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Alexandre Dumas, un journaliste engagé sous la Deuxième République1
p. 33-46
Texte intégral
1Le 24 février 1848, Louis-Philippe abdique et la République est proclamée. Le 4 mars 1848, la presse est définie comme un puissant instrument de civilisation et de liberté, et le timbre portant sur les écrits périodiques est aboli. Deux jours plus tard, le gouvernement provisoire abroge les lois de septembre 1835 (répression des délits de presse et autres moyens d’expression). Avec la proclamation du suffrage universel masculin – désormais 9 millions d’hommes âgés de plus de 21 ans ont le droit de vote –, c’est tout un nouveau public de citoyens qui est à atteindre. En quelques semaines, 300 journaux apparaissent à Paris, de même qu’en province. Au total, 450 journaux sont imprimés en 1848, 200 en 18492.
2Le « roi » du roman-feuilleton, Alexandre Dumas – qui se consacre durant deux périodes au journalisme politique, sous la Deuxième République et entre 1860 et 1864 à travers L’Indipendente –, parallèlement à la création de son journal Le Mois, devient rédacteur en chef de La Liberté, du 25 mars au 25 mai 1848, puis quitte cette dernière et devient rédacteur en chef de La France nouvelle, du 1er au 24 juin. Enfin, avant de ne se consacrer qu’au Mois, il offre aussi des articles à L’Assemblée nationale, La Patrie et L’Événement, entre mai et août 1848. De nombreux romanciers feuilletonistes s’engagent alors, à l’image d’Alexandre Dumas, dans le journalisme politique3. Alexandre Dumas se présente entre avril et novembre 1848 comme candidat à l’Assemblée nationale mais rencontre l’échec électoral, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre la publication de sa feuille politique. Son journal dure près de deux ans, jusqu’à la veille des lois restreignant le suffrage universel (mai 1850) et taxant le roman-feuilleton (juillet 1850)4.
3La périodicité du journal et sa diffusion font entrer alors la France dans l’ère de la culture médiatique de masse, témoignant du développement de l’espace public au xixe siècle ; ce phénomène est lié à l’essor du capitalisme et de la bourgeoisie, qui commente les débats politiques dans les journaux, et à la mutation de la culture politique qu’opère l’invention d’un régime de débat, lequel se traduit par une parlementarisation de la culture et sa médiatisation.
4Il s’agit ici d’expliquer, à travers l’étude du Mois, l’échec politique du romancier feuilletoniste à succès Dumas sous la Deuxième République, et aussi d’entrevoir les raisons qui ont poussé Dumas à s’engager politiquement. Après l’analyse du lancement et de la fin de l’entreprise de presse dumasienne, puis l’étude du lectorat du Mois et des moyens mis en œuvre par Dumas pour attirer des lecteurs, il convient ainsi de revenir sur les raisons de l’engagement journalistique et politique du « roi » du feuilleton.
I. Lancement et fin du Mois
5Le Mois, au format in-4°, compte 26 numéros (mars 1848-février 1850), chaque numéro comportant 32 pages en double colonne. Non illustré, quasi exclusivement politique – l’information artistique occupe 1 % de la matière du journal – les événements nationaux (Paris, départements, colonies) ont une place prépondérante (75 % de la matière) face aux événements internationaux (24 %), notamment les révolutions en Italie.
6Dumas pense assurer le succès de son entreprise en mettant en relief son nom dans des affiches publicitaires (mars 1848, hiver 1849), où les caractères les plus grands, et donc plus visibles par le flâneur, sont ceux du journal et de son unique rédacteur. Dans l’affiche invitant les lecteurs à s’abonner pour la troisième année (1850) du Mois, apparaissent en gras et en majuscules le nom du journal et celui de son rédacteur. Ainsi, certains journaux « disparaissent presque devant les individus »5. La Liberté, La France nouvelle et La Patrie proclament, voire acclament la collaboration de Dumas lorsqu’il devient leur rédacteur en chef politique, comme La Presse et Le Siècle ou encore Le Constitutionnel, qui annonçaient sous la monarchie de Juillet les romans des grands auteurs (Dumas, Féval, Sue) à paraître dans leurs pages en comptant attirer les acheteurs et abonnés. Un hebdomadaire du dimanche, Les Saltimbanques. Pochades politiques, ironise sur le prospectus emphatique annonçant la publication du Mois :
Nous citerons un passage curieux de ce chef-d’œuvre : « La politique est un besoin universel. Que se passe-t-il à Paris ? que se passe-t-il en Europe ? que se passe-t-il dans le monde ? Eh bien, c’est ce que notre revue se charge d’apprendre à ces dix millions de lecteurs qui attendent chaque matin la pâture sociale, comme les Hébreux du désert attendaient chaque soir la nourriture matérielle » – 4 F par an ; qu’on se le dise ! Et allez donc la grosse caisse !
Il faut avouer que les abonnés du citoyen Dumas sont des mortels très-heureux ; la pâture sociale qu’ils attendent chaque matin, il la leur présentera chaque mois ; quel empressement ! lui seul était capable de répondre ainsi à leur impatience. Il faut convenir, pourtant, que si Dieu eût procédé de la sorte à l’égard des Hébreux, il en serait très-peu sorti du désert6.
7Outre la publicité, il faut aussi des fonds pour lancer un journal. Toutefois la périodicité mensuelle du Mois se traduit par moins de numéros à imprimer et à distribuer, et lui permet d’échapper au cautionnement. La loi le rétablissant (août 1848) ne touche que les périodiques publiés plus de deux fois par semaine. De plus, un quotidien publie en un mois le même nombre d’exemplaires – mais avec trois à quatre fois moins de pages – que le mensuel de Dumas durant ses deux ans d’existence. Le prix du Mois peut ainsi être plus modeste, le journal n’exigeant pas autant de frais de gestion et d’imprimerie ; il est également en mesure de refuser tout financement publicitaire. Le Mois ne compte que sur ses abonnés souscripteurs, ce qui a l’avantage d’apporter des finances qui assurent la trésorerie du journal et une stabilité des ventes ainsi qu’une limitation des invendus. De même, la périodicité du Mois ne nécessite pas un service de crieurs.
