est conduire le char de la guerre en même temps qu’assurer l’unité des divers peuples par la contrainte des lois ; mais le faire avec retenue et modestie, moderatius, c’est se conduire en sage, maître de ses pulsions et conscient de la vanité du pouvoir. Suivant les traces de son père, Auguste voit, grâce à ses hauts faits, « la Victoire toujours familière à son camp »9. Secondé par ses fils, qui reculent les bornes de l’Empire10, il peut constater de ses yeux la prospérité de Rome, dont les forces renouvelées par son action manifestent la grandeur de son règne11.
Un homme attaché aux valeurs
4Soucieux de restaurer la république mise à mal par près d’un siècle de guerres civiles12, Auguste a entrepris de faire revivre les coutumes du passé. C’est lui par exemple qui a rétabli le défilé traditionnel des chevaliers, auquel il assiste chaque année en tant que préfet des mœurs et auquel Ovide a jadis participé sur un cheval qu’il lui avait lui-même offert13. C’est lui encore qui a redonné sa place au sénat et élargi ses fonctions à une dimension judiciaire14.
5Le respect qu’Auguste manifeste pour les traditions15 s’accompagne d’un réel sens de la famille : uni à Livie, « la première dame » de l’empire, femina sed princeps16, la plus parfaite et la plus chaste des épouses, à laquelle il délègue une partie de son pouvoir comme l’indique le terme princeps17, il forme avec elle un couple solide et béni par les dieux qui les avaient destinés l’un à l’autre par avance18. Livie apparaît comme une femme modèle, « celle qui, selon A. Barchiesi19, constitue l’exemple, la matrice ». Les enfants et petits-enfants forment autour du couple une « juvénile constellation »20 et leurs exploits militaires renforcent la cohésion de la domus augusta21, comme lors de cette cérémonie du triomphe de Tibère sur « la redoutable Germanie », qu’Ovide imagine en 11 dans ses Tristes IV, 2 (mais qui n’aura lieu qu’en 17, après la mort du poète). Il y brosse le tableau des « deux Césars » (Tibère et Auguste), qui sacrifient aux dieux en compagnie des jeunes gens « qui grandissent sous la houlette de César »22 (v. 9), tandis que Livie, « avec ses brus vertueuses » (v. 11), s’acquitte des mêmes devoirs religieux dans sa joie de voir son fils Tibère sain et sauf. L’harmonie de cette famille heureuse rejaillit naturellement sur « la plèbe dévouée et avec la plèbe dévouée, le sénat et les chevaliers » (v. 15-16). Le polyptote du groupe nominal plebs pia et les occupations qu’Ovide prête à Auguste mettent l’accent sur la piété de l’empereur.
6Ce respect des dieux, uni au respect des traditions, fait d’Auguste un restaurateur : c’est sur son ordre (iussit) que le culte d’Ops fut réhabilité en 7 av. J.-C. et que furent instaurés les jeux séculaires, célébrés en 17 av. J.-C.23. Les majestates des dieux sont redistribuées, en faveur surtout d’Apollon, de Sol et de Mars Ultor, tandis que « les divinités domestiques de la maison du Princeps, les Lares Augusti et le Genius Augusti pénètrent dans chaque uicus24 ». Par ces statuettes semblables à celles d’Auguste et de Tibère qu’Ovide a reçues de Maximus Cotta et qu’il se propose de placer sur un petit autel de sa demeure de Tomes25, l’Empire devient une famille, unie par les mêmes valeurs.
7C’est ce que suggère la couronne de chêne et le laurier qui ornent la maison d’Auguste sur le Palatin et qu’Ovide décrit dans ses Tristes III, 1. Son livre, en visite à Rome, est attiré par la splendeur de cette « construction digne d’un dieu » (v. 34) et il y lit la « gloire éternelle » (v. 46) de celui qui a rendu la paix au monde (v. 44) en sauvant les citoyens (v. 48). La maison d’Auguste, qui occupe une place centrale dans le complexe urbain du Palatin26, rayonne sur la cité et sur le monde. Image du dieu vivant qui l’habite, elle est « véritablement la maison du grand Jupiter » (v. 38). Et, comme ce dieu auquel il est souvent assimilé, Auguste sait se montrer clément.
