Utilisation de résineux dans l’artisanat du bois en Gaule romaine
p. 199-210
Texte intégral
1Les objets archéologiques en bois demandent un mode de conservation très spécifique : c’est pourquoi leur nombre est relativement rare. Parmi eux, la plus grande majorité a été confectionnée dans une matière première disponible dans l’environnement proche. Après avoir déterminé les restes ligneux des musées archéologiques de Saintes et du Mans, le constat a été fait qu’un certain nombre d’entre eux sont en conifères, essences parfois non disponibles à proximité du lieu de leur découverte. Cette originalité mérite notre attention car il met en lumière un choix spécifique des artisans antiques face à une matière première aux multiples propriétés, ce choix se traduisant parfois par des exportations d’objets ou de bois.
2Les opérations archéologiques menées dans les villes de Saintes (Charente-Maritime) et du Mans (Sarthe), dans les années 1970-1980, ont livré de nombreux objets en bois que nous avons été amenées à étudier anatomiquement et à déterminer. Leur conservation s’est effectuée de diverses manières :
- dans les puits de Saintes ou sur le site des « Filles Dieux » situé en fond de vallée (Le Mans), les bois mis au jour sont gorgés d’eau. Ils sont préservés dans ce contexte sous la nappe phréatique, car ce milieu anaérobie les protège de l’attaque des xylophages. Lors de leur sortie deux modes de conservation peuvent leur être appliqués : 1°) les pièces les plus volumineuses et d’un intérêt secondaire sont maintenues dans de l’eau additionnée de formol pour éviter la propagation de microorganismes xylophages ; 2°) les objets pouvant prétendre à une exposition muséologique vont subir un traitement de conservation qui vont leur permettre d’être séchés.
- dans le site du Chemin des Ronces (Saintes), le bois est conservé sous forme ferruginisée : son anatomie interne est alors conservée grâce à la proximité d’un élément ferreux.
3La différence essentielle entre les bois de résineux ou conifères qui appartiennent au groupe des gymnospermes et les bois de feuillus (angiospermes), c’est que les premiers sont homoxylés : ils sont essentiellement constitués d’un seul type cellulaire, les fibres-trachéides qui assurent les fonctions de soutien et de conduction de sève. Les vaisseaux sont donc absents de leur constitution. Anatomiquement leur distinction est donc assez simple. Dans le groupe même des conifères, plusieurs grandes familles sont représentées. Leur identification a lieu essentiellement grâce au plan radial montrant des champs de croisement résultant de la superposition des fibres-trachéides verticales et des cellules horizontales des rayons. La forme des ponctuations permettant le transport de la sève à travers ces éléments est très importante. Les dispositions anatomiques des différents éléments permettant l’identification de l’essence de bois vont aussi fortement influer les caractéristiques physiques du bois considéré.
1. Pin martitime (Pinus pinaster)
1.1. Répartition (fig.1)
4Cette essence de l’étage collinéen (jusqu’à 800 m) a une aire de répartition naturelle comprenant les Landes de Gascogne, les Maures, l’Estérel, les Corbières. Le pin maritime a aussi était introduit dans de nombreuses régions à cause de son fort enracinement traçant qui permet une bonne fixation du sable des dunes du littoral1 et parce qu’il s’accommode de sols pauvres non calcaires. Il s’est donc développé grâce à des conditions écologiques favorables, en Bretagne, dans les Pays de la Loire, le Centre, les Charentes, l’Aquitaine ainsi que les Cévennes (Rameau, Mansion et Dume 1989).
1.2. Description des objets
5Des objets ayant une extrémité calcinée, obtenus par fendage, constituent de loin, le plus grand nombre d’objets trouvés dans les puits de Saintes : on en dénombre en effet 96, répartis dans huit puits dont les dates de comblement, proposées par les archéologues, se situent entre le Ier et le IVe siècles de notre ère. Un objet similaire a été découvert à Besançon, ville très éloignée de l’aire de répartition actuelle de l’essence (Feugère 1992 : 159).
6Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour comprendre l’utilisation de ces bâtonnets : rôle dans le transport ponctuel du feu : utilisation à rapprocher de celle des « allumettes » actuelles ; rôle dans l’éclairage : plusieurs bâtonnets étaient pris en main ou mis sur un support que l’on transportait avec soi (utilisation similaire à celle des torches).
