Chapitre 5
Réappropriation foncière dans les campagnes d’Europe centrale
p. 113-136
Texte intégral
1Dans les pays d’Europe centrale, les structures d’exploitation agricole issues du démantèlement du collectivisme agraire présentent une grande diversité de formes sociales de production tant du point de vue des dimensions que des logiques de fonctionnement. Petites et très grandes exploitations, exploitations familiales et exploitations sociétaires coexistent en proportions variées selon les régions. Si les catégories statistiques et normatives usuelles permettent de repérer la singularité des profils structurels de ces agricultures, elles se révèlent impropres à appréhender leurs trajectoires de transformation dans le contexte du changement de système économique et social. Comment naissent, survivent ou disparaissent les divers types d’exploitations lorsque l’environnement institutionnel est radicalement modifié ?
2Cette interrogation invite, dans une première partie, à retracer les modalités de privatisation de la terre et du capital mises en œuvre et leurs effets sur la transformation des structures postcollectivistes. La diversité des trajectoires de transformation des structures d’exploitation fait l’objet d’une deuxième partie qui analyse en quoi les évolutions structurelles propres à ces agricultures diffèrent des structures d’exploitation des anciens États membres de l’Union européenne* (UE). Du fait de leur intégration dans cette dernière, les agricultures des nouveaux États membres* (NEM) sont devenues bénéficiaires des aides directes et des mesures de soutien de la politique agricole commune* (PAC) et en ressentent l’impact sur leurs dynamiques de transformation. Retracés dans une dernière partie, les effets des politiques agricoles nationales et européennes se révèlent diversement appropriés aux particularités du contexte socioéconomique de chacun de ces pays. À l’opposé de la convergence initialement attendue, une forte hétérogénéité des formes sociales de production reste la marque distinctive des agricultures d’Europe centrale.
La mutation postcollectiviste des structures agraires
3Engagée au lendemain de la fin des régimes communistes, la transition vers l’économie de marché a entraîné de profondes mutations des structures agraires du fait du rétablissement de la propriété privée sur la terre et les moyens de production, et d’un changement du mode de régulation économique. La décollectivisation* doit s’entendre comme un processus global s’appliquant aux trois facteurs de production essentiels en agriculture – la terre, le capital et le travail – opérant dans le contexte d’un changement de système économique et social lié au passage au marché. Les transformations ont été engagées sans que, faute de consensus politique, le choix d’un modèle agricole de substitution ait pu être déterminé. Priorité a été donnée par les gouvernements postcommunistes au rétablissement des droits de propriété sur la terre et le capital d’exploitation1, ainsi qu’au changement de statut juridique des anciennes exploitations collectives.
D’un usage collectif à un usage privé des moyens de production
Les dispositifs de transfert des droits de propriété
4La réhabilitation de la propriété privée a placé le législateur devant la responsabilité de définir les principes d’une redistribution des droits sur la terre et le capital de production. Les dispositifs juridiques ont combiné, dans des proportions variables selon les pays, plusieurs approches : la restitution (et/ou la compensation) des biens confisqués aux anciens propriétaires, l’attribution de nouveaux droits sur la terre aux travailleurs agricoles (ou aux ménages ruraux), la mise en vente des terres du fonds foncier d’État aux exploitants agricoles. Ces diverses modalités concernaient des catégories d’ayants droit aux caractéristiques bien distinctes : les anciens propriétaires, en majorité âgés, et leurs descendants, le plus souvent partis en ville, les membres des coopératives et les employés des fermes d’État, les spécialistes et les dirigeants de ces grandes exploitations. La réappropriation d’un bien foncier ne présentait ni la même signification ni la même valeur pour chacune de ces catégories. Quelles que soient les modalités mises en œuvre, ces procédures ont eu pour effet de recréer, dans la plupart de ces pays, une masse de petits propriétaires fonciers dont l’intérêt pour l’usage agricole de la terre était extrêmement variable.
Figure 1. Les modalités d'affectation des droits de propriété sur la terre
Pays | Rétablissement des droits de propriété sur les terres par les membres des coopératives | Restitution aux anciens propriétaires ou à leurs héritiers | Compensation de la valeur des biens confisqués | Privatisation par la vente des terres du fonds foncier d’État | Distribution de parcelles de terre aux ménages |
Bulgarie | X | O | |||
République tchèque | X | X | O | ||
Estonie | X | O | X | ||
Lettonie | X | O | O | ||
Lituanie | X | O | O | O | |
Hongrie | X | X | O | O | |
Pologne | X | ||||
Roumanie | X | O | O | ||
Slovénie | X | ||||
Slovaquie | X | X | O |
Source : D'après Hartvigsen, 2014 ; remanié par l'auteur.
5Les dispositifs de privatisation du capital d’exploitation (bâtiments, cheptel et matériel) ont été intégrés aux procédures de transformation juridiques des coopératives de production, d’une part, des fermes d’État, d’autre part. Dans le premier cas, la répartition des parts de capital, après estimation de leur valeur, s’est opérée au bénéfice des ayants droit en fonction de leur apport initial en biens et/ou de leur contribution en travail. La conversion de leur statut juridique en associations agricoles ou en coopératives de propriétaires a suivi. Dans le second cas, la privatisation des biens s’est opérée sous le contrôle de l’État propriétaire ou de ses agences. Diverses formules de privatisation ont été appliquées : mise en gérance ou en location, mise en vente des terres, transformation en société de droit privé.
Le rôle des acteurs sociaux dans la transformation
6Encadrées par les dispositifs législatifs adoptés par chaque État, les trajectoires de réappropriation de la terre et des moyens de production dépendaient avant tout de la prise d’initiative des acteurs sociaux, de leur détermination à s’engager dans un projet de reprise ou de création d’une exploitation agricole, en fonction de leur dotation initiale en facteurs de production. Une partie de ceux qui travaillaient dans les exploitations agricoles ne possédaient pas les compétences pour conduire de manière autonome une exploitation agricole. La stricte division du travail régissant l’agriculture collectiviste avait fait perdre aux travailleurs les moins qualifiés la possibilité d’acquérir les larges compétences nécessaires à l’organisation du procès de production. Quant aux anciens propriétaires qui avaient rompu le lien avec l’activité agricole, ils étaient dépourvus des savoir-faire indispensables. De manière générale, seul le groupe des spécialistes (techniciens, ingénieurs, vétérinaires) et celui des cadres dirigeants, disposaient des aptitudes managériales requises pour relever le défi de l’exploitation indépendante. Dans les conditions de sortie du système collectiviste, la recomposition des rapports de propriété s’est principalement opérée au bénéfice des acteurs les plus aptes à mobiliser les diverses formes de capital, social, économique et culturel. Libre cours a été donné aux acteurs sociaux les plus entreprenants pour se saisir des opportunités d’accession à la terre et aux moyens de production.
Les effets du transfert : fragmentation foncière et dissociation des facteurs de production
7Les procédures de distribution des droits de propriété sur la terre ont provoqué un processus de fragmentation foncière qui revêt plusieurs aspects. Là où la restitution aux anciens propriétaires a prévalu, les nouvelles structures de propriété présentent des similitudes avec celles qui existaient avant la collectivisation*. C’est le cas dans les États baltes où les réformes foncières de l’entre-deux-guerres avaient établi une paysannerie propriétaire de ses terres, détruite à partir de 1940 par l’occupation soviétique. En République tchèque et en Slovaquie, les règles de transmission aux héritiers sont venues ajouter leurs effets à ceux de la restitution pour accentuer la fragmentation de la propriété foncière. Tant que l’usage du sol reste concentré au profit de structures d’exploitation qui louent les terres auprès d’un grand nombre de petits propriétaires, ce morcellement de la propriété foncière n’a qu’un impact limité sur l’utilisation du sol. En Hongrie, dans le cadre de la procédure de compensation des biens, la mise en vente aux enchères d’une partie des terres auprès des porteurs de bons de compensation a permis que se constituent des exploitations individuelles de taille moyenne. Dans le même temps, l’attribution de parcelles aux membres des coopératives comme aux employés des fermes d’État a multiplié le nombre de petits propriétaires parcellaires. En Roumanie et en Bulgarie, la redistribution des terres s’est opérée par le retrait de parcelles à l’initiative des membres des coopératives, parfois même avant l’adoption des lois de restitution aux anciens propriétaires. Le morcellement foncier* affecte la propriété du sol ainsi que son usage. En Pologne et en Slovénie, où les petits paysans propriétaires avaient réussi à échapper à une collectivisation* totale, les structures agraires se caractérisent par un morcellement foncier plus ou moins accentué selon les régions.
