Chapitre 2 - La méthodique conquête de la CGT
p. 117-136
Texte intégral
1Au début de 1921 deux courants contradictoires se font jour dans le mouvement ouvrier français.
2Tout d’abord, l’affaiblissement très net de celui-ci : brisée net par l’échec du printemps 1920, la croissance syndicale n’a pas repris ; au contraire les effectifs continuent de diminuer, et rapidement dans la plupart des cas. Les chiffres cités par Paul Faure au congrès de Tours ont de bonnes chances d’être exacts, ou au moins de refléter correctement le sens de l’évolution1. Selon lui, l’Union des syndicats de la Seine aurait eu, en 1919, 213 275 adhérents prenant 2 559 282 timbres au cours de l’année, « dans les quatre premiers mois de 1920, nous obtenons un total de 1 195 093 timbres pour 298 773 adhérents ». Mais de ces adhérents ne demeurent plus qu’un peu moins de la moitié – 140 878 – dans le deuxième semestre de l’année. Les syndicats les plus touchés seraient les syndicats de cheminots, directement engagés dans le combat : les cheminots de la région parisienne auraient ainsi pris 82 000 timbres en janvier, environ 40 000 en février, mars, avril et 4 000 en moyenne par mois de mai à décembre. Mais l’effondrement ne serait pas moindre dans les métaux, où il resterait dans le deuxième semestre de 1920, 28 000 adhérents contre 191 250 en 1919. Le mouvement semble donc fortement atteint, surtout dans la région parisienne : de janvier à avril, la moyenne des cotisants oscillait aux alentours de 1 300 000 : elle serait à partir de juin tombée aux alentours de 600 000 sans qu’aucun redressement ne soit signalé en fin d’année comme on l’espérait2.
3Peut-être ces chiffres sont-ils sujets à caution dans la mesure où ils viennent à l’appui d’une démonstration : selon Paul Faure, les minoritaires poussent à l’action en toute occasion ; aussi lorsqu’ils parviennent au pouvoir quelque part, qu’ils conquièrent une parcelle de pouvoir syndical, il leur faut pour rester fidèles à eux-mêmes, lancer aussitôt les masses dans l’action. Ainsi avaient-ils été contraints de le faire chez les cheminots en mai 1920 ; or on ne va pas au combat de classe dans n’importe quelles conditions ! Le résultat de la démagogie minoritaire, c’était l’effondrement des effectifs syndicaux.
4Que ces chiffres soient excessifs, il le semble bien ; mais qu’il y ait chute des effectifs, cela est peu contestable : le rapport financier pour le congrès de Lille3 fait état de 5 157 669 timbres pris par les fédérations du 1er juin au 31 décembre 1920, soit pour 7 mois ; et de 3 865 653 timbres pris entre le 1er janvier et le 31 mai 1921, soit pour 5 mois ; il y aurait ainsi eu remontée du second semestre 1920 au premier semestre 1921 : 736 805 timbres placés par mois à la fin de 1920 ce qui correspond, dans une période de lutte à près d’un million d’adhérents – 773 120 timbres par mois du début de 1921, c’est-à-dire, près de 1 050 000 à 1 060 000 adhérents. Mais ne s’agit-il pas là d’un budget « aménagé » ? Les majoritaires essaient en effet de prouver, pour ne pas perdre le contrôle de la CGT, que les effectifs augmentent au début de 1921 ; c’est ainsi que 2 240 syndicats étaient représentés à Orléans, alors que 2 950 le seront à Lille ; 700 syndicats de plus, cela paraît peu vraisemblable. Faut-il alors admettre que le combat étant particulièrement acharné, les deux tendances en conflit ont fait une chasse aux mandats particulièrement active et ont réussi à réduire la masse à peu près constante, environ 25 % de syndicats, qui – en moyenne – se tient à l’écart de l’action confédérale et en particulier ne participe pas aux congrès confédéraux ? Le fait n’est certes pas impossible, mais une augmentation de 700 syndicats cela représente un tiers des syndicats présents à Lille qui étaient absents à Orléans. Même si l’on admet que la masse des mandats « dormants » a été cette fois-ci totalement résorbée, cela ne suffit pas encore à expliquer un tel bond. Deux autres éléments peuvent alors être avancés.
5Un premier, qui tient à la pratique syndicale de la CGT. De nombreux syndicats prennent en début d’année les timbres, non pour quelques mois, mais pour l’ensemble de l’année. De sorte que les 3 865 000 timbres des cinq derniers mois de 1921 représenteraient beaucoup plus que les timbres réellement destinés à cette période. Encore, cela explique-t-il en rien l’augmentation du nombre de syndicats4. Il faut bien admettre, dans ces conditions que les effectifs ont été, au plus fort des luttes de tendances, gonflés ; que l’on a fait temporairement revivre des syndicats moribonds et que l’on a sans doute artificiellement créé des syndicats inexistants. Peut-on savoir quelle tendance est responsable de cette falsification ? On est réduit à des hypothèses : incontestablement, la majorité confédérale, disposant de la trésorerie et des moyens de contrôle, a plus de possibilités de truquage que la minorité. Mais celle-ci, du fait de l’autonomie très large accordée aux Fédérations, a certes pu gonfler les chiffres des effectifs déclarés5. Encore cela suppose-t-il que les minoritaires aient été capables de régler cartes et timbres des syndicats ainsi « créés » ou « gonflés ». Toujours est-il qu’il y a là un incontestable paradoxe : au moment même où les compte rendus financiers font état d’un redressement des effectifs, majoritaires et minoritaires admettent de concert l’idée d’une sérieuse baisse, les premiers en rendant responsables les seconds accusés de paralyser l’organisation confédérale ; les seconds expliquent cette baisse par la totale incapacité des majoritaires à conduire quelque lutte que ce soit et considèrent la direction confédérale comme un véritable frein à toute action6.
6Mais ce fait important, admis par tous, est éclipsé par la rapidité et l’ampleur des victoires minoritaires. L’existence des CSR, en permettant la concertation des minorités dans chaque UD ou fédération, a par là même empêché que l’hémorragie dont souffrait chaque organisation s’étende aux minoritaires. Dès lors, les succès couronnent leurs entreprises, succès plus rapides même qu’ils ne l’avaient escompté7.
7Dès le 7 novembre 1920, un congrès administratif de l’Union des Syndicats de la Seine, chargé en particulier de modifier les statuts de l’Union, repoussait les propositions de la Commission Exécutive et du Bureau ; le 14, une majorité semblable se manifestait et contraignait le majoritaire Ferrot à démissionner. Enfin, lors d’une troisième réunion tenue le 28 novembre, la même majorité votait un blâme à la CGT. Or, cette majorité n’était pas mince : c’est par 76 voix contre 43 qu’avait été voté l’ordre de blâme. Était-ce l’œuvre des CSR ? Sans doute pas, puisque dès le Congrès Confédéral, un rapport de police signalait que dans la Seine de nombreux syndicats étaient à la veille, ou au lendemain, d’un changement de direction. Toujours est-il que le 17 décembre était élue une Commission Exécutive minoritaire ; Monmousseau devenait secrétaire général, Tommasi et Dudilieux secrétaire de l’UD Jusqu’à la fin de l’emprisonnement de Monmousseau, c’est Vadécard qui le remplacerait à la direction de l’Union8.
