Conclusion générale
p. 137-140
Texte intégral
1Dans ces enquêtes, nous avons souhaité présenter des initiatives locales – individuelles ou plus collectives – à l’œuvre dans différents domaines de notre vie quotidienne. Elles nous semblent susceptibles de présenter des balises pour entrer dans le monde de l’après-confinement, qualifié de « monde d’après » par Emmanuel Macron dans son allocution du 13 avril 2020 à 20 heures. Il y appelait les Français à se réinventer pour retrouver des « jours heureux », allusion à peine voilée au programme du Conseil national de la résistance. Mais plus de deux ans après cette allocution, force est de reconnaître que ce “monde d’après” n’a débouché sur aucune perspective tangible.
2Les initiatives présentées ici s’ancrent dans le quotidien pour nous montrer – en paraphrasant les altermondialistes – qu’un autre monde est sans doute possible. Comment définir ces initiatives originales, dont quelques-unes ont fait l’objet de ces enquêtes ? L’appel à projet sur « L’Exemplarité comme engagement politique » proposait trois caractéristiques pour tenter de circonscrire cet engagement :
« il s’opère au moins autant en pratique(s) qu’en discours ou en conviction ; il doit être sans cesse réactivé au présent, jour après jour ; il s’inscrit dans des processus pleinement collectifs, même si ces derniers, souvent expérimentaux voire tâtonnants, ne prennent que rarement les formes classiques d’organisation des groupes1. »
3Nos études ont respectivement porté sur la mobilité, sur notre rapport à l’altérité, sur l’éducation et sur la monnaie locale. Ce travail s’est achevé par la présentation de la figure exemplaire – au sens idéale-typique – de Fabien, cantonnier à Pontarlier.
4La recherche menée sur la mobilité grâce à l’association Vélocampus a montré qu’une telle structure a la capacité de proposer aux Bisontins une vraie solution pour s’affranchir en partie des transports polluants individuels ; cette association contribue à ce que Frédéric Héran appelle le « Système vélo », c’est-à-dire une somme d’actions menées de concert, seules susceptibles de diminuer les freins à la pratique du vélo, et par là-même contribuer activement à son développement au-delà des seules personnes déjà convaincues.
5L’enquête conduite auprès de familles bisontines qui hébergent, le plus souvent dans l’illégalité, de jeunes étrangers questionne notre altérité et nous rappelle que la rencontre avec l’Autre est forcément enrichissante. Ces témoignages relatent aussi l’intense travail associatif mené par une poignée de bénévoles qui portent le fer contre notre administration française qui – comme dans d’autres pays européens – se cantonne le plus souvent à un discours de fermeté, remettant parfois en question les Droits de l’homme et du citoyen hérités du siècle des Lumières et de la Révolution française.
6La recherche observant l’école Montessori de Besançon interroge le système de l’Éducation nationale qui occupe une place essentielle dans notre société. La pédagogie mise en oeuvre dans cette école, centrée sur les besoins de l’enfant, vise à développer son autonomie en favorisant le travail en coopération en lieu et place de la compétition. Ces pédagogies alternatives irriguent progressivement le système éducatif classique de l’Éducation nationale (surtout en ce qui concerne les écoles maternelles), ce qui est un gage de crédibilité. Promouvoir ce type d’éducation pourrait constituer la priorité de nos gouvernements afin de permettre à nos enfants de penser le monde de demain en toute liberté, loin des cadres corsetés qui régissent encore notre société, notamment sur les questions sociales et écologiques. Pour en revenir à l’enquête en elle-même, il serait intéressant dans l’avenir de retrouver d’anciens élèves ayant fréquenté ces écoles à pédagogie ouverte pour comprendre comment s’est réalisée leur intégration dans le système classique.
