Le corps démembré dans le théâtre d’Elfriede Jelinek
p. 127-141
Texte intégral
1Les pièces de l’Autrichienne Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature en 2004 récompensée « pour le flot musical de voix et contre-voix dans ses romans et ses drames qui dévoilent avec une exceptionnelle passion langagière l’absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux », se rangent dans le genre théâtral des Sprech- ou Sprachstücke, un théâtre de ou sur la parole. Transposition sur scène de la littérature concrète et expérimentale, ce genre théâtral introduit par le dramaturge autrichien Peter Handke se concentre sur la langue comme médium de compréhension du monde en étudiant les liens entre réalité langagière ou littéraire et réalité du monde, c’est-à-dire la production de notre réalité par le biais de la communication langagière - un système d’ordre et de domination établi. Le Sprechtheater se donne donc pour objectif de « brise[r] les icônes du monde qui cherchent à paraître éternellement vraies »1, de déconstruire sur scène les mythes pour faire ressurgir la vérité historique. Elfriede Jelinek applique ainsi la théorie de Roland Barthes qui, dans Mythologies2, énonce le travail du mythologue « condamné au métalangage »3. L’auteur qui cherche à déconstruire les mythes est réduit au commentaire sur ce qui a déjà été dit, à la redite critique et distancée. C’est le principe de démythification. Selon le sociologue, pour déconstruire un mythe, il faut ainsi reproduire son mécanisme en changeant le contexte :
2« Si j’accommode sur un signifiant plein, dans lequel je distingue nettement le sens de la forme, et partant la signification que l’une fait subir à l’autre, je défais la signification du mythe, je le reçois comme une imposture […]. Ce type d’accommodation est celui du mythologue : il déchiffre le mythe, il comprend une déformation4. »
3Dans son discours Écoutez ! (Hören Sie zu !5), Elfriede Jelinek propose son interprétation du Sprechstück. Afin de déconstruire le discours caché derrière l’omniprésence des images dans notre société (les « icônes du monde » de Peter Handke), ses personnages, ou plutôt surfaces langagières, viennent dire sur scène ce que véhiculent les médias de masse. Or, si son théâtre évacue le corps de l’acteur-personnage au profit de ces surfaces de langage, il fait néanmoins du corps en général un des points centraux de la dramaturgie jelinekienne. Cependant, ce n’est pas le corps dans son intégrité humaine, rattaché à une personne, qui est disséqué sur scène mais bien des corps violentés, massacrés et plus précisément démembrés, sans identité précise, qui hantent la mise en scène comme le corps du texte. Quelles images viennent alors pourchasser le public à travers cette dissociation du corps et de la voix ? En prenant appui sur les pièces les plus récentes d’Elfriede Jelinek, j’analyserai comment la conjuration de corps démembrés sur scène et dans le texte permet à la dramaturge à la fois de dénoncer le phénomène postmoderne de la violence banale et spectaculaire telle que la comprend le sociologue Jean Baudrillard et de faire du théâtre un lieu de mémoire.
La montagne des morts (« Totenberg ») : charniers et compagnie ou l’ombre d’Auschwitz
4Que le tableau préféré de Jelinek soit Le Petit Jugement Dernier de Petrus Paulus Rubens6 n’est pas chose anodine. Dans cette peinture, on voit tout en haut Jésus élevant les âmes et les êtres humains en vie vers le Paradis tandis que tout en bas du tableau, des hommes sont happés par les flammes de l’Enfer. Dans la partie centrale de la toile, de nombreux corps complètement nus ou recouverts de voiles transparents forment, en s’élevant, une sorte de montagne de corps, plus ou moins cadavériques, tellement entrelacés qu’il devient difficile, par endroits, de distinguer à quelle personne appartient tel ou tel membre. Il semble que l’auteur ait une réelle prédilection pour les images évoquant ces amas de corps désarticulés7.
5Et c’est en effet un constat qu’on peut appuyer dès Totenauberg. Au chalet de Heidegger (1991), pièce hantée par les discours de Martin Heidegger et d’Hannah Arendt, et dont le titre lui-même évoque une « montagne de morts » (Totenberg) propre à rappeler les charniers présents dans des camps de concentration comme Auschwitz. L’image est d’ailleurs confirmée dans les indications scéniques du troisième tableau « Le monde de chez nous », dressant un décor qui transforme les Alpes en un charnier et ossuaire :
6« À l’écran un gros plan sur la montagne. Sur ses flancs, des corps déchiquetés en tenues de sport éclatantes […]. Les corps sont partiellement décomposés, il ne reste pour ainsi dire que des squelettes8 ».
