Mémoire et Senefiance : les muances de la Table Ronde
p. 115-132
Texte intégral
Le menuisier : « Ça débarque et ça tient des discours sur une table et ça ne sait même pas ce que ça veut en faire ! Qu’elle passe la porte ! Petite ! Grande ! Ronde ! Représentation du monde ! Je fais des roues de moulin et pas une représentation ! Et les meilleures roues de moulin ! Sait pas s’il s’agit d’une table de conférence ou d’une table pour manger ! Et il faut qu’elle soit sacrée par-dessus le marché ! »
(Tankred Dorst, Merlin oder Das wüste Land, Frankfurt am Main, 1981, trad. française, Merlin ou La Terre dévastée, Paris, L’Arche, 2005, p. 61-62.)
Objet singulier, mais aussi haut lieu littéraire, la Table Ronde s’inscrit au Moyen Âge dans un mécanisme mémoriel que perfectionnent et complexifient les strates textuelles successives qui la mettent en scène. La Table Ronde est, d’abord, une simple table de forme circulaire, pleine ou évidée, et de taille indécise, mais elle tend aussi à identifier un lieu, dans la mesure où elle constitue, au-delà des éventuels toponymes (Caradigan, Carlion, Carduel, Carahaix, Camalot…) qui marquent sa localisation géographique, l’emblème le plus constant de la cour arthurienne. Au cœur de cette cour, elle est par excellence le lieu d’où partent, où s’achèvent, et éventuellement s’exposent les aventures. Par une série de glissements à caractère métonymique, le mot Table Ronde en vient en outre à désigner la communauté de chevaliers siégeant autour de la table1, puis, comme nom commun, ces sortes de jeux de rôles costumés, galants et martiaux, dont la mode se répand surtout à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle.
1On sait que la Table Ronde n’est pas mentionnée dans l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth (c. 1138). Elle fait son apparition une quinzaine d’années plus tard (c. 1155) dans la traduction française de l’œuvre due au clerc normand Wace. Dans son Roman de Brut, Wace indique que « fist Arthur la Roünde Table / dunt Bretun dïent mainte fable »2. La rime est tentante3, mais aussi révélatrice de l’esprit qui préside aux retouches opérées par le traducteur dans la section arthurienne. Dans ses trois interventions les plus significatives4, il porte un regard critique, mais indulgent, sur les récits colportés par les conteurs bretons, qui ne sont « ne tut mençunge ne tut veir / ne tut folie ne tut saveir ». Pour Wace, le caractère circulaire de la table viserait à éviter toute querelle de préséance entre les commensaux, tous « egalment servi » ; la communauté ainsi rassemblée se présente comme une sorte de fraternité chevaleresque, puisqu’elle est le symbole d’une cour qui attire des chevaliers venus de toute l’Europe occidentale (« dés Occident desqu’a Mungiu » 1038)5 confirmant ainsi sur un mode mineur le symbolisme cosmique que lui reconnaît Béroul6. M. Delbouille a montré que l’affaire des « jalousies » entre barons pourrait provenir d’une interprétation erronée d’un passage de Geoffrey de Monmouth, fondée sur une leçon propre au manuscrit que le traducteur a utilisé. C’est dans ce contexte que Wace aurait doté Arthur d’une table ronde. Toutefois, pour s’imposer comme solution évidente aux contestations, il fallait sans doute que l’idée d’une telle table fût dans l’air. C’est peut-être à une tradition de ce type que se réfère Gautier Map qui, dans son conte de Sadius et Galon, dote le roi des Asiatiques d’une table semi-circulaire où le roi avait « sa place au milieu de façon à mettre tous les sièges sur le demi-cercle, à égale distance du roi, éliminant ainsi toute jalousie »7. M. Delbouille estime peu probable que Gautier ait connu le Brut de Wace car son œuvre « ne montre guère d’influence directe de la littérature romanesque française »8, opinion vivement contestée par A.K. Bate, qui insiste au contraire sur « ses énormes connaissances dans ce domaine »9 et serait enclin à voir, dans cette moitié de table ronde, un signe parmi d’autres d’un dispositif général de dénigrement ironique du monde arthurien10.
2L’idée d’une table ronde pourrait avoir été suggérée à Béroul, comme le croit J. Chocheyras, par l’amphithéâtre romain de Caerleon, dans les ruines duquel « le folklore aurait vu une table géante pour les chevaliers du roi Arthur »11. Plus largement, H. Eberlein-Westhues a montré, dans sa belle enquête sur les manifestations littéraires et les origines possibles de la Table Ronde, que la possession de tables en métaux précieux, souvent ornées de planisphères ou de plans de villes, était perçue comme un signe de puissance de la part de souverains qui affirment ainsi symboliquement, et légitiment, leur emprise sur le monde12. Il n’est donc pas étonnant que le roi Arthur se soit trouvé doté à son tour d’un emblème aussi prestigieux.
3Pour plusieurs critiques (R.S. Loomis, J. Marx), « les “fables” des Bretons sur la Table Ronde auxquelles Wace fait allusion [ont] leur racine dans les fables irlandaises »13. La Table d’Arthur constituerait ainsi un lointain souvenir déformé de la table des festins celtiques, lieu de rencontre et de pouvoir. Dans cette optique, J. Marx observe que, dans les romans bretons, « ce n’est presque jamais dans la salle du trône que le roi est requis et les chevaliers appelés. C’est au festin et en partant de la Table Ronde que se nouent les aventures »14. Il est clair que le banquet joue un rôle important dans ces textes. C’est « aprés mangier » que commencent les récits du Chevalier de la Charrette et du Chevalier au lion et c’est au cours du repas que le Chevalier Vermeil vient lancer son défi au début du Conte du Graal. On notera toutefois que chez Chrétien de Troyes, comme dans la plupart des récits en vers qui se situent dans son sillage, la Table Ronde n’est pas explicitement mentionnée comme lieu des agapes dans ces séquences inaugurales festives qui constituent d’ordinaire le cadre propice au déclenchement de l’aventure. Il n’est pas rare en revanche qu’elle soit évoquée allusivement par la mention des chevaliers présents (« ceux de la Table Ronde ») ou l’indication que tel personnage et futur héros (Erec, Hunbaut…) appartient à cette confrérie d’élite (« est de la Table Ronde »). Si l’on ne peut exclure que la Table Ronde trouve son origine dans la table des festins celtiques, il faut bien convenir que, dans les textes français les plus anciens, il s’agit d’un souvenir ténu et diffracté. Curieusement, les signes les plus manifestes de filiation celtique (présence d’un siège réservé ou mention de la pierre qui brait), font leur apparition dans les productions plus tardives, parallèlement au processus de christianisation de la Table.
