« Normant sont, Normant furent, Normanz ont esté ». La Normandie dans les premières généalogies des ducs normands
Lieu de mémoire et référent identitaire1
p. 289-305
Texte intégral
1Comme le rappelle Colette Beaune dans l’introduction de son article sur les sanctuaires royaux2, memoria au Moyen Âge « signifie non pas mémoire mais tombeau, relique ou sanctuaire »3. Les sépultures des saints fondateurs sont en effet les premiers espaces où se crée et s’élabore la mémoire d’une communauté et d’un lieu ecclésiastiques qui tirent d’eux leur identité. Toutefois, le phénomène de la memoria relève d’un principe qui dépasse le domaine liturgique et cultuel originel avec ses manifestations rituelles et ses productions hagiographiques. Plus encore qu’une façon de penser, la memoria est, pour Otto Gerhard Oexle, « une forme de l’action et du comportement dans laquelle étaient réunies des réalités et des intentions politiques, juridiques, économiques, sociales et bien entendu artistiques4. » Suivant l’analyse de l’historien allemand, sa fonction première ne se réduit pas à conserver et à transmettre la mémoire des morts, mais à « rendre les morts présents parmi les vivants » et à les faire participer à toutes les activités d’une communauté dont ils légitiment le statut et fixent les pouvoirs, les droits et les devoirs. La memoria s’affirmant « en tant que culture », les familles aristocratiques, en particulier, vont bénéficier de ce formidable instrument de construction identitaire pour se doter d’une mémoire généalogique dont elles confient la gestion et la fabrication aux clercs, ces « professionnels de la mémoire sacrée »5, qui adaptent à leur intention des modes de pensées et de mémorisation propres à l’Église. Ainsi, des nécrologes ou vitae aux généalogies royales et princières, en passant par les Gesta abbatum ou episcoporum, autant de textes qui sont, écrit Georges Duby, comme les hautes tombes ou les dalles funéraires des monuments, l’écriture historiographique se caractérise, dès l’époque mérovingienne, par le même souci d’établir, depuis les origines, la continuité chronologique d’une communauté qu’elle soit religieuse ou laïque, et par la même volonté de fonder sa légitimité, qu’il s’agisse de la sainteté d’un lieu monastique ou de la renommée d’une lignée6.
2Afin de voir à l’œuvre ce qui caractérise l’entreprise mémorielle médiévale7, l’étude portera sur un ensemble de textes qui illustrent son mode de fonctionnement sur plusieurs siècles et dans des sphères linguistiques différentes. Le plus ancien, le De moribus et actis primorum Normanniæ ducum écrit au tout début du XIe siècle pour le duc Richard II de Normandie par Dudon de Saint-Quentin, est, selon Georges Duby, la première généalogie complète et étoffée qui nous soit parvenue8. Dans les deux siècles suivants, ce récit qui traite « des actions et mœurs » des trois premiers ducs normands, Rollon, Guillaume Longue Épée et Richard Ier, est repris. La généalogie prolongée jusqu’à Henri Ier roi d’Angleterre, d’abord en latin, par Guillaume de Jumièges avec ses Gesta normannorum ducum dédiés à Guillaume le Conquérant, puis, vers 1170, en français par Wace avec son Roman de Rou et par Benoît de Sainte-Maure avec sa longue Histoire des ducs de Normandie, deux ouvrages composés vraisemblablement à la demande d’Henri II Plantagenêt. Ces quatre généalogies, véritables espaces textuels de commémoration de la mémoire aristocratique normande et anglo-normande, offrent le modèle d’un travail historiographique représentatif de la mission que les ecclésiastiques et les clercs remplissent auprès de la noblesse au profit de laquelle ils mobilisent des formes éprouvées du culte de la mémoire et des compétences que l’Église a adoptées primitivement pour ses propres représentants.
3Dans le cadre limité de cette communication, l’étude se réduira aux représentations que les quatre textes offrent successivement de ce « lieu de mémoire » qu’est la Normandie, terre constitutive, à l’instar des tombeaux des saints et des lieux de culte, de la construction d’un état et espace fondateur de l’identité d’une dynastie et d’un peuple. La démarche comparative, qui autorise une approche du lieu dans son aspect tout à la fois « matériel, symbolique et fonctionnel »9, sera aussi l’occasion de mettre au jour, en raison des différences de traitement qu’il subit, les questions sociales et politiques dont les textes sont porteurs. Car loin d’être répétitif, mécanique, inconséquent, voire rectiligne, le travail de mémoire obéit à des motivations complexes et relève d’une fonction active de création et de re-création au gré desquelles les lieux, comme l’a montré Lucie Morisset dans ses études du patrimoine, sont autant des révélateurs que des producteurs de la mémoire10. Dans et à travers les couches superposées des textes normands dont l’écriture procède du palimpseste, dans cette forme de stratigraphie historiographique, la représentation des lieux évoqués et construits permettra d’identifier des changements et de révéler des écarts, un « basculement », entre la mémoire reçue et la mémoire transmise.