La clementia d’Auguste
8Paterfamilias et « pater patriae27 » exigent, il sait pourtant ne pas abuser de son pouvoir et la force « d’humbles prières » est la seule violence qui fait fléchir son cœur28. Connue de tout l’univers « du couchant au levant »29, sa « clémence infinie » est la marque de sa divinité, comme Ovide le « rappelle souvent », saepe refert, sit quanta dei clementia30, et cette qualité n’apparaît de façon éclatante que par contraste avec la sévérité dont Auguste peut faire preuve. Sa « colère », Caesaris ira31, est l’équivalent du foudre de Jupiter et Ovide se plaint souvent d’en avoir ressenti les douloureux effets. Pourtant, comme le père des dieux qui, « après avoir tonné, dissipe les pluies et rend sa pureté à l’air »32, Auguste « a souvent accordé son pardon, veniam, à un parti vaincu » qui n’aurait pas fait preuve de la même compréhension que lui s’il avait vaincu33. Comme Ovide le rappelle à son ami, l’avocat Fabius Maximus, c’est « un prince qui répugne à punir, prompt à la récompense et qui souffre chaque fois qu’on le pousse à être sans pitié, qui a toujours vaincu pour pouvoir épargner les vaincus, a fermé pour toujours les portes de la guerre civile, qui réprime beaucoup plus par la peur du châtiment que par le châtiment et dont la main lance rarement, à contrecœur, sa foudre »34.
9Pour bénéficier à son tour de cette clémence et obtenir un exil plus doux à défaut d’une remise de peine, Ovide reprend donc à son compte le discours de la propagande impériale, contribuant en même temps à fixer l’image nouvelle d’un Empire conçu comme une étendue territoriale concrète, soumise au pouvoir du seul empereur35. Pourtant, même dans l’éloge hyperbolique et jusque dans l’abaissement de la supplication, il sait se montrer irrévérencieux et critique.
L’irrévérence dans l’éloge : Ovide, esprit libre et frondeur
Un monde pas si bien ordonné : la critique politique
10En rappelant sans cesse la souffrance, physique et psychologique36, que lui cause son exil « aux confins du monde habité »37, Ovide met à mal le rêve augustéen de pax Romana : il est difficile, affirme-t-il, « de trouver dans tout l’univers une terre qui jouisse moins que celle-ci de la paix d’Auguste », uix hac invenies totum, mihi crede, per orbem/quae minus Augusta pace fruatur humus38. L’ordre des mots et l’affirmation, faussement suppliante, de la validité de son témoignage, fruit d’une expérience concrètement vécue, mihi crede39, dénoncent l’entreprise de déconstruction du mythe de la pax Augusta : dans le vers 17, le regard embrasse « tout l’univers », totum per orbem, tandis que « la terre qui jouit de la paix d’Auguste » remplit le vers suivant de ses assonances en a et en u ; l’emprise de l’empereur et l’étendue de son pouvoir sont concrètement montrées, mais pour mieux être déconstruites par deux petites restrictions, uix et minus. De fait, là où Ovide est relégué, « la violence brutale des armes a plus de pouvoir que les lois »40 et si « la paix règne de temps en temps, l’assurance de la paix, jamais », pax […] interdum est, pacis fiducia numquam41. Le polyptote et le rejet de numquam en fin de vers mettent l’accent sur l’échec d’Auguste et sur les zones d’ombre de son empire, dans lequel ne règne qu’une paix intermittente. L’auctor pacis des Pontiques I, 1, vers 32 (que nous citions au début de notre analyse) se trouve ainsi être indirectement l’auctor de la barbarie Gète, qu’il favorise et fait croître par son incapacité à la maîtriser, comme s’il faisait de cet « ennemi barbare », barbarus hostis42, « l’hôte », hostis43, d’une terre sur laquelle il ne peut faire rayonner l’ordre romain.
11Et il le peut d’autant moins qu’il est un piètre guerrier44 qui doit à ses proches l’élargissement des frontières de l’Empire et la consolidation des territoires conquis. Ainsi, c’est Tibère qui, en réduisant l’insurrection dalmato-pannonienne de 6-9 ap. J.-C., a mérité le titre de « chef ausonien »45, non Auguste ; c’est Germanicus qui fait preuve de « bravoure », animo, et Drusus « d’énergie », uigor46, non Auguste. Celui-ci se contente de régner et de faire la guerre par personne interposée, per quem bella geris, cuius nunc corpore pugnas47. L’insistance d’Ovide, quand on sait l’attachement d’un Romain à la valeur militaire et aux exploits des armes, prend ici l’allure d’une accusation d’incapacité doublée d’immoralité, Auguste s’attribuant les efforts et les victoires d’autrui.
