Introduction générale
p. 11-14
Texte intégral
1L’information d’actualité, après les déréglementations des années 1980 qui ont modifié l’offre audiovisuelle, a été fortement bouleversée par le développement de l’Internet. Elle a connu depuis 20 ans d’importantes évolutions dont témoignent le surgissement de nouveaux supports et de nouvelles offres qui modifient les pratiques d’information désormais presque systématiquement connectées et mobiles.
2Mais on aurait tort de penser que cette évolution ne provient que des changements techniques : la chute brutale du crédit de tous les médias après la guerre contre l’Irak en 1991, la mise en cause des conglomérats dans les années 1990 et la montée de nouvelles aspirations à un journalisme plus participatif ont trouvé dans l’Internet un outil pratique de transformation de l’information qui reposait aussi sur la mise en cause de la légitimité des journalistes. Le « public journalism » et le « new journalism » aux USA, puis le surgissement du quasi slogan inspiré du livre de Dan Gillmor « we, the media »1 ou sa traduction en cet autre slogan « tous journalistes » au début des années 2000, sont des indicateurs de ces aspirations à une autre manière de faire du journalisme et de produire de l’information. Ainsi de nouveaux supports se sont-ils rapidement développés, les « pure players » (journaux qui n’existent qu’en ligne), les blogs de journalistes ou de particuliers avec parfois de grands succès dans la décennie 2000-2010. Après 2010, le développement des « réseaux sociaux » a suscité des formes collaboratives de production des contenus depuis les rubriques de fact checking comme « les décodeurs » du monde.fr jusqu’au travail de déchiffrage des millions de documents révélés par des lanceurs d’alerte en passant par le datajournalism. Toutes ces pratiques, toutes ces formes renouvelées d’informations attestent de la vitalité du journalisme qui s’ajuste et s’invente en permanence2.
3On aurait tort aussi de considérer ces évolutions comme l’expression d’une radicale nouveauté, une rupture qui interdirait d’en chercher le sens ou les orientations dans le temps long de l’histoire des médias d’information. Plutôt que de comparer l’époque contemporaine avec le passé, il est préférable de replacer les innovations, les expérimentations dans un continuum, celui d’une histoire de l’information en prise avec les transformations de la société. La tâche est immense car tout, ou presque, semble touché par ces changements : le rapport aux sources et leur multiplication, la concurrence des producteurs d’information, les stratégies énonciatives, les modes d’argumentation etc. Ainsi, de plus en plus de journalistes cherchent la matière première de leurs sujets auprès des internautes (crowdsourcing), se trouvant ainsi en position de veille sur les réseaux sociaux. Effectivement, la recherche de l’effet suscité par leur publication et manifesté par le nombre des commentaires, des citations, par la « viralité » ou le buzz, intervient dans le travail d’écriture ou de traitement de l’information. Mais ces phénomènes ne sont pas tout à fait nouveaux : pas de journalisme sans informateurs, sources autorisées ou confidentielles, réseau de correspondants, recherche du scoop qui sera repris par tous et phénomènes de circulation circulaire de l’information. La nouveauté se trouve peut-être dans l’effet de seuil de ces évolutions au point que la place des journalistes ne cesse d’être questionnée.
4Faire le point sur les transformations des pratiques d’information et donc sur la nature ou le périmètre de l’information a constitué l’objectif d’un colloque international qui s’est tenu à Lyon en mars 2014 sous l’égide du Groupement d’Intérêt Scientifique sur le journalisme. Pour saisir les trans-formations en cours, la perspective était résolument pluridisciplinaire ; elle a permis de partager des recherches dont la diversité des approches, des objets et des méthodes démontrent la richesse et l’intérêt.
5Parmi les phénomènes qui interpellent les chercheurs, il s’en trouve deux qui sont au départ de ce livre. Le premier repose sur la multiplication des reprises qui obtiennent désormais une visibilité et une résonance importantes dans l’espace public : par la dissémination sur différents supports, les re-publications, citations, commentaires, polémiques, détournements ou plaisanteries sur les plates- formes des réseaux sociaux, ces échanges et appropriations semblent acquérir à leur tour le statut d’information.
6Le second, lié au premier, mais distinct, repose sur ce qu’on peut appeler les « métamorphoses » de l’information en partie attachées à sa circulation, à ses usages, à sa plasticité. Comme toujours, l’information circule mais avec le développement des technologies numériques, elle est plus que jamais modifiée, actualisée, discutée, partagée, fragmentée, décontextualisée au point qu’il est légitime de s’interroger sur sa définition, son périmètre, son statut. De même que, dans le passé, des innovations techniques, souvent liées aux moyens de transport et de télécommunication, ont transformé certains genres par l’effet d’une sorte de mue (comme le furent jadis le reportage dans la presse écrite ou naguère la retransmission en direct à la télévision), l’information d’actualité, du fait de l’immédiateté de la transmission, des possibilités ouvertes par l’Internet et le web 2.0, et de la crise concomitante de la légitimité des journalistes, connaît bien une sorte de métamorphose.