7L’image voit ensuite son prolongement satirique et satyrique dans Aire de repos ou ainsi font-elles toutes (1994), reprise hyperréaliste de Cosi fan tutte, dont l’action se déroule à « Zwillingsgipfel » (au « sommet jumeau ») et dans laquelle les protagonistes sont également dépecés, dévorés et rongés jusqu’à l’os : « L’ours [l’un des maris déguisés] est assis sur ses pattes arrière, un être tout à fait animal, il dévore un joli petit cadavre dont on ne voit pas bien ce qu’il représente, un animal ou un être humain9 ». À la fin de la pièce, « le groupe s’est installé par terre. Ils ont dévoré des morceaux de viande des animaux et commencent à ronger les os. […] À l’arrière-plan, l’orgie des dévoreurs qui jettent les os par-dessus leur épaule10 ».
8Il faut souligner que, dans ces pièces, la présence scénique ou vocale de cadavres correspond à une évolution finale ou presque finale du drame puisque leur apparition survient à la fin du texte théâtral. A partir d’Une Pièce de Sport (1998), pamphlet sur le sport comme phénomène de masse, l’auteur change la donne et introduit ces visions macabres dès l’entrée de la pièce. Alors que le corps démembré symbolisait ce qu’il fallait déterrer et finir par découvrir et comprendre au fil du drame, dans les pièces plus tardives, il devient une priorité, un axe de compréhension globale du texte théâtral, le dominant et assurant, par sa récurrence quasi permanente, sa présence encore et toujours dans le présent de la pièce ainsi que dans l’actualité. Dans Une Pièce de sport, le corps torturé et sacrifié apparaît sous la forme d’Andy/Arnie, fan de Schwarzenegger décédé après avoir succombé à un excès de culturisme tandis que sur scène, tout au long de la pièce, les personnages se rouent de coups et jouent avec des membres visiblement humains, comme ce paquet improbable introduit en début de pièce comme arrière-plan continu :
9« Une femme, la quarantaine, et un jeune sportif rentrent sur scène et piétinent un paquet sur le sol, ils le lancent, le frappent également avec des crosses. – Le paquet est ensanglanté. Par la suite, il vaque néanmoins à des activités habituelles, ou plutôt ses lambeaux vaquent, tant qu’on le laisse faire, il fait du rangement, prépare à manger, lit, des choses tout à fait quotidiennes, le paquet essaie également de regarder la télé, etc11 ».
10Dans cette indication scénique, qui se veut plus poétique que scénographique, les corps démembrés, symboles des victimes du sport comme moyen de propagande médiatique et donc victimes de toutes les propagandes, survivent encore et ressurgissent tels des revenants sur scène (esthétique chère à Elfriede Jelinek) bien que ceux qui ont la parole, et donc le pouvoir, ne les utilisent que pour leur divertissement et le divertissement des masses.
11Dans les pièces de théâtre des années 2000, même quand celles-ci font l’objet de moins en moins d’indications scéniques de sorte que la symbolique des décors et du lieu s’intègre alors dans la logorrhée des surfaces langagières, le corps mis à mal devient en lui-même thème du drame. Ainsi la pièce Dans les Alpes (2002), revenant à la thématique de la montagne et par ce biais à la montagne des morts, fait du parallèle entre les victimes carbonisées de l’accident de téléphérique du Kitzsteinhorn survenu en 2000 à Kaprun et les victimes des camps de concentration nazis le fil conducteur du développement de la pièce. La montagne ou le chariot des morts forme donc une masse informe, entre ossuaire et Golgotha, amoncellement de victimes indifférenciées réduites à des bouts de chair qui projettent en négatif le spectre d’Auschwitz.
De l’impossibilité de représenter l’horreur : l’omniprésence d’Auschwitz
12Plus encore que l’histoire ou la période du fascisme, c’est très exactement Auschwitz qu’incarnent ces corps démembrés qui hantent le théâtre d’Elfriede Jelinek, ou l’image collective que ce camp de concentration a laissée, c’est-à-dire un lieu et ses habitants exterminés ou voués à mourir, plutôt qu’une période historique. Auschwitz, dont le nom seul possède une grande puissance évocatrice, opère en négatif, à la manière de Todtnauberg, Kaprun ou Bambiland, comme un « lieu mythique », cette fois-ci lieu du résultat réel d’une propagande, lieu caché sous le nazisme puis grandement médiatisé après la fin de la Deuxième Guerre mondiale comme le symbole suprême des exactions nazies. La dramaturge continue ainsi sur la lancée de grands auteurs comme Paul Celan, Primo Levi, Tadeusz Borowski et Jorge Semprun qui s’opposèrent à la célèbre phrase du philosophe Theodor Adorno « écrire un poème après Auschwitz est barbare12 » en n’écrivant plus que sur Auschwitz.
