‘Down’ en bristolien non standard : un exemple de condensation
p. 17-28
Résumés
This study aims to evaluate the impact of parameters such as variation and enunciative semantic factors which help understand some specific and familiar uses of the marker down in a Bristolian dialectal variety (mainly) spoken in three suburbs (Beminster, Knowle West, Hartcliffe). The construction considered here is ‘down + a punctual entity’ : ‘down ar muh’ = ‘at / to my mother’s, ‘down ar club’ = ‘at / to my club’, etc. The variety under study is locally called Brizzle and will be referred to as BR, and standard English as ST. This study shows that these uses far from being aberrant are highly appropriate for signalling the status of the relationship between speakers in particular contexts. The construction itself must be considered in so far as it is diachronically derived from the ‘condensation’ of the marker of ‘vagueness’ down and another more precise marker (from, to, at, aboard, etc.) which seems to have been absorbed. This condensed construction implies a closer kind of relationship, a kind of complicity between local speakers which appears to induce a claim of belonging to a social and linguistic group.
Cette étude tente d’évaluer l’impact de paramètres tels que la variation et les opérations énonciatives qui éclairent la compréhension de certains emplois spécifiques et familiers du marqueur down dans une variété dialectale de bristolien principalement utilisée dans trois communes de la banlieue de Bristol (Bedminster, Knowle West, Hartcliffe). On considèrera ici la configuration ‘down + a punctual entity’ : ‘down ar muh’ = ‘at / ‘chez ma mère’, ‘down ar club’ = ‘à mon club’, etc. La variété étudiée ici est localement appelée Brizzle, on aura recours aux abbréviations BR pour cette variété dialectale et ST pour l’anglais standard. Cette étude montre que loin d’être aberrante cette configuration est particulièrement appropriée pour indiquer le statut de la relation entre locuteurs dans les contextes pertinents. La configuration doit elle-même être prise en compte dans la mesure où elle correspond à la ‘condensation’ du marqueur de repérage vague down et d’un marqueur prépositionnel de répérage relativement plus précis (de, à, chez, etc.), qui semble avoir fait l’objet d’une absorption. La configuration condensée implique une relation plus étroite, une sorte de connivence entre locuteurs d’une même localité, ce qui semble relever en certains cas de la revendication d’appartenance.
Texte intégral
1Le présent article propose une étude en cours sur un emploi bristolien du marqueur down dans une variété dialectale de la banlieue de Bristol. Nous utiliserons conventionnellement l’abréviation BR, pour cette variété restreinte à trois communes particulières et ST pour le standard1. La variété BR se distingue à des degrés divers par sa phonétique, son lexique et sa syntaxe. Il n’existe pas d’étude sur ces trois domaines, à l’exception de quelques brefs développements (Hughes et Trudgill, 1979 : 47 – 50 ; Trudgill, 1999 : 92). L’importante littérature variationniste a focalisé son attention sur les relations entre certaines données sociolinguistiques et l’évolution phonétique récente (Kerswill, 2011). On propose ici quelques remarques sur la configuration ‘… down + lieu ponctuel’’ cf. ‘… down ar muh’s’ = ‘chez ma mère’ (Stoke et Green, 2005 : 37), qui vise à concilier variation et énonciation2. A notre connaissance cette configuration particulière du BR n’a pas été étudiée, contrairement à la configuration syntaxiquement homonyme ‘… down + trajet ’ cf. ‘down the road’ qui a fait l’objet de nombreuses études car elle est également utilisée en ST familier. L’étude s’appuie sur un travail préalable portant sur 476 énoncés BR extraits de Stoke et Green (2003 et 2005), vérifiés et glosés par Allison Morrison et Brian Durbin, que je remercie. Je remercie aussi Julian Arloff pour ses gloses des énoncés ST. Ce travail a également porté sur la transcription d’un texte oral due à Hughes & Trudgill (1979 : 48 - 50), des vidéo-clips recueillis sur internet (BBC Radio Bristol), ainsi que des blogs, qui fournissent de nombreux commentaires révélateurs.
