Chapitre II. Procédures disponibles lors de calculs de sommes, différences et produits
p. 35-54
Texte intégral
1Dans ce chapitre et le suivant, nous traitons des relations existant entre les connaissances des élèves sur les entiers naturels et la maîtrise de techniques opératoires standardisées ou non. Nous nous intéressons notamment à la disponibilité des décompositions additives ou multiplicatives des nombres entiers lors de calculs écrits ou mentaux.
230 + 8 ou bien 20 + 18 ou encore 40-2 sont des décompositions additives du nombre 38 ; elles font intervenir des sommes ou des différences. 19 x 2 ou 76 ÷ 2 sont des décompositions multiplicatives de 38 ; elles font intervenir des produits ou des quotients. Ces décompositions peuvent relever des répertoires standard (tables d’addition, tables de multiplication, etc.) ou non. Elles peuvent utiliser les règles du système de numération de position des entiers comme les décompositions 300 + 70 + 8 ou 3 x 100 + 7 x 10 + 8 de 378. D’autres, comme dans l’écriture 25 = 100 ÷ 4, utilisent les notions de multiple ou de diviseur.
3Après une présentation rapide de problèmes cruciaux liés à l’enseignement du calcul mental à l’école élémentaire, nous exposons deux recherches qui portent sur ce thème. Elles permettent d’établir deux diagnostics. Le premier concerne les procédures de calculs mobilisées par les élèves de l’école élémentaire lors de calculs mentaux de sommes ou de produits. Nous étudions comment la mobilisation de ces procédures dépend de la disponibilité des décompositions des nombres intervenant dans les calculs. Réciproquement, nous évaluons les effets d’une pratique de calcul mental sur les connaissances des nombres. Nous précisons des conditions auxquelles un travail sur les techniques opératoires peut avoir des effets1.
4Le deuxième diagnostic a trait à la maîtrise d’écritures multiplicatives et la connaissance du produit de deux entiers naturels. Nous montrons comment ces notions interviennent dans la construction de la technique opératoire de la multiplication2.
5Poser la question des liens existant entre travail sur les techniques opératoires et conceptualisation nécessite que nous précisions ce que nous entendons non seulement par techniques opératoires, mais aussi par procédures, algorithmes ou encore stratégies. Une procédure désigne3 « un ensemble univoque et ordonné d’actions en vue d’un but déterminé ». Ce sens est proche de la notion d’algorithme. Le dictionnaire Larousse donne la définition suivante « ensemble de règles opératoires dont l’application permet de résoudre un problème énoncé au moyen d’un nombre fini d’opérations. Un algorithme peut être traduit, grâce à un langage de programmation, en un programme exécutable par un ordinateur. » Le terme de procédure est souvent utilisé en informatique pour désigner un sous-programme d’un programme ou d’un algorithme plus complexe. De plus, algorithme renvoie davantage au savoir mathématique alors que procédure est davantage utilisé quand le point de vue est centré sur le sujet. Une démarche désigne « l’ensemble du traitement qui conduit de la situation initiale à la situation finale. »
6L’étude des procédures mobilisées par les élèves lors de calculs de sommes ou produits amène à traiter de l’automatisation de ces calculs. Cette automatisation est liée à la représentation des nombres en mémoire.
7Après avoir rappelé des éléments du cadre théorique, nous présentons les principaux résultats de la recherche.
1. Calcul mental, représentation des nombres en mémoire et automaticité
1.1. Représentation des nombres en mémoire
8Fayol4 pose le problème de la représentation en mémoire des nombres. De l’enfant à l’adulte, l’acquisition de nouvelles opérations entraîne-t-elle des modifications dans la structuration en mémoire des données numériques ?
9Les travaux de nombreux psychologues tendent à montrer qu’il y a une évolution en relation avec la pratique scolaire des opérations. L’organisation en mémoire des nombres reposerait à cinq ans sur la succession par pas de un (la représentation en mémoire des nombres est unidimensionnelle) ; à huit ans sur l’addition en général et à douze ans sur l’addition et sur la multiplication.
10D’autre part, les travaux concernant la mémoire à long terme conduisent les psychologues à émettre l’hypothèse d’une représentation analogique des nombres en mémoire à long terme. Selon Fayol, il s’agirait d’une sorte de ligne mentale numérique sur laquelle interviendraient des effets liés à la distance symbolique : par exemple : 5 + 3 = 14 est plus rapidement estimé faux que 5 + 3 = 9. Cette distance symbolique se retrouve chez l’enfant dès l’âge de 5 ans, ce résultat étant confirmé par les travaux de Boule.
11La représentation de la suite numérique en mémoire à long terme présenterait de grandes similitudes chez l’enfant et chez l’adulte. Au fur et à mesure du développement et de la pratique scolaire, elle se complexifie et s’organise peu à peu en un réseau mental structuré comme les classiques tables de multiplication et d’addition : le délai d’accès à un résultat dépend du nombre de rangées et de colonnes à parcourir mentalement. Ces recherches des psychologues sur la représentation en mémoire des nombres éclairent les procédures de calcul mental que nous avons observées chez des élèves de niveaux scolaires différents.
1.2. Démarches de calcul et automaticité
12Peu de recherches ont été effectuées sur le calcul mental dans un cadre scolaire. Toutefois, nos propres études, en particulier celles exposées dans ce chapitre, nous ont conduits à poser un certain nombre de questions sur l’automatisation des calculs propres à l’école élémentaire et sur l’institutionnalisation des procédures ou démarches susceptibles d’être mobilisées.