7Le principe de bâtonnets réunis en faisceau semble être connu depuis les VIIe-VIe siècles avant notre ère (fig. 2), comme l’atteste cet exemple de torche de mineur, trouvée à Hallstatt (Autriche), dont les bois n’ont pas été identifiés.
8Pline l’Ancien cite le mûrier, le laurier, le lierre-comme bois servant à faire du feu. D’après lui, les éclaireurs et les bergers frottaient deux morceaux de bois qui s’enflammaient. Il recommande le lierre pour frottoir et le laurier pour frotteur. Le feu est ainsi mis aux matières qui se consument bien (brindilles, champignons et feuilles séchées). Il est aussi attesté que des porteurs de flambeaux en pin maritime précédaient toujours les jeunes mariés, lorsqu’ils emmenaient, le soir, leur nouvelle épouse dans leur maison. L’usage de s’éclairer avec ces sortes de torches a subsisté jusqu’au XIIIe siècle, époque de l’invention des chandelles et des bougies. Le pin maritime servait aussi pour la construction de bûchers destinés aux morts. Pour C. Daremberg et É. Saglio, une torche (taeda) est faite de pin résineux.
1.3. Propriétés physiques et usages du bois
9La préférence accordée à cette essence à travers les âges pour l’éclairage ou le transport du feu s’explique avant tout par ses propriétés physiques. L’expérimentation nous a amenées à réaliser les mêmes objets avec du pin maritime sec. Le fendage s’effectue sans problème grâce à une hache ; seules des petites branches ont été utilisées. Les bûchettes obtenues brûlent bien grâce à la résine contenue dans le bois ; la flamme a un bon pouvoir éclairant et ne vacille pas au vent.
10A l’époque gallo-romaine, le pin maritime a pu être propagé pour des raisons religieuses, médicinales ou techniques. La résine du pin maritime permettait la production de poix et de drogues. De plus, cet arbre sacré était lié au culte de Cybèle dont le cône était l’emblème (Couderc 1985). Il est donc difficile en l’état actuel des recherches de donner une conclusion définitive quant à la réalisation de ces objets sur place ou à leur importation à partir d’une autre région. Il est néanmoins possible que l’aire de répartition du pin maritime ait fluctué au cours du temps ; actuellement limitrophe de la Charente-Maritime, cette essence a pu être indigène de la région à la période gallo-romaine.
2. If (Taxus baccata)
2.1. Répartition (fig. 3)
11Essence présente de l’étage collinéen à la base de l’étage subalpin (de 250 à 1600 m), l’if est aujourd’hui disséminé en Bretagne, en Normandie ainsi que dans les moyennes montagnes. Il est néanmoins devenu assez rare à l’état spontané à cause d’une surexploitation due aux qualités de son bois. Sa disparition peut aussi être due à une destruction systématique d’un arbre dont toutes les parties, excepté l’arille, contiennent de la taxine, une substance toxique.
2.2. Description des objets
12De nombreux objets travaillés trouvés au Mans ont été réalisés en if alors qu’à Saintes seuls quelques branchages naturels ont été découverts. Au Mans, cette essence a été identifiée pour des objets ayant tous la même morphologie, allongée et fine : les fuseaux et l’extrémité d’une flèche. Cette dernière utilisation est historiquement bien connue, l’if étant l’essence utilisée pour la réalisation d’arcs et de flèches2.
13L’emploi de l’if est par ailleurs attesté pour des seaux découverts dans les sépultures aristocratiques datant du Ier siècle av. J.-C. jusqu’aux premiers siècles après notre ère. Ils sont droits, cerclés de rubans de bronze ou revêtus de plaques ornées ou repoussées, et presque exclusivement fabriqués en bois d’if : les exemples de Fléré-la-Rivière (Indre : Feugère et Villard 1993), d’Antran (Pautreau 1999) et de Vieille-Toulouse (Haute-Garonne : Vidal 1976), illustrent ce propos.
2.3. Propriétés physiques et usages du bois
14Ce bois, très élastique, peut fournir une surface très polie grâce à la grande finesse de son grain. Il se tourne très bien du fait de son homogénéité. Pour M. Vidal, l’emploi de l’if (Taxus baccata) pour la réalisation de seaux résulte sans doute de son extrême dureté qui limite la porosité des parois. D’autre part, sa teinte foncée s’oppose, dans un but esthétique, aux plaques décoratives de bronze qui tirent vers le jaune. Ces seaux, étant réalisés dans un bois toxique, ne devaient vraisemblablement pas recevoir de contenu destiné à l’alimentation.
