Chapitre 2
L’espace politique agricole français (1945-2015)
p. 53-74
Texte intégral
1La société paysanne française d’avant 1945 est présentée comme un monde unifié par son mode de vie et son organisation sociale, tourné vers ses paysages et profondément séparé de l’espace urbain (Augé-Laribe, 1950). Le monde paysan apparaît comme un milieu quelque peu figé dans son organisation professionnelle – structurée par de petites exploitations familiales, sa division du travail – et dans son organisation sociale – rigidité des rapports sociaux, poids de la religion, conservatisme politique, etc. Son rôle central dans l’appareil productif alimentaire lui confère une importance particulière au sein de la société française (Mendras, 1967), à tel point qu’on lui a attribué le qualificatif de « classe » pour exprimer cette singularité (Mendras, 1955).
2Cette présence est remise en cause par les effets de la reconstruction économique et les changements politiques qui suivent la Seconde Guerre mondiale. En 1946, les agriculteurs représentent encore six millions d’actifs, soit 35 % de la population active. Le déclin est cependant rapide : en 1960, ils ne sont déjà plus que 3,8 millions soit 20 % (Mendras, 1967) pour atteindre 604 000 exploitants en 2010 soit 2 %. Le nombre d’exploitations agricoles accompagne cette baisse : en 1955, on en dénombre 2 307 000 ; en 2010, il n’y a plus que 490 000. La taille des exploitations s’élargit, par un effet de concentration des terres, dicté à la fois par ce déclin et la progression du machinisme agricole. En 1955, seules 0,8 % des exploitations dépassaient les 100 hectares ; elles sont 12 % au tournant des années 2000 (Desriers, 2007).
3Le monde rural connaît une profonde mutation tout au long des Trente Glorieuses* (1945-1970) ; il va intégrer les techniques modernes d’exploitation, qui poussent à la concentration des exploitations et à la mécanisation, limitant à la fois le nombre d’actifs nécessaires à la production agricole et augmentant le productivisme des exploitations (Fromont et al., 1954). Le productivisme agricole renvoie à « un ensemble de procédés techniques, de dispositifs organisationnels et de croyances engageant des acteurs autour de l’exigence d’accroissement et d’intensification de la production » (Fouilleux et Goulet, 2012, p. 131). Au début des années 1950, un agriculteur produisait en moyenne moins de 20 quintaux de blé par hectare. Aujourd’hui, on produit plus de 75 quintaux de blé par hectare. Entre 1960 et 2004 la production agricole totale a été multipliée par deux et le revenu par exploitation en valeur constante également. Ainsi, alors que le travail d’un agriculteur nourrissait quinze personnes en 1960, il en nourrit en moyenne plus de soixante aujourd’hui (Desriers, 2007).
4Le monde paysan, largement idéalisé dans une représentation unique et figée (Hervieu et Viard, 2011) laisse alors place à la figure de l’agriculteur, porteur d’une vision moderne de l’exploitation agricole dédiée au progrès technique. Cette transformation entraîne de profondes évolutions dans les pratiques sociales et politiques des paysans (Mendras, 1967). Comme le soulignent Céline Bessière, Ivan Bruneau et Gilles Laferté :
Depuis une quarantaine d’années, les trajectoires des agriculteurs, et donc aussi leurs expériences socialisatrices, ont été structurellement modifiées par quelques évolutions décisives, relatives aux parcours scolaires, aux modes d’accès au métier et aux relations conjugales (Bessière et al., 2014, p. 14).
5L’agriculteur se trouve désormais au cœur d’une transformation des modes de production alimentaire : il devient le pivot dans la construction d’une industrie agroalimentaire*, acquérant une place prépondérante dans le développement de l’économie nationale (Gerbaux et Muller, 1984).
6Il est une autre transformation que nous souhaiterions traiter ici. Elle porte sur l’évolution de la trajectoire politique de cette « classe ». Les rapports entre monde rural et espace politique se modifient aussi au fur et à mesure que l’agriculture entre dans cette modernité. L’avènement de la Ve République s’inscrit, selon Delphine Dulong (1997), dans ce processus de modernisation et tend à refonder la légitimité de l’action publique avec une transition du droit vers l’économie et de la représentativité politique vers la compétence technique. Le projet de modernisation et de technicisation de l’agriculture est promu et soutenu par les agriculteurs et par la classe politique dirigeante. Pour autant, le monde paysan ne reste pas inerte et se dote aussi de ses propres outils pour peser sur le monde politique ou pour dialoguer avec le monde économique ; il a ainsi développé une longue tradition de syndicalisme, notamment à partir des années 1950 – donnant ainsi naissance à une organisation professionnelle des plus influentes, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles ou FNSEA (Bruneteau, 1994). Les paysans construisent leurs propres stratégies pour peser dans les négociations politiques, au point d’établir un rapport inédit de cogestion entre leurs représentants syndicaux (notamment la FNSEA) et l’État (Coulomb, 1990). Pour autant, ils ne renoncent pas à mobiliser des formes d’actions plus directes, n’hésitant pas à utiliser des moyens de pression offensifs lorsqu’ils le jugent nécessaire (Lynch, 2014).
7Bien sûr, les changements du monde agricole ne sont pas linéaires : ils s’établissent pas à pas par une série d’ajustements politiques, réglementaires et professionnels (Hervieu, 2010). Les objectifs de la production agricole évoluent en fonction de l’évolution des représentants agricoles, de l’inclusion de nouvelles thématiques – comme l’environnement, les effets de la crise de la biodiversité, la santé, l’énergie, etc. – et de l’obligation de se conformer aux évolutions nombreuses et coûteuses de la réglementation nationale ou européenne. Et, surtout, la politique nationale s’inscrit de plus en plus dans les objectifs définis par la politique agricole commune* (PAC) de l’Union européenne* (Muller, 2000).
8Saisir ce rapport complexe entre monde rural et monde politique suppose de revenir sur quelques moments clés de cette évolution, à la fois sociale, économique et politique. Pour cela, il s’agit de saisir le projet agricole porté par la classe politique dirigeante à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Le projet de la modernisation agricole se construit avec le soutien des représentants agricoles (1). Cette coopération aboutit à la mise en place d’une cogestion entre monde politique et monde professionnel agricole, mettant en place une manière originale de gérer les politiques d’agriculture (2). Cependant, confronté à des évolutions profondes (internationalisation, libéralisation, financiarisation*, crise d’identité professionnelle, enjeux écologiques, etc.) cette politique se trouve contrainte de procéder à des ajustements dans son mode d’action afin de perdurer (3).