4Cette christianisation passe par la remembrance de la table de la Cène. Laura Hibbard Loomis s’est jadis efforcée de montrer que c’est sur le modèle de cette dernière table qu’a été inventée la Table Ronde15. L’argument principal est qu’on se représentait au Moyen Âge la table de la Cène comme circulaire ou semi-circulaire16. A. A. Barb va plus loin en considérant que le Saint Graal et la Table Ronde ne font qu’un et perpétuent tous deux le souvenir de la table de la Cène17. D’autre part, on montrait à Jérusalem une table de marbre qui passait pour celle du Dernier Repas et que mentionne, sans d’ailleurs en préciser la forme, le moine anglais Saewulf, qui a effectué son pèlerinage au cours des années 1102-110318. C’est sans doute cette même table qu’évoque de son côté le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople : Charlemagne et les douze pairs y prennent place si bien qu’un Juif, entré par hasard dans l’église, les prend pour le Christ et ses douze apôtres et se convertit aussitôt. Toutefois, même si leur commune forme circulaire rapproche les deux tables, il est hasardeux d’en inférer une filiation. En affichant le caractère résolument laïque de la Table Ronde, les premiers textes français n’orientent pas vers une archéologie chrétienne de la table. Ce n’est qu’avec Robert de Boron que se manifeste explicitement le jeu des réminiscences. De même qu’il fait du Graal une double relique de la Cène et de la Passion, il intègre en effet la Table Ronde dans un ample dispositif commémoratif à caractère trinitaire. Pour lui, trois tables se succèdent et se répondent : la Table de la Cène, la Table du Graal, la Table Ronde. L’innovation de Robert consiste, on le voit, en l’invention de cette table intermédiaire qui assure l’équilibre et la cohérence de la construction. Sa création est racontée en détail dans le Roman de l’estoire dou Graal. Alors que Joseph et ses compagnons sont exilés dans des terres lointaines, la communauté ne parvient pas à prospérer, en raison notamment du péché de luxure (2383) qui contrarie toutes ses entreprises. Il importe donc de distinguer les cœurs purs des autres. Le Saint Esprit se manifeste alors à Joseph. Après avoir rappelé la Sainte Cène19, il lui demande « au nom de cette table » (2491) de créer une autre table sur le milieu de laquelle sera placé le veissel (Graal) recouvert d’une serviette. Pendant ce temps-là, Bron, le beau-frère de Joseph aura été pêcher un poisson qu’il placera sur la table en face du Graal. Joseph s’assoira à la place du Christ et demandera à Bron de s’asseoir à sa droite, mais celui-ci s’écartera et laissera une place vide (celle de Judas). Cette place est destinée à rester vide et ne sera remplie qu’à la troisième génération20. Tous les disciples de Joseph s’assoiront successivement à la table. Les purs seront rassasiés de la grâce divine, les autres, honteux, s’en iront. C’est à partir de cet instant que le Vase (veissel), qui agrée, sera appelé Graal21. La même scène est évoquée plus rapidement dans le Merlin, avec quelques écarts notables : le tri entre les bons et les mauvais (48/62) s’effectue à l’occasion d’une famine ; il n’est plus fait mention de Bron, ni du poisson que « le Riche Pescheeur » a déposé sur la table.
5En dépit de toutes ces précisions, le Roman de l’estoire du Graal reste cependant évasif sur la forme de la table et sur ses dimensions. La référence à la table de la Cène inviterait à y supposer treize sièges, mais il est évident que ce nombre est trop réduit pour accueillir une partie significative de la petite communauté qui accompagne Joseph. C’est sans doute pourquoi l’auteur se borne prudemment à déclarer :
Dou pueple assist une partie,
Li autre ne s’assistrent mie.
La taule toute pleinne estoit,
Fors le liu qui pleins ne pooit
Estre. (v. 2559-2563)
À l’exception du manuscrit de Modène, les versions en prose du Joseph d’Arimathie de Robert précisent que la table du Graal est carrée22. Alexandre Micha considère toutefois qu’il s’agit là d’une interpolation destinée à distinguer cette table de la Table Ronde et y voit le signe que cette version en prose a été composée après le Merlin23. « Remaniement et extension »24 de l’estoire de Robert, L’Estoire del Saint Graal (ou Joseph d’Arimathie), brouille le scénario. La séparation des vertueux et des pécheurs n’est pas associée à l’institution de la Table, mais s’effectue lors de la traversée miraculeuse de la mer sur le pan (giron) de la chemise de Joseph qui s’élargit pour que puissent y prendre place cent cinquante personnes. Ce tri n’est d’ailleurs qu’indicatif, ou provisoire, puisque, après s’être repentis, les laissés pour compte rejoindront leurs compagnons à bord de la nef de Nascien. Quant à la Table, comme le relève Jean-Paul Ponceau, elle fait brutalement son apparition dans la version longue du texte lors du débarquement en Grande-Bretagne (§ 671), plus tard encore, après la victoire contre le païen Crudel, dans la version courte (§ 511)25. Appelée Table du Saint Graal, cette table est d’abord clairement assimilée à l’autel ; c’est en effet le lieu où l’on communie (§ 671) et devant lequel on célèbre le service divin (§ 751) ; mais c’est aussi une table autour de laquelle on prend place pour le repas (§ 766), où l’on se trouve à l’étroit (ce qui amène à contester le bien-fondé du siège vacant) et où l’on compte des convives remplis d’orgueil et de présomption, voire en état de péché mortel (§ 767)26. Pour précieux qu’il soit et globalement sauvegardé, l’héritage de Robert de Boron s’avère ainsi parfois difficile à assumer et à intégrer dans le grand cycle du Graal.