Res publica non restituta48
12Les lettres d’exil dessinent en filigrane l’image d’un État policier où la liberté d’expression est bridée par un réseau de surveillance tentaculaire. Ovide se plaint souvent de ne pouvoir nommer ses amis sans leur faire tort49 et de les savoir obligés de taire leur sympathie pour lui, « de peur qu’un méchant ne [les] entende »50, et n’aille le rapporter à l’empereur. Car partout traînent les oreilles des delatores51, qui prennent un malin plaisir à nuire, comme le poète en a fait la triste expérience ; car pour lui, « l’ennemi féroce et plus cruel que tous, [c’est] celui qui a lu [à l’empereur ses] badinages, delicias, pour [l’] empêcher de choisir, dans [ses] livres, avec une attention plus bienveillante, des poèmes qui [le] révèrent »52. Derrière la plainte qui dit la perversion des plaisirs poétiques de l’élégie, utilisés comme une arme contre le poète, ferus et crudelior omnibus hostis, se cache l’accusation portée contre Auguste : non seulement il est injuste, puisqu’il n’a pas « lu », legit, l’œuvre pour juger en toute équité, mais de plus il est manipulé par le délateur, qui « a choisi », legit, les passages les plus compromettants dans l’intention de nuire. Ainsi, dans cet État autoritaire qu’il a créé, Auguste lui-même a perdu sa liberté de jugement ; de maître tout puissant qui condamne souverainement, il est implicitement devenu victime d’une parole dévoyée, veule comme lorsqu’il lutte contre ses ennemis par l’intermédiaire d’autrui. Le choix du terme hostis, de préférence à inimicus, donne en effet une portée politique à l’attaque d’Ovide, qui stigmatise en Auguste un être méprisable à tout point de vue.
13Dans cet Empire de l’ombre, le regard libre est interdit et puni : la faute d’Ovide, c’est « d’avoir eu des yeux » pour voir53. De fait, ce que voit le livre du poète en visite à Rome, ce sont des portes qui se ferment, non adeunda, et des gardiens qui le chassent, iussit abire ; pire encore, la Liberté elle-même, de son atrium, atria Libertas, lui refuse l’entrée de sa bibliothèque publique54. La force ironique de l’image est renforcée par l’allusion à Asinius Pollion, qui l’avait fait édifier en 39 av. J-C et qui fut condamné au silence, à l’époque du triumvirat, par un pouvoir répressif. La Liberté, politique55 et littéraire, bâillonnée par le pouvoir, bâillonne à son tour la parole libre du poète en une spirale répressive qui dénonce à la fois l’autoritarisme du pouvoir et son hypocrisie.
Un empereur hypocrite
14Ovide s’emploie méthodiquement à déconstruire l’image d’Épinal d’Auguste au moment même où il la construit. Reprenons par exemple l’éloge de la clémence impériale dans la Pontique I, 2, v. 121-126, que nous citions précédemment. L’empereur y est présenté comme « un prince qui répugne à punir », piger ad poenas princeps ; l’irrévérence réside dans la place des mots, qui rapproche princeps de poenas pour faire d’Auguste le « premier » à punir, comme le suggère aussi le polyptote de poena au vers 125. De plus, le passage s’ouvre sur une comparaison négative qui vise apparemment à opposer Auguste à toute une série de tyrans sanguinaires (Théromédon, Atrée, Diomède), mais qui en fait les rapproche par l’adjectif ferox, placé à la fin du vers 122, en écho au crudus […] Atreus du vers 119 : « sous la révérence et l’artifice rhétorique de la comparaison se tapit le sarcasme », selon la formulation de Marie Ledentu56. La subtilité de la critique d’Ovide tient souvent au jeu sur la place des mots, qui s’unissent pour faire naître dans l’esprit du lecteur une image contraire au sens qu’ils véhiculent. Ainsi, lorsque le poète prétend, dans ses Tristes V, 8, vers 25-26 (cités supra), que « du couchant au levant, ad finem solis ab ortu, l’immense univers, ingens […] orbis, ne connaît rien, nil, de plus indulgent qu’Auguste », il place nil à côté de ingens, invitant le lecteur à comprendre « rien de grand », d’autant plus que orbis, dont ingens est épithète, est relégué au vers suivant. En outre, en évoquant le couchant avant le levant, contrairement à l’ordre traditionnel, il suggère implicitement qu’Auguste, soleil couchant, est sur son déclin, sa « fin », finem. L’éloge de la douceur universellement connue de l’empereur prend ainsi une coloration ironique et critique.
