Conclusion
p. 135-136
Texte intégral
1L’œuvre patristique du soleil d’or semble donc conçue et mise en œuvre par un groupe de théologiens « fondamentalistes », catholiques soucieux de retourner aux sources écrites du christianisme. L’étude des réseaux d’hellénistes et de juristes qui gravitent autour de Charlotte Guillard montre que le Soleil d’Or s’ouvre également aux auditeurs enthousiastes des lecteurs royaux et aux collectionneurs d’antiquités, qui peuvent être décrits, avec les mots de leur temps, comme « mal-sentants de la Foi ». Comment comprendre cette apparente contradiction ? Comment expliquer que ces deux mondes, qui devraient s’opposer, se côtoient au sein d’un même projet éditorial ?
2On pourrait se contenter de voir dans la production du Soleil d’Or une simple juxtaposition de projets distincts, qui témoignerait des incohérences de sa politique éditoriale. Mais cette explication est trop simple pour être entièrement satisfaisante, car les différents cercles entretiennent en effet des liens les uns avec les autres (fig. 53) : Jean de Gagny apparaît comme un personnage-clef, à la foi courtisan, théologien et humaniste, capable de dialoguer avec Clément Marot comme avec Louis Lasseré. S’il est lié à Théodore de Bèze et à Aymar de Ranconnet, Jean Du Tillet est également très proche de Godefroy Tilmann, auquel il confie en 1538 les différents manuscrits en sa possession1. Ces trois cercles ne s’opposent donc pas les uns aux autres, et il convient ici de repenser les termes du problème.

Fig. 53. Quelques-unes des collaborations dans le catalogue du Soleil d’Or.
3Qu’ils participent à la publication des Pères de l’Église, à la remise sous presse du Corpus juris civilis ou à l’édition des œuvres de Galien, les collaborateurs du Soleil d’Or sont d’abord des passeurs de textes anciens. Ces hommes, dont les convictions religieuses ne sont sans doute pas uniformes, savent faire œuvre commune pour rechercher, selon la belle expression de Du Verdier, « livres de toutes sortes tresutiles, les tirant des plus vieilles librairies pour les sauver de la perdition2 ». La question qui se pose à eux n’est pas tant celle de l’attitude à adopter face à la Réforme que celle de la restitution fidèle du plus grand nombre possible de sources anciennes, et ce tant dans les matières juridiques que théologiques ou médicales. L’enjeu de cette « chasse au trésor » est moins dogmatique que philologique. De ce point de vue, les collaborateurs du Soleil d’Or œuvrent tous ensemble à un même projet intellectuel qui n’est, en propre, ni catholique ni réformé : restituer, dans sa pureté originelle, le texte des sources fondatrices de la civilisation3.
4De ce point de vue, et malgré les apparentes divergences d’opinion de ceux qui y contribuent, la politique éditoriale du Soleil d’Or semble remarquablement cohérente. Mais, sur le plan individuel, qu’en est-il des convictions religieuses de Charlotte Guillard ? Son testament nous permet peut-être de les entrevoir (annexe 1). Loin de témoigner d’un catholicisme ardent et intransigeant, ce document nous permet de situer Charlotte Guillard parmi les chrétiens les plus modérés4.
5Si elle commence par se revendiquer « bonne chrestienne et catholicque », elle semble peu attachée à la dévotion rituelle : dans son testament, l’invocation aux saints ne mentionne que la Vierge Marie. Elle ne prend aucune décision concernant son service funéraire, s’en remettant, pour la cérémonie, à ses exécuteurs testamentaires. Elle ne cite aucune confrérie, ne crée aucune fondation. Elle ne donne à aucun établissement religieux ni à aucun membre du clergé, se contentant de deux modestes dons charitables (auxquels les protestants eux-mêmes ne manquent pas de procéder). Nous sommes très loin du zèle religieux dont fait montre sa consœur et rivale Yolande Bonhomme, veuve de Thielman Kerver, qui multiplie les fondations pieuses5. Sans adhérer formellement à la Réforme, qu’elle aura contribué à combattre durant toute sa carrière, Charlotte Guillard affiche donc dans son testament une réserve qui trahit sans doute une sensibilité évangéliste. À l’image de ses réseaux de collaborateurs, à l’image même de sa parentèle – dans laquelle Pierre Haultin côtoie Sébastien Nivelle –, ses convictions semblent se situer dans un entre-deux, ni ouvertement réformé ni parfaitement catholique.
Notes de bas de page
1 Voir la fin de l’épître dédicatoire de Godefroy Tilmann à Robert Céneau dans G. Pachymère, Paraphrasis in decem epistolas B. Dionysii Areopagitae, Paris, 1538 (BCG, no 17), f. m2vo-m3.
2 Bibliothèque françoise, Lyon, Honorat, 1585, p. XIX (préface).
3 Sur le rôle, le statut et les discours de ces « chasseurs de textes », voir l’excellent article de J. Kecskeméti, « Les transmetteurs des manuscrits », dans Viri humanissimi, Szeged, Scriptum, 1999. Voir surtout l’excellente et très complète introduction au premier volume de la collection « Europa Humanistica », La France des humanistes. Hellénistes I, op. cit.
4 Ce paragraphe doit beaucoup aux éléments apportés par M. Robert Descimon lors de la soutenance de doctorat.
5 A. Ramsey, Liturgy, Politics and Salvation. The Catholic League in Paris and the Nature of Catholic Reforme, 1540-1630, Rochester (New York), University of Rochester Press, 1999, p. 154-157.
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