2Nous envisageons de montrer que du point de vue de la situation et des opérations énonciatives nous n’avons pas affaire à un emploi aberrant. On rejettera de même la caractérisation courante selon laquelle le BR correspondrait à une corruption de l’anglais standard contemporain3. Nous défendrons l’idée qu’une opération de type ‘condensation’ compresse deux repérages. Paulin (2007 : 95) a montré la pertinence d’une telle opération pour rendre compte de certains verbes dénominaux anglais.
3L’étude présente d’abord quelques données sociolinguistiques, puis certaines propriétés de down comme marqueur de repérage vague. Une parenthèse comparera l’emploi ponctuel et l’emploi linéaire. La dernière partie revient sur certaines conditions facilitantes de l’emploi ‘ponctuel’ en BR.
Données générales
Nouvelles banlieues et communes anciennes
4Dans sa forme la plus marquée, l’utilisation du BR est circonscrite à un micro-territoire de trois communes « anciennes » de la banlieue sud de Bristol : Bedminster, Knowle West, Hartcliffe. Les réalités socioéconomiques et culturelles ont contribué à laisser ce micro-territoire en dehors du brassage qu’induit l’arrivée annuelle de 30 000 étudiants ainsi que celle d’autres immigrants dans Bristol. Les difficultés économiques freinent la mobilité des locuteurs, contribuant ainsi à une ‘densification4’ dans ces communes et induisant une forme de résistance à la standardisation (Milroy et Milroy, 1992 : 6) pour des situations comparables dans d’autres parties du territoire britannique.
Maintenance et standardisation
5Les locuteurs du BR ne restent pas totalement imperméables5 au standard. La résistance évoquée dans la section précédente doit tenir compte des lieux d’exercice du ST. Ce dernier cible sa consolidation sur les enfants et les adolescents dans le cadre des activités scolaires en classe ou, plus tard, sur les adultes dans le cadre de démarches officielles, administratives ou autres. Cette expérience du ST tend à imposer une image défavorablement valuée de relations hiérarchiques du type « maître/élève », « employé d’un service administratif/individu », etc. De son côté, le BR consolide son système, mais en d’autres lieux, la cour de récréation, le foyer familial (impliquant parents ou grands-parents), les voisins proches. L’image est alors favorablement valuée et renforce le sentiment d’appartenance à la communauté. Les modes d’expression ne sont donc pas figés et les conditions d’énonciation ainsi que le statut du coénonciateur doivent être pris en compte.
Down, variété et repérage
Variété et registre
6Une difficulté apparaît lorsque l’on veut procéder à une comparaison entre les variétés BR et ST. En certains cas, BR et ST montrent une certaine convergence cf. he’s gone down the pub, configuration possible en ST et en BR. Les paramètres liés au genre, à l’âge, la position sociale, aux habitudes culturelles, au lieu de l’énonciation entrent également en ligne de compte. Tout en tenant compte de ces limites, on se penchera sur ce qui distingue le BR du ST. Le ST restreint la construction à un nombre faible de lieux (down the pub, down the grocer’s, down the shops alors que le BR admet un éventail plus large de lieux (centre commercial très fréquenté : go down Ikeal, go down Asdal, etc., lieux de restauration (rapide) et bon marché : petezawlut (= Pizza Hut), club de sport, ou lieux déictiquement proches : down yer (= down here).
7On rencontre une seconde difficulté : la version familière en ST et la version soutenue ne disent pas la même chose, ce qui pose problème pour la glose qui se fait généralement en ST. La configuration condensée est certes corrélée à une relation coénonciative plus étroite, mais il faut ajouter un enrichissement et donc une modification sémantique notable.
