Comment rendre le Viking présentable : l’ancien Scandinave dans la littérature de jeunesse
p. 113-131
Texte intégral
1De tous les personnages médiévaux exhumés par les auteurs de littérature de jeunesse, il en est un qui se prête à merveille aux aventures en tout genre : le Viking. Sur son navire rapide, surmonté d’une tête de dragon effroyable, nous le voyons braver les pires tempêtes, remonter des fleuves mystérieux et partir à la découverte de trésors et de terres inconnues. Si les Scandinaves eux-mêmes n’ont jamais réellement cessé de s’intéresser aux Vikings, on assiste à un véritable engouement pour l’ancienne civilisation scandinave en Europe continentale et dans les îles britanniques dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Cet intérêt ne s’est jamais démenti depuis. Les médias de grande diffusion se sont emparés de cette figure historique aux XXe et XXIe siècles : le cinéma, la publicité et les jeux vidéo revisitent fréquemment le mythe viking avec plus ou moins de bonheur. Les enfants et les adolescents constituent aujourd’hui une cible particulièrement convoitée et un public réceptif aux produits médiévalisants. Ainsi, les marques Lego et Playmobil, par exemple, ont-elles lancé une collection viking qui comporte des drakkars, du mobilier, des cornes à boire et d’adorables petites figurines barbues, coiffées de casques parfois ornés de cornes. Les romans, les dessins animés et les BD pour la jeunesse qui mettent le Viking à l’honneur se comptent par centaines. Ces œuvres n’ont pas toujours pu passer sous silence les raids et les pillages, ou encore les sacrifices humains qu’on a pratiqués de façon plus ou moins sporadique à l’époque viking. Comment dès lors donner à voir le Viking dans la littérature pour enfants ou adolescents sans traumatiser des générations de jeunes lecteurs ?
2Il va de soi que l’écrivain qui s’adresse à un public jeune doit tenir compte des spécificités intellectuelles et affectives de la psychologie infantile. Lorsque l’on redonne vie à des périodes historiques telles que le Moyen Âge, repère encore fréquemment assimilé aux ténèbres dans l’imaginaire collectif, il faut prendre garde de ne pas heurter la sensibilité des enfants. Contrairement au chevalier preux et noble, le Viking a, de surcroît, souvent pâti d’une image particulièrement négative et violente. À travers un bref survol de la littérature de jeunesse scandinave et française, j’aimerais chercher à comprendre comment quelques auteurs ont abordé la figure du Viking. Ont-ils choisi de ménager leurs jeunes lecteurs ou au contraire ont-ils privilégié le réalisme historique, quitte à parfois brusquer leur lectorat ? Au fil de mes découvertes littéraires, pour l’essentiel des romans historiques pour enfants et adolescents, j’ai tenté de dresser un inventaire des différents types de Viking.
3Selon qu’il écrit un simple récit d’aventures ou une œuvre moderne aux ambitions pédagogiques, l’attitude de l’auteur vis-à-vis du Viking varie énormément. Il peut, par exemple, choisir de ne pas rendre le personnage présentable et de s’inscrire dans la longue tradition historiographique qui a dominé en Europe continentale, laquelle voulait que les anciens Scandinaves fussent d’effroyables pillards. En effet, jusqu’au début du XXe siècle, la littérature pour enfants et les manuels scolaires se bornaient souvent à véhiculer une image stéréotypée du Viking1. Les témoignages de Wace, d’Abbon de Fleury, d’Ordéric Vital ou de Guillaume de Jumièges continuent de résonner dans ces écrits. Bien que romanciers et historiographes contemporains concèdent que les envahisseurs normands ont pu se transformer en paisibles paysans après l’octroi de terres, les raids et les pillages sont évoqués dans des termes extrêmement péjoratifs. La laïcité de l’enseignement est certes une réalité depuis les lois de Jules Ferry, mais jusqu’à la première moitié du XXe siècle l’histoire des incursions vikings était toujours fortement imprégnée d’une vision chrétienne.
4 Harald le Viking, roman d’aventures paru en 1960 sous la plume de Pierre-André Bernard et destiné aux garçons de 12 à 16 ans, développe une image caricaturale de l’ancien Scandinave2. Le roman se déroule de nos jours parmi un groupe de scouts marins. Une malédiction datant de l’époque des incursions normandes menace l’un des jeunes scouts. Pour nous conter l’origine de cet anathème, dans le chapitre 4, l’auteur remonte à l’an 900. Nous sommes sur les côtes françaises, une bande de Vikings vient de débarquer et pénètre dans un monastère :
L’Abbé ne répondit rien. Son regard prit seulement une douce expression de pitié tandis que, de la nef, s’élevaient les cris des moines qui mouraient sous la main des païens. La tranquille résistance du moine exaspéra le chef. Sa hache s’abattit, tranchant net le bras du malheureux. Un flot de sang jaillit, l’ostensoir tomba sur le sol, Harald le ramassa, arracha de la main qui gisait par terre, ensanglantée, l’anneau d’améthyste qu’il se passa au doigt, et se retourna vers l’Abbé, un sourire cruel sur sa face démoniaque :
— Alors, t’a-t-il protégé, ton fameux Jésus qui te commandait de rendre le bien pour le mal ?
Mais le moine expirant trouva la force de lever la main et, malgré le vacarme, sa voix douce monta :
— Maudit sois-tu, païen cruel et sacrilège, toi et toute ta descendance. Toi qui es venu par la mer pour tuer et violer, que la mer te reprenne, t’engloutisse un jour, et tes enfants après toi. Maudit…
Mais le vieillard ne peut continuer. L’épée du Viking l’a cloué sur son autel. Il est mort, la main encore levée dans son geste d’anathème3.
