Avant propos
p. 15-22
Texte intégral
1Cet ouvrage présente une synthèse de recherches portant sur les liens existant entre le travail sur les techniques opératoires, le processus de conceptualisation et la résolution de problèmes arithmétiques. Elles concernent des élèves de l’école élémentaire (du cours préparatoire au cours moyen1) et des deux premières années de collège2 (6e et 5e). Certaines concernent plus particulièrement les élèves en difficulté, notamment issus de milieux socialement défavorisés et scolarisés en ZEP/REP3.
2L’enseignement du calcul mental occupe une place importante dans l’enseignement des mathématiques à l’école élémentaire. Toutefois, l’analyse des programmes et instructions officielles depuis la création de l’école publique fait apparaître des disparités selon les périodes et une évolution des activités prescrites. Le premier chapitre de cet ouvrage est consacré à l’analyse de cette évolution.
3L’enseignement de calcul mental revêt une importance, car il vise plusieurs objectifs qui sont diversement pris en compte selon les périodes par les institutions. La première fonction de cet enseignement est de faire acquérir des procédures de calcul utiles pour la vie quotidienne. Cet objectif est réaffirmé par tous les programmes.
4Le calcul mental intervient dans la plupart des activités numériques de l’école élémentaire y compris quand il s’agit d’effectuer un calcul écrit à l’aide d’une technique opératoire standard. En effet, l’élève doit mobiliser des faits numériques (tables d’addition, de multiplication), effectuer mentalement des retenues, voire effectuer des opérations mentales élémentaires. Des calculs mentaux sont souvent nécessaires lors de la résolution écrite d’un problème arithmétique ou lors de procédures de contrôle du résultat. L’apprentissage de certaines notions mathématiques nécessite un recours au calcul mental lors de l’exploration des situations qui leur donnent sens. Il en est ainsi de l’étude des fonctions numériques ou de la proportionnalité. Ce recours fréquent au calcul mental nécessite donc un enseignement spécifique.
5Les activités de calcul mental sont à notre avis des moments privilégiés pour travailler sur les nombres et sur les techniques opératoires. En effet, l’élève devant par souci d’économie mettre à distance les algorithmes écrits, est amené à adapter ses stratégies en fonction des nombres intervenant dans les calculs. Il a la possibilité d’explorer et de mobiliser diverses propriétés des nombres et des opérations.
6Une pratique régulière de calcul mental peut ainsi contribuer à rendre plus disponibles ces propriétés, enrichir les conceptions numériques, accroître la familiarité de l’élève avec les nombres et les opérations, diversifier les procédures de calcul. Les activités de calcul mental sont souvent des moments de travail intensif.
7Nous pensons également que le calcul mental est un domaine d’expérience4 pour la résolution de problèmes numériques. Nous faisons l’hypothèse qu’une pratique régulière de calcul mental accroît les capacités d’adaptation et d’initiative des élèves. Leurs connaissances sur les nombres et les opérations étant plus disponibles, ils s’autorisent davantage à faire des essais, à tâtonner et ce d’autant plus qu’ils sont mieux habitués à adapter, lors de calculs mentaux, leurs stratégies aux données numériques.
8L’analyse, dans le chapitre 1, des programmes officiels ayant trait à l’enseignement des mathématiques à l’école élémentaire fait apparaître trois périodes5 qui se distinguent par les réponses apportées par l’institution à des problèmes cruciaux liés à l’enseignement du calcul mental.
9Il s’agit en premier lieu pour les différentes institutions concernées de définir les fonctions à privilégier dans l’enseignement du calcul mental. Ces choix sont liés aux choix plus globaux ayant trait aux missions attribuées à l’enseignement des mathématiques et à l’enseignement élémentaire en général. Les programmes jusqu’en 1970 privilégiaient une fonction sociale. Cela se traduisait pour le calcul mental par la volonté de donner au futur citoyen des techniques de calcul jugées indispensables pour vivre quotidiennement. Cela peut expliquer que l’accent soit davantage mis sur la mémorisation de faits numériques et notamment des tables, sur l’automatisation de techniques mentales de calcul au détriment du raisonnement, de la construction de ces connaissances et de leur justification.