8Malgré la difficulté de connaître l’investissement financier de Dumas dans son entreprise de presse, il est sûr qu’il possède certains revenus pour financer, au moins en partie, l’entreprise journalistique du Mois. Ses revenus littéraires ont atteint 80 000 francs par an depuis le succès des Trois Mousquetaires (1844) et du Comte de Monte-Cristo (1844-1846). Ils comprennent les droits d’auteur, les billets d’auteur pour le théâtre et la vente aux journaux et libraires. Ainsi Dumas peut être seul à la tête de l’entreprise journalistique, comme plus tard pour Le Monte-Cristo (1857-1860) et Dartagnan (1868). Dans Le Mois, les personnes de directeur, gérant, fondateur, propriétaire et rédacteur se confondent. Du fait d’un retard continu dans les livraisons, le dernier numéro du Mois (1er février 1850) paraît probablement à l’été 1850 – la date d’un mot de Dumas, du 9 mars 1850, à l’imprimeur du Mois, précisant de ne pas oublier l’annonce dans le numéro 24 du 1er décembre 1849 du récit Une nouvelle Troie, pour le numéro suivant (1er janvier 1850), indique que le journal continue d’être publié avec retard –, à la veille des lois qui obligent l’auteur d’articles de presse à signer ses écrits et rétablissent le timbre pour toute publication (juillet 1850).
9Cependant, dès l’été 1848, le régime opte pour un système répressif. La « révolution médiatique »7 du printemps 1848 prend fin. Crimes et délits de la presse (11 juillet 1848, 27 juillet 1849) et cautionnement (août 1848, avril 1849 et juillet 1850) sont rétablis. Ce régime de surveillance s’appesantit en 1849 et 1850. Les tenants du parti de l’Ordre – une majorité conservatrice sort des urnes le 13 mai 1849 – renouent donc avec les procédés de compression de la monarchie de Juillet. Des journaux continuent de paraître, mais ils augmentent leur prix, réduisent leur nombre de pages ou espacent leur périodicité. Ainsi dès avant le coup d’État du 2 décembre 1851, qui sonne le glas de la presse politique – ne subsistent en province que les organes préfectoraux et cléricaux –, de nombreux journaux disparaissent de l’horizon public.
10Toutefois, Le Mois reste peu inquiété par la législation. Comme mensuel, il n’est pas touché par le cautionnement. Comme journal fonctionnant spécifiquement sur l’abonnement, il est peu concerné par l’interdiction de vendre les journaux sur la voie publique (juillet 1849). Comme organe politique modéré, il n’est pas inquiété par les mesures coercitives appliquées notamment après les journées de Juin 1848, les manifestations et élections de la gauche en juin 1849 et au printemps 1850. Quant à la signature des articles, si elle détruit, selon Paul Féval et le journaliste Edmond Texier, le principe même du journal, entité collective et non nominale, elle ne semble pas gêner outre mesure Dumas. Plutôt timide dans sa défense de la liberté de la presse, Dumas s’élève contre la restriction de cette liberté lorsque son outil de travail est directement concerné, c’est-à-dire au début de l’année 1850, lorsque s’ouvrent les discussions à l’Assemblée nationale sur le rétablissement du timbre pour toute publication.
11Le Mois meurt sans doute plus pour des raisons financières, externes à l’entreprise journalistique. Pris entre la saisie de sa coûteuse demeure de Monte-Cristo, la pension qu’il verse à son ex-femme Ida Ferrier, la chute de son Théâtre-Historique (fermé le 16 octobre 1850 et déclaré en faillite le 20 décembre suivant) et les dettes contractées envers son collaborateur Maquet, Alexandre Dumas ne parvient plus à faire face.
12Ces difficultés financières transparaissent dans la gestion et dans la rédaction du Mois. Dans une lettre circulaire lithographiée du 15 mars 1849 d’Alexandre Dumas aux lecteurs du Mois, Dumas revient sur les graves événements de l’année 1848 et les « embarras naturels d’une entreprise qui se fonde »8 et, au numéro 24 (1er décembre 1849), précise que les dépenses sont considérables. Désormais, les numéros égarés et les gravures, auparavant offerts, sont payants. Le journal connaît donc de plus en plus d’embarras financiers, embarras qui peuvent s’expliquer par une gestion inégale de l’entreprise, le déficit d’abonnés et les difficultés financières extérieures.
13La révolution trouble en effet la fréquentation des théâtres et freine l’industrie littéraire. Paul Dupont, dans son Histoire de l’imprimerie (1854), indique que le retour de la confiance et la reprise des affaires de l’imprimerie et de la librairie ne viennent qu’après les événements de décembre 1851, qui effacent les derniers vestiges de la crise industrielle de 1848. Il indique que, pour 1848, le total des affaires de la librairie a diminué de 27 % par rapport à l’année précédente9. Avant la révolution de 1848 et la crise de l’édition, l’éditeur Cadot débourse en moyenne 3 500 francs pour un volume de Dumas et Maquet, après Février 1848, 1 500 francs.
II. La chasse aux abonnés : quel lectorat ?
14Grâce à la périodicité mensuelle et au fonctionnement de l’abonnement, Le Mois peut afficher un prix annuel relativement modeste, valable à l’échelle nationale, de 4 francs, contrairement aux quotidiens et hebdomadaires qui affichent un prix supérieur pour la province et l’étranger, afin de compenser les taxes postales. Cependant, les abonnements à l’année sont pour la plupart proposés à moins de 20 francs. En revanche, Dumas n’effectue aucune remise sur la durée de l’abonnement, forcément annuel, mais il ne manque pas d’offrir « des petits cadeaux » à ses abonnés lors de leur réabonnement (autographes, gravures).
15Outre le prix et les « petits cadeaux », Dumas ne renonce à rien pour son lecteur. La dernière page du n° 12 (30 novembre 1848) prévient les abonnés du Mois d’un accroissement de la matière du journal d’un tiers à partir de janvier 1849, ainsi que d’une impression en caractères neufs. Pour ses lecteurs plus fortunés, les numéros du Mois de 1848 et 1849 seront reliés en deux volumes avec couverture, table des matières et gravures. Enfin, pour un franc de plus par an, à cause du port, le lecteur peut recevoir la collection brochée.
16Le Mois se transforme aussi formellement et s’organise peu à peu en rubriques à l’apparition irrégulière (rubriques « étranger », « départements », « Beaux-arts »), et l’impression en double colonne du Mois peut être plus agréable pour le lecteur. Dans la presse de 1848, 20 % des titres sont imprimés en double colonne, 60 % sur trois colonnes, comme La Liberté et L’Événement, et moins de 10 % sur quatre10 – règle ultérieure –, comme L’Avenir national de Paul Féval.
17Les renouvellements formels, comme les éditions populaires, illustrent les essais d’adaptation de la presse de 1848, qui tente de toucher un plus large public. Les journaux tentent d’adapter les structures typographiques à l’évolution des mentalités et aux attentes du lectorat. Cependant, étant donné le peu de documents et de statistiques et le manque de fiabilité des chiffres énoncés, il est difficile de mesurer le lectorat d’un journal sous la Deuxième République.
