Variations perecquiennes1
p. 461-492
Texte intégral
1"Variations" pourrait sous-titrer bien des textes de Georges Perec2. Mon champ d'investigation est ici celui de l'intertexte restreint ou intratextualité. Tels éléments de trois récits de Perec me permettront d'appréhender un certain régime de l'intratextualité, à la fois partie prenante et vecteur d'une intertextualité générale, qui constitue les fondations de l'immeuble-roman, de l'immeuble-tableau de La Vie mode d'emploi (en abrégé : vme), minutieusement programmée dans sa dissimulation et sa révélation partielle et partout circulante. Les trois récits (uhqd, vme, uca)3 supposés connus d'un lecteur amateur, l'intratextualité dont je fais mon objet ne relève pas d'une compétence ésotérique et peut être envisagée parmi les effets de lecture probables.
2L'intertextualité oriente vers une lecture suspicieuse et une écoute stéréophonique. Le texte apparaît comme un univers intégrateur et désintégré de l'intérieur par tous les textes qui l'habitent et le constituent, pris dans une mouvance. La variation, dont le modèle est à construire, est ce qui en rend le mieux compte pour moi à présent. Elle correspond à une généralisation possible de l'exploration infra-intertextuelle4. De la recherche centrée sur l'intertextualité à une hypothèse sur le dynamisme de la lecture et de l'écriture et les stratégies perecquiennes essentielles, la question de la variation correspond dans mon parcours personnel à une quête de la formule5.
3La variation désigne aussi bien un procès qu'un résultat6. Le changement de valeur, de quantité, de grandeur, de forme de la variation, suppose que le lien demeure perceptible entre l'élément sur lequel va s'exercer la variation et l'élément (le même ?) une fois affecté par la variation. La variation allie transformation et reconnaissance. Elle a partie liée avec la trace et la durée. Parmi les sens spécialisés de variation, je retiendrai encore deux aspects. L'aspect génératif est illustré par l'acception musicale (modification d'un thème par différents procédés, modaux, rythmiques, mélodiques) qui suggère une utilisation continuée. Le dictionnaire de Furetière pointe l'aspect falsificateur en précisant que "la variation dans un interrogatoire le fait soupçonner de fausseté".
4La variation exige la durée comme le devenir narratif soumis à la tension entre transformation et conservation, maintenant l'équilibre entre un principe de cohésion et un principe de progression7. Tout récit est une série de variations puisqu'il s'élabore sur des pilotis anaphoriques, des reprises littérales ou paraphrastiques, que ce soit dans la dénomination des personnages ou dans l'évocation des événements.
5La variation est aussi en relation avec la régulation dans un univers textuel qui exalte plus que tout autre la contrainte oulipiennement comprise et qui compte parmi ses parrains8 l'auteur d'Exercices de style et de Cent mille milliards de poèmes.
6Un croisement de la variation et du tableau comme dispositif de la ruse et comme possibilité d'éclairage paraît fécond, sans que je l'aie encore assez clairement formulé. C’est uca qui met sur la voie en proposant une "fable de la mimesis et du trompe-l’œil"9. Bref récit à allure de catalogue d'exposition, il prolonge vme, en narrant et en effectuant une mystification aux faux tableaux, et se nourrit de sa matière textuelle. La composition centrale qui l'intitule (le cabinet d'amateur du collectionneur représenté contemplant les toiles de sa collection y compris celle-là) se caractérise par une mise en abyme répétée qui comporte des différences de chaque copie par rapport à "l'original" précédent. Le récit est doublement métatextuel10, commentant d'abondance les variations minuscules, la caution d'authenticité oblique de la copie, l'emprunt intertextuel et comportant des renvois métaphoriques aux opérations d'écriture11. Cette lucarne à malices d’uca constitue un emblème et un guide. Le tableau, la gravure, l’image sont aires privilégiées d'observation et de passage de la variation. Au niveau de la diégèse, dans vme et uca, les peintres sont personnages ou narrateurs, la peinture fournit prétexte et matière à récits, et des avatars de la duperie et du faux. De différentes manières dont le trompe-l’œil est caractéristique, le tableau est un piège, une figure du piège, une issue au piège ; il vaut invitation à parcourir le texte comme une toile, à l'explorer comme une surface, à considérer conjointement la surface du visible et l'espace du lisible. Il confronte la désir de voir à ses limites.
7La variation atteste le mouvement et constitue un repère de ce qui passe, de ce qui bouge ; elle est susceptible de menacer le regard du lecteur aussi bien que de la solliciter, de le fasciner, de le tromper. Interroger la variation c'est interroger la répétition altérée, à la fois reprise et transformation ; c'est se mettre à l'écoute d'une pulsion de la différence, d'une pulsation du texte qui se communiquerait au lecteur ; c'est aspirer à une théorie de l'espacement, du déplacement12.
8Avant d'évoquer la mise en mots des tableaux et son rapport avec la variation, j'aborderai de manière très inégale quatre types de variations en faisant du chapitre lii de vme un point de départ et un foyer d’observation.
Variations crypto-scripturales
9Toutes les contraintes de l'écriture oulipienne de Perec13 ne relèvent pas de la variation, à moins de rabattre abusivement celle-ci sur la variété d'une part, sur l'éviction de l'aléa d'autre part. Certes le déploiement des reformulations et le goût de l'épuisement est familier à des œuvres anté- ou para-oulipiennes, et de l'écriture contrainte par abstention (lipogramme, beaux présents par exemple) procède une profusion qui engendre les métaboles.
10Mais ce qui est essentiellement de l'ordre de la variation, c'est le principe mathématico-poétique des permutations, le réglage de l'apparition et de la distribution des éléments par combinatoire : le bi-carré latin orthogonal d'ordre 10, la pseudo-quenine d'ordre 10, dans vme pour déterminer les éléments "obligés" des chapitres et leurs combinaisons, l'ordre de succession de ceux-ci, les algorithmes à l’origine de la progression verbale dans les pièces de théâtre, les hétérogrammes qui réagencent les mêmes séries de lettres. Ces contraintes ont été excellemment et savamment décrites14 : je ne me risquerai pas à rappeler ici le détail de leur fonctionnement.