8C’était là une victoire d’une importance capitale : la minorité avait désormais dans l’UD de la Seine, un centre qui allait très rapidement s’imposer. Le renversement de la majorité confédérale dans l’Union la plus importante, ne contribua pas peu à accélérer le mouvement.
9Mouvement perceptible surtout dans la direction des Unions Départementales qui, étant très proches des syndicats de base, reflétaient plus exactement et plus rapidement les changements survenus que les Fédérations situées bien loin des syndiqués de base. Toujours est-il que le 3 décembre, Million était remplacé à la direction de l’UD du Rhône par le minoritaire Fourcade. Le 9 janvier, le 9e Congrès de l’UD des Bouches-du-Rhône élisait Mayoux secrétaire permanent ; le 30, l’UD du Cher votait une motion clairement minoritaire ; à vrai dire, il s’agissait dans ces deux cas de confirmations plus que de renversements de majorité ; encore était-ce important pour l’UD du Cher dont le représentant au CCN, Hervier, votait régulièrement avec les majoritaires contre l’avis de sa Commission Exécutive ; en février c’était le tour de l’UD de la Charente ; en mars, l’UD des Alpes-Maritimes passait aux minoritaires, trois semaines avant que l’UD du Doubs confirme très nettement cette orientation. En avril, le mouvement se précipitait : tombaient aux mains des minoritaires successivement les UD de la Somme et de l’Indre, le 10 ; l’Aude et l’Indre-et-Loire le 24 ; l’Isère pour sa part accentuait son orientation minoritaire. Seule ombre au tableau : le 3 avril, la majorité reprenait la direction de l’UD de l’Aveyron9. En mai, les majoritaires perdaient la Corrèze, la Creuse (dès la première réunion d’une UD en formation) et la Seine-et-Marne10.
10Du côté des fédérations, le mouvement était à la fois plus lent et plus tardif : il fallut attendre avril pour voir un réseau de cheminots, l’Alsace-Lorraine, passer à la minorité. En revanche, le mois de mai marquait un tournant : le congrès du bâtiment tenu du 16 au 21 et particulièrement houleux refusait le rapport moral de la direction sortante (122 voix pour, 157 contre et 11 abstentions) et la motion minoritaire était adoptée par une large fraction des congressistes : 165 voix contre 95 à la motion majoritaire. Le même mois, le congrès fédéral des cheminots faisait de même, mais par moins de 1 000 voix d’écart : 52 407 contre 53 005 et 2 715 abstentions11 ; la motion Monmousseau l’emportait de 500 voix. Le congrès adopta ensuite une motion remaniant les statuts : le conseil fédéral serait désormais élu par le congrès et non plus formé de représentants en nombre égal de chaque union de réseaux. Un bureau minoritaire dirigé par Semard fut ainsi élu ; mais les majoritaires à la suite de Bidegaray ayant protesté contre cette modification que rien n’imposait, un autre conseil fédéral formé de représentants des divers réseaux réalisait un bureau majoritaire « homogène » présidé par Montagne. C’était le premier signe vraiment très inquiétant ; la plus importante des fédérations adhérentes à la CGT était coupée en deux et la querelle allait sans cesse s’envenimer jusqu’en septembre.
11Mais à côté de ces victoires, deux autres séries de faits étaient à porter à l’actif des minoritaires. Ainsi dans les réunions où ils étaient battus, ils l’étaient souvent de très peu ; par ailleurs, de nombreuses UD, qui votaient un ordre du jour majoritaire lui adjoignaient fréquemment une protestation contre les exclusions : ce fut le cas en février pour les UD de la Drôme et de l’Ardèche, en mai pour l’Hérault et l’Oise ; en juin pour la Côte d’Or et la Loire inférieure.
12Ce n’était pas là précision inutile. En effet, l’exclusion décidée en décembre par la fédération de l’agriculture avait été accompagnée du vote par les fédérations où les minoritaires étaient faibles de résolutions menaçantes : fédération du sous-sol dès décembre 1920, du textile et de la chapellerie en janvier et des employés en février suivant.
13Mais ces premières mesures et ces menaces n’avaient pas réussi à enrayer ni l’organisation de la minorité en CSR, ni les progrès de cette minorité. Par exemple, le 9 janvier était définitivement constitué le CSR départemental du Maine et Loire ; le 6 février, à la veille de la conférence nationale des UD, le comité central des CSR laissait le soin à l’Union des Syndicats de la Seine de réunir les UD minoritaires ; en avril se tenait une série de Congrès régionaux des CSR : le 3 celui du Sud-Est à Marseille, le 10 celui de la 9e région des CSR, – Indre, Vienne, Maine et Loire, Indre et Loire –, le 24, celui de la région parisienne auquel assistaient Monatte et Monmousseau, libérés depuis le 17 mars au terme d’un procès qui avait montré l’inconsistance du dossier Jousselin. Le « complot » sombrait certes dans le ridicule ; mais il avait permis pendant près d’un an de priver la minorité – socialiste avec Loriot, et syndicaliste avec Monatte et Monmousseau – de ses chefs les plus écoutés.
14Ainsi, au printemps 1921 et ceci pour la première fois, la minorité était réellement à pied d’œuvre.
15Mais cette rapide croissance de la minorité contribuait au développement de deux courants dangereux : courant scissionniste interne, de plus en plus ouvertement incarné par Mayoux12 ; si ce dernier s’était prononcé contre les tentatives de scission en août septembre 1920, c’était uniquement pour des questions d’opportunité : à cette date la minorité n’était pas capable d’entraîner une large frange derrière elle ; mais dès lors qu’elle faisait la preuve de son audience grandissante, progressaient du même pas les tentations scissionnistes internes que l’on voyait par exemple réapparaître de plus en plus fréquemment dans les colonnes du Libertaire 13.