15Parfois, l’attaque se fait plus frontale, comme lorsqu’Ovide invite Auguste à « examiner ce que coûtent [ses] spectacles », qu’il « a souvent donnés à voir » et où il « a vu sans broncher ces étalages d’adultères » typiques des farces57. Autrement dit, il a gaspillé les deniers de l’État, cautionné l’adultère qu’il prétendait pourtant combattre et, pire, il a payé pour la dépravation58. La conclusion s’impose d’elle-même : sa politique morale est hypocrite, le châtiment qu’il a imposé à Ovide profondément injuste et, si l’on poursuit jusqu’au bout le raisonnement, c’est lui qui mériterait d’être exilé ! Car, dieu vengeur, il met son pouvoir au service de ses intérêts sous le voile de la république ; Ovide l’accuse ainsi, dans le livre II des Tristes, de l’avoir exilé sans recourir à un tribunal spécial, mais par un simple arrêté (v. 131-132), manifestation de sa toute puissance (ita principe dignum, v. 133), émanation d’un pouvoir dictatorial et arbitraire qui refuse de se nommer ; en effet, l’édit, « pourtant terrible et menaçant » (v. 135-136), qui le condamne est hypocritement énoncé « dans des termes pleins de douceur », lene, qui parlent de relégation et non d’exil (v. 136-137). Auguste se révèle ainsi un maître dans l’art de manipuler les images et les symboles, que ce soit au niveau politico-architectural, comme en atteste sa maison sur le Palatin, judicieusement située et luxueuse malgré sa prétendue humilité59, ou cultuelle, qu’il s’agisse de l’assimilation d’Auguste à Jupiter tonnant60 ou à Apollon. Ovide déconstruit les symboles pour montrer dans le foudre du maître des dieux l’autoritarisme de l’empereur et dans la lumière de la divinité solaire son hypocrisie : la parole d’Auguste est jussive ou dévoyée pour servir, non les intérêts de l’État, mais les siens61. Le constat d’Ovide est sévère et la critique d’autant plus vive qu’elle est « oblique », à l’image de l’Apollon Loxias, auquel le poète s’identifie implicitement62. Comme le remarque Marie Ledendu, cette « écriture du clair-obscur » fonctionne « comme un miroir renvoyant au prince le reflet de sa rhétorique politique qui joue sur l’ambiguïté des mots et des concepts » (p. 193). Mais en même temps, elle renverse le rapport et fait d’Ovide le dieu tout-puissant, parce que la poésie lui a donné le vrai pouvoir, celui qui permet le dépassement de la déchirure entre l’avant et l’après.
Le renversement du rapport : Ovide maître d’Auguste
Le travail sur l’image : la construction d’une persona
16Les lettres d’exil sont d’abord une supplique adressée à l’empereur pour obtenir une remise de peine et, par là, elles s’inscrivent pleinement dans l’histoire. Dans son plaidoyer63, Ovide développe le motif de la bonne foi et de l’innocence, et s’appuie sur l’idéologie impériale de la clementia pour persuader Auguste, parfois même en s’adressant directement à lui, comme dans le livre II des Tristes. Mais la réalité historique est déformée, revisitée et finalement mise au service d’une création nouvelle, une sorte de pièce de théâtre fictive dans laquelle la création de personae est le moyen d’un total et subtil renversement de perspective. Le poète s’empare du réel qu’il façonne et adapte à son objectif, devenant, comme déjà dans ses œuvres antérieures, « le concepteur entièrement créatif du sens », selon Jacqueline Dangel qui ajoute à juste titre : « il privilégie ainsi les postures d’une persona, créée de toute pièce, – en commençant par lui-même. Il est ce « personnage » qui nous persuade de « sa substance vitale » en même temps qu’il « façonne différentes formes vivantes », [donnant ainsi] à lire et à voir des dramatis personae »64. De la même façon, dans les Tristes et les Pontiques, Ovide façonne le drame de sa vieillesse et de sa mort en exil et fait du réel un théâtre poétique. Par le jeu des comparaisons, « la réalité se trouve fortifiée par le mythe »65, tandis qu’Ovide, endossant le « rôle de la femme délaissée »66, victime d’une parole masculine castratrice, réécrit ses Lettres d’amour.