11Qui dit contraintes, dit bientôt clinamen. On connaît ce terme emprunté à Démocrite et cette théorie oulipienne de la dérive salutaire que le démiurge-écrivain introduit à des fins esthétiques et stratégiques dans sa création rigoureuse pour éviter symétries ennuyeuses et évidences trop vite découvertes. Il demeure en tout état de cause maître du jeu qu'il préfère "tour de piser"15. Si le clinamen fait échapper à un mécanisme trop clos sur lui-même, c'est de manière toujours consciente et dirigée et il ne constitue pas une concession au hasard ou à la fantaisie pure.
12Or la variation conviendrait aussi bien pour décrire la mise en place de la contrainte comme réglage des textes, que la dérive voulue du clinamen, mais c'est peut-être là abuser de sa souplesse sémantique et céder à l'à-peu-près plus recommandable pour les bons mots que pour les analyses critiques ! Cependant c’est bien ce terme qu’emploient les auteurs de la présentation du Cahier des charges16. La variation du côté du mode d'emploi, comme du côté de la vie ?
13Qu’il s'agisse du clinamen proprement dit (le célèbre chapitre manquant correspondant au coin inférieur gauche de l’immeuble-échiquier) ou de l’introduction d’une règle supplémentaire pour éviter la monotonie et donc l’excès de régularité (par exemple la pseudo-quenine d’ordre 10 pour répartir les éléments des listes dans les chapitres de vme, ou les poèmes d'Alphabets comportant des contraintes non déclarées en sus), on est en présence d’impératifs très proches et on peut s’interroger sur leurs frontières. La nécessité paradoxale d’une écriture de la nécessité de s’échapper à elle-même s'enroule en spirale. Ainsi de la paire de listes "Manque" et "Faux" présidant à la composition de chacun des chapitres de vme qui ne déterminent pas des éléments (comme le nombre de personnages, leurs activités ou leur lectures), mais un décalage programmé, une maille sautée, un pas de côté.
14Ces variations cachées et si essentiellement liées à la dynamique de l'écriture produisent du texte17, mais pas forcément des variations visibles, ces variations de surface auxquelles je vais m'attacher ; ces dernières peuvent être considérées comme autant de figures des mécanismes générateurs. On pourrait imaginer un foyer de variations, un dispositif unique qui s'originerait dans cette fabrique du texte, et qui, solidaire des différents systèmes de contraintes, susciterait toutes les autres variations des textes. Elle dessinerait l'ensemble dans lequel prendraient place et force les contraintes particulières. En même temps elle constituerait une sorte d'infra-contrainte qui ne serait pas définie autrement que comme programme esthétique, exigence d'une prévisibilité à surprises.
Variations narratives et (intra)textuelles
15La variation, intertextuelle notamment, se situe dans le droit fil de l'injonction du roman posthume de Perec "53 jours". "Il faut lire les différences, il faut lire entre les livres" et fonde plus généralement une condition de possibilité de la lecture et d'émergence des sens. Les relations variation-intertextualité se nouent plus étroitement autour de deux axes :
- l'identité déstabilisée, ce qui paraît se répéter et ne se répète pas ; les mises en abyme des tableaux dans Un cabinet d'amateur illustrent cet aspect ;
- l'attribution faussée ou falsifiée qu'elle soit relative aux auteurs des tableaux, des textes, ou à différents états de ces textes ; l'attribution donne l'illusion que tel ou tel élément appartient à telle couche, provient de telle origine, alors qu'en fait il vient d'ailleurs et se révèle être justement une reprise à variation : les implicitations de vme telles que les découvre le Post-Scriptum marquent une apothéose.
Grégoire qui dort
16Le chapitre LII de la vme (1978) constitue chronologiquement un relais entre uhqd (1967) et uca (1979). Une formulation narrative économique est fournie par le no 64 du compendium – qui se trouve au centre du "romans" vme pour récapituler les histoires déjà développées aussi bien que celles qui viendront après ce chapitre LI : "Le jeune étudiant qui resta six mois dans sa chambre" (p. 294). L'énoncé renvoie, en vertu d'une compétence intratextuelle assez immédiate, à la fois au chapitre LII de vme et à la diégèse d'uhqd par la désignation de leur principal protagoniste.
17La reprise d'uhqd consiste en l'insertion d'un récit singulier dans un roman pluriel où il entre en relation de voisinage et d'écho avec d'autres situations, d'autres personnages. Ainsi, le personnage est spatialement situé à son étage et ses relations de voisinage sont importantes puisque par exemple, une fois licencié de la bibliothèque de l'Opéra, il va vendre les calamiteux shampooings pour moquettes et cheveux de Morellet. On verra tout à l'heure que son autre voisin18, Troyan, n'est pas étranger à certain écho ultérieur d'uhqd. Ce personnage entre en relation avec d'autres éléments, en particulier la thématique de l'Opéra et se greffant sur cette dernière, une allusion programmée à ld19, l'épisode du baryton qui meurt dans son carcan de plâtre alors qu'il chante un mi fatal (E dans la convention de notation germanique) au mai musical d'Urbino20.
18L'opéra, un des genres musicaux prescrit par le Cahier des charges21, est évidemment présent ailleurs dans vme avec le personnage de Véra de Beaumont notamment. On pense également à la cantatrice de W ou le souvenir d'enfance et à son fils Gaspard Winckler atteint d'un mal mystérieux (autisme comparable à la crise traversée dans uhqd ?). uhqd avec greffe d'opéra est (re)pris dans une réactivation, une circulation de nouvelles données sémantiques dans les rapports des œuvres.