13Forte de cette tradition, Elfriede Jelinek se dit « furieuse de colère envers la minimisation »13 et s’en prend au journaliste et écrivain juif Henryk Modest Broder pour avoir annoncé en quelque sorte ‘la fin d’Auschwitz’, c’est-à-dire la fin du devoir de mémoire en rapport aux camps de concentration14. Elle exprime ainsi sa peur du processus propre à l’ère postmoderne qui prend un événement historique, passer par le formatage médiatique pour en faire un objet banalisé, inoffensif et insipide, en somme consommable, ne lui laissant plus que son nom, devenu un signe vidé de son signifié. Elfriede Jelinek met en place, dans ses œuvres, toute une stratégie pour faire barrage à ce processus et continuer à donner à Auschwitz tout son sens et toute son histoire.
Corps démembrés et processus d’« entpersönlichung » (dépersonnalisation)
14Mais pour la dramaturge, l’horreur d’Auschwitz et de l’extermination de masse ne réside pas seulement dans les exactions commises, mais aussi dans sa production de masse qui réduit la victime à un simple numéro, un corps anonyme, lui enlevant par un même mouvement toute sa dignité humaine.
15Dans Dans les Alpes, la figure du secouriste (« Helfer »), en tant que Charon des temps (post) modernes, s’étend justement sur sa difficulté à identifier (et donc faire la part entre) les corps des victimes15.
16Elfriede Jelinek n’entreprend nullement de les distinguer et de leur redonner leur identité mais, forte de son analogie de toujours qui associe capitalisme et fascisme16, fait plutôt le constat que les charniers et ossuaires sont également le pendant extrême et symbolique du sort que subit aujourd’hui l’individualité, première victime d’un système qui se base sur la propagande mass-médiatique. Le devoir de mémoire se double donc d’une critique de la société postmoderne.
17Comme l’explique Jean Baudrillard, la « société de consommation » se caractérise par une pacification du quotidien par une mise à distance et une neutralisation de toutes choses. Dans son chapitre consacré à la violence, le sociologue résume :
« [L]a quotidienneté « pacifiée » s’aliment[e] continuellement de violence consommée, de violence « allusive » : faits divers, meurtres, révolution, menace atomique ou bactériologique : toute la substance apocalyptique des mass media. […] [L’] affinité de la violence avec l’obsession de sécurité et de bien-être n’est pas accidentelle : la violence « spectaculaire » et la pacification de la vie quotidienne sont homogènes entre elles parce qu’aussi abstraites l’une que l’autre, et vivant toutes deux de mythes et de signes. On pourrait aussi dire que la violence de nos jours est inoculée dans la vie quotidienne à doses homéopathiques – un vaccin contre la fatalité – pour conjurer le spectre de la fragilité réelle de cette vie pacifiée. […] Cette violence-là n’est pas dangereuse : pas plus le sang que le sexe à la une ne compromettent l’ordre social et moral […]. Ils témoignent simplement que cet équilibre est précaire, que cet ordre est fait de contradictions17 ».
18En ce sens, l’horreur, forme extrême de violence, ne peut disparaître simplement parce que le système dominant en a décidé ainsi. Elle ressurgit sous une autre forme, comme l’analyse Baudrillard, sous le mode spectaculaire.