18Dans « Aux abonnés du journal Le Mois », le 30 novembre 1848, Dumas annonce que son journal possède 20 000 abonnés et qu’il espère atteindre les 100 000 lecteurs. La Liberté, financé par l’homme d’affaires Millaud, avant l’initiative du Petit Journal (1er février 1863) du même Millaud, est le premier grand journal à cinq centimes. La Liberté aurait atteint les 100 000 exemplaires et est tiré le 12 mai 1848, pendant la collaboration de Dumas, à 63 370 exemplaires11. Vendu sur la voie publique, le journal obtient ainsi un grand succès. La Liberté sort deux, voire trois éditions par jour. Selon le journaliste Jean Wallon, la réussite du journal modéré tient à quatre points :
La modicité de son prix ;
« Une rédaction vulgaire, insignifiante, à la portée de tout le monde » ;
La « politique pittoresque de M. Alexandre Dumas » ;
« Une suite de nouvelles à la main et de bons mots »12.
19L’augmentation spectaculaire des tirages est aussi rendue possible par l’achat de nouvelles presses, susceptibles d’imprimer recto verso. Cependant, les succès de certains journaux nés après le 24 février 1848 sont souvent des succès éphémères, et concernent surtout les quotidiens. Dumas surévalue vraisemblablement le nombre de ses abonnés, qui sont de plus essentiellement parisiens, même si des journaux comme Le Constitutionnel et Le Crédit assurent que le périodique connaît le succès13. Devant les multiples journaux existants et la périodicité quelque peu originale du Mois14, il demeure peu probable, même si un individu peut varier ses lectures périodiques, que le journal atteigne 20 % du lectorat de la presse républicaine modérée française, estimé à 100 000 individus par Féval, dans son n° 51 du 24 août 1848 de L’Avenir national – le lectorat des journaux prétendument royalistes atteignant plus d’un million d’individus et le lectorat des journaux rouges ou socialistes plus de 500 000, toujours selon Féval. Cependant, il reste possible que les lecteurs – voire les abonnés – du journal de Dumas atteignent le nombre de 20 00015. En effet, selon des estimations concernant la Révolution française, mais aussi la Deuxième République, un journal acheté équivaudrait à dix lecteurs.
20La lecture pour Dumas est un des meilleurs facteurs d’émancipation du peuple, mais il convient que celui-ci sache choisir ses lectures. Malgré ses désirs de toucher un lectorat modeste, les journaux liés à Dumas restent probablement souscrits par une élite sociale urbaine, la petite bourgeoisie, les artisans et les petits employés soucieux de promotion sociale, plutôt que les ouvriers de Paris ou des grandes villes de province16. Le Mois ne concerne qu’une minorité d’abonnés aisés et la partie de la population qui fréquente les cabinets de lecture urbains. Pour autant, même si Le Mois ne paraît que chaque mois, Dumas multiplie les tentatives pour influer sur l’opinion publique. Il diffuse ses tribunes du Mois défendant son ami emprisonné Girardin, de La Presse, et s’attaquant au général Cavaignac17, offre à qui veut la possibilité d’acheter, pour 1 franc 50, – et donc de déroger à l’abonnement – son récit du mois de juin 1848 constituant deux livraisons du Mois18, vante ses premiers-Paris sur la situation européenne, « Allemagne-Hongrie-Italie » (Le Mois, n° 21-22, 1er septembre-1er octobre 1849) auprès de son ami Victor Hugo19, et publie en volume son histoire des guerres d’indépendance en Amérique du Sud, Une nouvelle Troie (paru dans les deux derniers numéros du Mois), avec au cœur de celle-ci Garibaldi (avant son retour dans la péninsule italienne)20.
21Surtout, les lecteurs sont alors peu coutumiers d’une pratique de la lecture des périodiques. La culture populaire qui précède le journal est une culture essentiellement visuelle. Et lorsque le suffrage universel masculin est proclamé, il existe encore un tiers d’analphabètes en France, même si, à l’échelle interrégionale, la France du Nord est plus alphabétisée que la France du Sud, selon une ligne imaginaire Saint-Malo-Genève. Les « nouveaux lecteurs ont besoin d’aide à la représentation d’autant que souvent le journal est lu à haute voix par un tiers »21. Seule L’Illustration, née le 8 mars 1843, offre des reportages illustrés en 1848. Le Mois, contrairement aux premières pages du Mousquetaire et du Monte-Cristo plus tard, n’est pas illustré.
22Ainsi, les renouvellements formels de la presse de 1848 n’ont pas donné corps à un véritable dispositif médiatique de masse, et le statut du romancier feuilletoniste et le prosélytisme caractéristique de la presse républicaine ont pu jouer un rôle négatif. Dumas ne désire pas refléter les désirs du plus grand nombre ; il veut tout d’abord éclairer et guider les citoyens dans la voie qu’il estime la plus saine. De plus, les abonnés, quelque peu perdus devant la multiplication des journaux politiques, se reportent vers les anciens organes de presse.
III. Le journal, un tremplin politique ?
23Dans une dernière partie l’on peut s’interroger sur le journal comme tremplin et/ou tribune politique, en comparant la carrière journalistique et politique de Dumas à celles d’autres romanciers feuilletonistes comme Paul Féval et Eugène Sue22. Toutefois, il faut rappeler que Le Mois ne prend pas fin après les derniers échecs politiques de Dumas (novembre 1848), mais en 1850, lorsque le journal est condamné, à la fois comme vecteur politique et comme vecteur littéraire, par le pouvoir.
24Dumas se présente dans les départements de l’Yonne, de la Seine, de la Seine-et-Oise, en 1848, et en Guadeloupe, en 1850 – il envisage aussi une candidature en Gironde en 1848. Par l’instauration du suffrage universel masculin, le 2 mars 1848, le nombre d’électeurs (à l’échelle nationale) est passé d’environ 260 000, sous la monarchie de Juillet, à plus de 9 millions. En avril 1848, 83 % des électeurs votent. Aucune force politique n’a préconisé l’abstention. Nombre de romanciers-feuilletonistes ont été candidats aux élections législatives sous la Deuxième République23, mais rares sont ceux qui parviennent à être élus représentants du peuple. Si les romanciers-feuilletonistes Antony Thouret, aux élections partielles de juin 1848 dans la Seine, puis Sue, aux élections législatives partielles d’avril 1850 dans la Seine – après des échecs dans le Loiret et la Seine en 1848 –, revêtent l’écharpe tricolore, par contre, Alexandre Dumas, Victor d’Arlincourt, Hippolyte Castille, Émile Chevalet, Étienne Enault, Paul Féval, Alphonse Karr, Arthur Ponroy et Émile Souvestre échouent.