19On peut décrire la reprise d'uhqd dans vme comme une série de transposition hypertextuelles22 assorties de citations :
- opération de réduction : d'un récit entier d’une centaine de pages à un chapitre de quelques pages ;
- changement de focalisation (on passe d'une focalisation interne à une focalisation mixte zéro/externe selon les cas ; le narrateur porte des jugements, caractérise, étiquette en quelque sorte en termes de pathologie du comportement les malheurs de G. Simpson dont il connaît les épisodes de la vie, mais n'en pénètre pas les causes) ;
- changement de voix et de personne narrative (au "tu" qui est le garant de l'intériorité dans le récit intimiste d’uhqd se substitue un "il" hétérodiégétique) ;
- transposition affectant le temps de la narration : simultanéité pour la plupart des cas dans uhqd ; ultériorité dans le récit rétrospectif de vme ;
- transpositions diégétiques affectant
- le rendu de la temporalité événementielle ; on passe d'un itinéraire sans durée (sans répartition en phases comme par exemple sortir/rester chez soi, sans repérage chronologique) à un cadre précis : le fait d'ignorer combien dure exactement l'action ou la non-action dans uhqd correspond à la crise du personnage vécue de l'intérieur, alors que dans VME, l'évolution de Grégoire Simpson est rapportée à une durée objectivable de six mois ;
- le dénouement ; la fin d'uhqd est ouverte mais plus euphorique que dysphorique tandis que dans VME la fin est incertaine mais l'hypothèse avancée est celle d'un suicide du personnage ;
- la désignation du protagoniste passe de l'anonymat (uhqd) à une identité onomastique chargée intertextuellement dans VME : Grégoire Simpson évoque notamment par le signifiant de son nom le Grégoire Samsa de La Métamorphose, et souligne ainsi l'inspiration kafkaïenne de uhqd ;
- articulation des transpositions affectant le diégétique et des transformations de l'écriture romanesque : allant de pair avec l'extériorité descriptive de vme, des motivations psychologiques apparaissent même si le mystère est maintenu ;
- suppression dans vme de la thématique du sommeil23, si importante dans uhqd comme l’indique par exemple le titre, emprunté à une phrase proustienne tout au début de Du côté de chez Swann24 ;
- présence massive de citations légèrement modifiées d'uhqd, traité à cet égard comme les autres intra-et intertextes de vme25 ; les citations ne suivent pas l'ordre d'apparition originel26.
Autour du 52
20Le chapitre lii de vme fait l'objet d'une reprise partielle assortie de transformations dans uca sous les espèces tout d'abord d'une lettre d'expert (il recommande à Hermann Raffke, l'achat d’un tableau portant le no 52 dans une vente, représentant un incendie, intitulé "Le sac de Troie", p. 52-53), puis d'une mention de vente de ce même tableau (seconde vente Raffke, acquéreur le "Smithsonian Athenaeum de Schenectady", p. 84).
21Cette reprise peut à nouveau être décrite en termes de transposition et de bifurcation diégétique et sémantique : on retrouve essentiellement du chapitre LII, outre l'indice du numéro 52 affecté au "sac de Troie", ce qui concerne l'Opéra. L'élection de ces seuls éléments diégétiques de vme permettrait ainsi la métamorphose d’une matière narrative en fiction picturale, en décor d'opéra27.
22Mais si on s'attache d'un peu près aux textes, il faut dépasser l'hypothèse selon laquelle le travail intratextuel serait une marquetterie de puzzles où les pièces resteraient elles-mêmes, rabotées et limées avec simplement une autre disposition et une autre hiérarchisation. Il y a autre chose qu'une juxtaposition et qu'une récupération fondée sur le relais chronologique d’une transmission linéaire uhqd -> vme -> uca. Ce que la variation intratextuelle promeut ici, c'est plutôt une recomposition de tout le paysage de l'écriture y compris des textes antérieurs.
23Livrons-nous au jeu de pistes d’une lecture intratextuelle stéréophonique qui permettra peut-être d'accéder à une cohérence nouvelle. Le tableau no 52 du catalogue d'uca propose des indices métatextuels à valeur généralisable, pour peu qu'on souscrive au confort d’une recomposition interprétative a posteriori... Ainsi il s'agit d'une "huile sur papier marouflé" (uca, p. 52-53), terme technique28 qui rappelle ce que fait Winckler quand il colle sur un autre support, pour en faire des puzzles, les aquarelles de Bartlebooth et, évidemment, ce que fait le scripteur quand il insère des emprunts. "Le sac de Troie" renvoie peut-être à un pillage intertextuel, à cause du signifié de "sac" et à cause de la connotation narrative attachée au signifiant Troi/y car dans vme, Troyan, voisin de Simpson, est un libraire d'occasion dans l'appartement duquel on fait beaucoup de découvertes (chapitre XLV). Le no 52 du catalogue ne renvoie donc pas qu'au chapitre lii.
24Une autre série d'avatars du nom propre importe : le protagoniste d'uhqd est anonyme, on l'a dit ; le nom de Grégoire Simpson qui lui échoit dans VME ne disparaît pas complètement d'uca grâce à la métathèse "Smithsonnian (Athenaeum)" ; l'indicateur d'intertextualité kafkaïenne, perdu en tant que tel, a fait office de relais.
25La relation paronomastique Simpson/Samsa et le prénom de Grégoire dans VME confirment qu'uhqd est traversé par Kafka mais en opérant un déplacement : certes, l'idée d'enfermement et de réveil difficile sont présents le jour où le protagoniste d'uhqd ne se lève pas et ne va pas passer son examen, mais ce n'est pas exclusivement La Métamorphose qui y est mise à contribution. On peut considérer dans une certaine mesure uhqd comme une sorte de glose de l'épigraphe tirée du journal de Kafka :
Il n'est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N'écoute même pas, attends seulement. N'attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s'offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi.