6Cette Table du Saint Graal semble parfois se confondre avec la table en argent sur laquelle repose le Saint Vase et qui est, elle aussi, une représentation de l’autel. Elle fait son apparition dans le Lancelot où Gauvain, puis Bohort, la voient à Corbenic (LXVI 29, XCVIII 45)27. Elle figure dans la Queste : c’est sur elle que repose le Graal qui apparaît à Lancelot dans la forêt (59, 3) ; c’est elle encore qu’on retrouve à Corbenic (255,14 ; 268,32), sur la nef de Salomon (273, 16), à Sarraz (275, 13)28. Elle est si étroitement associée au Graal qu’elle se déplace avec lui. C’est sans doute un souvenir du Lancelot qui explique sa présence dans la version longue de l’Estoire del Saint Graal, où le roi Arfasan « vit que li Seinz Greaus seoit sor une table d’argent » devant laquelle un homme, « qui estoit semblables a provoire » célébrait la messe. (§ 886)29.
7En inventant la table du Graal, Robert de Boron rebat les cartes et situe la Table Ronde au terme d’un vaste processus commémoratif. Si l’écrivain n’est pas toujours, comme le relève A. Micha « à la hauteur de l’architecte »30, le monument qu’il élabore en impose par son ampleur et son équilibre. Cette estoire, que ses fondations évangéliques préservent de toute affabulation, modifie radicalement le rôle et la signification de la Table Ronde, au point que les successeurs et remanieurs de Robert peineront, comme on l’a déjà vu, à intégrer ses innovations. Dans le Merlin, second volet du probable triptyque conçu par cet auteur, mais qui n’est intégralement conservé que dans un remaniement en prose, la table est créée par Merlin, à Carduel, au temps du roi Uter, devenu Uterpandragon à la mort de son frère. Après avoir rappelé en des termes proches du Joseph, l’existence et le sens des deux tables précédentes, Merlin propose en effet l’édification d’une troisième table : « Et se vos me voulez croire, nos establirons la tierce ou non de la Trinité, car la Trinitez senefie touz jorz par trois » (48/75-77)31. Autour de la table peuvent s’installer cinquante chevaliers qui constituent une communauté fraternelle32. Ces « prodomes » anonymes font serment de ne jamais se séparer, « se morz ne [les] depart », de se réunir autour de la table tous les jours à l’heure de « tierce » et de faire venir auprès d’eux leurs femmes et leurs enfants, vivant dans ce cadre « au plaisir Nostre Seignor ». Ainsi se trouve mis en place cet « humanisme nouveau de la Table Ronde » sur lequel insiste à juste titre A. Micha33. Cette table comporte également un siège vide qui ne sera occupé que sous le règne du successeur d’Uter, par un homme qui se sera d’abord assis sur le siège vide de la table du Graal. Entre mémoire et prophétie, cette table joue un rôle crucial dans le dispositif eschatologique élaboré par le Merlin. A. Micha écrit en ce sens : « La Table Ronde, voilà bien l’autre centre du livre. Tout est orienté vers elle. Les chapitres 48 et 49 se situent au milieu du roman, à son point culminant : tout ce qui précède, tout ce qui suit reçoit d’eux son véritable éclairage. »34. Si l’identification de cette table s’impose comme une évidence et sera perçue comme telle par les continuateurs de Robert, il importe pourtant de préciser que l’expression « Table Ronde » ne figure jamais dans le Merlin, qui reste muet sur sa forme, ce qui, compte tenu des circonstances, ne peut s’expliquer que par un choix délibéré. La Table Ronde était sans doute trop étroitement associée à Arthur et à son règne pour que Robert heurte de front la tradition : il opte donc pour une discrétion sans conséquence, mais néanmoins révélatrice. En tentant de concilier ces données chronologiques divergentes, les textes ultérieurs seront amenés à faire l’hypothèse d’une éclipse de la Table Ronde. Dans le Lancelot, la messagère de la Fausse Guenièvre rappelle que cette table a été donnée à Arthur, à l’occasion de son mariage, par le père de Guenièvre, le roi Leodagan de Carmélide : « et vos dona mesire li rois le plus haut don qui onques fust doné en mariage, ce fu la Table Reonde qui est honoree de tant preudomes » (Lancelot III, 14). Les désordres consécutifs à la mort d’Uterpandragon légitiment cet exil de la Table, qui ne peut s’établir que dans un royaume pacifié et exemplaire. Or, en ce temps, Leodagan « estoit […] li plus preudom del monde […] et qui plus maintenoit en grant pris et en grant honneur chevaliers » (ibid., III, 13). Sans s’étendre davantage sur les conditions précises du transfert de la table en Carmélide, les Suites du Merlin exposeront, avec d’appréciables variations de tonalité, les circonstances du retour de la table au royaume de Logres35.
8En raison de ces multiples réinterprétations, le rôle et les dimensions de la Table varient considérablement d’un texte à l’autre. Le Perceval du manuscrit de Modène en accentue le caractère liturgique et le rapprochement avec la table de la Cène :
Le jor de Pentecoste avint que Artus s’en vint a le Table Reonde, et i fist la messe canter voiant tout le peule qui la estoit. Et quant li messe fu cantee, si prist li rois les doze pers et les fist asseoir es doze lius, et li tresimes remest vuis pour le senefiance del liu u Judas sist quant il se leva36.
Dans le Lancelot, la Table Ronde compte cent cinquante chevaliers37, chiffre qui est également repris dans la Queste38 et dans La Mort le roi Artu (§ 107). Plusieurs textes témoignent d’une incontestable inflation. La Première Continuation de Perceval estime le nombre de ceux qui s’assoient autour de la table à trois de moins que deux cent quarante39, Mériadeuc (Li Chevaliers as deus espees) à trois cent soixante-six40. La Suite Vulgate enregistre généralement deux cent cinquante chevaliers41, mais retrouve à l’occasion le nombre habituel42 et s’adonne parfois à une comptabilité hasardeuse et déconcertante, qui s’explique peut-être par le fait que, pour elle, la nouvelle Table Ronde procède de la réunion de deux groupes : les vétérans de la Table Ronde de Carmélide et le groupe des jeunes adoubés, emmenés par Gauvain, qui s’identifient d’abord comme « les chevaliers de la reine »43. Dans l’autre Suite, dite « romanesque » ou « post-vulgate », la table compte bien cent cinquante sièges, mais seulement cent de ces sièges sont pourvus au moment où le roi Leodegan l’offre à Arthur, à qui il reviendra de la compléter44. Dans ce roman, comme le note excellemment Christine Ferlampin-Acher, « la table ne fédère plus, elle rejette », elle « donne lieu, non à des listes positives, mais à des places vides à remplir »45. On pourrait en dire autant de cet autre roman sans Graal qu’est La Mort le roi Artu : trente-deux sièges demeurent inoccupés au début du roman, soixante-douze au début de la guerre contre Lancelot.
