L’insertion épistolaire dans les premiers récits historiques en ancien français
p. 155-170
Texte intégral
1La lettre fait en ancien français une apparition assez tardive. Avant 1260, Alfred Foulet ne recense qu’une douzaine de missives1. Seule celle adressée par Jean Sarrasin, chambellan de Louis IX, à Nicolas Arrode le 23 juin 1249 lui paraît digne d’attention. Elle a été conservée par la Continuation Rothelin de la traduction française de l’Historia rerum in partibus transmarinis gestarum de Guillaume de Tyr2 : son récit de la prise de Damiette y est intégré tel quel. Qui cherche des lettres en ancien français doit donc s’orienter vers les narrations où elles peuvent s’insérer. Deux grands massifs se détachent : les traductions de récits latins3, les mémoires en vernaculaire écrits par des laïcs ayant participé aux gestes d’Outre-Mer. Toutefois, ni les deux Conquête de Constantinople4, ni les Mémoires de Philippe de Novare, ni la Vie de Saint Louis de Joinville5 ne comportent de lettres : Philippe de Novare écrit une lettre rimée, mais elle est moins missive que poème6, Villehardouin mentionne sans plus les lettres de créance dont sont pourvus les messagers. Quelques documents figurent dans les Grandes Chroniques, principalement autour de l’Orient et de Louis IX : les Ordonnances du roi et le traité conclu en 1259 avec Henri III d’Angleterre voisinent avec les lettres des ambassadeurs tartares mentionnés par Jean Sarrasin7. À la croisée des deux traditions, la figure hagiographique de saint Louis fait signe vers la Vie de saint Thomas Becket de Guernes de Pont-Sainte-Maxence, où se trouve inséré un dossier de quatre lettres échangées par Becket avec le roi et les évêques d’Angleterre pendant son exil8. Alfred Foulet ne les mentionne pas car Guernes les traduit du latin : son geste fait pourtant de la correspondance de Becket le premier exemple d’insertion épistolaire dans un récit historique9 en langue vulgaire. L’historiographie vernaculaire est donc, à ses débuts, assez disparate, tout comme les quelques lettres qui y figurent. Deux lignes de force se dessinent dans cet ensemble hétérogène.
2Une tension s’instaure entre général et particulier, histoire et hagiographie. Tous les récits où apparaissent des lettres ont partie liée avec des lieux ou des personnages qui touchent au domaine religieux. Sans doute faut-il y voir l’effet convergent des places occupées au Moyen Âge par l’historiographie et la pratique épistolaire. La première est une science auxiliaire, mise au service de la théologie, de la morale et du droit10. La seconde est recueillie soit dans des cartulaires, dont la valeur est avant tout juridique, soit dans des collections d’épistoliers, dont les lettres sont souvent liées à leur fonction pastorale11. La matière même de ces récits est formée d’événements placés à la croisée du temporel et du spirituel. Il est donc difficile de décider si l’insertion de lettres relève d’une démarche documentaire, qui ancre le récit dans l’histoire comme science du particulier et du contingent, ou si elle a pour fonction d’élever l’événement à une certaine exemplarité à travers la transformation du fait en discours. Dans l’insertion, le rapport de la lettre à l’histoire s’inscrit dans un double contexte, événementiel et textuel. En situation, la lettre est œuvre de circonstance modelée par la situation historique de l’auteur et de son destinataire et par la relation qui les unit : a fortiori lorsque, derrière le destinataire nominal, un public plus large est visé12. Pour donner au fait narré un impact politique, la lettre met alors en valeur les traits typiques et exemplaires qui donnent à l’événement sa portée morale. En insertion, ce sont deux lectures morales du même événement, portées par des temporalités différentes, qui se rencontrent. Les deux discours peuvent être complémentaires, opposés ou redondants : mise en perspective par son cadre, la lettre lui renvoie cet effet en miroir, y introduit une certaine polyphonie.
3S’ajoute, pour l’historiographie vernaculaire, la tension entre littératures latine et romane, porteuses chacune de ses propres traditions d’insertion. Tant la lettre que la chronique ou la Vie de saint sont des modèles transposés du latin, langue de la culture et de l’autorité, à une langue vulgaire. Mais entre la Continuation Rothelin et la Vie de Becket, le lieu de passage d’une langue à l’autre est déplacé, d’où une inversion des rapports établis entre langue et montage des formes. Dans les deux cas, le récitcadre d’origine est latin. Bien que Guernes s’appuie sur la Vita Sancti Thomae de Grim13, son récit, librement transposé, se coule dans le moule oral de la poésie vernaculaire. Dans la Continuation Rothelin, le français ne traduit pas le latin, il le poursuit et, paradoxalement, s’inscrit plus nettement dans la continuité de l’écriture latine dont les modèles, historiographique comme épistolaire, sont conservés.
