Avant-propos
p. 9-12
Texte intégral
« Vous regardez la fumée se disperser, elle trace des mots, des vers, s’enroule dans des volumes, dessine des scènes de théâtre, se lie comme une base aux couleurs de la toile, ponctue des partitions. »
Vincent Delecroix, à propos de la fumée s’élevant du bûcher d’Achille, Tombeau d’Achille, Gallimard, 2008
1Il n’est nullement besoin de procéder à une longue démonstration pour attester la vitalité de la création artistique mettant à l’honneur l’Antiquité. Il suffit de consulter les programmes des théâtres et des opéras pour constater combien le répertoire des pièces antiques ou inspirées de l’Antiquité est présent aujourd’hui, de mesurer le succès rencontré par les expositions qui mettent en lumière l’héritage de l’Antiquité dans les différentes formes d’expression artistique, de rappeler le goût du public pour les péplums et reconstitutions d’épisodes tirés de l’histoire grecque ou romaine, de relever enfin les multiples références à l’Antiquité dans la publicité et dans la vie quotidienne.
2C’est de ce constat qu’est né le projet de mener une réflexion sur la place de l’Antiquité dans les arts, en examinant les lectures, projections, réécritures suscitées par la littérature et la mythologie gréco-romaines. Quel regard portons-nous maintenant sur le théâtre antique ? à quel type d’analyse littéraire peut-il donner lieu ? Quelles étaient les conditions de représentation des tragédies et des comédies et comment les mettre en scène aujourd’hui ? De quelle manière explorer les mythes grecs ou l’histoire romaine ? Sous quelles formes ont-ils été traités aussi bien dans l’art lyrique qu’en peinture ou au cinéma ? Autant de questions auxquelles ce volume apporte des éléments de réponse.
3Le lecteur y trouvera à la fois des contributions scientifiques d’une grande utilité pour la recherche universitaire et des contributions pédagogiques rendant compte d’expériences fructueuses menées avec des élèves de collège et de lycée. Le projet repose en effet sur la volonté d’associer la recherche disciplinaire et la pratique pédagogique, double approche qui s’avère particulièrement stimulante et enrichissante. Néanmoins, pour une utilisation plus commode de l’ouvrage, les textes strictement scientifiques forment les quatre premiers chapitres. Les chapitres 5 et 6 présentent à la fois des aspects de recherche et un caractère pédagogique. Enfin, les comptes rendus pédagogiques occupent les quatre derniers chapitres. Chaque contribution est assortie d’une bibliographie.
4Les textes scientifiques du présent volume accordent une large place au théâtre antique. Dans une étude approfondie, François Cam s’interroge sur le type de musique qu’entendaient les spectateurs de la tragédie antique et propose une séduisante transposition du rythme et de la mélodie des strophes grecques à partir d’un passage de chœur de l’Agamemnon d’Eschyle. Sylvie David, travaillant également sur le théâtre eschyléen, analyse en détail et avec subtilité la « scène des Boucliers » des Sept contre Thèbes : elle souligne le rapport qu’entretiennent les emblèmes avec la réalité et montre comment une société se raconte la guerre en images. Pierre Letessier procède à une critique très convaincante de la façon dont les éditeurs modernes plaquent sur les comédies de Plaute les structures du théâtre de Molière et suggère une autre présentation qui tiendrait compte de la spécificité des productions théâtrales latines. La contribution de Géraldine Gaudefroy-Demombynes revient sur la relation entre le théâtre et la musique : elle évoque la genèse, fort complexe au demeurant, de la tragédie lyrique Iphigénie en Tauride, composée au XVIIIe siècle, et étudie comment sont exploités et mis en musique les éléments du mythe retenus par Euripide dans sa propre tragédie ; l’insertion d’extraits du livret en annexe et le caractère érudit de l’article expliquent la longueur du texte.
5La réception de l’Antiquité est également au cœur de la réflexion développée par les deux contributions qui constituent la seconde partie de l’ouvrage. Thomas Guard, s’intéressant au fameux épisode de l’assassinat de Jules César, compare le traitement de la scène dans les deux films de Mankiewicz et met en regard ces lectures avec les récits des historiens grecs et latins et la pièce de Shakespeare consacrée à ce personnage. L’analyse attentive des œuvres tant cinématographiques que littéraires éclaire le rapport qu’entretiennent les hommes avec le pouvoir et suscite une réflexion sur la façon dont l’histoire se construit : ce travail aborde des questions d’un grand intérêt pour le chercheur comme pour l’enseignant. Marie Ver Eecke, de son côté, dans une approche pleine d’humour, démonte les mécanismes de la parodie à laquelle Offenbach se livre, en reprenant le mythe d’Orphée dans son opéra Orphée aux Enfers. S’attachant aux personnages et à la construction de cette œuvre « palimpsestueuse », elle suggère des pistes précises et séduisantes pour étudier en classe le mythe d’Orphée et travailler plus généralement sur le caractère polymorphe des mythes.