La construction de lieux de mémoire
4Matrice des textes postérieurs et fondateur de la mémoire ducale, le De moribus suit de peu l’acte de naissance de la terre normande. S’inspirant non pas de sources écrites, sans doute inexistantes, mais, selon l’éditeur du texte, de conversations échangées avec le comte Raoul d’Ivri, oncle de Richard II, Dudon est le premier à dresser un inventaire du mobilier régional en s’attachant à ses pièces les plus massives11. Il est surtout le premier à créer « littéralement » l’espace d’une région qui, avant l’arrivée du Danois Rollon, ancêtre de la lignée, s’appelait « Neustrie », et à faire jouer un rôle identitaire à une terre où les lieux de culte avaient été dévastés par Hasting, compatriote de ce même Rollon, lors des premières invasions vikings. L’exploitation et le transfert dans un cadre laïque des modes de mémorisation originellement ecclésiastiques n’allaient donc pas de soi, pourtant c’est avec ce chef danois que la terre va rencontrer son destin mémorable. Soumettant l’histoire du personnage à une vision eschatologique et à une perspective rétrospective exemplaire qui participe du fonctionnement même de la memoria, Dudon reconstruit le passé en faisant entrer le temps décousu, incohérent et violent des invasions danoises dans la temporalité ordonnée et orientée de l’histoire sainte, et en réactualisant le motif biblique de la terra promissa12 dont la plasticité contribue à épouser très étroitement le récit d’une destinée. Ainsi, en amont de la terre normande « réelle », il y a un lieu marqué au sceau de la divine Providence. Exilé avec ses hommes du Danemark déshérité et surpeuplé, Rollon est guidé par des songes et des visions qui le conduisent par-delà les tempêtes et les combats vers un lieu qui lui est destiné de toute éternité, là où fera souche l’arbre généalogique normand dont la fama, pour reprendre le terme que Michel Sot applique aux Gesta abbatum ou episcoporum13, dépasse les hasards de l’histoire pour dévider, à partir de l’ancêtre fondateur, la chaîne de la lignée. Dudon de Saint-Quentin donne à son écriture poétique une force prophétique pour célébrer le peuple danois dont l’arrivée va changer le visage de la France punie de ses péchés par Hastings et ses Vikings :
Ô France, tu t’enorgueillissais jadis de ton triomphe sur tant de nations abattues ; tu t’adonnais à de saints et nobles travaux… Maintenant te voilà gisante à terre, tristement assise sur tes armes, toute surprise et toute confuse, dans l’anxiété, dans l’anéantissement de la douleur ; te voilà foulée aux pieds, attaquée, méprisée, insultée par d’indignes ennemis, chargés de crimes et de forfaits, portant la peste avec eux, ennemis arrogants, gonflés d’orgueil et respirant le mal ! Reprends tes armes, élance-toi plus prompte et cherche ce qui doit te sauver toi et les tiens. Saisie de honte et de remords, de regret et d’horreur à la vue de tes méfaits, prends les ordres de ton Dieu. Voici qu’une autre race vient vers toi du Danemark et, de ses rames infatigables, fend rapidement les ondes. Longtemps et dans de nombreux combats, elle t’accablera de ses traits terribles. Furieuse, elle fera mordre la poussière à des milliers de Français. Enfin, une alliance est conclue ; la paix calme tout. Alors cette race portera jusqu’au ciel ton nom et ton empire. Son glaive frappera, domptera, brisera les peuples trop orgueilleux pour se soumettre à toi. Ô France heureuse, France trois ou quatre fois heureuse, salue-la en frémissant de joie ; salue-la, Reine éternelle14.
La potentialité du motif religieux se cristallise dans la description de la Neustrie que les Vikings découvrent en remontant la Seine, source de fertilité et de douceur, et surtout dans l’évocation de l’abbaye de Jumièges détruite précédemment par Hastings. La citation de Jumièges permet d’unir la construction des origines normandes à la mémoire d’un lieu ecclésiastique qui en fonde l’autorité. Marqueur originel, l’abbaye est d’abord dotée par Rollon d’une statue de sainte qui scelle, dès son arrivée en Neustrie, son union avec sa nouvelle terre et qui préfigure sa conversion au christianisme15, ainsi que la piété de toute sa descendance. Elle sera rebâtie ensuite par Guillaume Longue Épée, averti comme son père par un signe divin. Le De moribus ne mentionne pas l’épisode, mais Guillaume, moine de l’abbaye, ne manque pas de compléter la version de son devancier en le racontant dans ses Gesta Normannorum. Parti à la chasse avec sa suite, le jeune duc qui venait de repousser avec mépris la boisson offerte par des moines en train de cultiver la terre gaste des lieux est attaqué par un énorme sanglier que le clerc interprète comme une punition de Dieu. Cet ajout qui traduit sa volonté d’enrichir le patrimoine mémoriel de sa propre communauté est la preuve que la mémoire ecclésiastique est un laboratoire travaillé par des représentations identiques et non par des codes nouveaux.
5Si les deux textes latins s’attachent peu aux espaces de la mémoire féodale, se contentant de donner les limites de la Normandie dont le territoire concédé par le roi de France à Rollon s’étend de l’Epte à la Bretagne, ils archivent des lieux qui rappellent la mainmise de l’Église sur les Danois convertis. Le paysage normand se confond soit avec des sites dépositaires d’une identité ecclésiastique ancienne, églises, monastères, abbayes, que les ducs dotent généreusement lors de leurs principats successifs, soit avec les édifices religieux créés à leur initiative et dont les noms sont longuement égrenés, comme dans ce passage des Gesta normannorum de Guillaume de Jumièges qui suit le baptême de Rollon :
Rollo autem, postquam baptizatus est, per septem dies, quibus in albis mansit, Deum et sanctam ecclesiam devote datis muneribus honoravit. Nam primo die dedit terram permaximam sancte Marie Rotomagensi ecclesie, secundo sancte Marie Baiocensi ecclesie, tertio sancte Marie Ebroicensi ecclesie, quatro sancti Michaelis archangeli ecclesie in periculo maris super montem posite, quinto sancti Petri et sancti Audoeni in suburbio Rotomagi ecclesie, sexto sancti Petri et sancti Aychadri Gemmeticensi ecclesie, septimo Brenneval cum omnibus appendiciis sancto Dioniso dedit16.