13Analysant les difficultés et erreurs d’élèves, Fischer5 s’intéresse à l’automatisation de certains calculs élémentaires ; il soutient que « seule une automatisation ou en tout cas un processus reproductif plutôt qu’un processus reconstructif du rappel des faits numériques conduira les élèves à estimer les ordres de grandeur et à remarquer certaines erreurs de calculs. »
14S’appuyant notamment sur les travaux d’Allardice et Ginsburg6 qui soulignent que ces non-automatisations peuvent constituer une source de difficulté pour les élèves, il remarque que « l’automaticité du calcul n’est pas actuellement un objectif très populaire dans l’enseignement élémentaire. »
15Il insiste sur la nécessité de mettre en place un travail régulier et systématique de calcul mental. Les travaux de Fischer portent en particulier sur la connaissance de l’automaticité des faits numériques à la fin de l’école élémentaire ; ils s’appuient sur un matériel informatique permettant de tester les temps de réaction des élèves. Il souligne, entre autre, que les soustractions sont très mal réussies et que les élèves rencontrent de grandes difficultés lors du passage à la dizaine, les additions leur étant tout aussi difficiles et les opérations inverses (soustraction, division) étant moins bien réussies que les opérations directes. Revenant sur les difficultés rencontrées lors du passage à la dizaine, il constate à partir de l’étude de manuels que cette tâche n’est plus enseignée à l’école. Il faut toutefois aujourd’hui relativiser un peu ce constat : en effet, comme nous avons pu le voir, les programmes officiels actuels comme certains manuels mettent davantage l’accent sur les activités de calcul mental. Toutefois, la question de l’institutionnalisation de procédures expertes reste d’actualité.
16S’appuyant sur d’autres travaux7 qui montrent qu’un apprentissage trop tardif laisse perdurer des procédures inutilement encombrantes, il conclut que « les habiletés procédurales ne sont nullement incompatibles avec – et peuvent sous-tendre – la compréhension. »
17Il affirme que cette réticence, durant les années 1970-1980, pour enseigner des procédures de calcul mental comme celle du passage de la dizaine ne semble guère justifiée « sur le plan de la psychologie cognitive en tout cas ».
18Beaucoup de revues pédagogiques s’adressant aux professeurs d’école aussi bien que de nombreux manuels scolaires soulignent qu’il est capital de faire expliciter les diverses procédures mises en œuvre par les élèves : ils mettent l’accent sur les éléments personnalisés qui conduisent un élève donné à mobiliser une procédure donnée. Sans contester la pertinence de ces analyses, nous avons constaté certaines dérives. Le risque est alors grand de ne plus privilégier les procédures économiques, de laisser trop longtemps perdurer des procédures coûteuses, voire d’attendre l’émergence spontanée de certaines procédures expertes nécessitant par exemple des décompositions additives ou multiplicatives non encore disponibles. Une institutionnalisation trop faible tout autant que la surestimation de l’explicitation des procédures de calcul par rapport à leur comparaison peut produire une différenciation fâcheuse chaque fois que les moyens d’élaborer seuls ou ailleurs que dans le cadre scolaire des outils permettant de faire des choix appropriés font défaut à certains élèves.
19Boule critique dans sa thèse les modèles cognitifs classiques issus de la psychologie cognitive au regard desquels le délai de réponse des élèves est expliqué et prédit. Il développe une analyse très fine des erreurs produites par les élèves. Il s’intéresse notamment aux erreurs consécutives à une démarche de calcul en colonne ou à un manque de contrôle sémantique concernant la numération. Nous avons repéré nous aussi ce type de démarche dans notre étude typologique.
1.3. Problématique
20Nous avons abordé la question de l’automatisation des calculs en comparant les procédures mobilisées et leur évolution lors de calculs mentaux effectués par des élèves de l’école élémentaire. Nous avons essayé plus particulièrement de comprendre dans quelle mesure ces élèves réinvestissaient les algorithmes écrits (supposés pour une large part automatisés) ; de même que nous avons tenté de mieux cerner les conditions (notamment en terme de connaissances sur les nombres entiers) qui permettent à d’autres procédures de calculs de perdurer ou d’apparaître.
21Nous avons donc établi une typologie des procédures et des erreurs utilisées ou produites par des élèves de l’école élémentaire (du CP au CM2) lors de calculs mentaux faisant intervenir les opérations arithmétiques usuelles (addition, soustraction, multiplication, division). Nous avons ainsi montré que certaines procédures de calculs automatisées s’avèrent résistantes et peuvent limiter la mobilisation de procédures adaptées aux données numériques intervenant dans les calculs.
22Nous avons testé les performances et les procédures des élèves lors d’activités du type Compter ou décompter de n en n ou de calcul d’additions mentales pour les premières et des calculs de produits pour les secondes, tous ces calculs faisant intervenir des entiers naturels.
2. Procédures de calcul mental et disponibilité des décompositions d’entiers
2.1. Procédures et performances observées lors des activités additives
23Notre hiérarchie de procédures a été construite à partir de l’observation d’élèves de tous les niveaux de l’école élémentaire (du CP au CM28).
2.1.1. Méthodologie de recueils des données
24Le recueil des données nécessaires à la recomposition des procédures et des connaissances mobilisées par les élèves lors de calculs mentaux est délicat. L’activité de l’élève étant essentiellement mentale, le chercheur ne peut y avoir accès directement. Il doit utiliser des biais qui ne sont pas sans poser des questions méthodologiques. Nous avons dû faire des choix.
25Pour l’activité Compter ou décompter de n en n, deux formes de travail ont été mises en place : un travail individuel (écrit) sur fiche et un travail oral et collectif. Dans le premier cas, le premier nombre est écrit sur une fiche, l’élève devant compter ou décompter de n en n à partir de ce nombre et écrire les nombres au fur et à mesure.
26Le travail collectif oral se déroule ainsi : le maître interroge les élèves à tour de rôle dans un ordre quelconque. Un secrétaire note la suite des résultats. Pour maintenir un certain rythme, le comptage ne s’arrête pas s’il y a une erreur – elle sera corrigée à la fin de l’exercice.
27Pour les additions mentales, toutes sont effectuées mentalement.
28Dans tous les types d’activités, les élèves sollicités par leur enseignant explicitent les procédures mises en œuvre. Ils comparent leur efficacité et leur économie respectives. L’enseignant n’impose pas une procédure spécifique, mais s’attache uniquement à faire formuler par les élèves les avantages de chaque procédure. Ces formulations remplissent un double objectif : le premier est de permettre aux observateurs de recueillir des informations sur les procédures déclarées mises en œuvre par les élèves ; le second est d’enrichir l’environnement des procédures utilisées collectivement par les élèves de la classe afin de favoriser une diffusion éventuelle des procédures reconnues comme les plus efficaces.
29Remarquons que, si le travail individuel sur fiche permet une évaluation plus précise des performances de chaque élève, il risque en même temps de faire obstacle au développement de stratégies de calcul mental : quand ils écrivent les nombres, les élèves ont en effet plus tendance à utiliser mentalement l’algorithme écrit (c’est-à-dire à “poser l’opération dans la tête”) en raison même de l’existence de ce support scriptural. Par contre, la recherche de nouvelles techniques mentales est privilégiée par une résolution orale et collective.