25La révolution de Février 1848 a pris de court Dumas. Après un timide soutien aux banquets réformistes (juillet 1847-février 1848), le commandant de la Garde nationale de Saint-Germain-en-Laye – statut qu’il rappelle dans les deux premiers numéros du Mois24 – se montre aussi prudent que la Garde nationale parisienne lors de la chute de Louis-Philippe. Comme Victor Hugo, il se prononce en faveur d’une régence, mais devant l’instauration de la République, il ne tarde pas à vouloir revêtir l’écharpe tricolore des représentants du peuple et à afficher un programme politique. Comme Lamartine, l’année précédente à Marseille, et Hugo, aux élections complémentaires du 4 juin 1848 dans le département de la Seine, Dumas fait valoir qu’il est un ouvrier, un « ouvrier de l’intelligence »25. Aux électeurs de l’Yonne, il clame simplement : « Je suis l’auteur des Mousquetaires, c’est-à-dire d’un des livres les plus empreints du cachet national et de la couleur française qui existent dans notre littérature »26. Mais les idées et les projets politiques de Dumas fluctuent quelque peu au gré des événements. Affichant d’abord un programme de gauche modérée, qu’incarne La Liberté (suffrage universel, abolition des impôts nuisant à la petite et moyenne bourgeoisie), il rejoint les rangs du parti de l’Ordre après les manifestations d’avril et de mai et les journées de Juin 1848, puis soutient la candidature présidentielle de Louis Napoléon avant de s’inquiéter d’un possible coup d’État et des projets (éducation, presse, politique extérieure) de la majorité parlementaire conservatrice. Dumas suit en fait l’évolution de son ami Hugo sans pour autant rejoindre les rangs de la Montagne.
26Cette ambivalence politique et les liens d’amitié qu’il a entretenus avec la famille royale déchue (amitié avec le défunt duc d’Orléans, privilège du Théâtre-Historique grâce au duc de Montpensier) expliquent en grande partie la méfiance de son éventuel électorat et ses échecs électoraux, que ce soit devant les hommes de la Garde nationale de Saint-Germain-en-Laye (27 février), les travailleurs et les curés de Paris et de Seine-et-Oise – département où se situe son domaine de Monte-Cristo – vers le 15 mars, le 28 mars et début juin, ainsi que dans le département de l’Yonne en Bourgogne (en juin puis en septembre), et ce, dans ce dernier cas, malgré l’emploi d’un agent électoral, Charpillon, notaire local et maire adjoint de Saint-Bris, et le soutien de ses amis Girardin et Hugo, et de Thiers27. La notabilité a eu une part essentielle dans l’élection28. De plus, les électeurs d’avril 1848 ont souvent préféré élire des hommes proches de leur localité. Ainsi, même si Féval est breton, comme il l’indique dans sa profession de foi en tant que candidat du Finistère, il reste probablement pour les électeurs un écrivain de Paris, comme Dumas pour les électeurs de l’Yonne. Les événements du printemps et de l’été 1848 ont confirmé lors des élections partielles le vote en faveur de notables orléanistes et légitimistes.
27Dumas, qui peut-être espérait en 1831, après sa participation aux « Trois Glorieuses » (28, 29 et 30 juillet 1830), se faire une place dans le monde politique, fonde-t-il Le Mois pour renouveler cette tentative ? Le premier numéro du Mois, daté de mars 1848, tarde à paraître, mais il est publié avant les élections législatives, qui ont été repoussées du 9 au 23 avril. Cependant, Dumas ne semble pas vouloir s’appuyer sur Le Mois pour devenir représentant du peuple. D’ailleurs les premiers retards de livraison du mensuel sont en grande partie liés au fait qu’il effectue ses tournées électorales.
28Il demeure intéressant de s’interroger sur le rôle de la presse dans les élections républicaines de la Deuxième République. Sue publie et distribue gratuitement Le Républicain des campagnes (3 000 exemplaires), brochure politique dans laquelle il défend la Première République et la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », et présente des projets associatifs (caisses et maisons communes) aux travailleurs, dans le Loiret, entre le 26 mars et le 23 avril 1848. Malgré le soutien de La Commune de Paris et de La Réforme, les paysans du Loiret n’offrent pas à Sue, les 23 et 24 avril 1848, les suffrages souhaités. Le programme socialisant (grands travaux, éducation gratuite pour tous) de Sue, qui correspond au programme de Ledru-Rollin et de La Réforme, a peut-être inquiété les ruraux du Loiret. Porté aussi sur les listes parisiennes, Sue arrive en 72e position, ce qui constitue un échec, puisque seuls les 34 premiers sont élus. Quant à Féval, sa profession de foi dans le Finistère, affichée dans la ville de Rennes, est mieux relayée par la presse bretonne (La Sentinelle du peuple ; L’Armoricain, journal de Brest et du Finistère ; L’Auxiliaire breton) et la presse parisienne (Le Salut public) que par son Bon Sens du peuple, mais le candidat n’obtient pas les succès escomptés. Ainsi, si les trois romanciers-feuilletonistes ont pu espérer revêtir l’écharpe tricolore des représentants du peuple, ils n’ont pas forcément fondé et écrit un journal politique dans ce seul but. De plus, le soutien ou le relais d’une candidature par différents journaux n’est pas garant d’une élection. La presse a toutefois un rôle déterminant dans la médiatisation des élections et sur les votes, surtout lorsqu’elle s’organise en comité politique. Ainsi, en 1849 comme en 1850, s’opposent aux élections législatives un comité de journaux conservateurs et une commission de la presse démocrate et sociale. À l’issue d’une âpre campagne politique orchestrée par ces comités de presse, Sue est élu aux élections partielles des 28 et 29 avril 1850.
