L’enclos funéraire de la Céreirède à Lattes (Hérault) : un ensemble aristocratique de la fin du iie et du Ier siècle av. j.-c
p. 327-333
Résumés
L’espace funéraire de la Céreirède, situé à 2 km de l’agglomération de Lattes (Hérault) est constitué de douze tombes datées du VIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C. L’une d’elles, une crémation datée de la charnière des IIe – Ier siècles av. J.-C., se signale par un riche mobilier métallique. Elle est associée à un enclos fossoyé quadrangulaire sans équivalent dans la documentation funéraire de la fin de l’Âge du fer et du début de l’époque romaine dans le Midi de la Gaule.
The Céreirède funerary site was recently discovered 2 km from the agglomeration of Lattara/Lattes (Hérault). It consists of twelve graves dated between the 6th century BC and the 3rd century AD. One of them, a cremation of the end of the 2rd century-beginning of the 1st century BC, is distinguished by its rich metallic gravegoods. It was associated with a square ditched enclosure without parallel in the Late Iron Age and Early Roman period in Southern Gaul.
Texte intégral
1 Cet ensemble funéraire a été fouillé en 2002, dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive dirigée par G. Loison (Inrap). Les données présentées ici ne constituent qu’une première approche dans la mesure où l’étude n’a pu à ce jour être menée à bien.
2Situé à environ 2 km au nord de l’agglomération de Lattara (Lattes, Hérault) (fig. 1), l’ensemble funéraire est établi de part et d’autre d’un chemin creux d’axe nord-sud, à proximité d’un probable passage à gué du Lez (Bel et Daveau 2008 ; Py 2009). Le premier état de fonctionnement observé de cette voie n’est pas antérieur à la fin du Ier siècle av. J.-C., cependant, les éléments de mobilier recueillis dans l’un des fossés bordiers (IIIe siècle av. J.-C), ainsi que la chronologie des sépultures, plaident en faveur d’une création plus ancienne de cet axe viaire.
1. Un espace à vocation funéraire fréquenté entre le vie siècle av. j.-c. et le iiie siècle ap. j.-c.
3Un ensemble de douze tombes, échelonnées entre le Premier Âge du fer et la fin du IIIe siècle ap. J.-C., a été mis au jour sur ce site (fig. 2). Cinq sépultures sont datées de l’Âge du fer. Les plus anciennes ont été implantées sur le côté ouest de la voie. Il s’agit de dépôts secondaires de crémation. Un dépôt de crémation en amphore étrusque (SP4192) (avec poignard en fer, strigile en bronze et coupelle à marli perlé en bronze), est daté de la fin du VIe siècle av. J.-C. (Chardenon et al. 2003). Un autre (SP4340), daté du IVe siècle av. J.-C., est contenu dans une urne modelée, associée à un bol en céramique attique à vernis noir et à une olpé en céramique à pâte claire massaliète. Une troisième structure (SP1003), datée du IIe siècle av. J.-C., est constituée de quelques fragments d’os brûlés de petite taille, simplement protégés par un petit pot modelé placé à l’envers. Elle illustre la discrétion de certains vestiges funéraires de la fin de l’Âge du fer et la diversité des types de dépôts avec des contrastes marqués d’une sépulture à une autre. En effet, de l’autre côté de la voie, sur la rive opposée, deux autres sépultures SP4002 et SP4038 en relation avec un enclos funéraire fossoyé seraient l’expression plus directe de funérailles « aristocratiques » se manifestant en outre par l’abondance de mobilier et de pièces d’apparat.
2. Un monument funéraire sur la rive est de la voie
4Le monument funéraire est constitué d’un enclos quadrangulaire de 8,50 m de côté délimité par un fossé ininterrompu de 1,80 m de large et 1,30 m de profondeur (fig. 2). De même orientation que la voie, l’enclos en recoupe l’un des fossés bordiers, ce qui confirme la préexistence de cet axe. Deux sépultures, SP4002 et SP4038, sont installées dans cet enclos.