17Le drame de l’exil se construit donc sur une dichotomie essentielle qui reflète la « fondamentale dualité » qu’Anne Videau a déchiffrée dans l’œuvre d’Ovide67. Auguste y est à la fois « le prince si juste »68, l’empereur modèle dont nous avons dessiné les caractéristiques dans notre première partie, et le dieu cruel, injuste et hypocrite qui, foudre à la main, punit sans pitié, selon l’image que trace l’éloge irrévérencieux du poète. De même, Ovide exilé se présente sans cesse comme déchiré par la souffrance, aliéné à lui-même dans cette société barbare du bout du monde69, dans laquelle il perd son identité et ses amis. Sa solitude extrême reflète l’absence de l’histoire, c’est-à-dire, comme l’a montré F. Faraci, l’absence de traditions romaines70. Mais, en même temps qu’il dit l’échec de Rome et la déliquescence du moi, Ovide, par l’acte même d’écrire, s’affirme vivant. Les Tristes et les Pontiques peuvent ainsi se lire comme une « initiation identitaire »71, dont Auguste est le catalyseur, une « épreuve délicieuse »72 qui permet la maturation et l’ultime mutation du talent poétique d’Ovide, au détriment de l’image d’Auguste.
La puissance de la poésie
18Le jeu d’oppositions constitutif des personae de cette pièce poétique que sont aussi les lettres d’exil s’irise et se défait en une affirmation orgueilleuse de la puissance de la poésie, seule capable de vaincre le temps et de faire vivre les grands hommes. Quoique brisé et diminué par l’exil, Ovide est supérieur à Auguste, dieu tonnant qui, contrairement à Jupiter, ne sait décidément pas, « lorsqu’il a tonné et terrifié le monde par ce vacarme, [rendre] sa pureté à l’air »73. Sa colère, Caesaris ira74, sans cesse rappelée, l’assimile à sa fille, Iovis nata, la Minerve des Métamorphoses qui, cherchant « une victime à laquelle infliger une punition exemplaire, pour ne pas être en reste par rapport aux Muses châtiant les Piérides », frappe cruellement Arachné dont la tapisserie était plus parfaite que la sienne. Or, comme le note S. Ballestra-Puech, « l’épilogue célèbre des Métamorphoses témoigne […] chez Ovide d’une attitude singulièrement proche de celle d’Arachné : “et maintenant j’ai achevé un ouvrage que ne pourront détruire ni la colère de Jupiter, Jovis ira, ni la flamme ni le fer ni le temps vorace”75 ». Cette « colère de Jupiter » s’apparente à « la colère du Prince qui, quelques vers auparavant, était comparé au dieu »76. Et comme Arachné condamnée à tisser inlassablement, Ovide tisse dans la solitude d’un exil injuste des « monuments plus grands et plus durables »77 que ceux de marbre qu’Auguste s’enorgueillit d’avoir donné à Rome : ses « petits livres », libelli, lui assureront un « nom », nomen, qu’Auguste ne pourra pas détruire78.
19Car la parole poétique est plus forte que celle, autoritaire, de l’empereur qui, malgré tout son pouvoir, est incapable d’empêcher sa réification par le poète : dieu vivant, incarnation de la république, res est publica Caesar, « il ne peut interdire, nec prohibere potest, qu’une partie du bien de tous appartienne également » à Ovide79, auquel Auguste se trouve finalement soumis. Car non seulement il a besoin de lui, puisque « rien ne convient mieux aux princes que l’hommage rendu par les poètes dans leurs vers »80, mais même il est impuissant à contenir et à réprimer le jaillissement du chant d’un uates inspiré par les dieux81 et libre d’accepter le compagnonnage politique avec le Prince ou de refuser de jouer le rôle civique que suggère précisément le terme, affectionné par Ovide82, de uates, dans la nouvelle nuance qu’il prend à l’époque83.
Ovide, poète divin et maître d’Auguste
20C’est ce statut de uates qui permet à Ovide de renverser le rapport de force. Face au dieu de pacotille qu’est Auguste, piètre substitut de Jupiter ou d’Apollon, se dresse le poète, enfant des Muses et fils de Mnémosyne. Doté d’un « pouvoir divin », un numen, comme le dit Ovide dans ses Amores84, il fait partie de la grande chaîne des poètes prophètes, capables de « rendre des oracles », sunt quaedam oracula vatum85, et de donner l’immortalité par la puissance démiurgique des vers qui « font les dieux », di quoque carminibus […] fiunt86. Armé de son élégie revivifiée par son malheur87, il défie le foudre vengeur d’Auguste et ne craint pas, dans ses Pontiques, de nommer ses destinataires, affirmant ainsi la liberté de sa parole tout en donnant à sa requête une dimension religieuse. Ainsi, toujours dans la Pontique IV, 8, il s’adresse, derrière son gendre Suilius88, à Germanicus (cf. v. 65), et il utilise l’argument de l’immortalité conférée par les poètes pour justifier sa demande : le poète est un dieu, lui-même faiseur de dieux ; or, Ovide est un poète ; donc, il est impie de retenir une divinité dans un lieu pire que les Enfers ; il faut, par conséquent, lui rendre sa liberté ou, à défaut, lui accorder un exil plus doux. Le syllogisme est construit avec subtilité et finesse, « témoignant que, si la vieillesse en exil a altéré l’humeur joyeuse d’Ovide, elle ne lui a en rien fait perdre son esprit ni émoussé son talent »89.