16Par ailleurs, cette croissance de l’influence minoritaire s’expliquait en partie par l’efficacité d’une minorité « unifiée ». Or unifiée, elle ne l’était qu’en apparence. À mesure qu’elle prenait forces et dimension nouvelles, réapparaissaient non seulement les tentations de scission mais également les fissures internes si perceptibles dès le congrès de Lyon. Les modifications apportées à la motion adoptée au congrès minoritaire de la Seine en septembre pour y rallier la totalité des « révolutionnaires », (le dernier paragraphe décidant l’adhésion de principe des syndicats minoritaires à l’ISR en gestation avait été supprimé ; par ailleurs, l’avant-dernière phrase du texte : « La CGT, redevenue fidèle à l’esprit révolutionnaire, se doit d’y adhérer à la IIIe Internationale et se déclare prête à collaborer avec l’organisme politique qui agira révolutionnairement », avait été ainsi complétée : « qui agira révolutionnairement en fait et non en paroles, gardant malgré cela sa complète autonomie ») n’avaient pas empêché le dépôt de la motion Verdier. À mesure que s’éloignaient, en ce premier semestre 1921, les espoirs d’une crise révolutionnaire, (« l’action de mars » en Allemagne venait de se terminer par un fiasco), devenait désormais évident que tout espoir d’une rapide transformation de la « vieille » SFIO en parti communiste était déraisonnable. De sorte que la minorité grandissant en force et en autorité, se sentait capable tout à la fois de refuser de collaborer avec un parti communiste qui était loin encore d’avoir fait ses preuves et de réclamer de Moscou la révision des statuts du « Soviet international » qui prévoyaient l’existence de liens organiques entre l’ISR et l’IC. Pour nombre de minoritaires, ce devait être un des buts du congrès constitutif de l’ISR prévu pour le mois de juillet 1921 (juste après le 3e congrès de l’IC) et auquel la minorité se préparait activement.
17Mais par ailleurs en son sein, la concordance des points de vue réalisée au congrès d’Orléans entre des hommes comme Sirolle, Quinton, Verdier (à tel point que la presse, on s’en souvient, avait parlé de « 3e force » entre le BIT et Moscou), avait conduit ceux-ci à mettre sur pied, dès février 192114, une véritable société secrète, le « Pacte », inspirée par Griffuelhes, et d’autant plus efficace qu’elle était plus secrète. De sorte que Monatte et Monmousseau étaient à peine sortis de prison que le premier se voyait remplacé à la direction des CSR par une équipe entièrement composée de « purs » ; que par ailleurs la délégation représentant la minorité syndicaliste française au premier congrès de l’ISR était en majorité composée de militants proches des gens du « Pacte », et particulièrement hostiles à l’établissement de toute liaison organique non seulement entre le PC français et la minorité syndicaliste mais aussi entre l’IC et l’ISR.
18Enfin, les amples progrès minoritaires inquiétaient évidemment les dirigeants de la CGT15. Ceux-ci avaient très tôt tenté de pousser les minoritaires hors de la CGT, d’abord en encourageant toutes les velléités de départ chez les scissionnistes de gauche ; cet espoir se révélant illusoire, et mettant peu à peu en place toute une procédure d’exclusions. Le CCN de novembre avait mis ses espoirs dans les UD et fédérations : or, seules quelques rares fédérations, l’agriculture, les mineurs, les employés16, avaient profité de l’occasion ainsi offerte ; et à l’inverse, de nombreuses Unions Départementales avaient dit leur répugnance envers toute mesure d’exclusion. De sorte qu’il devenait tout à la fois plus urgent – et plus difficile – de mettre à la disposition de la direction confédérale elle-même les moyens d’exclure des adversaires décidément trop conquérants.
19De cette détermination, tardive et encore hésitante chez Jouhaux en juillet-août17, en revanche tôt ancrée chez les autres membres de la direction confédérale et d’abord Dumoulin, mais aussi Laurent, Merrheim, Rivelli, Bidegaray, nous avons des preuves nombreuses. Dès février 1921, Charles Dulot suppliait ses amis majoritaires de prendre sans tarder les mesures qui s’imposaient sous peine d’être chassés de la direction confédérale18 ; et le CCN des 8, 9 et 10 février faisait un pas de plus dans cette voie (en profitant de l’émotion créée par la lecture d’un texte particulièrement virulent émanant des bureaux de l’IC et du « Soviet International » et intitulé « Les rouges aux jaunes »). Dumoulin y indiquait clairement que l’inaction de la CGT était due à « l’action de paralysie des minoritaires »19. La motion finalement adoptée (par 82 voix contre 32 à une motion Bouët, 12 abstentions et 12 absents) déclarait qu’aucune action ne pourrait être entreprise « tant que la confédération ne pourra bénéficier d’une discipline réelle » ; qu’en conséquence le CCN confirmait sa décision de novembre et ajoutait : « complétant cette décision, le CCN déclare que les organisations qui donneraient leur adhésion à l’lnternationale Syndicale, section de l’IC se placeraient par elles-mêmes en dehors de la CGT »20.
20Mais le vote de cette résolution qui constituait un nouveau pas dans la voix des exclusions, n’empêcha ni les CSR de se développer, ni de nouveaux progrès minoritaires. De sorte que tout laissait prévoir que le prochain congrès confédéral prévu pour septembre ne pourrait qu’enregistrer la victoire d’une « minorité » devenue majoritaire. Les directions fédérales menacées de l’intérieur par la montée minoritaire hésitaient à appliquer les décisions de novembre, persuadées qu’elles étaient que quelques exclusions feraient faire un bond en avant peut-être décisif à la minorité. De sorte qu’une autre tactique se fit jour : le 17 avril, les syndicats des gaziers de la région parisienne et le syndicat des employés de la Seine, déclarant ne plus pouvoir s’exprimer à l’intérieur du comité général de l’Union des Syndicats de la Seine, « saisissaient la CA de la CGT de cette situation, en vue d’obtenir de l’Union des Syndicats de la Seine le respect des décisions de congrès et des statuts confédéraux, et en attendant décidaient de se réserver le droit de prendre toutes mesures propres à se désolidariser d’une action préjudiciable aux intérêts du mouvement syndical »21. Ce qui était une manière bien contournée d’annoncer qu’ils ne prendraient plus de timbres à l’Union des Syndicats de la Seine. La mesure était habile, doublement : de même que certains syndicats minoritaires avaient été exclus par leurs fédérations, de même certains syndicats majoritaires étaient contraints de s’exclure de leur Union Départementale : les martyrs ne se trouvaient plus dans un seul camp22.
21De plus, si la direction confédérale reconnaissait que leur demande était légitime, du même coup tous les mécanismes de la scission étaient en place. Non seulement les fédérations et UD « encore majoritaires » pouvaient exclure les syndicats affiliés aux CSR ; mais si par ailleurs, les syndicats majoritaires exposés à la douloureuse obligation de subir la tutelle d’UD ou de fédération minoritaires, recevaient le droit d’en sortir, alors du même coup reconnu leur droit à créer des organisations dissidentes. C’était un coup de sonde que le bureau confédéral se garda bien d’avaliser, mais aussi de désapprouver. Si les victoires minoritaires se poursuivaient au même rythme, en septembre, la majorité des syndicats serait au pouvoir des « minoritaires » : c’est pourquoi arguant de l’impossibilité absolue dans laquelle se trouvaient le bureau confédéral et la CA d’administrer désormais la CGT et déclarant « laisser au comité confédéral – qui a laissé dénaturer le sens de sa motion de discipline – la responsabilité de la situation », Dumoulin exigea du CCN de mai la convocation anticipée du congrès23. Le vote fut extrêmement serré : 69 organisations se prononcèrent pour qu’il soit avancé en juillet ; 53 pour maintien en septembre. Pour la première fois, la majorité des UD (43 contre 39) s’était prononcée en faveur de la proposition minoritaire tendant au maintien de la date primitive du congrès.