5Dans le courant du premier quart du Ier siècle av. J.-C., le colmatage naturel du fossé de l’enclos a été recreusé pour recevoir une série de dépôts successifs que l’on est tenté de mettre en relation avec la tombe principale (SP4002), datée de la même période. Ces dépôts sont constitués de résidus charbonneux, d’éléments de paroi de four et de soles de foyers, d’un empierrement associé à des os de faune, de coquilles de moules et de nombreux éléments de récipients en céramique, près de 1500 fragments parmi lesquels des cruches, des pots, des assiettes, des plats, des bols, des coupelles, des gobelets, des amphores et du dolium. Certains de ces récipients sont presque complets (fig. 3).
3. La tombe centrale de l’enclos (premier quart du Ier siècle av. n.è.)
6La sépulture SP4002, de plan quadrangulaire de 2,35 m de long par 1,5 m de large et 0,60 m de profondeur, occupe le centre de l’enclos. Elle renferme un coffre monolithique en calcaire, fermé par une grande dalle sciée (fig. 4). Dans ce coffre ont été déposés, dans l’ordre, un lot d’ossements de faune désarticulés, sans organisation apparente, trois gobelets en céramique non brûlés (un gobelet en céramique grise de la côte catalane, un vase balustre celtique et un gobelet à parois fines), ainsi qu’une poignée de résidus charbonneux associés à des petits fragments osseux brûlés.
7Une fois la cuve installée, une amphore italique Dr. 1b entière a été placée verticalement dans un loculus. Avant la mise en place de la dalle de couverture, trois vases non brûlés (un plat, une coupelle en céramique campanienne et un pot) ont été déposés sur le fond de la fosse aux abords du coffre (fig. 5). Les restes de vases et d’objets métalliques très fragmentés et déformés par la chaleur, ont été collectés sur le bûcher et entassés sur les côtés de la cuve (fig. 6). Le dernier dépôt introduit dans la tombe est une couche de résidus charbonneux contenant des restes osseux et des fragments de vases, en métal ou en céramique, brûlés.
8Le mobilier métallique particulièrement riche dans cette sépulture comprend un grand nombre de pièces. Sont présents des objets vraisemblablement en lien avec le repas et la cérémonie funéraire, parmi lesquels on identifie cinq à dix récipients en bronze dont au moins deux situles (fig. 7), un bassin, un poêlon, une cruche (fig. 8), un chaudron en fer et bronze vraisemblablement associé à une crémaillère en fer, des éléments de lampe en bronze figurée (fig. 9) et un candélabre tripode en fer à axe coulissant. On distingue également du mobilier plus directement lié à la personnalité et au statut du défunt, considéré comme attributs personnels, c’est-à-dire l’armement et de petits objets de parure et de toilette. La panoplie guerrière comprend au moins une épée dans son fourreau, deux pointes de lance, un umbo circulaire ainsi que de probables éléments d’armures et de casque (fig. 10). Les objets de parure et de toilette sont représentés par des fragments de strigiles, de bracelets, de fibules et un possible torque.
9L’ensemble de ce mobilier, passé sur le bûcher, est particulièrement déformé. L’état de conservation de ces vestiges, mais aussi l’amalgame et les accumulations liés au mode de dépôt dans la sépulture ont fortement limité la lecture de certains amas. Les travaux de restauration en cours, réalisés par le laboratoire de Draguignan, permettront de préciser et de valider certaines identifications mais aussi de découvrir d’autres éléments éventuels. La liste des dépôts métalliques n’est donc pas arrêtée. Cet ensemble mérite une attention particulière que justifie l’association dans une même sépulture de plusieurs éléments uniques et de mobilier de prestige. Des précisions et compléments pourraient être apportés concernant les pratiques de bris et de mutilations intentionnelles. Certains objets présentent en effet des traces de déformations, de manipulations qui faisaient partie intégrante du déroulement des funérailles et participent à la caractérisation des étapes du rituel.