3. Sapin (Abiès alba)
3.1. Répartition (fig. 4)
15Essence de montagne, le sapin croît de 400 à 1800 m, c’est-à-dire de l’étage montagnard à l’étage subalpin inférieur. Cette essence est commune dans les Vosges, le Jura, les Préalpes du Nord et le centre du Massif central ; elle est assez commune dans les Alpes centrales, mais elle est devenue assez rare ou rare dans les Alpes du Sud et en Corse.
3.2. Description des objets
16Le sapin a été identifié sur la grande majorité des tablettes à écriture (codex triplex), datées des Ier et IIe siècle ap. J.-C., découvertes dans les puits de Saintes. Quatre codex triplex complets ont été retrouvés dans le puits G du site des « Ateliers Municipaux » alors que le puits 9 du site des « Petites Sœurs des Pauvres », d’une part, et le puits 1 du site de la rue « Port la Rousselle », d’autre part, en ont livré chacun un feuillet complet. Enfin, des fragments de feuillets se repartissent dans le puits G du site des « Ateliers Municipaux » et le puits 9 du site des « Petites Sœurs des Pauvres ».
17Au sens large, une tablette ou tabella désigne une planchette : tablette de bois, de pierre ou de métal. Selon G. Lafaye (Lafaye 1877-1919), les tabellae ceratae existaient chez les Grecs depuis la plus haute Antiquité. Ces supports étaient présents dans tous les lieux où l’écriture se pratiquait, c’est-à-dire dans les écoles, les familles, les tribunaux, le commerce et dans toutes les relations de la vie sociale. Selon leur destination et leur utilité, ces tablettes avaient plusieurs tailles. Celles de petites dimensions pouvaient être transportées avec soi comme un carnet de notes. D’autres, beaucoup plus grandes, servaient à tenir des comptes. Le nombre de tablettes formant les codex pouvaient changer : elles étaient assemblées au moins par deux (codex duplex), mais le plus souvent par trois : le codex triplex servant à consigner les actes importants (fig. 5). Pour être reliées les unes aux autres, ces tablettes (tabellae), composées de trois feuillets appelés cerae, ont des petits trous sur le côté dans lesquels était passé un cordon (Vienne 1992).
18Les tablettes en bois présentent toutes un évidement permettant au scribe d’étaler la cire à l’intérieur du cadre. L’écriture se faisait au moyen d’un stylet métallique muni, d’un coté, d’une pointe et, de l’autre, d’une spatule permettant de racler la cire et donc d’effacer le texte.
19Le nombre relativement important de fragments de tablettes ou de codex triplex entiers retrouvés sur trois sites de Saintes (fig. 6 et 7) montre qu’elles étaient couramment utilisées.
20Le sapin (Abies alba) est l’essence majoritairement identifiée à partir des tablettes de Saintes ; c’est aussi l’essence la plus souvent citée dans les textes. Son emploi pour la fabrication des tablettes est attesté dans une aire géographique assez vaste qui s’étend dans toute l’Europe romaine, comme le démontrent les exemples suivants :
- en Frise (Pays-Bas), a été mise au jour en 1917, près de Tzum, une tablette rectangulaire à un feuillet. Cette tablette semble, par sa description, en tout point semblable à celles retrouvées à Saintes, bien qu’elle soit de dimensions plus réduites : 116 mm de haut sur 136 mm de large. Elle présente deux évidements rectangulaires plus petits (96 mm de haut sur 116 mm de large). Datée du début du Ier siècle ap. J.-C., cette tablette devait être le panneau central d’un triptyque (Boissevain 1920) ;
- à Pompéi, ont été exhumées 153 tablettes contenant des quittances délivrées depuis l’an 15 jusqu’à l’an 62. Ces tablettes en sapin ont en moyenne une hauteur de 100 à 150 mm et une largeur plus faible. Les triptyques y sont beaucoup plus nombreux que les diptyques (Marichal 1992) ;
- en Angleterre, le groupe des stylus tablets gravés avec un stylet sont majoritairement fabriqués en sapin ;
- en Grèce, Théophraste cite le sapin comme le matériau des tablettes à écrire (Théophraste 1962 : 20) ;
- en France, plusieurs tablettes en sapin ont été découvertes à l’ouest du pays : à Vannes, sur le site Sainte Catherine (Morbihan), une tablette romaine est mentionnée par Anne Dietrich (Dietrich 1992 : 37).