Tous les ingrédients qui accompagnent le mythe viking sont bien présents ici : la cruauté sans borne, la violence et le blasphème. Pierre-André Bernard ne ménage pas ses jeunes lecteurs et on ne doute pas que les adolescents aient frissonné de plaisir à la lecture d’un épisode aussi sanguinolent. Le passage obéit aux canons du genre et les portraits ne sont absolument pas nuancés. Les moines n’envisagent même pas l’éventualité de se défendre ; ils se contentent de prier et ils se laissent massacrer sans résistance. Les Vikings en revanche ne sont que brutalité et cupidité. Leur frénésie contraste avec l’apathie des moines. L’impression de platitude qui se dégage de la scène est renforcée par un champ lexical extrêmement pauvre. Sur une seule page4, l’auteur emploie à trois reprises le verbe « hurler » et le substantif « hurlement » apparaît une fois. Le verbe « se ruer » est conjugué à deux reprises, mais il est également question de la « ruée furieuse » des Vikings. Le chef scandinave est « en proie à une fureur démoniaque »5 et son visage est qualifié de « face démoniaque »6. Les traits de caractère et les valeurs morales traditionnellement prêtés au Viking et institutionnalisés par les productions cinématographiques des années 50 et 60 ne manquent pas non plus dans Harald le Viking. Le père grabataire du jeune chef regrette de ne pas être tombé au combat7 et le jeune Harald se surprend brièvement à penser à sa femme et à son fils, mais un vrai Viking peut-il se laisser aller au sentimentalisme ? Le cliché l’emporte : « Allons, pas de sentiment […] »8. Les quelques illustrations qui accompagnent le texte plongent également le lecteur dans le fantasme : les guerriers scandinaves, d’apparence belliqueuse et intrépide, sont affublés de casques à cornes.
5 Harald le Viking est un pur roman d’aventures. Il ne représente aucun danger s’il est lu uniquement comme tel, mais il ne faut surtout pas se fier à ses prétentions historiques. En effet Pierre-André Bernard ne paraît pas avoir poussé ses recherches historiques très loin. Ses Vikings portent, par exemple, des sabres. De même, un développement sur les runes révèle plusieurs inepties. Les jeunes scouts découvrent une inscription runique dans une cave ; il s’agit d’un message laissé par le chef viking Harald, où il dénonce la malédiction. Un historien accompagne les jeunes garçons lors de la découverte et il tente de leur apporter quelques éclaircissements. Il déclare que l’alphabet runique était constitué de 35 signes : 15 d’entre eux auraient permis de former des mots, tandis que les 20 autres auraient eu une fonction magique9.
6Rien n’est moins vrai. Il a existé plusieurs alphabets runiques : le futhark germanique à 24 signes est apparu au début de notre ère sur le continent européen et il a cédé la place, vers la fin du VIIIe ou début du IXe siècle, au futhark scandinave à 16 signes. À la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle, l’alphabet runique est de nouveau augmenté de plusieurs signes et il en compte dès lors 27. Dans les îles britanniques et en Frise aux Pays-Bas, il a existé un alphabet runique à l’origine à 28 signes, qui est ensuite passé à 33. Dans tous ces alphabets, les runes ont toujours eu une fonction phonologique, même si elles peuvent en effet revêtir un certain caractère magique10.
7Le personnage de Pierre-André Bernard brouille encore davantage les pistes, lorsqu’il spécule sur la langue dans laquelle l’inscription a été gravée :
— […] J’ai à peu près relevé l’inscription : elle est longue, d’ailleurs, un vrai roman. Mais le manque de ponctuation complique les choses, et puis c’est écrit dans une espèce de vieil anglais proche du germain pur, dans la langue des anciennes sagas11.
L’auteur s’empêtre dans les commentaires linguistiques. On est en droit de se demander ce qu’il entend au juste par le « germain pur ». Toujours est-il que les sagas islandaises ont été rédigées en ancien islandais et non en vieil anglais.
8Contrairement à Pierre-André Bernard, qui a chargé sa figure du Viking de tous les excès, l’auteur pour enfants peut choisir de vider le protagoniste de toute sa substance, de l’édulcorer et de ne garder qu’une vague ressemblance avec le véritable personnage historique. Dans une très courte bande-dessinée intitulée Viking !, Matthieu Maudet et François Ravard ont choisi de représenter une troupe de Vikings en expédition12. L’ouvrage convient parfaitement aux plus petits : il est uniquement constitué d’images, mais, plus important encore, toute violence en a été gommée. Il n’y a ici aucune allusion aux raids et aux pillages et les petits marins conçus par Maudet et Ravard n’ont rien de terrifiant. Au contraire, ce sont eux qui tremblent devant un gigantesque canard jaune, une attaque subite de bulles ou un maelström. Il s’avère que le petit drakkar vogue dans une baignoire et que ces aventures sont issues de l’imagination d’un père un brin joueur. L’expédition viking est ainsi entièrement dédramatisée.
9L’écrivain suédois Runer Jonsson adopte la même démarche. En 1963, il donne naissance à un petit héros, Vic le Viking (Vicke Viking en suédois) à travers un roman très drôle. Six autres romans suivront jusqu’en 199313. Les aventures de Vic ne connaissent pas seulement un grand succès en Suède ; elles sont aussi traduites en finnois, en japonais, en hollandais, en allemand, en tchèque ou encore en français. Six titres paraissent dans la collection de la Bibliothèque rose entre 1980 et 198214. Vic le Viking devient également le héros d’un dessin animé de 78 épisodes, diffusé en France à partir de 1979.
10Il est manifeste que Jonsson a voulu prendre du recul par rapport à l’encombrant mythe viking. Dans les années 40, lorsqu’il était journaliste, il avait adopté une attitude très critique à l’égard du nazisme. Les dérives idéologiques et identitaires avaient conduit les nationaux-socialistes à ériger précisément le Viking en symbole de la supériorité des peuples germaniques. À aucun moment Runer Jonsson ne verse-t-il donc dans l’idéalisation de l’ancêtre scandinave. Ainsi Vic est-il un garçon très peureux. Son père, un chef puissant, est doté d’une force et d’un courage considérables, comme il sied à un Viking, et il a à sa disposition une troupe de guerriers valeureux. Le problème est que les Vikings ne sont pas très malins, à l’exception de Vic. Ce dernier déclare :
[…] Je suis certainement le garçon le plus peureux de toute la Suède. Mais pour rien au monde je n’échangerais un peu de ma malice contre une pincée de courage. J’ai souvent eu à me servir de ma cervelle, alors qu’avoir du courage ne m’aurait servi à rien15.