7L’ambition de ce livre est donc de rendre compte des déplacements, des ajustements, des redéfinitions de la notion d’information d’actualité à travers laquelle se joue une grande partie de la définition professionnelle du journalisme. Les questions qui y sont posées concernent la nature de l’information d’actualité et ses transformations, en lien avec les dispositifs, les usages, les pratiques des professionnels et des amateurs, les flux et les relations plus ou moins distendues à l’événement. Ces questions se posent avec force, et concernent tout autant les médias « traditionnels » que les nouveaux venus, la mise en récit de l’information autant que sa mise en image, son discours autant que les discussions ou appropriations dont il fait l’objet. Informer avec Internet ce n’est donc pas, ou pas seulement, l’information en ligne mais bien plutôt l’observation de la reconfiguration d’un écosystème informationnel au sein duquel l’Internet joue un rôle considérable depuis maintenant plus de 20 ans.
8Malgré la focale choisie dans cet ouvrage, celle des reprises et métamorphoses de l’information, le champ des recherches est vaste car il faut saisir tout à la fois les transformations juridiques qui encadrent l’exercice de la profession, les pratiques professionnelles qui utilisent de nouveaux outils, les discours ainsi produits, de l’énonciation à l’argumentation, et de nouvelles formes esthétiques qui en surgissent. Les contributeurs de ce volume ont investi ce vaste champ de recherche ; ils posent des jalons, expérimentent des méthodes, soutiennent des propositions théoriques, présentent des résultats qui pourront être repris, discutés, prolongés puisque les recherches ne peuvent prétendre épuiser leur objet.
9Les quatre parties de ce livre construisent un parcours exploratoire autour des questions posées par les transformations de l’information et chacune des parties est introduite par quelques pages qui mettent en perspective les chapitres. Les interrogations méthodologiques fortes concernent toutes les recherches contemporaines, et donc aussi toutes les contributions qui sont réunies ici, mais se trouvent privilégiées dans la première partie. Celle-ci met en exergue la nécessité de croiser différentes méthodes ; l’analyse fondée sur des données numériques est articulée à des études d’usages ; l’approche ethnographique est combinée à l’analyse linguistique d’une pratique quotidienne d’écriture. Les pratiques contemporaines sont aussi susceptibles de permettre des réflexions sur les manières dont différents acteurs contribuent à dessiner le périmètre ou la définition de l’information : c’est l’objectif de la deuxième partie. Ainsi les modifications énonciatives peuvent-elles apparaître comme le fondement d’une nouvelle légitimité, les changements des modes d’argumentation comme l’indicateur d’un éclatement de l’espace public : ces perspectives qui interrogent la manière dont les citoyens entrent dans le jeu médiatique sont réunies ici dans la troisième partie. Enfin, l’explosion d’une circulation des images hors de tout contrôle des médias fait l’objet de la dernière partie, comme l’indice d’un bouleversement de la constitution des publics à partir des médias, comme on le pensait depuis Alexis de Tocqueville3 ou Gabriel Tarde4, parce que les "publics" ne sont plus seulement façonnés par les médias mais par une circulation qui leur échappe.
10Alors qu’au commencement de ce livre, il est surtout question de l’actualité proposée par les grands médias d’information, nous avons constaté l’impossibilité de s’en tenir aux pratiques et produits des seuls professionnels de l’information. Si la porosité des espaces sociaux et la difficulté à définir l’information d’actualité ne datent pas d’aujourd’hui, les questions que posent la place prise par les usagers et le rôle joué par les dispositifs nécessitent de déplacer notre attention très largement au-delà du monde médiatique. C’est le projet des contributions de cet ouvrage, que d’approcher les façons contemporaines de faire-savoir, de faire-croire et de faire-voir. Car c’est cela tout ensemble l’information.
Notes de bas de page
1 Gillmor D., 2004, We, the Media, O’Reilly Media.
2 Ringoot R., Utard J.M. (dir.), 2005, Le journalisme en invention. Nouvelles pratiques, nouveaux acteurs. Rennes, coll. Res Publica, PUR.
3 Tocqueville A. de, (1840) De la démocratie en Amérique, tome 2, publié avec Souvenirs, l’Ancien Régime et la Révolution. Paris, coll. Bouquins, Éditions Robert Laffont, 1986.
4 Tarde G. (1901), L’opinion et la foule, Alcan.
Auteurs
Elico, Université de Lyon
Elico, Université de Lyon
Elico, Université de Lyon
Elico, Université de Lyon
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