21Sans développer cette partie, il est intéressant de noter que de nombreux feuillus, parmi lesquels l’aulne (Alnus glutinosa), le bouleau (Betula sp. : Bowman et Thomas 1983), le peuplier (Populus sp. : Guitton 2000) ou plus exceptionnellement le « citronnier » et le buis (Buxus sempervirens), ont pu servir à la réalisation de tablettes (Lafaye 1877- 1919). Un exemple en est donné à Saintes avec une tablette réalisée en tilleul (Tilia sp.), retrouvée dans le puits G.
22Sans généraliser, il semble, au vu des informations recueillies, que les supports d’écriture servant pour la prise de notes ou la correspondance personnelle, sont plutôt réalisés dans un bois indigène du lieu où ils ont été découverts. Pour les codex servant de support à des textes plus officiels, les bois de résineux tels sapin, épicéa ou pin ont été préférés quel que soit le lieu de la découverte. Ceci montre que l’emploi des essences semble corrélé à une certaine typologie.
23Une étiquette, autre support d’écriture, a aussi été mise au jour à Saintes (fig. 8). Cette pièce a une forme générale rectangulaire se rétrécissant d’un côté. Cette étiquette, en sapin, a été évidée sur quelques millimètres dans sa partie centrale pour recevoir de la cire finement étalée sur laquelle des inscriptions pouvaient être notées à l’aide d’un stylet. Le trou visible dans la partie rétrécie devait permettre d’accrocher l’objet à un support, ce que confirme une trace d’usure présente entre le trou et le bord le plus étroit, probablement laissée par le fil permettant son accrochage.
24À part ces supports d’écriture, des pièces appartenant au domaine de la tonnellerie ont également été réalisées dans du bois de sapin.
25Le sixième puits du site des « Petites Sœurs des Pauvres » a livré la douve centrale estampillée d’un fond de tonneau. Sa longueur maximum permet de déduire le diamètre du fond qui devait mesurer environ 720 mm. Les extrémités de la planche sont biaisées afin de pouvoir s’assembler dans les rainures des douelles. Outre ses dimensions supérieures aux autres pièces mises au jour, cet objet se distingue par une estampille présente sur la face extérieure : les lettres MAIB y ont été déchiffrées (Scalliano 1993 : 13). D’après les dimensions du fond, nous pouvons affirmer que cet objet est un fût car les modèles vendus de nos jours ont le même diamètre : leur volume atteint 400 litres. Un fragment de fond de seau ou de baquet, de dimensions inférieures, a aussi été découvert dans le neuvième puits du même site. La partie arrondie biseautée devait s’ajuster dans les rainures des douelles. La partie rectiligne est, elle aussi, biseautée pour être assemblée à une autre au moyen de deux chevilles introduites dans les deux trous encore visibles. L’aspect général du récipient (fig. 9 et 10) ne peut être précisé, le fond pouvant être elliptique ou rond (diamètre évalué graphiquement à 410 mm).
26En Saintonge, les bois employés en tonnellerie sont désignés, encore de nos jours, sous le nom de merrains. Bien évidemment, toutes les essences d’arbres ne se prêtent pas à la conservation des produits alcoolisés. Le bois ne doit pas communiquer de mauvais goût au contenu ; il doit être suffisamment compact pour assurer une bonne étanchéité, solide pour résister aux rudes manipulations, facilement fissile et relativement souple pour se plier à l’exigence de l’artisan tonnelier. Actuellement, deux essences sont préférées car elles rassemblent ces qualités : le chêne rouvre et le châtaignier. Le chêne, quant à lui, est l’essence la plus appropriée pour la conservation des eaux-de-vie et des grands vins (Neveu 2001 : 56).