Runer Jonsson tourne donc en dérision le mythe de l’ancêtre idéalisé : le héros est un enfant craintif et les redoutables Vikings paraissent un peu simplets. C’est toujours le petit Vic qui parvient à sortir son père et ses guerriers des pires situations. Bien qu’il adopte un ton léger et humoristique, Jonsson entend dénoncer à travers la série de Vic la force brute et la violence. L’intelligence et la ruse sont érigées en modèles.
11Cet esprit n’est pas complètement absent dans la littérature médiévale islandaise. Dans certaines sagas, qui mettent en scène les illustres colons qui s’établissent dans l’île à l’époque viking, la puissance physique ne triomphe pas toujours. Dans ces textes, la force brute est personnifiée par les guerriers-fauves, les fameux berserkir, sortes de guerriers enragés, mais auxquels l’intelligence fait bien souvent défaut. Ces personnages menacent l’ordre social : il n’est pas rare qu’ils défient un malheureux fermier en duel et s’emparent de ses biens, de sa veuve ou de sa fille à l’issue du combat. Seul un véritable héros peut les vaincre par la force des bras. Un homme commun doit en revanche recourir à la ruse pour anéantir un berserkr. Dans l’Eyrbyggja saga, Styrr accepte d’héberger deux guerriers-fauves suédois. La situation devient intenable lorsque l’un d’eux commence à courtiser sa fille et Styrr cherche par conséquent à se débarrasser des deux frères. Finalement, il y parvient sans mal : il les enferme dans une étuve remplie d’eau brûlante16.
12Les ruses de Vic le Viking ne causent en revanche jamais de mal à personne. Dans son ouvrage consacré aux romans historiques pour la jeunesse, Ying Toijer-Nilsson rappelle que Runer Jonsson était un pacifiste et que toutes ses œuvres peuvent être lues comme des odes à la tolérance, à la paix et à la non-violence17. Bien que très attachant et sympathique, chez Runer Jonsson, le Viking a perdu de son aura. Il est plutôt ridicule : son héroïsme est un héroïsme de pacotille. Le père de Vic, le chef Halvar, a une oreille et un œil en moins. Or, il ne les a pas perdus au cours d’une bataille glorieuse. Une vengeance est certes à l’origine de la mutilation auriculaire. Les fils d’un chef hollandais, que Halvar a tué par mégarde, ont vengé leur père en lui tranchant l’oreille. La perte de l’œil est en revanche liée à une sombre histoire d’hameçons. Nous n’en saurons pas beaucoup plus, si ce n’est que l’homme avec lequel Halvar s’est fâché au sujet des deux hameçons a perdu le nez. Le chef conclut d’ailleurs :
— L’autre a perdu son nez, précisa Halvar. Il est bien plus amoché que moi18.
L’idéal guerrier est ainsi battu en brèche. L’iconographie participe aussi pleinement à cette caricature du Viking. L’illustrateur originel, l’artiste suédois Ewert Karlsson, et l’illustratrice des traductions françaises, Mette Ivers, ainsi que les concepteurs du dessin animé, ont tous représenté les anciens Scandinaves avec des casques à cornes. Qu’ils nagent ou qu’ils dorment, les Vikings ne quittent jamais ces couvre-chefs.
13On peut se demander pourquoi Runer Jonsson a décidé de placer l’action de la série à l’époque viking : en fin de compte il ne subsiste pas grand-chose du cadre historique. La modernité et les anachronismes s’immiscent partout. Le petit Vic fait du ski nautique tiré par deux phoques, il se construit une montgolfière, il conçoit un tremplin pour projeter les Vikings par-dessus les remparts d’un château-fort, il invente les canalisations d’eau… Quelques réalités historiques sont pourtant conservées, telles que la découverte de l’Amérique du Nord par les Vikings et la rencontre avec les Amérindiens. Le cadre spatiotemporel est à peu près respecté : les cités-comptoirs de Birka en Suède et Hedeby au Danemark sont nommées à plusieurs reprises19. De plus, dans Vic le Viking chez les Bougres, il est question de la ville de Holmgard et d’une communauté suédoise qui s’y est établie20. Il s’agit de l’ancienne dénomination de Novgorod (Holmgarðr en norrois), où de nombreux Scandinaves ont en effet vécu au Moyen Âge. Les romans de Vic contiennent également quelques vagues références au paganisme nordique. Si Runer Jonsson a choisi l’époque viking plutôt qu’une autre période de l’Histoire suédoise, c’est avant tout parce qu’elle est propice à l’aventure et que ce décor fournit le cadre idéal à toutes sortes de péripéties. Le monde de Vic est peuplé de rois et de grands chefs auxquels les Vikings ont bien envie de se mesurer. Les forêts suédoises sont toujours dangereuses, car les loups y pullulent. Ailleurs, il subsiste encore des contrées à explorer et, sur un drakkar, l’aventure n’est jamais loin.
14 Harald le Viking de Pierre-André Bernard, mentionné précédemment, et la série de Vic le Viking sont tout à fait représentatifs de l’ancienne génération de fictions historiques pour enfants et adolescents. L’image qu’ils proposent du Viking est simpliste ; ils ne cherchent à aucun moment à donner une épaisseur psychologique au protagoniste, ni à rendre compte de la complexité de la civilisation scandinave médiévale. Dans ce genre d’ouvrages, le Viking demeure un personnage stéréotypé. La tendance actuelle dans la littérature de jeunesse est au contraire au réalisme. Désormais, lorsque les auteurs se penchent sur la figure de l’ancien Scandinave, ils s’efforcent d’en dresser un portrait plus conforme à la réalité historique. Les descriptions sont davantage nuancées et élaborées : le Viking n’est plus diabolisé, mais il n’est pas pour autant dépouillé de toute agressivité. En expédition à l’étranger, il peut commettre les pires exactions, tandis que chez lui, sur ses terres, il sait se montrer pacifique. Il y cultive ses champs, il se consacre à sa famille et il s’adonne à l’artisanat. La visée pédagogique des romans contemporains est importante et de nombreux détails sur la vie quotidienne des Vikings viennent compléter le récit.