8Quels que soient leurs effets sur la propriété foncière, les dispositifs institutionnels encadrant le processus de décollectivisation ont dissocié les trois facteurs de production que sont la terre, le capital et le travail, auparavant assemblés sous une même direction dans le cadre des exploitations collectives.
Des exploitations collectives aux nouvelles formes sociales de production
9La diversité des formes sociales de production résulte de la déconcentration* foncière et de la mutation des modes d’organisation du travail agricole. Les modalités de conversion des structures collectivistes ont été mises en œuvre sans réelle prise en considération des conditions de viabilité des exploitations successeurs. Pour qualifier ces formes sociales, on propose une catégorisation à visée interprétative tenant compte de l’affectation des droits de propriété sur la terre et sur le capital d’exploitation, ainsi que du mode d’articulation des rapports de propriété et des rapports de production caractérisant chacune de ces formes sociales. Cette approche s’applique aux exploitations qui ont pris la succession des structures collectivistes comme aux exploitations nouvellement installées. Nées d’une combinaison inédite des trois facteurs de production, certaines de ces formes sociales se sont révélées de type transitoire. Après quelques années, les néocoopératives de propriétaires, les entreprises publiques (issues de la conversion des fermes d’État) ont modifié leur statut juridique de manière à stabiliser le capital d’exploitation et à consolider le mode de gestion managériale. Par ailleurs, une partie des nouvelles exploitations individuelles établies sur les terres restituées ont échoué dans leur projet d’installation. De plus, la recomposition des structures agraires s’est déroulée dans le contexte de politiques économiques nationales qui ont beaucoup varié, notamment en termes de ciblage privilégié d’une catégorie d’exploitation par rapport aux autres. Chaque forme sociale de production peut être définie par un mode d’articulation de la terre, du capital et du travail qui lui est spécifique (fig. 2).
Figure 2. Critères de catégorisation des formes sociales de production
Formes sociales de production | Statut juridique | Terre (statut du foncier*) | Capital d’exploitation | Rapport au travail | Rapport au marché |
Entreprise sociétaire | Société par action, sociétés anonymes, SARL | Location majoritaire, possibilité d’achat (selon pays) | Parts de capital (majoritairement détenues par les cadres gestionnaires) | Salariat (permanent et saisonnier) | Orientation marchande exclusive |
Exploitation familiale ou patronale | Exploitation en responsabilité individuelle | Faire-valoir direct et indirect | Bâtiments, équipement productif, cheptel, etc. | Principalement familial | Orientation marchande dominante |
Petite exploitation de subsistance ou de semi-subsistance | Statut non enregistré auprès de l’administration fiscale | Faire-valoir direct | Petit matériel, quelques têtes de bétail | Exclusivement familial | Orientation vivrière |
Source : Conception de l’auteur.
10Leur filiation relève de mécanismes complexes de transmission, de reproduction et d’adaptation. Les grandes exploitations sont généralement issues de la privatisation des fermes d’État et de la conversion des coopératives de propriétaires. Souvent privatisées à l’initiative de leurs anciens cadres dirigeants, par des stratégies d’appropriation-contrôle de leur capital, elles fonctionnent majoritairement sous une forme sociétaire* (société par actions, société à responsabilité limitée), emploient des salariés et produisent exclusivement pour le marché. Ces grandes exploitations dont la taille moyenne est de l’ordre de quelques centaines à quelques milliers d’hectares cultivent une part prépondérante de la surface agricole utile (SAU) en Slovaquie, en République tchèque, en Bulgarie et en Estonie, et plus des deux cinquièmes en Hongrie et en Roumanie. Par leur haut niveau capitalistique, leur intégration au sein de grands groupes agroalimentaires, une partie de ces entreprises participent d’une agriculture de firme*.
Figure 3. La grande exploitation sociétaire* (2013)
Pays | Nombre total d’exploitations | Entreprises ayant la personnalité morale | En % du nombre total d’exploitations | SAU totale en ha | SAU des entreprises ayant la personnalité morale | En % de la SAU totale | Taille moyenne des entreprises en ha |
Bulgarie | 254 410 | 5 920 | 2,3 | 4 650 940 | 2 877 220 | 61,9 | 486 |
République tchèque | 26 250 | 2 900 | 11,0 | 3 491 470 | 2 427 730 | 69,5 | 837 |
Estonie | 19 190 | 2 310 | 12,0 | 957 510 | 532 970 | 55,7 | 231 |
Lettonie | 81 800 | 140 | 0,2 | 1 877 720 | 19 960 | 1,1 | 143 |
Lituanie | 171 800 | 680 | 0,4 | 2 861 250 | 378 130 | 13,2 | 556 |
Hongrie | 491 330 | 8 820 | 1,8 | 4 656 520 | 2 188 900 | 47,0 | 248 |
Pologne | 1 429 010 | 3 620 | 0,3 | 14 409 870 | 1 306 830 | 9,1 | 361 |
Roumanie | 3 629 660 | 27 880 | 0,8 | 13 055 850 | 5 784 840 | 44,3 | 207 |
Slovénie | 72 380 | 200 | 0,3 | 485 760 | 26 080 | 5,4 | 130 |
Slovaquie | 23 570 | 2 740 | 11,6 | 1 901 610 | 1 532 650 | 80,6 | 559 |
Source : Eurostat*, 2013 ; calculs de l’auteur.
11La voie de la reconstitution d’une exploitation individuelle ou familiale a été empruntée par une minorité de ceux qui ont pu se réapproprier un bien foncier. L’opportunité de retirer des terres et des équipements des anciennes exploitations coopératives, la possibilité de bénéficier des restitutions ont permis à des agriculteurs de s’installer de manière indépendante. Cette agriculture de type individuel ou familial revêt diverses formes sociales qui se différencient par les dimensions, le niveau d’équipement, l’orientation de la production vers le marché et/ou l’autoconsommation. Renouant avec une logique familiale, fondée sur une articulation étroite entre la terre, le capital et le projet familial, les exploitations installées au lendemain de la décollectivisation* combinent un mode de faire-valoir direct avec des locations de terre afin d’élargir leur assise foncière. Dans les conditions incertaines qui ont présidé à la sortie du collectivisme, les difficultés rencontrées par les nouveaux exploitants pour accéder au crédit, bénéficier d’une assistance technique adéquate et écouler la production sur le marché ont pu entraîner l’abandon du projet initial. Une lente consolidation des exploitations moyennes familiales ou patronales s’esquisse à présent dans certains pays (Lituanie, Lettonie, Hongrie). Seules les unités relevant des catégories de taille supérieure à 20 ha et surtout au-delà de 50 ha, se trouvent en situation d’élargissement foncier, d’investissement et de modernisation. Dans leur grande majorité, ces exploitants cherchent à élargir leur assise foncière mais l’insuffisante fluidité du marché foncier constitue une entrave à leur développement.
12Les plus petites exploitations ont pour origine les anciens lopins de l’économie auxiliaire attribués aux travailleurs agricoles pour leur usage propre (autoconsommation). Les politiques de redistribution des terres ont permis d’agrandir ces lopins (en Lituanie jusqu’à 3 ha). Les critères caractérisant ces microexploitations (superficie, taille économique, participation au marché) varient selon les pays. Leur statut juridique est souvent mal établi en raison de l’absence d’enregistrement de leur activité productive. La logique productive est principalement dictée par la satisfaction des besoins alimentaires du ménage. Ces microexploitations assurent la survie des catégories sociales les plus démunies (retraités, chômeurs) et jouent ainsi un rôle décisif d’amortisseur social. En fournissant un complément de revenu aux ménages pluriactifs comme aux retraités, elles remplissent une fonction sociale qui contribue à compenser la pauvreté en milieu rural. Cette agriculture de subsistance et de semi-subsistance est composée de sous-groupes d’exploitations, classées selon leur taille (moins de 2 ha, moins de 5 ha), et/ou la valeur de leur production standard (inférieure à 2 000 euros, inférieure à 8 000 euros). Leur importance, au moins en nombre d’exploitations, est considérable en Roumanie, en Hongrie, en Lettonie, sensiblement moindre en Slovénie, Lituanie, Bulgarie, Pologne et Estonie, et marginale en Slovaquie et en République tchèque. Par leur genèse, leurs modes de fonctionnement et leurs perspectives d’évolution, les formes sociales de production postcollectivistes demeurent singulières.