30Certaines régularités (chiffres se répétant périodiquement) peuvent être perçues plus rapidement par écrit qu’oralement.
31C’est le cas dans le décompte suivant de 5 en 5 :
3291, 86, 81, 76, 71, 66, 61, 56, 51, 46,……, 21, 16, 11, 6, 1
33Les chiffres ainsi répétés sont visualisables. Quand l’activité est orale, cette répétition nécessite une recomposition de la part de l’élève. Dans certains cas (pour quatre-vingt-onze par exemple) ; il doit traduire onze en 10 et un. Cela nécessite que le passage de la numération orale (ou écrite avec des mots) à la numération écrite avec des chiffres9 soit suffisamment automatisé. Cette traduction doit se faire plusieurs fois dans la suite de nombre ci-dessous :
« Quatre-vingt-onze, quatre-vingt-six, quatre-vingt-un, soixante-seize, soixante et un, cinquante-six, cinquante et un, quarante-six, …………, vingt et un, seize, onze, six, un. »
34Les activités de comptage ou de décomptage se distinguent des calculs de sommes ou de différence par le recours possible à des procédures qui évitent les calculs tels que le repérage des régularités précitées ou à des procédures de dénombrement un à un. Toutefois, des procédures de calculs de sommes (ou de différences) sont susceptibles d’être mobilisées lors du comptage (ou du décomptage).
2.1.2. Les procédures utilisées par les élèves
35Lors des deux types d’activités additives, les procédures utilisées par les élèves sont diverses et révèlent un saut qualitatif constaté ici entre le CE1 et le CE2. En effet, à partir du CE2, les élèves abandonnent les techniques plus primitives de comptage pas à pas ou “dans la tête” pour mettre en œuvre des techniques utilisant des décompositions additives ou soustractives des nombres. Cette évolution est due en partie à une meilleure connaissance du répertoire additif.
36On peut établir une hiérarchie des procédures observées selon deux critères : d’une part le niveau de classe où elles apparaissent et se diffusent, d’autre part la capacité d’adaptation aux spécificités du calcul, et plus particulièrement à la taille des nombres. Ainsi, l’utilisation du comptage un à un ou d’un algorithme écrit peut être souvent vue comme moins bien adaptée que l’utilisation de décompositions additives. Nous avons constaté qu’en fait ces deux hiérarchies coïncident.
Compter ou décompter de n en n
37Nous pouvons distinguer entre trois grands types de procédures mises en œuvre par les élèves lors de l’activité de comptage ou de décomptage (cf. tableau 1) : les procédures évitant le calcul (C1), celles recourant au calcul (C2 et C3) et des procédures mixtes utilisant des régularités liées à la numération.
38Cl est une procédure de comptage (ou décomptage) un à un consistant à compter tout bas n – 1 termes et à écrire le n-ième ; elle est souvent accompagnée d’un comptage sur les doigts.
39C2 est une application mentale de l’algorithme écrit ; les élèves “posent l’opération dans la tête”.
40On peut repérer trois autres types de procédures de calcul (C3) faisant intervenir des décompositions additives ou soustractives des nombres, elles sont surtout utilisées lors du comptage de n en n avec n supérieur à 11, du décomptage de n en n avec n inférieur à 10 et lors du calcul mental d’additions.
41Ainsi, lors du comptage de n en n pour n > 11 (n = 12, 14, 15, 17, 18, etc.), les élèves mobilisent deux types de décompositions. La première est une décomposition canonique : 12 = 10 + 2 ; 14 = 10 + 4 (procédures C3,1). Les autres décompositions permettent d’aller à la dizaine supérieure (C3,2) ou de simplifier les calculs (C3,3) :
• 23 + 12 = (23 + 7) + 5 | (12 = 7 + 5) |
• 21 + 14 = 20 + 15 | (14 = 15 – 1) |
• 28 + 15 = (28 + 20) – 5 | (15 = 20 – 5) |
42Notons que ces dernières décompositions sont souvent proposées par les meilleurs élèves.
43Lors du décomptage de n en n (même pour n < 10), l’application mentale de l’algorithme écrit de la soustraction étant plus complexe, le décomptage oblige davantage les élèves à utiliser des décompositions additives ou soustractives de n.
• 32 – 8 = (32 – 2) – 6 | (8 = 2 + 6) |
• 45 – 17 = (45 – 15) – 2 | (17 = 15 + 2) |
• 44 – 18 = (44 – 20) + 2 | (18 = 20 – 2) |
44Cette dernière décomposition soustractive 20-2 est source d’erreurs, les élèves effectuant (44 – 20) – 2 plutôt que (44 – 20) + 2.
45Nous constatons la répartition temporelle suivante :
Au CP : On n’observe que des procédures de type Cl.
Au CE1 : On n’observe que des procédures de type Cl et C2. Dans la classe où nous avons travaillé, aucun élève n’utilise une décomposition additive pour compter/ décompter. Il semble que ces décompositions pourtant travaillées dès le cours préparatoire ne soient pas reconnues par la suite comme des outils et restent donc indisponibles.
Au CE2 : Cl est plus rare et surtout attesté chez les élèves en difficulté. Outre les procédures Cl et C2, on observe des procédures C3. Au CM on observe essentiellement des procédures de type C2 et C3 .
46De plus, à tous les niveaux, les élèves sont capables de repérer des régularités dans la suite des chiffres des unités ou des dizaines, puis d’utiliser ces régularités pour poursuivre le comptage (ou décomptage). Cela est particulièrement vérifié pour n = 9, 10 et 11.
47L’utilisation de ces régularités est renforcée lorsque les élèves ont recours à l’écrit. Cette procédure est bien favorisée quand le système de numération prioritairement convoqué est le système de numération de position (chiffré).
48Le repérage et l’utilisation de ces régularités lorsque l’activité est strictement mentale s’accroissent avec l’âge. Le passage du système de numération orale (polynomial, écrit avec des mots) au système de position écrit avec des chiffres est alors davantage automatisé.