La mise en place d’un projet modernisateur* par l’État après la Seconde Guerre mondiale
9Les destructions liées à la Seconde Guerre mondiale nécessitent la reconstruction des infrastructures et des espaces de production agricole. La France est aussi frappée par une importante pénurie alimentaire, résultant de la désorganisation du monde agricole. La politique volontariste de l’État français choisit alors de se doter d’un outil productif qui permettra d’atteindre, rapidement, une autonomie alimentaire (Bonneuil et al., 2012), et ainsi de résister à l’instabilité géopolitique et économique mondiale. De plus, elle doit faire face, dans le même temps, aux tensions politiques de son Empire colonial, ce qui renforce la fragilité de la métropole sur le plan de sa sécurité alimentaire. Les premiers gouvernements de la IVe République – puis ceux de la Ve République – instaurent un projet dit « modernisateur ». Ce projet consiste « à transformer l’agriculture familiale* française en un secteur économique ouvert au marché et composé d’unités de production individuelles compétitives » (Gerbaux et Muller, 1984, p. 20). Cette modernisation emprunte à la vision techniciste, prônant le développement de méthodes modernes de production, valorisant un modèle productiviste, propice à l’essor économique. Le monde agricole voit se développer le machinisme agricole et connaît une profonde professionnalisation du métier par la multiplication des formations spécialisées des agriculteurs. Ces évolutions modifient les pratiques agricoles, l’organisation et le fonctionnement du monde rural. Celui-ci doit ainsi faire face à une planification économique renforcée, au développement de la mécanisation allié à l’utilisation intensive de la connaissance scientifique et, enfin, à la transformation sociale significative du monde agricole.
La planification économique
10En 1945, l’activité agricole apparaît comme trop peu inscrite dans une logique productive. Elle est, explique l’agronome René Dumont, inutilement morcelée en des milliers de petites exploitations, trop traditionnelle dans ses modes de production, utilisant beaucoup de main-d’œuvre mais sans s’appuyer suffisamment sur les connaissances de l’agronomie moderne (Dumont, 1956). Il souligne la nécessité de développer et d’accompagner le changement dans la production agricole, pour lui permettre de « rattraper son retard », à la fois pour assurer une amélioration de la production, mais aussi pour garantir le progrès social des agriculteurs. Il écrit ainsi en 1946 que les nouveaux objectifs de l’agriculture sont de nourrir la population et de se mettre au service du consommateur (Dumont, 1946). Jean Fourastié, économiste, explique quant à lui que l’agriculture est un secteur économique en retard, notamment en raison de progrès techniques moyens (Fourastié, 1968).
11La nécessité d’assurer la sécurité alimentaire et agricole française n’est ainsi qu’une étape du projet modernisateur*, qui fait aussi et avant tout de la production agricole un moyen de redonner à la France une place dans l’économie mondiale. Au-delà d’assurer son autosuffisance (dont la faisabilité apparaît dès la fin des années 1950), la France doit être capable d’exporter et de devenir une puissance agricole en rattrapant son retard technique. Ainsi, le rapport Vedel de 1969, commandé par le ministère de l’Agriculture de l’époque, préconise la disparition des petites exploitations qui ne seraient « pas rentables », la fin de soutien des prix agricoles, le gel de 10 à 12 millions d’hectares de terres agricoles et la réservation des aides économiques et des prêts du Crédit Agricole1 aux industries alimentaires et aux 200 000 exploitations ayant manifesté leur volonté de se moderniser (Vedel, 1969). Pour atteindre cet objectif, l’État va planifier le développement de l’agriculture en s’inspirant de l’organisation de l’activité économique industrielle : il faut ainsi organiser les gains de productivité et assurer la compétitivité internationale de ce secteur. Le Commissariat général du plan, organisme national chargé de cette planification, a pour mission de construire la reprise de l’économie de l’après-guerre. Le plan Monnet (1947-1962), mis en place par les gouvernants, fixe des objectifs chiffrés pour l’ensemble des productions et notamment pour la production agricole. Les moyens sont mis tant dans la formation que dans la mécanisation des campagnes, ainsi que dans les aides économiques pour développer ce secteur. La productivité agricole connaît alors une croissance de 5 % par an en moyenne entre 1950 et 1980. La planification économique entend inscrire le projet modernisateur de l’État, qui comme l’indiquent Françoise Gerbaux et Pierre Muller (1984, p. 20), « tendait donc à substituer à la gestion patrimoniale traditionnelle une gestion de type capitalistique, soumise au marché et aux filières industrielles. » Christophe Bonneuil, Frédéric Thomas et Olivier Petitjean concluent ainsi que « les planificateurs appréhendent désormais le monde agricole […] comme un secteur économique parmi d’autres, devant se combiner avec les autres secteurs, dans le cadre d’une économie nationale intégrée » (Bonneuil et al., 2012, p. 36).
Techniques agricoles et enrôlement scientifique
12Les gouvernements successifs vont promouvoir une transformation profonde des techniques agricoles. Cette évolution recouvre deux volets convergents : le développement du machinisme agricole et la mobilisation des milieux scientifiques de recherche et de formation pour accroître la production agricole.
13Le machinisme agricole passe par la disparition de la traction animale et la tractorisation*. En 1930, il y a moins de 30 000 tracteurs en France ; en 1957, le pays en produit plus de 90 000 et en 1961, les agriculteurs en utilisent plus de 700 000. Cela induit de profondes transformations dans les techniques de production (Byé, 1979) : cette mécanisation s’accompagne d’une rapide augmentation des consommations intermédiaires (engrais, produits phytosanitaires, etc.), et d’un usage systématique de machines-outils (moissonneuses-batteuses, ramasseuses-presses, etc.). Le machinisme change aussi les conditions humaines de la production, d’où la chute brutale des actifs nécessaires dans ce domaine.
14Par ailleurs, l’État va enrôler la recherche scientifique et renforcer la formation spécialisée des agriculteurs. L’Institut national de la recherche agronomique (INRA), créé en 1946, a pour mission de rendre l’agriculture plus productive et de trouver des innovations techniques permettant de gagner en rendement, en intervenant notamment sur les semences. L’activité de conseil technique se développe également avec la création des directeurs des services agricoles (DSA, nommés par les pouvoirs publics), chargés d’aller former sur le terrain les agriculteurs pour les aider à gagner en productivité et de favoriser leur appropriation des progrès techniques (Muller, 1984). Les formations des agriculteurs évoluent également pour initier la transition vers la modernité.
En novembre 1946, l’École nationale supérieure des sciences agronomiques appliquées (Enssaa) remplace la section d’application de l’Enseignement et des Recherches. Les instituts agricoles de Toulouse et Nancy, maintenus sous la tutelle de l’Éducation nationale, sont transformés en écoles nationales supérieures agronomiques (Ensa), respectivement en 1948 et 1953 (Boulet, 2009, p. 26).
15Alors qu’en France, l’ensemble des formations scolaires et universitaires sont rattachées au ministère de l’Éducation, les formations agricoles – du lycée agricole jusqu’aux grandes écoles – sont sous la tutelle du ministère de l’Agriculture. Ce rattachement symbolise bien l’importance que représente la formation agricole, considérée comme un domaine à part, ayant pour mission d’instruire le progrès technique et économique.
Conséquences sociales de la modernisation agricole
16Le projet modernisateur* est aussi un projet politique : celui de faire entrer le monde rural dans la modernité, c’est-à-dire d’associer les agriculteurs aux progrès sociétaux, dont ceux de la productivité et de l’innovation. La mécanisation et la spécialisation de la production permettent aux agriculteurs d’organiser, de rationaliser, de planifier et d’administrer leurs productions, afin de généraliser au monde paysan les recettes du progrès technique, perçu comme la condition exclusive et universelle du progrès social. Nous suivons en cela Mathieu Gervais, sociologue, qui indique que le paysan « n’est plus célébré comme le modèle du citoyen et la base de la nation mais assimilé à son travail et à sa production, à égalité avec les autres producteurs » (Gervais, 2015, p. 162).