Parallèlement, la mémoire se fixe dans des villes qui commémorent la naissance des membres de la lignée, les événements significatifs de leur existence et surtout leur mort. Hauts lieux du pouvoir politique, Rouen, Fécamp ou encore Caen sont avant tout des sanctuaires dynastiques, conçus à l’image des espaces liturgiques où la commémoration et la prière rendent le saint éternellement actif au sein de la communauté chrétienne. Dudon célèbre dans des pièces versifiées d’une rare complexité métrique ces villes conservatrices de la mémoire ducale et sanctifiées par la présence des tombeaux des princes qui assurent et sacralisent le pouvoir des générations à venir. Ainsi de Fécamp « toute resplendissante des reliques des saints qui ont brillé par leurs mérites », honorée de la sainteté du duc Richard qui y fut baptisé et inhumé et dont la sépulture, comme celle de saint Léger et de sainte Hildemarca, figures illustres qui contribuèrent à la célébrité de la ville, fait d’elle « une terre consacrée », garantissant « l’élévation » et le « salut » du lieu :
O Fiscane, sacris semper fecunde favillis,
Sanctorum cineres meritorum flore micantes
In gremio terrae conservans jamque sacratae,
Trina resplendes profuse dote salutis.
Olim virgineo micuisti stemmate sacro,
Quum Leodegarium servisti luce privatum,
Elinguemque sacrum, multoque et verbere caesum17 ;
Dans ces lieux saints, gages de l’identité et de la singularité normandes, s’origine la Normandie tout entière. Avec les églises qui s’érigent, avec ses villes reliquaires, le paysage est partie prenante d’une histoire généalogique qui vient s’enter sur le terreau normand, source d’une mémoire et souche d’une lignée.
Réactualisation historique des lieux de mémoire
6Le Roman de Rou épouse mal le moule de l’historiographie ecclésiastique façonné par Dudon et décalquée par Guillaume de Jumièges. Certes, Wace emprunte aux deux ecclésiastiques l’épisode du rêve prémonitoire qui guide Rollon vers la terre normande18. Toutefois, il n’accuse pas le trait providentialiste puisque, au moment où le roi de France présente à ses vassaux réunis en conseil le pays qu’il veut concéder à Rollon, seule la mention du « miel » rappelle le motif religieux de la terre promise :
« Dez Oure court jusqu’au Mont Saint Michiel ;
n’a gueres meillor terre souz la chape du ciel,
de la nous seult venir la grant plenté de miel » ; (v. 1101-1103)
L’évocation des lieux tourne vite court elle aussi, l’épithète « bonne » qu’il emploie pour qualifier la « contree » découverte par Rollon comme la cité de Rouen ayant bien du mal à rivaliser avec l’enthousiasme de Dudon pour la terre et les villes normandes19. L’écart avec les sources ecclésiastiques est d’autant plus grand que la citation des abbayes fondées, à chaque génération, par les princes ou leurs lieux de sépulture20, est neutralisée par la représentation d’une Normandie dont la topographie s’émancipe des sites que leur présence consacre et anoblit, comme pour confirmer l’existence d’une mémoire plus « laïque », fixée en d’autres « lieux ». Lieux agricoles dont la fertilité est due au travail du « bon vilain » et [du] « bon païsant » (v. 2679) qui transforme la terre de la Neustrie détruite en une Normandie riche et prospère. Lieux urbains qui révèlent l’empreinte bénéfique de ces conquérants bâtisseurs et dont les noms saturent le discours que Bernard le Danois adresse au roi de France lors de la guerre qu’il mena contre Richard Ier. Désireux de susciter la convoitise de Louis d’Outremer et cherchant à provoquer sa crainte de voir des villes puissantes tomber entre les mains de son très dangereux allié Hugues de France, Bernard lui vante la beauté et la richesse d’Avranche, d’Évreux, de Lisieux, de Loudun, de Sées, etc. :
« Sire, ce dist Bernart, Hue avra Avrancin,
Ewreues et Luixuies et tout Auge et Lusvin,
Seiz et Orliens avra et le peuple Avraversin,
des que la ou la mer et la terre prent fin,
Chinguleiz et Baieues et le plain de Beesin ;
n’a point de meillor terre, ce dient li voisin,
la treuve l’en tout bien, fors planté sol de vin,
la vient la grant reichesce du regne outremarin ;
envers icelle gent sont li nostre frarin. » (v. 2686-2694)
Véritable démonstration de puissance, cette évocation d’une Normandie nouvelle dit l’apport culturel décisif non plus des princes de la lignée, mais de l’ensemble des réfugiés danois sur une terre, certes promise à Rollon, mais dont ils se sont montrés dignes et qui leur appartient bien en propre21.