4Ces dynamiques opposées se traduisent par des pratiques d’insertion en tous points contraires. Guernes prend soin d’annoncer l’insertion par un « Voldrai vus les epistles e dire e reconter » (v. 571). Les lettres couvrent les strophes 570 à 715, au centre du récit14 et au cœur de l’intrigue : les protagonistes échangent ces lettres de part et d’autre de la Manche au moment de l’exil. La lettre de Sarrasin au contraire n’est qu’un simple témoignage. Elle ne vaut pas comme discours, mais comme récit de choses vues intégré purement et simplement à la narration principale. Divisée en chapitres, elle est même, selon les manuscrits, « farcie » d’une digression : sous prétexte d’expliquer la longueur de la traversée, soulignée par Sarrasin, le copiste se lance dans un développement didactique sur les dangers marins, illustré par l’interpolation d’anecdotes tirées de Lucain et du pseudo-Callisthène15. Rien, ni dans le titre du chapitre XLIII, « Comment Dieu rendit au roi Louis la cité de Damiete », ni dans le récit qui précède ou qui suit, n’annonce le recours à la lettre. Le chapitre XLII se clôt sur la date du rassemblement des croisés sur l’île de Chypre, le chapitre LXII s’ouvre sur les mots « Quant Damiete fut prise en tele maniere comme nous vous avons dit devant ». Le chroniqueur s’approprie le récit de Sarrasin comme s’il était sien et qu’aucune différence de nature ne subsistait entre les deux paroles. Elles se rejoignent dans la première personne collective du « nous » et dans la valeur informative du récit : la lettre se réduit aux nouvelles dont elle est porteuse. L’étonnant est qu’au lieu de reprendre uniquement le récit et d’effacer la forme épistolaire, le chroniqueur conserve salutations et souscription. La lettre devient un simple matériau, copié à l’état brut.
5Le contraste est fort entre le soin apporté par Guernes à la transcription des épîtres de Becket et la négligence du copiste de la Continuation, qui ne reconnaît aucun statut discursif particulier à la missive de Sarrasin et l’intègre entièrement au continuum du récit. Il distingue l’insertion épistolaire proprement dite de l’assimilation par compilation. La reconnaissance de la lettre comme texte pourrait donc être liée aux traditions narratives vernaculaires, qui pourtant ne se fondent pas sur une culture de l’écrit et du document. Paradoxalement, elle reposerait non sur la valeur documentaire ou stylistique de la lettre, reconnues par la tradition latine, mais sur sa valeur événementielle : de l’acte à la charte, et de la charte à l’épître, la voix propre de l’épistolier n’est atteinte que par le passage de la lettre comme événement à la lettre comme trace de cet événement, elle-même prise entre fonction d’attestation et orientation polémique. Le modèle qui donne à l’épître sa valeur testimoniale et documentaire serait donc à chercher non dans l’historiographie elle-même, mais dans les topoi narratifs des récits fictifs, à partir desquels l’histoire vernaculaire élabore, en se servant des modèles latins, un mode d’insertion propre, qui modifie les valeurs attachées à l’épistolaire.
Brief et amplificatio : le modèle latin du style historique
6La lettre de Sarrasin montre que l’identification d’un mode d’écriture propre à la lettre ne passe pas par la perception de sa valeur documentaire et stylistique. Le continuateur de Guillaume de Tyr conserve probablement les salutations de la lettre dans le souci d’accréditer son récit : il rapporte les propos d’un témoin oculaire de première main16. Le statut de clerc, commun à l’épistolier et à l’historiographe, favorise l’assimilation des deux discours en un nous auctorial. Cette technique de compilation n’est pourtant pas le seul modèle de la tradition latine, puisque Matthieu Paris constitue un dossier de pièces justificatives auquel il renvoie au fil de sa narration. Mais Matthieu écrit une Chronica, Guillaume de Tyr une Historia. La chronique donne la priorité à la chronologie pure et à la datation des événements, rapportés presque sans narration : la brièveté y est nécessaire, d’où le rejet de tout discours qui ferait digression hors de la chronique, dans les Addimenta. L’histoire, elle, conserve l’ordre chronologique mais se soucie peu des dates : priorité est donnée au récit, qui se déroule selon les règles de la rhétorique et ne dédaigne pas une certaine copia verbale17. Si le style historique est en principe un style simple, la rencontre entre la distinction eusébienne et la rhétorique cicéronienne18 incite les historiens latins des xie et xiie siècles à développer une prose rythmée et rimée, parfois ornée de quelques vers19. C’est ce modèle que suivent les manuscrits H, I et K de la Continuation Rothelin lorsqu’ils interrompent la narration pour insérer un chapitre consacré aux chansons composées par Philippe de Nanteuil20. Les mêmes manuscrits interrompent et amplifient la lettre en l’alourdissant d’une digression didactique. Dans leur méconnaissance du statut de la lettre, ils ne font donc que pousser à son terme la dynamique d’écriture qui avait présidé à son insertion : le récit de Sarrasin est destiné à orner la narration en amplifiant la geste de Louis IX par un compte rendu détaillé.