21Ainsi, le pouvoir divin d’Ovide grandit et fait vivre, alors que celui d’Auguste rabaisse et sclérose. La parole injonctive de l’empereur va jusqu’à étouffer la notion d’amicitia qui pourtant « émeut les cœurs barbares »90, détruisant ainsi l’action civilisatrice de Rome ; et Ovide, en une question douloureuse, dresse le constat amère d’une barbarie romaine : « Que devez-vous faire, vous qui êtes originaires d’une ville ausonienne, Ausonia […] in urbe, quand des Gètes grossiers sont touchés par des tels faits ? »91 Seul dans ce pays du bout du monde, dans lequel Auguste est incapable d’assurer la paix, il va s’employer à faire rayonner le véritable esprit romain, celui du dialogue et de l’échange des cultures, donnant ainsi à Auguste une leçon politique et humaine. Parce qu’il « a appris à parler le gète et le sarmate »92, qui deviennent la langue de la liberté de parole, loqui, il peut apprendre à ce « peuple barbare »93 à connaître Rome et ses grands hommes, novere94 ; il peut aussi leur faire entendre dans leur langue le chant des vers latins, puisqu’il a écrit « un poème en langue gétique » et « adapté nos mesures à des paroles barbares »95. Il peut même leur faire découvrir, par la pédagogie de l’enseignement, la divinité de César et de sa famille : il « leur [a] appris, docui, que, si le corps d’Auguste notre père était mortel, son essence divine était partie vers les demeures éthérées »96, contribuant ainsi à répandre le culte impérial97. Certes, il paye cette action civilisatrice d’une aliénation de sa culture et de son identité poétique98, mais cette voix nouvelle qu’il fait entendre fait de lui le maître : il n’est plus le poète des princes, mais le prince des poètes, celui qui fait briller le nom de Rome aux frontières de l’Empire, l’empereur civilisateur qu’Auguste n’a pas su être.
22Les Tristes et les Pontiques témoignent donc de la douleur de l’exil et s’inscrivent dans l’histoire individuelle du poète, qui ne cesse de solliciter, de tout son être et de tout son désespoir, une remise de peine que ni Auguste ni Tibère ne lui consentiront. Mais la nécessité de s’adapter à la nouvelle civilisation qui est désormais la sienne enrichit sa poésie tout en provoquant une mutation de sa romanité, en une expérience qui l’assimile aux Piérides, dont il reprend le « cri rauque et babillard » de leur métamorphose99. Trouvant en elles son « remède et son repos »100, il déploie ses ailes mutilées et crie inlassablement la petitesse d’un empereur qui n’a pas su concrétiser les rêves qu’il avait fait naître et la grandeur de sa poésie qui fait rayonner l’esprit romain sur les terres de la barbarie. Ce faisant, il entre dans l’Histoire. Mieux, il l’écrit.
Notes de bas de page
1 Tabucchi, 1994, p. 25.
2 Sur Ovide et l’histoire dans les Tristes et les Pontiques, voir ici même l’étude de D. Roussel.
3 Tristes, II, v. 39, p. 274, dans D. Robert, Ovide, Lettres d’amour, lettres d’exil, édition bilingue, Thesaurus, Actes Sud, 2006. Sur le titre de « père de la patrie » accordé à Auguste, cf. Cosme, 2009, p. 226.
4 Ibid., v. 157, p. 280.
5 Tristes V, 2, v. 35, p. 384.
6 Pontiques I, 1, v. 32, D. Robert, op. cit., p. 424.
7 Tristes, II, v. 175-176, p. 280.
8 Ibid., v. 41-42, p. 274.
9 Ibid., v. 168-169, p. 280.
10 Cf. Pontiques II, 2, v. 70-72, p. 470.
11 Cf. Tristes II, v. 67-68, p. 274-275.
12 La respublica restituta est le thème de propagande essentiel d’Auguste ; sur cet aspect, cf. Cosme, 2009.
13 Tristes II, v. 90, p. 276.
14 Cf. Tristes II, 131-132 et Crook, 1996, p. 123.
15 Cf. Cosme, 2009, p. 86 et 101.
16 Pontiques III, 1, v. 125-129, p. 512.
17 D’après Barchiesi, 2006, p. 105, qui commente l’expression, « Livie incarne (ainsi) un paradoxe jamais vu auparavant ».