22Le congrès de Lille s’ouvrit théoriquement le 25 juillet, en réalité le 26 au soir, dans des conditions particulièrement difficiles pour la minorité, malgré les succès que celle-ci continuait d’enregistrer un peu partout.
23Deux séries d’événements en effet, de nature à freiner provisoirement son développement, venaient de se produire : d’une part le 15 juillet, un télégramme rendait public en France un des textes votés par le congrès constitutif de l’ISR24 et faisait réapparaître parmi les minoritaires des divergences fondamentales ; d’autre part l’invraisemblable échauffourée qui ouvrit le congrès laissait mal augurer du déroulement de celui-ci.
24La délégation française au congrès de l’ISR désignée par une réunion du CC des CSR dans laquelle les hommes du « Pacte » tiraient les ficelles, était composée de deux syndicalistes communistes – Tommasi et Godonnèche – et de sept militants anarchisants : Claudine et Albert Lemoine, Godeau, Sirolle, Labonne, Michel Relenk, Gaye25. Par ailleurs figuraient au congrès deux autres Français : Rosmer, chargé dans la direction de l’IC des problèmes syndicaux et Boisson, secrétaire du syndicat scissionniste du Bâtiment de Marseille et fondateur avec Péricat de la fantomatique « Confédération des travailleurs du Monde », délégué au congrès dans des conditions assez obscures. Mais la délégation française paraissait bavarde, peu sérieuse, peu assidue aux séances et secouée de plus par de tels conflits personnels, qu’elle refusa d’envisager vraiment le problème essentiel : à quel prix et à quelles conditions les éléments les plus opposés de la minorité (communistes d’une part, anarchistes d’autre part) pourraient-ils coexister dans une Internationale et dans une centrale nationale commune. L’apparente entente soudée par le seul assaut contre la majorité confédérale pourrait-elle se prolonger – et sur quelles bases ? – au lendemain d’une éventuelle victoire ? Quel bloc l’emporterait sur quel autre ? Un bloc anarchiste syndicaliste révolutionnaire ou un bloc « communistes syndicalistes révolutionnaires » ? C’est de cette manière que dans une lettre à Monatte, Trotsky posait nettement la question en ajoutant : « invoquer la Charte d’Amiens ce n’est pas résoudre, c’est éluder la question. La Charte a été pour le mouvement prolétarien de classe un document très précieux, mais la valeur de ce document est historiquement limitée. Depuis, il y a eu la guerre, la Russie des Soviets ; de nouvelles questions immenses se sont posées devant nous... la Charte d’Amiens n’y contient pas de réponse ». De tous ses vœux, Trotsky appelait à l’union des « communistes révolutionnaires » et des « syndicalistes révolutionnaires » en un seul parti, dont les membres agiraient de concert au sein du mouvement syndical26.
25En attendant, le congrès de l’ISR était confronté au difficile problème de la « liaison organique » entre parti et syndicats, qui en France était immédiatement traduite par « domination du parti sur le syndicalisme ». Le vrai problème était ailleurs : pouvait-on légitimement prétendre que la lutte économique et la lutte politique étaient totalement séparées ? Dans le contexte du recul de 1921, toute séparation complète entre parti et syndicat ne ferait-elle pas le jeu de la bourgeoisie ?
26C’est dans ces conditions que fut élaborée une résolution qui représentait la vision des bolcheviks : alors que ceux-ci étaient partisans d’une seule Internationale politique et syndicale, comme l’avaient signalé plusieurs de leurs textes, ils admettaient temporairement la création d’une Internationale politique et d’une Internationale des Syndicats rouges, à condition que des liens étroits – au niveau international mais aussi au niveau national – s’établissent entre les deux organisations et leurs diverses sections.
27Le texte voté27 annonçait la création d’une Internationale syndicale ; la nécessité de liens étroits, « organiques », entre celle-ci et l’IC ; enfin la nécessité dans chaque pays d’une « liaison réelle étroite entre le PC et les syndicats rouges ».
28Cette résolution dont certains passages abrupts s’expliquaient par l’irritation28, l’incessante volonté des « syndicalistes purs » de « dire le droit »29, votée par deux cent-quatre-vingt-huit voix contre vingt-cinq, était contresignée par trois Français : Rosmer bien entendu, mais aussi deux des délégués des CSR, Tommasi et Godonnèche. Tous les autres délégués français avaient été contre30.
29Reçue à Paris le 15 – dix jours avant les assises de Lille –, la résolution y fit l’effet d’une bombe : à la veille d’un congrès difficile, elle semblait confirmer l’idée développée depuis un an par les majoritaires que tout accord avec les Bolcheviks impliquait la subordination des syndicats au Parti Communiste. Le jour même, une résolution rédigée à la hâte affirmait :
- que Godonnèche et Tommasi avaient outrepassé leur mandat,
- que cette résolution violait l’autonomie syndicale chère au mouvement ouvrier français,
- qu’une ISR fondée sur une telle conception serait incapable de rallier les diverses centrales syndicalistes révolutionnaires.
30Ce texte affirmait donc que ni nationalement, ni internationalement, le syndicalisme français n’acceptait « de lien organique et technique » entre les groupements politiques et syndicaux.
31Cette résolution recueillit aussitôt les noms de tous les militants syndicalistes révolutionnaires français en vue : Monmousseau, Semard, Monatte, Vadécard y côtoyaient les éléments anarchistes et les syndicalistes « purs ». Par ailleurs le Parti Communiste français crut nécessaire de réaffirmer qu’il n’avait nullement l’intention de dominer le mouvement syndical et qu’il respectait pleinement l’autonomie du syndicalisme français31.
32À quelques jours de l’ouverture du congrès de Lille, les failles réapparues dans la majorité étaient ainsi hâtivement colmatées, mais par le ralliement des syndicalistes révolutionnaires aux éléments anarchisants32. Le congrès minoritaire tenu les 23 et 24 juillet fut tout entier dominé par ceux-ci (alors qu’il réunissait plus de 850 délégués, pour la plupart peu favorables aux « purs »), qui, d’entrée de jeu, avaient affirmé que l’opposition révolutionnaire pouvait se briser33. À la veille d’un congrès confédéral – et d’une telle importance – tout était préférable à une telle cassure34. De sorte que l’unité qui fut réalisée au congrès minoritaire le fut sur des positions « anarchisantes » qui ne traduisaient absolument pas le rapport des forces en présence. Mais c’est à juste titre que Le Libertaire décrivait dans une énorme manchette surmontant son numéro du 29 juillet : « Le fédéralisme triomphe ». Seul délégué de Moscou rentré avant le congrès, Tommasi dut immédiatement remettre sa démission de Secrétaire de l’Union des Syndicats de la Seine.