9Si la Suite Vulgate reste muette sur l’existence d’un Siège Périlleux, celui-ci est présent dans l’ensemble des textes, qu’il soit censé représenter la place de Judas, comme dans la tradition issue de Robert de Boron46, ou celle du Christ, comme dans la Queste qui déclare qu’il « avoit esté fez par essample de celui siege ou Nostre Sires sist le jor de la Ceinne ». La même référence à la Cène explique que la Table soit le lieu où l’on sert un repas. C’est ce qui se produit dans le Merlin où, après avoir désigné, le jour de la Pentecôte, les cinquante élus, Merlin « lor pria et fist prier le roi que il seissent a cele table et que il menjassent a ce mengier » (49/36-38). Dans le Lancelot, elle joue un rôle analogue, mais dans une tonalité plus délibérément profane. Lorsque le jeune Arthur s’est engagé comme écuyer auprès du roi Léodagan, il y a fort courtoisement découpé le paon servi aux cent cinquante convives (III, 14)47. Pour avoir triomphé de tous ses adversaires lors d’un tournoi, Banin, filleul du roi Ban, a l’honneur d’y servir le premier mets et est ensuite invité à s’asseoir « a la table le roi Artu meisme » en face du roi (XXa, 5)48. Il en va encore ainsi au début de la Queste : c’est après « le premier mes » (p. 7) que Galaad vient occuper le Siège Périlleux et c’est sans doute autour de la Table Ronde que circule le Saint Graal qui dispense à tous, comme jadis à Corbenic, une nourriture à la fois temporelle et spirituelle49. Les chevaliers présents comprennent parfaitement le sens du message, puisqu’ils jurent au moment d’entreprendre la quête « qu’il ne fineroient ja mes d’errer devant qu’il seroient asis a la haute table ou si douce viande estoit toz jors aprestee come cele qu’il avoient iluec eue »50. Or cette table, que peu verront, c’est la Table du Graal qui, de Corbenic à Sarraz, se confond, comme le note encore A. Micha, avec la table de la Cène. « Multipliée dans le temps en trois aspects historiques, Table de Jésus, Table de Joseph, Table d’Arthur, la table – telle qu’en elle-même l’éternité la change – éclate désormais dans son essentielle unité »51.
10C’est en effet la Queste qui parachève et magnifie le jeu des correspondances imaginées par Robert de Boron et illustre le mieux cette unité triple. « Vos savez bien que puis l’avenement Jhesucrist a eu trois principaus tables ou monde » déclare la recluse à Perceval. La table du Graal est clairement construite en semblance et en remembrance de la table de la Cène. Quant à la Table Ronde, elle rappelle la vocation universelle du message divin ; sa forme évoque « la reondece del monde » et l’on peut dire que, par elle, « est li mondes senefiez a droit » puisqu’elle attire tous les chevaliers, venus « de crestienté ou de paiennie », qui quittent « lor peres et lor meres et lor fames et lor enfanz » pour devenir membres d’une communauté placée sous le signe « de la douçor et de la fraternité ». Le symbolisme trinitaire est renforcé par l’assimilation qui s’opère entre les trois « maîtres » et « pasteurs » homologues que sont Jésus, Josephé et Galaad, et se trouve redoublé, en synchronie, par la mention des trois élus.
11Après la Queste, privée de ces résonances historiques et religieuses, la Table Ronde tend à redevenir « un lieu de rendez-vous mondain pour amateurs de prouesses »52. C’est ce qui se produit notamment dans le Tristan en prose où le choix des chevaliers s’effectue par cooptation, comme déjà dans l’Agravain ou La Mort le roi Artu, mais ne peut être validé que si le nom du nouvel élu se trouve miraculeusement gravé sur le siège à lui destiné. Ainsi se trouve préservée malgré tout une part de merveille. Le texte ajoute d’ailleurs une curieuse disposition, selon lui peu connue53 : chaque nouvel élu doit être meilleur chevalier que son prédécesseur. En brodant sans doute sur cette idée de sélection rigoureuse, certaines versions du roman vont jusqu’à imaginer qu’« en la meson le roi Artus avoit . III. manieres de tables », qui obéissent à une stricte répartition hiérarchique. La Table Ronde, dont le roi Arthur est « compainz et sires », est réservée à l’élite de la chevalerie. Elle est complétée par la « Table des Compaignons Erranz », puis par celle des « Chevaliers Mains Prisiez »54. Toutefois, même dans ce contexte résolument profane, la Table Ronde demeure un lieu voué à un exercice mémoriel : c’est en effet autour d’elle que se racontent et se consignent les aventures, dans les textes qui ont éliminé le double relais de Merlin et de Blaise. L’auteur de la Suite Vulgate ne s’y est pas trompé, qui fait jurer à Gauvain, au nom du groupe des chevaliers de la reine, voués, comme on l’a vu, à intégrer la Table Ronde, qu’ils relateront précisément tout ce qui leur est arrivé55. Narrer fidèlement les aventures vécues, et les fixer par l’écriture, compte ainsi désormais, au même titre que la solidarité chevaleresque ou l’assistance aux demoiselles en difficulté, au nombre des vœux fondateurs de l’institution.