7Cette opposition de deux styles historiques se retrouve dans les traditions romanes : qu’on compare le sobre récit de Villehardouin, tout entier resserré autour de la compréhension des événements, mentionnant l’existence des textes sans jamais les citer, aux hétérogènes Mémoires de Philippe de Novare, eux-mêmes sertis dans la Geste des Chiprois, et ornés de poèmes de leur auteur. Elle réactive en fait une tension présente au sein de la poétique épistolaire. La lettre au Moyen Âge est à la fois le brief de l’ancien français, l’acte épistolaire qui résume avec concision les événements ayant donné lieu à son établissement, et l’ars dictandi de la tradition latine, qui fait de la lettre la forme dans laquelle s’épanouit l’héritage de la rhétorique latine. Transcrire le texte d’une lettre dans un récit, de quelque nature qu’il soit, sera toujours à la fois l’orner, ne serait-ce que par le dédoublement de la narration, ce faisant l’accréditer, par la confrontation à un témoignage extérieur, et le condenser en quelques mots. Aussi la transcription de lettres intervient-elle fréquemment à la fin d’une scène dont elle représente à la fois la résolution, le bilan et la trace, avec une double fonction d’édification21 et de preuve. La lettre insérée est l’acte de récapitulation et d’amplification par lequel est attestée la vérité, générale et particulière, d’un fait.
L’événement et sa trace, de l’acte à la charte
Lettre et topoi narratifs : la missive comme événement
8La technique de compilation de la Continuation Rothelin n’est que la manifestation à la surface du texte d’une originalité plus importante : la lettre de Sarrasin n’est qu’un témoignage. Elle-même, dans le récit historique, ne fait pas événement. Même le dossier qu’insère Matthieu Paris dans sa chronique latine ne se justifie que parce que la réception d’une lettre de Blanche de Castille annonçant au roi la prise de Damiette a fait événement dans la vie de la cour d’Angleterre : elle y a été un fait avant de devenir la trace d’autres actions en d’autres lieux. Cet élément d’action qui, dans les récits français, se développe en intrigue, fait défaut à la lettre de Sarrasin, dont ni la réception ni l’écriture ne sont mises en scène.
9Chez Guernes au contraire, les quatre lettres citées in extenso s’intègrent à un jeu plus complexe sur les différentes actions liées à la pratique épistolaire. Il fait par exemple remonter la colère du roi au moment où Thomas lui restitue son sceau de chancelier et refuse, par ce geste, de rester à son service en même temps qu’au service de l’Église. Le sceau est un élément clé du code épistolaire : il sert à authentifier la lettre et peut valider un acte diplomatique. Or cet épisode n’apparaît pas chez Grim : il est emprunté à la Vita écrite par Guillaume de Malmesbury. L’ajout est donc conscient, et significatif de l’attention portée aux valeurs des différentes formes de la pratique épistolaire. Car les lettres sont foison dans l’œuvre de Guernes. Avant l’insertion, sept échanges les font intervenir. S’y ajoute l’interdiction faite par le roi de recevoir ou d’apporter des lettres du Pape ou de l’archevêque exilé22. Par la suite, réapparaissent une douzaine de lettres dont certaines, comme celles du Pape qui sanctionnent trois prélats, sont l’objet d’une tentative d’interception et de lectures multiples23. La plupart sont simplement mentionnées ou résumées au discours indirect. Les missives dont sont porteurs des messagers s’intègrent à la série des pourparlers qui rythment l’affrontement entre l’archevêque et le roi. Elles appuient le discours de l’ambassadeur et lui servent, le cas échéant, de lettres de recommandation. Leur statut est ambigu : il peut s’agir aussi bien de simples lettres de créance, qui autorisent le messager à parler au nom de son mandataire, que de véritables lettres dont il ne serait que le porteur. On ne peut trancher, puisque le contenu de la lettre n’est pas transcrit, pas plus que ne le sont les requêtes simples, comme les ordres du Pape ou du roi.