33Peut-être est-ce cette victoire qui rendit les éléments libertaires et scissionnistes si sûrs d’eux. La polémique d’avant congrès, renaissante dans chaque assemblée d’UD et de fédération, avait crispé les positions et fait naître une tension à peine tolérable. Par ailleurs, les majoritaires avaient recruté, pour assurer « l’ordre » et la liberté de parole au congrès, une solide troupe d’inscrits maritimes, particulièrement hostiles aux minoritaires et au coup de poing facile.
34Dès le début du congrès, la question des syndicats exclus absorba les congressistes : les admettre sans discussion, c’était du même coup reconnaître le caractère arbitraire de leurs exclusions. Mais étant donné l’impopularité de celles-ci, il n’était pas évident qu’un vote sur cette question ne donnerait pas l’avantage aux minoritaires dès l’ouverture du congrès.
35À la première séance, le matin, les thèses se heurtèrent. Au début de la séance de l’après-midi, Dumoulin monta à la tribune pour refuser tout vote sur ce point. Monmousseau demanda à intervenir et se rapprocha de la tribune : les inscrits maritimes qui veillaient au grain crurent-ils comme ils le prétendirent que Monmousseau allait prendre d’assaut la tribune ? Celui-ci fut arrêté net et sans douceur. Une violente bousculade s’engagea quand Lecoin, qui depuis plusieurs jours annonçait, selon Monatte, sa volonté d’en découdre, tira plusieurs coups de feu. En l’air ou vers la tribune ? La bagarre devint générale35.
36Le congrès ne reprit que le lendemain dans une atmosphère à peu près irrespirable36 ; il fallut près d’une journée pour dépouiller et annoncer les résultats du premier vote sur le rapport moral ; celui-ci ne recueillit que 208 voix de majorité ; 1 556 contre 1 34837 ; les majoritaires avaient certes gagné 69 voix depuis Orléans ; mais les minoritaires qui avaient réuni 658 voix à Orléans en groupaient cette fois-ci 1 348 ; ils avaient progressé de 690 voix38. Le décompte par fédérations était plus éloquent encore : dans une fédération des cheminots désormais coupée en deux et coiffée de deux bureaux, un bureau Montagne et un bureau Semard, ils l’emportaient de plus de 100 voix ; dans la fédération des métaux, fief de Merrheim qui avait été difficilement réélu une semaine auparavant, ils récoltaient 23 voix de plus que les majoritaires ; dans le bâtiment, l’écart était devenu considérable : 188 voix aux minoritaires contre 96 aux majoritaires. Des grandes fédérations, les majoritaires ne dirigeaient plus que la fédération postale, le Livre, le textile (à 5 voix)39. De sorte qu’après les débats sur le rapport moral qui reprirent des thèmes mille fois ressassés, la discussion sur l’orientation ne se termina par une victoire majoritaire qu’au prix de deux habiletés subalternes : le rejet d’une motion Monmousseau « contre les exclusions » qui ne fut pas mise aux voix car déposée après clôture des débats et un libellé très prudent de la motion confédérale, qui réaffirmait certes la nécessité de la discipline (« les minoritaires ont pour obligation stricte de s’incliner devant les décisions prises »), mais ne faisait plus aucune référence aux résolutions votées par les CCN de novembre et de février. Il semblait donc y avoir sur ce point fondamental, recul majoritaire40.
37En fait, ce n’était que recul tactique ; dès la fin du congrès les adversaires précisèrent leur interprétation de la motion majoritaire votée : les minoritaires déclaraient accepter la discipline dans l’action préconisée par cette motion ; mais en contrepartie, avant l’action, le droit de critique devait être garanti. Par ailleurs le congrès en admettant la participation aux débats des syndicats exclus pour délit d’appartenance aux CSR avait clairement admis que cette appartenance n’était pas un délit. Quant aux majoritaires41, la motion sur la discipline impliquait selon eux la dissolution des CSR dont l’existence même était signe d’indiscipline syndicale ; toute adhésion aux CSR, entraînait donc automatiquement l’exclusion42.
38C’est une motion d’orientation ainsi précisée que ratifia le CCN des 19-20 et 21 septembre par 63 voix (36 UD et 27 Fédérations) contre 56 (44 UD et 12 Fédérations) et 25 abstentions :
39« Le CCN rappelle
- Que la réunion au lendemain des assises confédérales d’un congrès de la minorité ayant pour but de renforcer l’organisation des CSR sur des bases corporatives départementales et nationales, constituant ainsi avec des éléments confédérés une CGT contre la CGT est une démonstration d’opposition irréductible à l’application des décisions prises » ... en conséquence il précise :
- Les organisations qui refusent de s’incliner devant les décisions prises et de coopérer à leur application se mettent délibérément en dehors de l’unité ouvrière. Ces organisations mettent la CGT dans l’obligation d’admettre dans son sein leurs minorités qui acceptent les décisions des congrès confédéraux43.
40Un second vote réclamé par Mayoux sur la « légalité » de l’UD dissidente constituée dans les Bouches-du-Rhône par les majoritaires sembla plonger le Bureau confédéral dans l’embarras : la cause étant assez difficilement plaidable les majoritaires préconisèrent « le renvoi pour étude » de la motion et obtinrent ce renvoi par 63 voix contre 58.
41Un troisième vote, tendant à l’approbation des conclusions d’une commission d’enquête sur la situation chez les cheminots (conclusions très claires : était seule reconnue la fédération Montagne), fit tomber à quatre, puis à trois (62 voix contre 59) la majorité confédérale.
42Après le refus, grâce à l’intervention de Dumoulin de toute représentation des minoritaires à la CA confédérale, celle-ci -composée des seuls majoritaires – fut assez péniblement élue.
43Désormais, tous les processus d’exclusion étaient en place. L’unité avait d’autant moins de chance de survivre qu’à la hâte dont faisait désormais preuve la majorité, répondaient du côté révolutionnaire d’incontestables velléités scissionnistes ; à l’énigmatique Frossard qui, au lendemain même du congrès de Lille faisait son deuil de l’unité (« je ne crois plus guère à l’unité syndicale ») répondait un mois plus tard Quinton, nouveau secrétaire des CSR (« la scission est pour le 19 septembre prochain »).
44Après le CCN, La Vie Ouvrière titrait le 23 septembre : « Scissionnistes ? La classe ouvrière vous brisera ! »44. Mais dès le 30, les trois secrétaires du comité central des CSR, Quinton, Besnard et Fargue enregistraient calmement « le vote du CCN qui porte en lui-même, sans contestation possible, la scission de la base au faîte de la CGT »45.