7En matière d’évocation des lieux et de construction de la mémoire normande, Benoît de Sainte-Maure s’inspire manifestement du Roman de Rou mais sa récriture compose un mixte entre le visage inédit de la Normandie offert par son devancier et les apports des sources ecclésiastiques originelles dans le sillage desquelles s’inscrit son œuvre tout entière. Il en est ainsi du motif de la « terra promissa » qui se déploie longuement dans une peinture de la beauté et la fertilité de la terre successivement retouchée et augmentée au fil du grand nombre de discours délégués aux personnages. Comme chez Dudon, le thème est introduit au moment où les Danois remontent la Seine à « l’eue bloie e arcillose », et découvrent pour la première fois « les rives d’erbe e de flors/ E de diverses arbres plusors » qui « Olent soef e doucement » (v. 5181-87). Mais il est relayé plus loin par les barons de Rollon, eux-mêmes, qui cherchent à convaincre leur prince de s’installer dans ces lieux « richement asis », sur cette « terre gaagnee et costivee » avec ses « fluies pleins de buens peissons », ses « forez », ses « vivers » et ses « veneisons ». Il se prolonge enfin dans la « vie » de Richard Ier, où Bernard le Danois vante à son tour cette terre nantie « De fluens, de bois, de praairies » (v. 17232-40). Lieu propice à la vie, la Normandie est célébrée comme un paradis terrestre avec ses arbres, ses fruits en abondance, la douceur du climat, ses eaux poissonneuses et son gibier. Toutefois, l’expansion donnée au motif en altère les résonances bibliques et transforme ce qui était initialement un « lieu de mémoire » par essence ecclésiastique en éloge topographique dans la pure tradition antique. L’hommage rendu à la terre normande est de la même veine, par exemple, que le De laude Spaniae d’Isidore où l’évêque de Séville chante la terre des Goths :
À juste titre la nature t’a comblée, avec une faveur particulière, de toutes plantes à foison. Tu es opulente en fruits, exubérante de raisins, grasse en moissons. Tu te vêts de récoltes, tu t’ombres d’oliviers, tu te drapes de vignes. Tes plaines se couvrent de floraisons, tes monts de frondaisons et tes rivages de poissons22.
La même orientation littéraire régit l’évocation des villes normandes empruntée à Wace et dont Benoît allonge encore la liste :
« Sez, beiaus sire, que tu li lés
Des Evrees deci qu’a Sés,
Auge, Liezvin e tot Oismeis
E Lisvies e Cingeleis,
Baieues e tot Beesin
E Costances e Costentin,
Danfront, Avrenche par en son
Jusqu’a Saint Jasme de Bevron
Od tot le val de Moretuig ? » (v. 17271-17279)
L’énumération où les noms, étroitement unis, s’appellent et se répondent de leurs échos sonores évoque les séries cumulatives qui apparaissent dans les textes très anciens et qui, au fil des siècles, ont eu tendance à se figer en topoi. C’est là un des procédés caractéristiques de l’épopée avec ses catalogues de glorieux guerriers regroupés autour de Charlemagne ou de Roland23, ainsi que du « roman » naissant où l’écriture du dénombrement et de l’accumulation ressortit à une rhétorique de l’amplificatio reprise aux traités latins et théorisée dans les Poetria médiévaux. Comme la description de la Normandie, le recensement systématique des villes normandes affaiblit plus qu’il ne sert l’évocation des lieux, il est un moyen de « gagner du texte », de « faire du texte », l’expression d’une virtuosité verbale et euphonique qui convertit en motif littéraire ce qui dans la version de Wace relevait de l’argumentation et de la stratégie de Bernard le Danois. On peut avancer l’hypothèse que l’exploitation littéraire de Benoît était, sans doute, à même de plaire à la cour d’Henri Ier ou, du moins, qu’elle répondait à ses goûts ou à sa sensibilité.
8Quoi qu’il en soit, cette propension pour la surenchère et ce goût pour la copia occultent en outre la veine « réaliste » qui, ponctuellement, affleure dans le Roman de Rou pour traduire une certaine intimité de Wace avec la terre qu’il évoque. Il est sensible en effet aux particularismes régionaux, ne manquant pas une occasion de rappeler la présence de la mer et les ressources maritimes du pays ; sa familiarité avec les lieux et les habitants se révèle aussi dans l’emploi de la périphrase « terre as bigoz » (v. 4763) qui désigne, dans le discours méprisant des Français, la Normandie ou encore dans l’abréviation du Mont Saint-Michel qu’il appelle simplement « lo Mont » (v. 1785). Il est vrai que Wace, chanoine de la cathédrale de Bayeux, est normand – c’est ainsi du moins qu’il se présente dans ses œuvres –, et que cette terre qu’il connaît bien ne pouvait pas représenter pour lui une simple création ou re-création littéraire au service exclusif de la mémoire ducale. Aussi les liens personnels qu’il entretient avec elle et l’intimité qui filtre par-delà le témoignage des sources nous invitent-ils à creuser la question, consubstantielle à celle des lieux de mémoire, de l’existence d’un sentiment d’appartenance à la terre dont les textes pourraient se faire l’expression24. Elle se pose avec acuité, car Wace et Benoît écrivent du vivant d’Henri II, à un moment de l’histoire où, depuis la conquête normande de l’Angleterre saxonne, la Normandie fait partie du vaste royaume Plantagenêt. La memoria représentant un élément identitaire qui induit le présent de la communauté et sa conscience de soi à partir du passé, on peut dès lors se demander ce que pouvaient représenter la Normandie comme lieu de la mémoire ducale et de l’identité normande dans le creuset de l’aire culturelle et politique anglo-normande. Si les deux auteurs n’abordent jamais directement le sujet, leurs ouvrages offrent des réponses différentes et significatives des orientations politiques qui sont les leurs.