10La prolongation de la scolarité obligatoire implique de situer l’enseignement élémentaire dans le cadre d’une scolarité secondaire plus longue. Les notions mathématiques enseignées à l’école vont donc être progressivement repensées en fonction de celles enseignées au collège ou au lycée. Cette redéfinition des objectifs de l’enseignement des mathématiques concerne tous les domaines de cette discipline et donc le calcul mental. Le développement et la diffusion de connaissances relevant de la psychologie cognitive, notamment du constructivisme amplifient ce phénomène.
11Les activités de calcul mental vont devenir des occasions de travailler les propriétés des nombres et des opérations. Les enseignants sont incités à privilégier la formulation des procédures, leur confrontation en terme d’efficacité, de rapidité, l’étude de leur domaine de validité, etc. L’accent est mis sur la construction de démarches adaptées et leur justification. Cette évolution semble s’être faite dans un premier temps au détriment de la mémorisation de faits numériques et plus particulièrement des tables d’addition et de multiplication (période dite des mathématiques modernes). Depuis 1980, les programmes officiels redonnent progressivement sa place à la mémorisation, voire à l’automatisation de certaines procédures de calcul. Toutefois si l’évolution est sans ambiguïté sur la mémorisation de faits numériques, elle semble plus hésitante sur l’automatisation de procédures de calcul. Cette hésitation s’explique par une volonté de ne pas reproduire les dérives du passé. Pour cela, les divers textes institutionnels rappellent qu’une procédure mentale de calcul n’est efficace que par rapport aux nombres particuliers en jeu dans le calcul, aux connaissances numériques de chaque l’élève. Ces éléments relativisent la portée des démarches fréquentées et amènent les auteurs à ne pas insister sur leur automatisation. Ils révèlent l’existence d’une tension importante entre d’une part le développement de la mémorisation de faits numériques, de l’automaticité de certaines procédures, et d’autre part le développement de compétences favorisant chez les élèves l’élaboration, la reconstruction ou l’adaptation de procédures et démarches. Nos recherches comme celles d’autres notamment celles de Fischer (1987) portent sur cette tension, sur les effets de certaines pratiques sur les apprentissages.
12Le dépassement de cette tension nécessite de repenser l’institutionnalisation. Quelles procédures de calcul faut-il institutionnaliser ? À quel moment ? Dans quelles conditions et pour quels élèves ?
13La tension évoquée ci-dessus s’avère plus sensible pour les élèves en difficulté, notamment issus de milieux socialement défavorisés car son dépassement met en jeu le rapport à l’école de ces élèves.
14Si l’enseignement ne veut pas automatiser de manière caricaturale les procédures de calcul fréquentées lors des activités de calcul mental, s’il veut montrer que l’efficacité de telles ou telles procédures dépend des nombres en jeu mais aussi des connaissances acquises au moment du calcul, les institutionnalisations vont devoir porter à la fois sur la procédure, sur son domaine d’efficacité et sur les connaissances personnellement acquises précédemment par l’élève. Les enjeux d’apprentissage sont donc difficiles à appréhender par l’élève. Or, les recherches portant sur les élèves en difficulté montrent que ces derniers les perçoivent plus difficilement que leurs pairs. Le calcul mental peut donc constituer un révélateur de difficulté pour le chercheur.
15Les recherches que nous exposons dans cet ouvrage ont permis d’analyser plus finement les problèmes cruciaux que nous venons d’évoquer. Des éléments de réponses susceptibles de contribuer aux dépassements des tensions qui accompagnent l’enseignement du calcul mental découlent de ces analyses.
16Ces recherches s’inscrivent dans la problématique très générale de l’étude des liens existant entre enseignement et apprentissage de notions mathématiques, plus spécifiquement dans le cadre de la didactique des mathématiques. Il s’agit de contribuer à problématiser l’enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté, notamment issus de milieux socialement défavorisés, scolarisés en ZEP/REP, en empruntant et en intégrant des éléments de divers cadres théoriques : didactique des mathématiques, psychologie cognitive, sociolinguistique.