27Dans l’Antiquité, le bois de sapin (Abies alba) était particulièrement estimé car il était sensé mieux conserver le vin grâce à sa résine (Daremberg et Saglio : 1594.). Ceci se vérifie par les nombreux exemples fournis par A. Desbat (Desbat 1997 : 115). Des douelles en sapin et en chêne ont été mises au jour en Angleterre ; pour celles en sapin, une première hypothèse concluait que ce bois provenait des Pyrénées et « contenait sans doute du vin de Bordeaux ». Pour R. Meiggs, le sapin pouvait provenir de France, d’Italie, des Balkans ou d’Espagne, mais il n’est pas le seul résineux à avoir été utilisé (Meiggs 1982 : 299). Du mélèze (bien qu’un doute subsiste quant à son identification), de l’épicéa et du pin sylvestre ont servi à la fabrication de tonneaux. Pour les feuillus, le chêne est attesté dans de nombreux pays : Angleterre, Hollande, France et Allemagne. D’autres essences ne sont signalées que très rarement : châtaignier, hêtre, peuplier et cèdre du Liban. De plus, un même tonneau pouvait être assemblé à partir de douelles ou de fonds provenant de plusieurs essences (Desbat 1997 : 113- 114). D’autre part, des remplois de tonneau ayant servi de coffrage de puits sont signalés sur le site du Docteur-Horaud (Lyon) ; leurs douelles sont très majoritairement en sapin, une seule étant en pin (Bellon 1995 : 61).
28Dans un contexte archéologique très différent, les restes d’un seau (fig. 11) ont été découverts lors de la fouille d’une sépulture, sur le site du Chemin des Ronces, dans la partie orientale de la ville. Ce site a été interprété comme une nécropole active entre le milieu du IIIe et le milieu du IVe siècle (Roger 2000 : 43).
29Des fragments de matières ligneuses accolés aux restes ferreux ont pu être prélevés et étudiés grâce à la méthode des peels et à celle des coupes fines. Le résultat a démontré que ce seau avait été fabriqué dans du bois de sapin3. Malheureusement, aucune étude typologique n’est venue compléter l’identification botanique, mais l’observation des cerclages permet de penser que ce seau était composé de douelles identiques (les prélèvements effectués à plusieurs endroits correspondent à la même essence) ; nous ne savons pas s’il était tronconique ou droit. Son lieu de découverte oriente vers une interprétation rituelle.
30Il semble donc que, dans la fabrication de cette catégorie de seaux, plus soignés que ceux à usage courant, des essences de moins grande répartition, comme l’if ou le sapin, aient été utilisées.
31Également en sapin, une petite rondelle parfaitement circulaire a été interprétée comme un bouchon en raison de sa découverte à proximité d’une cruche à anse unique et bec chanfreiné. D’après la typologie, l’objet peut aussi être interprété comme pion servant à jouer aux latroncules, sorte de jeu de dames dont les règles ne nous sont pas parvenues avec précision (Coulon 1994 : 29).
3.3. Propriétés physiques et usages du bois
32Tous les objets en sapin identifiés se présentent sous la forme de plaques d’épaisseur et de dimensions variables. Les douelles étaient obtenues par fendage, puis suivaient les étapes d’ébauchage et de planage au couteau ou au ciseau. Les mêmes étapes étaient nécessaires à la fabrication des tablettes mais elles devaient être suivies par le traçage de traits délimitant l’évidement, le creusement et enfin le perçage de trous permettant la réunion des différents feuillets.
33Ces objets fendus suivant les rayons, pouvaient être réalisés dans deux sens par rapport à l’axe du tronc : longueur ou largeur (fig. 12 et 13).
34Le type de taille devait être choisi en fonction du diamètre du tronc disponible : un petit diamètre impliquait de tailler l’objet dans le sens de la longueur alors que dans un diamètre plus grand, il pouvait être fabriqué dans le sens de la largeur. Le choix se portait sûrement sur des essences pouvant fournir des troncs d’un assez gros diamètre et sur des essences qui se fendent facilement.
35À Saintes, les tablettes sont toutes fendues sur quartier, ce qui semble faciliter l’évidement. Pour ces objets, l’épaisseur a encore été diminuée par le creusement du cadre servant à recevoir la cire. Il était donc nécessaire d’avoir un bois solide pouvant être ainsi débité. La fabrication d’une tablette étant un travail assez délicat, R. Marichal déconseille l’utilisation de bois de pin ou de sapin, ce dernier ayant de grosses fibres qui se prêtent mal au polissage et même à un travail plus précis (Marichal 1992).
4. Épicéa (Picea abies)
4.1. Aire de répartition (fig. 14)
36Cette essence est naturellement présente dans l’étage montagnard supérieur (depuis 600-700 m) et le faciès humide du sud-alpin jusqu’à la limite de la forêt (1700-2000 m) : Vosges, Jura, Alpes du Nord, localisé dans les Alpes du Sud.