Down et repérage vague
8Il convient à présent de préciser une propriété générale importante du marqueur down : la mise en place d’un repérage vague. Sa diachronie apporte quelques éléments. Le nom vieil-anglais dūn (= colline) dont est issu down a d’abord été adverbialisé par addition d’un préfixe æf (= off, from) qui s’est morphologiquement réduit à a avant de disparaître. Down a donc d’abord été modifieur verbal, ce qui le privait du statut d’introducteur prépositionnel de groupe nominal et donc de la possibilité de fixer des entités-repères précises dans la situation. Le préfixe æf- a intégré son sémantisme de séparation dans la particule dérivée mais le statut syntaxique de ce marqueur l’empêchait à l’origine de fixer un point de départ. La prise de distance (par rapport au point origine) conduit à impliquer l’approche d’un autre point, mais pour les mêmes raisons syntaxiques down à lui seul ne fixe pas ce second point non plus. A strictement parler down dit un entre deux directionnel. C’est ce qui lui permet de jouer le rôle de marqueur de repérage vague. Ce n’est que très tardivement, vers 1500, selon l’Online Etymological Dictionary, que down a assumé un rôle prépositionnel, ce qui a contribué à ancrer plus fortement son statut de marqueur de repérage vague. La présence significative en système de préposition de repérage précis et stable (from, to, etc.) a contribué à bloquer ce marqueur dans ce rôle d’opérateur vague.
Down atélicisant
9Jackendoff (1990 : 30) oppose deux configurations différentes a) down + trajet cf. « down the road » et b) down + point cf. « to the house ». Il souligne le caractère atélicisant du repérage en down et l’absence de précision associée à down comparée à l’apport de précision lié à to.
10« […] ‘to the house’ is a bounded path, no subparts of it except those including the terminus can be described as ‘to the house’. By contrast, ‘towards the house’ and ‘down the road’ are unbounded paths, any part of which can also be described as ‘toward the house’ or ‘down the road’.
11Le rôle prototypique de to est de conduire l’énonciateur à fixer ou à demander à son destinataire de fixer un lieu que l’on peut idéaliser sous la forme d’un point, ce qui a pour conséquence d’identifier la borne terminale du procès à la borne ponctuelle que représente to + the house, alors que le directionnel down met en relief l’idée d’un parcours orienté entre le point de départ et le point d’arrivée d’un intervalle, sans pouvoir spécifier ces limites (cf.? to the road, ? down the house). Down correspond en fait à une variable dont la valeur peut être confirmée ou laissée implicite, selon le cas (détermination aspectuelle, repérages supplémentaires plus précis, etc.) :
(1) She went down the stairs but stopped…
(2) He went down the stairs and opened the door.
12L’exemple (1) montre clairement l’interruption du procès par rapport à sa visée d’accomplissement, cette interruption est signalée par but stopped et (2), au contraire confirme l’interprétation d’accomplissement. Lorsque le trajet est de taille considérable et semble excéder les possibilités habituelles de l’expérience, il convient de compléter directement le repérage :
(3) Winnie the Pooh and his friends […] journey down the River Severn.
(4) Winnie the Pooh and his friends […] journey down the River Severn from source to sea » […]. (www).
13En (3), étant donné la longueur de la Severn, en l’absence de spécifications, l’interprétation la plus probable, non marquée, est le parcours d’une portion de la rivière, ce qui n’est plus le cas pour (4), qui signale un repérage supplémentaire marqué. L’ajout de from… to… force la réinterprétation vague de down. Ce qui confirme le caractère vague de down lorsqu’il est employé seul.
14Kerswill, dans une conférence présentée à Londres en 2011, a recours au down de proximité vague. Il évoque avec empathie les travaux de collègues qui travaillent dans une université voisine : « it’s the fruit of research […] carried out by colleagues at Queen Mary University London which is down the road from here… » (… des recherches conduites à l’université Queen Mary London, située un peu plus bas dans la rue).
Avantages d’un repérage vague
15Pour en revenir au repérage via une entité non linéaire (down the pub, etc.), soulignons le fait qu’il y a plusieurs avantages à recourir à un marqueur de repérage vague. Si go down the pub sous-entend nécessairement qu’on se rende dans cet endroit (go to the pub), cette donnée se trouve absorbée dans l’opération de condensation. La caractérisation ‘vague’ affichée par down recouvre alors la caractérisation ‘précise’, qui se trouve coénonciativement disqualifiée. L’appartenance au même micro-territoire rend superflue la précision géographique des lieux évoqués. La mise en sommeil de la localisation précise s’accompagne d’un gain en ouverture du champ interprétatif : le sens s’en trouve modifié. Les critères de proximité ou d’approximation l’emportent, induisant par là-même une certaine subjectivité. A l’inverse, go to the pub suggère le déplacement dans une relative neutralité objective. Le trajet et l’arrivée sont alors uniquement donnés pour eux-mêmes. En revanche, la configuration condensée he’s gone down the pub replace l’événement dans un contexte d’expérience routinisée. Le sens origine de pub (public house) est alors en quelques sortes ravivé. Un champ interprétatif plus riche s’ouvre, celui d’un lieu de rencontres fréquentes, conviviales. Le pub devient lieu de partage, de consommation, de conversation, de jeux. Cette nébuleuse d’activités positivement valuées éloigne de manière significative du strict sens de déplacement physique go to6 the pub. Ce que l’on perd en précision topographique est compensé par des connotations d’émotions partagées.