29Dumas tient surtout, fort de son expérience de vulgarisateur de l’histoire de France, à éclairer le peuple. La proclamation du droit au travail avec le principe des ateliers nationaux et de l’aide aux associations, le 25 février 1848, inquiète bientôt Dumas et la bourgeoisie républicaine, qui redoutent l’instauration d’une démocratie ouvrière. Après les manifestations populaires du 16 avril et du 15 mai 1848, cette situation conflictuelle atteint son paroxysme dans les journées de Juin 1848, lorsque les ateliers nationaux sont fermés. L’illusion fraternelle de Février est rompue. Défenseur de la propriété et de l’ordre, Dumas voit dans ces sanglantes journées la faute inexpiable de la presse « rouge », qui, selon lui, a prêché des inepties et a fourvoyé tout un peuple. Sous la plume du journaliste, les « rouges » et leurs représentants sont ainsi attaqués et ridiculisés : Dumas s’élève contre les fouriéristes de La Démocratie pacifique, les saint-simoniens, les cabétistes, les buchéziens, les proudhoniens. Socialisme, utopie, communisme, anarchisme sont dénoncés ; Dumas ne voit dans toute la pensée socialiste qu’un charabia incompréhensible et impraticable. Ce ne sont que théories fumeuses, comme celles de l’organisation du travail de Louis Blanc :
La question de l’égalité du salaire est une utopie sans consistance. Elle détruit le principe : à chacun sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres […]. Tout paresseux est un voleur29.
30Ainsi, Dumas s’attaque à tout ce qui touche de près ou de loin à la Montagne. Dans son adresse « À nos lecteurs » débutant le n° 20 du Mois du 1er août 1849, Dumas revient sur son ouvrage Impressions de voyage en Suisse (1835) et sur la distinction qu’il y avait établie entre républicanisme social et républicanisme révolutionnaire. Le républicanisme de Dumas tient au respect de la voie légale pour transformer la société ; il se fait le porte-parole du progrès social, tout en se distinguant du socialisme, jugé révolutionnaire.
31L’écrivain devient même oracle divin : « notre tâche est facile : la Providence nous la trace. Dieu dicte et nous écrivons »30. Paul Bénichou a mis en lumière la tentative d’un pouvoir spirituel laïque dans les années 1820-1850, après une première tentative entre 1760 et 178931. Un véritable pouvoir spirituel est alors accordé par le monde intellectuel aux écrivains, aux artistes, acceptés comme guides et prophètes intuitifs32. La sacralisation du romancier-journaliste peut être facilitée par l’étroit lien qui existe alors entre journalisme et littérature, entre écrivain et journaliste33, surtout lorsqu’il s’agit d’une revue comme La Liberté de penser, à laquelle collabore Sue (livraisons de septembre et novembre 1850, de janvier et février 1851), et Le Mois dont le sous-titre est, à partir de janvier 1849 (n° 13), Revue historique et politique. Leur publication mensuelle, permettant un certain recul par rapport aux quotidiens, renforce le caractère intellectuel de leur contenu. Marc Martin note le lien majeur que représente la revue dans le deuxième tiers du xixe siècle, entre journalisme et lettres. Sa naissance se rattache à des préoccupations intellectuelles, à la réévaluation des valeurs au lendemain des tourmentes révolutionnaires34. Le journal devient ici un outil pédagogique. Dumas est avant tout un humaniste qui espère fonder une religion de la fraternité, dont il est le prophète, et souhaite, par le transfert de sa légitimité littéraire – même si le roman-feuilleton est attaqué par beaucoup d’écrivains35 – sur le plan politique, une reconnaissance intellectuelle et politique. L’écriture est sacralisée et permet l’« assomption du Christ-écrivain36 », aussi bien dans son œuvre romanesque que dans Le Mois37. Dumas soutient même l’idée d’un ministère de la Paix dirigé par un artiste – comme Victor Hugo l’ambitionne tout d’abord après l’élection présidentielle de Louis Napoléon. Ce ministère de la Paix, de l’Art, doit permettre à la France de rayonner à travers le monde.
32Toutefois, le rôle du romancier – mais aussi du dramaturge et du poète – dans la presse, et plus largement dans la vie politique française, n’a pas toujours été bien accueilli par les contemporains. Pour une grande partie des élites politiques et culturelles, les désordres, les émeutes et les révolutions sont imputables à une trop grande liberté d’expression et de la presse ; le désaveu concerne, outre les journaux de gauche, les journaux des poètes et romanciers. Sand et Lamartine pactisent avec le socialisme rouge, tandis que le lyrisme de Dumas et de Hugo est considéré comme peu efficace en politique. Jean Wallon, décrivant La France nouvelle, note : « Journal de M. Alexandre Dumas, c’est-à-dire nul et insignifiant, modéré plutôt qu’honnête »38. Pour ce journaliste, romancier-feuilletoniste et journaliste politique sont totalement antagonistes.
33Cependant tous les contemporains ne jugent pas les romanciers-feuilletonistes incapables de s’engager dans la politique. Le Pamphlet constate :
L’Événement et L’Avenir national ont ce point de contact qu’ils sont rédigés par des littérateurs, je veux dire par des hommes, qui, pour connaître la syntaxe, l’orthographe et même quelque chose de plus, ne se sont pas jugés incapables de se mêler aux mouvements politiques du pays. Est-ce parce que M. Hugo est le plus beau génie littéraire de la France nouvelle, est-ce parce que M. Paul Féval a écrit des romans dont le succès est européen, qu’un critique […] les accable d’injures39 ?
34Quant à un des fils de Victor Hugo, Charles, il soutient la candidature de Dumas aux élections partielles de juin 1848 dans la Seine :
Le club de la Banlieue porte spontanément sur sa liste le nom d’Alexandre Dumas.
Alexandre Dumas est une des gloires de la France.
Et qui dit la France, dit l’Europe, qui dit l’Europe, dit l’univers.
Jusqu’ici le nom d’Alexandre Dumas est entré partout.
Il fait chaque jour le tour de Paris, chaque semaine le tour de la France, chaque année le tour du monde.
[…] Il apporte les faits et les idées, les nouvelles et les anecdotes, le roman et l’histoire. […] Tout à coup il quitte l’idéal pour le réel, les héros pour les hommes, le feuilleton pour le premier-Paris. […] On l’écoute, on s’intéresse, on fait silence : la chaise du charmant causeur est devenue la tribune de l’éloquent publiciste. […] Sera-t-il dit qu’il y a dans Paris même une grande porte ouverte à deux battants à tout le monde, et par laquelle le nom d’Alexandre Dumas ne passera pas ?
S’il ne passe pas, c’est que la porte sera trop petite, ou que le nom sera trop grand40.
35Parallèlement, La Commune de Paris, journal socialiste, oppose le bon romancier-feuilletoniste Sue, modèle à suivre, au ridicule romancier-feuilletoniste Dumas. Le premier écrit et distribue des brochures pleines de bon sens, tandis que le second devrait continuer à faire du feuilleton ou des impressions de voyages, mais surtout ne pas s’engager en politique et ne pas travestir le journal politique en feuilleton. Le journal cite à ce propos un article de Proudhon publié dans Le Représentant du peuple du 29 mai 1848 :
La littérature de Louis-Philippe doit avoir été emportée à jamais dans le tourbillon de Février. Malheur aux spéculateurs qui en ont fait une prostituée ! honte à ces agioteurs de l’esprit humain, honte aux adorateurs de l’art pour l’art, honte à ces esprits sans convictions, à ces entrepreneurs de corruption, de souillure et d’ignominie ! La République de 1848 ne leur mettra pas même sur la tête la couronne dont parle Platon. […] De quel droit les vers de terre ou les insectes immondes iraient-ils grimper sur les ailes de l’aigle qui monte vers le soleil41 ?