10Les « briefs » papaux reçoivent néanmoins un traitement particulier. Le plus remarquable24 est la tentative des prélats sanctionnés pour intercepter la lettre du Pape en faisant disposer des guetteurs dans les ports lors du retour de Becket. Cette lettre, dont on voudrait qu’elle n’arrive pas à bon port, joue du topos narratif de la lettre interceptée en inversant les pôles de l’intention et de la réalisation. Dans le motif topique, l’intercepteur ignore l’existence de la lettre et ne rencontre le messager que par le jeu du hasard, par exemple lorsqu’un navire est détourné par une tempête et accoste dans un port étranger. La lettre est alors arrachée au messager par un jeu d’effractions successives. Dans le récit de Guernes, l’interception intentionnelle est mise en échec, et la lettre vouée au silence actualisée plusieurs fois au cours du récit. Elle fait l’objet d’au moins deux ou trois lectures publiques, qui lui donnent sa pleine valeur d’acte légal : c’est là un autre topos narratif fréquent dans les romans de l’époque. L’intrigue joue également lors des deux ambassades anglaises destinées à obtenir du Pape des mesures utilisables contre Becket. La demande est systématiquement mise en échec par le recours au motif d’une double rédaction : alors que le Pape a, initialement ou en apparence, rédigé une lettre qui va dans le sens des messagers royaux, l’intervention d’un tiers ou sa propre sagacité le poussent à détruire la lettre préparée ou à en écrire en parallèle une seconde qui limite la portée de la première25. Se crée ainsi une configuration propre aux lettres papales : chacun des trois correspondants est caractérisé par un type de pratique épistolaire nettement défini au plan narratif. Dans le récit vernaculaire, qu’il se veuille véridique ou fictif, la lettre n’est pas d’abord un texte, mais un acte, c’est-à-dire un élément de l’intrigue. Ordre ou requête, voire loi, elle sert avant tout à modifier une situation donnée : elle fait événement. C’est pourquoi n’est mentionné, de son contenu, que ce qui sera indispensable à la compréhension de l’action, et c’est pourquoi cette mention se fait au discours indirect, qui subordonne syntaxiquement le discours au récit. Cette récupération par l’intrigue n’est pas incompatible avec la qualité historiographique de l’écriture : Guernes n’omet jamais de rapporter et le lieu où se déroule l’ambassade et le nom des principaux ambassadeurs, systématiquement accompagné de leur statut.
De la mention à la citation : vers le document historiographique ?
11Ces missives diplomatiques s’opposent aux quatre « epistles » rapportées par Guernes aux strophes 570 à 715. Elles sont précédées, strophes 557 à 569, d’un long « résumé » de la correspondance entre Becket et ses ennemis : les strophes consacrées à la réponse de Becket à ses détracteurs prennent l’allure d’une « lettre-type » au discours indirect libre, qui représenterait la quintessence du discours adressé aux évêques par leur archevêque en exil. L’insertion de quatre lettres réelles, dont deux adressées au roi, est donc redondante : cette répétition entre narration et lettres, alliée au regroupement de toutes les « epistles » en un seul dossier, est ce qui confère à ce dernier le statut documentaire26 que n’ont pas les deux lettres du roi transcrites aux strophes 900-904 et 921-924.
12Quoique données au discours direct, ces deux lettres qui mettent fin à l’exil de Becket n’ont pas un statut différent de celles rapportées au discours indirect. En témoigne le lexique employé. La première est qualifiée de « letres » puis, deux fois, de « briés », et de nouveau de « lettres » au moment de sa diffusion, la seconde seulement de « lettres ». Or l’ensemble des lettres diplomatiques reçoivent le nom de « brief » : le terme est employé seul pour les désigner à vingt-trois reprises, et en complément avec « lettres » à quatre reprises. Même lorsque la missive reçoit deux noms équivalents, on peut observer une certaine répartition, soit en fonction du destinataire ou du mandataire – le moins haut placé reçoit et envoie plutôt des « briefs » – soit en fonction du cadre : « brief » apparaît plutôt dans la narration, « lettres » dans le discours des personnages. « Lettres » et « brief » sont également employés pour qualifier les quatre textes du dossier épistolaire de Guernes. Mais il est introduit par « epistles », qui lui est réservé. « Brief » n’est employé que pour qualifier la seconde lettre de Becket au roi qui est, comme les évêques ne manquent pas de le souligner, « sans saluz ». Plus courte que la précédente, cette lettre redouble le premier envoi. Elle s’en démarque par une requête finale plus pratique, et un recours moindre à la rhétorique pastorale. S’y introduisent des considérations personnelles sur son exil et la confiscation de ses biens, alors que la première, qui s’achève sur des menaces d’excommunication, est tout entière tournée vers les considérations religieuses et politiques. L’emploi de « brief » pour qualifier la seconde lettre pourrait donc se justifier par sa brièveté et son caractère moins élevé. L’emploi d’« epistle » en revanche, distingue nettement ces quatre lettres des autres. Quoiqu’il n’y ait pas, à proprement parler, de répartition stricte entre les trois termes dans la tradition, certaines tendances peuvent aisément se dessiner. Lettres est neutre et souligne simplement la matérialité du texte.