19En 2004, dans Bambiland, avec pour sujet principal ce que Baudrillard appelle le « wartainment », la guerre médiatisée à la manière d’un divertissement, la pièce aborde également une autre forme d’extermination à l’aveuglette de civils innocents : les bombardements massifs américains par missiles balistiques des villes irakiennes. Tantôt c’est le point de vue distant et incrédule du pilote d’avion ou téléspectateur qui s’exprime18, tantôt la voix de lamentations qui vient pleurer (non sans hypocrisie) les corps, tandis qu’on s’aperçoit, au fil du texte théâtral, que c’est l’extermination des corps de missile qu’elle déplore et non les victimes de la guerre19. Les différentes voix du texte esquissent donc un portrait en négatif d’autres corps défunts, oubliés des mémoires et qu’on a tués à l’aveuglette, établissant ainsi un parallèle entre deux guerres qui s’attaquent aux civils et qui utilisent des techniques de pointe servant à la tuerie de masse. De même, le deuxième volet de cette pièce, Babel, privilégie la description minutieuse de différents corps torturés pour revenir sans cesse sur les exactions des guerres d’aujourd’hui. Maintenant, la guerre passe par la souffrance spectaculaire du corps comme conséquence de la médiatisation des conflits internationaux. L’insensibilité et la neutralisation du monde extérieur sont devenues telles qu’elles participent de la montée de la violence consommée, comme la décrit Jean Baudrillard, avec pour point central la torture du corps humain, dernier signe extérieur visible de l’humanité mais aussi, comme semblent vouloir le faire oublier les médias, la plus haute des barbaries. Dans la première partie Irm sagt (Irm dit), la voix résume, non sans ironie, cette nouvelle façon de faire la guerre et d’écrire l’Histoire :
« L’écriture de l’Histoire, le compte-rendu des faits […] a dévié vers le compte-rendu des seins et des chattes, il a cédé sa place. Ce sont les seins et les chattes qui font l’Histoire d’aujourd’hui et tout le monde se précipite pour en faire partie, sans se soucier de combien en font déjà partie, afin de devenir un être historique et l’Être de l’Histoire qui subsiste encore tant qu’il reste dedans, ce n’est pas grand-chose, mais bon, cet être reconnaît donc l’être de l’Histoire quand il se fait corps. […] L’Histoire a transformé des corps de manière industrielle comme l’industrie de fabrication de conserves d’Inzersdorf ou une autre industrie, mais l’histoire contemporaine consiste en ce que les corps qui sont là et qui restent ici, sauf s’ils sont à l’étranger, que ces corps se transforment et se fabriquent les uns les autres. Tuer est devenu chose superflue. Baiser aussi, c’est devenu quelque chose d’impersonnel, vous ne trouvez pas ? Parce que tout le monde le fait, n’importe où et n’importe quand, c’est devenu comme l’histoire qui s’est, comment dire : dépersonnalisée20. »
20À travers l’espace langagier d’Irm, l’auteur fait le bilan d’une société centrée sur le culte du corps et dénonce l’un de ses excès : transformer l’écriture de l’histoire en une histoire de masse, une industrialisation de la production historique qui passe par la production systématisée de victimes en grand nombre, par l’amoncellement indifférencié de corps. Ainsi l’être est-il réduit à son corps et l’Histoire aux nombres de personnes tuées ou torturées, et l’on fait peu de cas de leur identité, l’importance résidant dans la grandeur du chiffre qui, pour faire une bonne actualité et un sujet journalistique intéressant, doit être spectaculaire. En parlant de dépersonnalisation de l’Histoire, Irm met l’accent sur la transformation de l’écriture de l’Histoire, autrefois résumée par l’histoire des grands personnages, penseurs, politiques et autres intellectuels, qui aujourd’hui est devenue une histoire des chiffres, une guerre n’ayant pour principal attrait que son nombre de chars utilisés, de personnes tuées ou encore de jours nécessaires à la victoire de telle ou telle armée. C’est en cela une autre manifestation de la perte des notions d’individualité et de destin personnel. Et pour Elfriede Jelinek, cette nouvelle écriture de l’Histoire rappelle dangereusement une autre période historique où l’on tenta également de chiffrer de manière systématique l’élimination nécessaire des corps, l’industrialisation des processus de massacre, sans aucun respect de l’être humain, réduit à un tas de chair. La dépersonnalisation a pour conséquence, comme le précise Irm, la banalisation et la désensibilisation par rapport aux traitements et au respect apporté au corps qui annoncent, en négatif, une sorte de « fin de l’Homme » et de sa valeur que craignait Francis Fukuyama21.
Obsession du corps violenté/démembré ou comment en finir avec le « deuil raté »
21La montagne ou le chariot des morts constitue donc une masse informe, prompte à l’indifférenciation des victimes et des circonstances de leur mort, participant ainsi au processus de progression spiralaire de l’histoire. En effet, Jean Baudrillard explique dans son essai L’Illusion de la fin ou La Grève des événements22 comment les mass-medias nous font vivre dans une illusion de la fin de l’Histoire en nous présentant l’actualité toujours sur le même mode, comme un ressassement infini. Le sociologue propose néanmoins une solution pour sortir de cette spirale infernale :
« Si nous pouvions échapper à ce moratoire de fin de siècle, à cette échéance retardée qui ressemble étrangement à un travail de deuil, et à un travail de deuil raté, qui consiste à tout revoir, à tout ressasser, tout restaurer, tout ravaler, pour produire […] un bilan universellement positif ; le règne des droits de l’homme sur toute la planète, la démocratie partout, l’effacement définitif de tous les conflits, et si possible l’effacement de nos mémoires de tous les événements ‘négatifs’23 ».