17Les « paysans » deviennent alors des « agriculteurs » – c’est-à-dire des spécialistes de la production agricole, disposant d’une compétence spécifique à même de les inscrire pleinement dans la compétitivité économique nationale. Ils prendront même la dénomination, à partir des années 1980, « d’exploitants agricoles ». Désormais, les images de « l’entrepreneur » et du « chef d’entreprise » sont valorisées.
18Mais ce changement de métier n’est pas sans conséquence. Le sociologue Henri Mendras désigne cette transition comme « la fin des paysans* », décrivant ainsi l’effacement d’un système social amorcé par le progrès technique et les évolutions économiques :
Il nous faut constater que la modernisation de l’agriculture n’est qu’une face d’un conflit de civilisation qui remet en question les fondements de la société paysanne traditionnelle, la personnalité sociale des paysans et leur vision du monde. Il ne s’agit pas d’un simple problème d’investissement ou d’éducation, mais du remplacement d’une civilisation par une autre (Henri Mendras cité par Hervieu et Purseigle, 2013, p. 7).
19Le monde paysan, avec ses règles et ses traditions s’efface, au profit d’une civilisation plus englobante où les agriculteurs ont les mêmes aspirations que l’ensemble de la population. Il écrit ainsi :
[…] l’une des caractéristiques du type agriculteur qui vient supplanter le type paysan est précisément de n’être pas porteur d’une matrice civilisationnelle spécifique, mais de participer au contraire d’une civilisation globale en tout point étrangère à la civilisation paysanne (Henri Mendras cité par Hervieu et Purseigle 2013, p. 120).
20Désormais pleinement inscrits dans la modernité technique, les agriculteurs revendiquent les mêmes droits sociaux et les mêmes conditions de vie que les autres travailleurs, malgré la spécificité de leur métier, intrinsèquement lié aux rythmes biologiques de la nature et de l’animal. Françoise Gerbaux et Pierre Muller (1984, p. 19) précisent :
On invente une nouvelle conception du métier d’agriculteur. Alors que jusqu’ici on valorisait plutôt la capacité de soumission voire de résistance du paysan, voici que l’on exalte sa capacité à faire des choix*, à prendre des risques, bref à se comporter comme un autoentrepreneur.
21Le succès du projet modernisateur s’accompagne d’une transformation de l’image des agriculteurs, qui souhaitent dépasser l’image négative du « paysan » : ils attendent aussi une reconnaissance de leur métier. Ainsi, « le projet modernisateur […] exprimait aussi l’aspiration générale des paysans à sortir de la misère sociale et culturelle, à être des citoyens à part entière » (ibid., p. 20).
22Le monde rural n’a pas fait que subir cette transformation ; il l’a assez largement accompagné et a su influer sur certains choix en faveur du progrès technique. Mathieu Gervais explique ainsi que la Jeunesse agricole catholique (JAC), mouvement rural fondé en 1929, adopte une nouvelle attitude face au progrès dès l’après-guerre. Il s’agit pour les paysans catholiques d’accepter le progrès technique comme un fait inéluctable et de soutenir l’industrialisation pour ne pas que les paysans subissent ce mouvement de modernisation mais bien qu’ils le portent. L’objectif est la réinvention d’une identité paysanne chrétienne qui accepte le progrès comme fonctionnement économique et comme défi social auquel les paysans doivent prendre part. Mathieu Gervais décrit comment « la nécessaire (re)christianisation du monde s’exprime aussi comme une responsabilité envers le monde, celle d’imposer des finalités chrétiennes au progrès » (2015, p. 145). L’adoption du projet modernisateur par les Jeunes catholiques marque durablement les évolutions des politiques agricoles car la JAC influence le reste du monde agricole et s’allie avec les pouvoirs publics pour mener à bien ce projet. Face à la montée du capitalisme, on assiste à une transformation de la pratique religieuse au sein des paysans : « En effet, en accentuant l’individualisation des conditions et la différenciation des sphères d’activité, la pénétration de la modernité dans les campagnes a fondamentalement remis en cause les particularités de ces espaces, notamment sur le plan religieux », écrit Mathieu Gervais (2016, p. 4). Ainsi, les pratiques religieuses finissent par rejoindre le projet de société global, porté par un idéal de progrès technique et de progrès social.
23Entre 1945 et 1960, on assiste ainsi à une transformation de la perception du monde rural et de sa fonction. Ces évolutions s’institutionnalisent au tournant des années 1960, qui représentent le pivot de transformation de l’agriculture française (Mendras, 1998). Ces années marquent la réforme de l’encadrement législatif de la production agricole en France, la modernisation de l’agriculture française, qui se fait technicienne, productive et exportatrice, avec un lien toujours plus prégnant entre progrès technique et hausse du niveau de vie.
L’organisation d’un nouvel espace politique (années 1960-1980)
24Le projet modernisateur* s’effectue en collaboration avec les structures représentant les agriculteurs, notamment les jeunes agriculteurs (Cercle national des jeunes agriculteurs fondé en 1947, auquel s’adjoignent les JAC en 1957). Cette coopération produit une transformation de l’organisation syndicale, mais aussi des conditions d’élaboration des politiques publiques – ainsi, le monde politique s’appuie parfois davantage sur les élites politiques ou les syndicats agricoles, au détriment de la bureaucratie d’État (Muller, 1984). Cela aboutit à l’instauration d’une cogestion avec les syndicats agricoles, inaugurant ainsi une forme de coopération inédite entre l’État et les partenaires privés des secteurs de la production agricole. Cette cogestion entraîne une situation inédite dans l’élaboration et la gestion des politiques publiques agricoles, en procédant, selon les spécialistes, à un déclassement de l’administration publique.
Renouveau et politisation du syndicalisme agricole
25En 1957, la JAC décide de transformer le Cercle national des jeunes agriculteurs (CNJA) en une organisation syndicale (Tavernier, 1969). Cette évolution témoigne du soutien des Jeunes catholiques au projet modernisateur porté par l’État – soutien qui devient déterminant au début des années 1960. Elle indique aussi les divergences de vues entre ces jeunes agriculteurs et la FNSEA ; les premiers lui reprochent son manque de solidarité envers les jeunes agriculteurs, qui disposent de moyens insuffisants en comparaison d’agriculteurs déjà installés et plus avantagés. Ces tensions aboutissent à la sortie du CNJA de la FNSEA, en 1960. Le CNJA va ainsi développer un discours plus politique, élargissant la réflexion sur le statut de l’agriculteur au sein de la société dans son ensemble, et ainsi dépasser la seule vision de producteur de l’agriculteur (Muller, 1984). La même année, suite à l’adoption de la loi d’orientation agricole (LOA) – grâce à l’investissement du CNJA, qui a aidé le gouvernement à son élaboration et à sa diffusion au sein du monde agricole2 –, le CNJA devient un syndicat représentatif, au même titre que la FNSEA. Ce soutien à la LOA se répète en 1962. Cela lui ouvre la porte au sein des chambres d’agriculture*. Les chambres d’agriculture sont des établissements publics d’État présents dans chaque département français. Elles ont pour mission première de représenter l’ensemble des agents économiques de l’agriculture sur le territoire via leurs élus syndicaux renouvelés tous les six ans. Elles sont également chargées d’apporter assistance et conseils techniques aux agriculteurs par le biais de leurs salariés et d’assurer la mise en œuvre des politiques nationales et territoriales agricoles sur les territoires.