13Brief, comme on l’a suggéré, s’emploie plutôt pour les mandements, en particulier les plus courts et les moins solennels. Epistre renvoie plutôt à la belle lettre, modelée sur le latin, comme l’indique son étymologie. En ne donnant pas aux lettres du roi le titre d’epistres, mais seulement celui de lettres ou de brief, Guernes crée une différence de statut, et presque de nature. L’emploi du discours direct s’explique néanmoins. La première met fin au conflit et réintègre Becket dans ses droits : sa transcription est d’autant plus importante que Guernes affirme que ses partisans l’ont rendue publique en diffusant des « transcriz ». L’autre permet de mesurer la duplicité dont le roi a, selon Guernes, fait preuve dans cette réconciliation : elle tire sa valeur du contraste, et il n’est guère probable que les textes donnés correspondent à des lettres réelles, tant leur valeur est subordonnée à leur fonction narrative.
La lettre et la voix : attestation, polémique et écriture personnelle
14Seules les « epistles » ont le statut de témoignage inscrit au cœur du récit. C’est d’autant plus important que le choix des textes contraint le roi au silence dans cet échange27. Toutefois, si les lettres de Becket sont les seules insertions épistolaires, elles ne sont pas les seuls documents insérés : figurent aussi les constitutions de Clarendon et les lois promulguées par le roi pour prendre le contrôle des affaires ecclésiastiques. Cette répartition entre lois et lettres, associée à la narrativisation systématique des lettres papales, suggère une différenciation nette entre différents types de paroles, associés chacun à une forme de pouvoir. En effet, le Pape paraît tenu à distance par Guernes, qui supprime la lettre transcrite par Grim. Il ne joue qu’un rôle secondaire d’arbitre, d’ailleurs systématiquement acquis à la cause de Becket et opposé aux cardinaux, coupables, comme les évêques anglais, d’une trop grande soumission au pouvoir temporel et laïc. La coalition d’âmes basses donne ainsi du relief à la connivence entre les deux figures de droiture morale et d’autorité spirituelle que sont Becket et Alexandre. La parole spirituelle du Pape est comme déléguée à son représentant en Angleterre, l’archevêque de Canterbury. La concentration des moyens permet de donner une plus grande portée à la voix de Becket, qui seule résonne, et d’épurer son message, en séparant nettement la correspondance pastorale de l’exercice du pouvoir temporel, entièrement et silencieusement assumé par le pontife.
15Ce « silence » pontifical contraste avec la fébrilité du roi dans une activité législatrice dont il a le monopole et qu’il assume au discours direct à trois reprises. Or la parole royale ainsi transcrite se trouve systématiquement délégitimée. Strophe 452, Guernes préfère résumer la requête des messagers anglais plutôt que de transcrire tous leurs discours au prétexte qu’ils forment, dit-il, une véritable cacophonie :
Alquant diseient bien, pluisur diseient mal,
Li alquant en latin, tel buen, tel anomal,
Tel qui fist personnel del verbe impersonal,
Singuler e plurel aveit tut parigal.
16Ce discours, qui mêle des qualités opposées dans le plus grand désordre, évoque une Babel moderne : il fait ressortir la clarté du propos de Becket lorsqu’il apporte le texte des lois au pape et démontre « sa cause en latin gentement ». S’agissant d’une querelle juridique et politique, l’opposition s’étend naturellement à l’usage fait du droit. Les messagers de Becket se définissent par leur intégrité intellectuelle, tels le premier, qui, quoique « Bon clerc… des arz, de decré et de lei » (v. 601),
Sa requeste mult bel cumença a mustrer ;
Mes n’i volt mot de lei ne de decré soner.
17Il fait nettement la part entre art de l’orateur et du juriste, qu’il ne convoque pas à mauvais escient. Tout au rebours, les partisans du roi se livrent à un incessant mélange des genres et veulent « turner les custumes en lei » (v. 2775). Or « Custume n’est pas dreiz » (v. 3571). La confusion entre les formes du droit est marquée par la confusion entre les supports de la loi, que refuse Becket. Les négociations autour des constitutions de Clarendon progressent par gradation : Becket, qui a commencé par tout refuser, accepte finalement de donner son accord oral, en privé puis en public, contre le serment qu’aucune forme d’accord écrit ne serait demandée. Aussi refuse-t-il d’apposer son sceau à la version écrite des coutumes. Faute de mieux, les clercs royaux réalisent alors un chirographe. Je ne pourrais pas affirmer que l’emploi du chirographe pour des coutumes est effectivement contraire aux pratiques du droit médiéval28. Mais l’emploi d’une forme de substitution traduit vraisemblablement le bestournement du droit, qui perd sa nature propre : pour Guernes, les « lois » doivent recevoir un support écrit, et les « custumes » rester cantonnées dans l’oral. Le chirographe, qui emploie une forme pour une autre, est donc une double infraction. Face à cette confusion législative, qui répond à la parole désordonnée des ambassadeurs royaux, se posent le goût des distinctions nettes, le refus du mélange des genres caractéristiques de l’archevêque : n’est-ce pas contre le mélange des pouvoirs que Becket se bat ? Aussi n’est-il pas innocent que la transcription des lois royales soit moins nette que celle des lettres de Becket, alors qu’elles ont le statut de documents. Autant les « epistles » sont annoncées et transcrites de bout en bout sans interruption, autant le texte des constitutions et des dispositions prises contre les exilés est traversé de commentaires et d’excursus de l’auteur29. La parole du roi est, en tous points, une parole mêlée, impure, comme sa volonté de cumuler des pouvoirs qui doivent être séparés.
