Introduction
Des “pas de côté” pour construire le monde d’après
p. 11-14
Texte intégral
1La crise sanitaire amenée par le coronavirus doit se lire dans le cadre d’une une crise écologique beaucoup plus globale que la pandémie. En ce qui concerne la propagation du Covid-19, tout le monde s’accorde désormais sur le fait que la diminution des espaces naturels dévolus aux animaux sauvages (pour des raisons aussi variées que l’urbanisation excessive, l’exploitation pétrolière ou encore l’augmentation des surfaces agricoles) apparaît comme une des causes ayant permis la transmission de ce virus des animaux sauvages aux êtres humains1.
2L’arrivée d’un long confinement durant l’année 2020, sur une part importante de la planète, constitue une première dans l’histoire de l’humanité. Cet élément inédit doit nous inciter à réfléchir, sans doute pour ne pas repartir ensuite dans une croissance incontrôlée dont on sait désormais qu’elle n’est plus soutenable. Et si l’on essayait de tirer parti de ce confinement pour repenser le monde de l’après crise ? Parmi les réflexions des experts et des décideurs, notons le Manifeste de Nicolas Hulot paru dans Le Monde2. Dans un registre plus militant, les propositions de Dominique Bourg peuvent suggérer des voies à suivre3, même si certaines s’avèrent contraignantes. Enfin, les citoyens ont réuni 149 propositions dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat dont certaines ont déjà été fortement édulcorées4. Pour le moment (juillet 2022), les propositions, même les plus consensuelles, ne sont guère mises en application, cela malgré les énièmes rapports du GIEC nous enjoignant à adopter des comportements plus sobres en matière énergétique.
3Dans ce contexte, quel peut être l’apport des sociologues ?
4La sociologie n’étant pas une science prédictive, il n’est pas de son ressort de jouer aux devins en parlant de ce que pourrait être ce monde d’après. Par contre, la sociologie étant une discipline essentiellement descriptive, le sociologue, après avoir enquêté patiemment sur le terrain, montre et décrit au plus grand nombre les expériences qu’il a observées. C’est l’ambition de cette étude : présenter des initiatives d’hommes et de femmes qui, bien avant cette crise sanitaire majeure, ont proposé et mis en œuvre des options probantes pour penser le monde d’après.
5Dans ce qui demeure une recherche menée durant le premier confinement avec des étudiantes en première année de sociologie, avec son lot de maladresses et d’apprentissages qui font partie intégrante du processus de formation, nous avons analysé les choix autres que ceux issus d’un système très normatif en nous intéressant à des expériences qui fonctionnent, localement, dans le département du Doubs. Ces actions ont ceci en commun que les individus volontaires qui les mettent en œuvre adoptent un mode de vie plus “responsable” vis-à-vis de la planète, mais aussi plus convivial et plus respectueux des individus, en tentant aussi de sortir d’un système économique dominant qui pousse, encore et toujours, les personnes à consommer dans une spirale sans fin.
6Les expériences présentées dans cet ouvrage, souvent menées dans le cadre d’associations, fonctionnent à l’échelle d’une ville (en l’occurrence, ici, Besançon ou Pontarlier). Le nombre de personnes impliquées dans ces associations dépasse la minorité d’individus qu’on voudrait trop souvent réduire à des marginaux, à des “soixante-huitards attardés” ou encore à des “écologistes autoritaires5 qui plaideraient pour un retour à la bougie. Nous allons regarder de plus près ces expériences concrètes qui nous semblent reproductibles dans d’autres lieux. De plus, les personnes engagées dans ces initiatives témoignent, à leur manière, d’un engagement politique, sans doute plus individuel, mais qui apparaît tout aussi louable que les engagements collectifs plus traditionnels. On peut suivre à cet égard Jacques Ion qui décrit ce processus d’individuation de notre époque post-moderne comme le passage d’un individu anonyme à un individu singulier ; un individu valorisé par ses spécificités qui intervient plus encore qu’hier dans l’espace public et qui continue de s’engager dans des « causes », avec un rapport plus concret à la chose publique. Enfin, à la façon d’un colloque auquel nous avions participé6, on se demandera si l’exemplarité peut valoir engagement politique.
7Dans la première partie, après un bref constat sur la désaffection – notamment des jeunes – pour la politique traditionnelle, nous tenterons de situer dans une perspective sociologique plus globale les quelques cas qui seront développés ensuite.
8Dans la deuxième partie, nous présentons l’étude de terrain menée par des étudiantes de première année en sociologie7, sous notre direction. Cette enquête a débuté en février 2020 pour se terminer juste à la fin du premier confinement (juin 2020). Certains entretiens ont dû être effectués en visio-conférence mais cela n’enlève rien à leur qualité, comme le découvrira le lecteur ou la lectrice ; d’autres n’ont pas pu être menés, mais dans ce cas d’autres méthodes d’analyse ont été développées. Dans cette deuxième partie, quatre thématiques seront abordées par les étudiantes, suivies par l’analyse d’un témoignage exemplaire. Pour ne pas être redondant avec une étude précédemment réalisée8, nous avons choisi de laisser de côté tout ce qui concerne le développement des circuits courts dans l’agriculture, largement abordés dans cette première recherche, et d’explorer d’autres secteurs d’activité et d’autres expériences.