Calcul mental d’additions
49Lors d’additions mentales, nous avons noté des procédures analogues à celles décrites précédemment : procédures de comptage un à un (avec ou sans les doigts) A1 et application mentale de l’algorithme écrit A2. Deux autres types de procédures de calcul apparaissent : elles font intervenir des décompositions additives, le premier type correspondant à deux variantes différentes de la procédure de décomposition canonique de l’un des facteurs. La première variante A3,1 utilise la décomposition du deuxième nombre de façon à ajouter un nombre entier11 de dizaines :
5035 + 47 = (35 + 40) + 7) ou bien : 575 + 346 = ((575 + 300) + 40) + 6).
51La deuxième variante A3,2 consiste à décomposer les deux termes de la somme en centaines, dizaines et unités :
52575 + 346 = (500 + 300) + (70 + 40) + (5 + 6)
53Le deuxième type de procédures A3,3 consiste à passer par la dizaine supérieure, surtout quand un des termes se termine par 9. Il s’agit d’une variante de la procédure C3,3 :
5435 + 47 = 35 + 5 + 42 ou 49 + 24 = 50 + 23
55Le tableau 2 ci-dessous résume les résultats enregistrés. Ils dépendent là encore du domaine numérique fréquenté et du niveau scolaire des élèves.
56Les résultats sont semblables à ceux enregistrés pour les activités de comptage et décomptage. Au CP et CE1, les procédures de comptage un à un (A1) ou celle revenant à poser l’opération dans la tête (A2) sont majoritaires, voire uniquement mobilisées. C’est le cas pour A2 dès que l’algorithme standard a été travaillé pour la seconde.
57Les autres procédures de calcul apparaissent au CE2 et deviennent plus fréquentes, voire majoritaires, au CM.
2.2. Le CE2 (enfants de 8-9 ans), étape importante dans la construction des structures additives12
58Il faut donc attendre le CE2 (8-9 ans) pour que les procédures de calcul utilisant des décompositions additives apparaissent et soient utilisées. En général, ce sont d’abord les bons élèves qui les mobilisent, la plupart de leurs condisciples les adoptant progressivement par la suite.
59Comme nous l’avons décrit précédemment, les travaux des psychologues ont aussi mis en évidence cette étape importante pour le comptage mental. Avant ce niveau, pour effectuer des additions et soustractions mentales simples, les enfants utilisent des procédures de comptage par pas de un. Après, les enfants procèdent comme les adultes à une récupération directe en mémoire à long terme des résultats.
60Entre les deux, le CE2 semble être une période de transition. Le saut qualitatif ici constaté entre le CE1 et le CE2 peut s’expliquer par une meilleure connaissance du répertoire additif, une plus grande familiarisation avec les opérations et un début d’apprentissage des fonctions numériques.
2.3. Le poids de l’algorithme écrit
61Il nous est apparu que ce sont surtout les élèves obtenant habituellement les meilleurs résultats en mathématiques qui proposent plusieurs procédures et se révèlent capables d’en changer “comme ça les arrange” selon les données numériques.
62Les élèves considérés comme davantage en difficulté en mathématiques par leur professeur mobilisent des procédures plus primitives ou peu économiques (comptage, surcomptage avec utilisation éventuelle des doigts). Malgré des erreurs fréquentes, ces élèves continuent à recourir fréquemment à l’algorithme écrit. Cette technique opératoire standard les sécurise : quand elle est suffisamment maîtrisée (dès le CE1 pour l’addition), elle s’impose au détriment des autres techniques de calculs que ces élèves mobilisaient pourtant partiellement dans la période précédent la construction de l’algorithme écrit, y compris lors de calculs écrits.
63Tout se passe comme si l’existence d’une technique écrite automatisée dont l’efficacité est socialement reconnue entrait en concurrence avec les techniques de calcul préexistantes ou nouvelles. Les décompositions additives et surtout soustractives ne semblent pas suffisamment disponibles pour permettre à d’autres procédures de perdurer ou d’apparaître, cet effet étant renforcé par le fait que chacune de ces procédures a un domaine d’efficacité limité. Leur mise en œuvre demande donc une adaptation supplémentaire : à chaque calcul, l’élève doit choisir entre différentes procédures plus ou moins efficaces selon les données numériques. Ce choix peut apparaître comme trop coûteux.
64Ce premier constat nous a conduits à déterminer des conditions permettant aux élèves de mieux gérer cette concurrence entre algorithme écrit et procédures mentales.
2.4. Des étapes dans le processus d’automatisation de diverses procédures de calcul
65L’analyse précédente montre que la disponibilité des décompositions additives différencie les élèves lors des activités additives de calcul mental que nous venons d’évoquer. Sans enseignement spécifique, ce sont plutôt les meilleurs élèves, et seulement à partir du CE2, qui mobilisent des procédures de calcul utilisant ces décompositions. L’explicitation, (sollicitée systématiquement par l’enseignant13) de ces procédures par les élèves qui ont réussi à les mobiliser ne suffit pas à assurer leur diffusion auprès des élèves plus en difficulté. Une comparaison collective du coût de chaque procédure ne paraît pas non plus suffisante.
66Rappelons que notre dispositif expérimental prévoyait une institutionnalisation souple des procédures de calcul utilisant des décompositions : elle reposait sur une explicitation et une comparaison en terme de coût et d’efficacité. L’enseignant ne peut pas imposer un type de procédure, car son efficacité dépend des nombres en jeu dans le calcul. L’institutionnalisation porte autant, sinon plus, sur la comparaison (et donc sur le domaine d’efficacité de la technique de calcul) que sur la technique proprement dite.
67C’est un peu comme si les objets ainsi institutionnalisés semblaient difficiles à percevoir par les élèves, notamment par ceux éprouvant habituellement des difficultés en mathématiques. Les enjeux d’apprentissage ne sont pas directement lisibles, et le professeur ne peut complètement les expliciter. Ainsi, quand il souligne que chaque élève doit choisir la procédure qui lui paraît la plus efficace et la plus sûre, il risque de le conforter dans un choix inadapté, cette dérive étant favorisée par un déficit en connaissances de ce dernier. L’élève qui ne maîtrise pas les décompositions additives peut juger plus sûres d’autres procédures de calcul apparemment plus coûteuses en temps pour ses pairs.
68Ne pouvant renforcer les institutionnalisations effectuées, nous avons mesuré les effets d’un autre facteur sur les apprentissages des élèves.