22Au lieu de revenir sur ses erreurs passées, le système dominant ressasse sans cesse les seuls côtés positifs du passé, omettant consciemment les aspects négatifs de son histoire.
23Elfriede Jelinek s’oppose donc à l’oubli lent et progressif d’Auschwitz en « présentant l’horreur » encore et toujours, en la présentant sur le même mode que les mass-média mais en ne parlant que des événements négatifs.
24C’est ce que retranscrivent les trois monologues qui forment la pièce Babel, sur la médiatisation de la guerre en Irak et notamment sur les exactions commises à l’encontre des soldats, terroristes et civils irakiens. Dans Margit sagt, la voix d’une mère d’un monstre (un GI américain) parle de la mode de la chirurgie esthétique et de sa médiatisation, esquissant en négatif les tortures subies par les prisonniers de Guantanamo, et in extenso toutes les victimes d’exactions liées à une guerre idéologique :
« On a besoin des entailles afin qu’une poitrine, oui, celle avec les piercings, […] afin qu’elle puisse gicler, non, ce n’est pas une raison valable, on a besoin d’elle, afin que la croûte n’éclate pas mais qu’elle devienne extra-croustillante au niveau des cicatrices. Elle n’a qu’à l’ouvrir au public et se laisser taillader, face à son horrible plaie, cette anémone ou ce phlegmon ou je ne sais quoi, un sentiment d’horreur vous gagne, mais tout ça en technicolor, s’il vous plaît ! L’horreur haute en couleurs, quand le public afflige à quelqu’un d’horribles coups de poing dans les adducteurs, de sorte qu’on voit déjà la tête du fémur qui sort – cette horreur en impression quatre couleurs, en nombreuses copies de la veille, n’importe qui en est capable, à condition qu’elle laisse les organes dans la bonne position ou même tout simplement qu’elle les ait24 ».
25S’inspirant des images télévisuelles, Elfriede Jelinek, qui avoue avoir toujours eu un faible pour les films de revenants25, ne fait aucune concession, dans sa description, au bon goût et à l’esthétisme, dans une description sans compromis des images effrayantes du détail d’une opération chirurgicale de la poitrine et des prisonniers torturés de Guantanamo, qui ici s’entremêlent. Par cette froide et précise description orale, Margit nous montre que l’horreur pas plus que l’histoire n’est finie, que la violence existe encore et toujours aujourd’hui dans toute son étendue, celle des corps tuméfiés et ensanglantés, faisant écho à la plus grande horreur du XXe siècle, à Auschwitz.
26Mais même les pièces ne traitant pas ouvertement des exactions de la guerre continuent ce travail de deuil en dénonçant les dérives de la violence dans notre société. Ainsi Über Tiere (des animaux) publiée en 2006 traite-t-elle également d’êtres humains qu’on ne traite plus que comme de vulgaires morceaux de viande. Ce petit drame revient en priorité sur un réseau de prostitution des pays de l’Est, partiellement pédophile, implanté dans les hautes sphères viennoises, et s’attache à décrire, par un collage de reportages et propos recueillis auprès des proxénètes et de leurs divers clients, les sévices sexuels, tortures et autres ignominies infligées aux prostituées, et en arrière-plan aux enfants de ce réseau. Différentes séances de tortures obscènes sont décrites successivement de manière hyperréaliste, comme la scène de remake de « l’Exorciste » en version pornographique26. Les descriptions très répétitives, sous forme de variation, amènent le spectateur jusqu’à la nausée, un sentiment d’horreur, de dégoût et de compassion pour ces corps torturés, tristes successeurs des victimes des exactions de la Deuxième Guerre mondiale.
27Rétablir la vérité historique passe, pour l’auteur, par le refus d’oublier les corps brûlés, roués de coup, dépecés, torturés des victimes du IIIe Reich, comme catalyseur de tous les autres moments d’effroi de la grande et de la petite Histoire. La représentation, c’est-à-dire l’actualisation physique de ces victimes, vise ainsi à lutter contre l’illusion de la fin de l’Histoire.