18Le rapport du récit aux textes qu’il cite est donc animé d’une double logique : montrer à l’œuvre le mélange des genres pratiqués par le roi et restaurer l’ordre défendu par Becket, en procédant dans la narration à une répartition au plus juste entre les différents types de paroles, nettement individualisés. La parole du roi, au discours indirect libre, s’identifie à la loi publique ; la parole de Becket, au discours direct, à la lettre.
19Dans l’ordre de l’écrit, Becket bénéficie donc du privilège de faire entendre sa voix, comme lorsque, dans la bouche d’un messager, c’est sa propre parole qui surgit30. Cette voix est – la place des épîtres le suggère – le cœur du discours. Leur insertion ne répond pas seulement à une logique documentaire, mais à une volonté de faire entendre, par delà sa mort, le message de l’archevêque : instrument de l’historien, la lettre est aussi hommage de l’hagiographe. La lettre est, dans le procès de Becket que rejoue la Vie, une pièce d’archive31. Comme les lettres de créance au début de la Conquête de Constantinople de Villehardouin32, elle garantit le discours du narrateur, accrédite et confirme sa version des faits. Le rapprochement rappelle que le recours au document épistolaire s’inscrit dans un contexte polémique : le traitement des mandements royaux, très orienté, le confirme. Le rôle joué par l’intrigue et les topoi narratifs relève, en profondeur, de la même dynamique. Dans les mémoires comme dans la pratique épistolaire, la voix personnelle émerge sur fond de conflit. La perspective apologétique favorise le transfert du particulier au général, par la constitution d’une figure nettement individualisée, une persona où le modèle se réalise dans une voix singulière33. D’où l’importance de la formalisation des discours, de leur nette répartition, qui seule permet à une configuration claire d’individualiser les figures en présence : la personnalisation passe par la formalisation. Avec une différence entre mémoires et épîtres liée, justement, à la personne grammaticale : les mémoires du xiiie siècle s’écrivent à la troisième personne, objectivent le témoignage et la quête personnelle de l’information et du sens. La lettre réintroduit la première personne, c’est-à-dire la voix propre de l’épistolier. Que le témoignage de Sarrasin, dans la Continuation Rothelin, implique l’objectivation de la figure centrale de saint Louis34 est d’autant plus significatif. Deux traditions historiographiques en vernaculaire paraissent s’opposer. La première, entée sur la littérature, s’élabore dans un rapport personnel à l’histoire. La seconde, pensée dans les cadres fournis par l’historiographie latine, s’inscrit plutôt dans la perspective globalisante de l’histoire universelle : ainsi s’expliquerait, peut-être, la différence radicale qui apparaît dans le traitement des lettres.
Notes de bas de page
1 Jean Sarrasin, Lettre à Nicolas Arrode, éd. A. Foulet, Paris, Champion, 1924, p. 5-7.
2 Recueil des historiens des croisades. Historiens occidentaux, éd. A. Langlois et A. Beugnot, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. II, 1859, p. 483-639 pour la Continuation, p. 568-593 pour la lettre.
3 Comme les Grandes Chroniques de France, traduites à partir de 1274 à l’initiative de Louis IX.
4 Geoffroi de Villehardouin, La conquête de Constantinople, éd. J. Dufournet, Paris, Garnier-Flammarion, 1969 ; Robert de Clari, La conquête de Constantinople, éd. J. Dufournet, Paris, Champion, 2004.
5 Joinville, Vie de saint Louis, éd. J. Monfrin, Paris, Garnier, 1995, rééd. Lettres Gothiques, 2002.
6 Philippe de Novare, Mémoires, éd. C. Kohler, Paris, Champion, 1913, réimpr. 1970, p. 30-32. Il émaille son récit de chansons.
7 Les Grandes Chroniques de France, éd. J. Viard, Paris, Société de l’Histoire de France, vol. VII, 1932, chap. XLIII à XLVI, LXXII et LXXXIV du règne de saint Louis.