Une diversité de trajectoires agraires et de profils structurels
Les limites d’une démarche classificatrice
13Pour identifier les caractéristiques des structures d’exploitation des nouveaux États membres* (NEM) et en quoi elles se distinguent de celles des anciens pays membres (les quinze États de l’Union européenne ou UE-15*), on dispose des données statistiques recueillies par Eurostat* selon des méthodologies communes à l’ensemble des États membres de l’UE. Ces catégories statistiques permettent une recension des unités de production agricole selon des critères identiques : la superficie agricole utilisée (SAU), le nombre d’unités de travail annuel (UTA), la dimension économique exprimée en production standard (PS), le statut de l’exploitation, individuelle ou personne morale. Les critères retenus par Farm Structure Survey (FSS) donnent accès à une classification des exploitations agricoles indicative de la singularité structurelle de ces agricultures. L’entrée par le niveau de concentration foncière qui privilégie le recours aux critères se rapportant à la taille (SAU) souligne l’existence d’un dualisme agraire marqué par la présence de grandes exploitations et d’un très grand nombre de petites unités de production de moins de 10 ha, avec une forte proportion de microexploitations de moins de 2 ha (plus de 70 % du nombre total des exploitations dans les cas de la Hongrie et de la Roumanie). Si l’on répartit la SAU en huit classes selon la taille des unités de production, on constate que dans trois pays, la Slovaquie, la République tchèque, la Bulgarie, plus des quatre cinquièmes de la SAU sont occupés par des exploitations dont la surface est supérieure à 100 ha. L’importance relative de cette catégorie de taille est largement majoritaire en Hongrie, en Estonie, Lettonie, proche de la moitié de la SAU totale en Roumanie et en Lituanie, alors qu’elle est particulièrement faible en Pologne et en Slovénie dont les agricultures paysannes avaient échappé à une collectivisation* généralisée. Ce premier indicateur statistique ne règle pas la question du seuil de définition de la grande exploitation. Ce seuil doit être apprécié de manière relative dans le contexte de la diversité structurelle propre à chaque pays. En effet, c’est la présence et les traits spécifiques des très grandes exploitations, étendues sur un millier d’hectares et plus, qui distingue les structures agraires d’un certain nombre de NEM.
14Le nombre considérable de petites exploitations constitue la deuxième spécificité des structures agraires. Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on range dans cette catégorie, en l’absence de définition commune à l’échelle européenne. Les critères ont trait à la superficie agricole utile, au volume de travail, au niveau de l’autoconsommation, à la taille économique. Le seuil de la petite exploitation peut être défini en termes absolus ou relatifs (en fonction de la distribution statistique propre à chaque pays). On range dans cette catégorie les exploitations d’une taille inférieure à 5 ha. En Bulgarie, Hongrie, Roumanie, les quatre cinquièmes et plus des exploitations recensées ont moins de 5 ha. En Slovaquie, Slovénie, Lituanie la part relative de cette catégorie dépasse la moitié du nombre total des exploitations. Prises ensemble, ces petites exploitations de moins de 5 ha n’occupent qu’une faible part des terres, généralement inférieure à un dixième de la SAU, à l’exception de la Roumanie où elles forment plus des neuf dixièmes du nombre total et couvrent 28,4 % de la SAU. La comparaison est cependant biaisée du fait qu’en 2010, la République tchèque, la Slovaquie et la Pologne ont relevé le seuil respectivement à 5 ha, 2 ha et 1 ha, ce qui réduit la couverture de cette catégorie d’exploitations suivies par FSS.
15Cette dualité structurelle s’exprime plus fortement encore en termes de dimension économique (Eurostat*, 2014). Les données d’Eurostat soulignent que plus des quatre cinquièmes des unités fournissent moins de 4 000 euros de production standard (PS) en Roumanie et en Bulgarie, et autour de la moitié encore dans les autres pays, à l’exception de la République tchèque. Dans ce dernier pays, ainsi qu’en Slovaquie, les trois quarts de la SAU sont mis en valeur par de grandes exploitations agricoles (plus de 250 000 euros).
Figure 4. Distribution des exploitations agricoles selon les classes de dimension économique (standard output en euros, 2010)
Pays | 0 | 0 à 4 000 € | 4 000 à < 25 000 € | 25 000 à < 250 000 € | 250 000 € et plus |
Bulgarie | 0,3 | 84,6 | 12,1 | 2,5 | 0,5 |
République tchèque | 0,6 | 16,7 | 43,7 | 28,4 | 10,6 |
Estonie | 18,0 | 40,9 | 28,1 | 11,0 | 2,0 |
Lettonie | 9,2 | 64,5 | 21,2 | 4,7 | 0,4 |
Lituanie | 1,6 | 71,7 | 22,5 | 3,9 | 0,3 |
Hongrie | 3,5 | 78,0 | 14,7 | 3,5 | 0,4 |
Pologne | 2,8 | 48,7 | 38,6 | 9,5 | 0,4 |
Roumanie | 2,6 | 86,0 | 10,7 | 0,6 | 0,1 |
Slovénie | 0 | 44,7 | 45,2 | 9,9 | 0,2 |
Slovaquie | 1,3 | 58,2 | 26,7 | 9,0 | 4,8 |
Source : Eurostat*, 2013 (online data code : ef_kvecsleg)
16D’autres modes de catégorisation peuvent être croisés avec une approche par taille. Les données publiées par Eurostat* classent les exploitations en fonction de l’apport en travail de la main-d’œuvre familiale (selon trois niveaux, exclusivement familial, plus de 50 % ou moins de 50 % de l’apport total). L’absence de travail familial devient alors le critère discriminant définissant par défaut une catégorie en marge de l’agriculture dite familiale. La définition de l’agriculture familiale* renvoie à un mode d’organisation de l’activité productive associant famille et exploitation. Cette catégorie normative englobe un très large éventail de tailles et de situations, de la petite exploitation de semi-subsistance jusqu’à la grande exploitation relevant d’un mode de gestion patronale2. La main-d’œuvre familiale apporte une contribution prépondérante en Pologne et en Slovénie (plus des neuf dixièmes du montant des « unités de travail annuel* » UTA), en Roumanie (plus des quatre cinquièmes), en Lettonie et en Lituanie (plus des trois quarts), et une part majoritaire en Hongrie et en Estonie. Bien qu’en petit nombre, les exploitations ayant la personnalité morale peuvent occuper une place significative pour ce qui est de la SAU en Estonie (52,2 %), en Hongrie (48,3 %) et en Roumanie (44 %). Cette forme d’agriculture faisant appel au travail salarié (plus des quatre cinquièmes des UTA*) est largement dominante en Slovaquie (80,7 % de la SAU), en République tchèque (71 %) et en Bulgarie (60,6 %).
Figure 5. Répartition de la SAU selon l'importance du travail familial au sein de l'exploitation (en %)
Pays | Travail familial exclusif | Travail familial < 50 % | Travail familial > 50 % | Sans travail familial |
Bulgarie | 23,8 | 4,8 | 10,9 | 60,6 |
République tchèque | 16,8 | 5,6 | 6,6 | 71,0 |
Estonie | 37,5 | 6,7 | 3,6 | 52,2 |
Lettonie | 62,4 | 13,8 | 22,7 | 1,1 |
Lituanie | 67,8 | 9,0 | 9,7 | 13,5 |
Hongrie | 44,7 | 4,7 | 2,2 | 48,3 |
Pologne | 83,2 | 3,0 | 2,9 | 10,9 |
Roumanie | 56,0 | 44,0 | ||
Slovénie | 93,6 | 0,6 | 0,3 | 5,5 |
Slovaquie | 13,3 | 2,9 | 3,1 | 80,7 |
Source : Eurostat*, 2013.
17Si les catégories descriptives et normatives soulignent les singularités structurelles de ces agricultures, elles présentent certaines limites.
Des profils structurels différenciés
18À des degrés divers, ces agricultures portent l’empreinte d’héritages structurels de longue portée propres à l’Europe des grands domaines où les réformes agraires, tardivement engagées dans la première moitié du xxe siècle, sont restées inachevées, privant les paysanneries d’un accès stable à la propriété de leurs terres. La collectivisation*, puis la décollectivisation* ont déclenché de nouvelles mutations des structures foncières sans effacer complètement les héritages agraires mais en les remaniant pour composer des trajectoires dépendantes des choix du passé et des itinéraires de sortie du collectivisme. Des similitudes de profils permettent de distinguer quelques grands types de trajectoires d’évolution.
Des agricultures à dominante de grandes exploitations sociétaires
19Elles se caractérisent par un degré élevé de concentration foncière, un mode de faire-valoir indirect largement majoritaire, un salariat dominant. Le niveau de l’emploi agricole, après un fort délestage imposé par les restructurations, y est en contraction continue. Cette situation concerne en premier lieu la République tchèque, la Slovaquie, l’Estonie et la Bulgarie dont les agricultures répondent aux critères précédemment définis.
20En République tchèque comme en Slovaquie, la transformation postcollectiviste a été fondée sur la restitution des biens confisqués par le pouvoir communiste (après février 1948) et sur la restructuration des coopératives et la privatisation des fermes d’État. Née de l’application d’un dispositif législatif complexe, la restructuration a suscité des conflits d’intérêts entre diverses catégories d’acteurs sociaux impliqués dans le processus de transformation, notamment au sujet du contrôle du capital des exploitations successeurs3.