17Pour interpréter les données que nous avons recueillies concernant les liens entre connaissances sur les nombres et maîtrise de techniques de calculs, nous avons utilisé la synthèse de travaux de psychologues anglo-saxons concernant l’organisation en mémoire des nombres effectuée par Fayol (1985) et des résultats de recherches sur l’automatisation des calculs mentaux établis par Fischer (1987).
18Pour étudier les effets d’une pratique régulière de calcul mental sur la résolution de problèmes numériques, nous nous sommes référés à certains travaux ayant trait à la gestion des systèmes mnésiques (Fayol, 1987), à la notion de schéma de problèmes (Morales, Shute et Pellegrino, 1985 ; Fayol, 1990 ; Julo, 1995) ou à la représentation du problème (Richard, 1990 ; Julo 1995).
19Pour analyser plus spécifiquement les cheminements6 cognitifs empruntés par des élèves en difficulté, nous avons utilisé des résultats de recherches de didactique des mathématiques (Perrin-Glorian, 1992) mais aussi de sociolinguistique (Lahire, 1993 ; Bautier, 1995 et 1996 ; Rochex, 1995) ou de psychologie cognitive (Vygotsky, 1985).
20Il nous semble possible de poser autrement les questions relatives à la différenciation sociale dans une approche didactique. Nous cherchons plus particulièrement à savoir dans quelle mesure des indicateurs, autres que cognitifs, influent sur la généralité des rapports entre enseignement et apprentissage. Nous utilisons notamment des indicateurs sociaux pour caractériser le public des élèves concernés. De même, nous adaptons des résultats de sociologie pour mieux comprendre certains indicateurs de compréhension et spécifier plus finement certaines variables susceptibles d’agir sur les liens entre enseignement et apprentissage de contenus mathématiques.
21Nous adoptons toutefois un point de vue interne à la classe. Nous restons à l’échelle de l’enseignant. Nos analyses sont toujours relatives à un contenu donné. Notre but n’est pas d’étudier des éléments qui se construisent en grande partie hors de la classe, sur un temps long et à l’insu des enseignants.
22Nous mettons en évidence des cheminements cognitifs (limités dans le temps) qui peuvent être différents selon les élèves mais qui sont souvent trouvés par des observations portant sur tous les élèves et pas uniquement centrées sur les élèves en difficulté. Nous interprétons ces cheminements comme la conséquence à la fois de contraintes qui dépassent les enseignants et de choix explicites (ou au moins préconscients) de leur part. Nous les décrivons en termes de contenus et de déroulements (scenarii mis en œuvre, interactions effectives, etc.).
23 Les publics étudiés dans nos recherches sont différents selon les cas. Nous pouvons être amenés, comme dans les trois premiers chapitres, à établir un diagnostic concernant tous les élèves d’un âge scolaire donné. Une analyse des données ainsi recueillies prenant en compte le déterminant de la réussite scolaire en mathématique des élèves nous permet alors de spécifier des cheminements cognitifs propres aux élèves en difficulté. Pour recueillir les données nécessaires au diagnostic, nous avons élaboré des tests qui, tout en s’intégrant à l’enseignement dispensé par les professeurs, ne nécessitent pas d’intervenir sur leurs pratiques. Cette méthodologie nous a permis d’établir par exemple un diagnostic des principales procédures mobilisées par les élèves de l’école élémentaire lors de calculs mentaux additifs ou multiplicatifs.
24Pour affiner ce diagnostic et approfondir notre analyse des difficultés rencontrées par les élèves, nous avons aussi adopté une autre méthodologie. Nous avons construit des scenarii d’enseignement susceptibles de provoquer des apprentissages spécifiques. Il s’agit de tester les effets de pratiques non ordinaires. Une comparaison entre l’analyse a priori des apprentissages potentiellement provoqués et ceux effectivement réalisés permet alors d’affiner l’étude des conditions d’apprentissage et les difficultés des élèves. L’analyse ne porte plus sur les effets de pratiques enseignantes usuelles mais sur des conditions susceptibles d’améliorer les apprentissages des élèves, notamment ceux des enfants habituellement en difficulté en mathématiques.