26Les enjeux sont d’importance car les LOA (Desriers, 2007) ont pour objectif de favoriser la création d’exploitations agricoles capables de mettre en œuvre des techniques modernes de production. Il s’agit ainsi de libérer des terres pour la production agricole, en créant un fonds d’action sociale pour l’aménagement des structures agricoles et en instaurant une indemnité viagère pour les agriculteurs de plus de 60 ans. Une nouvelle forme sociétaire* est proposée avec la création des groupements agricoles d’exploitations en commun (GAEC). Enfin, le contrôle de l’attribution des terres se renforce avec la création des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural* (SAFER). L’objectif est que les petites exploitations disparaissent. Une surface minimum d’installation* (SMI) est définie par département.
27La FNSEA s’approprie à son tour ces objectifs. Elle travaille aussi, au cours des années 1960, au maintien de l’unité syndicale (qui est sa politique officielle depuis 1949), ce qui la conduit à élaborer des alliances communes avec le CNJA. L’unité syndicale se maintient par l’adoption d’un discours commun autour du projet modernisateur* et de la volonté d’amplifier l’audience obtenue auprès des acteurs publics lors des négociations préliminaires aux LOA.
28De plus la FNSEA procède à une réorganisation interne afin de répondre aux attentes de ses membres (Hervieu et Purseigle, 2013). Chaque département dispose désormais de sa propre fédération (FDSEA), dotée de services spécialisés (comme la fiscalité, le droit, la comptabilité). Les FDSEA gèrent les actions collectives et les relations publiques, ce qui fait rapidement d’elles des partenaires indispensables dans l’élaboration des politiques agricoles locales. De plus, des sections sociales sont constituées, afin de regrouper les exploitants agricoles selon leur contrat de fermage ou de propriétaire. Enfin, des associations spécialisées regroupent les agriculteurs en fonction de leur production. Cette organisation participe ainsi à l’amélioration des conditions dans lesquelles s’exercent les activités agricoles.
Les principaux syndicats agricoles en France (1946-2016)
La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), fondée en 1946, est le syndicat agricole français largement majoritaire jusqu’à aujourd’hui, remportant systématiquement au-delà de 50 % des votes lors des élections des représentants agricoles au sein des chambres d’agriculture*. La FNSEA porte le projet modernisateur et accompagne le développement de l’agriculture conventionnelle.
Le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), devenu les Jeunes agriculteurs (JA) est fondé en 1956 et s’allie toujours à la FNSEA lors des élections. C’est lui qui est à l’origine de la modernisation de l’agriculture.
Le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) est créé par des partisans de la gauche laïque dès 1959. Il ne fera jamais plus de 10 % des voix lors des élections professionnelles.
La Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans, fondée en 1981 s’allie dès 1987 avec la Fédération nationale des syndicats paysans, elle-même créée en 1982 pour former la Confédération paysanne. Proches des idées de Bernard Martin, ces syndicats prônent le retour du paysan et une agriculture locale plus respectueuse des normes environnementales. Ses syndicats confondus oscillent entre 20 et 25 % des voix.
La Coordination rurale, fondée en 1994, est un syndicat très libéral, qui fait de la défense de la propriété foncière et de la liberté de vente des produits ses priorités syndicales. Elle remporte entre 12 et 20 % des voix depuis sa création.
L’éclatement des visions du métier d’agriculteur et des politiques agricoles et la dispersion des voix face à la FNSEA renforce son hégémonie.
Élaborer conjointement une gestion administrative
29Le travail continu entre les syndicats et l’autorité politique aboutit à l’élaboration d’une politique de cogestion. La cogestion n’est pas simplement un mode d’élaboration technique des décisions. Il est aussi, si l’on suit Pierre Coulomb, un projet politique partagé :
Si on appelle « cogestion » les moments où l’État et la profession s’associent étroitement pour élaborer la politique agricole, ces moments paraissent rythmés par les besoins politiques du pouvoir et non par les exigences de la gestion technico-économique de la production agricole et du secteur agroalimentaire (Coulomb, 1990, p. 152).
30Cela se réalise au détriment du développement d’une vision spécifique portée par l’administration publique. Le politiste Pierre Muller (1984, p. 27) résume la situation :
L’aspect le plus caractéristique du processus d’élaboration de cette politique tient certainement au fait que le ministère de l’Agriculture en est resté totalement à l’écart, au profit d’une extraordinaire connivence entre pouvoir politique et syndicalistes paysans. Or, cette situation, […], allait avoir des conséquences décisives sur les modalités d’intervention de l’État en agriculture.
31Ainsi, les directeurs des services agricoles du ministère disparaissent dans les années 1960. Avec le décret ministériel du 11 avril 1959 – élaboré entre pouvoir politique et syndicats agricoles –, ils perdent leur fonction de conseillers techniques pour celle d’animateurs, de coordinateurs et de contrôle, ce qui les affaiblit et ne leur permet pas de s’intégrer aux dynamiques territoriales. La disparition progressive des services agricoles laisse un vide administratif et renforce le lien entre les politiques et les syndicats.
32En outre, avec ce même décret de 1959, le rôle des chambres d’agriculture* est renforcé :
La FNSEA a craint que la maîtrise de l’ensemble du dispositif ne lui échappe au profit de forces incontrôlables et il est probable qu’aux yeux des dirigeants de l’époque, mieux valait s’en remettre aux chambres d’agriculture si on ne pouvait l’éviter, que de perdre le contrôle des actions de vulgarisation (Muller, 1984, p. 113).
33Toutes les chambres d’agriculture se dotent d’un service d’utilité agricole et de développement pour rémunérer les conseillers agricoles et les mettre à la disposition des groupements. Ce conseil de direction est composé pour moitié de membres de la chambre d’agriculture et de représentants d’organisations professionnelles à vocation générale, sans plus intégrer les services du ministère de l’Agriculture dans le conseil technique. Enfin, la création de l’Association nationale pour le développement agricole (ANDA) en 1966 provoque la disparition définitive des services agricoles, qui n’ont pas su s’adapter aux changements idéologiques et politiques du monde agricole (Muller, 1984)3.
Institutionnalisation de la cogestion dans les années 1960-1980
34La cogestion réalise une association inédite dans les politiques publiques entre des représentants syndicaux (avec le poids déterminant de l’un d’entre eux, la FNSEA), les organisations professionnelles et l’autorité de l’État, qui définissent ensemble les politiques agricoles. Cette gestion s’accompagne d’un large travail de diffusion de cette politique par le travail d’appropriation réalisé par les associations syndicales. La cogestion, estiment les sociologues Bertrand Hervieu et François Purseigle (2013, p. 196), est permise par la reconnaissance de la FNSEA par l’État comme principale organisation représentante des agriculteurs, « afin de ne pas avoir à arbitrer entre les différentes tendances qui auraient pu porter des formes contradictoires de développement ». L’État opère ainsi un arbitrage entre les représentants syndicaux et conforte le pouvoir de l’instance la plus représentative. Par ailleurs, la cogestion suppose une organisation territoriale, car elle s’exerce à la fois à une échelle nationale et à une échelle départementale. Enfin, elle est une manière d’entretenir une forme de clientélisme politique pour le pouvoir en place, notamment à droite de l’échiquier politique. Toutefois, des débats ont cours dans le milieu de la science politique française pour mesurer et caractériser l’emprise effective de la FNSEA au sein des politiques agricoles et le lâcher-prise de l’État.