45Pour l’essentiel en effet, la scission était consommée.
Notes de bas de page
1 Discours de Paul Faure au congrès de Tours, le lundi 27 décembre, in A. Kriegel, Le congrès de Tours, op. cit., p. 89.
2 Ibid., p. 90.
3 In Rapport moral et financier pour le compte rendu du congrès de Lille.
4 D’ailleurs, puisque chaque syndicat disposait d’une seule voix, on pouvait parfaitement admettre que le nombre de syndicats augmentait alors que diminuaient les effectifs. C’est la conclusion à laquelle arrivait A. Kriegel constatant tout à la fois une augmentation du nombre des syndicats (+ 703) et la baisse des effectifs syndiqués (- 214 770), non cette fois-ci sur la base des timbres pris et payés, mais seulement des effectifs déclarés au congrès par chaque syndicat. Que le rapport financier conclue à une amélioration du nombre des timbres, donc des effectifs, parallèle à l’augmentation des syndicats, cela nous semble plutôt de nature à accréditer l’hypothèse d’un « gonflement artificiel » : l’augmentation du nombre de syndicats s’accompagnant d’une (légère) augmentation du nombre des syndiqués, rendait le bilan plus « crédible ».
5 Encore faut-il remarquer que le nombre des fédérations tenues par les minoritaires est encore réduit.
6 Cf. La motion majoritaire au CCN de février : « la création des CSR institue des organismes de division qui tarissent le recrutement, compromettent toute action d’ensemble ». Cf. le rapport moral pour le congrès de Lille, p. 17 : « L’affaiblissement du grand corps ouvrier en est aujourd’hui la douloureuse constatation qu’on peut faire et, on peut ajouter que la menace de dissolution gouvernementale n’est plus qu’une ironie en présence de l’efficace dissolution que les éléments dits « minoritaires » sont en train d’accomplir au sein même de la CGT ». Cf. également Monatte : « Nous vous le disons, nous, sur le terrain national, sur le terrain corporatif, vous n’avez pas fait la besogne que les syndiqués étaient en droit d’attendre de vous. Nationalement pour les deux grands problèmes de cette année : le chômage et la diminution des salaires, qu’a fait la CGT pour organiser la résistance de ses Syndicats, de ses fédérations, pour dresser la digue contre la diminution des salaires ? Rien ! » in compte-rendu […] du Congrès de Lille, p. 273-274.
7 Les majoritaires n’étaient de leur côté, pas restés dépourvus de toute organisation. Selon le rapport de police P/3007 du 4 juillet, un cercle d’études et d’action sociale avait été créé dès la fin du mois de janvier. Il ne s’agissait évidemment pas pour les majoritaires de se doter d’un appareil, celui de la CGT étant à leur disposition ; mais plutôt de diffuser des thèmes susceptibles de combattre efficacement la propagande minoritaire : « Le cercle dirigé par Guiraud des Industrie Électriques, et Battini, du gaz s’est donné comme but un rapide redressement des esprits, au moyen de réunions « entre amis » organisées salle de l’ancien restaurant Bonvallet […] Des réunions très suivies ont été organisées avec le concours de Dumoulin, Lenoir, Jouhaux, Merrheim […] », AN F7 13577.
8 Entre temps, une 2e UD, celle de la Moselle, donnait les 27 et 28 novembre une très large victoire aux révolutionnaires : leur motion présentée par Kirsch avait été adoptée par 16 429 voix contre 8 642.
9 Le 21 avril dans L’Humanité, Verdier écrivait : « Ils se sont emparés de la direction dès que la police m’eût retiré de la circulation ». Mais Monatte dont la dent était dure croyait plutôt à la fondamentale incapacité de Guillaume Verdier.
10 Ces victoires, faut-il vraiment les attribuer aux CSR ? Dans La VO du 11 février, un compte-rendu du comité central des CSR précisait qu’à cette date, moins d’un tiers des 200 syndicats participant aux assises minoritaires d’Orléans (soit environ 65) étaient affiliés aux CSR.
11 Les effectifs cheminots semblaient donc tombés cette fois-ci aux alentours de 110 000 adhérents, chiffre à utiliser avec précaution en raison des syndicats absents.
12 Cf. son attitude lors du CCN de février, in La Voix du Peuple, mars 1921, p. 155 : « Mais vous autres, membres de la majorité confédérale, puisque vous n’êtes pas liés par les ordres de Moscou, pourquoi ne l’imposez-vous pas, cette scission ? Faites-en sorte que la maison devienne intenable pour nous !! Mais faites-le donc ! ».
13 Cf. Le Libertaire du 18 février : J.S. Boudoux « Nous aurions préféré faire la scission à Orléans » : « Que d’argent fourni à nos adversaires pour nous combattre n’avons-nous pas versé à cette époque. Et puis, il faut le dire, la CGT vit actuellement grâce à nos activités et nos batailles. Il y a belle lurette qu’elle serait morte empoisonnée par le réformisme […] sur son cadavre, se dresserait une CGT fédéraliste-révolutionnaire pleine de promesses […] ».
14 Et non 1920 comme le suggère A. Kriegel, peut-être sur la foi d’une citation assez imprécise de Monatte dans Trois scissions syndicales, p. 152. Cf. A. Kriegel, Aux origines […], p. 748-749.
15 À en croire la plupart des rapports de police, il semble que la décision d’exclure les minoritaires ait été prise assez tôt. Cf. le rapport du 11 mai : « les dirigeants de la CGT sont maintenant décidés à se défendre vigoureusement et à mener une campagne active contre les extrémistes. Dumoulin et Merrheim notamment vont attaquer à leur tour. Comme la scission est devenue inévitable à la CGT, il devient nécessaire pour sauver la vie même du syndicalisme, de briser tous les chefs des CSR », AN F7 12893. Cf. également un rapport du 24 mai : « la campagne des minoritaires continue très ardente […] la situation des majoritaires est donc sérieusement compromise, mais nul ne pense qu’elle se traduira à l’époque du Congrès de Lille par une défaite complète. Le débat du congrès de Lille s’annonce comme l’un des plus importants qui ait eu lieu depuis la guerre […] il dépendra du scrutin qui le clôturera de fixer les positions respectives des fractions ennemies et de donner ou de retirer à la majorité l’autorité dont elle a besoin pour rompre la vie commune avec l’opposition », AN F 7 13577.
16 Au début du mois de mars, plusieurs syndicats d’employés de la Région parisienne étaient exclus par la Fédération des Employés, exclusions ratifiées à une large majorité lors du congrès de la Fédération.