10La disposition des éléments semble avoir été définie en fonction de la situation de la voie : le long côté de la fosse est ainsi disposé parallèlement à l’axe viaire. À l’intérieur de la fosse, la bipartition de l’espace est remarquable avec à l’ouest, en façade par rapport à la voie, le coffre monolithe, élément majeur de la tombe ; le reste du dépôt, à l’est, passant au second plan en quelque sorte.
4. Une seconde sépulture dans l’enclos
11L’enclos abrite une seconde sépulture (SP4038), un dépôt de crémation de la première moitié du Ier siècle av J.-C., de taille plus modeste. Il comporte un ossuaire (gobelet en céramique à paroi fine), placé à l’écart d’un ensemble constitué d’un gobelet en céramique à paroi fine, d’un bol hellénistique à relief, d’un pot modelé, d’une cruche et d’un récipient indéterminé à pâte claire, associés à un umbo à ailettes en fer, une épée en fer repliée dans son fourreau, un fer de lance, une paire de strigiles et une fibule en fer (fig. 11).
5. La pérennisation de l’occupation durant l’Antiquité
12La fréquentation funéraire du lieu à la fin du Ier siècle av. J.-C. est suggérée par la découverte d’une épitaphe sur un cippe trouvé en remploi dans les recharges de la voie. Elle se poursuit au cours de la deuxième moitié du IIe siècle et au IIIe siècle de n. è. par une série d’enfouissements (crémations et inhumations), dont certains sont implantés le long du fossé de l’enclos alors remblayé, indice d’une forme de pérennisation du monument pendant près de trois siècles. Parmi ces installations, deux tombes bûchers (crémations primaires), un dépôt secondaire de crémation et trois inhumations sont installés dans le comblement du fossé de l’enclos funéraire d’époque républicaine. Enfin, un sujet immature a été inhumé à une trentaine de mètres au sud, dans le comblement de l’un des fossés bordiers de la voie (Bel et Conche 2003).
Conclusion
13Le mode d’implantation le long d’un chemin, la fréquentation du lieu sur la longue durée, la pratique de la crémation, sont autant d’éléments qui permettent de rattacher cet ensemble à la documentation funéraire méridionale de la fin de l’Âge du fer (Bel et al. 2008). Ce schéma trouve des parallèles dans la plaine du Vistre à Nîmes avec des espaces funéraires ruraux. Le lien sépulture/voie, avec des regroupements de sépultures sur la durée, apparaît également sur des sites assez proches géographiquement entre Lattara et Sextantio : l’ensemble funéraire de Mermoz à Castelnau-le-Lez (Ott et al. 2009), de la Gallière à Montpellier, de la Zac du Parc de l’Aéroport à Pérols, de la Zac Port Marianne avec la présence d’enclos funéraires le long du chemin romain des Cauquillous… (Bel et Daveau 2008).
14La tombe principale du site de la Céreirède et son enclos fossoyé frappent cependant par l’ampleur de leurs dimensions, par la présence d’un coffre monolithe et le dépôt de résidus du bûcher, qui ne trouvent pas à ce jour de parallèle dans le Midi de la Gaule. La qualité et l’abondance du mobilier, constituent d’autres signes distinctifs qui pourraient témoigner de l’appartenance du défunt à l’aristocratie lattoise.