16Ceci invite à focaliser l’attention sur la nature des lieux impliqués Certains d’entre eux inhibent la condensation. C’est le cas, par exemple de cellar, dans go down to the cellar (descendre à la cave), l’effacement de to est rendu difficile en raison de l’interprétation littérale de la descente concrète à la cave et le caractère peu convivial de ce lieu (? go down the cellar). Il en va de même avec Go down the bank avec l’interprétation de bank comme « établissement bancaire ». En revanche, I’m going down ø the grocer’s, redevient possible, avec son programme attendu : idée de « proximité » (cf. chez l’épicier d’à côté, du coin, habituel, ou l’hypocoristique petit épicier). Dans la perspective d’une subjectivité enrichie, I went down ø the shops signifie je suis allé faire les boutiques, impliquant un ensemble flou de situations (se tenir au courant de la mode, converser avec les vendeurs sans nécessairement acheter, se distraire, connaître des expériences familières, agréables) et non un simple trajet linéaire. En français oral familier, c’est le verbe sémantiquement déplétif faire qui code le statut de la relation.
Condensation et BR
Conditions facilitatrices du recours à la condensation en BR
17Comme nous venons de le voir dans la section précédente, la condensation au profit de down permet de replacer les opérations dans une cohérence liée à la nature des expériences communes routinisées, dans un territoire lui-même réduit. On note corrélativement une forte proportion de pronoms renvoyant aux protagonistes de l’échange énonciatif : I, ’ee (= thee), indices de relations étroites entre énonciateur et coénonciateur. On remarque une fréquence non négligeable de possessifs liés à la première ou la seconde personne (ar club = my club, yourn = yours). Les anaphoriques sont majoritairement mis à contribution : he, she, it. Les noms de lieu quant à eux sont ou bien typiquement déterminés par l’article défini the chippylut (= the fish and chips shop), the shop, the pub, the dentist, etc. ou bien définis sémantiquement comme des lieux de proximité connus de tous dans le micro-territoire, commerces locaux tels que : Petzalwlut (= Pizza Hut) Asdawl (= Asda), Ikeal (= Ikea), SS Gurt Biggun (SS Great Britain) etc.
Quelques exemples
18Nous pouvons à présent analyser quelques exemples plus en détail. Dans chaque cas, les données confortent le choix de la condensation. Le site d’énonciation et les lieux des procès sont typiquement ceux où vivent ces locuteurs, ces derniers les connaissent et se [re]connaissent en eux (procès routinisés et non étrangers aux habitudes locales).
(5) Why casn’t thee go down the shop ? [graphie de Stoke et Green]
Le statut de la relation coénonciative est affiché d’emblée (cf. l’emploi de thee), énonciateur et coénonciateur se connaissent bien et partagent un nombre suffisant de données. Par ailleurs, dans les communes anciennes, les routines sont facilement ancrées : il est plus facile de s’attacher à telle boutique que l’on fréquente, souvent depuis des années, à tel commerçant en qui la famille a confiance parce qu’elle le connaît bien.