12En marge de ce travail incessant des textes, les représentations figurées de la Table Ronde s’adaptent aux modèles esthétiques disponibles. E. Baumgartner a ainsi montré que, dans les manuscrits les plus anciens (fin du XIIIe siècle), les enluminures illustrant la scène inaugurale de la Queste (arrivée de Galaad à la cour et apparition du Graal) présentent régulièrement une table rectangulaire, en accord avec « le modèle iconographique attesté dès le XIe siècle pour la représentation de la dernière Cène et qui est aussi utilisé pour les scènes profanes de festin »56. La prégnance d’un « modèle occidental de la table », caractérisé notamment par la rectilinéarité de l’objet, explique, pour D.-J. Benrubi, l’apparent paradoxe de ces images : « La Table Ronde ne l’est pas avant le XIVe siècle parce que les codes et techniques de représentation de l’espace ne le permettent pas »57. E. Baumgartner émet toutefois l’hypothèse que cette table rectangulaire pourrait ne représenter que le « haut dois » où siège le roi Arthur ; ce choix aurait en outre présenté l’avantage de dispenser les enlumineurs d’illustrer la Pentecôte du Graal, scène inédite pour laquelle ils manquaient de modèles adéquats. Confirmant celui des textes analysés par H. Eberlein-Westhues, le témoignage des images invite en effet à penser que « jusqu’à une époque relativement tardive de la tradition, Arthur ne siège pas à la Table Ronde »58, mais bénéficie d’une position spécifique, siège (et table ?) surélevé(s) marquant sa prééminence. D.-J. Benrubi formule le même constat : « La Table Ronde, dont une des fonctions idéologiques est précisément de dénier l’existence d’une hiérarchie sociale au sein du groupe chevaleresque, n’a pas résisté longtemps à la pression hiérarchique »59.
13Le souvenir de la Table Ronde se manifeste sporadiquement dans les textes. Dans le Lancelot même, il est possible que la Table des douze pairs du roi Brangoire, qui comporte une chaiere d’or n’en soit qu’un reflet quelque peu affadi60. C’est peut-être aussi le cas, dans le Perlesvaus, de la précieuse table en ivoire à laquelle Gauvain est invité à prendre place au château du Graal, en compagnie de vingt-deux vieillards (ou douze selon les manuscrits). Dans le Perceforest, la Franche Table du Franc Palais évoque clairement la Table Ronde dont elle est, dans la logique de la fiction, une préfiguration. Située à l’intérieur d’une salle ronde dont elle épouse la circonférence, de sorte « que l’on s’appoioit au mur de la tour quant l’on estoit assiz », cette table de marbre noir poli adopte une forme de fer à cheval, ouverte en face des portes. Trois cents chevaliers y prennent place, mais dans l’espace central on peut disposer, légèrement en contrebas, d’autres tables placées en épi autour d’un pilier central « qui soustenoit la vossure » et recevoir ainsi jusqu’à mille deux cent convives61. Cette table, à laquelle ne peuvent prétendre que ceux dont les écus accrochés au mur marquent la place62, comportera même un « siège périlleux » correspondant à la place laissée vacante par la mort d’Estonné63. Au-delà de ces avatars littéraires dont on ne tentera pas de faire ici l’inventaire exhaustif, la Table Ronde a nourri des rêves de fraternité chevaleresque dont les différents ordres de chevalerie créés au cours des XIVe et XVe siècles seront la manifestation la plus visible. Lors des fêtes arthuriennes organisées à Windsor en 1344, Édouard III « fit le vœu solennel de rétablir la Table Ronde et ordonna la création d’un palais »64 étrangement analogue à la tour du Franc Palais65. La fameuse table ronde de Winchester élaborée également au XIVe siècle, mais dont la peinture a été refaite au XVIe, atteste également l’engouement de l’aristocratie pour l’idéal que représente la compagnie de la Table Ronde. Parallèlement, peut émerger une nouvelle interprétation religieuse de la table. Dans le chant royal La Table ronde en honneur triumphante, qui fait partie des poèmes lauréats du Puy de l’Immaculée Conception de Rouen (1519-1528), la Table Ronde « restée sans tache, telle la Vierge, […] attend la venue de Galaad, le nouveau Christ »66.
14 À l’époque moderne, la Table Ronde se trouve, dans l’imaginaire, supplantée par le Graal qui fascine en raison du halo de mystère qui l’entoure et dont elle se trouve dépourvue. Privée des correspondances religieuses qui faisaient d’elles un signal et un symbole, elle tend à redevenir une simple table, curieuse mais néanmoins banale. Elle représente au mieux un emblème du monde arthurien lorsqu’on parle de romans ou de chevaliers de la Table Ronde. Encore faut-il constater que les premiers tendent à se confondre avec les romans de cape et d’épée ou avec une sorte d’heroic fantasy médiévale et que la communauté fraternelle des seconds, dont le Lancelot n’esquive ni les tensions ni les lignes de fracture67, par les caprices d’une « oublieuse mémoire »68, survit sous les traits d’une joyeuse compagnie chez les Monty Python69 comme dans les paroles d’une chanson à boire70.
15Le syntagme « table ronde » tend ainsi à constituer un ensemble figé dans lequel l’adjectif voit sa valeur référentielle se diluer. La tendance est ancienne et se manifeste dès le Moyen Âge, comme l’atteste, en plus des nombreux indices déjà mentionnés, une curieuse digression figurant dans au moins quatre manuscrits de la version longue du Brut anglo-normand71. Sous le titre « La destinccioun de la rounde table », le chapitre 87 propose en fait un problème de logique, une énigme mathématique. On y lit que « la table rounde […] fust a la fourme de un eschequier partiz en quatre parz ». Intitulé « C’est la fourme de la table roonde del Roy Arthur », le chapitre précédent ne contient qu’une figure, qui représente la table sous forme d’un carré ou plutôt, si l’on suit la logique de l’énigme, sous forme de quatre tables rectangulaires disposées en carré, autours desquelles prennent place vingt-quatre chevaliers. Ronde, ovale, carrée, rectangulaire, unique ou démultipliée, la Table Ronde se diffracte ainsi en une multitude de « muances » qui rendent sa représentation problématique. Si la réalité matérielle de la table se dissout, l’expression évoque en revanche toujours un idéal de convivialité dont nos modernes et laïques tables rondes constituent provisoirement l’ultime manifestation.
Notes de bas de page
1 « De la Ronde Table li plus / Estoit aveuc le roi Artus. », Renaud de Beaujeu, Le Bel Inconnu, éd. et trad. M. Perret et I. Weill, Paris, Champion Classiques, 2003, v. 5591-5592.
2 Texte cité d’après La Geste du roi Arthur, prés., éd. et trad. par E. Baumgartner et I. Short, Paris, UGE 10/18, 1993, v. 1023-1024. Au v. 4429, l’expression « cil de la Table Röunde » désigne les compagnons d’Arthur tués dans l’ultime bataille.