21L’agriculture tchèque a connu une reconstitution limitée du modèle de l’exploitation familiale. Au début de la décennie 1990, la restitution de terres aux anciens propriétaires aurait pu favoriser l’installation d’exploitants indépendants. Au départ, celle-ci a été encouragée par une politique de soutien à l’investissement, mais, à partir de 1994, le mouvement de réappropriation au profit d’exploitants individuels s’est ralenti. La couche sociale susceptible de porter un projet d’exploitation familiale marchande était relativement étroite. Les travailleurs des exploitations collectives (discriminés par les critères d’attribution des parts de capital) n’étaient guère intéressés. Les nouveaux exploitants se sont recrutés parmi les anciens cadres dirigeants et le groupe des spécialistes (ingénieurs, techniciens). Dans la deuxième moitié des années 1990, les coopératives de propriétaires ont traversé une deuxième vague de transformation, marquée par une appropriation-contrôle de leur capital d’exploitation au profit des « managers » et une conversion de leur statut juridique en formes sociétaires*. Par ailleurs, la privatisation des anciennes fermes d’État a donné majoritairement naissance à des entreprises en société, plus rarement à des exploitations en responsabilité personnelle. Les terres et les biens (bâtiments, équipements) ont été mis en location par le fonds foncier d’État avant que ne soit engagée leur mise en vente.
22En dépit d’une fragmentation de la propriété foncière, l’usage des terres est resté concentré au bénéfice de grandes structures de production qui louent les terres. Seulement 16 % de la superficie agricole du pays est en faire-valoir direct. Près des neuf dixièmes de la SAU sont cultivés par de grandes exploitations de plus de 100 ha. Au nombre de 4 630 unités de production, en 2013, elles forment 17,6 % du nombre total, et cultivent des surfaces importantes (en moyenne 662 ha de SAU), principalement en faire-valoir indirect (88,5 %). Pour moitié, ce sont de grandes exploitations en responsabilité personnelle, pour une autre moitié des entreprises sociétaires. Leur charge en main-d’œuvre reste élevée bien que le processus de substitution du travail par le capital s’accélère puisqu’on observe une réduction du volume de la force de travail d’environ un tiers pour la période 2005-2013. Prises ensemble, ces grandes exploitations réalisent 78 % en valeur de la production standard. Ces grandes unités se sont ajustées aux nouvelles relations de prix imposées par l’ouverture du marché, en se spécialisant dans la production végétale (céréales, oléagineux, cultures industrielles) et en cherchant à améliorer la productivité du travail.
23À ce premier type, on peut rattacher le profil de l’agriculture bulgare qui se caractérise par un haut niveau de concentration foncière au profit de la grande exploitation. La liquidation des anciennes coopératives de production s’est opérée dans le contexte d’une transition bousculée par d’incessants retournements de majorité politique qui ont entraîné à deux reprises la révision de la loi foncière adoptée en 1991. La restitution des terres, sur la base des anciens cadastres datant d’avant 1946, a créé une masse de petits propriétaires virtuels et suscité de nombreux contentieux. Des dispositions, introduites en 1995, prévoyaient de remembrer les parcelles dans l’objectif de favoriser leur transfert aux nouvelles coopératives de propriétaires tandis que les exploitants individuels se voyaient attribuer des parcelles éloignées ou de moindre qualité. La reprivatisation a provoqué l’émiettement de la propriété foncière entre les mains d’une multitude d’ayants droit qui, dans leur grande majorité, n’envisageaient pas de les exploiter et qui les ont données à bail aux coopératives d’une part, et aux entreprises constituées par les arendatori, un groupe formé par les anciens cadres dirigeants, d’autre part. De manière générale, la désorganisation du secteur agricole s’est traduite par l’effondrement de la production, l’abandon d’une partie des surfaces cultivées, une dépopulation accélérée des villages. Cette période de trouble a été mise à profit par l’ancienne élite agraire pour faire main basse sur le capital d’exploitation et engager un processus de concentration des terres dans le cadre de contrats de location à court terme. À partir des années 2000, l’emprise foncière de ces grandes exploitations de type entrepreneurial* s’affirme et se consolide. Entre 2003 et 2010, le nombre des exploitations diminue de plus de la moitié (– 52,4 %). Les exploitations de plus de 50 ha accroissent leur importance relative, passant de 78 % à 87 % de la SAU. Ce processus d’accumulation foncière s’accomplit par le biais de la location auprès de nombreux petits propriétaires, en majorité citadins (les deux tiers de la SAU sont en faire-valoir indirect). En marge de ce noyau de grandes exploitations cultivant majoritairement des céréales et des protéagineux, une masse d’exploitations microfundiaires de moins de 5 ha, représentant 85,3 % du nombre total des exploitations recensées, se partagent 4 % de la SAU, dévolus à la production de fruits et légumes, et à l’entretien d’un petit cheptel fournissant lait et viande.
Des agricultures marquées par la dualité structurelle
24La dualité des structures agraires est la trace d’un affrontement de longue durée entre la grande et la petite exploitation, sous la forme d’un partage inégal entre les grands domaines et les tenures* paysannes, puis entre les exploitations collectives et les lopins de l’économie auxiliaire. Ce caractère dual a été refaçonné par l’abolition de l’appropriation collective sur la terre et le retour à la petite propriété individuelle, sur la base d’une trame foncière remontant aux réformes agraires précédant la collectivisation*. Le nombre pléthorique de toutes petites exploitations et la présence de grandes exploitations mettant en valeur une part prépondérante des terres constituent les traits propres de ce type de profil. Les formes prises par la décollectivisation et leur inégal encadrement par des dispositifs juridiques opposent une transition hongroise, en apparence ordonnée, au démantèlement brutal et chaotique des structures collectives en Roumanie.
25En Hongrie, la réaffectation des droits de propriété a donné naissance à une relative diversité de formes sociales de production. Le retour des terres aux anciens propriétaires a suivi la voie originale des compensations (sous forme de bons d’une valeur correspondant à celle du bien confisqué). Le dispositif prévoyait que les anciennes exploitations collectives devaient affecter une partie des terres pour les mettre en vente aux enchères auprès des porteurs de bons de compensation. Par ailleurs, une portion importante des terres, restée propriété des membres des coopératives ont pu être retirées des structures collectives par leurs propriétaires. Enfin, des parcelles de terre ont été attribuées aux employés des exploitations collectives qui n’en possédaient pas. La transition postcollectiviste s’est soldée par un ample mouvement de fragmentation de la propriété foncière : un demi-million de personnes ont reçu plus de deux millions d’hectares en moins de cinq ans. Dispersés entre un grand nombre de petits propriétaires parcellaires, les droits de propriété ont été dissociés des droits d’usage détenus par des structures de grande taille et de statut divers, cultivant les terres dans le cadre de baux de location. Si la loi sur la terre, adoptée en 1994, interdit l’achat de terres aux coopératives et aux formes sociétaires*, en revanche elle autorise leur location auprès des propriétaires fonciers4. Les deux tiers de la SAU sont en faire-valoir indirect.
26Si la trajectoire hongroise porte la marque d’une dualité structurelle initiale, elle évolue progressivement vers une plus grande diversité de structures quant à la taille, au statut de la main-d’œuvre, à l’orientation de l’activité productive. Transformées en coopératives de propriétaires, les anciennes exploitations collectives ont d’abord entrepris de s’ajuster aux nouvelles règles de l’économie de marché mais, à partir de 2000, le processus de recomposition du capital s’est accéléré, favorisant la conversion des coopératives en macroexploitations sociétaires. Le nombre des exploitations individuelles a diminué d’un tiers de 2005 à 2013, passant de 706 900 unités à 483 520, cependant que leur taille moyenne augmentait de 3 à 5,1 ha. La grande majorité de ces petites unités de production relèvent d’une agriculture de subsistance. Représentant 84,6 % du nombre total, les exploitations de moins de 5 ha cultivent 5,4 % de la SAU, et leur production est en majorité destinée à la consommation familiale. La présence d’exploitations en responsabilité personnelle dont la taille est comprise entre 5 ha et moins de 100 ha, qui forment 13,8 % du nombre et couvrent 32,1 % de la SAU, est un trait propre à une trajectoire de privatisation qui a permis l’accès au capital foncier d’une couche d’exploitants dotés d’un capital technique et d’un esprit d’entreprise. La catégorie des grandes exploitations de plus de 100 ha est elle-même composite, formée pour plus de la moitié d’exploitations en responsabilité personnelle de taille limitée (191 ha en moyenne) et d’entreprises sociétaires* dont la superficie moyenne est plus de trois fois supérieure (725 ha). Le profil de l’agriculture hongroise apparaît relativement diversifié tant du point de vue des statuts juridiques, des catégories de taille que des formes de travail (familiale ou salariée).