4.2. Description des objets
37De l’épicéa commun (Picea abies) a été déterminé à partir de huit fragments de tablettes trouvés à Saintes. Au Mans, une tablette entière en épicéa a aussi été découverte. Cette essence, rarement identifiée à partir de restes ligneux archéologiques, a pu être confondue avec le mélèze (Larix decidua) à cause de leur grande ressemblance anatomique.
38En Angleterre, à Vindolanda, deux stylus tablets examinées sont en mélèze (Larix) ou en épicéa (Picea), deux bois non indigènes et donc sans doute importés (Bowman et Thomas 1983). L’épicéa commun est aussi cité par R. Marichal (Marichal 1992 : 171-172).
39D’autres résineux servant à la fabrication de ces objets peuvent aussi être identifiés : le cyprès, l’if, le « thuya », et le pin sont cités par G. Lafaye ; du pin d’Alep (Pinus halepensis) a servi à la fabrication de la tablette retrouvée dans le port antique de Toulon (Ramière 1992 : 50) ; la plupart des tablettes de Rezé-lès-Nantes pourraient aussi être en pin, mais aucune analyse microscopique n’a été réalisée à ce jour.
4.3. Propriétés physiques et usages du bois
40Bois blanc très voisin de celui du sapin, souvent confondu avec ce dernier et employé à peu près aux mêmes usages, l’épicéa s’en distingue par son éclat lustré quand il est raboté de frais. Il est plus léger et moins nerveux que le bois de sapin. Il se fend très facilement et très nettement, et résiste bien aux chocs. Son aptitude à se fendre lui assure un grand emploi en boissellerie ; on en faisait naguère des mesures de capacité, des seaux, des cuves et des bardeaux (Lieutaghi 2004 : 550).
5. Cyprès (cupressus sempervirens)
5.1. Répartition (fig. 15)
41Le cyprès commun paraît être originaire d’Asie (Grèce, Turquie, Iran), mais il a été répandu très tôt sur tout le pourtour méditerranéen.
5.2. Description de l’objet
42Un seul objet a été déterminé au Mans : ressemblant typologiquement à un crayon, il a pu servir de stylet.
5.3. Propriétés physiques et usage du bois
43Le cyprès donne un bois d’excellente qualité, très recherché dans les contrées d’origine de l’arbre, peu employé en France à cause de sa rareté. C’est un bois brun jaunâtre ou rose, assez léger, très homogène, à grain fin et serré, puissamment aromatique. Il se travaille aisément et se polit bien, se conserve indéfiniment sous l’eau (Lieutaghi 2004 : 500).
Conclusion
44Les objets réalisés à partir de bois de résineux constituent une petite part de l’ensemble des objets en bois identifiés. Pourtant certaines caractéristiques qui leur sont propres les rendent majoritaires dans la fabrication de certains types d’objets tels que les allumettes ou les tablettes. Ces objets se répartissent sur un territoire plus vaste que celui de la répartition naturelle des essences dont ils sont constitués. Leur présence peut donc s’expliquer selon deux hypothèses :
- la matière première a été amenée dans la localité de découverte et transformée par les artisans qui se trouvaient sur place ;
- l’objet fabriqué sur le lieu indigène de la matière première, a ensuite été importé vers la ville de son utilisation ;
45Seule une étude exhaustive du matériel ligneux archéologique permettrait une meilleure compréhension de l’artisanat et du commerce des objets en bois, cela nécessitant, dès à présent, la mise en place d’une base de données utilisable par tous les xylologues.
Bibliographie
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Annexe
Annexes
Notes de bas de page
1 À l’initiative de Brémontier et de Chambreland, une opération de boisement a été entreprise au XVIIIe s. pour fixer les dunes côtières (Collardet et Besset 1989 : 71-72).
2 L’if aurait été planté en Normandie pour fournir des bois d’arcs et de flèches au Anglais durant la guerre de cent ans (Collardet et Besset 1989 : 238).
3 Détermination effectuée par nos soins (Roger 2000 : 49-50).
Auteurs
XYLOTREE, 31 rue des Santones 17100 Saintes. xylotree@gmail.com
Université Pierre et Marie Curie (Paris 6). Laboratoire de Paléobotanique et Paléoécologie, 12, rue Cuvier 75005 Paris.
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