36Ainsi, Dumas, à l’image de la grande majorité des romanciers-feuilletonistes engagés politiquement sous la Deuxième République, peine à être lu en dehors de Paris et par les populations les plus modestes – qu’il souhaite tant guider – et ses collaborations politiques aux journaux sont souvent vivement attaquées et moquées par la presse satirique et politique. Enfin, présenté comme une girouette politique et un entrepreneur de presse, il recueille peu de voix lors de ses candidatures aux élections législatives, malgré la popularité de son nom et de ses romans.
*
37Si la République et le peuple ont effrayé Dumas dans la pratique, il n’en chante pas moins la République une fois sa fin devenue proche. Exilé à Bruxelles de décembre 1851 à novembre 1853 pour des raisons financières, Dumas obtient de Victor Hugo, François Arago et Alphonse Esquiros « du bout des lèvres un brevet de républicanisme »42. D’abord défenseur du parti de l’Ordre et de Louis Napoléon, Dumas se réfugie ensuite dans une éthique individuelle de type héroïque se résolvant dans le spiritualisme, critiquant la mainmise de l’Église catholique, française comme romaine, et celle du futur empereur sur la société.
38Plein de foi dans le rôle positif de son journal, Dumas a cependant échoué dans sa reconnaissance d’écrivain engagé et de prophète du peuple. Si son statut de romancier-feuilletoniste explique dans une large mesure l’échec de sa conquête journalistique et politique, et si son romantisme politique et littéraire illustre pour beaucoup un esprit caractéristique de la première moitié du xixe siècle, l’œuvre républicaine de Dumas annonce tout de même l’écrivain engagé et l’intellectuel de la seconde moitié du xixe siècle. 1848 est alors caractéristique de cette croisée des chemins : Dumas échoue à guider le peuple mais illustre une tentative de médiatisation moderne de son engagement. Le journal politique du romancier a alors, sous la Deuxième République, un rôle important dans la reconfiguration du champ intellectuel français et, plus largement, dans les pratiques politiques, journalistiques et littéraires.
Notes de bas de page
1 Cet article est issu de mon travail de maîtrise (2004-2005) à l'université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, sous la direction d'Anne-Claude Ambroise-Rendu : Le sacre de l'écrivain journaliste Alexandre Dumas sous la Deuxième République ? Journalisme, politique et littérature dans le mensuel Le Mois (mars 1848-février 1850). Je remercie vivement Vincent Robert de sa relecture attentive et de ses précieux conseils. Enfin, rappelons que tout travail sur Dumas ne peut se passer des travaux de Claude Schopp.
2 Charle Christophe, 2004, Le siècle de la presse (1830-1939), Paris, Seuil, p. 73-76. La bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP) offre un large panel de la presse politique parisienne de la Deuxième République en regroupant, sous une même cote générique, 124 volumes, comportant plus de 560 journaux et périodiques parisiens, publiés entre 1848 et 1851.
3 S’il reste difficile d’évaluer le nombre exact de journaux publiés entre 1848 et 1852, même en s’en tenant à l’aire parisienne et à la presse politique, l’on peut estimer au minimum à 10 ou 15 % la part des journaux politiques parisiens liés à des romanciers feuilletonistes et le nombre de romanciers feuilletonistes journalistes à une cinquantaine (dont Amédée Achard, Charles Deslys, Arnould Frémy, Alphonse Karr, Henry de Kock, Léo Lespès, Louis Lurine, Charles Marchal, Paul Meurice, Xavier de Montépin, George Sand, Pierre Zaccone). Ces chiffres sont indicatifs, s'appuyant sur l'état actuel de mes recherches, dans le cadre de ma thèse, « À la recherche de la meilleure des républiques ». Les romanciers feuilletonistes engagés sous la Deuxième République. Politique, mémoires et morales (1848-1902), sous la direction de Jacques-Olivier Boudon (université Paris-Sorbonne). Il faut attendre la loi de l'été 1850, qui impose la signature des articles, pour identifier avec plus de certitude les romanciers journalistes politiques. Auparavant, l’absence de nom et l’usage de sigles et de pseudonymes compliquent le décompte. Ce sont donc des chiffres a minima.
4 « Tout roman-feuilleton dans un journal ou dans son supplément sera soumis à un centime par numéro » (loi du 16 juillet 1850, titre ii, art. 14). En dehors du roman-feuilleton, le journal politique est soumis à Paris à un cautionnement (9 août 1848). Le 27 juillet 1849 une nouvelle loi sur les délits de presse est adoptée, et à l'été 1850 des taxes postales et la signature des articles sont imposées aux journaux et journalistes, avant de nouveaux décrets entravant la presse politique entre décembre 1851 et mars 1852.
5 Texier Edmond Auguste, 1850, Histoire des journaux, Paris, Pagnerre, p. 5.
6 « Coups de batte », Les Saltimbanques, n° 1, juin 1848, p. 4A. Cet extrait est repris par le bibliographe de la presse Petit de Baroncourt : Petit de Baroncourt Marc, 1848, Physionomie de la presse, Paris, Léautey, p. 92-93.
7 Ambroise-Rendu Anne-Claude, 1992, « Les journaux du printemps 1848 : une révolution médiatique en trompe-l’œil », Revue d’histoire du xixe siècle, vol. 19, n° 2 Aspects de la production culturel au xixe siècle : formes, rythmes, usages, p. 35-64.
8 Lettre circulaire de Dumas « Aux lecteurs du Mois », Paris, 15 mars 1849, communiquée, en version dactylographiée, par feu Pierre Gintzburger, ancien vice-président de la Société des amis d’Alexandre Dumas.
9 Dupont Paul, 1998 [1854], Histoire de l’imprimerie, t. ii, Paris, L’Harmattan, p. 399. Le développement des écrits périodiques a cependant en partie compensé cette perte.
10 Calcul effectué à partir des journaux de la collection Duméril – probablement d’Edélestand Duméril, philologue et paléographe, spécialiste d’histoire médiévale –, datant de 1849 et comprenant 242 journaux. Voir Ambroise-Rendu Anne-Claude, « Les journaux du printemps 1848 », art. cit., p. 43.