35La cogestion se renforce au cours des années 1960-1980, montrant ainsi la convergence des intérêts et des objectifs entre le pouvoir politique et les principaux syndicats. Le Conseil de l’agriculture française (CAF) est créé en 1966. Georges Pompidou (président de la République entre 1969 et 1974) incite ses ministres successifs de l’agriculture à mettre en place une conférence annuelle dès 1971 pour discuter avec les responsables agricoles et intégrer leurs demandes dans les projets gouvernementaux. Cette conférence annuelle réunit l’exécutif national et quatre grandes organisations professionnelles (FNSEA, CNJA, Association professionnelle des chambres d’agriculture* [APCA] et Confédération nationale de la mutualité du crédit et de la coopération agricole [CNMCCA]).
36Jacques Chirac, en tant que ministre de l’Agriculture entre 1972 et 1977, maintient cette stratégie. Il renforce encore cette cogestion, puisque chaque conférence est préparée par des commissions de travail paritaires sous le contrôle du cabinet du ministre et des dirigeants professionnels (Muller, 1984). En 1982, suite à l’élection du président socialiste François Mitterrand, les conférences sont abandonnées. À son retour au pouvoir, la droite réaffirme l’importance de travailler avec les syndicats agricoles majoritaires. Par exemple, en 1986, François Guillaume – qui était jusqu’alors président de la FNSEA – est nommé ministre de l’Agriculture par Jacques Chirac.
37Certes, l’objectif électoraliste (maintenir le vote rural à droite) n’est pas étranger à cette volonté, puisqu’il s’agit de conforter le pouvoir politique en place et de lutter contre les conséquences de Mai 1968. De leur côté, les représentants syndicaux y voient l’opportunité de continuer à peser sur l’élaboration des lois.
38Malgré les difficultés de définir une corrélation solide entre une tendance politique et une catégorie socioprofessionnelle, les enquêtes électorales menées depuis les années 1950 montrent que la population agricole vote majoritairement à droite (Boussard, 1982 ; Bruneteau, 1994 ; Platone, 1997). Les votes ont cependant tendance à se disperser entre les différents candidats de la droite modérée ou libérale, bien qu’il y ait, traditionnellement dans ce vote, une préférence pour la droite modérée et catholique. Les agriculteurs se caractérisent par une pratique religieuse plus assidue que dans le reste de la population4. Par ailleurs, les élus de droite ont eu tendance à développer des pratiques clientélistes avec cette catégorie sociale. Jacques Chirac, deux fois président de la République, a su tisser des liens importants avec les agriculteurs ; élu d’une région rurale (avant de devenir maire de Paris), puis ministre de l’Agriculture, il a gagné la fidélité électorale de cette catégorie (Boussard, 1982).
Figure 1. Analyse du vote du premier tour des élections présidentielles de 2007
Nom du candidat et tendance politique | Population agricole (% des votes)a | Population électorale française (% des votes) |
Nicolas Sarkozy (droite) | 35 | 31 |
François Bayrou (droite modérée) | 16 | 19 |
Ségolène Royal (gauche socialiste) | 8 | 26 |
Jean-Marie Le Pen (extrême droite) | 12 | 10 |
Frédéric Nihous (droite, parti des chasseurs) | 2 | 1,15 |
Philippe De Villiers (droite conservatrice) | 4 | 2,23 |
a. D’après les chiffres fournis dans l’article de Gombin et Mayance (2010). |
39La cogestion n’est pas sans soulever différentes interprétations au sein des spécialistes (Billaud, 1990). Pour Pierre Coulomb, intituler cela « cogestion » ne rend pas compte de la profondeur de l’association entre les partenaires : ainsi,
La conférence annuelle n’est aucunement le lieu d’une « cogestion » entre une représentation pluraliste des divers intérêts économiques et sociaux de l’agriculture et un État arbitre dans le cadre des contraintes et des options de la politique générale. Elle est le lieu d’une alliance politique entre une FNSEA, dirigée par un groupe d’agriculteurs particulier dans ses intérêts comme dans son idéologie et un Premier ministre, devenu chef de parti (Coulomb, 1990, p. 179).
40La place des différents partenaires au sein du dispositif est discutée.
41Claude Servolin (cité par Jean-Paul Billaud, 1990, p. 192) estime que le rôle de l’État demeure déterminant dans la définition des politiques agricoles. Pierre Coulomb et Henri Nallet (1974, p. 39) considèrent que le pouvoir des syndicats concerne surtout la création d’une identité paysanne et que son rôle est moindre en ce qui concerne la définition de la politique agricole. Pierre Muller, de son côté, le définit comme défaillant, car il pense que le syndicat dominant a tendance à se substituer à l’administration. Jean-Paul Billaud (1990, p. 234) conclut :
On peut seulement constater qu’à partir des seuls écrits on ne peut pas expliquer le rapport à une notion sans doute trop marquée par les enjeux politiques pour que les politologues la reprennent sans hésiter à leur compte.
Évolutions et survivances de la cogestion (années 1990-2010)
42Plusieurs facteurs affaiblissent la cogestion et restructurent les relations entre le monde syndical et le pouvoir politique. Tout d’abord, les alternances politiques entre la gauche et la droite compliquent les conditions de l’élaboration de la cogestion. La droite tente de maintenir les liens qui historiquement l’unissent au monde agricole, en essayant de maintenir la prééminence de la FNSEA ; tandis que la gauche va tenter de réduire l’influence de ce syndicat dominant en favorisant l’émergence de la pluralité syndicale. Ensuite, les modes de gouvernance des politiques agricoles et leur régulation à plusieurs niveaux, c’est-à-dire international, européen, national et local redéfinissent les contours de la cogestion. Par ailleurs, confrontés à l’irruption des tensions environnementales et aux crises alimentaires, les différents gouvernements tentent de produire des orientations agricoles d’ajustement à ces tensions. La dernière proposition en date, celle de l’agroécologie*, promue en 2012, par Stéphane Le Foll, le nouveau ministre de l’Agriculture, illustre cette volonté politique. Mais cette politique accompagne une transformation profonde du monde agricole, celle de l’émergence de l’agriculture de firme*. Enfin, une partie du monde agricole, soucieux de redéfinir sa place et son identité dans le système productif, réaffirme le retour du paysan.
Division syndicale et pluralisme syndical
43Les années 1990 rendent visible les divisions qui agitent le monde agricole. Bertrand Hervieu et François Purseigle (2013, p. 196) rappellent qu’au cours de ces années, on voit apparaître ce qu’ils appellent la « première faille » de la cogestion : il s’agit de « la mise en question de la fiction mobilisatrice de l’unité, intervenue, sous l’influence de la gauche, avec la reconnaissance du pluralisme syndical ». En effet, Édith Cresson, ministre de l’Agriculture entre 1981 et 1983, annonce que les élections de 1983 dans les chambres d’agriculture* permettront l’expression du pluralisme syndical et que le binôme FNSEA/CNJA ne sera pas le seul au sein des chambres d’agriculture. Malgré cette annonce, les élections confirment le poids de la FNSEA5, une domination qui ne se dément pas, puisque ses scores se maintiennent autour des 60 % des voix, lui assurant de diriger quasiment toutes les chambres d’agriculture départementales. Cela lui permet de rester le seul syndicat présent « dans les concertations mensuelles et dans les structures de cogestion » (Minot, 1997, p. 27). Toutefois, ce mouvement de reconnaissance du pluralisme syndical se refroidit dès 1983 lorsque Michel Rocard est nommé ministre de l’Agriculture car il « limite l’expression du pluralisme syndical par une circulaire ministérielle qui définit comme “représentatives” les organisations ayant obtenu plus de 15 % des suffrages aux élections professionnelles » (Bruneau, 2014, p. 20). Cette circulaire ministérielle n’empêche pas que la Confédération paysanne remporte plus de 18 % des voix lors des élections de 1989. Le Gouvernement est alors obligé de reconnaître sa représentativité nationale et elle bénéficie alors de financements publics. L’ouverture permise par la décision d’Édith Cresson offre ainsi la possibilité de constituer une opposition syndicale.