25Nous avons adopté cette deuxième méthodologie pour tester les effets de dispositifs d’enseignement limités dans le temps ou portant sur un temps plus long. Dans ce dernier cas les ingénieries mises en œuvre peuvent s’étendre sur plusieurs mois voire sur une ou deux années. Nous exposons deux recherches de ce type qui concernent des classes comportant davantage d’élèves en difficulté, scolarisés en ZEP.
26Lorsque les activités proposées aux élèves sont limitées dans le temps, elles permettent des analyses intermédiaires. En effet, les situations ne sont pas assez longues pour masquer tous les effets des pratiques des élèves comme des enseignants des classes concernés. Construites pour provoquer d’éventuelles alternatives, elles nous renseignent sur les conditions d’apprentissage des élèves en question.
27Ainsi, que les élèves des classes observées aient ou n’aient pas de difficultés en mathématiques et qu’ils soient ou non majoritairement issus de milieux défavorisés, les méthodologies de recueil des données sont similaires. L’analyse de ces données diffère par la prise en compte dans le second cas d’indicateurs ne relevant pas du seul domaine cognitif.
28Le croisement ainsi réalisé au moyen de ces différentes méthodologies entre certaines stratégies d’enseignement et certains types d’élèves met en évidence des dynamiques en jeu dans les classes observées. L’analyse de ces dynamiques et de leurs effets nous permet de dégager des éléments susceptibles d’intervenir sur les apprentissages des élèves issus de milieux socialement défavorisés. Ces résultats sont exposés dans les chapitres 6, 7 et 8. L’étude des conditions de leur obtention précise la portée mais aussi les limites d’un enseignement de mathématiques en ZEP.
29 Notre travail porte sur les techniques opératoires et la résolution de problèmes numériques au regard d’une pratique régulière du calcul mental. Par techniques opératoires, nous entendons aussi bien les algorithmes des quatre opérations arithmétiques (addition, soustraction, multiplication et division) enseignées à l’école élémentaire que d’autres techniques de calcul mobilisables mentalement ou par écrit. Il peut s’agir de procédures de calcul primitives mobilisées par des élèves ne maîtrisant pas encore un algorithme standard. Dans le cas de calculs de produits, l’élève peut par exemple mettre en œuvre des additions réitérées ou encore additionner des produits partiels correspondant à des décompositions des facteurs du produit.
30Il peut également s’agir de démarches de calcul mobilisées par les élèves lorsque le mode de calcul est totalement ou partiellement mental. Nous avons notamment analysé les diverses procédures mises en œuvre en fonction du niveau de scolarisation des élèves (du CP au CM2) et des données numériques intervenant dans les calculs. Au deuxième chapitre, nous présentons une hiérarchie construite en tenant compte des critères d’économie et de performance. Ces procédures nécessitent pour être mises en œuvre des connaissances numériques spécifiques. La mobilisation de ces procédures nous renseigne donc sur les connaissances des élèves. Réciproquement, l’apprentissage de techniques de calcul faisant intervenir des propriétés particulières des nombres et des opérations peut contribuer au renforcement de ces connaissances numériques. Nous avons étudié les liens qu’entretenaient ces deux types d’apprentissage.
31Par travail sur les techniques opératoires, nous entendons donc le travail effectué dans le cadre scolaire sur différentes techniques de calcul standardisées ou non.
32Les chapitres 2 et 3 sont consacrés à l’étude des liens entre les conceptions numériques des élèves, et plus particulièrement leurs connaissances des décompositions additives ou multiplicatives des nombres entiers, et la maîtrise de techniques opératoires dont la mise en œuvre nécessite ces dernières connaissances. Pour étudier ces liens, nous suivons les deux types de méthodologie explicités ci-dessus. L’une des recherches exploite un environnement informatique, l’autre se situe dans le cadre d’une pratique de calcul mental.
33Ces recherches concernent tous les élèves. Elles ne portent pas directement sur les élèves en difficulté en mathématiques. Mais, comme nous l’avons indiqué précédemment, l’analyse des difficultés rencontrées par certains élèves ou plus généralement par la majorité d’entre eux nous renseigne sur des causes possibles de différenciation durable.