17 Les deux lettres de Fimmen et Oudegeest à Jouhaux, du 6 août, la seconde du 8, qui toutes deux lui conseillent la scission, semblent destinées à vaincre ses dernières réticences (in annexe à D. Tintant, B. Georges, Léon Jouhaux, cinquante ans de syndicalisme, p. 524 à 530. Cf. en particulier la lettre de Fimmen : « Jusqu’ici tu as été, si tu me permets de te le dire, beaucoup trop honnête et sentimental. Ces messieurs de la minorité qui ne possèdent pas ces qualités ont abusé des tiennes. Ce qui est nécessaire de faire dans l’intérêt du mouvement syndical français et par conséquent aussi dans l’intérêt de notre Internationale, c’est d’avoir le courage de sévir énergiquement et sans pardon contre les individus qui déchirent le mouvement. Deux CGT, en effet, ce serait une malédiction, mais une malédiction beaucoup plus grande, c’est une CGT qui, à l’intérieur est déchirée et divisée, telle qu’elle l’a été avant et au congrès de Lille et restera encore après jusqu’à ce qu’ait eu lieu le grand nettoyage. À cet égard, je suis parfaitement d’accord avec Rivelli, Vignaud, Bidegaray ».
18 Charles Dulot, in Le Progrès de Lyon, 8 février 1921 : « Comment le syndicalisme va-t-il se tirer de cette longue crise organique ? Le Conseil national de la CGT que le BC a convoqué pour aujourd’hui lundi à Paris est certainement la dernière occasion qui se présente pour la CGT d’échapper au microbe qui la ronge, qui la mine […] »
19 Cf. Dumoulin, in compte-rendu du CCN, La Voix du Peuple, mars 1921, p. 142-170.
20 Cf. La Voix du Peuple, mars 1921, « rapport moral présenté au congrès de Lille » in compte-rendu, p. 21.
21 Texte dans L’Humanité du 19 avril 1921.
22 En réalité, cette mesure fut abandonnée un mois plus tard lors d’une réunion des « conseils syndicaux réformistes » de la Région parisienne, le 20 mai. Cf. rapport de police du 20 mai 1921, in APP, Ba/1686 : « Deux mois seulement nous séparent du Congrès de la CGT. Il n’est donc pas utile comme nous le pensions de suspendre le paiement des cotisations, car une telle suspension nous priverait du droit de représentation au congrès ».
23 In compte-rendu du CCN des 12 et 13 mai 1921, La Voix du Peuple, juin 1921, p. 341.
24 Que les majoritaires – et pas seulement eux – aient craint que les bolcheviks ne fassent d’amples concessions et qu’ainsi la scission leur échappe, c’est ce qui ressort clairement d’un curieux rapport de police P/2917 du 29 juin 1921 : « Certains des militants majoritaires redoutent que les amis de Trotski et de Lénine renoncent à leur intransigeance et à la dictature du prolétariat […] Si Moscou donnait des ordres pour ménager “l’autonomie du syndicalisme” en France, la lutte au congrès confédéral de Lille serait moins âpre : la scission ne serait plus, peut-être, inévitable. Dans l’intérêt même du mouvement syndical (et aussi dans un intérêt national), il serait préférable de voir les “bolchevistes” français qui suivent les directives de Moscou demeurer intransigeant », AN F7 13577.
25 Monatte, pressé de venir, n’avait pu le faire : sortant à peine de prison, il se trouvait, du fait de la préparation du congrès de Lille, surchargé de tâches.
26 Trotsky à Monatte, lettre du 13 juillet 1921, in « archives Monatte », publiée dans Léon Trotsky, Le mouvement communiste en France, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 113-115.
27 « Archives Monatte », op. cit., p. 190.
28 Rosmer le reconnaît explicitement dans Moscou sous Lénine, op. cit., p. 150.
29 Ainsi Kneller-Relenk : « tandis qu’il est nécessaire que l’activité politique internationale prenne en Russie Communiste ses fondements essentiels, il était indispensable que l’ISR prit en Occident Syndicaliste ses fondements non moins essentiels », in « Travaux du camarade Michel Relenk », p. 5.
30 Cependant lors d’une réunion privée tenue à Moscou le 13 Août 1921, tous les autres Français à l’exception de Relenk, exclu de la réunion pour affairisme, s’affirmèrent partisans de l’adhésion à l’ISR à condition que soit respectée l’autonomie du mouvement syndical français […] Une résolution votée au terme de cette réunion affirmait qu’il appartenait aux détachements politique et syndical de chaque pays d’établir les « formes de coordination » qu’ils jugeraient bonnes (texte in « Archives Monatte », compte-rendu de la réunion du 13 août 1921). Au contraire Relenk exclu de cette réunion se jugeait resté « seul fidèle à la pensée profonde du CC des CSR […] Des sortes de compromis furent tentés, des délégués français abandonnèrent leur mandat, les uns acceptèrent le point de vue politique impliquant la subordination syndicaliste sous le masque d’une liaison, les autres ont à la fin cédé devant le désir ardent de faire partie de l’ISR un peu de leur point de vue. Pour ma part, je me refusai à tout compromis ». Michel Relenk, idem p. 12 (texte daté du 2 octobre 1921).
31 Monatte l’avait fort clairement exigé (in La VO du 22 juillet : « Arrêt ? Non, simple halte »), qui voyait au conflit deux issues : « la première sera la proclamation par le parti communiste d’ici qu’il ne peut songer à une subordination du mouvement syndical ». Le même jour dans Le journal du Peuple, Frossard s’exécutait : « l’autonomie du mouvement syndical, son indépendance absolue à l’égard du parti politique sont reconnues et seront respectées dans l’avenir par nous comme dans le passé. Nous allons le redire dans un texte pour faire tomber les dernières équivoques ».
32 Selon un rapport de police du 18 juillet 1921, les décisions de Moscou et la protestation des CSR étaient doublement interprétées par les majoritaires. « Merrheim et d’autres s’attendaient à une autre décision du congrès de Moscou, une résolution laissant apparemment leur autonomie aux syndicats pour permettre aux CSR de poursuivre plus facilement leur action. Aussi on ne manque pas de se réjouir à l’idée de la “déconvenue” des CSR. D’autres majoritaires cependant ne voient pas les choses sous cet angle et la nouvelle position adoptée par les CSR leur parait susceptible de créer pour le congrès de Lille une situation plus difficile que jamais, car les réformistes ont basé toute leur tactique sur les “tentatives de subordination du syndicalisme”, tentatives qui ne peuvent plus être imputées à l’organisation même des CSR », APP D Ba/1686.
33 Cf. rapport de police du 24 juillet : « les anarchistes français sont de plus en plus hostiles aux extrémistes russes », AN F7 13582.
34 Cf. le rapport de police du 25 juillet : « le congrès des minoritaires s’est réuni encore hier. Trois séances ont été nécessaires pour réaliser l’accord entre la droite constituée par les communistes et la gauche constituée par les libertaires. Une commission de sept membres (Monatte, Monmousseau, Fourcade, Labrousse, Landrin, Colomer et Lecoin) fit approuver la nécessité de l’union entre révolutionnaires de toutes tendances, sans aucune subordination de l’action syndicale à l’action politique […] Tommasi a rendu compte de sa mission en Russie. Il a vivement été pris à partie par l’anarchiste Lecoin », AN F 7 15582.