28En dissociant dans son théâtre corps et voix, Elfriede Jelinek donne au corps démembré dans ses pièces une visée esthétique mais aussi morale. Par un travail de mythologue comme le suggérait Roland Barthes, c‘est-à-dire en déplaçant dans le discours les images médiatiques des corps violentés, elle déconstruit ainsi deux mythes postmodernes qu’elle pense intimement liés : le simulacre de la violence télévisuelle et la dissolution de l’individu dans la masse. Ces deux « icônes du monde » projettent en négatif encore et toujours un autre mythe, ou plutôt un lieu mythique et un lieu de mémoire : Auschwitz. Sa commémoration systématique comme « deuil réussi » (dépassant le deuil raté des médias déploré par Jean Baudrillard) en fait chez la dramaturge autrichienne la clé de voûte de l’Histoire, cette Histoire dont on ne peut se débarrasser, qui revient à jamais hanter notre présent. Contrairement à la plupart des œuvres littéraires et cinématographiques consacrées à Auschwitz, Elfriede Jelinek n’aborde pas ce lieu et événement historique par le biais d’un individu27, mais par la trace fantomatique que ce lieu de mémoire a laissée derrière lui. Jouant avec l’esthétique de l’actionnisme viennois, le théâtre jelinekien devient alors à son tour lieu de mémoire dont les corps démembrés forment l’architecture néobaroque. La (re)présentation des corps démembrés, sorte de conjuration du mal par la représentation du mal, laisse la violence de ces pièces dans le champ cathartique, proposant une actualisation des notions de tragique et de fatalité qui ressurgissent par le biais de la toute-puissance médiatique, devenue à son tour inéluctable.
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Notes de bas de page
1 Peter Handke, Ich bin ein Bewohner des Elfenbeinturms, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1978, p. 19-20 : « Ich erwarte von der Literatur ein Zerbrechen aller endgültig scheinenden Weltbilder. »
2 Roland Barthes, Mythologies, Paris, Points Seuil, 1992, p. 232. Roland Barthes décrit le mythe comme « une parole dépolitisée », « un système de communication, c’est un message » : dans le mythe, les êtres et les choses sont privés de leur sens premier, de leur histoire, leur nature est déformée pour délivrer un sens idéologique. Roland Barthes associe le mythe moderne à l’avènement de la culture bourgeoise « de pure consommation » dont « les normes sont vécues, grâce à ses mythes, comme les lois évidentes d’un ordre naturel ». C’est en évacuant le réel que le mythe délivre un message d’apparence inoffensive et universelle, faussement évident.
3 Ibidem.
4 Ibidem, p. 201.
5 Elfriede Jelinek, Hören Sie zu !, discours prononcé lors de la remise du Prix des aveugles de guerre pour la pièce radiophonique, le 07.06.2004, www.elfriedejelinek.com (consulté le 7 juin 2011).
6 D’après les entretiens personnels de Karl Baratta, dramaturge, avec Elfriede Jelinek, interviewé le 22 février 2006 par Priscilla Wind à Vienne (Autriche).
7 Voir Christine Lecerf, Elfriede Jelinek. L’entretien, Paris, Seuil/France culture, 2007, p. 27-28 :
« CL : Il y a quand même un souvenir sur lequel vous êtes revenue dans différents entretiens : le souvenir traumatique d’un film que vous alliez voir avec votre père, la vision d’une montagne de corps meurtris, la découverte des milliers de cadavres de la Shoah ?
EJ : Oui, mon père m’a emmenée très jeune voir ces films. […] C’étaient des films du genre de Mein Kampf, des documentaires qui montraient les camps à leur libération, avec leurs montagnes de cadavres, ces amoncellements gigantesques d’êtres humains à demi morts de faim et totalement anéantis. Ce fut naturellement un choc pour moi. Mais mon père m’imposa ainsi très tôt un devoir de conscience, celui d’aider à ce qu’une telle chose ne puisse jamais se reproduire. L’écrivaine Marlene Streeruwitz […] raconte que c’est l’obscénité de ces images qui l’avait surtout frappée […]. Car l’obscène est ce que l’on n’a pas envie de voir. Mon père avait en quelque sorte fait de cet obscène quelque chose que l’on devait regarder. »
8 Elfriede Jelinek, Totenauberg. Au chalet de Heidegger, traduit de l’allemand par Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1994, p. 65.
9 Elfriede Jelinek, Raststätte oder sie machens alle, in Stecken, Stab und Stangl. Raststätte oder Sie machens alle. Wolken. Heim. Neue Theaterstücke, Reinbek : Rowohlt, Hamburg, p. 120-121 : « Der Bär sitzt auf den Hinterpfoten, ganz tierisches Sein, und frisst an einem hübschen kleinen Kadaver, von dem man nicht genau sieht, was er darstellt, Tier oder Mensch.“
10 Ibidem, p. 132 : „ Die Gruppe lagert sich jetzt am Boden. Sie haben Fleischstücke aus den Tieren gegessen und beginnen, an den Knochen zu nagen. […] Hinten die Orgie der Fressenden, die Knochen über die Schultern werfen.“
11 Elfriede Jelinek, Ein Sportstück, Rowohlt, Hamburg, 1999, p. 16 : « Eine Frau, etwa Mitte Vierzig, und ein junger Sportler kommen herein und treten mit ihren Füssen ein Bündel auf dem Boden herum, sie werfen es einander zu, schlagen es auch mit Schlägern. – Das Bündel wird blutig. In der Folge führt es aber, während es herumgeschleudert wird, normale Tätigkeiten aus, d.h. Fetzen davon, so lange man es lässt, es räumt auf, richtet etwas, liest, alltägliche Dinge eben, das Bündel versucht auch fernzusehen etc.“