26La volonté de puissance et ses leurres donnent un caractère programmatique à l'épigraphe, thématiquement ; mais formellement aussi, le "tu" de l'épigraphe semble induire la personne de la voix narrative. On remarque également à la fin d'uhqd (p. 173), parmi toute une série de destinées littéraires que le protagoniste n'a pas connues, la diégèse du Procès. Le nom de Simpson porte un éclairage oblique, rappelle la présence de l'intertextualité kafkaïenne en la décalant et la remotivant. Il s'opère une condensation "d’intertextèmes"29 à valeur auto-indicielle.
27Cantonner la postérité intratextuelle d'uhqd à vme est abusif. La relation est transversale à plusieurs textes. Le lien établi par vme entre ld et uhqd à travers le thème de l'opéra et du "faux marbre" de D. Giovanni dans lequel Karl Böhm fait entrer Douglas Haig Clifford n'est pas le seul. Le premier chapitre de ld évoquant les insomnies d’Anton Voyl s'intitule allusivement "Qui d’abord a l'air d’un roman jadis fait où il s’agissait d'un individu qui dormait tout son saoûl"30. On peut aussi considérer que la présence dans uhqd (p. 116), rappelée à la fin du chapitre lii, de la mention du portrait d'un homme de la Renaissance, relie uhqd à W ou le souvenir d'enfance (où Perec autobiographe indique son identification au "Condottiere" d'Antolleno de Messine), et relie aussi, via Antonello de Messine, uhqd à Espèces d'espaces31 et au roman de jeunesse Le Condottiere. Mais comme le héros du Condottiere, Gaspard Winckler (nom de personnage dans W et dans WME) est un peintre faussaire, le réseau établi télescope la chronologie puisque la relation avec le faux n'intervient que dans uca. C'est que la notion de chronologie ou d'association par insertion est inadéquate pour concevoir un espace d'écriture à possibles bifurquants, qui serait au fur et à mesure des textes, exploré avec certains miroirs intégrateurs. La reprise intratextuelle de uca, la valeur intertextuelle du nom de G. Simpson sont de tels miroirs.
Textes migrateurs et recompositions
28Il faut insister sur la migration, la redistribution associative de cette réécriture intratextuelle. Par exemple, on ne retrouve pas exclusivement uhqd dans le chapitre LII de vme, et on ne le retrouve pas que dans ce chapitre. Ainsi, on peut lire tel passage d'uhqd (p. 62) "cette glace fêlée qui n'a jamais réfléchi que ton visage morcelé en trois portions [...] pour ne plus retenir qu'une zébrure en forme de Y" comme une sorte d'annonce : la "zébrure en forme de Y" préfigure la présence de trois éclats d'uhqd dans vme. En effet, outre le chapitre LII, le chapitre VIII permet de découvrir que, dans l'appartement vide de Winckler subsiste un miroir qui porte une fêlure en Y et que la posture de Winckler dans les jardins Marigny (vme, p. 52) est la même que celle d'un personnage de vieillard que le protagoniste d'uhqd observe dans les jardins du Luxembourg (p. 77). Le troisième fragment réfractant-réfracté est un peu moins net, mais des éléments textuels précis ("le bois se pulvérise, les maisons s'abattent") associent le fantasme de destruction du monde et de soi à la fin d’uhqd, à la rêverie apocalyptique de Valène qui imagine l'anéantissement futur de l'immeuble (vme, p. 280-281).
29Les effets de mixage sont particulièrement nets dans uca où les reprises de vme, contrairement à l'impression suscitée par l’exemple du chapitre LII repris par un no 52 de catalogue, sont rarement "monotextuelles", mais résultent d'associations de différents éléments-sources32. Ainsi le plus long ensemble citationnel issu de vme, qui se déploie dans le paysage à manivelle de uca (p. 34-35), déroule des images de la vie des Winckler empruntées aux chapitres VIII (comme l'indique le no dans le catalogue de cette "curiosité") et LIII, y compris celle du "paysage énigmatique" colorié par Marguerite (vme, p. 309). Mais le prénom et un élément de la biographie de Gaspard Winckler (sa région natale) se retrouvent également, allusivement plus que citationnellement cette fois-ci, à propos de "Paysage de Picardie" de Gaspard Ten Broeck, "peintre plutôt obscure que l'on a souvent tendance à confondre avec... d’autres (uca, p. 84) !
30Un autre exemple de dispersion et redistribution apparaîtra si on s'attache au nom de Rigaud. Dans uca (p. 68-69) c'est un peintre auteur d'intérieur à la perruque, alors que dans VME, le chirurgien Rigaud de Dinteville invente un certain instrument qui coupe (couper, comme coller, évoque le travail intertextuel). Or le tableau de Rigaud (uca) est destiné à servir d'enseigne à un perruquier, c'est-à-dire un spécialiste des faux cheveux. Rigaud de Dinteville avec son descendant le docteur Dinteville en surimpression est à l'arrière-plan d'un autre tableau, Les Médecins de Jan Steen (uca, p. 87), "cette œuvre qui provient des anciennes collections de la princesse Palatine". En effet, Rigaud, l'ancêtre du docteur Dinteville dans vme y est le "chirurgien ordinaire de la Princesse Palatine". Et le docteur Dinteville, quand il mène ses recherches pour l'édition critique du traité urologique de ce même Rigaud, se rend dans différentes bibliothèques, notamment à Aarhus, Salamanque, Prague, Dresde ; or il est précisé dans uca qu'"on trouve des répliques des Médecins aux musées de Salamanque Aarhus, Prague". L'invention de l'objet chirurgical ("petit couteau mousse") de vme se retrouve sous les espèces d'un cornet acoustique dans uca "assez analogue à celui que Laënnec 'inventa'33 sous le nom de stéthoscope près d'un siècle et demi plus tard". Un autre ancêtre du docteur Dinteville, celui qui a participé à l'assassinat de Concini (vme, p. 77), est à l'origine d'un tableau intitulé L'assassinat de Concini et mentionné dans une note d'ucA (p. 46).
31Le principe de redistribution qui anime la machine narrative est aussi créateur de réseaux : uhqd est diffracté dans vme à la fois du côté de Winckler et du côté de Valène, ce qui apparente les personnages et multiplie les liens. De même la mention transparente, sur le mode du sommaire, de Barbtleby l’écrivain34 comme intertexte dans uhqd permet de faire la relation entre uhqd et Bartlebooth.