9Le premier cas est consacré à la quête de modes de déplacements alternatifs à la voiture en milieu urbain, proposée par une association bisontine qui œuvre pour la promotion de la bicyclette, via la vente de vélos d’occasion et l’assistance aux petites réparations.
10La deuxième étude s’intéresse à l’accueil, par des familles bisontines, de jeunes arrivés sur le territoire comme mineurs étrangers isolés et devenant, dès leur majorité, des personnes en situation irrégulière qui cessent, dès lors, d’être pris en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance.
11Le troisième volet est centré sur des pratiques originales en matière éducative, valorisant la collaboration, plutôt que la compétition, entre élèves.
12Enfin, la quatrième contribution interroge le domaine de l’économie en examinant le fonctionnement de la Pive, monnaie locale bisontine. Ce sera l’occasion de questionner le système capitaliste qui semble toujours placer un trader plus haut dans la hierarchie sociale qu’une infirmière ou que toute autre personne considérée durant le temps du premier confinement seulement - comme en “première“ et en “deuxième ligne“ du front.
13Pour clore cette enquête, deux étudiantes décrivent le parcours d’un citoyen ordinaire, engagé avec sa famille dans la recherche d’une meilleure autonomie (notamment alimentaire) afin de diminuer sa dépendance à la grande distribution.
14Nous verrons que les propos, entièrement retranscrits, de cette personne – subtils et nuancés – peuvent indiquer une direction de sortie vertueuse du modèle consumériste, que beaucoup appellent de leurs vœux.
15Enfin, nous recommandons au lecteur ou à la lectrice non-sociologue de prolonger cette introduction par le glossaire qui suit. Celui-ci se vaudra comme une mise en garde au “verdissement” généralisé qui à gagné les politiques comme les industriels. Nous y découvrirons ainsi certains thèmes désormais “à la mode”, dont le sociologue devra apprendre à se méfier, d’autres moins connus mais tout aussi intéressants.
Notes de bas de page
1 Cf. notamment « Des zoonoses, des malades virales de plus en plus menaçantes », Secret d’info, France inter, samedi 27 février 2021 : https://www.franceinter.fr/emissions/secrets-d-info/secrets-d-info-27-fevrier-2021.
2 « Le manifeste de Nicolas Hulot pour l’après-Covid », Le Monde du 7 mai 2020, p. 10-11.
3 Propositions pour un retour sur Terre, par Dominique Bourg et al. Ces propositions sont consultables sur le site suivant : https://www.goodplanet.info/2020/04/16/propositions-pour-un-retour-sur-terre/
4 Le Canard enchaîné montre par exemple que la proposition de la Convention climat consistant à interdire d’ici à 2025 tout vol intérieur s’il existe une alternative ferroviaire “en moins de quatre heures” a été transformée par le gouvernement en “moins de deux heures trente”, si bien que très peu de vols en fin de compte seront supprimés à cette échéance sur les 1 064 vols hebdomadaires d’Air France (Le Canard enchainé du 15 juillet 2020, “Oups, un trou d’air”). La même mésaventure est arrivée à la proposition de cette convention visant à taxer les voitures SUV de plus de 1 400 kg dont le gouvernement a augmenté le seuil à 1 800 kg, les 10 SUV les plus vendus en France se situant tous au-dessous de ce poids (Le Canard enchaîné du 21 octobre 2020, “Honni soit qui malus pense”).
5 Il est intéressant de noter que, depuis qu’une partie des villes françaises a été gagnée par les écologistes aux dernières élections municipales, ces derniers sont devenus la cible de nombre de politistes, certains mettant au goût du jour l’appellation dépréciative d’“ayatollahs de l’écologie ou encore d'“Amishs”, ce qui n'est pas une façon pertinente de faie avancer le débat.
6 Bruno Laffort, « L’exemplarité à l’épreuve dans deux structures promouvant l’habitat participatif », L’Exemplarité comme engagement politique, quêtes de cohérence, pratiques anticipatrices et construction du collectif dans les mouvements sociaux contemporains, Journées d’étude internationales, Strasbourg, 13-14 juin 2018, Maison interuniversitaire des Sciences de l’Homme.
7 Toutes les personnes ayant participé à cette étude sont des étudiantes, les rares étudiants présents dans la promotion n’ayant pas souhaité s’y investir dès lors que le confinement est arrivé.
8 « Initiatives locales en milieu rural : Liesle et le canton de Quingey », sous la dir. de Bruno Laffort, Besançon, UFR SLHS, Université de Franche-Comté, Octobre 2015.
Auteur
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