69Il s’agit d’accélérer le processus qui rend les décompositions additives et soustractives disponibles pour le calcul afin de contribuer par-là même à les installer dans la mémoire à long terme. Cela revient à créer de nouveaux automatismes suffisamment adaptables pour laisser un choix à l’élève : celui-ci doit pouvoir choisir très rapidement (de manière quasi automatique) entre diverses procédures appelant différentes décompositions en fonction des nombres et des opérations intervenant dans le calcul.
70Pour certains élèves, notamment quand ils sont en difficulté, il peut être profitable de ménager certaines étapes cognitives. Nous avons dans ce but mesuré les effets d’activités visant à automatiser certaines techniques élémentaires de calcul intervenant comme des modules dans les procédures de décomposition évoquées plus haut.
71Pour amener les élèves à utiliser des techniques plus adaptées au calcul mental, nous avons proposé des exercices préparatoires de calcul rapide (par écrit et individuellement).
72Pour calculer mentalement 37 + 28, on peut envisager deux stratégies :
décomposer additivement l’un des nombres et ajouter d’abord un nombre entier de dizaines : (37 + 20) + 8 ou (30 + 28) + 7
décomposer additivement l’un des nombres pour arriver à la dizaine supérieure et ajouter le complément : (37 + 3) + 25 ou (28 + 2) + 35
73Cette dernière stratégie suppose une bonne connaissance des compléments à 10 ou à la dizaine supérieure.
74Voici quelques exemples d’exercices préparatoires visant à créer certains des automatismes évoqués ci-dessus :
Trouver le complément d’un nombre à 10 ou à la dizaine supérieure ;
Ajouter 10 ou un nombre entier de dizaines ;
Trouver le plus rapidement possible le résultat d’une addition à plusieurs termes (les nombres sont dans ce cas écrits au tableau)
27 + 15 + 4 + 3 + 5 | 23 + 28 + 17 + 2 + 12 |
75Les élèves ont alors intérêt à utiliser les groupements amenant à un nombre entier de dizaines.
Décomposer additivement l’un des nombres en nombre entier de dizaines et nombre d’unités ;
Décomposer additivement l’un des nombres pour aller à la dizaine supérieure.
76Cet entraînement visant à créer des automatismes nouveaux se traduit par une amélioration à moyen terme des performances des élèves. Ainsi, pour le comptage ou le décomptage, une pratique systématique génère les performances suivantes.
77Lors de comptage de n en n, le pourcentage d’erreurs (au CE2) se stabilise autour de 25 %. Lors de décomptage de n en n, ce pourcentage (CE2) se situe autour de 35 %. De façon générale, les élèves éprouvent plus de difficultés pour décompter que pour compter. Les erreurs sont plus fréquentes lors du passage d’une dizaine ou d’une centaine.
78Notons que cette activité reste difficile pour les élèves de CP que nous avons observés. Les erreurs sont fréquentes, surtout lors du “passage à la dizaine” ; lors du décomptage un à un, les erreurs répertoriées ci-dessous sont particulièrement courantes :
30 ; 20
31 ; 29
23 ; 20 ; 10
79Ces confusions entre chiffres des dizaines et chiffres des unités révèlent des connaissances de numération encore fragiles. Une familiarisation avec l’activité se traduit toutefois rapidement par des progrès.
80Pour les additions mentales (nombres de deux chiffres14 au CE2 et trois chiffres au CM2), le pourcentage de bonnes réponses atteint 80 % après entraînement.
3. Procédures et performances observées lors des activités multiplicatives
81Les constats que nous avons établis pour les activités additives et l’interprétation que nous en avons faite sont confirmés par l’analyse des performances et des procédures des élèves lors de calculs mentaux de produits. Comme précédemment, nous avons établi un diagnostic des procédures mises en œuvre par les élèves de la dernière année de l’école élémentaire (CM2) lors de calculs mentaux de produits de deux entiers naturels. Une pré-expérimentation portant sur des classes de CE2, CM1 et CM2 nous a permis de dégager certaines questions. Nous aspirions avant tout à évaluer la disponibilité de ces procédures et la manière dont les élèves s’adaptent aux données numériques intervenant dans les calculs : nous avons ainsi pu mesurer le poids de l’algorithme écrit par rapport aux autres procédures ainsi que la disponibilité des décompositions multiplicatives, cette dernière allant de pair avec l’utilisation de l’associativité de la multiplication.
3.1. Éléments de méthodologie
3.1.1. Un premier diagnostic portant sur trois classes du cycle 3
82Une pré-expérimentation concernant trois classes (CE2, CM1 et CM2) nous a permis d’effectuer un premier diagnostic et d’affiner les tests que nous avons ensuite proposés aux élèves d’une classe de CM2. La classe de CM1 est située en ZEP et compte une proportion importante d’élèves en difficulté. Les activités proposées portent sur la production de décompositions multiplicatives d’entiers (classe de CM1), le calcul de doubles (classe de CE2 et de CM1), le calcul de produits dont un facteur est 10 ou un multiple de 10 (classe de CM1), des calculs de produits de trois entiers (classe de CE2) et le calcul du produit d’un nombre pair par un multiple de 5 (classe de CM2).
83Nous ne présenterons pas en détail cette expérimentation, nous contentant de résumer les premiers résultats qu’elle a permis d’établir.
84Production de diverses décompositions multiplicatives de nombres entiers : les élèves d’une classe faible de CM1 éprouvent beaucoup de difficulté à produire sans aide des décompositions multiplicatives des nombres proposés (160 et 600). Seuls les élèves jugés de bon niveau par le professeur de la classe le font : ils mobilisent pour ce faire une stratégie de compensation. Ayant déterminé une décomposition, par exemple 600 = 300 x 2, ils en déduisent d’autres en divisant et multipliant les facteurs par 2 : 600 = 150 x 4 = 75 x 8, etc. Après explicitation, cette procédure est adoptée par les autres élèves.
85Calculs de produits faisant intervenir un multiple de 10 (nombre entier de dizaines) : on relève un taux d’échec important, dû à une difficulté de mettre en œuvre une procédure adaptée du type : décomposition multiplicative du multiple de 10, emploi de l’associativité et de la “règle des zéros”.
8625 x 30 = 25 x 3 x 10 = 75 x 10 = 750.
87Voici les performances des élèves de la classe de CM1.
88Le nombre important de réponses erronées ou d’absences de réponses produites par les élèves les plus faibles de la classe témoigne des difficultés rencontrées.