Variations énonciatives
32J'aborderai plus rapidement un troisième type de variations que je nommerai énonciatives. Elles ne sont pas intratextuelles, mais participent d'un principe d'instabilité caractéristique. Elles interviennent au niveau de l’acte de narration, de la position énonciative du narrateur, notamment du narrateur comme garant de la vérité interne au récit, comme indicateur des bornes de la fiction, comme celui qui aurait en charge la régie du réel représenté. Le narrateur de vme ou celui de uca sont clairement du côté de l'encyclopédie, détenteurs d'un savoir qu'ils manifestent ; ils semblent aussi du côté d'un narrataire-lecteur qu'ils guident ; or ce sont aussi des participants voire les agents principaux des mystifications, uca dans son ensemble et le chapitre XXII de vme qui relate l'escroquerie au Graal dont est victime un pharmacien neurasthénique collectionneur d'unica, James Sherwood, sont évidemment thématiquement apparentés, y compris dans leur dénouement à arroseur arrosé.
33Dans le chapitre XXII de vme la duplicité du narrateur se manifeste par des changements de focalisation entraînant des "paralipses" (Genette), des manques à savoir. Tantôt prévaut la focalisation zéro d'un narrateur omniscient – ou peut-être de son délégué par anticipation, Ursula Sobieski, qui écrit un roman sur James Sherwood. Tantôt ce qui l'emporte est la focalisation externe ou une focalisation interne plus ou moins déterminée et émanant d'un personnage qui serait dupe, vraisemblablement Sherwood. Mais les changements de focalisation ne sont, dans certains cas, pas perceptibles mais déductibles a posteriori. L’ambiguïté de la focalisation se combine avec les incertitudes du discours rapporté (limites et origine).
34Dans l'introduction aux (més ?)aventures de Sherwood, le narrateur apparaît comme informé et averti, susceptible de discriminer le vrai et le faux – d'indiquer par exemple que les "photos [...] de grandes vedettes de music-hall" distribuées aux acheteurs de pâtes pour la toux Sherwood sont "faussement dédicacées" (vme, p. 117) – d'expliquer motivations et itinéraires, d'annoncer proleptiquement le dénouement, d'embrasser les lignes d'une destinée et d’en dégager les leçons générales :
La méfiance et la passion sont les deux caractères des amateurs d'unica... La méfiance les conduira à accumuler jusqu’à l'excès les preuves de l'authenticité et – surtout – de l'unicité de l'objet qu'ils recherchent ; la passion les conduira à une crédulité parfois sans bornes. C'est en ayant constamment à l'esprit ces deux éléments que les arnaqueurs parvinrent à dépouiller Sherwood du tiers de sa fortune (vme, p. 118).
35Dans la suite du récit proprement dit, il manifeste une érudition sans faille et supposée partageable, quand il déclare par exemple que les "Quarli" sont devenus introuvables, que la "Vita brevis helenae" (p. 119) est célèbre, ou à propos d’une lettre de Maurice de Saxe, que le détail de cet envoi "nous est connu" (p. 122). Ce narrateur est très discret dans la délégation du discours relaté ; les frontières en sont indécises. Par exemple, quand on lit (p. 120) : "les analyses du professeur Shaw n'étaient pas encourageantes" on peut se demander qui émet ce jugement. Le narrateur ? le professeur Shaw les caractérisant lui-même dans l'article dont il est question ? J. Sherwood qui le déduirait ? Le compte-rendu de ces articles a un statut incertain : discours narrativisé ou discours transposé comme les incises "démontrait-il", "Pourtant, concluait le professeur Shaw" invitent à le penser. Dans ce cas le discours peut être imputé à la responsabilité énonciative du professeur Shaw, lecteur sagace qui sait détecter les "erreur[s] de copiste". Plus loin, le recensement des documents rassemblés par le douteux Guido Mandetta est indiqué comme accompli par le professeur mais le narrateur est seul à en faire la description et à indiquer par exemples les nouvelles sources. Ainsi "dans une lettre en italien datée de 1765, le publiciste Beccaria racontait à son protecteur [...] qu'il avait visité le célèbre cabinet d’antiquités [du] philosophe Pitiscus [...] et mentionnait [...] certain vase en terre sigillée" (p. 123). Mais le même narrateur nous apprendra une fois que le principe de la mystification aura été éventé que "Schallaert, faussaire de talent, avait fabriqué la lettre de Beccaria" (p. 219). Seulement la révélation n'intervient pas d’un seul coup et le narrateur, en cours de route, ou plus exactement à mesure qu'on s'achemine vers le terme, prend ironiquement ses distances : "Il ne faisait aucun doute pour Sherwood que ce vase était le Très Saint Vase [...]. C’est alors que, coincidence sublime, Longhi l'ouvrier italien revint voir Sherwood" (p. 125). Le narrateur apparaît là comme celui qui démonte, qui anticipe sur ce qu’il a d’ailleurs déjà annoncé, à savoir l'escroquerie dont Sherwood est victime, alors qu'il participe à la réitération de l'escroquerie, du moins à l'usage du lecteur. La chute intervient dans le chapitre XXII comme dans uca avec l'image du mystifié mystificateur : Sherwood ne semble pas avoir été affecté par le débours d'un million de dollars "chose qui s'explique peut-être par un fait-divers postérieur de deux ans à la conclusion de l'affaire : l’arrestation en Argentine, en 1898, d'un réseau de faux-monnayeurs tentant d'écouler massivement des coupures de vingt dollars" (p. 130). Le narrateur se trouve à nouveau en retrait, n'affirmant rien, s'en tenant à des conjectures empruntées. "Cette hypothèse est séduisante [...] mais Ursula Sobieski n’est pas encore parvenue à l'étayer solidement".