44Si l’on poursuit la métaphore de la faille, nous pouvons estimer que la deuxième faille se constitue autour de l’enjeu identitaire du monde paysan. Une frange minoritaire d’agriculteurs revendique l’appellation de « paysans ». Ils contestent les modalités du projet modernisateur* et ses méthodes, estimant que celui-ci a produit une réelle crise des exploitations agricoles et déprécié le métier d’agriculteur. Cela révèle des tensions qui jusqu’ici étaient étouffées par la puissance d’action de la FNSEA. L’institutionnalisation du projet modernisateur* a occulté le foisonnement théorique et la multiplication des luttes qui entendent remettre en cause le modèle agricole dominant (Martin, 2005). Différents petits syndicats critiquent la logique sociale productive qui emprisonne les agriculteurs, fondée sur le modèle capitaliste. Déjà, au début des années 1970, Bernard Lambert avait créé le Mouvement des paysans travailleurs. Au début des années 1980, l’Association nationale des paysans-travailleurs (ANPT), le Mouvement syndical des travailleurs de la terre (MSTT) et des groupes départementaux se regroupent pour créer la Confédération nationale des syndicats des travailleurs paysans (CNSTP). Ces mouvements critiquent le capitalisme en tant que puissance économique, technique et politique qui aliène le travail autant que l’identité paysanne. Jean-Philippe Martin, historien, indique ainsi :
Ces syndicalistes formés par la Jeunesse agricole chrétienne (JAC) continuent à défendre la nécessité de la transformation des exploitations et sont souvent des agriculteurs modernisés. Cependant, ils insistent sur l’aspect social de leur combat, dénoncent l’endettement des exploitants et l’exode (Martin, 2012, p. 466).
45Ainsi, cette frange communiste porte le discours de Bernard Lambert, pour qui :
le monde paysan n’est pas uni, une partie des producteurs est en voie de prolétarisation et perd son indépendance au profit des firmes*. Pour lui, le combat relève du politique, il doit être solidaire de celui des ouvriers et avoir pour perspective un socialisme démocratique (Martin, 2012, p. 467).
46Ces contestations syndicales s’inscrivent aussi dans un contexte politique modifié, ce qui participe à la constitution d’une troisième faille. En effet, au cours des années 1970-1980, les luttes paysannes se construisent certes autour du statut professionnel du paysan, mais incluent désormais les enjeux sociotechniques liés à la production agricole – comme la privatisation des semences, qui reviennent aux industries semencières et la lutte contre les organismes génétiquement modifiés (OGM). Jean-Philippe Martin (2012, p. 470) explique que les années 1980 sont marquées par un :
infléchissement des thèmes : le discours de lutte des classes est oublié, le thème de la prolétarisation gommé, les ouvriers cessent d’être des alliés privilégiés. Avec d’autres, ces organisations dénoncent le « productivisme » imposé par les firmes*. Selon elles, celui-ci endette les paysans qui doivent acheter de plus en plus de produits, il pousse à négliger la qualité de la production car il faut produire vite et à moindre coût, il accroît la pollution des sols et de l’eau. Ces sensibilités conjuguent les préoccupations sociale et environnementale et plaident pour des alternatives au modèle agricole dominant. D’où de nouveaux alliés, associations écologistes, de consommateurs, de soutien aux pays du Sud […].
47C’est ainsi que se forme le mouvement de la lutte du Larzac ou que la Confédération paysanne est fondée en 1987. Ivan Bruneau (2014) qualifie ces initiatives de « recomposition de l’espace syndical ». Désormais, la cogestion ne peut ignorer le contexte socioéconomique – et ensuite, plus timidement, écologique – de son élaboration.
48Néanmoins, avec ces trois limites, la cogestion se maintient car la FNSEA a toujours un accès privilégié aux arènes du pouvoir et car ses capacités mobilisatrices (Champagne, 1984 ; Lynch, 2014) et son répertoire d’action collective restent spectaculaires, comme en attestent les manifestations de la FDSEA bretonne, liées au mouvement des « bonnets rouges » en Bretagne en octobre 2013. La FNSEA possède également des capacités fédératrices par le biais des multiples structures, dont celles de conseils techniques qui garantissent une aide et un soutien aux agriculteurs, comme l’atteste le travail mené par le politiste Alexandre Hobeika (2014). Alors que le monde agricole représente 2 % de la population active et donc une part très faible de l’électorat, il reste un enjeu politique majeur sur la scène politique, en raison du maintien de cette cogestion et des fortes capacités mobilisatrices des agriculteurs. Mais cette cogestion se restructure et est obligée de reconnaître les oppositions existant au sein du monde paysan.
Affaiblissement des politiques nationales et montée en puissance de la PAC
49L’influence des politiques agricoles européennes constitue sans doute le facteur le plus décisif sur l’évolution de cette politique de cogestion. Les instances européennes définissent de plus en plus la stratégie agricole à mettre en œuvre sur le territoire national. De ce fait, on assiste à un décentrement de certaines orientations et des modalités de l’élaboration des politiques publiques. La politique agricole nationale se trouve contrainte d’internaliser les normes fixées par l’Union européenne*. Bien sûr, l’État français participe à leur élaboration, avec la contribution des représentants agricoles. Mais l’intervention de cet acteur tiers participe à la redéfinition des priorités de la production et surtout, de ses mécanismes de financement (Ansaloni, 2015).
50Ainsi, la PAC, de par son budget très important (les dotations sont ainsi de 8,9 milliards par an sur la période 2014-2020 pour la France) [Commission des affaires européennes du Sénat, 2013], peut être considérée comme une politique pesant dans la capacité de promouvoir des modifications significatives dans les pratiques agricoles nationales. Elle représente un levier considérable pour orienter les systèmes de production : aujourd’hui, les aides publiques européennes contribuent en moyenne à plus de 90 % du revenu des exploitations agricoles professionnelles. Par ailleurs, elle est constituée de deux piliers* qui structurent fortement le développement agricole. Le premier pilier, qui représente près de 80 % du budget de la PAC, comprend les soutiens au marché et aux revenus (Capeye, 2014). Le deuxième pilier* (Trouvé et al., 2013 ; Parlement européen, 2016) est consacré au développement rural et a été instauré pour prendre en compte la multifonctionnalité de l’agriculture (compétitivité, environnement, innovation, inclusion sociale, entre autres). Ces mesures sont cofinancées par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et par les États membres et/ou les régions.
