Conclusion. Comment l’esprit démocratique vint aux Jurassiens ?
p. 219-220
Texte intégral
1Au cours de cette recherche sur la formation d’une opinion démocratique nous avons découvert les républicains jurassiens, leurs aspirations, leurs engagements, en premier lieu dans les rapports des gendarmes et les interrogatoires des juges. Pour la plupart, ces démocrates appartenaient aux couches les plus pauvres et les moins instruites de la société, dans un temps de grande urgence sociale, mais sans être vraiment prolétarisés. Il y avait aussi parmi eux une élite intellectuelle venue des classes aisées, ce qui était très important.
2Un point de vue différent nous fut donné ensuite par la lecture de la presse et la rédaction d’une biographie de Louis-Étienne Jousserandot. Cela nous permit de confirmer plusieurs observations faites antérieurement, par exemple sur la formation d’un « parti » républicain dans le Jura sous la Deuxième République et sa difficile survie sous le Second Empire.
3Peut-on dire qu’il y eut une « descente » vers les « masses » des idées démocratiques qui auraient été formulées au préalable par certaines élites politisées ? La réponse doit être nuancée, d’autant plus que le parti de l’Ordre agitait de son côté l’épouvantail d’une conspiration venue d’en haut et tramée par quelques ambitieux acharnés à dévoyer l’esprit du peuple vers de fausses passions politiques.
4La formation d’une opinion démocratique stable dans une « société des individus »1 fut le résultat d’un échange de questions et de réponses entre des milieux sociaux et culturels diversifiés, paysans, vignerons, artisans, petits notables intellectuels dont les espaces de reconnaissance réciproque étaient la sociabilité la plus quotidienne, certaines associations, l’antique société des bons cousins, la presse républicaine, le maniement des symboles, le rituel des commémorations2. L’engagement des démocrates se nourrissait d’aspirations communes marquées par le christianisme, de l’espoir dans le bien-être et l’instruction pour tous, des perspectives politiques offertes par un suffrage universel libre. Les républicains se rassemblèrent lors de scrutins qui firent date dans l’histoire de la démocratie et lors de l’insurrection de décembre 1851. Du côté conservateur, cette nouvelle configuration des relations humaines et du pouvoir politique provoqua un désarroi intense, un refus propice à la guerre civile. Louis-Napoléon Bonaparte put ainsi se présenter comme un recours pour établir sa dictature plébiscitaire qui proposait une gestion autoritaire de la crise économique et sociale, tout en plaçant le débat politique sous le boisseau.
5Lorsque les voies de la démocratie deviennent ardues et périlleuses, l’inusable opportunisme qui sait si bien se donner bonne conscience et oublie si vite, le silence qui vaut recel et mensonge, le manque de courage du citoyen qui est le terreau des tyrannies, fait merveille, au moins pour un temps. Winston Churchill disait que « la démocratie est le pire des systèmes politiques à l’exclusion de tous les autres ». Nous savons aujourd’hui plus que jamais qu’il n’y en a même pas d’autres, qu’elle reste toujours à réinventer et que le citoyen seul est responsable.
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