11 Cahiers Alexandre Dumas, n° 25 1848. Alexandre Dumas dans la révolution, 1998, p. 36.
12 Wallon Jean, 1849, La Presse de 1848, Paris, Pillet fils aîné, p. 11-12.
13 Le Constitutionnel, n° 200, 18 juillet 1848, p. 4 ; Le Crédit, 2e année, n° 305, 3 septembre 1849, p. 4.
14 Seulement 3 % des journaux apparus entre février et juin 1848 sont des mensuels.
15 Ce qui est certain, c'est que Dumas peine à retenir les lecteurs et à augmenter le nombre de ses abonnés, malgré l'augmentation de sa matière, les cadeaux, la publicité publiée dans les autres journaux (L'Assemblée nationale, Le Constitutionnel, Le Courrier français, Le Crédit, Le National, La Réforme par exemple) et affichée sur les murailles parisiennes.
16 Voir Lyons Martyn, 1997, « Les nouveaux lecteurs au xixe siècle : femmes, enfants, ouvriers », in Cavallo Guglielmo et Chartier Roger (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Seuil, p. 365-400 ; et Gossez Rémi, 1966, « Presse parisienne à destination des ouvriers », in Godechot Jacques (dir.), La Presse ouvrière, 1819-1850. Angleterre, États-Unis, France, Belgique, Italie, Allemagne, Tchécoslovaquie, Hongrie, La Roche-sur-Yon, Imprimerie centrale de l’Ouest, p. 123-190.
Le journaliste et romancier Alphonse Karr, auteur de Sous les tilleuls (1832), républicain modéré proche du général Cavaignac et hostile au légitimisme et au socialisme, revient dans le dernier numéro de son Journal (96 numéros, 8 juillet-31 octobre 1848), sur les raisons qui le poussent à mettre fin à sa publication quotidienne : « Au milieu des circonstances qui nous pressent, j’ai cru devoir descendre dans la lice, j’ai donné une autre forme aux Guêpes, sous le nom et la figure du Journal, elles ont paru tous les jours pendant trois mois. Accoutumé à vivre avec le peuple, à partager ses peines, ses travaux, ses dangers, – j’avais espéré me faire écouter et détruire dans l’esprit du peuple de Paris les idées dangereuses que ses faux amis et ses vrais ennemis lui ont suggéré depuis trente ans. J’ai appelé tout ce que je connaissais d’hommes de talent, et avec leur concours, j’ai fait un journal à un sou. Je m’étais trompé, le Journal s’est rapidement répandu, mais les ouvriers ne l’ont pas lu, – leur esprit, accoutumé aux vertigineuses et emphatiques déclamations de leurs prétendus amis, a trouvé fade le langage de la raison, du bon sens et de la bonne foi. Je n’ai réussi qu’à créer un journal comme les autres journaux : le métier que je faisais était nouveau pour moi, plein de fatigues et de dégoûts, – et je n’atteignais pas le but que je m’étais proposé. – J’y renonce » (Le Journal, n° 96, 31 octobre 1848, p. 1A).
17 La Presse républicaine. Journal quotidien, n° 3, 6 juillet 1848, p. 1C-2A.
18 Le Constitutionnel, n° 200, 18 juillet 1848, p. 4. L'offre est rappelée régulièrement dans le quotidien (nos 204, 206, 209, 212 par exemple).
19 « Lettre d'Alexandre Dumas à Victor Hugo, 20 octobre 1849 », communiquée en version dactylographiée par feu Pierre Gintzburger.
20 Dumas Alexandre, 1850, Montevideo ou une nouvelle Troie, Paris, Imprimerie centrale de Napoléon Chaix et Cie, in-12°, 174 p., dédié « Aux héroïques défenseurs de Montevideo ». Le récit historique est aussi inséré dans une œuvre postérieure de Dumas : Mémoires de Garibaldi (Le Siècle, 30 mai-5 septembre 1860), qui paraît à son tour en volume.
21 Charle Christophe, Le siècle de la presse (1830-1939), op. cit., p. 19.
22 Comparaison effectuée dans le cadre de mon master 2 recherche à l'université Paris-Sorbonne sous la direction d'Éric Anceau et de Jean-Pierre Chaline : Alexandre Dumas, Paul Féval et Eugène Sue, naissance d'une presse des romanciers ? Journalisme, politique et littérature sous la Deuxième République. Voir aussi la contribution précédente de Vincent Robert dans ce volume.
23 En 1848, 900 représentants du peuple doivent siéger à l'Assemblée nationale constituante, en 1849, 750 à l'Assemblée nationale législative.
24 Dumas rappelle aussi dans Le Mois, la première, le 3 août 1847, de la pièce Le Chevalier de Maison-Rouge jouée sur les planches de son Théâtre-Historique et tirée de son roman-feuilleton (publié dans La Démocratie pacifique entre mai 1845 et février 1846) écrit en collaboration avec Auguste Maquet – la pièce connaît encore quelques représentations après les journées de Février 1848. Il tient à souligner que la pièce popularise Le Chant des Girondins, peu de temps avant la révolution de Février. Pour autant, certains, comme Baudelaire et Champfleury, alors défenseurs de l'art utile et proches des socialistes, lui demandent de « républicaniser son immorale pièce des Girondins » (Le Salut public, n° 2, 1er-2 mars 1848, p. 4B). Voir aussi Robert Vincent, 2011, « Théâtre et révolution à la veille de 1848. Le Chevalier de Maison-Rouge », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 1, n° 186-187, p. 30-41. Enfin, Dumas se pose en défenseur de l'ordre, comme membre de la Garde nationale, lors des journées de Juin 1848.
25 L’Avenir national, n° 27, dimanche 30 juillet 1848, p. 1B. L'expression n'est pas exclusive aux romanciers. De nombreux écrivains (journalistes, historiens, poètes, etc.) en usent. De même, la métaphore militaire (« soldat de la pensée ») est courante. Voir aussi Pommier Jean, 1948, Les écrivains devant la révolution de 1848. Lamartine, Hugo, Lamennais, George Sand, Michelet, Béranger, Paris, PUF, p. 60.
26 Dumas Alexandre, « Aux électeurs de l’Yonne (vers le 29 juin 1848) », Cahiers Alexandre Dumas, n° 25 1848. Alexandre Dumas dans la révolution, p. 337.