27Le profil de l’agriculture roumaine est marqué par une dualité structurelle extrême. Expression d’une filiation agraire de longue durée et produit du démantèlement brutal des cadres collectifs imposés au monde paysan, le réaménagement de cette dualité est source de difficultés. Plus de deux décennies après la fin du collectivisme, la charge agraire de l’espace rural, matérialisée par une masse de microstructures, reste très forte. Ces petites unités coexistent avec la présence de très grandes exploitations dont certaines atteignent plusieurs milliers d’hectares et comptent parmi les plus étendues en Europe. En révélant des tensions sociales anciennes et puissantes, la rupture avec le collectivisme a fait ressurgir une question agraire lancinante, jamais définitivement réglée. Mise en œuvre dans l’urgence, par l’adoption de la loi sur le foncier*, la redistribution de 9 millions d’hectares à 5,6 millions de propriétaires a émietté la trame agraire en faisant bondir le nombre des exploitations de moins de cinq hectares et le plus souvent de moins de deux5. Une logique distributive animée par un idéal paysan égalitaire a prévalu sur un objectif de viabilité économique d’unités de production qui se sont trouvées démunies des équipements et de l’encadrement technique et financier indispensables. La « loi sur les sociétés agricoles* et autres formes d’association en agriculture » (loi 36/1991) prévoyait la recomposition de l’appareil productif autour d’associations agricoles inspirées de principes coopératifs. Par ailleurs, le souci de ne pas démembrer les anciennes fermes d’État qui bénéficiaient d’un bon niveau d’équipement technique, a conduit à les restructurer juridiquement sous la forme de sociétés commerciales à participation publique, donnant ainsi naissance à un noyau de grandes structures productives dont la privatisation effective n’a pas été engagée avant l’an 2000.
28La distinction entre deux grandes catégories, les entreprises commerciales, dotées de la personnalité juridique, et les exploitations agricoles individuelles (qui peuvent avoir un statut de personne physique autorisée), recouvre schématiquement le partage entre un petit groupe d’exploitations de plus de 100 ha cultivant 48 % de la SAU (2013) et une pléthore d’exploitations de moins de 5 ha, comptant plus de 3,5 millions d’unités et détenant 28,5 % de la SAU. Entre ces deux pôles, un continuum d’exploitations petites et moyennes (7,4 % du nombre total) met en valeur moins du quart de la SAU. Le rapport entre les microexploitations paysannes et les grandes entreprises s’articule différemment selon les régions. Les plaines de grande culture, dominées par les parcellaires à large maille des exploitations sociétaires* (sociétés commerciales) s’opposent aux zones de collines et de montagnes des Carpates où le poids du microfundium paysan l’emporte. Les grandes entreprises commerciales ne cessent de renforcer leur emprise foncière, avec le soutien des investisseurs agro-industriels* domestiques et étrangers, tandis que les petites exploitations de polyculture, tournées vers l’autoconsommation, jouent le rôle de filet social de sécurité assurant la subsistance des groupes les plus vulnérables (chômeurs, retraités, personnes au foyer).
Des agricultures familiales à dominante de petites et moyennes exploitations
29La conversion structurelle de l’agriculture lituanienne procède d’une trajectoire qui, renouant avec l’héritage de la réforme agraire* des années 1920 (lors de la première indépendance), a conduit à réhabiliter l’exploitation familiale. Bien que marqué du sceau de l’alternance politique, le processus de réforme agraire* a pris appui sur le principe de restitution des terres à leurs anciens propriétaires6, tout en préservant le droit d’usage sur les lopins attribués aux ménages ruraux. La méthode de privatisation des biens collectifs a permis que se constituent de petites entreprises ainsi que des associations de producteurs agricoles (à l’initiative des cadres dirigeants et des membres des anciens collectifs). De plus petite taille que les exploitations collectives, ces associations ne se sont pas révélés viables si bien que leur place n’a cessé de décroître. Dès le moment initial de la privatisation, une partie des ayants droit a saisi l’opportunité de retirer leurs terres des structures collectives, en emportant une part du capital qui leur revenait (généralement en nature sous forme de machines, cheptel ou équipements). Ces stratégies actives de réappropriation ont été le fait de groupes de taille limitée, souvent familiaux. Les plus entreprenants sont parvenus par des achats ou des locations à se doter d’un outil foncier plus étendu que celui possédé par leur famille autrefois et à asseoir ainsi une exploitation de taille viable.
30Le recensement agricole de 2010 distingue deux catégories d’exploitations : d’une part, les exploitations familiales et en responsabilité personnelle, largement majoritaires (au nombre de 199 267) occupant 87 % de la SAU et fournissant 77 % de la production brute standard, et d’autre part, les entreprises et sociétés agricoles* en plus petit nombre (646), avec une taille moyenne de 573 ha et cultivant 13 % de la SAU. Plus de la moitié (53,3 %) des exploitations ont moins de 5 ha et occupent à peine 8,8 % de la SAU. Le noyau de ces microexploitations est formé par les bénéficiaires des trois hectares attribués aux ménages ruraux. Mobilisant le travail des membres de la famille, elles sont orientées vers l’autoconsommation et pratiquement exclues du marché.
31Le choix politique opéré en faveur de la restauration de la propriété privée de la terre a permis que se régénère un authentique modèle d’agriculture familiale* qui renoue avec l’expérience vécue pendant la période d’indépendance de l’entre-deux-guerres. Les tendances de l’évolution révèlent que les exploitations familiales de type marchand, au-delà du seuil de 30 ha, se consolident, portées par un élargissement de leur assise foncière et une spécialisation orientée vers les produits de l’élevage.
32Au sein du bloc de l’Est, la Pologne et la Slovénie faisaient figure d’exception en 1989. On ne retiendra ici que le cas de l’agriculture polonaise. La Pologne a pu faire l’économie d’une décollectivisation* de grande ampleur, toutefois des changements sont intervenus en termes de propriété et d’usage des terres, et de modalités d’insertion des exploitations individuelles dans l’économie de marché (Halamska, 2011). Le secteur étatique, et plus encore le secteur coopératif, y étaient d’importance minoritaire par rapport à un secteur privé, composé de petites exploitations individuelles détenant 76,2 % de la superficie agricole. Dans les années 1992-1995, les fermes d’État ont été liquidées et leurs terres transférées à une agence de la propriété agricole du Trésor public, en charge de la gestion de ce patrimoine foncier. L’agence a privilégié les exploitations sociétaires* pour l’attribution des terres en location ou pour leur mise en vente. La restructuration des biens de l’ancien secteur socialisé (fermes d’État et coopératives de production agricole) s’est soldée au bénéfice de l’élargissement des exploitations familiales et de l’émergence d’une agriculture sociétaire (de statut privé), en majorité formée d’un petit nombre de grandes exploitations et de coopératives de production qui ne contrôlent plus que 9,1 % de la SAU.
33Les dynamiques internes à l’agriculture familiale* révèlent un processus de différenciation relatif aux conditions et aux possibilités d’intégration des diverses catégories dans l’économie de marché. Une première tendance concerne la réduction progressive du nombre d’exploitations qui prolonge et amplifie une tendance observée depuis les années cinquante. Durant les années 1990, le rythme de diminution reste relativement lent, les exploitations se retirent des circuits marchands mais ne disparaissent pas, les petites exploitations de moins de 5 ha enregistrent le plus fort recul tandis qu’augmente le nombre des exploitations de plus de 5 ha et surtout de plus de 20 ha. Au lendemain de l’entrée dans l’UE, le rythme de disparition du nombre des unités de production s’intensifie (– 42,3 % entre 2005 et 2013). La réduction affecte les plus petites exploitations (moins de 5 ha) tandis que progresse le nombre des exploitations supérieures à 20 ha.