(6) I got ee down Ikeawl, smart innit ? [graphie de Stoke et Green]
19En (6), énonciateur et coénonciateur se connaissent. Le statut de la relation coénonciative est donné par la recherche de connivence explicitée par le tag « smart innit ? ». Le nom de la grande surface Ikea est prononcé de manière spécifique à la région avec un [l] final épenthétique. Cette grande surface fait partie des connaissances partagées. Elle est connue pour être un lieu de commerce intéressant du point de vue économique. L’indice de condensation down permet ici deux lectures : dans l’une, on se transporte mentalement du lieu de l’énonciation vers le lieu de l’achat, cet emploi de down est à interpréter comme un at qui stabilise l’intérêt de la prédication sur ce point. Dans l’autre interprétation, le lieu de l’achat devient le lieu origine d’un transport, l’objet acheté chez Ikea est vraisemblablement à présent dans le lieu de l’énonciation. La condensation a cette fois absorbé un repérage de type from. Le programme de down recouvre celui de from, mais quelle que soit l’interprétation, en raison du repérage vague retenu, ce qui importe est ce qui est affiché : une relation de voisinage, de familiarité par rapport au centre commercial Ikea et la relation coénonciative étroite, car partagée.
(7)BR I went down the SS Gurt Biggun wiv scaw. [graphie de Stoke et Green]
(7’)ST I went aboard the SS Great Britain with the school.
20Bristol est un port et localement le navire Ship Great Britain y est très connu, comme le Victory, à Portsmouth, par exemple. La visite du Great Britain est un classique pour les écoliers de la ville, une véritable routine. Il est possible de louer le navire pour des banquets de mariage, ou des expositions de peinture. Expliciter à l’aide de aboard la simple montée concrète à bord de ce bâtiment serait possible mais ferait disparaître l’intérêt subjectif de la visite, la relation de familiarité et gommerait la connivence entre les deux jeunes locuteurs impliqués, c’est-à-dire entre énonciateur et coénonciateur.
Limites de l’emploi de down
Limites lexicales
21En raison des inférences qu’elles appellent, certaines constructions, même en BR, n’ont pas recours à down, comme dans I gotta go ’a bed, dans laquelle ’a correspond à la forme réduite de to. On pourrait s’étonner de cet emploi de to dans la mesure où aller au lit renvoie à une routine. En fait, l’absence de détermination de « ø bed » rapproche cet emploi de la modification verbale. Sans être verbal, bed évoque le procès aller se coucher plutôt que le lieu ou le meuble proprement dits. Il faut ajouter que la caractérisation objective de go to bed ne correspond ni à une activité significative sociologiquement, ni à un événement particulièrement valorisant. Aller au lit ne constitue pas un enjeu socio-culturel particulièrement susceptible de représenter un signe d’appartenance, alors que ce serait plus le cas avec down ar club (à mon club = le club que j’ai choisi dans ma commune). Il s’agit alors du club de proximité qui distingue l’énonciateur.
22Les énoncés (8) et (9) semblent en partie un peu différents.
(8)BR Get ar ole man to the ospidal, ee’s aven an arrtack [graphie de Stoke et Green]
(8’)ST Take my father to the hospital he is having a heart attack.
(9)BR Goen ’a scaw safternun or not ? [graphie de Stoke et Green]
(9’)ST Are you going to school this afternoon or not ?
23Des lieux tels que l’hôpital et l’école sont ressentis comme étant éminemment institutionnalisés et n’entrent pas dans une relation pertinente pour définir et caractériser l’appartenance singulière des locuteurs du BR. A l’inverse le locuteur qui fréquente le pub est un « regular ». Dans certains pubs de Bedminster il est conseillé d’être parrainé par un habitué, donc connu. Le pub est assez souvent « spécialisé »7, il est choisi pour son « atmosphère », son type de clientèle (parfois à risque), le type de bière qu’il privilégie (« cheap national beers vs local beers », ou son cidre (la variété « un-local » pouvant constituer un défaut pour certains). Certains pubs sont étroitement associées aux équipes sportives locales et arborent trophées et écrans plasma, d’autres sont liés à des activités ludiques (fléchettes = darts, ou jeux de cartes = cribbage, etc.). D’autres encore attirent les admirateurs de telle personnalité ou vedette cf. The Princess of Wales à Bedminster. Ce qui fournit des indices sur l’atmosphère du pub en question. Ceci montre que le regular s’engage par un choix qui le caractérise. Son pub le valorise, le distingue. Ceci n’est pas du tout le cas pour les procès aller à l’hôpital ou à l’école. L’école est le lieu de l’écrit, et par définition le lieu du maintien du standard, le choix de down devient dans ce cas problématique. Ceci montre a contrario que l’emploi de down n’est ni situationnellement ni énonciativement aveugle. Il a également une résonance éminemment sociale.