15 Le roman Harald le Viking d’Anie Politzer, publié en 2006, appartient à cette nouvelle génération de fictions historiques21. Il s’agit du récit d’un jeune Danois à la première personne du singulier. Nous le suivons au gré de ses périples, qui l’emmèneront jusqu’en France et en Islande, où il décide de s’établir et de se bâtir une ferme. Le héros incarne donc tour à tour plusieurs figures du Viking. Tantôt écumeur de mer, tantôt colon ou paysan, il donne à voir toute la diversité des activités auxquelles les anciens Scandinaves ont bien pu se livrer. Les ambitions pédagogiques de l’ouvrage sont clairement affichées : une carte et un glossaire, entre autres, accompagnent le texte. Dans l’ensemble, le roman est conforme à la réalité historique. À travers les aventures d’Harald, le lecteur découvre plusieurs aspects de la civilisation des Vikings, tels que leur mode d’habitat, leurs coutumes funéraires, leur système judiciaire, leurs croyances et leur mythologie. Nous pouvons cependant y relever au moins une inexactitude. Il est fait mention de l’érection d’une pierre runique en Islande à la mémoire de l’épouse du héros22. Or, il ne subsiste aucune trace de pierres runiques sur l’île ; il semble que les Islandais n’aient jamais adopté cette coutume. Un lecteur exigeant pourrait aussi trouver quelque chose à redire au ton épique d’Anie Politzer. Le style, par moments un peu survolté, ne sied pas vraiment à une fiction viking. On a rarement vu un ancien Scandinave aussi tendre dans une œuvre du XXIe siècle :
— Clothilde !
Je lui prends les mains et les pose sur mon cœur qui bat follement.
Les larmes coulent sur mon visage, je pleure sur elle et sur toutes les souffrances qui l’ont tant vieillie et enlaidie23.
Contrairement aux écrivains qui s’adressent à un public adulte, la plupart des auteurs de jeunesse d’aujourd’hui ne cherchent pas à reproduire la langue des sagas islandaises, lorsqu’ils situent l’action de leurs romans historiques à l’époque viking. Le style des sagas se caractérise par son laconisme, son humour cynique et le rejet absolu de toute répétition, des longues descriptions et des tournures exaltées. Il ne convient probablement guère aux ouvrages pour enfants. Le ton d’Harald le Viking se situe aux antipodes de l’idéal des sagas. L’écriture d’Anie Politzer aurait certainement eu toute sa place dans un roman peuplé de chevaliers, mais, transposée au monde nordique ancien, elle nuit à la couleur locale.
16Malgré le souci de réalisme historique qui semble animer leurs auteurs, les œuvres modernes véhiculent des stéréotypes. Harald le Viking fournit quelques exemples de ces lieux communs et anecdotes figées si souvent indissociables du mythe viking. Au cours de l’un de ses voyages, le jeune héros croise la route du célèbre Rollon et il assiste au traité que ce dernier conclut en 911 à Saint-Clair-sur-Epte avec le roi Charles le Simple. Le futur duc de Normandie est décrit comme étant « un superbe Viking très grand et sûr de sa force »24. L’orgueil démesuré est une caractéristique qui revient souvent dans les portraits d’anciens Scandinaves. Dans la fameuse scène de l’humiliation du roi Charles, la fierté de Rollon est directement incriminée. Dudon de Saint-Quentin nous rapporte en effet comment le chef viking refuse de baiser les pieds du roi. Il désigne alors l’un de ses hommes pour le faire à sa place et celui-ci s’exécute. Toutefois, il répugne à s’agenouiller et le roi Charles tombe à la renverse. Anie Politzer rapporte très fidèlement cet épisode si souvent exploité dans les récits historiques. Dans ce chapitre, il apparaît également que Rollon éprouve la plus grande difficulté à abandonner ses anciennes croyances et à renoncer à jurer par les dieux nordiques. À l’instar d’Astérix et de ses amis qui ne cessent d’employer des interjections prétendument celtiques, les Vikings de Politzer ponctuent inlassablement leurs phrases de « Par Thor ! » ou « Par Odin ! ». Lorsque le roi Charles prie Rollon de s’en abstenir en vue de sa prochaine conversion, celui-ci ne peut qu’acquiescer : « — C’est ma foi vrai ! Par Odin, je ne l’oublierai plus ! »25.
17Tous les clichés dans Harald le Viking ne relèvent cependant pas du registre comique. De nombreuses images stéréotypées des pillards scandinaves rappellent les témoignages des clercs médiévaux. En effet, à côté des descriptions de la vie paisible des anciens Scandinaves, le jeune narrateur évoque aussi les raids de ses compatriotes, dont la violence le marque profondément :
Aucun des récits de nos anciens ne laissait deviner l’horreur et la haine que nous déclenchons partout où nous passons et la cruelle misère que nous laissons derrière nous26 !
À travers les paroles d’un personnage fictif du XXIe siècle résonnent ainsi les mots d’un Abbon de Fleury ou d’un Guillaume de Jumièges. Dans le sillage des Vikings, « il ne reste pas même un chien qui puisse aboyer à leurs trousses »27. Le jeune lecteur apprend par conséquent que l’ancien Scandinave était capable de grandes prouesses. Il savait construire des navires d’une redoutable efficacité. Son artisanat était raffiné, ses traditions orales et sa mythologie étaient riches et fascinantes, mais le Viking était aussi capable du pire.