3 Voir sur ce point, E. Baumgartner, « Jeux de rimes et roman arthurien », Romania, 103, 1982, p. 550-560.
4 La Geste…, op. cit., v. 1065-1066. La première porte sur la création de la Table Ronde (1019-1032). La seconde sur le personnage d’Arthur, qui a fait l’objet de tant de récits extraordinaires que son historicité finit par en être compromise (1057-1070). Wace se fait enfin l’écho, en évoquant les prophéties de Merlin et les croyances populaires des Bretons, de la possible survie du roi Arthur en Avallon, d’où il est censé revenir un jour (4439-4450). Sur ces trois ajouts, voir les très éclairantes réflexions d’E. Baumgartner, op. cit., p. 16-18. Pour quelques autres innovations de détail, voir M. Delbouille, « Le témoignage de Wace sur la légende arthurienne », Romania, t. 74, 1953, p. 172-199.
5 Écossais, Bretons, Français, Normands, Angevins, Flamands, Bourguignons, Lorrains.
6 « Ja verroiz la Table Reonde / Qui tornoie come le monde. » (v. 3379-3380).
7 Gautier Map, Contes pour les gens de cour, traduits et présentés par A. K. Bate, Turnhout, Brepols, 1993, p. 189 ; voir aussi Contes de courtisans, traduction du De Nugis Curialium de Gautier Map, par M. Perez, Lille, Centre d’études médiévales et dialectales, Lille III [1987], p. 143.
8 Art. cit., p. 189.
9 Op. cit., p. 68.
10 Ibid., p. 63.
11 « Roman et histoire : trois lieux historiques du Tristan de Béroul : le cellier d’Orri, la Table Ronde d’Isneldone, “Saint Lublin” », Bien dire et bien aprandre, 22, 2004, p. 153-166 [texte cité p. 163].
12 « König Arthurs “Table Ronde”. Studien zur Geschichte eines literarischen Herrschaftzeichens », in E. Ruhe, R. Schwaderer Hrsg., Der altfranzösische Prosaroman, München, 1979, W. Fink Verlag, p. 184-269. L’auteur mentionne notamment les trois tables « géographiques » en argent de Charlemagne, dont parle Eginhard, ou encore la table ronde, également en argent et représentant le monde, que Roger II de Sicile fit confectionner par le géographe Al-Idrisi en 1154.
13 R. S. Loomis, dans la discussion consécutive à la communication d’A. Micha, « La Table Ronde chez Robert de Boron et dans la Queste del Saint Graal », Les Romans du Graal dans la littérature des XIIe et XIIIe siècles, Paris, CNRS, 1956, p. 119-135 – repris dans : A. Micha, De la chanson de geste au roman, Genève, Droz (PRF CXXXIX), 1976, p. 183-200, texte cité p. 199.
14 La Légende arthurienne et le Graal, Paris, PUF, 1952, p. 102.
15 « Arthur’s Round Table », PMLA, XLI, 1926, p. 771-784 ; « The Round Table Again », Modern Language Notes, 44, 1929, p. 511-519 [repris dans Adventures in the middle Ages, New York, B. Franklin, 1962, p. 86-94].
16 « From the end of the first century until the twelfth the table of the Last Supper was regularly represented as round, so regularly in fact that no certain example of this scene with straight table can be found in European art before 1000. » (L. Hibbard Loomis, « The Round Table Again », art. cit., p. 511). Sur les différentes représentations de la table de la Cène, voir aussi H. Toubert, « Le bréviaire d’Oderisius (Paris, Bibliothèque Mazarine, Ms 364) et les influences byzantines au Mont-Cassin », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes, t. 83 (2), 1971, p. 209-214 et D.-J. Benrubi, Représentations de la table et de la commensalité 1150-1350, thèse de l’École des Chartes, 2008. Je remercie chaleureusement M. Benrubi, qui a eu l’amabilité de me communiquer son travail, ainsi que son article à paraître dans la Romania (« Qu’est-ce qu’un “dois” ? »).
17 « The Holy Grail is originally and fundamentally the Table of the Last Supper, seen in the characteristic shape of certain early Christian circular altar-slabs. » (« Mensa sacra. The Round Table and the Holy Grail », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 19, 1956, p. 40-67, texte cité, p. 45). La table d’autel de l’ancienne église Saint-Étienne de Besançon (« rose de Saint-Jean ») serait un bon exemple de cette tradition.
18 « tabula marmorea supra quam cenavit [Iesus] », Peregrinationes Tres : Saewulf, John of Würzburg, Theodoricus, éd. R. B. C. Huygens, Turnhout, Brepols, 1994 (Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis 139), p. 71. Même constat chez Theodoricus (op. cit., p. 168). Voir aussi : H. Rochais, « Le pélerinage de Saewulf en Terre-Sainte (juillet 1102-septembre 1103) », Collectanea Cisterciensia, 58, 1996, p. 125-140.
19 En des termes voisins de ceux qu’utilise Jésus lorsqu’il remet le Saint Vase à Joseph. Il annonce en effet déjà à cette occasion : « Ausi sera representee / Cele taule en meinte contree. » (v. 899-900).
20 Enygeus, sœur de Joseph, et son mari, Bron (ou Hebron), ont douze fils, dont Alain, père de Perceval (non nommé dans le roman). Le texte est dans un premier temps plus ambigu. Alain, qui refuse le mariage et est « de la grace de Dieu pleins » (3148), paraît destiné à occuper le siège vacant. L’Esprit Saint indique du reste à Joseph que, quand cet enfant (le fils de Bron) sera né, « la sera ses lius assenez » (2536). Mais la logique trinitaire, qui innerve en profondeur le roman, impose que l’opération se réalise à la troisième génération : « Lors sera la senefiance / Acomplie et la demoustrance / De la benoite Trinité. » (3371-3373). « Obscurité » ou « maladresse » de Robert, qui, selon F. Lot, incite par la suite « à dédoubler Alain » et « à dépouiller le trop fécond Bron ou Hébron de l’honneur d’être gardien du Graal au profit de ce fils si chaste. » (Étude sur le Lancelot en prose, Paris, Champion, 1918, p. 221-222).
21 « Car nus le Graal ne verra, / ce croi je, qu’il ne li agree. » (v. 2660-2661). Cette justification pseudo-étymologique est préparée, dans le passage qui précède, par la répétition insistante du mot grâce (2553, 2567, 2584, 2594, 2601, 2605, 2615, 2638, 2648). Une explication analogue figure dans la plupart des textes postérieurs : « et ceste gent clamoient cel vaissel que il veoient et dom il ont cele grace graal. » (Merlin 48/72-74) ; « Et por ce que ele [l’écuelle] a si servi a gré toutes genz doit ele estre apelee le saint Graal. » (Queste 270/31-33).