89Les produits de deux ou trois entiers naturels : Les décompositions additives (distributivité simple notamment) sont employées majoritairement dès le CE2. Les décompositions multiplicatives et la propriété d’associativité ne sont pas disponibles, même en CM2. Ainsi, dans la classe de CM2, après avoir proposé plusieurs exercices de calculs de produits qui ont été suivis systématiquement d’une explicitation des procédures jugées a priori les plus économiques15, lors d’un test, le professeur a demandé aux élèves de calculer certains produits dont un des facteurs est un multiple de 5. Le taux de réussite ne dépasse pas 50 %. Un apprentissage spécifique et de plus longue durée semble nécessaire.
90Ces premiers résultats nous ont amenés à préciser les activités à proposer à des élèves de CM2 afin de tester la disponibilité des décompositions multiplicatives lors de calculs mentaux de produits ; et ils nous ont permis également d’identifier des activités susceptibles d’accroître cette disponibilité.
3.1.2. Le choix des produits
91Afin de répondre aux questions soulevées ci-dessus, nous avons proposé aux élèves de calculer mentalement des produits de deux entiers naturels appartenant à deux domaines numériques D1 et D2.
92Le premier domaine D1 est constitué de produits n x n’ ou n’ x n où 11 ≤ n ≤ 99 et les valeurs prises par n’ sont : 2, 4, 5, 7, 8 et 9.
93Le deuxième domaine D2 fait intervenir des produits de deux entiers naturels dont l’écriture comporte deux chiffres : n x n’ ou n’ x n où 10 ≤ n ≤ 99 et 10 ≤ n’ ≤ 99. Les valeurs proposées pour n’ sont 20, 30, un nombre entier de dizaines, puis 11, 15, 22, 25 et 33.
94Nous avons choisi ces deux domaines pour permettre une comparaison entre les procédures susceptibles d’être mobilisées par les élèves et celles effectivement mobilisées.
95Une analyse a priori nous permet d’évaluer le coût et l’efficacité de chaque procédure pour chaque domaine. La comparaison avec les procédures effectivement mises en œuvre nous permet de déterminer dans quelle mesure cette efficacité et cette économie sont perçues par les élèves.
96Relativement efficace dans le domaine D1, le recours à l’algorithme écrit s’avère moins économique dans le domaine D2. De même, des procédures utilisant des décompositions multiplicatives peuvent se révéler particulièrement économiques dans le cas de certains facteurs comme 4, 5, 10, 25 ou des doubles ou triples. Ainsi pour n’ = 25, il y a plusieurs décompositions multiplicatives associées : 25 = 5 x 5 ; 25 = 50 ÷ 2 ; 25 = 100 ÷ 4. De façon générale, l’utilisation de décompositions multiplicatives peut être performante quand on multiplie un nombre pair par un multiple de 5 : (2n) x (5n’) = 10 (n x n’). Pour n’ = 22 ou n’ = 33 : l’utilisation de l’associativité de la multiplication liée à la décomposition 22 = 11 x 2 (ou 33 = 11 x 3) est intéressante en calcul mental.
97Dans les deux domaines, la distributivité simple utilisant une décomposition additive de n ou de n’ semble toujours performante. En revanche, la double distributivité16 est une procédure complexe, qui ne peut apparaître que si l’élève peut garder des traces écrites de ses calculs intermédiaires. Sinon, elle nécessite trop de mises en mémoire pour être performante dans un calcul purement mental.
98Une analyse a priori nous a donc permis de choisir dans chaque cas les produits susceptibles de discriminer les procédures possibles et donc de mieux mesurer les capacités d’adaptabilité des élèves.
3.1.3. Le recueil des données
99Nous avons adopté deux modes de recueil des données. Dans le cas de calculs de produits avec au moins un facteur à un chiffre, les élèves inscrivent leurs résultats sur une ardoise et explicitent oralement leurs méthodes de calcul ; dans le cas du domaine D2, ils disposent d’une feuille de papier pour inscrire leurs résultats et, si besoin, leurs calculs intermédiaires. Mais ils ne doivent pas poser l’opération par écrit.
3.2. Les procédures mobilisées par les élèves de CM2
100Nous avons hiérarchisé les diverses procédures effectivement observées en fonction du seul critère d’adaptation : prise en compte de la spécificité du calcul, notamment de la taille des nombres et des possibilités de mobiliser certaines décompositions additives ou multiplicatives des facteurs dans un souci d’économie.
3.2.1. Les procédures additives ou mixtes
101L’addition réitérée (Pl) n’apparaît que pour les petites valeurs de n’ : n’ = 2, 4 et aussi 7. Elle ne se trouve plus qu’à l’état de traces par la suite. Dans ce dernier cas, elle est souvent associée à une procédure de distributivité simple (P3) comme dans l’exemple du calcul du produit 4 x 62 présenté ci-dessous :
2 x 60 = 120 | 120 + 120 = 240 | 4x2=8 |
240 + 8 = 248 |
3.2.2. Les procédures multiplicatives
102L’algorithme écrit P2 (les élèves “posent l’opération dans la tête”) n’est utilisé mentalement que pour les petites valeurs de n (domaine D1) où il est majoritaire (sauf pour n’ = 9, après explicitation de la procédure de type P3bis appliquée avec 9 = 10 – 1). Dans ce domaine numérique, la procédure P2 reste performante pour les élèves mais disparaît progressivement quand n et n’ sont des nombres à deux chiffres.
103La distributivité simple (P3) par rapport à l’un des facteurs avec décomposition additive de celui-ci est majoritaire à partir de n’ = 7 (sauf pour n’ = 9, 20 et 30). Cette décomposition tient compte ou non de la numération décimale : (78 = 70 + 8 ; 78 = 60 + 18 ; 78 = 75 + 3).
104Renforcée par la demande d’explicitation par écrit des calculs intermédiaires, elle porte plutôt sur le deuxième facteur (sans doute en liaison avec le sens de l’écriture) sans que ce soit pour autant systématique : cela dépend essentiellement des données du calcul.