18Dans la littérature de jeunesse scandinave, ces portraits de Vikings réalistes sont relativement récents. Dans le monde nordique, une longue tradition historiographique et idéologique a en effet considéré l’époque viking comme une période glorieuse de l’Histoire nationale et a tenu à représenter le Viking en tant qu’ancêtre idéalisé. Au XIXe et au début du XXe siècle, les manuels scolaires et la littérature de jeunesse ont donc développé une image du Viking très fortement teintée de patriotisme28. Les petits Scandinaves ont pendant des décennies été bercés par des poèmes et des histoires d’ancêtres éclatants, érigés en héros civilisateurs et modèles de vertu. Les auteurs insistaient sur la découverte par ces illustres ancêtres de nouvelles terres, mais aussi sur leurs activités commerciales et leurs valeurs morales.
19La dénonciation de la brutalité des Vikings constitue donc une nouvelle tendance dans la littérature pour enfants et adolescents en Europe du Nord. Aujourd’hui, les auteurs de jeunesse ne ferment plus les yeux sur les raids ou les rapts de femmes et d’enfants. À travers les fictions historiques, ils critiquent l’antique civilisation nordique qui pratiquait l’esclavage et les sacrifices humains. Il est intéressant de constater que plusieurs romanciers scandinaves ont choisi comme personnages principaux des enfants étrangers, capturés par les Vikings et réduits à l’état de serfs. Il s’agit là d’une thématique héritée de la littérature prolétarienne des années 40. Entre 1940 et 1949, le Suédois Jan Fridegård a publié une trilogie qui se déroule à l’époque viking29. L’ancienne société scandinave y est décrite du point de vue des serfs, appartenant à la classe la plus défavorisée. Fridegård compose une grande fresque historique qui fonctionne comme un miroir. Il établit un parallélisme très fort entre le passé et le présent : les serfs de l’époque des Vikings deviennent les avatars des ouvriers et des journaliers agricoles du XXe siècle, exploités et écrasés par les classes dirigeantes. La trilogie est destinée à un public d’adultes, mais, dès 1973, l’auteur de jeunesse Sven Wernström écrit une série de huit romans historiques, qui se fonde sur une même relecture sociopolitique de l’Histoire30. Il l’intitule Trälarna, c’est-à-dire « Les serfs », et le premier volume se déroule précisément à l’époque viking.
20La romancière suédoise Maj Bylock et la Norvégienne Torill Thorstad Hauger ont perpétué cette tradition littéraire en rédigeant une suite de romans dont les héros sont de très jeunes serfs. Si aucun message politique ne se dégage de leurs œuvres, Bylock et Hauger dénoncent néanmoins le mépris que les Vikings éprouvent pour leurs esclaves et la violence dont ils font preuve à leur égard. Les protagonistes sont des enfants étrangers, enlevés lors de raids contre leur pays natal. Peu à peu, ils découvrent la civilisation viking. On comprend aisément l’intérêt pédagogique que représente une telle trame narrative. Le jeune lecteur s’identifie au personnage qui aborde cette nouvelle culture tantôt avec effroi, tantôt avec curiosité. Cette situation permet de balayer dès l’abord un certain nombre de préjugés. Dans les romans Prisonniers des Vikings et La fuite de Torill Thorstad Hauger, les personnages principaux sont deux enfants irlandais, Patric et Sunniva31. Ils sont capturés par des Vikings et emmenés de force en Norvège. Ils ont déjà entendu de nombreuses histoires effrayantes au sujet des pillards scandinaves, mais ils se rendent vite compte que la représentation mentale qu’ils se font des Vikings n’est pas toujours juste :
Les Vikings étaient maintenant au milieu de la cour. Ils n’avaient ni dents de rapaces, ni cornes au front, pourtant Cara n’avait pas eu tort ; ils ressemblaient bien à des monstres dangereux avec leur lourd équipement de guerre, armes tranchantes, casques de fer et cottes de mailles qui brillaient au soleil32.
De même, à l’approche du petit village norvégien, le jeune Patric est étonné de voir que ses ravisseurs habitent dans des fermes qui ne sont pas si différentes de celle où il a lui-même grandi :
Comme ils sortaient de la forêt, ils se trouvèrent tout d’un coup à l’entrée d’un village, tout un village de fermes entourées d’un damier de champs alternativement jaunes et verts. Ce fut une étrange surprise pour Patric, qui s’était toujours imaginé, sans savoir pourquoi, que les Vikings habitaient des forteresses de pierre au sommet des montagnes33…
Ainsi les différences entre les petits serfs et leurs maîtres tendent-elles parfois à disparaître, ne serait-ce qu’un court instant. Le récit donne d’ailleurs une parfaite illustration de l’inconstance de la fortune à cette époque. Lorsque meurt le grand chef que Patric et Sunniva servent, son domaine attire la convoitise d’ennemis. La ferme subit une attaque dévastatrice, nombre de gens sont faits prisonniers et d’anciens oppresseurs se retrouvent eux-mêmes réduits en esclavage34.
21 Hauger, qui connaît parfaitement bien le haut Moyen Âge scandinave pour avoir travaillé au département viking du Musée d’Histoire à Oslo, dresse un tableau sans concession de la civilisation nordique ancienne. Tous les Scandinaves ne sont cependant pas présentés sous un jour défavorable. Certains viennent en aide aux serfs et sont prêts à les aider à s’enfuir en Islande. Le jeune fils du chef, Sigurd, se lie d’amitié avec Patric et les deux garçons vont jusqu’à conclure un pacte de fraternité jurée, malgré leurs différences sociales. Mais, d’une façon générale, la société viking est marquée par une grande violence et injustice. Les serfs sont souvent victimes de la brutalité de leurs maîtres et l’auteur ne ménage pas ses jeunes lecteurs, lorsqu’il s’agit de dénoncer ces mauvais traitements. La quatrième de couverture de Prisonniers des Vikings indique que le livre s’adresse aux enfants de plus de 9-10 ans ; Hauger décrit pourtant des scènes très dures. La vie d’un esclave ne vaut rien aux yeux de son propriétaire. Celui-ci a, par exemple, un droit de vie ou de mort sur les nouveau-nés des serves et il peut décider d’exposer un enfant non désiré. Mais la cruauté atteint son comble lorsqu’une jeune esclave est prise en flagrant délit de vol dans le cellier du domaine. Le guerrier en charge des serfs lui tranche l’oreille et la livre en pâture aux gardes. L’auteur n’emploie jamais le terme de viol, mais l’idée est fortement suggérée. Même pour un lecteur adulte, la scène est brutale :
D’un coup, il la saisit par une oreille, et trancha. Una sentit la douleur comme un feu ardent dans sa tête. Un large filet rouge coulait le long de son cou et jusque sur sa robe.