Limites sémantico-syntaxiques
24L’importance du statut de l’énoncé (assertif, interrogatif, etc.) est également à prendre en compte comme le montrent les exemples suivants :
(10)BR Wheres goen to muh ? [graphie de Stoke et Green]
(10’)ST Where are you going, mum ?
(11)BR Tell I when wedda get ta where ee is [graphie de Stoke et Green]
(11’)ST littéralement : Tell me when we (do) get to where he is.
25En (10) et (11), le questionnement porte précisément sur le lieu. Ce dernier n’est donc pas considéré comme connu ou familier et ne peut donc faire l’objet d’une connivence entre l’énonciateur et son coénonciateur, encore moins d’une revendication. En conséquence, le repère down n’est pas pertinent dans cette configuration et c’est le repère prépositionnel to (ou son équivalent morphosyntaxique) qui est retenu.
26Dans certaines configurations, to (ou son équivalent morphosyntaxique) n’est pas spatial, on s’attend donc à ne pas trouver de condensation en down dans ce cas : I said toom (to him) ou be nice to I. To ici introduit les bénéficiaires, il ne s’agit pas de lieu. La problématique de la valorisation n’est plus pertinente.
Conclusion
27L’emploi de down signale des repérages directionnels approximatifs propres à favoriser des inférences, à l’inverse, le standard explicite ou récupére contextuellement les sous-repérages porteurs de précision. Les conditions courantes d’énonciation du BR accordent un statut prépondérant aux paramètres de familiarité, de connivence, de voisinage, d’interaction sociale entre membres locuteurs des communes anciennes. La carte réduite du micro-territoire, le nombre limité des participants qui se connaissent bien, ainsi que celui des lieux impliquent des situations routinisées qui facilitent l’emploi de la forme condensée down + lieu ponctuel. Une condition et une conséquence sont à envisager : la condition correspond à la notion de « conventionalisation » au sens de Strawson (1972 : 26) « the appropriate person in the appropriate circumstances », la conséquence est une revendication identitaire plus ou moins délibérément affichée à un moment où l’emploi du standard symbolise une évolution socio-économique difficile, vécue comme une agression venue de l’extérieur (disparition d’entreprises, véritables références telles que Cadbury, ou de l’industrie aéronautique Concorde, etc). Une ouverture intéressante caractérise l’avenir du BR : à travers ses réseaux sociaux, internet semble fournir un support nouveau à une variété stigmatisée et redonner une certaine vigueur à un parler généralement considéré comme en voie d’extinction.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Ou une autre variété de bristolien de plus en plus influencée par le standard, associée à la « gentrification » de certaines enclaves anciennement ouvrières cf. Stoke et Green (2005 : 2).
2 On n’entrera pas dans les détails techniques de la théorie, on s’inspirera ici d’une manière assez générale de l’approche énonciative culiolienne.
3 Le BR se distingue plus par des vestiges du West Saxon, variété prestigieuse au 10e siècle et des usages puritains (quakers 17e siècle) liés à un égalitarisme défiant la monarchie, dont il reste peut-être des traces inconscientes dans la posture résistante adoptée par les locuteurs du BR.
4 Milroy et Milroy opposent densification et diffusion d’une variété (1992 : 6).
5 Le BR n’est pas totalement homogène et l’expression orale des locuteurs peut faire l’objet de variations émotives cf. « […] local features of pronounciation seem to become more frequent when she becomes excited » Hughes et Trudgill (1979 : 48)
6 Groussier (1984 : 413) rappelle que ce to remonte à une racine indo-européenne *dō associée à la notion de « jonction », ce qui lui permet la spécification précise d’un repérage de type « point d’arrivée »
7 Voir le site qui recense les pubs de Bedminster et en résume les caractéristiques. Les commentaires de certains regulars expliquent la relation étroite qui existe entre eux et leur pub.
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