22 « El non de cele table en fai une [autre] qarree », Robert de Boron, Joseph d’Arimathie, A critical Edition of the Verse and Prose Versions by Richard O’Gorman, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1995, p. 251 (ligne 1006). Voir aussi la note p. 452.
23 « La Table Ronde… », art. cit., p. 184 (note 1).
24 G. Gros, Le Livre du Graal, Édition préparée par D. Poirion, publiée sous la direction de Ph. Walter, t. I, Paris, Gallimard, 20001 (Bibliothèque de La Pléiade), p. 1670.
25 Pour la version longue, L’Estoire del Saint Graal, éd. par J.-P. Ponceau, Paris, Champion, 1997 (CFMA 121) ; pour la version courte, Joseph d’Arimathie, éd. et trad. par G. Gros, dans Le livre du Graal, op. cit.
26 Nos références renvoient à la version longue, éd. J.-P. Ponceau, op. cit.
27 Lancelot, éd. A. Micha, Genève, Droz, 1978-1983, 9 vol (TLF 247, 249, 262, 278, 283, 286, 288, 307, 315), t. II, p. 384, t. V, p. 270.
28 La Queste del saint Graal, éd. A. Pauphilet, Paris, Champion, 1923 (CFMA 33). Le premier chiffre renvoie aux pages, le second aux lignes.
29 Aucune mention en revanche de la table d’argent dans le passage correspondant de la version courte (§ 599).
30 « “Matière” et “sen” dans L’Estoire dou Graal de Robert de Boron », Romania, LXXXIX, 1968, p. 457-480 ; repris dans De la chanson de geste au roman, op. cit., p. 207-230, texte cité, p. 230.
31 Robert de Boron, Merlin, roman du XIIIe siècle, éd. critique par A. Micha, Genève, Droz, 2000 (TLF 281).
32 Le chiffre de cinquante viendrait, selon A. Micha, de Luc IX 14 (« La Table Ronde… », art. cit., p. 184). Le contexte est toutefois assez différent, dans la mesure où le miracle de la multiplication des pains, tel qu’il est rapporté par Luc, met en scène 5000 personnes réparties par tables d’environ 50.
33 Étude sur le « Merlin » de Robert de Boron, Genève, Droz, 1980, p. 105-110.
34 Ibid., p. 158.
35 Sur les différences de traitement du thème entre la Suite Vulgate et la Suite post Vulgate, voir les stimulantes observations de Ch. Ferlampin-Acher « La Table Ronde dans la Suite du Merlin », Méthode !, 11, 2006, p. 33-42.
36 Robert de Boron, Le Roman du Graal, texte établi et présenté par B. Cerquiglini, Paris, UGE 10/18, 1981, p. 199. Le texte du manuscrit BnF n. acq. fr. 4166 est beaucoup plus évasif.
37 « il regarderent que de touz çax de la Table Reonde et des .C. et .L. chevaliers n’i failloit nus », op. cit., C, 34, t. VI, p. 21.
38 Le roman ne précise pas le nombre de sièges mais indique que les chevaliers sont cent cinquante au départ de la quête : « si troverent cil qui mis les avoient en escrit qu’il estoient par conte cent et cinquante », op. cit., p. 23 (27).
39 « Trois mains de doze vins estoient » (v. 3401). Rédaction courte. La Première Continuation de Perceval, texte du ms. L édité par W. Roach, trad. et présentation par C.-A. Van Colput-Storms, Paris, Le Livre de Poche, 1993 (Lettres gothiques). Selon un mécanisme souvent latent, mais ici explicite, la table est démultipliée : le roi va s’asseoir « au mestre dois » afin d’être vu de tous, les barons s’assoient tout autour sur d’autres tables. Les meilleurs chevaliers du monde s’assoient à la Table Ronde ; une autre table accueille les trente pairs (v. 3395-3400).
40 éd. W. Foerster, Halle, 1877, v. 114. Trois chevaliers (Gauvain, Tor, Girflet) sont toutefois absents. Dix rois, « portant couronnes », s’assoient à la table du roi Arthur, qui semble distincte de la Table Ronde.
41 Les Premiers Faits du roi Arthur, texte établi par I. Freire-Nunes, trad. et notes par A. Berthelot et Ph. Walter, dans Le Livre du Graal, op. cit., § 90, p. 901 ; § 95, p. 906 ; § 99, p. 908 ; § 102, p. 910 ; § 505, p. 1301 ; § 506, p. 1302 ; § 531, p. 1324…
42 « Et li compaingnon de la Table Reonde furent d’autre part .C. et .L. tout par conte. », op. cit., § 477, p. 1277.
43 Sans doute pour expliquer la double formule « compagnon de la Table Ronde » et « chevalier de la reine Guenièvre » figurant notamment dans le Lancelot (LXVIIa 7, LXXXIII 65…), la Suite Vulgate (Les Premiers faits du roi Arthur) relate la création de cette compagnie de 80 membres (§ 522) destinée à se fondre avec la confrérie de la Table Ronde (§ 523-525, p. 1318-1320), mais s’embrouille ensuite dans ses comptes : « Et li contes dist que li chevalier la roïne n’estoient a cel jour que . IIII. . XX. et .X., mais puis crurent tant, si com li contes le vous devisera, que il furent . CCCC. devant que la queste du Saint Graal fust achievee. » (§ 554, p. 1350). Faut-il imaginer que, dans l’esprit de l’auteur, les « chevaliers de la reine » demeurent un groupe à part ? En remplaçant « li chevalier la roïne » par « les chevaliers de la Table Ronde », les traducteurs ne clarifient pas vraiment le propos.
44 La Suite du Roman de Merlin, éd. critique G. Roussineau, Genève, Droz, 1996, 2 vol. (TLF 472) ; 2e éd. en un volume, 2006 (TLF 972), § 245-246, p. 199-200. Le Morte d’Arthur de Thomas Malory suit la même tradition.
45 « La Table Ronde dans la Suite du Merlin », art. cit., p. 40. Voir aussi, du même auteur, « La Table Ronde dans Les Merveilles de Rigomer », Cahiers de recherches médiévales, 14, 2007, p. 49-59.