Les guerriers s’ennuyaient d’habitude lorsqu’ils montaient la garde et devaient contempler la lune nuit après nuit. Ils n’allaient pas lâcher Una comme ça, pas avant de s’être amusés un peu… Cela dura longtemps. Enfin ils la balancèrent au bas de l’escalier et la laissèrent regagner en rampant la maison des esclaves35.
L’univers de la trilogie Drakskeppet36 (c’est-à-dire « Le drakkar ») de la Suédoise Maj Bylock est moins violent et oppressant que celui qui se dégage des romans de Torill Thorstad Hauger. Bylock relate l’enlèvement d’une jeune Française, surnommée Petite, et son arrivée en Scandinavie. Elle y est vendue en tant qu’esclave, mais elle parvient rapidement à s’enfuir. Elle est alors recueillie par un maître runique et son épouse auprès desquels elle grandira, choyée. Bien que Maj Bylock veille à ne pas heurter la sensibilité de son jeune lectorat en lui épargnant des scènes trop pénibles, elle n’édulcore en rien l’image des pillards scandinaves, lorsqu’ils ravagent les côtes françaises. La violence reste cependant contenue, contrairement à la suite romanesque de Hauger.
22Avant l’arrivée des Vikings dans sa contrée, Petite entend des histoires terrifiantes à leur sujet. Un serviteur rapporte qu’ils ont pour habitude de massacrer animaux et humains. Encore une fois, les voix de Wace, d’Ordéric Vital ou de Guillaume de Jumièges parviennent jusqu’à nous à travers les siècles. Mais Petite apprend que les personnes jeunes et en bonne santé sont épargnées : les pirates les emmènent avec eux pour les revendre en tant que serfs37. La brutalité des pillages est suggérée : une fois enlevée et transportée sur le navire, Petite perçoit au loin les cris, les flammes et la fumée. En cette fin du XXe siècle, la littérature enfantine peut donc toujours véhiculer les mêmes clichés tenaces. Certains portraits de pillards s’inscrivent aussi dans la lignée des descriptions stéréotypées du Viking :
L’homme qui portait Petite était très laid et elle avait peur de lui. Malgré l’obscurité, elle pouvait voir que son nez avait disparu. Sa joue était barrée d’une cicatrice large et rouge38.
Mais de manière générale, dans Drakskeppet, l’évocation de la civilisation viking est très nuancée : la violence des anciens Scandinaves est certes dénoncée, mais leur portrait n’est jamais noirci. L’auteur ne manque pas d’ailleurs de préciser que les Scandinaves au haut Moyen Âge ne partaient pas tous à l’étranger pour se livrer aux raids et aux pillages. Dans l’imaginaire collectif, un Viking est en effet un pirate ou au mieux un marchand. Or, à l’origine, le terme de víking désignait le voyage maritime et l’activité saisonnière, constituée de rapines et de négoce. Le víkingr était par conséquent un individu qui adoptait ce mode de vie à la belle saison. Dans les sagas islandaises, le mot signifie « tyran » ou « pirate ». Au Moyen Âge, le terme n’avait donc aucun sens ethnique. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’il désignera une civilisation et qu’on parlera d’une période viking ou de l’époque viking. Les historiens pensent aujourd’hui que la plupart des habitants des régions septentrionales de l’Europe n’ont d’ailleurs jamais été des Vikings au sens où l’imaginaire collectif l’entend.
23Maj Bylock fait une très nette différence dans son récit entre les pillards et les habitants paisibles qui sont de simples artisans ou paysans. Le père adoptif de Petite gagne sa vie en créant des pierres runiques pour honorer la mémoire des défunts. Petite est horrifiée, lorsqu’elle apprend à déchiffrer les runes et à comprendre les inscriptions. Elle se rend compte que la plupart des morts sont tombés lors d’expéditions vikings, ce qui lui rappelle son propre enlèvement traumatisant. Elle se demande alors si tous les gens du Nord sont des Vikings. Son père adoptif, par exemple, n’a qu’une jambe. Que lui est-il arrivé ? Elle apprend avec soulagement qu’il a eu la jambe arrachée par un loup, lorsqu’il était petit39. Adolescente, Petite (désormais appelée Åsa) est profondément troublée, quand elle se rend compte qu’elle est tombée amoureuse de Torfinn, le fils d’un grand chef. Torfinn s’apprête en effet à partir en expédition viking, mais il lui fait la promesse de l’épouser à son retour :
— Dès que je suis de retour, tu deviendras ma femme.
— Ne crois pas que j’ai l’intention d’épouser un Viking, répondit Åsa avec mépris. Même si ses yeux sont plus bleus que la mer et le ciel.
— Pourquoi ne veux-tu pas épouser un Viking ? demanda Torfinn en se moquant d’elle. Tu ne pourrais jamais obtenir un meilleur mari.
— C’est mon secret. Et tu ne le sauras jamais40.
Dans La fuite, Hauger établit également une distinction entre écumeurs de mer et honnêtes paysans. Un personnage exprime ouvertement son écœurement d’avoir travaillé durement à la ferme, pendant que les Vikings étaient partis à l’étranger dans la plus grande insouciance :
— Je ne veux pas être le premier à souhaiter la bienvenue à des Vikings meurtriers de retour de leurs pillages ! Mon dos s’est courbé cet été d’avoir eu à peiner doublement parce que les jeunes taureaux étaient partis s’amuser41 !