36Il faudrait s'interroger plus longuement, pour jauger la perversité de ce narrateur sur les effets de retardement inhérents à toute narration et il serait utile de convoquer la théorie de la polyphonie de Ducrot35. En tous cas uca se caractérise également par la rétention de l'information, et la distillation des révélations36 massées mais avec des emboîtements successifs :
Quelques années plus tard, les directeurs des organismes publics et privés qui s'étaient portés acquéreurs des tableaux de la deuxième Vente Raffke reçurent une lettre signée de Humbert Raffke les informant que la plupart des œuvres qu'ils avaient achetées étaient fausses et qu'il en était l'auteur [...]. Des vérifications entreprises avec diligence ne tardèrent pas à démontrer qu'en effet la plupart des tableaux de la collection Raffke étaient faux, comme sont faux la plupart des détails de ce récit fictif, conçu pour le seul plaisir, et le seul frisson, du faire-semblant. (uca, p. 89-90)
37Ce retournement final n'est pas le seul dispositif remarquable d'uca car toute une stratégie de l'information altérée par le moyen paradoxal de la surabondance, ou de la pseudo-redondance (lettres, catalogues, descriptions) égare. On le constate pour "Le sac de Troie" d'Otto Reder (p. 52-53 et 84) car on ne retrouve pas exactement les mêmes informations d'une mention d'un tableau à l'autre : la multiplication de ces mentions et des discours relatés fait qu'on ne sait pas très bien sous quelle responsabilité énonciative ils se trouvent. Sans compter le jeu sur la présupposition d'existence fondée sur des noms propres distincts ; lorsqu'on lit : "Raffke avait demandé à Kürz de la représenter avec toute sa famille y compris son neveu Humbert" (uca, p. 63), impossible de ne pas considérer que Humbert Raffke et Kürz sont deux personnes différentes. Les experts sont présentés comme compétents dans des articles de presse, dont ceux d'un responsable d’exposition au nom suspect Thadeus Doppelgleisner (p. 14)37, mais c'est bel et bien le narrateur principal à qui on peut imputer le passage suivant où il est question de conseillers qui pour la plupart se trompent ou bien sont des complices de la mystification :
Une trentaine de conseillers guidèrent Hermann Raffke dans ses choix. Les plus réputés d'entre eux sont sans conteste [liste de noms] [...]. D'autres ne donnèrent que bien plus tard la preuve de leur compétence [...] ; d'autres encore n'étaient que ce qu'il est convenu d'appeler des amateurs éclairés et s’ils connurent un jour la célébrité, ce ne fut jamais à la critique d'art qu'ils le durent. (uca, p. 47)
38On peut bien sûr considérer que c'est une annonce ironique mais tout à fait feutrée. Tout le développement d'uca procède d'un trucage de l'information de cet ordre.
Variations littérales
39Ce quatrième type de variations38 devrait-il être nommé matériel pour englober le verbal et l'iconique ? Ces "variations littérales" sont souvent infimes, et, de ce fait, plus ou moins clandestines.
40Une variation de ce type mais, elle, fort visible, entre le chapitre LII de vme et uhqd et concernant la typographie diversifiée et la mise en page, est plus iconique que verbale. Plus exactement elle convertit en icônes censément reproduites, des "objets de lecture" présentés en texte énumératif dans uhqd39.
41Ces "cartes de visites" que le protagoniste d'uhqd comme G. Simpson regarde dans certaines vitrines à la fois "avec application" (vme, p. 303) et indifférence, sont également l'occasion de variations textuelles. De ce point de vue vme innove pour la donnée thématique des calembours onomastiques de "Farces et Attrapes" et amplifie tant pour le nombre des vitrines (indéterminé, alors qu'il s'agit d'une unique devanture de graveur dans uhqd) que des cartes porte-noms (huit au lieu de quatre). Deux des cartes d'uhqd génèrent directement celles du chapitre LII avec quelques modifications : "Marcel-Emile Burnachs S.A.R.L. Tout pour les Tapis [...] Réunion de l'Amicale des Anciens élèves du Collège Geoffroy Saint-Hilaire" (uhqd, p. 76) ; une fournit pour le chapitre LII et du signifié et du signifiant soumis à déplacements : "Docteur[...] Stomatologiste" (uhqd) -> "Dr Thomas Gemat-Lalles Gastro-entérologue" (vme). Deux enfin, ("Docteur Raphaël Crubellier", et "Monsieur et Madame Serge Valène 11 rue Lagarde” (uhqd) essaiment et se métamorphosent ailleurs que dans le chapitre LU, puisque l'immeuble de vme est sis 11 rue Simon-Crubellier et que Serge Valène est l'un des personnages principaux. Somme toute la présence perçue comme trop évidente et circonscrite d'uhqd dans le chapitre LII est un peu une attrape.
42Une modification minuscule observable de vme à uca se prête à la glose. Il s'agit d'une différence orthographique entre le tableau "La mosquée des 'Ummayyades" de Devéria (uca, p. 68) et la lampe provenant de "la mosquée des 'Umayyades" que Madame Albin a rapportée de Syrie (vme, p. 273). On pourrait croire à une erreur40, mais l’identité de la propriétaire de la lampe oriente vers le réseau intratextuel de ld et incite à penser que la variation littérale manifeste la modification inhérente à tout acte de copie. D'une part, Albin est un personnage de ld, lié par son nom au blanc, et d'autre part Mme Albin qui a eu successivement deux fiancés homonymes (Raymond puis René qu’elle épouse) est devenue veuve de cet ancien ouvrier typographe, imprimeur malheureux en Syrie. On sait bien que ld procède d’un "bourdon", c'est-à-dire d'une erreur de typographie, de manque de E dans la casse.