6La dernière partie de l’ouvrage, consacrée aux contributions spécifiquement pédagogiques, rend compte de travaux portant d’une part sur l’image, avec une étude de tableau représentant les Enfers et l’élaboration d’un film sur le mythe d’Orphée, d’autre part sur le théâtre, avec un projet visant à faire découvrir la tragédie grecque au public scolaire et une proposition de mise en scène d’une comédie d’Aristophane. Valérie Bondenet initie ses élèves à la recherche en sollicitant leur sens de l’observation et de l’analyse dans un travail d’interprétation du magnifique et saisissant tableau de Monsù Desiderio, Les Enfers, exposé au musée des Beaux-arts de Besançon. Utilisant les TICE et se référant aux sources littéraires antiques, les lycéens, sous l’égide de leur professeur, ont pu décrypter, avec précision et discernement, cette peinture riche en symboles et en allusions. Un second dossier a trait de nouveau au mythe d’Orphée : Bernard Bellevret, Patricia Ferraj et Annie Gobert retracent l’expérience pédagogique qu’ils ont conduite avec des élèves venus d’horizons différents dans le cadre d’un atelier de pratique artistique et qui a abouti à la production d’un film à partir d’un travail de réécriture du mythe d’Orphée. À travers les références antiques, les lycéens ont exprimé leur vision du monde actuel : une telle démarche est particulièrement féconde. L’initiative de trois jeunes Normaliens, Sylvain Perrot, Laure Petit et Aurélien Pulice, est également remarquable : ils ont souhaité faire partager à des collégiens et des lycéens leur intérêt pour la tragédie grecque, en organisant une journée sur ce thème. Toutes les voies d’approche du théâtre grec ont été utilisées grâce à des ateliers où les élèves ont pu étudier le contexte culturel et social, la musique, la portée des mythes et leurs échos postérieurs. La tenue de ces rencontres chaque année témoigne du dynamisme de ce projet. Enfin, Laurent André, Angélique Auvray et Line Mercier exposent les étapes du travail qu’ils ont mené dans le cadre d’un atelier théâtre lycéen pour mettre en scène la comédie d’Aristophane Lysistrata. Ils évoquent les choix qui ont présidé à cette entreprise, les difficultés rencontrées et la façon dont elles ont été surmontées avec le concours constant des élèves. Le succès remporté par la jeune troupe lors des représentations est un gage de la valeur de cette expérience marquante.
7Toutes ces contributions sont le fruit des travaux présentés lors des Journées d’automne de la Coordination Nationale des Associations Régionales d’Enseignants de Langues Anciennes1 qui se sont tenues à Besançon les 26 et 27 octobre 2009 et qui ont été organisées par l’Association Régionale des Enseignants de Langues Anciennes de l’académie de Besançon et par l’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité, laboratoire de l’Université de Franche-Comté. Cette manifestation fut l’occasion d’échanges stimulants et de discussions nourries, qui illustrèrent la complémentarité des expériences et des compétences, et les heureux effets de la synergie produite par la réunion d’enseignants exerçant au collège, au lycée et à l’université. La présence des jeunes, qui, dans une mise en scène pétillante, firent entendre au public les accents truculents des comédies d’Aristophane et de Plaute2, contribua également à la réussite de ces rencontres.
Notes de bas de page
1 À ces Journées avait participé également Monique Halm-Tisserant, maître de conférences en archéologie et histoire de l’art grec, qui avait présenté une communication sur « Le massacre des prétendants : d’Homère à Moreau ». D’autre part, l’Association bisontine Fortis, destinée à favoriser l’étude et la recherche historique et archéologique et organisatrice du Festival international du film d’archéologie de Besançon, avait généreusement prêté un film de sa sélection, « La trittoïa, ou le rendez-vous de Thasos », de J.-F. Dars et A. Papillault, produit par le Centre National de Recherche Scientifique Images en 2007, qui fut projeté à la fin des Journées.
2 Outre la présentation d’extraits de Lysistrata illustrant le travail de l’atelier théâtre du lycée de Lure (cf. contribution de Laurent André, Angélique Auvray et Line Mercier), l’atelier de théâtre antique de Paris VII, sous la direction de Pierre Letessier, et avec le soutien du Groupe de Recherche en EthnoPoétique, donna Mercator 2 le Retour, d’après Le Marchand de Plaute.
Auteur
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