34Après avoir étudié comment les connaissances des élèves sur les nombres entiers et leur maîtrise des techniques opératoires s’acquièrent et se renforcent, nous nous intéressons ensuite aux procédures et performances de résolution de problèmes numériques standard d’élèves pratiquant régulièrement des activités de calcul mental. Il nous sera ainsi possible de mieux cerner les relations existant entre le travail sur les techniques opératoires et la construction des structures additives et multiplicatives (Vergnaud, 1982).
35Nous avons adopté deux entrées différentes pour traiter cette question.
36La première entrée consiste à analyser les effets d’une pratique de résolution mentale des problèmes afférents aux procédures mobilisées par les élèves. À partir de l’étude de la résolution d’un problème de composition de transformations additives portant sur des mesures, nous avons analysé comment et à quelles conditions une pratique de calcul mental influait sur l’évolution des procédures mobilisées aussi bien que sur leur disponibilité.
37La seconde entrée consiste à mesurer les effets d’une pratique de calcul mental sur les performances d’élèves de CM2 tenus de résoudre des problèmes numériques standard. Il s’agit notamment d’évaluer cet impact sur le processus d’automatisation de la reconnaissance de l’opération à effectuer.
38Chaque recherche est fondée sur l’expérimentation d’ingénieries7 qui, comme les précédentes, concernent un public d’élèves ne présentant pas de spécificité particulière ; mais, comme les précédentes aussi, les analyses accordent une attention particulière aux élèves habituellement en difficulté en mathématiques.
39Ces premières réflexions et les pistes de travail ainsi dégagées nous ont permis de mieux cerner le public des élèves en difficulté, notamment celui qui relève d’une scolarisation en ZEP. Les chapitres 6, 7 et 8 sont donc centrés sur l’enseignement de mathématiques aux élèves en difficulté.
40La mise en place de situations spécifiques nous permet de mettre en évidence et de mesurer les effets des étapes intermédiaires inhérentes au processus de conceptualisation des notions mathématiques et des méthodes de résolution de problèmes utilisées par les élèves : étapes capitales pour les élèves en difficulté issus de milieux socialement favorisés qui sont scolarisés en ZEP.
41Ces intermédiaires sont de deux types : le recours à une certaine forme d’exemple générique, d’une part, la construction et la mobilisation passagère d’outils heuristiques lors de résolutions de problèmes, d’autre part.
42Le premier intermédiaire a plus particulièrement trait au processus de décontextualisation des notions mathématiques enseignées en dernière année de l’école élémentaire ou lors des deux premières années du collège. À partir de l’analyse de différents statuts pris par des exemples illustrant des énoncés mathématiques produits par les élèves, nous mettons en évidence des niveaux de décontextualisation correspondant à des étapes du processus de conceptualisation des notions évoquées. Les élèves plutôt en difficulté peuvent produire des exemples génériques illustrant un énoncé formel au lieu de cet énoncé. Cette production dépend toutefois de conditions spécifiques : pratique régulière de débats entre pairs organisés à l’occasion de bilans de savoirs collectifs finalisés par la production d’un écrit collectif, pratique régulière du calcul mental (et donc d’un travail quotidien de techniques opératoires), explicitation des méthodes rencontrées lors des activités mathématiques. Le débat entre pairs et le recours à l’écrit constituent deux outils de distanciation par rapport à l’action. Les travaux de didactique des mathématiques (Perrin-Glorian, 1992) et de sociolinguistique (Bautier, 1995 ; Lahire, 1993) ont montré qu’une prise de distance insuffisante par rapport à l’action de la part de l’élève pouvait constituer une source majeure de différenciation.
43Le second intermédiaire étudié dans le chapitre 8 porte plus particulièrement sur l’impact d’une pratique régulière de calcul mental sur les outils heuristiques et les stratégies de résolution de problèmes numériques. Dans les conditions que nous venons d’exposer, l’analyse de textes produits par les élèves concernés par l’ingénierie décrite plus haut montre que certains d’entre eux construisent et mobilisent des outils de résolution de type pré-algébrique lorsqu’ils éprouvent des difficultés.