43Troisième exemple de modification minimale : le préambule de vme et son traitement. Il est surprenant que ce préambule soit repris littéralement dans le chapitre XLIV mais étroitement associé à la diégèse alors qu'auparavant il apparaissait plutôt comme un élément péritextuel qui introduisait à tout le roman. Ce préambule consacré à l'art du puzzle développe notamment le rôle du leurre mais il ne se contente pas de discourir sur le leurre, il en participe. Aucun élément du texte perecquien n'échappe aux mécanismes qui le règlent ; la mise en scène est retorse pour les dispositifs de révélation situés dans un angle mort et donc d'autant plus efficacement concernés ! Le préambule est dupliqué mais il n'est pas identique. J'ai mis longtemps, personnellement à m'apercevoir que les pièces du puzzle, éléments iconiques reproduits p. 17 et p. 250 ne sont pas les mêmes ni quant au contour légèrement différent, ni quant au nombre en diminution : trois bonshommes (p. 250) au lieu de quatre, deux croix de Lorraine au lieu de trois, une croix au lieu de deux41. Une coincidence performative du propos et du faire permet d'expliquer une modification de ponctuation (quasi iconique en somme)42 et d'un déterminant :
L'art du puzzle commence [...] lorsque celui qui les fabrique [...] au lieu de laisser le hasard brouiller les pistes [...] entend lui substituer la ruse, le piège, l'illusion : d'une façon préméditée, tous les éléments figurant sur l’image à reconstruire – tel fauteuil de brocart d'or, tel chapeau noir a trois cornes garni d'une plume noire un peu délabrée, telle livrée jonquille toute couverte de galons d'argent – serviront de départ a une information trompeuse..] l'espace [...] sera découpé [...] en éléments falsifiés, porteurs d'informations fausses : deux fragments de corniches s'emboîtant exactement alors qu'ils appartiennent en fait à deux portions très éloignées du plafond, la boucle de la ceinture d 'un uniforme qui se révèle in extremis être une pièce de métal retenant une torchère, plusieurs pièces découpées de façon presque identique appartenant, les unes à un oranger nain posé sur une cheminée, les autres à son reflet à peine terni dans un miroir, sont des exemples classiques des embûches rencontrées par les amateurs (vme, p. 17-18).
44Dans le "même" passage (p. 250-251), on lit "la boucle de la ceinture de l'uniforme" – comme si la première occurrence rendant l'uniforme connu permettait le défini anaphorique au lieu de l'indéfini pour ce qui en fin de compte est une fausse boucle ! À la manière de l’oranger nain et de son reflet, l'illusion est redoublée au miroir de son dire.
Stratégie de la variation et prétextes iconiques
45Parmi les points forts de la stratégie de la variation, le minuscule, qui conditionne l'efficacité de la dissimulation, et contrebalançant cet aspect, le caractère auto-indiciel. Comment cette stratégie joue-t-elle de l'inclusion ?
46La duplication assortie d'inclusion ne se limite pas à la mise en abyme, mais introduit des reflets à distorsion, uca nous apprend que l'inclusion modifie, et ce récit programmateur-modèle de lecture permet d'observer avec suspicion par exemple le chapitre LI de vme ou la reprise du préambule dans le chapitre XLIV. La transformation opère à un niveau micro-diégétique et à un niveau macro-diégétique et macro-textuel de remise en perspective. Le phénomène de l'emboîtement est vertigineusement à l'œuvre dans "53 jours" avec l'homonymie des titres : les livres n’adviennent pas les uns après les autres mais les uns dans les autres en se modifiant rétroactivement.
47La duplication est révélatrice de la différence mais la ressemblance c'est aussi ce qui cache la structure, ce qui induit en erreur. Ainsi Bartlebooth reconstituant ses puzzles est gêné par la ressemblance de telle ou telle pièce avec un oiseau, un bonhomme, la silhouette de l'Angleterre (p. 414-415). Il est obligé de déplacer, de renverser. L’altération par déplacement et par mixage constitutive de réseaux ramifiés, c'est le dynamisme scriptural. Il y a une fécondité de la migration43 qui affecte personnages, événements, complexes sémantiques, qui combine dispersion et condensation. Ce mouvement se manifeste de manière privilégiée dans l'objet tableau, ou le pseudo-tableau. Je vais m'employer à l'illustrer avec la toile principale de vme et quelques-unes d'uca.
48Le chapitre LI de vme se présente, à peu près au centre du roman comme une récapitulation à la fois rétrospective et prospective des histoires qui y sont racontées. C'est une sorte d'échangeur texte-tableau. Je ne m'attacherai pas ici au compendium proprement dit avec la "cohorte" de "personnages" qu'il met en liste, en synthétisant à chaque fois une histoire ou une scène selon le même "calibrage"44. Avant la liste proprement dite des simili et des micro-tableaux du compendium, est posée l'hypothèse du cadre pictural, celle du grand œuvre de Valène tel qu’il le projette et tel qu'il accrédite une certaine lecture du roman (description du tableau de l'immeuble). La focalisation interne et le discours indirect libre au conditionnel présent introduisent dans l'univers mental de Valène, et l'évocation de la toile se fait à partir de son auto-représentation dans celle-ci : "Il serait lui-même dans le tableau, à la manière de ces peintres de la Renaissance qui se réservaient toujours une place minuscule" (vme, p. 290). Puis s'installe, préparant la liste, l'énumération de ce qui l'entoure – "autour de lui, sur la grande toile carrée, tout serait déjà en place" (ibid., p. 291) – à savoir d'abord une répartition des lieux-repères ("...les caves, la chaufferie, la machinerie de l'ascenseur" par exemple), ensuite des détails du visible, une série hétéroclite d'objets ("...les fleurs dans les vases, les tablettes de radiateurs, les presse-purée..."), enfin encore des objets, mais cette fois attribués à des possesseurs-personnages ("...les quatre calendriers de Cinoc, le paysage tonkinois des Berger...").