12 Theodor Wiesengrund Adorno, Prismes : critique de la culture et société, Paris, Payot, 1986, p. 26.
13 Voir le titre de l’interview menée par Stefanie Carp, Ich bin im Grunde ständig tobsüchtig über die Verharmlosung. Ein Gespräch mit Elfriede Jelinek in Theater der Zeit, Mai/Juin 1996.
14 Ibidem : „ Und unsere Geschichte, auch die deutsche, wird uns weiter verfolgen. Je öfter sie für beendet erklärt wird, je öfter wird sie uns verfolgen.“Traduction de Priscilla Wind : „ Et notre histoire, aussi l’histoire allemande, continuera de nous poursuivre. Plus on la déclarera terminée, plus elle nous poursuivra.“
15 Elfriede Jelinek, Das Werk in In den Alpen. Drei Dramen, Berlin, Berlin Verlag, 2002, p. 30 : „ Ich glaube, du musst dich hinlegen […], ich habe auch schon den Sarg für dich, welcher war es nur gleich ? Kannst du mir bitte deine Nummer sagen ? Sei doch nicht so blöd, auf dem Sack steht sie doch drauf ! […] Schau, ich muss den Sack trotzdem zubinden, nicht wahr, sonst fällst du oder ein Teil von dir heraus und vermischst dich mit anderen Lebewesen, denen das Haar in dicken Büscheln aus dem Sack hängt, ach nein, Haar habt ihr ja keins mehr, das muss was andres sein. Du willst doch nicht mit diesem Offizierssohn aus Amerika, ich meine, mit seinem rechten Arm, begraben werden, oder ?“Traduction de Priscilla Wind : « Il serait mieux que tu t’étendes […], j’ai même déjà un cercueil pour toi, lequel c’était déjà ? Peux-tu me donner ton numéro ? Ne sois pas bête, il est marqué sur ton sac ! […] Tu vois, je suis quand même obligé de fermer ton sac, pas vrai, sinon tu vas en ressortir, ou une partie de toi, et tu vas te mélanger aux autres êtres vivants dont les cheveux dépassent du sac par grosses touffes, mais non enfin, vous n’avez plus de cheveux, c’est donc quelque chose d’autre. Tu ne veux quand même pas être enterré avec ce fils d’officier américain, euh je veux dire, avec son bras gauche ? »
16 Dès Ce qui se passa quand Nora quitta son mari, Elfriede Jelinek fait de nombreux amalgames entre capitalisme, industrie et fascisme.
17 Jean Baudrillard, La Société de Consommation. Ses mythes, ses structures, Paris, Denoël, 1974, p. 278.
18 Elfriede Jelinek, Bambiland, traduit par Patrick Démerin, Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, 2006, p. 17-18 : « C’est une chose que n’arrive toujours pas à m’enlever de la tête : ils sont donc vraiment tous morts, les sentiments, maintenant, vraiment tous ? Parce que vous avez vu tellement de choses horribles et tellement de souffrances ou quoi, pourquoi ? (…) Mais non, c’est pas possible ! Non, ça j’y crois pas, ils sont encore vivants, ah non peut-être pas. Ils sont morts, y a pas ».