44Dans les trois derniers chapitres, en nous référant à d’autres travaux que nous avons menés sur les pratiques des professeurs d’école enseignant les mathématiques en ZEP, nous analysons la portée et les limites des résultats obtenus.
45Trois caractéristiques au moins distinguent l’approche que nous avons choisie dans notre recherche de celles habituellement adoptées dans les travaux de didactique des mathématiques.
- Nous avons mobilisé des éléments d’autres cadres théoriques (psychologie cognitive et sociolinguistique notamment) pour construire notre démarche didactique.
- Nous avons utilisé des résultats de recherches concernant tous les élèves pour étudier les élèves en difficulté, en particulier scolarisés en ZEP/REP. Après avoir mis en évidence des difficultés spécifiques à l’apprentissage d’un contenu donné, nous analysons comment elles se manifestent chez les élèves rencontrant en général des difficultés en mathématiques.
- Enfin, pour étudier divers cheminements cognitifs susceptibles de favoriser les apprentissages de ces élèves en difficulté, nous avons construit des ingénieries qui provoquent l’existence d’étapes inhérentes au processus de conceptualisation. Cela nous permet à la fois de dévoiler et d’analyser ces étapes.
Notes de bas de page
1 L’école élémentaire française scolarise les élèves à partir de 6 ans. Elle comporte deux cycles. Le cycle 2 réunit la grande section de maternelle (GS, enfants de 5 à 6 ans) et les deux premiers niveaux de l’école élémentaire : le cours préparatoire (CP, enfants de 6 à 7 ans) et le cours élémentaire première année (CE1 : 7-8 ans). Le cycle 3 comporte trois niveaux : le cours élémentaire deuxième année (CE2 : 8-9 ans), le cours moyen première année (CM1 : 9-10 ans) et deuxième année (CM2 : 10-11 ans)
2 Les deux premières années de collège correspondent aux classes de 6e (enfant de 11-12 ans) et 5e (12-13 ans)
3 ZEP : Zone d’Éducation Prioritaire, désignée aussi sous le terme de REP (Réseaux d’Éducation Prioritaire) ; regroupement d’établissements scolaires (écoles maternelles et élémentaires, collèges et lycées) scolarisant des élèves issus de milieux socioprofessionnels défavorisés et bénéficiant de moyens supplémentaires.
4 Nous empruntons le terme domaine d’expérience à Boero (1989)
5 Voir aussi Lethielleux (1992)
6 Nous utilisons le terme de cheminement cognitif pour décrire des étapes inhérentes au processus d’acquisition d’une notion mathématique effectivement empruntées par des élèves. Nous l’utilisons aussi pour décrire la succession et l’organisation de ces étapes. Nous retenons des travaux de Robert (2001) l’expression “itinéraire cognitif” pour désigner les cheminements potentiels proposés aux élèves par le professeur.
7 Il s’agit ici de dispositifs d’enseignement spécifiques d’un contenu donné. Ils sont élaborés par le chercheur afin d’analyser les liens entre enseignement et apprentissage de ce contenu. Ils sont également construits pour améliorer les apprentissages des élèves concernés par l’expérimentation.
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Le calcul mental entre sens et technique
Ce livre est cité par
- Sayac, Nathalie. (2016) Former à l'égalité : défi pour une mixité véritable. DOI: 10.3917/har.renot.2016.01.0055
- Constantin, Céline. Coulange, Lalina. (2019) La multiplication et la propriété de distributivité au primaire : une entrée dans la pensée algébrique?. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 20. DOI: 10.7202/1055726ar
- Jaworski, Barbara. Lerman, Stephen. Robert, Aline. Roditi, Éric. Bloch, Isabelle. (2018) Theoretical Developments in Mathematics Education Research: English and French perspectives in contrast. Annales de didactique et de sciences cognitives. DOI: 10.4000/adsc.293
- Viné Vallin, Valérie. (2020) Médiation sur la notion d’âge destinée à des élèves déficients intellectuels. Annales de didactique et de sciences cognitives. DOI: 10.4000/adsc.516
Le calcul mental entre sens et technique
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