7Enfin, l’étude sur les monnaies locales par leur représentante bisontine, la Pive, propose de renouer avec un système de circulation de l’argent focalisé sur sa raison première : un outil facilitant les échanges de biens et de services. Notre enquête montre la réussite en demi-teinte de cette monnaie locale, notamment parce que son usage reste extrêmement limité. La création prévue d’une Pive électronique sera peut-être susceptible de relancer cette monnaie qui cherche encore ses utilisateurs. Néanmoins, l’expérience nous questionne sur notre façon d’utiliser l’argent, et avec elle, sur notre rapport au territoire, ce qui représente en soi une avancée notable. Les réflexions sur une utilisation de l’argent plus éthique s’inscrivent dans un champ plus large où se retrouvent d’autres outils, tels que ceux portés par la NEF2 pour orienter également nos investissements vers des finalités plus vertueuses.
8Ces enquêtes se terminent avec le portrait de Fabien, une figure adepte de la décroissance et de l’autosuffisance que ne renierait pas la page mensuelle intitulée « Portraits » du magazine La Décroissance. Fabien n’est pas un illuminé ou une personne qui cherche à se replier sur elle-même ; il essaye simplement d’être moins dépendant de notre société consumériste, à la fois en cultivant lui-même son potager, mais aussi en réinventant une certaine forme de troc pour ce qu’il ne peut produire lui-même. En cela, Fabien se rapproche de Voltaire qui nous enjoignait à « cultiver notre jardin »… Fabien n’est pas non plus hostile aux personnes ne pensant pas comme lui, son discours est empreint d’une grande tolérance, même s’il a dû se séparer de compagnons de chasse dont les idées avaient glissé vers l’extrême-droite. C’est un chasseur qui défend une chasse a minima susceptible de réguler la chaine alimentaire, mais qui comprend la position des végétariens comme celle des végans. Fabien prône l’ouverture d’esprit et propose la discussion, sans chercher à convaincre qui que ce soit, si ce n’est par un mode de vie que d’autres pourraient adopter. Faire un “pas de côté” comme Fabien le propose, relève encore d’un choix, choix assumé qui a valeur d’engagement et qui pourrait constituer pour d’autres un chemin vertueux pour s’orienter vers un monde plus respectueux de notre environnement mais aussi des générations futures.
9Espérons que les exemples présentés dans cette enquête contribueront, chacun à sa manière, à alimenter une réflexion plus large pour “penser le monde d’après”. Une réflexion à laquelle devraient s’associer les citoyens comme les politiques afin d’envisager un vrai changement de paradigme au vu des crises économiques et écologiques à répétition dont il apparaît difficile de venir à bout sans changer de trajectoire, comme l’évoque avec brio Frédéric Keck3. Pour cet anthropologue, en effet :
« [C]ette pandémie est le résultat de quarante années de libéralisation de l'économie : augmentation du nombre d'animaux à des fins de consommation humaine, augmentation du nombre de voyages aériens… Cela devait se produire. Et si cette pandémie nous fait mesurer le coût de la liberté, c'est-à-dire des désastres et des événements imprévisibles qui ont ses effets sur l'humanité, elle nous en fait aussi mesurer le goût, c'est-à-dire ce que nous avons perdu4. »
10Serons-nous capables d’apprendre de cette catastrophe sanitaire ? Rien n’est moins sûr quand on voit que la croissance économique semble de nouveau être la seule boussole proposée et que les « jours heureux » du CNR évoqués par le président Macron paraissent déjà si loin. À l'heure de terminer le relecture de cet ouvrage, l'optimisme reste difficile quand on voit que la énième conférence pour le climat qui vient de s'achever en Égypte (novembre 2022) n'a débouché sur aucune avancée notable. Si nous n’opérons pas rapidement ce changement de paradigme, si nous ne retrouvons pas le « sens de la mesure » comme nous y invite depuis longtemps Marie-Dominique Perrot5, il apparaît de plus en plus probable que les choix de Fabien pourraient rapidement se transformer en contraintes pour tous.
Notes de bas de page
1 « L’Exemplarité comme engagement politique… », op. cit., argumentaire, p. 2.
2 https://www.lanef.com/.
3 https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-actu/frederic-keck
4 Extrait de cette émission de France culture, op. cit.
5 Marie-Dominique Perrot, « De la démesure ordinaire à la démondialisation nécessaire », in Défaire le développement, refaire le monde, Collectif, Paris, Parangon, 2003, p. 185-195.
Auteur
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