8 Guernes de Pont-Sainte-Maxence, La Vie de de saint Thomas Becket, éd. E. Walberg, Paris, Champion, 1936, réimpr. 1964. Écrite en quintils d’alexandrins monorimes vers 1272-1274, juste après les événements, c’est la plus ancienne Vie de Becket en vernaculaire. Les lettres couvrent les strophes 571-713.
9 La Vie de Guernes n’apparaît pas dans le volume VI du Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, consacré à la littérature didactique, mais dans le volume XI, dédié à l’historiographie. Cette classification tient à la démarche de Guernes, exposée en prologue (strophes 29 à 33). Les protestations de vérité sont topiques. La critique interne de l’œuvre (dont il mentionne trois états différents) est un geste d’historien, tout comme le voyage accompli pour aller s’informer à la source. Une Vie de saint aurait fait référence à la tradition plutôt qu’aux documents, à l’autorité du livre plutôt qu’à celle des témoins. Boutet, 2000 rattache à l’écriture historique la confrontation des témoignages, la constitution d’un dossier documentaire – les quatre lettres – et l’ordre chronologique adopté par Guernes. Sur l’importance de la chronologie dans la définition de l’écriture historique au Moyen Âge, voir Guenée, 1980, p. 206.
10 Guenée, 1980, p. 25-35.
11 Sur ces recueils, voir Constable, 1976.
12 La réponse de Becket à l’évêque de Londres (strophes 665-713) vise en réalité tout l’épiscopat anglais. La lettre de Sarrasin à Arrode se clôt sur les mots « Faites savoir ces lettres a touz nos amis » : A. Foulet suppose (p. 7) qu’il pourrait s’agir du développement personnalisé « d’un même “communiqué” rédigé à la chancellerie royale », car la lettre présente des ressemblances frappantes avec deux missives latines émanant du cercle royal (l’une de Jean de Beaumont, chambrier du roi, l’autre du comte d’Artois). Cette démarche ressort encore plus par comparaison : dans les Addimenta de sa chronique, entre la lettre de Robert d’Artois, transmise par Blanche de Castille à Henri III d’Angleterre, et la lettre de Blanche de Castille, Matthieu Paris publie les lettres d’un chevalier du vicomte de Melun et du grand maître des Templiers, ainsi qu’une lettre d’ambassadeurs tartares (Matthaei Parisiensis, monachi Sancti Albani, Chronica majora, éd. H. R. Luard, London, Longman – Trübner, vol. VI, 1882, p. 152-167). La communication de la lettre de Robert d’Artois à la cour d’Angleterre accrédite l’hypothèse d’A. Foulet.
13 Éd. J. C. Robertson, Materials for the History of Thomas Becket, London, vol. II, 1876, p. 353-450.
14 Il compte 1236 strophes.
15 Continuation Rothelin (mss. H, I, K), chap. XLV-LVIII, p. 571-589.
16 Joinville mentionne Jean Sarrasin au § 67 de sa Vie de saint Louis, précisément dans une scène où le roi fait appel à son chambellan pour avoir entre les mains son sceau et vérifier la validité d’une charte.
17 L’opposition de ces deux modes de composition vient d’Eusèbe de Césarée : cf. Guenée, 1980, p. 203-205.
18 L’historien doit orner les faits de façon à ce que la dignité de son style soit en accord avec celle de sa matière.
19 Guenée, 1980, p. 216-219.
20 Continuation Rothelin, p. 548 : « Phelippes de Nantuel fu mené avec les autres prisons en Babyloine. En la prison ou il fu mis, il fist plusieurs chançons. Aucune il envoia en l’ost des Crestiens que nous dirons a ceus qui oir la voudront. »
21 Dans la Vie de saint Alexis (éd. C. Storey, Genève-Paris, Droz, 1968), c’est une lettre d’Alexis qui, à la fin du récit, v. 371-386, révèle l’identité et la sainteté de l’ermite à l’ensemble de la communauté. Elle rappelle au discours indirect les lignes de force de l’action, qui transforment la vie du saint en exemplum à valeur générale. L’autorité du Pape, qui seul peut ôter la lettre de la main du saint homme, accroît cet effet. De même, à la fin du Miracle de Théophile (de Gautier de Coinci comme de Rutebeuf) la lecture publique de la lettre qui le liait au diable par contrat transfère la vie singulière du personnage sur le plan collectif, où elle sert d’exemple.
22 Strophes 99, 101-103, 149-150, 178-180, 209 pour les échanges mettant en jeu des lettres. Les strophes 215-221 et 462-464 content les déboires de messagers royaux qui, chaque fois, manquent d’obtenir du Pape des lettres qui pourraient leur servir contre Becket. L’interdiction apparaît aux strophes 529-530, 534-535 et 538-540.