51Par ailleurs, l’Europe développe une politique interventionniste en matière environnementale6, ce qui n’est pas sans influence sur le domaine d’intervention de la cogestion. La montée en puissance de la réglementation environnementale (Ansaloni, 2015) et l’intégration des préoccupations environnementales dans la PAC prennent désormais trois formes : les mesures agroenvironnementales (ou MAE, présentées par les décideurs politiques comme un des outils d’« écologisation » de la politique agricole commune*), l’écoconditionnalité (aujourd’hui conditionnalité) instaurée en 2003 et les paiements verts, en place depuis la dernière réforme de la PAC 2014-20207. Les politiques agricoles doivent donc intégrer dans leurs objectifs des préoccupations qui ne sont pas structurantes dans les cultures professionnelles des acteurs concernés.
52L’État et ses partenaires nationaux privilégiés font ainsi face à un amenuisement de leur autonomie décisionnelle.
Agroécologie* et agriculture de firme* : vers une évolution de la cogestion ?
53En mai 2012, l’alternance politique amène le socialiste Stéphane Le Foll, ancien député européen, au ministère de l’Agriculture. Il propose alors un projet de réforme des politiques agricoles, s’appuyant sur un concept agronomique : l’« agroécologie »*8. Le ministère de l’Agriculture la définit comme :
une façon de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes. Elle les amplifie tout en visant à diminuer les pressions sur l’environnement (ex : réduire les émissions de gaz à effet de serre, limiter le recours aux produits phytosanitaires) et à préserver les ressources naturelles. Il s’agit d’utiliser au maximum la nature comme facteur de production en maintenant ses capacités de renouvellement (MAAF, 2013).
54Le projet doit permettre la transition environnementale des politiques agricoles, et se propose comme réponse à l’injonction d’écologiser l’agriculture. L’élaboration d’un « projet agroécologique pour la France » doit permettre d’« engager l’agriculture sur la voie de la double performance économique et écologique, pour faire de l’environnement un atout de la compétitivité » (MAAF, 2014). Les politiques agroécologiques sont également présentées comme étant en phase avec une modernisation de l’État, redéfinissant son rôle et réorganisant les dispositifs d’élaboration des politiques publiques pour les rendre plus ouverts et plus adaptés aux enjeux spécifiques de l’écologisation des politiques agricoles. Le projet agroécologique est intégré dans un processus d’institutionnalisation au travers de son inscription dans la loi d’avenir sur l’agriculture, l’alimentation et la forêt (ou LAAF)9 du 13 octobre 2014.
55La FNSEA soutient cette politique, qui doit renforcer l’investissement et l’innovation et développer des technologies de pointe devant rendre l’agriculture plus performante, y compris sur le plan environnemental10. L’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), un temps réticente, se rallie finalement au projet et signe, le 10 décembre 2013, un contrat d’objectif liant l’État et les chambres d’agriculture pour les programmes de développement agricole et rural 2014-2020.
56L’agroécologie* est aussi un moyen pour la puissance publique, aidée par ses partenaires traditionnels (syndicats, mais aussi recherche scientifique)11, de redéfinir une politique nationale, réalisant une certaine fusion avec les objectifs européens et les attentes des consommateurs (Bellon et Olivier, 2012). Car le projet de l’agroécologie est présenté comme s’inscrivant dans le cadre d’une « gouvernance partenariale ». Les politiques partenariales sont présentées comme un dispositif de mobilisation externe, venant réagencer le cadre traditionnel de la cogestion des politiques agricoles. La question des rôles asymétriques joués par les différents partenaires au sein du comité de pilotage du projet agroécologique interroge néanmoins ce processus. Cette organisation partenariale de l’élaboration des politiques agricoles s’impose comme une double rupture, à la fois avec le cadre historique de la cogestion, et à la fois avec des politiques publiques descendantes initiées par un État tuteur du social, procédant à une imposition de l’intérêt général par des représentants mandatés élus ou des hauts fonctionnaires. De plus, cette politique permet d’élargir le panel des acteurs concernés, intégrant de nouveaux réseaux, censés représenter la société civile, ou encore le secteur privé. La cogestion semble s’effacer. Ils se dessinent des nouvelles logiques de gouvernance large, incluant de nouveaux acteurs au statut hybride, multipositionnés et réunissant en leur sein des agriculteurs, mais aussi des coopératives et des acteurs du secteur privé de l’agrofourniture.
57Cette évolution s’inscrit dans une transformation importante de l’organisation du modèle économique du monde agricole. François Purseigle et Bertrand Hervieu ont théorisé cette mutation de l’économie traditionnelle de l’agriculture. Sous l’expression d’« agriculture de firme »*, ils insistent sur les mécanismes de libéralisation, d’abstraction et de la financiarisation* qui réorganisent le monde rural (Purseigle, 2013 ; Hervieu et Purseigle, 2015). L’implication de l’industrie dans la production agricole se donne à voir dans la contractualisation avec les industries agroalimentaires des activités situées à l’aval et à l’amont de la production agricole (Olivier-Salvagnac et Legagneux, 2013), jusqu’à l’appui à la conversion aux techniques de non-labour par les firmes de l’agrochimie et la production de semences au début des années 2000 (Goulet, 2010). Le développement du modèle de l’agriculture de firme* a ainsi amorcé une évolution des conditions économiques de l’agriculture ayant profondément transformé l’activité même de production. De nouvelles logiques de prestation et de délégation, ainsi que l’implication de nouveaux acteurs privés, tels que les multinationales, ont participé du renforcement de la vision entrepreneuriale* et de l’économisation de l’activité de production agricole (Hervieu et Purseigle, 2015), appuyé par l’adoption d’une loi d’orientation agricole en 2005 (Hervieu et Purseigle, 2013). Au sein des arènes politiques, l’agriculture de firme* est portée par la FNSEA, qui s’adapte à ces évolutions économiques. La financiarisation de l’agriculture et la dépendance de l’agriculture à l’industrie (qu’elle soit agroalimentaire ou semencière) affaiblissent l’autonomie syndicale, qui porte ce nouveau projet pour assurer les intérêts des agriculteurs dans ce nouveau système économique. Elle s’en fait alors le porte-parole au sein des arènes politiques afin de garantir les droits des agriculteurs. Le syndicat majoritaire est la courroie de transmission de l’agriculture de firme*.
58Bien qu’une multiplicité d’acteurs concourent à l’implantation de l’agriculture de firme (avec des intérêts spécifiques mais une convergence des finalités), c’est par le biais de la FNSEA que ces intérêts peuvent être représentés dans l’ensemble des institutions politiques et économiques. L’ancrage de la FNSEA dans les négociations est lié à sa capacité de mobilisation de ses ressources pour accéder aux arènes publiques. Comme l’écrivent Bertrand Hervieu et François Purseigle, s’appuyant sur les travaux d’un chercheur américain :
John Keeler montre ainsi que la reconnaissance du pluralisme syndical par les gouvernements successifs à partir des années 1980 n’a pas abouti à une remise en cause fondamentale de la place occupée par la FNSEA. Keeler parle même d’un « néocorporatisme ». Selon lui, la reconnaissance du pluralisme syndical ne signifie pas égalité de traitement entre organisations. Bien au contraire, un accès privilégié aux arènes du pouvoir, l’élaboration de réformes dont elle est largement bénéficiaire et le soutien au financement de ses activités renforcent, en termes d’avantages comparatifs, l’hégémonie de la FNSEA (Hervieu et Purseigle, 2013, p. 199-200).