34En 2013, on dénombre 1 429 010 exploitations dont plus de la moitié (54,4 %) ont une taille inférieure à cinq hectares et détiennent 13 % de la SAU tandis que les exploitations de 20 ha et plus, représentant moins du dixième du nombre total, détiennent plus de la moitié de la SAU. Si l’on retient le critère de la dimension économique, la moitié des exploitations réalisent moins de 4 000 euros de production standard, la plupart ne produisant que pour leurs propres besoins. L’agriculture familiale polonaise est désormais constituée d’unités de production ayant des caractéristiques et des logiques de fonctionnement différentes (Maurel et al., 2003). Deux trajectoires d’évolution coexistent : l’une, ascendante, se caractérise par une plus grande intégration au marché d’exploitations de bonne taille qui élargissent leur assise et deviennent plus intensives, l’autre descendante, procède d’un retrait progressif du marché qui s’accompagne d’un repli de la production (simplification du système de cultures, abandon des élevages). Devenue la forme sociale prépondérante, l’agriculture familiale est traversée par une nouvelle forme de dualité structurelle :
- Une agriculture marchande fonctionnant dans un modèle de type « entreprise familiale », engagée dans des stratégies d’accumulation foncière, constitue le pôle moderniste. Dans leur grande majorité, ces exploitants cherchent à élargir leur assise foncière mais n’y parviennent que difficilement. La réalisation de ce modèle familial marchand est limitée par la survie, largement assistée, d’une majorité de petites exploitations de subsistance jouant le rôle de « filet de sûreté ».
- Une agriculture de subsistance, en voie de marginalisation sur le plan économique, forme le gros des bataillons de l’agriculture familiale sur de petites surfaces, aux mains d’agriculteurs souvent âgés. Retirés du marché, ces chefs d’exploitation se vivent comme des « quasi-paysans » mais en réalité tirent l’essentiel de leurs revenus d’autres sources (notamment des revenus sociaux) que de l’activité agricole. Si ces exploitations ont commencé à réduire leur assise foncière, en louant, voire en vendant quelques parcelles, une autre partie conserve son patrimoine foncier, bloquant ainsi les possibilités d’agrandissement des autres exploitations. L’insuffisante fluidité du marché foncier constitue une entrave à la restructuration.
Scenarii de concentration foncière et de restructuration
35Les structures agraires, issues du processus de décollectivisation*, poursuivent leur transformation sur un rythme soutenu. Depuis l’entrée dans l’UE, le nombre d’exploitations enregistre une forte diminution tandis que la SAU reste stable ou s’accroît avec la remise en culture des terres qui avaient été un temps laissées en friche. Les tendances à la concentration au profit des grandes exploitations de type sociétaire* se renforcent.
Figure 8. Évolution du nombre total des exploitations et de la SAU (2005-2013)
Pays | Nombre d’exploitations 2005 | Nombre d’exploitations 2013 | Variation 2005-2013 (en %) | SAU en 2005 | SAU en 2013 | Variation 2005-2013 (en %) |
Bulgariea | 534 610 | 254 410 | – 52,4 | 2 729 390 | 4 650 940 | 70,4 |
République tchèque | 42 250 | 26 250 | – 37,9 | 3 557 790 | 3 491 470 | – 1,9 |
Estonie | 27 750 | 19 190 | – 30,8 | 828 930 | 957 510 | 15,5 |
Lettonie | 128 670 | 81 800 | – 36,4 | 1 701 680 | 1 877 720 | 10,3 |
Lituanie | 252 950 | 171 800 | – 32,1 | 2 792 040 | 2 861 250 | 2,5 |
Hongrie | 714 790 | 491 330 | – 31,3 | 4 226 550 | 4 656 520 | 9,1 |
Pologne | 2 476 470 | 1 429 010 | – 42,3 | 14 754 880 | 14 409 870 | – 2,3 |
Roumanie | 4 256 150 | 3 629 660 | – 14,7 | 13 906 700 | 13 055 850 | – 6,1 |
Slovénie | 77 170 | 72 380 | – 6,2 | 485 430 | 485 760 | 0,1 |
Slovaquie | 68 490 | 23 570 | – 65,6 | 1 879 490 | 1 901 610 | 1,2 |
a. Dans le cas de la Bulgarie, l’accroissement de la SAU entre les deux dates, résulte en partie de l’inclusion des terres communes dans la SAU, à partir du recensement de 2010, ce qui compromet la comparaison entre les données. |
Source : D’après Eurostat*, 2013 ; calculs de l’auteur.
36Les petits exploitants individuels ont subi les effets déstabilisateurs de la privatisation du système agroalimentaire et des circuits de distribution, puis de la pénétration sur le marché domestique des produits venus d’Europe occidentale.
37Les États d’Europe centrale ont rencontré des obstacles pour construire leur propre référentiel de politique agricole. Dans un contexte de relative instabilité des scènes gouvernementales, des changements de priorités concernant le modèle d’agriculture à soutenir ont pu se produire7.
Les effets de la PAC sur les transformations agraires : un ciblage inapproprié
38L’entrée des nouveaux États membres dans l’Union (en 2004 ou en 2007) et la mise en œuvre du dispositif de la PAC ont eu un impact manifeste sur les évolutions structurelles. L’introduction progressive de mesures de soutien destinées à appuyer la restructuration dans une perspective de convergence avec les anciens États membres, s’est opérée sans que l’on s’interroge sur leur adéquation au vu des contextes propres à ces agricultures. Or, le référentiel politique du « modèle opérationnel dominant en Europe », c’est-à-dire de l’agriculture familiale*, s’est révélé inapproprié.
39Mises en application dans le cadre du régime simplifié de paiements directs, les mesures de soutien du premier pilier* ont favorisé les grandes exploitations agricoles. En dépit du relatif élargissement du nombre de bénéficiaires8, l’aide directe versée aux petits exploitants, compte tenu des faibles taux de paiement à l’hectare, ne peut constituer une solution pour ces petites structures. Les nombreux bénéficiaires ne perçoivent qu’une très faible part des paiements directs et leur versement est assujetti au respect d’exigences minimales.
40Les mesures du second pilier de la PAC* inscrites dans la politique de développement rural adoptée par ces pays ne sont guère plus favorables aux petites structures9. À la condition qu’elles s’engagent davantage dans les circuits marchands, les exploitations dites de « semi-subsistance » peuvent bénéficier d’un dispositif d’aide à la restructuration (la mesure 141), destiné à les rendre économiquement viables. D’autres mesures proposées dans le cadre du second pilier de la PAC* viennent soutenir la modernisation des exploitations, mais les conditions d’accès, à partir d’un seuil d’éligibilité variable selon les pays, découragent les exploitants susceptibles d’en bénéficier. D’une manière générale, si les aides du premier pilier sont largement sollicitées par les exploitants, celles du second pilier semblent manquer leur cible. C’est ainsi qu’en Roumanie, « le ciblage des aides sur les exploitations de plus de 1 ha et sur les parcelles de plus de 0,3 ha vise à limiter le saupoudrage d’aides aux montants dérisoires, distribuées à une multitude de microexploitations. Ce ciblage est aussi conforme à un schéma qui considère implicitement que les plus petites exploitations sont vouées à une disparition prochaine : aucun dispositif d’aide ne leur est donc destiné » (Darrot et al., 2011). De fait, les grandes exploitations sociétaires* sont les principales bénéficiaires du régime simplifié des paiements directs mais aussi des aides à la modernisation qui ont pour effet de renforcer la polarisation des structures10.
41Les effets distributifs de la PAC jouent en faveur de la seule catégorie des grandes exploitations en marginalisant les autres formes sociales de production. Loin de contribuer au développement d’une agriculture de type familial, la PAC a eu pour résultat de conforter la position des grandes structures issues de la transformation des exploitations collectives tandis qu’elle rendait improbable la consolidation d’exploitations familiales de dimensions viables. Le ciblage des politiques de soutien par la catégorisation tel que le soutien accordé aux exploitations de semi-subsistance semble inopérant. Le référentiel du modèle agricole européen s’est révélé largement inapproprié à la réalité socioéconomique des agricultures centre-européennes.
Des menaces d’accaparement foncier* et de dépossession
42La situation foncière des agricultures postcollectivistes reste paradoxale : l’extrême fragmentation de la propriété foncière ne se traduit pas dans la trame d’usage des terres caractérisée par une relative concentration au profit des grandes exploitations. Une proportion largement dominante de leurs terres est en faire-valoir indirect. Les modalités de la concentration foncière sont diverses en fonction des caractéristiques du marché de la terre. Longtemps resté peu animé, le marché foncier est à présent soumis à des évolutions rapides du fait de la fin du moratoire qui interdisait l’achat des terres par les étrangers11. Dans la plupart de ces pays, la pénétration des investisseurs européens et internationaux accélère le processus d’accaparement foncier* au bénéfice des très grandes exploitations ce qui a pour effet de marginaliser les petites et moyennes structures.