23 Des lettres liées aux manœuvres diplomatiques sont mentionnées aux strophes 738-739, 747, 768, 797, 815, 837, 857-860. Les strophes 885-886 et 909 sont consacrées aux lettres du roi qui doivent entériner la réconciliation et servir de garantie à Becket : leur texte apparaît aux strophes 899-904 et 921-924. Les strophes 926-929, 937-940 tournent autour d’une tentative d’interception de lettres du Pape dont Becket est porteur. Les strophes 1002-1004 et 1017 donnent la lecture publique des mêmes lettres devant le roi.
24 D’autant plus que l’épisode est absent chez Grim.
25 Ces effets sont également absents chez Grim : Guernes fait jouer les traditions narratives vernaculaires pour rehausser l’intérêt de l’épisode.
26 Guernes, dans la constitution de ce dossier, ne se contente pas de copier servilement le latin. Grim inclut cinq lettres (§ 57, 59, 60, 68-69, 71), mais ne les regroupe pas. La première est une lettre du Pape au clergé d’Angleterre, citée au moment de l’interdiction de recevoir les instructions papales. Les deux suivantes sont une lettre du clergé à Becket et la réponse de celui-ci : elles correspondent aux deux dernières du dossier de Guernes. Vient ensuite une lettre de Becket au roi, Desiderio desideravi, qui est la seconde du dossier de Guernes. Elle n’occupe pas la même place, ni par conséquent la même fonction dans le récit. Chez Grim, cette lettre aurait été envoyée par Becket au moment de l’entrevue de Chinon, arrangée par Louis VII : il est possible que Guernes fasse allusion à cet envoi strophe 768. Les allusions de Guernes à des échanges entre Becket et le Pape aux strophes 837 et 857-860 peuvent aussi renvoyer à la dernière lettre de Grim. La première de Guernes, Expectans expectavi, n’est citée que par lui : la constitution même du dossier porte la marque d’une poétique et d’un projet propres.
27 Deux lettres lui sont adressées, mais à la réponse qu’il aurait pu donner se substitue une lettre du clergé.
28 Dans Guyotjeannin, 1993, tous les exemples de chirographes sont des actes privés (« acte émanant d’une personne privée, ou d’une personne publique agissant pour le compte d’une personne privée », p. 104). Le chirographe paraît donc un mode de validation improbable pour des Constitutions.
29 Grim donne le texte des constitutions en bloc au § 28, lorsque Becket refuse de les sceller. Guernes déplace la citation et l’entrecoupe de commentaires indignés qui ôtent aux lois toute intégrité formelle.
30 Les strophes 970-975 transcrivent au style direct le discours d’un messager qui présente toutes les apparences d’une lettre en bonne et due forme attribuable à Becket lui-même. Normalement, même donnés au style direct, les discours de messager ne transcrivent les propos de leur mandataire qu’au discours indirect et à la troisième personne. À l’inverse, la strophe 969 transcrit les paroles du messager au discours indirect, puis le message au discours direct. La voix de Becket fait irruption et transforme son envoyé en une idéale « lettre vivante ».
31 Guenée, 1980, souligne p. 35 que la distinction entre cartulaires et chroniques peut être malaisée, car les deux relèvent souvent de la constitution d’un dossier juridique pour défendre les droits d’une institution.
32 Villehardouin, éd. cit., § 11-16, p. 28-29. L’insistance sur la validité de ces « bones chartres pendanz » suggère que les « letres […] de creance » de cette première ambassade – qui lance la croisade et dans laquelle Villehardouin joue un rôle capital – ne valent pas seulement au sein de la diégèse, mais accréditent aussi l’ensemble du récit en le plaçant sous l’autorité posthume de Thibaut de Champagne et des chefs de la croisade.
33 La notion de voix est d’autant plus importante que la poétique vernaculaire est en grande partie orale. La vocalisation de la lettre dans la bouche du messager (cf. n. 31) est symptomatique de ce surgissement de la voix personnelle qui se fait jour à travers les rêts de l’écrit.
34 La mention, au début de la lettre de Sarrasin, des ambassadeurs tartares, dont les lettres sont transcrites dans les Grandes chroniques de France et dans le dossier de Matthieu Paris, pourrait contribuer à faire de saint Louis une figure épistolaire, au centre d’un réseau de correspondances. Mais cette figure n’est qu’esquissée. J’y vois deux raisons : Louis n’est que le destinataire des lettres, il n’apparaît pas lui-même en épistolier, et sa voix propre, personnelle, ne se fait pas entendre ; seul le législateur parle. De plus, les lettres d’Orient sont souvent des faux, comme celle du prêtre Jean : qu’elles soient les seules lettres en français du dossier de Matthieu est caractéristique de leur manque d’autorité, donc de validité dans la constitution d’une figure épistolaire.
Auteur
Université de Paris IV
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Les écritures de la douleur dans l’épistolaire de l’Antiquité à nos jours
Patrick Laurence et François Guillaumont (dir.)
2010