19 Ibidem, p. 59-60 : « Pleines sont les cités de cadavres de ceux qui d’une mort horrible périrent, ô douleur, corps en errance, pour partie en fuite et pour partie déjà touchés et morts. […] Il suffit pas qu’ils se perdent, ces pauvres corps de missiles, en plus ils se font descendre ! […] Vous ne pouvez quand même pas les descendre tous. Encore heureux. Moi en tout cas, pareil acte de cruauté, je ne pourrais pas. Descendre tous ces corps innocents en pleine croisière, en espadrilles, euh, en escadrille. »
20 Elfriede Jelinek, Babel in Bambiland. Babel. Zwei Theatertexte, Hambourg, Rowohlt, 2004, p. 90-91 : « [D]ie Geschichtsschreibung, die Berichterstattung von Taten […] ist der Berichterstattung von Titten und Mösen gewichen, sie hat Platz gemacht. Titten und Mösen machen jetzt Geschichte und jeder beeilt sich, dort rein-zukommen, egal wie viele schon dort waren, damit er ein geschichtliches Wesen wird und das Wesen der Geschichte, das noch übrig bleibt, wenn er drinnen ist, viel ist es ja nicht, aber bitte, also dieses Wesen erkennt das Wesen der Geschichte, indem es zum Körper wird. […] Die Geschichte hat Körper verarbeitet wie die Inzersdorfer Konservenfabrik oder sonst eine, aber die Geschichte der neuesten Zeit besteht darin dass die Körper die da sind und auch da bleiben, außer sie wären im Ausland, dass die Körper also ineinander herumarbeiten. Das Töten ist überflüssig geworden. Das Ficken ist irgendwie auch unpersönlich geworden, finden Sie nicht ? Weil jeder es macht und jederzeit und überall machen kann, ist es wie die Geschichte, wie soll ich sagen : entpersönlicht worden.“
21 Francis Fukuyama, La Fin de l’Histoire et le dernier homme, Paris, Champs, Flammarion, 1992, 451 p.
22 Jean Baudrillard, L’Illusion de la fin ou la grève des événements, Paris, Galilée, 1992, 171 p.
23 Ibidem, p. 26.
24 Elfriede Jelinek, Babel, op. cit., p. 113-114 : „ Die Einschlitze braucht man, damit eine Brust, ja, die mit den Piercings, […] damit die herausquellen kann, nein, das ist kein richtiger Grund, man braucht sie, damit die Kruste nicht platzt, sondern an den Einschnitten schön extra knusprig wird. […] Sie muss sie nur der Öffentlichkeit öffnen und aufschlitzen lassen angesichts ihrer furchtbaren Wunde, dieser Anemone oder Phlegmone oder was das ist, ein Grauen beschleicht, aber in glänzenden bunten Farben, bitte ! Das grellbunte Grauen, wenn einem die Öffentlichkeit Verletzungen in der Schambeuge zufügt, so dass man schon den Kopf des Oberschenkelknochens herausschauen sieht – dieses Grauen im Vierfarbendruck, im Vorabend-Seriendruck schafft doch eine jede, sobald sie die Organe dafür in guter Ordnung hält und überhaupt erstmals besitzt.“
25 Voir site internet d’Elfriede Jelinek, texte sur le cinéma Zu « Carnivals of souls », 1997, www.elfriedejelinek.com (consulté le 7 juin 2011) : « [Ich] habe […] immer besonders Grusel- und Gespensterfilme geliebt.“Traduction de Priscilla Wind : „ J’ai] […] toujours beaucoup aimé les films d’horreur et de revenants.“
26 Elfriede Jelinek, Über Tiere, extrait publié dans le journal autrichien Falter, Wien, 12/06, p. 12 : « Zuletzt wurde sie im Bett festgebunden, ihre Schreie sind unerträglich gewesen. […] Sie wird literweise mit Weihwasser bespritzt. Sie wird mit Kreuzen gequält. Ficke ! […] Zähne gesplittert. Man hört die Dämonen schreien mit tiefen Stimmen, und manch ein Teufel muss nach dramatischem Ringen ausfahren aus dem Körper. Aus mit dem Körper. Aus dem Körper. Die Frau starb. Das Mädchen stirbt. Ficken ficken ! Verhungert und verdurstet. Am Ende 31 Kilo, verweigert jede Nahrungsaufnahme. Ficken ! Verweigert jede Ausnahme. Ficken ! Herr Jesus ! Die Zähne splittern. Kopf gegen die Wand, Körper auf 31 Kilo heruntergefahren. Masse nicht bekannt.“Traduction de Priscilla Wind : „ À la fin, on l’a attachée au lit, ses cris étaient insupportables. […] On l’arrose avec des litres et des litres d’eau bénite. On la torture à l’aide de croix. Baise ! […] Dents éclatées. On entend crier les démons de leurs voix profondes, et plusieurs diables sont contraints, après une lutte acharnée, de sortir de ce corps. Fini le corps. Sortir du corps. La femme est morte. La jeune fille est en train de mourir. Baiser, baiser ! Affamée et assoiffée. À la fin, 31 kilos, refuse toute alimentation. Baiser ! Refuse toute exception. Baiser ! Seigneur Jésus ! Les dents volent en éclats. Tête dans le mur, corps descendu à 31 kilos. Masse inconnue.“
27 Par exemple, les écrits autobiographiques de Jorge Semprun L’Écriture ou la vie et de Primo Levi Si c’est un homme ou le film La Vie est belle de Roberto Benigni.
Auteur
(Université de Franche-Comté – EA 3224)
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