43En Hongrie, de 2000 à 2010, le nombre des petites exploitations agricoles a enregistré un fort recul de l’ordre de 40 %, passant de 996 900 à 577 000 unités d’une taille moyenne de 4,6 ha. Après l’accession à l’UE, la majorité des petites exploitations s’est trouvée exclue des aides de la PAC tandis que le système de paiement unique à l’hectare accélérait la concentration des terres au profit des grandes structures. Le faible prix de la terre, comparativement aux pays d’Europe occidentale, a attiré les investisseurs étrangers qui, en dépit de l’interdiction d’achat, ont réussi à mettre la main sur des superficies étendues, dans le cadre de « contrats de poche »12. L’attitude de l’État hongrois à l’égard de la frange d’investisseurs responsables de l’accaparement des terres* a été et reste pour le moins ambiguë. De 2002 à 2010, le transfert des terres appartenant au domaine public au profit de groupes d’investisseurs s’est développé de manière continue et le processus d’accaparement a été facilité par l’alliance du capital bancaire avec les élites politiques13. À son arrivée au pouvoir en 2010, le parti Fidesz qui se présentait comme le protecteur des petits paysans, a tenté de lutter contre ces transactions douteuses en renforçant le code criminel au sujet des « contrats de poche » (juin 2012). Cependant, la nouvelle loi sur la location des terres, adoptée à l’automne 2012, en vue de réguler le marché foncier après la fin du moratoire sur l’achat des terres par les étrangers, a fixé le plafond des baux à 50 ha pour les petits exploitants, à 300 ha pour les exploitations familiales et à 1 200 ha pour les structures sociétaires*. Le dispositif législatif révisé se révèle inapte à freiner la concentration foncière et son corollaire, la dépossession des petits propriétaires14. L’absence de compétitivité des petites exploitations, le vieillissement démographique de leurs chefs d’exploitation, précipitent leur sortie des circuits marchands, puis l’abandon de la production de subsistance.
44En Roumanie comme en Bulgarie, le processus d’accaparement foncier est le fait de structures du type « agroholding* », détenues par des capitaux étrangers (fonds d’investissement européens et internationaux) qui cherchent à diversifier leur portefeuille. Le mouvement d’accaparement a donné naissance à un groupe d’entrepreneurs associant intermédiaires et spéculateurs (voire arnaqueurs), qui se portent acquéreurs au terme de transactions douteuses.
Qu’elles soient roumaines ou étrangères, les firmes* qui s’accaparent les terres s’allient aux autorités pour orienter la législation et les programmes de développement locaux et nationaux en leur faveur. Elles exploitent la vulnérabilité de la population et la faiblesse des institutions pour prendre le contrôle des terres, à travers l’achat de parcelles ou par des contrats de location abusifs15.
Conclusion
45Le caractère inédit des transformations agraires intervenues dans les pays sortis du système collectiviste, invite à penser en termes nouveaux les héritages structurels. Dans une histoire marquée par une longue série de réformes foncières, au cours du xxe siècle, la décollectivisation* peut être vue comme un nouveau tournant agraire. Mis en œuvre de manière radicale, le changement institutionnel qui procède du rétablissement de la propriété privée du sol et du passage à l’économie de marché, a provoqué un enchaînement de mutations qui ont remodelé les structures d’exploitation de la terre. Loin d’effacer les héritages structurels, les trajectoires agraires s’inscrivent dans la durée du temps historique, renouant avec les legs du passé pour infléchir les choix orientant les itinéraires de sortie du système collectiviste. Les formes sociales de production observables dans les agricultures post-collectivistes sont le produit de ces trajectoires sociohistoriques.
46Le changement institutionnel a ouvert un champ d’opportunités aux acteurs économiques. Sous des formes juridiques diverses, la privatisation de la terre et du capital a permis la recomposition des facteurs de production, en convertissant les organisations préexistantes ou en créant de nouvelles formes sociales de production. La reconstitution de la propriété privée du sol ne s’est pas accompagnée d’un mouvement de réappropriation individuelle de la terre, ainsi que des moyens de production, de même ampleur. De la désarticulation entre terre, capital et travail sont nés de nouveaux rapports sociaux en agriculture. Parce qu’elle procède d’une adaptation à des changements qui font intervenir des institutions informelles et formelles évoluant à leur rythme propre, la recomposition a emprunté des voies plurielles ménageant des formes transitoires, telles que, par exemple, les coopératives ou les associations de propriétaires. La période de transition s’est étendue sur toute la décennie 1990-2000. La perspective de l’intégration dans l’UE est venue modifier la donne institutionnelle, en déclenchant une nouvelle série d’adaptations des structures d’exploitation.
47Quelques tendances majeures se dessinent :
- La reconstitution d’une agriculture de type familial n’a pas été la voie majoritaire empruntée par les pays d’Europe centrale ayant subi une collectivisation* intégrale. La perte des compétences et des savoir-faire propres à la paysannerie, le manque de capitaux et de réseaux d’encadrement technique, l’absence d’organisations professionnelles, ont contribué à freiner la formation d’un modèle familial moderne et durable. Dans ces conditions, le référentiel de l’agriculture familiale*, entendue comme « le modèle opérationnel dominant en Europe », s’est révélé inadapté aux formes d’organisation de la plupart des agricultures postcollectivistes et impropre à soutenir la consolidation des petites exploitations des ménages ruraux.
- Le processus de concentration au profit des grandes exploitations progresse aux dépens de toutes les autres catégories. Les mécanismes de dépendance du chemin suivi* ont joué en faveur de la continuité des très grandes exploitations de forme sociétaire*. La grande maille agraire, élément invariant de la trame d’usage du sol, a imposé une nouvelle fois sa logique. Le processus de déconcentration* foncière qui avait suivi la conversion des anciennes structures collectives en diverses formes de type coopératif, associatif ou sociétaire, s’est inversé au fur et à mesure que les forces économiques opéraient une sélection fragilisant les initiatives individuelles. Au cours de la décennie écoulée, le processus d’élargissement de l’assise foncière des grandes exploitations a repris avec une ampleur que l’on n’attendait pas, étant donné la situation d’émiettement de la propriété du sol. L’accaparement foncier* au profit des investisseurs contrôlant les agroholdings* est grandement facilité par les caractéristiques d’un marché foncier dont les règles sont aisément contournables lorsqu’elles ne sont pas sciemment modifiées par la puissance publique. À quelques exceptions près, la marque d’un dualisme agraire de longue durée, s’impose à nouveau en Europe centrale.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
« Adoption de la loi sur les terres agricoles » [en ligne], La France agricole, 24 juin 2013, URL : <http://www.lafranceagricole.fr/actualites/hongrie-adoption-de-la-loi-sur-les-terres-agricoles-1,0,87453937.html>.
Bazin Gilles et Bourdeau-Lepage Lise, 2011, « L’agriculture dans les pays d’Europe centrale et orientale. Continuité et adaptation », Économie rurale, vol. 5, n° 325-326, p. 10-24.
10.4000/economierurale.3214 :Bouniol Judith, 2013 (janvier), L’accaparement des terres en Roumanie, menace pour les territoires ruraux [en ligne], URL : <http://slowfood.com/filemanager/landgrabbing/ecoruralis.pdf>.
Davidova Sophia, Bailey Alastair, Dwyer Janet, Erjavec Emil, Gorton Matthew, Thomson Kenneth, 2013, Semi-subsistence farmig: values and directions of development [en ligne], DG for Internal policies, Policy department B : Structural and cohesion policies, European Parliament, URL : <http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2013/495861/IPOL-AGRI_ET(2013)495861_EN.pdf.>
Davidova Sophia et Thomson Kenneth, 2014, Family farming in Europe: challenges and prospects [en ligne], DG for Internal policies, Policy department B: Structural and cohesion policies, European Parliament, URL : <http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/note/join/2014/529047/IPOL-AGRI_NT(2014)529047_EN.pdf>.
Darrot Catherine, Hirschhausen Béatrice (von), 2011, « PAC et transition agricole en Pologne et Roumanie : les nouveaux termes du processus », Économie rurale, vol. 5, n° 325-326, p. 69-84.
10.4000/economierurale.3257 :European Commission, 2013, Report on the distribution of direct aids to agricultural producers (financial year 2013) [en ligne], URL : https://ec.europa.eu/agriculture/sites/agriculture/files/cap-funding/beneficiaries/direct-aid/pdf/annex2-2013_en.pdf.
— 2011 (juillet), « What is a small farm? », EU Agricultural Economics Briefs, n° 2 [en ligne], URL : https://ec.europa.eu/agriculture/sites/agriculture/files/rural-area-economics/briefs/pdf/02_en.pdf.
European Coordination Via Campesina (ECVC), Hands-Off The Land (HOTL), 2013, Land concentration, land grabbing and people’s struggles in Europe [en ligne], Final Report, URL : <https://www.tni.org/files/download/land_in_europe-jun2013.pdf>.
Eurostat, 2013, Agriculture, forestry and fishery statistics. 2013 edition [en ligne], Luxembourg, Publications Office of the EU, URL : <https://ec.europa.eu/eurostat/documents/3930297/5968754/KS-FK-13-001-EN.PDF/ef39caf7-60b9-4ab3-b9dc-3175b15feaa6>.