Mais la romancière norvégienne démontre également que n’importe qui peut se transformer en Viking et en tueur impitoyable. En expédition en pays franc, l’un des serfs égorge un moine, mais pire encore, il tue aussi un jeune servant d’autel sans défense42. Le récit échappe ainsi à un manichéisme de mauvais aloi. Le serf sera cependant pris de remords terribles par la suite.
24Les romans de Torill Thorstad Hauger et la trilogie de Maj Bylock ont d’importantes visées pédagogiques : les lecteurs sont sensibilisés à l’art runique, aux croyances et aux pratiques religieuses des Vikings, ainsi qu’à la mythologie. Des détails sur la vie quotidienne en Scandinavie au haut Moyen Âge nous éclairent sur la société et la vie économique. Les récits s’accompagnent de surcroît de dessins très réalistes, sobres et historiquement corrects. Mais il serait injuste de ne souligner que la dimension éducative de ce genre d’œuvres. Les fictions historiques contemporaines, et tout particulièrement les romans d’Hauger et de Bylock, sont avant tout de formidables récits d’aventures. Leur caractère divertissant est tout aussi important.
25Les sociétés scandinaves œuvrent activement pour l’égalité entre les sexes. Or, une période historique comme l’époque viking a pendant longtemps été réservée aux fictions pour jeunes garçons et adolescents. Ces œuvres se voulaient bien souvent édifiantes et cherchaient à enseigner la morale et les vertus viriles, telles que l’honneur, la loyauté, le courage et la droiture d’esprit. Aujourd’hui, la plupart des romans historiques pour la jeunesse paraissent asexués : ils ne semblent pas s’adresser à un public plus qu’à un autre. Il existe cependant désormais quelques aventures vikings qui se destinent davantage aux petites filles ou aux adolescentes. En 2005, la Suédoise Jeanette Thelander a publié le roman Kung Haralds vita hästar, c’est-à-dire « Les chevaux blancs du roi Harald »43. À l’aide d’un bijou de l’époque viking, la jeune Lotta effectue des allers-retours entre le temps présent et le Danemark des années 980. Elle y fait la connaissance du roi Harald à la Dent bleue et d’une jeune fille, Solveig, responsable des chevaux du roi. Lotta partage la même passion pour les chevaux. Le roman est une sorte d’équivalent historicisant des romans équestres, qui rencontrent tant de succès parmi les jeunes filles et adolescentes. Aussi les promenades à cheval et les chevauchées sauvages occupent-elles une grande place dans Kung Haralds vita hästar. La trilogie de Maj Bylock, Drakskeppet, peut séduire les deux sexes, mais il y a fort à parier que les interrogations sentimentales de l’héroïne au sujet de son Viking trouveront surtout un écho auprès du lectorat féminin.
26Après des siècles de diabolisation en Europe continentale et d’idéalisation sans bornes en Scandinavie, on considère désormais la figure du Viking avec réalisme et davantage d’austérité. Depuis le début du XXe siècle, historiens et archéologues cherchent en effet à réhabiliter les Vikings et à les débarrasser de tous les fantasmes qui les entourent. Le fait que la littérature de jeunesse contemporaine paraisse s’aligner sur les théories historiographiques modernes est la preuve que le genre n’est nullement futile et qu’il ne manque ni de sérieux, ni de charme.
Notes de bas de page
1 Même s’il s’intéresse particulièrement aux illustrations, l’article suivant constitue une très bonne synthèse sur la façon dont les invasions normandes ont été traitées dans les manuels scolaires français : Y. Gaulupeau, « Nos ancêtres les Vikings : l’imagier scolaire des invasions normandes (XVIIIe-XXe siècles) », Dragons et drakkars. Le mythe viking de la Scandinavie à la Normandie, XVIIIe-XXe siècles, Conseil Régional de Basse-Normandie (éd.), Caen, Musée de Normandie, 1996, p. 85-100. Pour une réflexion plus générale sur l’image des Vikings dans la littérature française, voir R. Boyer, Le mythe viking dans les lettres françaises, Paris, Éd. du Porte-Glaive, 1986 ou encore « Sur le mythe viking en France », Dragons et drakkars, op. cit., p. 125-134.
2 P.-A. Bernard, Harald le Viking, Paris, Alsatia (coll. Signe de Piste), 1960.
3 Ibid., p. 48-50.
4 P.-A. Bernard, Harald le Viking, op. cit., l’analyse suivante a été faite à partir de la page 48.
5 Ibid., p. 48.
6 Ibid., p. 50.
7 « À demi paralysé par les blessures de la dernière campagne, le guerrier était resté, attendant la mort, regrettant amèement [sic] que celle-ci ne l’ait pas saisi sur quelque champ de bataille, l’épée à la main. ». Ibid., p. 46.
8 Ibid., p. 46.
9 P.-A. Bernard, Harald le Viking, op. cit., p. 38.
10 Cf. en français sur les questions runologiques : L. Musset, Introduction à la runologie, Paris, Aubier-Montaigne (coll. Bibliothèque de philologie germanique 20), 1965 et A. Marez, Anthologie runique, Paris, Belles Lettres (coll. Classiques du Nord), 2007.
11 P.-A. Bernard, Harald le Viking, op. cit., p. 39.
12 M. Maudet et F. Ravard, Viking !, Paris, Carabas (collection Les petits chats carrés), 2006.
13 Vicke Viking paraît en 1963, Vicke Viking lurar de rödögda en 1965, Vicke Viking hederskung en 1966, Vicke Viking i Vinland en 1967, Vicke Viking hos burduserna en 1969, Vicke Viking störtar tyrannerna en 1975 et Vicke tar över en 1993. Les romans sont parus à Stockholm, LTs förlag.