18 cf. Tristes II, v. 161-164, p. 280.
19 Barchiesi, 2006, p. 105, à propos de Tristes I, 6, v. 21-23.
20 Tristes II, v. 167, p. 280.
21 L’œuvre d’exil reprend et développe ainsi une notion déjà présente de façon importante dans l’Ars ; sur cet aspect, cf. Barchiesi, 2006, p. 101-105.
22 Il s’agit de Drusus, fils de Tibère, 21 ans, et de Germanicus, petit-neveu d’Auguste, 27 ans.
23 Tristes II, v. 23-26, p. 272.
24 Sauron, 2009, p. 169.
25 Pontiques II, 8, p. 492-495.
26 Ibid., v. 59-72 ; cf. Barchiesi, 2009, p. 178 et Cosme, 2009, p. 87 et p. 132.
27 Tristes II, v. 181, p. 280.
28 Tristes V, 8, v. 28, p. 402.
29 Ibid., v. 25-26.
30 Tristes V, 4, v. 19, p. 390. Cf. aussi Pontiques I, 2, v. 59 (Augusti quae sit clementia), p. 428.
31 Cf., par exemple, Pontiques I, 4, v. 29, p. 440 ; 9, v. 28, p. 458 (la colère d’Auguste avait déjà été évoquée, v. 23) ; 10, v. 20, p. 460. Cf. aussi I, 6, v. 44, p. 448 (principis ira).
32 Tristes II, v. 35-36, p. 274.
33 Ibid., v. 43-44.
34 Pontiques I, 2, v. 121-126, p. 432.
35 Cf. Richardson, 2008, p. 117-145. S’appuyant sur une étude sémantique précise des notions de provincia et d’imperium, l’auteur a montré qu’une telle conception relève d’une création politique et intellectuelle dont il trouve les prémisses précisément dans les élégies d’exil d’Ovide.
36 Sur cet aspect, cf. notre analyse : Kossaifi, 2006, p. 138-143.
37 Tristes III, 3, v. 13, p. 306.
38 Pontiques II, 5, v. 17-18, p. 482.
39 Ledentu, 2009, p. 193, va jusqu’à placer « toute la force subversive » du passage dans ce mihi crede « qui désigne la parole du poète comme une parole d’autorité ». Il nous semble que, plus qu’une « parole d’autorité », l’incise est une hésitation entre supplique, ironie et désespoir et que c’est l’ordre des mots qui véhicule la critique.
40 Pontiques IV, 9, v. 94, p. 574.
41 Tristes V, 2, v. 27, p. 386.
42 Pontiques IV, 9, v. 93, p. 574.
43 Sur le double sens de hostis, cf. Ernout et Meillet, 2001, p. 301.
44 Sur cet aspect, cf. Cosme, 2009, p. 42.
45 Tristes II, v. 171, p. 280 ; allusion à cette guerre dans Pontiques II, 1, v. 46, p. 466.
46 Pontiques II, 2, v. 71-72, p. 470.
47 Tristes II, v. 173, p. 280.
48 Nous reprenons ici le début du titre de l’article de Paul M. Martin, 2009. L’auteur part des Métamorphoses XV, v. 565-621, pour développer l’idée qu’Ovide n’a jamais cru à la restauration de la République par Auguste et qu’il exprime ouvertement son avis dans sa poésie.
49 Cf., par exemple, Tristes I, 5, 7 ; II, 77-80.
50 Tristes I, 1, v. 29, p. 234.
51 Sur cet aspect, cf. Rivière, 2002.
52 Tristes II, v. 77-80, p. 276.
53 Tristes III, 5, v. 49-50, p. 316. Les vraies raisons de l’exil d’Ovide restent obscures. Cf. la synthèse de J. André dans l’introduction des Tristes (CUF, Paris, 1968, p. XVI).
54 Tristes III, 1, v. 67-72, p. 302-304.
55 L’Atrium Libertatis est situé près du forum, entre Capitole et Quirinal ; « il était à l’origine le siège des censeurs républicains, et l’endroit où étaient gardées les archives du cens. Ce lien avec le cens, et donc avec la liberté des citoyens, est à l’origine de son nom » : Cogitore, 2009, p. 146-147.