Une identité normande et anglo-normande
9Dans le Roman de Rou, l’identité normande tient à l’existence de la Normandie dont l’acte de naissance est signé au moment même de l’arrivée des Danois. Wace prend l’expression « terra Normannorum » de Dudon au pied de la lettre et se livre à un jeu étymologique inédit pour dire l’union totale de la terre et des hommes du Nord et, avec elle, la pérennité du nom et de l’identité normande : « Li non as ancessors a bien as hers duré, Normanz sont, Normanz furent, Normanz ont esté. » Sa démonstration s’appuie sur sa connaissance et sa pratique de la langue qui l’engagent à considérer ce qu’il nomme le « muement de language » (v. 12). Aussi énumère-t-il longuement, en guise d’exemples, toutes les villes et tous les pays dont le nom changea au cours de l’histoire, pour citer en dernier lieu la « Neustrie » qui « perdi cest nun » pour celui de « Normandie » (v. 45). L’appellation donne lieu à des considérations linguistiques sur le sens des mots en anglais et en français :
Man en engleis e en norreis
hume signifie en franceis ;
justez ensemble north e man
e ensemble dites northman ;
ceo est hume de north en rumanz,
de ceo vint li nuns as Normanz. (v. 59-64)
Et surtout, elle se prolonge par un long commentaire sur la disparition des empires et la nature éphémère des actions humaines. Cette réflexion sur le temps et ses fluctuations, sur les aléas d’un monde où tout passe et tout meurt infléchit le sens de son évocation de l’origine et de l’identité normandes. Sa tonalité désabusée semble indiquer que Wace est conscient qu’il s’est produit une rupture avec le passé, mais une rupture qui éveille encore assez de mémoire pour que se pose la question de son incarnation. Si comme le relève Pierre Nora la curiosité pour les lieux où se cristallise et se réfugie la mémoire est liée à un moment particulier de l’histoire où la mémoire est désormais perdue, on peut penser que le goût de Wace pour l’étymologie et son insistance à jouer sur l’origine des mots « Normandie » et « normand » se conçoivent seulement parce que le lien étroit de la terre et des « hommes du Nord » n’est plus évident au moment même où il écrit.
10Simple nostalgie ou dénégation ? En dépit de la création du vaste état anglo-normand, Wace continue de soustraire la mémoire du passé à la poussée de l’histoire. Certes, il reconnaît la grandeur d’Henri II qui règne sur « la terre marage entre Espaingne et Escosse, de rivage en rivage » (v. 35), mais il s’évertue à souligner la séparation de l’Angleterre et de la Normandie, présentant, juste après la conquête normande, les deux pays comme deux fiefs distincts (v. 9032), et à la mort du Conquérant comme deux états bien séparés (v. 9105 et 10819-833). Pour lui, la Normandie est une terre normande et non une terre royale. Cette appréciation politique est confirmée dans le prologue de l’œuvre où Wace annonce son projet de « conter de Rou et des Normands » et non d’installer une filiation entre les ducs normands et celui qu’il nomme le « roi d’Angleterre » (v. 60).
11Peut-être faut-il voir dans le marquage systématique d’une altérité entre les deux espaces à cheval sur la mer un écho des troubles qui opposèrent à l’époque le duché à l’Angleterre, qu’il s’agisse de la rébellion des états bretons et normands contre le roi ou du parti pris de nombreux barons normands en faveur d’Aliénor et de ses fils au moment de leur révolte contre Henri II ? L’attachement à la couronne a pu aussi être amoindri par les répressions que subirent les Normands, ainsi que par la vision négative que pouvaient avoir d’eux les insulaires. Enfin, rappelons à la suite de Martin Aurell, que l’attitude quelque peu distante de Wace pourrait aussi s’expliquer par ses prises de position idéologiques qui « traduisent une grande indépendance » vis-à-vis du pouvoir royal et par une « liberté d’esprit qui ne cadre guère avec le statut d’un chanoine prébendé par les bons offices de la royauté »25.
12Benoît ne suit pas Wace sur ce terrain. Insensible à l’étymologie, il aborde toujours la question de l’identité normande par le truchement de la généalogie au fil de laquelle la reconnaissance progressive de la souveraineté des princes normands, que consolident les traités de paix et d’alliance, est un préalable à l’éveil du sentiment national touchant l’ensemble de leurs sujets. D’une « vie » à l’autre, les Normands, et avant eux les Vikings exilés, reconnaissent leur identité culturelle, en même temps que leur sujétion à leurs princes. Quand Richard Ier, prisonnier à la cour de France, regrette sa « duce terre Normendie » (v. 16020), ses sujets se battent pour lui et pour leur terre : les grands vassaux, bien sûr, mais aussi les paysans qui luttent à l’aide de « faus e de maçues/ E de gisarmes esmolues » (v. 23845-846). Ce sentiment identitaire n’est compris ni du roi de France Lothaire ni de ses vassaux qui voient toujours dans les Normands des envahisseurs vikings qu’il faut « chace[r] deu païs » vers le Danemark ou bien ailleurs, en « Espaigne », « Saisoigne » ou « Alemaigne » (v. 24144-46). Or, quand Rollon déjà ne reconnaissait pas dans le cruel Viking Hasting un compatriote, à la génération suivante, la rupture est consommée avec l’ancienne patrie. Bernard le Danois lui-même, guidé par le souci de maintenir les droits du duché et de la terre, engagera Guillaume Longue Épée, fils de Rollon, à combattre contre Riouf, un ancien Danois révolté. Enfin, si Richard Ier fait encore appel aux Vikings pour l’aider contre la France, il sait dissuader ses alliés de mener leurs œuvres dévastatrices. Ce n’est pourtant que sous le principat de son fils, que la question de l’identité normande ne se posera désormais plus : Richard II, premier prince normand à porter le titre de duc, en même temps que ceux de marquis et de comte, s’allia au roi anglais Ethelred contre les Danois qui conquirent l’Angleterre, et éleva ses fils à sa cour durant leur minorité et tout le temps que dura la domination danoise.