15Si la vocation funéraire du lieu sur la longue durée peut être attribuée à la proximité d’un passage à gué, la régularité des enfouissements pose la question éventuelle de leur appartenance à un même groupe. On ne peut guère répondre à cette question, mais il semble bien en tout cas que l’on a affaire à un espace au recrutement sélectif qui a été choisi pour l’installation de tombes de personnages de haut rang. En effet, contemporaine d’une forte présence étrusque à Lattes (Lebeaubin et Séjalon 2008 ; Py 2009), la plus ancienne tombe du site (fin VIe siècle av. J.-C.) se distingue par la présence d’une arme et d’un mobilier exogène qui témoignent - a minima - d’une forte acculturation de son possesseur. Plusieurs siècles plus tard, au début de l’occupation romaine, la tombe principale de l’enclos présente elle aussi un mobilier au faciès exogène, en grande partie importé, qui conduit à s’interroger sur l’identité du défunt (auxiliaire, client ou citoyen romain ?). Ainsi, ces tombes remarquables permettent-elles d’entrevoir sur la durée les interactions entre le monde indigène et les mondes gréco-étrusque et romain durant l’Âge du fer.
Bibliographie
Bibliographie
Bel V., Barberan S., Chardenon N., Forest V., Rodet-Bélarbi I., Vidal L., et coll. 2008, Tombes et espaces funéraires de la fin de l’âge du Fer et du début de l’époque romaine à Nîmes (Gard), Lattes, Association pour le développement de l’Archéologie en Languedoc-Roussillon, 519 p. (Monographies d’Archéologie Méditerranéennes, 24).
Bel V., Conche F., 2003, « La Céreirède », in Vial J. Le Montpelliérais, Paris, Académie des inscriptions et belles-Lettres, pré-inventaire archéologique publié sous la responsabilité de M. Provost (coll. Carte archéologique de la Gaule, 34/3), p. 224-226.
Bel V., Daveau I., 2008, L’occupation du territoire autour de Lattara : quelques aspects mis en lumière par les fouilles récentes, in Janin Th ., Py M. dir., Lattara/Lattes (Hérault). Nouveaux acquis, nouvelles questions sur une ville portuaire protohistorique et romaine, Gallia, 65, p. 23-44.
Chardenon N., Bel V., Marchand G., 2003, Découverte d’une sépulture du premier âge du Fer au lieu-dit La Céreirède (Lattes, Hérault), in Les Etrusques en France, catalogue de l’exposition, Lattes, Musée Henri Prades, p. 132-134.
Janin Th ., Py M. dir., 2008, Lattara/Lattes (Hérault). Nouveaux acquis, nouvelles questions sur une ville portuaire protohistorique et romaine, Gallia, 65, 230 p.
Lebeaupin D., Séjalon P., 2008, Lattara et l’Étrurie. Nouvelles données sur l’installation d’un comptoir vers 500 av. J.-C., in Janin Th ., Py M. dir., Lattara/Lattes (Hérault). Nouveaux acquis, nouvelles questions sur une ville portuaire protohistorique et romaine, Gallia, 65, p. 45-64.
Ott M., Bel V., Chardenon N., Cretin C., Séjalon P., 2009, Mermoz II à Castelnau-le-Lez. Rapport final d’opération de fouille archéologique, Institut national de recherches archéologiques préventives, Service régional de l’archéologie de Languedoc-Roussillon, 168 p.
Py M., 2009, Lattara, Lattes, Hérault. Comptoir gaulois méditerranéen entre Etrusques, Grecs et Romains, Paris, éditions Errance, 343 p. (collection Hauts lieux de l’histoire).
Auteurs
Inrap, Centre archéologique de Nîmes, 561 rue Étienne Lenoir, Km Delta, 30900 Nîmes, UMR 5140, Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, 390 avenue de Pérols, 34970 Lattes, valerie.bel@inrap.fr
Inrap, Centre archéologique de Nîmes, 561 rue Étienne Lenoir, Km Delta, 30900 Nîmes, UMR 5140, Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, 390 avenue de Pérols, 34970 Lattes, sebastien.barberan@inrap.fr
Inrap, Centre archéologique de Nîmes, 561 rue Étienne Lenoir, Km Delta, 30900 Nîmes, UMR 5140, Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, 390 avenue de Pérols, 34970 Lattes, nathalie.chardenon@inrap.fr
Inrap, Centre archéologique de Nîmes, 561 rue Étienne Lenoir, Km Delta, 30900 Nîmes.
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