27 Pour plus de détails sur les campagnes et les résultats électoraux de Dumas voir les articles de Schopp Claude, 1995, « Journal de campagne. Dumas candidat dans l’Yonne », Revue d'histoire du xixe siècle, n° 11 1848, révolutions et mutations au xixe siècle, p. 51-66 et Mombert Sarah, 2001, « Action politique et fiction romanesque. La révolution impossible d’Alexandre Dumas », in Millot Hélène et Saminadayar-Perrin Corinne (dir.), 1848, une révolution du discours, Saint-Étienne, Cahiers intempestifs, p. 171-189.
28 Le notable est celui qui se définit par son « avoir » : biens, savoir, relations, famille, nom, titre, pouvoir politique. Le journaliste Paul de Lourdoueix ébauche une « Statistique sociale de l’Assemblée d’après les divers éléments qui la composent » dans ses Profils critiques et biographiques des 900 représentants du peuple par un vétéran de la presse (Paris, Garnier frères libraires, 1848, p. 322). Le nombre total de représentants du peuple sur lequel portent ses statistiques est de 830. Ces derniers ont été élus entre avril et juin 1848. Il dénombre 140 « magistrats », 50 « propriétaires », 31 « hommes de lettres, journalistes » – mais aussi 245 « professions vagues ou flottantes » et 38 « ouvriers ». Selon Heinrich Best, 6,5 % des représentants du peuple de l’Assemblée nationale en 1848-1849 sont des publicistes, journalistes, écrivains professionnels, et 10 % des publicistes, journalistes occasionnels (Die Männer von Besitz und Bildung. Struktur und Handeln parlamentarischer Führungsgruppen in Deutschland und Frankreich. 1848-1849, Düsseldorf, Droste, 1990, p. 59). Précisons aussi que parmi les élus à l’Assemblée, 285 sont des républicains « de la veille » et presque tous les autres appartiennent à l’opposition libérale sous la monarchie de Juillet (McPhee Peter, 2002, « La révolution au village ? », in Mayaud Jean-Luc (dir.), 1848, Paris, Créaphis, p. 305). L'approximation de ces chiffres et de la statistique socioprofessionnelle et politique de ces élus pourra être prochainement corrigée par la publication de l'immense enquête sur le personnel politique de la Deuxième République (représentants du peuple, commissaires et sous-commissaires) dirigée par Éric Anceau et Vincent Robert au sein du Centre d'histoire du xixe siècle (universités Paris-Panthéon Sorbonne et Paris Sorbonne).
29 Le Mois, vol. 1 (1re année), n° 5, 16 juin 1848, p. 135.
30 Affiche imprimée par Napoléon Chaix promouvant la publication du Mois (mars 1848).
31 Son projet est défini, dans Le sacre de l’écrivain : 1750-1830, essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne (Paris, Corti, 1973, 492 p.), comme une préhistoire des intellectuels. Christophe Charle explique quant à lui, dans la Naissance des « intellectuels », 1880-1900 (Paris, Les Éditions de Minuit, 1990), que la figure sociale de l'intellectuel – néologisme né au moment de l'affaire Dreyfus et désignant à l'origine une avant-garde culturelle et politique osant défier la raison d’État – peut se réclamer d'une tradition ancienne, celle du philosophe, du poète romantique et de l'artiste de l'art pour l'art.
32 Précisons que Paul Bénichou met en relief les poètes romantiques, non les romanciers et encore moins les romanciers-feuilletonistes – Dumas est à peine cité dans ses travaux et apparaît surtout du fait de ses liens avec Gérard de Nerval – ; il montre que cette croyance en un pouvoir littéraire s'est traduite par un échec politique des écrivains et le désenchantement de ces derniers autour de 1850.
33 Voir Thérenty Marie-Ève et Vaillant Alain (dir.), 2004, Presse et plumes. Journalisme et littérature au xixe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions ; et Thérenty Marie-Ève, 2003, Mosaïques. Être écrivain entre presse et roman (1829-1836), Paris, Honoré Champion.
34 Martin Marc, 1981 (juillet-septembre), « Journalistes parisiens et notoriété (vers 1830-1870) », Revue historique, n° 266, p. 31-74.
35 Dumasy-Queffélec Lise, 2010, « Roman-feuilleton », in Delporte Christian, Mollier Jean-Yves et Sirinelli Jean-François (dir.), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, PUF, p. 719. Voir aussi de la même auteure : La querelle du roman-feuilleton. Littérature, presse et politique : un débat précurseur (1836-1848) (Grenoble, ELLUG, 1999) et Le roman-feuilleton français au xixe siècle (Paris, PUF, 1989).
36 Bellour Raymond, 2002, Mademoiselle Guillotine. Cagliostro, Dumas, Œdipe et la Révolution française, Paris, La Différence, p. 260.
37 Quelques années plus tard, Dumas revient sur les pages du Mois. Il note que beaucoup de feuilles de l’époque étaient jetées au vent, à peine remarquées par la société. Cependant, il explique : « Il n’en est point ainsi des moindres pensées que jette, même à la presse quotidienne, l’homme d’études historiques. Pour lui, ses recherches dans le passé ne sont qu’un moyen de se frayer un chemin vers l’avenir. En retrouvant ce qui a été, il devine ce qui sera, et la causerie rétrospective que nous donnons aujourd’hui à nos lecteurs est une nouvelle preuve de cette prescience de l’avenir qui faisait que les anciens appelaient les poètes vates » (Le Monte-Cristo, 3e année, n° 11, jeudi 30 juin 1859, p. 1-2).
38 Wallon Jean, La presse de 1848, op. cit., p. 118. Rappelons que Jean Wallon est un ultraconservateur catholique.
39 Le Pamphlet, n° 40, 6-9 août 1848.
40 Hugo Charles, 1848 (lundi 5 juin), « À Monsieur le rédacteur en chef de l'Assemblée nationale. Candidature des hommes illustres », L'Assemblée nationale, n° 98, p. 4C.
41 La Commune de Paris, n° 77, lundi 29 mai 1848, p. 3.
42 Schopp Claude, 1989, « Préface », in Dumas Alexandre, Mes mémoires. 1802-1833 (2 vol.), vol. i, Paris, Robert Laffont, p. vii.
Auteur
Sébastien Hallade, enseignant d’ histoire-géographie, poursuit sous la direction du professeur Jacques-Olivier Boudon (université Paris-Sorbonne) une thèse intitulée « À la recherche de la meilleure des républiques ». Les romanciers feuilletonistes engagés sous la Deuxième République. Littérature, politique, morales et mémoires (1848-1898). Membre du Centre d’histoire du <span style="font-variant:small-caps;">xix</span><sup>e</sup> siècle (université Paris-Sorbonne/université Panthéon-Sorbonne) et du comité de rédaction de la revue Temps des médias.
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