Halamska Maria, 2011, « The Polish Countryside in the Process of Transformation 1989-2009 », Polish sociological review, n° 173, p. 35-54.
Halamska Maria et Maurel Marie-Claude, 2010. « Decollectivization of Agriculture and Reshaping of Agrarian Structure in Central Europe », Przegląd Socjologiczny, vol. 59, n° 2, p. 29-56.
Hartvigsen Morten, 2014, « Land reform and land fragmentation in Central and Eastern Europe », Land use policy, n° 36, p. 330-341.
10.1016/j.landusepol.2013.08.016 :Hirschhausen Béatrice (von), 1997, Les nouvelles campagnes roumaines. Paradoxes d’un retour paysan, Paris, Belin.
Martins Carla et Tosstorff Guenther, 2011, « Large Farms in Europe », Statistics in Focus : Agriculture and Fisheries, n° 18 [en ligne], URL : <https://ec.europa.eu/eurostat/documents/3433488/5578740/KS-SF-11-018-EN.PDF/4330ef6b-9501-4af5-b4d4-139c04273561>.
Maurel Marie-Claude, 2015, « From disappearance to recovery: Family farming in Central Europe. Questioning the path dependency hypothesis », Wieś i Rolnictwo, n° 1, p. 79-105.
— 2012 (juillet-décembre), « La grande maille agraire en Europe centrale : un invariant spatiotemporel ? », Études rurales, n° 190, p. 25-48.
— 1994, La transition post-collectiviste. Mutations agraires en Europe centrale. Paris, L’Harmattan.
Maurel Marie-Claude, Halamska Maria et Lamarche Hugues, 2003, Le repli paysan. Trajectoires de l’après-communisme en Pologne, Paris, L’Harmattan.
Purseigle François (coord.), 2012 (décembre), Études rurales, n° 190 Les agricultures de firme. 1) Organisations et financiarisation.
Swain Nigel, 2013, « Agriculture “East of the Elbe” and the Common Agricultural Policy », Sociologia Ruralis, vol. 53, n° 3 , p. 369-389.
10.1111/soru.12016 :Treuillaud-Paun Aurélia, 1977 (juillet-septembre), « Le nouveau concept de la propriété en Roumanie », Revue internationale de droit comparé, vol. 49, n° 3, p. 575-585.
10.3406/ridc.1997.5456 :Vandenbroucke Perrine et Fehér Istvàn, 2011, « Dynamique des structures agraires hongroises : Quels profils d’exploitations se dessinent ? », Économie rurale, n° 325-326, p. 100-113.
10.4000/economierurale.3279 :Notes de bas de page
1 On entend par là le rétablissement d’un droit réel de propriété portant sur la totalité des droits, c’est-à-dire les trois catégories définies par l’usus, le fructus et l’abusus, au sens du droit latin.
2 Un rapport européen analyse la grande diversité de l’agriculture familiale, à laquelle les NEM ne font pas exception (Davidova et Thomson, 2014).
3 C’est-à-dire les anciennes exploitations collectives après conversion de leur statut juridique et attribution des parts de capital entre les ayants droit.
4 Les personnes privées ne peuvent louer plus de 300 ha alors que le plafond pour les entités légales (coopératives et sociétés) est fixé à 2500 ha.
5 La loi 18/1991 sur le fonds foncier a rétabli la libre disposition des biens fonciers et a posé le principe de la reconstitution de la propriété privée sur les terres, à l’exclusion des terres affectées au domaine public. Elle a autorisé la dissolution des coopératives et la redistribution des terres à leurs anciens propriétaires (avec un plafond de 10 ha) et l’attribution de parcelles d’un minimum de 0,5 ha à tous les membres. La restitution rétablit une trame foncière émiettée.
6 Principe assorti de dispositions limitant les superficies restituables. Les seuils ont été modifiés à plusieurs reprises (plafonds de 80 ha dont 50 ha de terres agricoles, par la suite fixés à 150 ha).
7 Dans certains pays, les politiques nationales ont soutenu la constitution d’exploitations de type familial, dans d’autres, elles ont privilégié l’appui aux grandes exploitations sociétaires, proches de l’agrobusiness. Ces choix ressortissent de l’inégale capacité d’intervention des organisations sociales et/ou professionnelles représentant les intérêts des diverses catégories.
8 Les ajustements opérés en faveur des plus petites exploitations ont toutefois permis d’abaisser le seuil de la superficie éligible et d’augmenter le montant attribué.
9 Les mesures du premier pilier concernent l’aide à la modernisation des exploitations ; l’aide au départ en préretraite ; l’aide aux jeunes agriculteurs. Celles relevant du second pilier, dites de « soutien à la durabilité des zones rurales » ont trait d’une part, à la diversification des activités et d’autre part, aux aides agroenvironnementales. Les premières s’appliquent à des exploitations cherchant à s’agrandir en développant le capital productif, les secondes s’adressent à des exploitations s’orientant vers des trajectoires de diversification.
10 En 2013, en Roumanie 1,1 % des bénéficiaires ont reçu 51,7 % des paiements directs ; en Bulgarie 45,6 %. En Hongrie moins de 1 % des bénéficiaires ont perçu 38,5 % (European Commission, 2013).
11 Ce moratoire censé protéger le marché foncier des NEM a pris fin en 2011, 2014 ou 2016, selon les pays.
12 Il s’agit de contrats informels entre les parties prenantes. Un million d’hectares pourrait être concerné.
13 Lors de la privatisation du combinat agricole de Bóly, en 2005, le principal investisseur (Sándor Csányi, président de la banque OTP) a pris le contrôle du capital. La firme agro-industrielle Bóly Zrt a été intégrée à la holding Bonafarm, premier groupe agroalimentaire du pays, qui détient le capital de quatre entreprises agro-industrielles et de trois usines de transformation.
14 Selon Jozsef Angyan, ancien secrétaire d’État au ministère de l’Agriculture : « Des réseaux mafieux s’accaparent la totalité des ressources, de la terre, des subventions et des marchés » (La France agricole, 2013).
15 Voir les études de terrain effectuées sous la direction de Judith Bouniol pour Ecoruralis (2013, p. 5).
Auteur
Marie-Claude Maurel, directrices d’études à l’EHESS, membre du Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen. Agrégée de géographie (1969), docteur d’État (1978), elle a exercé les fonctions de maître-assistante puis de professeure à l’université Paul Valéry de Montpellier (1971-1997). Ses travaux de recherche ont tour à tour analysé la campagne collectivisée en Russie, l’agriculture paysanne en Pologne, la transformation postcollectiviste des structures agricoles et du monde rural en Europe centrale et balte. De 1997 à 2001, elle a dirigé le département des sciences de l’homme et de la société au CNRS. Élue directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (2002), elle a conduit des recherches sur les recompositions territoriales en Europe centrale, avant de diriger le Centre français de recherches en sciences sociales à Prague (2006-2010). À son retour, elle a été nommée administratrice de l’Institut universitaire de France (2010-2013). Elle est membre titulaire de l’Académie d’agriculture de France et de l’Academia Europeae.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La formation d’une opinion démocratique
Le cas du Jura, de la révolution de 1848 à la « république triomphante » (vers 1895)
Pierre Merlin
2017
Les mutations récentes du foncier et des agricultures en Europe
Gérard Chouquer et Marie-Claude Maurel (dir.)
2018
Deux frontières aux destins croisés ?
Étude interdisciplinaire et comparative des délimitations territoriales entre la France et la Suisse, entre la Bourgogne et la Franche-Comté (xive-xxie siècle)
Benjamin Castets Fontaine, Maxime Kaci, Jérôme Loiseau et al. (dir.)
2019
Un mousquetaire du journalisme : Alexandre Dumas
Sarah Mombert et Corinne Saminadayar-Perrin (dir.)
2019
Libertaire ! Essais sur l’écriture, la pensée et la vie de Joseph Déjacque (1821-1865)
Thomas Bouchet et Patrick Samzun (dir.)
2019
Les encyclopédismes en France à l'ère des révolutions (1789-1850)
Vincent Bourdeau, Jean-Luc Chappey et Julien Vincent (dir.)
2020
La petite entreprise au péril de la famille ?
L’exemple de l’Arc jurassien franco-suisse
Laurent Amiotte-Suchet, Yvan Droz et Fenneke Reysoo
2017
Une imagination républicaine, François-Vincent Raspail (1794-1878)
Jonathan Barbier et Ludovic Frobert (dir.)
2017
La désindustrialisation : une fatalité ?
Jean-Claude Daumas, Ivan Kharaba et Philippe Mioche (dir.)
2017