13Contrairement à Wace qui fixe dans le passé l’identité normande, Benoît suit et creuse une mémoire qui laisse une trace vivante de génération en génération. Il fait habiter le passé dans le présent en intégrant le particulier normand dans la totalité anglo-normande et en créant des liens entre cette Normandie dont il a célébré la puissance et la beauté et la terre d’outre Manche. Les lieux mêmes de la Normandie ducale participent par deux fois à ce dessein. Dans un épisode repris aux Gesta Normannorum, la ville de Rouen, où arrive par la Seine un mystérieux cavalier, permet par le biais d’une prophétie de réunir en un même arbre généalogique le début et la fin de la lignée26, Rollon, l’ancêtre fondateur, et Henri II Plantagenêt, le dernièr héritier du lignage, et de confirmer ainsi l’unité du royaume. Plus loin, l’élévation des reliques du duc Richard Ier, ordonnée par Henri II, est une nouvelle occasion de parler du roi et de lui rendre hommage en émettant des vœux pour son règne et son Salut :
A Fescamp [Richard] jut en l’abeïe,
La fu richement enterrez,
Mais puis unt esté relevez
Cist e li peres, li premiers,
Li buens Richarz, li justisiers,
Par le buen rei, cil qui fu fiz
Maheut, la buenne empereriz,
Par le buen rei Henri segunt,
Flors des princes de tot le munt
Cui faiz sunt digne de memoire,
A cui Dex dunt force e victoire,
Longue vie, prosperité,
Sanz ainsse e sanz aversité.
Saintisme e buenne seit sa fins ! (v. 32054-32067)
À partir du même adjectif « bon » qualifiant successivement le duc Richard, l’impératrice Mathilde, fille d’Henri Ier, et Henri « segunt », son propre fils, Benoît tisse une filiation d’excellence que vient parachever la métaphore de la « flors des princes de tot le munt ». L’image florale ne fonctionne pas seulement comme formule superlative participant de la rhétorique de l’éloge ; par son lien avec le motif généalogique de l’arbre qu’elle suggère, elle a pour fonction de lier étroitement Henri II à la « branche » normande dont il est issu, par sa mère, et dont il est le légitime héritier. La référence au lieu de sépulture est un autre et puissant facteur de cohésion politique, puisque c’est à lui qu’incombe la commémoration de la mémoire identitaire, temporelle et spirituelle qui, par la prière, rend les morts agissants parmi les vivants et les fait coopérer au fonctionnement de la communauté. Le tombeau de l’ancêtre ouvre pour Henri II un programme de légitimation, et garantit à toute une communauté vivant dans le souvenir de ses morts la reconnaissance d’un ordre social et la confirmation du sens de l’histoire.
14Le texte d’histoire est un lieu de mémoire, mais d’une mémoire manipulée. Toute enracinée qu’elle est dans l’espace concret, la terre normande produit du mythe, qui n’est jamais, au fil des siècles et des récits, le même. Dudon et Guillaume de Jumièges travaillent l’espace normand comme ils le feraient, c’était attendu, d’un lieu saint afin de fonder un état sur des bases sacrées. C’est dans ce sillon que s’écrivent les versions vernaculaires ultérieures où, à travers la représentation de la Normandie, les textes se font les réceptacles de la mémoire en la revisitant. Le choix de Benoît est d’investir la terre normande comme terre mythique, et inventer le mythe qui fonde, au-delà de la Normandie même, la puissance de l’état anglo-normand. Dans son œuvre, les référents sont recomposés à partir des moments de fixation mémorielle fournissant des modèles capables de structurer une nouvelle identité collective, résolument fondatrice, sans laquelle aucune construction n’est pensable. De fait, toute son entreprise historiographique répond avec évidence au désir d’offrir à Henri II Plantagenêt un « manifeste politique » où, dans la célébration de la terre normande, berceau de la dynastie, est exhaussée toute une nation. Wace, lui, ne « marche » ni dans la mythologie anglo-normande ni dans les visées du roi. Pour lui, il y a d’abord l’espace normand. Aussi son regard est-il tourné vers le passé et son œuvre reste-t-elle le lieu d’une commémoration vivante qui va de pair avec son intimité profonde avec les lieux. La perception du passé qui se dessine dans son œuvre donne d’une certaine façon l’illusion qu’il n’est pas révolu ; ou plutôt, son ouvrage témoigne d’un effort de remémoration susceptible de le ressusciter comme pour mieux conjurer, dans cet ancrage, le présent. Wace met en scène une Normandie qui n’est déjà plus ; Benoît un royaume anglo-normand qui a sans doute besoin d’une terre de mémoire pour s’arrimer afin de contribuer à renforcer l’autorité d’Henri II et de cristalliser autour de sa personne l’unité de tout le royaume.