14 Vic le Viking paraît en 1980 ; Vic le Viking chez les Grands-Bretons, Vic le Viking chez les Bougres et Vic le Viking chez les Peaux-Rouges en 1981 ; Vic le Viking contre les Burduses et Vic le Viking fait la loi en 1982. Les romans ont été traduits par M.-J. Lamorlette et sont parus à Paris, Hachette (collection Bibliothèque rose).
15 Vic le Viking chez les Peaux-Rouges, op. cit., p. 33.
16 L’Eyrbyggja saga a été traduite en français sous le titre Saga de Snorri le Godi par R. Boyer, Sagas islandaises, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1987, 3e éd. 1994, p. 205-330. L’épisode de Styrr et des deux berserkir suédois est conté dans le chapitre 28 (p. 248-252).
17 Y. Toijer-Nilsson, Minnet av det förflutna. Motiv i den moderna historiska ungdomsromanen, Stockholm, Rabén & Sjögren (Skrifter utgivna av Svenska barnboksinstitutet n° 24), 1987, p. 81, 96. Il peut être important de souligner que cet ouvrage contient un résumé en anglais : « Reliving the Past. Themes of modern historical novels for young readers », p. 193-199.
18 Ibid., p. 17.
19 Hedeby est mentionné, par exemple, dans Vic le Viking chez les Peaux-Rouges, op. cit., p. 7. Birka est cité dans le même roman p. 69 sq ou encore dans Vic le Viking contre les Burduses, op. cit., p. 147.
20 Vic le Viking chez les Bougres, op. cit., p. 49.
21 A. Politzer, Harald le Viking, Nantes, Gulf Stream (coll. L’Histoire comme un roman), 2006.
22 Ibid., p. 77.
23 Ibid., p. 101.
24 Ibid., p. 91.
25 Ibid., p. 94.
26 Ibid., p. 17.
27 Citation de Guillaume de Jumièges d’après J. Renaud, Les Vikings en France, Rennes, Éd. Ouest-France, 2000, p. 10.
28 En ce qui concerne le caractère patriotique de l’enseignement scolaire, par exemple, en Suède, on pourra consulter à profit H. Tingsten, Gud och fosterlandet. Studier i hundra års skolpropaganda, Stockholm, Norstedt, 1969. Sur l’évolution générale de la littérature pour enfants en Suède, voir E. Von Zweigbergk, Barnboken i Sverige 1750-1950, Stockholm, Rabén & Sjögren, 1965 et B. Westin, La littérature enfantine en Suède, Stockholm, Institut suédois, 1991, rééd. 1998. Sur les fictions historiques pour la jeunesse, voir entre autres : Y. Toijer-Nilsson, Minnet av det förflutna, op. cit. et O. Dysthe, « Utviklinga av den historiske romanen for barn og ungdom i Norge », Edda. Nordisk tidsskrift for litteraturforskning, Oslo, vol. 77, n° 6, 1977, p. 307-317.
29 J. Fridegård, Trägudars land [Le pays des idoles en bois], Stockholm, Wahlström & Widstrand, 1940 ; Gryningsfolket [Le peuple de l’aube], Stockholm, Wahlström & Widstrand, 1944 ; Offerrök [La fumée du feu sacrificiel], Stockholm, Wahlström & Widstrand, 1949. Il est fort regrettable que cette trilogie n’ait toujours pas été traduite en français.
30 Il convient de souligner que l’œuvre de Sven Wernström se caractérise cependant par un militantisme plus affirmé que celle de Fridegård.
31 T. Thorstad Hauger, Prisonniers des Vikings, Paris, Castor Poche Flammarion, 1993 et La fuite, Paris, Castor Poche Flammarion, 1994. Les romans ont été publiés en Norvège en 1978. Signalons par ailleurs que deux autres romans vikings d’Hauger sont parus en France : Sigurd le tueur de dragons, Paris, Castor Poche Flammarion, 1995 et La Corbille, Paris, Castor Poche Flammarion, 1997. Il s’agit de la suite indépendante de Prisonniers des Vikings et La fuite, publiée en Norvège en 1982 et 1989.
32 T. Thorstad Hauger, Prisonniers des Vikings, op. cit., p. 40.
33 Ibid., p. 50.
34 Ibid., p. 239 sq.
35 Ibid., p. 161-162.
36 M. Bylock, Drakskeppet [Le drakkar], Stockholm, Rabén & Sjögren, 1997 ; Det gyllne svärdet [L’épée dorée], Stockholm, Rabén & Sjögren, 1998 ; Borgen i fjärran [La forteresse au loin], Stockholm, Rabén & Sjögren, 1998. En 2005, la trilogie est parue en un seul volume chez le même éditeur. Les références bibliographiques qui seront données ici se fondent sur l’édition de 2005.
37 M. Bylock, Drakskeppet, op. cit., p. 17.
38 Ibid., p. 28. Traduction du suédois : « Mannen som bar Petite var mycket ful och hon var rädd för honom. Fast det var mörkt kunde hon se att hans näsa var borta. Tvärs över kinden hade han ett brett, rött ärr. »
39 Ibid., p. 91-92.
40 M. Bylock, Det gyllne svärdet, op. cit., p. 186-187. Traduction du suédois : « — Så fort jag kommer tillbaka ska du bli min brud.
— Tro inte att jag tänker gifta mej med en viking, svarade Åsa hånfullt. Inte ens om han har ögon blåare än både hav och himmel.
— Varför vill du inte gifta dej med en viking ? frågade Torfinn och skrattade åt henne. En bättre man kan du aldrig få.
— Det är min hemlighet. Och den får du aldrig veta. »
41 T. Thorstad Hauger, La fuite, op. cit., p. 171.
42 T. Thorstad Hauger, Prisonniers des Vikings, op. cit., p. 201 sq.
43 J. Thelander, Kung Haralds vita hästar, Trunnerup, Ordsmedjans förlag, 2005.
Auteur
Doctorante, Université Paris IV
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