46 Le Merlin n’indique pas ce que commémore le siège vacant, mais la logique du calque incite à penser au siège de Judas (voir ci-dessus le texte du Perceval).
47 op. cit., t. I, p. 25.
48 Ibid., t. VII, p. 239. Le texte précise curieusement dans un premier temps : « de l’autre part encontre lui, non pas endroit, mais auques pres », mais, plus loin, se contente de : « devant le roi ». Quoique le texte demeure équivoque, il semble indiquer que la table du roi Arthur est distincte de la Table Ronde. Il précise en outre que, lors des grandes fêtes, comme Pâques, les rois « portant couronnes » ne siègent pas à la table royale, mais disposent chacun d’une grande table où ils peuvent recevoir et honorer les « preudommes ».
49 Le texte est ambigu : il suggère une pluralité de tables (« li rois […] commanda que les tables fussent mises » ; le Graal « ala par mi le palés tout entor les dois d’une part et d’autre »), tout en indiquant que les chevaliers « s’alerent seoir […] chascuns en son leu aussi com il avoient fet au matin » (p. 15).
50 Op. cit., p. 16, lignes 28-31.
51 « La Table Ronde… », art. cit., p. 195.
52 Ibid., p. 184.
53 « une merveille que on ne devise pas en mout de liex ». Le Roman de Tristan en prose, publ. s.l. d. de Ph. Ménard, t. III, éd. par G. Roussineau, Genève, Droz, 1996, 2e éd. revue, (TLF 398), § 271-272.
54 Le Roman de Tristan en prose, Les deux captivités de Tristan, éd. J. Blanchard, Paris, Klincksieck, 1976, § 183. Une préfiguration de cette hiérarchie figure déjà dans la Première Continuation (voir note 38).
55 « quant il seront repairié a court, si dira chascuns l’un aprés l’autre toutes les aventures qui avenues li seront, queles qu’eles soient, ou bones ou mauvaises. Et juerront sor sains que de riens n’en mentiront ou a l’aller ou au venir » (Les Premiers Faits…, op. cit., § 524, p. 1319).
56 « La couronne et le cercle : Arthur et la Table Ronde dans les manuscrits du Lancelot-Graal », Texte et Image, Actes du Colloque international de Chantilly (13- 15 octobre 1982), Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 191-200 ; repris dans De l’histoire de Troie au livre du Graal, Orléans, Paradigme, 1994, p. 361-377.
57 Représentations de la table, op. cit., p. 194.
58 « La couronne et le cercle… », p. 199 [369].
59 Op. cit., p. 73.
60 Op. cit., XLVII 19 et suiv., t. II, p. 176 et suiv.
61 Perceforest, Deuxième partie, édition critique par G. Roussineau, tome II, Genève, Droz, 2001 (TLF 540), § 472-473, p. 248-249 ; § 565, p. 293 (on y place 32 tables).
62 Quand Perceforest en prend possession, seuls 63 sièges sont ainsi attribués, les autres crochets destinés à suspendre les écus demeurant inoccupés (ibid., § 566).
63 Perceforest. Quatrième partie, éd. G. Roussineau, Genève, Droz, 1987 (TLF 343), 392/374-375. Destiné à rester vacant jusqu’à une heure inconnue de Perceforest (390/336) ce siège « évoque en termes voilés la venue de Galaad » comme le relève G. Roussineau (p. 1159). Mais si ce siège attend Galaad, il faudrait alors que la Franche Table s’identifie matériellement à la Table Ronde. C’est peut-être pourquoi l’auteur éprouve le besoin de préciser un peu plus loin que le siège fut appelé périlleux « tant que le Francq Palais dura » (392/376). On notera que la Table Ronde présente parfois déjà un caractère monumental. La Queste précise ainsi à l’occasion que les sièges sont séparés par des colonnes (p. 156/3).
64 G. Roussineau, Perceforest, Deuxième partie, op. cit., introduction, p. XI.
65 Voir sur ces points, G. Roussineau, ibid., pp. X-XVI et, plus généralement, sur les projets d’Édouard III, J. Munby, R. Barber and R. Brown, Edward III’s Round Table at Windsor : The House of the Round Table and the Windsor Festival of 1344, Woodbridge, Boydell Press, 2007.
66 Th. Delcourt et M.-F. Damongeot, La Légende du roi Arthur, Paris, Bibliothèque nationale de France, Seuil, 2009, notice 125, p. 241. Il est facile de corriger un petit lapsus qui défigure le premier vers de la cinquième strophe : « Lors tous errans de volunté unicque » (et non vincque).
67 La suprématie de Lancelot, constatée par Arthur, suscite l’hostilité des chevaliers. « De cele parole que li rois Artus dist furent si atorné cil de la Table Reonde que il en haïrent puis touz dis Lancelot de mortel haine, ne onques samblant n’en voldrent faire devant que li mesfez de lui et de la roine fu prouvez, quant il furent trové nu a nu par Agravain qui espiez les avoit » (LXXXIV, 73, t. IV, p. 399).
68 J. Supervielle, 1948.
69 Monty Python and the Holy Grail (Sacré Graal), 1975.
70 Auguste Creuzé de Lesser (1771-1839), dont la fidélité aux sources n’est pourtant pas la principale préoccupation, dénonce, au début de son long poème en décasyllabes, les associations d’idées communes dévalorisant l’image de la Table Ronde : « Je veux, amis, chanter la table ronde, / Non cette table où de rians buveurs / Vont, en tous lieux, signaler leur faconde, / Mais celle-là que des héros vengeurs/ Firent briller sur la scène du monde / Et qui, pour eux, le premier des honneurs, / De leurs vertus fut la cause féconde. » (Les chevaliers de la Table Ronde, poème en vingt chants tiré des vieux romanciers, Paris, 1811, repris dans La Chevalerie ou les Histoires du moyen-âge composées de : La Table Ronde, Amadis, Roland, poèmes sur les trois grandes familles de la chevalerie romanesque, Paris 1839).
71 Richard J. Moll, « The Enigma of the Twenty-Four Knights : A Puzzle in Arthurian Seating Arrangements », Bulletin bibliographique de la Société Internationale Arthurienne, LX, 2008, p. 431-442.
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