35 Sur la genèse de la bataille de Lille existent de nombreux rapports de police contradictoires. En voici un qui conclut à la responsabilité principale des minoritaires : rapport P/3313 du 26 juillet : « Dumoulin est à la tribune. À ce moment on vient prévenir les Inscrits Maritimes qui sont près de celle-ci que les minoritaires extrémistes ont l’intention de s’emparer de celle-ci par la force. En effet, Monmousseau se dirige vers la tribune et crie à ses amis qu’on veut l’empêcher de parler. Il est suivi de Lecoin, Broutchoux, Lauridan […] tous se heurtent au bataillon des Inscrits Maritimes. Lecoin tire deux coups de révolver sur Dumoulin qui regarde froidement le tumulte. C’est le signal de la bataille. Durant trois-quarts d’heure, les inscrits frappent très violemment les extrémistes qui veulent escalader la tribune […], Rivelli saute sur les tables et donne l’exemple, les chaises volent partout […] des coups de revolver du côté des majoritaires ont répondu à ceux de Lecoin. Les Inscrits ont fait du beau travail. Ils n’attendaient que la provocation de Monmousseau ». Deux autres rapports présentent une tout autre version. Le rapport P/3355 du 28 juillet 1921 : « on est en mesure de fournir certains renseignements très sérieux sur les bagarres du 25 juillet : on sait maintenant que 60 matraques et 45 revolvers avaient été distribués à un certain nombre d’inscrits maritimes de chaque port. C’est ainsi que les secrétaires des syndicats d’Inscrits de Marseille, Dunkerque, Bordeaux, La Rochelle […] notamment avaient désigné des délégations de 5 à 6 marins “costauds” qui furent munis de matraques et de revolvers ». Mais l’hypothèse d’une provocation délibérée ne saurait être écartée : en effet, un rapport « très confidentiel » (donc 5 jours avant l’ouverture du congrès !) faisait état de « décisions secrètes suivantes » prises par le bureau confédéral : « Le BC a chargé la Fédération des Syndicats Maritimes d’exercer la police au Congrès de Lille. On sait que la Fédération […] comprend des hommes frustes, très violents mais très disciplinés et profondément attachés à la CGT. Tous les secrétaires des grands ports ont été invités par voie de circulaire secrète par la Fédération des Inscrits à désigner chacun en ce qui le concerne une dizaine de délégués […] À Bordeaux, d’accord avec l’armement et les compagnies de navigation, un congé de six jours vient d’être accordé à une douzaine d’inscrits. Tous les délégués marins qui assistent au congrès sont munis de sortes de nerfs de bœufs mais quelques-uns particulièrement ardents […] ont un ou plusieurs revolvers ». Enfin le rapport ajoute : « la liberté de parole sera assurée par tous les moyens aux majoritaires. Les extrémistes taxés de fainéants et de poltrons seront expulsés violemment au premier signal qui sera donné par les quatre ou cinq hommes de confiance disséminés dans la salle » (souligné par nous, J.C.), AN F7 13532.
36 Une commission d’enquête avait été aussitôt nommée. Mais sur l’opportunité de ses conclusions, les avis majoritaires et minoritaires semblaient nettement diverger. Selon le rapport P/3351 du 26 juillet, les minoritaires voulaient faire traîner les débats en longueur pour permettre au congrès de statuer d’abord sur les commissions de l’enquête. Selon le rapport de police P/3352 du 27 juillet, les majoritaires semblaient avoir toutes raisons de redouter les résultats de l’enquête.
37 Rapport P/3353 du 28 juillet annonçant les résultats : « si donc le congrès n’avait pas été avancé, la propagande extrémiste aurait pu renverser la majorité actuelle ».
38 Rapport P/3353 du 23 juillet : sur une “réunion de 206 extrémistes”, le 27. Labrousse : « les chiffres qui seront donnés demain sur le vote du rapport moral sont encourageants, mais étant donné le nombre de syndicats présents à Lille (2507), il est nécessaire d’exiger la communication du répertoire confédéral dressé par Calveyrach. Il y a certainement des syndicats majoritaires fictifs ». AN F7 13582. Cf. également rapport P/3374 du 29 juillet 1921 (20 h) : « les majoritaires paraissent surpris par les progrès de leurs adversaires. Et comme ils ont fait preuve d’une confiance excessive puisqu’ils escomptaient une majorité de 300 à 400 voix, ils déclarent aujourd’hui que les “manœuvres” des extrémistes auraient pu rallier plus de 1 343 syndicats en grande partie squelettiques […] » Mais sur l’orientation, les majoritaires sont plus confiants : « de nombreux délégués hésiteront à voter le retrait d’Amsterdam […] Lecoin a heurté les sentiments des hésitants ».
39 Il semble dès lors que la volonté d’en finir rapidement l’ait emporté : Cf. le rapport P/3355 du 28 juillet : « on se trouve donc en présence d’une très forte minorité ; il ne reste plus aux majoritaires qu’à préparer un texte sur l’orientation décidant que tous ceux qui n’allèrent pas à Amsterdam se mettent par cela même en dehors de la CGT. Il faut obliger les minoritaires à refuser ce vote et à s’exclure d’eux-mêmes ».
40 Que sous des dehors relativement inoffensifs, la motion Dumoulin implique la scission, les majoritaires le savaient mieux que personne et le signifièrent clairement à la veille du CCN de septembre. Ce n’est sans doute pas à la suite d’une maladresse que Rey écrivit le 18 dans L’information ouvrière et sociale : « son esprit sinon son texte de la motion fut longuement discuté entre nous les jours qui précédèrent. Nous savions bien ce que nous proposions et nous avions prévu les conséquences […] Et l’application de la résolution de Lille par la majorité, c’est la scission. Telle est toute la réalité ! ». Il s’agissait si peu d’une maladresse que le même jour, dans un éditorial du Peuple, le même Rey disait en termes moins brutaux exactement la même chose.
41 Selon le rapport de police P/3365, les majoritaires avaient réglé les détails de la scission dès la mi-août., AN F7 13577.
42 Au mois d’août également les majoritaires de Marseille tirèrent les conclusions logiques de la décision de Lille : ils se retirèrent de l’UD dirigée par Mayoux et constituèrent le 23 une autre UD qui se proclamait fidèle à la direction confédérale et respectueuse des décisions votées.
43 Cf. compte-rendu des réunions du CCN, p. 146-147.
44 Monatte fait état de six trahisons : trois délégués de fédérations-marine, fédération postale, céramique – et de trois délégués d’UD – Sarthe, Pyrénées orientales, Tunisie – avaient votés à l’encontre des mandats reçus.
45 La V.O., 30 septembre 1921.
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