105La distributivité simple avec décomposition soustractive (P3bis) est présente à chaque résolution d’exercice du second cas. La décomposition soustractive fait référence le plus souvent à la dizaine supérieure, mais aussi au multiple de 5 immédiatement supérieur. Son emploi est le fait de quelques élèves, mais ce ne sont pas toujours les mêmes ; lié en général à la volonté de rechercher d’autres méthodes de calcul, le recours à cette procédure devient majoritaire dans le cas n x 9, mais seulement après demande explicite du maître de trouver une autre procédure que l’algorithme écrit.
106L’utilisation de la double distributivité (P4) devient importante lorsque les deux facteurs sont des nombres à deux chiffres dont l’un est supérieur à la trentaine. Trop mal maîtrisée, sa mise en œuvre conduit à des d’erreurs.
107Si l’on excepte les cas n’ = 4 et n’ = 20, 30, etc. les décompositions multiplicatives (P5) n’apparaissent pas naturellement, mais nécessitent l’intervention du professeur. Même dans les cas où elles pourraient être performantes (n’ = 22, 25, 33, etc.), elles sont très minoritaires. Il en est de même pour les décompositions faisant intervenir un quotient, par exemple pour n = 25 = 50 ÷ 2 = 100 ÷ 4 ou pour 5 = 10 ÷ 2.
3.2.3. Des décompositions multiplicatives très peu disponibles
108Il semble donc que les écritures multiplicatives soient très peu disponibles chez les élèves de la fin du cycle élémentaire.
109Ces résultats peuvent s’expliquer. En effet, la distributivité simple additive combine le point de vue de la multiplication comme addition réitérée avec la décomposition décimale des nombres : celle-ci étant à la base de la technique écrite, elle est facile d’accès. De plus, contrairement à la double distributivité, elle est directement utilisable de manière suffisamment fiable dans bien des cas, ce qui explique son succès et son renforcement comme stratégie dominante au cours des exercices.
110En revanche, les décompositions multiplicatives n’ont pas la même généralité d’emploi. Si la distributivité simple peut être automatisée, il n’en va pas de même pour les décompositions multiplicatives où l’élève doit à chaque fois “inventer” en faisant appel à des faits numériques moins familiers, par exemple “sortir des tables” : 33 = 3 x 11 ou bien, utiliser la division : 25 = 100 ÷ 4
111Cette faible disponibilité nous renseigne également sur l’état de mémorisation des tables de multiplication. Ainsi, lors du calcul 32 x 25, la majorité des élèves mettent en œuvre, en commettant de nombreuses erreurs, une procédure de distributivité simple. Un nombre non négligeable d’élèves recourent à l’algorithme écrit ou plus rarement à la double distributivité. Dans les classes de CM2 avec lesquelles nous avons travaillé, aucun élève n’utilise l’associativité combinée avec une décomposition judicieuse de 32 comme suit :
11232 x 25 = 8 x 4 x 25 = 8 x 100 = 800
113Les élèves ont pourtant calculé auparavant les produits par 25 et reconnu l’économie du recours à 100 ÷ 4. Les produits 4 x 8 (ou 8 x 4) sont disponibles, mais ils ne lisent pas le produit 8 x 4 dans le nombre 32. D’autres tests encore nous ont permis de montrer que la mémorisation des tables se fait prioritairement dans le sens n x n’ donne n’’ au détriment de la mémorisation de la décomposition n’’ en n x n’. Ainsi, dans notre exemple le produit 8 x 4 donne 32 est plus disponible que la décomposition 32 en 8 x 4.
114Pour promouvoir ces types de procédures chez les élèves, il est vraisemblablement nécessaire de prévoir un apprentissage spécifique du genre de celui que nous avons exposé au paragraphe précédent consacré aux calculs additifs. Notre analyse montre que la majorité des élèves de CM2 devrait être concernée par cet enseignement.
3.2.4. Des erreurs significatives
115Signalons certaines erreurs liées à l’utilisation de la double distributivité :
Oubli des termes rectangles (assez fréquent) : 25 x 68 = 20 x 60 + 5 x 8
Un seul produit : 20 x 60
Distributivité par rapport à un seul facteur : 25 x 25 = 20 x 5 + 5 x 5 ou 30 x 74 = 30 x 70 + 30 x 4
(20 + 5) x 5 (70 + 4) x 30Persistance d’un facteur : 25 x 68 = 20 x 20 + 5 x 68.
116Remarquons que cette erreur existe pour d’autres procédures, par exemple pour le calcul de :
11711 x 12 = 10 x 12 + 11 = 120 + 11 = 131
118Erreur provenant d’une confusion entre dizaines et unités :
11922 x 34 : 20 x 30 + 2 x 4 + 2 x 3
120• Autres erreurs :
12125 x 25
12220 x 20 + 5 x 50
123La deuxième expérimentation confirme les résultats de la pré-expérimentation. Les décompositions multiplicatives restent peu disponibles en fin d’école élémentaire. Ce manque concerne la très grande majorité des élèves observés et les amène à mobiliser des procédures de calculs moins économiques (comme la distributivité simple, voire une simulation mentale de l’algorithme écrit) mais jugées plus sûre dans un premier temps.
124Ce constat est révélateur des liens qui existent entre la maîtrise des techniques opératoires et les connaissances sur les nombres. Des connaissances sur les nombres insuffisantes limitent l’exploration puis la maîtrise des techniques ; ce manque de maîtrise restreint le domaine numérique exploré et la fréquentation des propriétés des entiers naturels nécessaires à l’acquisition de ces techniques, ce qui conforte les élèves dans l’emploi de procédures coûteuses. Un cercle vicieux peut dès lors s’installer si l’enseignement tient insuffisamment compte de ces difficultés.
4. Conclusion
125L’analyse des performances des élèves de l’école élémentaire lors des activités additives et multiplicatives montre que la disponibilité de certaines procédures parfois mieux adaptées aux calculs mentaux dépend de plusieurs facteurs. Les élèves doivent être suffisamment familiarisés avec les décompositions des nombres (additives ou multiplicatives) susceptibles d’être appelées. Cette familiarité se construit lors d’activités spécifiques visant à installer des automatismes.
126En effet, notre analyse montre que si le professeur ne prévoit pas un scénario spécifique, les décompositions des nombres sont difficilement ou tardivement mobilisées dans les calculs mentaux : c’est le cas notamment des décompositions additives lors des calculs de sommes et des décompositions multiplicatives lors des calculs de produits.