59La FNSEA demeure un partenaire de négociations privilégié des institutions politiques, à la fois parce qu’il représente très largement les agriculteurs et parce qu’il possède les ressources pour être présent et s’imposer dans les arènes publiques et politiques. La FNSEA représente ainsi au sein des arènes nationales les intérêts des agriculteurs autant que de l’industrie liée à la production agricole12. Cependant, la cogestion mobilise désormais – outre les acteurs traditionnels – d’autres acteurs qui pèsent lourdement dans l’activité économique de l’agriculture, à la fois en redessinant les objectifs de cette productivité agricole – avec comme priorité de dégager des profits financiers – et en renforçant les logiques d’investissement sélectifs (notamment en vue de développer les activités agricoles les plus rentables). Cette évolution économique traduit aussi l’infléchissement politique de la cogestion, destinée à renforcer la compétitivité économique de ce secteur à l’échelle internationale. Cela induit un changement d’échelle dans l’organisation spatiale de la production agricole. La politique agricole française a cessé de se construire autour des seuls impératifs nationaux.
Conclusion : Le retour du paysan ?
60Paradoxalement, ces évolutions pourraient contribuer au retour des paysans… La cogestion, essoufflée dans ses ressorts traditionnels, contrainte à sans cesse intégrer de nouveaux partenaires dans les cercles de négociation, obligée d’élargir son espace d’action, ne peut désormais plus prétendre au monopole de l’organisation du monde agricole. Soumis à des crises répétées (crises de surproduction, crises de financement, crises sanitaires, crises des salaires) le monde agricole cherche à élargir ses modes d’action et de légitimation :
Paysanne, durable ou encore biologique, le projet de l’agriculture alternative au mouvement continu d’intensification des écosystèmes est ainsi la manifestation concrète de la possibilité de préservation d’une relation pérenne entre les sociétés et la nature (Deléage, 2011, p. 20).
61La figure du paysan ressurgit, mobilisant le souci d’une production alimentaire de qualité, inscrite dans des terroirs, permettant de construire une économie locale, qui respecte le statut social du paysan et l’environnement. Certains critiquent le récit* moderniste à partir d’une réflexion sur les conséquences écologiques de cette logique productiviste. Ils réinvestissent l’identité paysanne en souhaitant refonder ses valeurs de référence (Gervais, 2016). Ils promeuvent en général un système alternatif à celui du productivisme et souhaitent la mise en place d’une politique agricole alternative (Deléage et Dupont, 2004). Ils marquent ainsi leur volonté de reconstituer des liens sociaux sur les territoires agricoles, en développant des initiatives comme les « circuits courts* » ou les AMAP*, associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (Ripoll, 2009). Ils mènent également un travail de renégociation du statut de la propriété privée, notamment par l’association Terres de Liens (Pibou, 2016).
62Ces aspirations demeurent bien sûr minoritaires, au sein du monde agricole, tout comme dans les instances ministérielles. Mais elles permettent cependant de constater la fin d’un monopole de représentation du monde paysan.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Une importante banque dédiée au développement du monde agricole.
2 Cette loi a été préparée par le cabinet de Michel Debré, Premier ministre de l’époque en étroite collaboration avec les leaders du CNJA (Coulomb, 1990 ; Tavernier, 1969). Michel Debré (discours radiodiffusé du 4 mars 1960) déclare : « Il existe une jeune génération de cultivateurs qui a peut-être plus d’ambition que les générations précédentes. […] Cette génération a une sorte d’ambition nationale de faire que l’agriculture soit en France aussi moderne, aussi capable de progrès que l’industrie. Cette ambition est un excellent terrain sur lequel nous pouvons construire une bonne politique agricole ».
3 L’ANDA est une association régie par la loi de 1901 dont le conseil d’administration est composé pour moitié de représentants de la profession et pour moitié de représentants de l’administration. L’ANDA a comme principale fonction de diriger le Fonds national du développement agricole qui peut être alimenté par des subventions ou par des taxes parafiscales.
4 La taille des exploitations ou des activités agricoles pratiquées n’est pas non plus sans influences, mais la corrélation avec le vote est plus difficile à établir. Le niveau de revenu joue aussi un rôle sur l’éparpillement des votes.
5 La FNSEA obtient plus de 60 % des voix, alors que la Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans (qui deviendra la Confédération paysanne grâce à son alliance avec la Fédération nationale des syndicats paysans en 1987) n’en obtient que 7 %.
6 Comme les directives « Nitrates » visant à réduire la pollution des eaux comportant des dosages excessifs de ce composant chimique, ou la mise en place d’un programme de maîtrise de la pollution d’origine agricole (PMPOA), voir Rémy (2010).
7 Nous laissons volontairement de côté les paiements verts et l’écoconditionnalité du premier pilier de la PAC, basés sur la conditionnalité des aides directes, car ils ne visent pas réellement à modifier les pratiques agricoles, mais ont pour objectif de garantir le respect minimal des exigences environnementales en vigueur, bien que les paiements verts aillent légèrement plus loin. Pauline Lécole (2013, p. 127) considère d’ailleurs le verdissement du premier pilier et la conditionnalité des aides comme un habillage de mesures déjà existantes afin de les rendre plus visibles aux yeux des citoyens et répondre à la demande sociétale. Néanmoins, comme l’a développé Matthieu Ansaloni (2015), nous ne pouvons comprendre le développement des MAE sans évoquer l’instauration de la conditionnalité des aides en 2003, qui a matérialisé le principe pollueur-payeur.
8 D’autres notions avaient été précédemment promues par le ministère de l’Agriculture, comme l’agriculture raisonnée, de la durabilité (l’agriculture durable a été un temps perçu comme une opportunité institutionnelle en même temps qu’un point de passage obligé pour la plupart des concepts d’agricultures écologisées) ou de la multifonctionnalité de l’agriculture ; mais leur institutionnalisation avait été faible… Concernant l’agroécologie, ce ministre n’est pas à l’origine de cette notion qui se constitue, historiquement, dès le début des années 1980 dans les réseaux de la recherche scientifique agronomique, voir Wezel (2011).
9 Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 (JO daté 14 octobre 2014).
10 Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), lors de la présentation au ministère de l’Agriculture de « L’an 1 du projet agroécologique pour la France » le 30 janvier 2015.
11 L’agroécologie avait été institutionnalisée au sein de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui a fait du concept l’une des priorités de ses politiques d’orientation stratégique couvrant la période 2010-2020.
12 Cela ne signifie pas que l’ensemble des agriculteurs syndiqués à la FNSEA tient ce discours mais la représentation nationale de la FNSEA en est, elle, le porte-parole.
Auteurs
Clémence Guimont est ATER à l’IAE de Nancy et doctorante en science politique au CERAPS (CNRS UMR 8026). Sa thèse porte sur les politiques territoriales de biodiversité qu’elle analyse à partir de la sociologie de l’action publique et de la sociologie environnementale. Elle étudie la mise en politique de la crise de biodiversité par l’action publique territoriale.
Bruno Villalba est professeur de science politique à AgroParisTech et membre du Centre d’études et de recherches administratives politiques et sociales (CNRS-UMR 8026). Ses recherches portent sur la théorie politique environnementale, notamment à partir d’une analyse de la capacité du système démocratique à reformuler son projet politique à partir des contraintes environnementales.
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