Notes de bas de page
1 La citation du titre (il s’agit du v. 442 du Roman de Rou de Wace), ainsi que toutes celles qui suivent renvoient aux éditions suivantes : De moribus et actis primorum Normanniæ ducum auctore Dudone sancti Quintini decano, nouvelle édition publiée par Jules Lair, Caen, 1865 (Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, 23). Guillaume de Jumièges, The Gesta Normannorum Ducum of William of Jumièges, Orderic Vitalis and Robert of Torigni, éd. et trad. par Élisabeth m. C. Van Houts, Oxford, Clarendon Press Oxford, 1998. Benoît de Sainte-Maure, La Chronique des ducs de Normandie par Benoît, publiée d’après le manuscrit de Tours, avec les variantes du manuscrit de Londres par Carin Fahlin, t. I et II, Uppsala, 1951-1954 (Bibliotheca Ekmaniana, 56 et 60) ; t. 3. Glossaire entièrement revu et complété par les soins d’Östen Södergard, Uppsala, 1967 (Bibliotheca Ekmaniana, 64) ; t. 4. Notes par Seven Sandqvist, Stockholm, 1979 (Acta Universitatis Lundensis, I, 29). Wace, Roman de Rou, publié par A. J. Holden, Paris, Picard, SATF, 1970 (trois tomes).
2 Voir dans ce même volume Laurence Delobette, « Mémoire des morts et géographie tumulaire : les tombes des chanoines du chapitre métropolitain de Besançon ». La première partie de son article fixe le cadre conceptuel de la memoria cléricale.
3 Colette Beaune, « Les Sanctuaires royaux. De Saint-Denis à Saint-Michel et Saint-Léonard », Les Lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, II. La Nation, 1. Héritage Historiographie Paysages, Paris, Gallimard, Bibliothèque illustrée des histoires, 1986, p. 57-87.
4 Otto Gerhard Oexle, « Lignage et parenté, politique et religion dans la noblesse du XIIe siècle : l’évangéliaire de Henri le Lion », Cahiers de Civilisation Médiévale 4, p. 339-354, ici p. 348-349.
5 La formule est de Colette Beaune, « Les sanctuaires royaux », op. cit., p. 57.
6 « Dans le système de l’échange qui régissait alors les relations sociales, écrit Régine Le Jan, les vivants et les morts étaient étroitement unis au sein d’une même stirps, les premiers étant placés sous l’aile tutélaire des seconds ». Régine Le Jan, Famille et pouvoir dans le monde franc (VIIe-Xe siècle). Essai d’anthropologie sociale, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995, p. 35.
7 Patrimoine de notre mémoire nationale, les Grandes Chroniques que Primat, moine de Saint-Denis va offrir en présence de son abbé Mathieu Vendôme, au roi de France Philippe le Hardi, en sont aussi une illustration aboutie : le sanctuaire de Saint-Denis, sépulcre du saint tutélaire, des saints abbés de la communauté puis des rois, conférant au lignage royal l’ancrage ecclésiastique nécessaire à la fondation d’une dynastie et à l’identité d’un peuple autour de héros qui sont les relais de la mémoire. Répertoriée parmi les « lieux de mémoire » par Pierre Nora et étudiée dans cette fonction par Bernard Guenée, l’œuvre est bien connue des historiens et des spécialistes de l’écriture historiographique. Bernard Guenée, « Les Grandes Chroniques de France. Le Roman des rois (1274-1518) », Les Lieux de mémoire, op. cit., p. 189-214.
8 Georges Duby, « Le lignage Xe-XIIIe siècles », Les Lieux de Mémoire, op. cit., p. 31-56, ici p. 51-52.
9 « Tout objet n’est pas lieu de mémoire. Les lieux de mémoire, écrit Pierre Nora, sont lieux dans les trois sens du mot, “matériel, symbolique et fonctionnel”, mais les trois aspects doivent toujours coexister. » P. Nora, « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux », Les Lieux de mémoire, I. La République, Paris, Gallimard « Bibliothèque illustrée des histoires », 1984, p. XVII-XLII, ici p. XXXIV. La Normandie remplit ce rôle : elle est lieu « matériel » que l’imagination investit d’une aura symbolique, elle présente des espaces « fonctionnels », des villes, des cathédrales, des monastères, qui vont être l’objet d’un rituel. Elle est matérielle par son contenu géographique, fonctionnelle puisqu’elle assure la cristallisation du souvenir et sa transmission ; « symbolique » puisqu’elle caractérise par des événements et des expériences vécus dans le passé par d’autres une majorité qui n’y a plus participé.
10 Lucie K. Morisset, Des régimes d’authenticité. Essai sur la mémoire patrimoniale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 20.
11 La critique a prouvé que Dudon n’a pas emprunté à des sources, même s’il n’est pas douteux qu’il existât des renseignements manuscrits sur Rollon. Mais nous ignorons lesquels. La source est peut-être le comte d’Ivri, Raoul, qui avait pris soin de recueillir les traditions de la famille ducale (frère de Richard 1er). C’est lui qui a sollicité vivement Dudon à écrire. Pour J. Lair, « Dudon écrivit la majeure partie de son histoire d’après les renseignements du comte Raoul, autorité fort respectable ; c’est là un fait si notoire et ces renseignements étaient si détaillés qu’on croyait lire le récit même du prince normand ». De moribus et actis primorum Normanniæ ducum, éd. citée, p. 30.