56 P. 182. Le procédé se retrouve en Pontiques III, 6, v. 39-44, p. 536, également analysé par M. Ledentu.
57 Tristes II, v. 509-514, p. 296.
58 Cf. aussi ibid. v. 279-282.
59 Sur cet aspect, cf. Barchiesi, 2009, p. 179-180.
60 Cf., par exemple, Tristes V, 3, v. 29-34, p. 388, où, comme l’a montré M. Ledentu, 2009, p. 180-181, Jupiter réprimant la parole « pleine de jactance » de Capanée est implicitement assimilé à Auguste par allusion à Lara, contrainte au silence par Jupiter et « devenue la mère des Lares Compitales, […] qu’Auguste associa au culte de son Genius ».
61 L’ironie d’Ovide s’exerce aussi à l’encontre de Livie, « loup féroce caché dans la peau d’un tendre agneau », pour reprendre la métaphore qui vient, par deux fois, sous la plume de Luisi pour la désigner (Luisi-Berrino, 2010, p. 6 et 13). Berrino retrouve la même ironie dans la présentation ovidienne de Tibère.
62 Sur la dissimulation ironique ovidienne, cf. Williams, 1994 (étude appuyée sur les théories rhétoriques anciennes) et Claassen, 2008.
63 Sur la dimension juridique, cf. Bosco, 2008 (analyse des Tristes à partir de la doctrine théorique du status juridique).
64 Dangel, 2009, p. 175.
65 Viarre, 1976, p. 45 ; cf. aussi Kossaifi, 2006, p. 153.
66 Puccini-Delbey, 2000, p. 329-352.
67 Videau, 2009, p. 197 ; cf. aussi son étude de 1991.
68 Tristes IV, 4, v. 12, p. 356.
69 Nous l’avons montré dans notre étude sur la vieillesse en exil (Kossaifi, 2006, p. 137-148).
70 Faraci, 2008.
71 L’expression est de Dangel, 2009, n. 35, p. 177, à propos des Métamorphoses.
72 L’expression est empruntée à Théocrite VII, 83 ; cf. Kossaifi, 2006, p. 149-159.
73 Tristes II, v. 35-36, p. 274, cités supra.
74 Cf. Tristes II, v. 124, p. 278.
75 Métamorphoses XV, v. 871-872. Les deux citations sont de Ballestra-Puech, 2006, p. 38 et 39.
76 Cf. Néraudau, 1989, p. 150.
77 Tristes III, 3, v. 77-78, p. 310.
78 Ibid., v. 79-80.
79 Tristes IV, 4, v. 15-16, p. 554.
80 Pontiques IV, 8, v. 43-44, p. 566.
81 Sur cet aspect, cf. Le Doze, 2009, p. 36-37.
82 Selon Le Doze, ibid., p. 37, n. 31, Ovide l’utilise plus que les autres poètes augustéens.
83 Cf. Newman, 1967, p. 51-52.
84 Amours III, 9, v. 18, Les Belles Lettres, « Classiques en Poche », 2002, p. 162. Sur cet aspect, cf. Le Doze, 2009, p. 36 et n. 30.
85 Pontiques II, 1, v. 55, p. 466 ; cf. aussi v. 68 (omina… mea, en début et fin de vers).
86 Pontiques IV, 8, v. 55, p. 568.
87 Sur la mutation générique de l’élégie, cf. Viarre, 1976, Videau, 1991 et 2009, Kossaifi, 2006.
88 P. Suillius Rufus, questeur, avait épousé la fille de la troisième épouse d’Ovide.
89 Kossaifi, 2006, p. 159.
90 Pontiques III, 2, v. 100, p. 518.
91 Ibid., v. 101-102.
92 Ibid. III, 2, v. 40, p. 516.
93 Ibid., v. 38.
94 Ibid., v. 37.
95 Ibid. IV, 13, v. 19-20, p. 586.
96 Ibid., v. 25-26.
97 Sur le numen et le culte impérial chez Ovide, cf. Darcos, 2009, p. 111-115.
98 Cf. Pontiques IV, 2, 21-38, p. 548-550.
99 Métamorphoses V, 678, rauca garrulitas.
100 Tristes V, 1, v. 33-34, p. 380.
Auteur
CELIS, Université de Clermont-Ferrand II
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Les écritures de la douleur dans l’épistolaire de l’Antiquité à nos jours
Patrick Laurence et François Guillaumont (dir.)
2010