127Cette disponibilité est encore plus faible chez les élèves en difficulté. Nous avons constaté un décalage dans le temps. Ainsi certains élèves faibles du CM mettent durablement en œuvre des procédures primitives (énumération, opérations “posées dans la tête”) analogues à celles utilisées par une majorité d’élèves de CE1 : au début de l’expérience, ces sujets ne mettaient en œuvre qu’un seul type de procédures (voire aucun).
128L’aménagement d’étapes cognitives spécifiques semble être l’un des leviers les plus propices à l’amélioration de la disponibilité, l’explicitation des diverses procédures mises en œuvre dans la classe et leur comparaison en étant un autre. Tout laisse supposer que certains élèves en difficulté ont davantage besoin d’un temps plus long et d’activités spécifiquement appropriées à la mémorisation de ces décompositions : concomitance des calculs élémentaires dans un premier temps, cette mémorisation fonctionne par la suite comme des modules dans les calculs plus complexes. Les calculs effectués lors des activités que nous avons appelées préparatoires dans le paragraphe consacré à l’addition ont joué ce rôle.
129Ces activités préparatoires contribuent à mettre en place d’autres procédures en partie automatisées. Leur diversité permet toutefois aux élèves de s’adapter aux nombres en jeu en choisissant la procédure qui leur semble la plus économique, compte tenu de leurs connaissances numériques.
130L’explicitation seule des procédures n’est pas suffisante pour les élèves en difficulté qui ont besoin de manipuler davantage les décompositions des nombres. Sans cette étape supplémentaire, ces élèves ne semblent pas pouvoir choisir entre les procédures exposées lors des synthèses effectuées dans la classe. Ils mobilisent alors l’algorithme écrit, si difficile que soit sa mise en œuvre.
131Ces constats soulèvent la question de la nature de l’institutionnalisation lors des activités de calcul mental. Celle-ci vise deux effets : assurer l’existence explicite de diverses procédures de calcul d’une part, donner les moyens à l’élève d’effectuer un choix qui dépend de l’économie de ces procédures d’autre part. Des institutionnalisations locales suffisamment souples pour ne pas induire une seule stratégie de calculs mais assez explicites pour que les élèves les plus en difficulté prennent conscience des domaines d’efficacité propres à chacune des procédures semblent ainsi profiter aux éléments les plus faibles ; toutefois, elles ne sont profitables que si certaines connaissances élémentaires ont été acquises auparavant : c’est le cas notamment de l’automatisation des techniques de calcul élémentaires évoquées plus haut.
132Les leviers que nous avons utilisés pour accélérer le processus de construction de la disponibilité des décompositions additives lors de calculs de sommes sont à ce titre très significatifs. Les élèves ne maîtrisant pas assez les décompositions additives ne peuvent mettre en œuvre des procédures les utilisant. Un travail spécifiquement axé sur les techniques de calcul élémentaires et consistant à travailler sur les décompositions permet de conforter certaines connaissances. Ces activités contribuent de la sorte à enrichir le répertoire additif susceptible d’être mobilisé ultérieurement : ces connaissances prendront d’autant plus de sens qu’elles seront intégrées ensuite dans des techniques de calcul plus complexes. Il s’agit à la fois d’un travail sur la technique et d’un travail de mémorisation de faits numériques. Quand, par exemple, il faut déterminer le complément 3 à la dizaine supérieure 40 de 37, l’élève peut soit mobiliser ce fait numérique (37 + 3 = 40), soit restituer ce résultat à partir d’un fait numérique relevant du répertoire additif standard (7 + 3 = 10). Il en va de même pour des calculs du même type mais plus complexes tels que rechercher le complément à la centaine supérieure de 87. Le travail de la technique permet de produire de nouveaux faits numériques et donc d’enrichir le répertoire multiplicatif de l’élève.
133L’automatisation de ces techniques élémentaires est justifiée par le calcul demandé. Elle est aussi justifiée par les choix ainsi ouverts lors d’autres calculs plus complexes. Elle permet pour une part la dévolution17 des conditions nécessaires pour apprendre ; de plus, la mobilisation de décompositions lors de calculs renforce ou du moins entretient leur disponibilité.
134Nous allons affiner ce diagnostic au chapitre suivant consacré à la mobilisation d’écritures multiplicatives et de produits d’entiers lors d’activités visant à la construction d’une technique opératoire à partir de l’optimisation de techniques de calcul plus primitives.
Notes de bas de page
1 Cet exposé reprend et synthétise quelques publications traitant de ce sujet tout en les replaçant dans une problématique plus large (Butlen, Pézard, 1989 et 1992).
2 Cette recherche utilise un environnement informatique et a donné lieu à une thèse de didactique des mathématiques (Butlen, 1985).
3 Cf. Boule, 1997.
4 Cf. Fayol, 1985.
5 Cf. Fischer, 1987.
6 Cf. Allardice et Ginsburg, 1983.
7 Cf. Léontiev, 1959 ; Resnick, 1983.
8 Élèves de 6 ans (CP) à 11 ans (CM2)
9 Notre système de numération écrite avec des mots est un système de numération polynomiale dont les principes de fonctionnement ne sont pas les mêmes que notre système de numération écrite avec des chiffres, qui relève quant à lui des systèmes dits de position.
10 L’expression “dizaines entières”, souvent utilisée par les élèves et par certains enseignants désigne la décomposition canonique d’un des nombres en dizaines et unités
11 Nous avons repris l’expression “nombre entier” de dizaines employée par les élèves et par certains professeurs pour désigner la décomposition canonique en dizaines et unités
12 Le lecteur pourra consulter le détail de ces résultats dans Butlen et Pézard (1989, 1992)
13 Les activités de calcul mental donnent lieu à de nombreuses phases de formulation. Les élèves, sollicités par leur enseignant, explicitent leurs procédures qui sont comparées en fonction de leur efficacité et de leur économie.
14 Par exemple 27 + 48.
15 Ces procédures font intervenir des décompositions multiplicatives, car elles sont jugées a priori les plus économiques par le professeur. Toutefois, seuls les élèves de bon niveau les mobilisent.
16 La double décomposition correspond au calcul suivant :
32 x 25 = (30 + 2) x (20 + 5) = 30 x 20 + 30 x 5 + 2 x 20 + 2 x 5.
17 Le processus de dévolution permet aux élèves d’accepter la responsabilité des tâches qui leur sont proposées et au professeur de les maintenir dans ces tâches.
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