12 De moribus et actis primorum Normanniæ ducum…, éd. citée, p. 168.
13 Michel Sot, Gesta episcoporum, gesta abbatum (Typologie des sources du Moyen Âge occidental), Turnhout, 1981, p. 15.
14 La traduction est de Jules Lair dans son introduction au De moribus et actis primorum Normanniæ ducum, éd. citée, p. 102.
15 Dans son édition de la Chronique des ducs de Normandie (Paris, Imprimerie royale, 1836, t. I, p. 189, note 2), Francisque Michel repousse comme une fable absurde la mention des reliques de sainte Hameltrude apportées en Normandie par Rollon. Jules Lair remarque toutefois, « en faveur de Rollon, qu’on honorait une sainte de ce nom dans les environs de l’abbaye de Marboel, près de Condé, en Hainaut, où séjournait le chef normand. La forme la plus ordinaire de son nom est, il est vrai, Aldétrude ; mais il a pu être altéré en Normandie. Dudon ajoute que le lieu voisin de la chapelle où l’on avait déposé les reliques de la sainte prit son nom, et il ne peut avoir inventé ce détail qu’a reproduit Guillaume de Jumièges son abréviateur. » De moribus et actis primorum Normanniæ ducum, éd. citée, p. 58.
16 The Gesta normannorum ducum of William of Jumièges, Orderic Vitalis and Robert of Torigni, éd. citée, vol. I, p. 66-68.
17 De moribus et actis primorum Normanniæ ducum, éd. cit., p. 299 (ce n’est là qu’un extrait du poème).
18 Il reprend même l’image des oiseaux se baignant dans la fontaine miraculeuse en prêtant leurs couleurs aux boucliers et emblèmes des chevaliers normands. Roman de Rou, éd. cit., p. 24 et 153.
19 Plus loin, il insiste sur la richesse en gibier de la terre normande : « mout avra grant plenté de char et de poisson, / de sengliers et de cers et d’autres venoison » (v. 1111-1112).
20 Guillaume Longue Épée reconstruit Jumièges ; Richard Ier fonde Saint-Ouen de Rouen et dote le Mont-Saint-Michel et Saint-Vandrille en Caux ; Richard II développe Fécamp ; Robert crée Cerisy ; Guillaume le Conquérant établit des abbayes à Caen où il est enterré avec son épouse : « El moustier Saint Estienne ont le cors enfoï » (v. 201).
21 On peut rapprocher cette vision des Danois de l’image qui, au cours du XIIe siècle, va être attachée aux Troyens. La figure du guerrier cède la place à celle du fondateur de villes et du législateur. Voir Colette Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard, 1985, p. 51 sqq.
22 La traduction est celle de J. Fontaine, « Un manifeste politique et culturel : le De laude Spaniae d’Isidore de Séville », Le Discours d’éloge entre Antiquité et Moyen Âge, textes réunis par Lionel Mary et Michel Sot, Paris, Picard, 2001, p. 61-68 ; ici p. 62.
23 Voir, par exemple, les v. 794-798 du Roland (édit. C. Segre) : « Vint i Gerins e li proz quens Gerers, / E vint i Otes, si i vint Berengers/ E vint i Astors e Anseïs li fiers, / Vint i Gerart de Rossillon, li veillz ;/ Venuz i est li riches dux Gaifiers. »
24 Le sujet est incidemment abordé par Dudon et Guillaume de Jumièges qui emploient respectivement le mot patria (Dudon dans l’apostrophe au duc Rollon, éd. citée, p. 153, et Guillaume de Jumièges à propos de Guillaume le Conquérant, éd. citée, ch. XXXIX) pour désigner non pas la relation des Normands avec leur pays, mais un lieu, une cité ou la région qui l’entoure, la patria propria par opposition à la patria communis des textes du haut Moyen Âge. Gustave Dupont-Ferrier établit que du VIe au XVIe siècle patria a presque toujours le sens très large et indéterminé de « pays », voire, selon certains textes, de « pays natal ». Selon lui, la notion de l’unité morale du groupe est venue s’ajouter à la notion primitive dès Philippe le Bel, au plus tard. On ne peut trouver dans les textes de termes abstraits, comme nationalisme, régionalisme, etc. Ce sont là des abstractions qui n’existent pas au Moyen Âge. En revanche les auteurs parlent de « pays, de terre, de patrie », termes, en particulier le dernier, qui dénotent des conceptions différentes des nôtres. Voir Gustave Dupont-Ferrier, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions, Séance du 28 avril 1939, vol. 83, p. 201-203.
25 Pour les relations entre Wace et la royauté, voir Martin Aurell, L’Empire des Plantagenêt, Paris, Perrin, collection tempus, 2004, en particulier les p. 151-154 ; ici, p. 153.
26 Voir notre article « Une écriture de la légitimation : les généalogies dans l’Histoire des ducs de Normandie de Benoît de Sainte-Maure », Aux sources du dialogue des cultures. Regards croisés sur le Moyen Âge en France et en Inde, Synergies Inde, numéro 2/ année 2007, coordonné par Dr. Vidya Vencatesan, Revue du Gerflint, p. 151-164.
Auteur
Université Blaise-Pascal Clermont-Ferrand
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