49La duplication à inclusion incite à une suspicion que j'exerce sur ce seuil. De fait, ce passage qui combine les différents types de variations de surface considérés plus haut, comporte une falsification caractérisée et plusieurs occasions d'interroger la coincidence du récit avec lui-même et les limites du visible et du dicible. Le jeu de reformulations du connu qui tisse tout récit fait très bien admettre que l'imperméable de Jane Sutton soit désigné ici comme un "mackintosh" (p. 292), mais lorsque "le lit des Réol en cuir synthétique" se trouve agrémenté d'une description entre tirets et en italiques façon daim finition grand sellier avec ceinture et boucle chromée (ibid.), on fait l'hypothèse qu'il s'agit d'une citation d'un autre secteur du texte. Or si les données de la description sont conformes à l'objet dispendieux des désirs réoliens au chapitre XCXXVIII, cette formulation dont la littéralité stricte paraît pourtant affirmée par la typographie ne se retrouve pas exactement dans le chapitre45. Faut-il invoquer une exploitation ironique de la polyphonie avec présence d'un discours commercial et publicitaire stéréotypé dont les Réol sont bien victimes et dont ils auraient eu connaissance ? Mais cette ironie qui ne saurait se traduire sur la surface d'une toile manifeste alors l'irréductibilité du verbal.
50Il paraît difficile de considérer à propos de "la boîte à épices de la cuisinière de Mme Marcia" (p. 292) dont il n'est question nulle part ailleurs, qu'un manque du récit est comblé, qu'il s'agit d'une donnée complémentaire ; il convient plutôt de conclure à un transfert falsificateur qui dérobe, c'est-à-dire signale à l'attention de la cuisinière de Madame Moreau46 ou plus exactement la boîte dans laquelle elle range ses épices. En effet c’est sur cette boîte qu'est représentée une petite fille croqueuse de petit-beurre et responsable de la disparition d'un chapitre sur les cent de l'échiquier de l'immeuble47. Le lieu du clinamen se trouve obliquement désigné.
51L'effet-tableau consiste donc à accomplir des captures. Une capture du détail, une capture du regard, une capture du texte. B. Magné parle de capture énonciative et d'aporie représentative (impossibilité aussi bien d'établir que vme raconte la visite d'un immeuble ou restitue la contemplation d'un tableau). La tension entre le temps et l'espace, entre la condensation et la pulvérisation qui sont au principe de la diégèse et de l'esthétique de vme, caractérise aussi le pseudo-iconique, le tableau mis en texte, le texte supposé transposer le tableau.
52Qu'est-ce qu’une mention ou une description de tableau dans l'économie discursive du récit perecquien ? À la faveur de la migration intertextuelle, les éléments du costume de Gonzo dans La Chartreuse de Parme48 se distribuent et s'immobilisent en image dans l’évocation de puzzle de vme (p. 17 et 250) et la description picturale d'uca (p. 68-69) : le tableau verbalisé "Intérieur à la perruque" (uca) fige et empile du narratif clandestin. Eventuellement la variation par inclusion lui redonne du mouvement. Par exemple "La Théière sur la table" de Garten devient une cafetière d'émail bleu dans la mise en abyme d'"Un Cabinet d'amateur"49. Elle a deux marraines probables dans vme : "la cafetière émaillée bleue toujours tenue chaude sur un coin de la cuisinière de Mme Fresnel" (p. 90), ou/et celle qui figure sur le dessin que fait Valène de la famille Grifalconi (p. 159). Plutôt que la diffusion de la variation, on constate là un resserrement, une condensation du narratif. Le tableau permet aussi et surtout l'enclenchement du narratif, que ce soit par les circonstances d'acquisition des toiles, l'histoire dont ils peuvent évoquer les épisodes ("L'assassinat des poissons rouges" chapitre L de vme), la génération (inter)textuelle par allusions picturales (et pas seulement scripturales) dans vme. Le couple célèbre masquage et marquage50 préside notamment aux destinées des "implicitations"51 qui se nichent volontiers dans les descriptions de tableaux dans vme mais sont signalées par la rupture représentative et détermine le fonctionnement d'uca comme miroir révélateur ou occultateur de vme. Par exemple "Le Loing à Montargis" est présenté dans uca comme un tableau de Girodet-Trioson dont Stendhal a laissé une description dans Mémoires d'un touriste (p. 85). Or dans vme (chapitre XII), Montargis est évoqué comme lieu de retraite de Madame Hourcade, ancienne occupante de l'appartement où finit de dîner la famille Réol, dont la jeune femme "prend [...] un plat de faïence décoré représentant un paysage romantique : d'immenses prairies entourées de clôtures de bois et coupées par de sombres bois de pins et par de petits ruisseaux débordés formant des lacs, avec, dans le lointain une bâtisse étroite" (p. 67). Ce passage comporte (en italiques ici)52 une implicitation de Stendhal, uca tend donc à dévoiler ce qui est masqué dans vme. Mais quand le tableau d'ucA "Le vieux cocher" vient correspondre (par relais diégétique net) à la gravure qui s'intitule "Un rat derrière la tenture" dans vme (chapitre IV), c'est plutôt un masquage de l'allusion à Hamlet directement lisible dans le titre qui s’opère.
53À la fois objet du monde et représentation, le tableau-dans-le-livre trouble les repères de la représentation53, autorise aussi bien l'intégration que la neutralisation de variation. Il interroge la fiction parce qu'il la signale mais il est aussi une fiction de mise en mots de l'image. Si le tableau-dans-le-livre n'est pas une exclusivité de son œuvre, il exerce chez Perec une capture spécifique.
Dernières variations sur la variation
54La variation liée à la lisibilité disposerait les pièges mais aussi livrerait les pistes. Navette scripturale et narrative, elle permettrait de suivre le déplacement d'un livre à l'autre, les mouvements de falsification, de mise ensemble et de pulvérisation qu'opèrent les différents récits comme si la capacité générative des éléments d'un texte donné n'étaient pas entièrement exploitée par celui-ci. Elle ferait imaginer un espace unique et démultiplié de l'œuvre avec démembrement, reconstitution, bifurcation et expansion. Bifurcation et expansion, ce sont des caractéristiques du récit54 mais aussi un mot d'ordre-Janus, proche de l'idéal énoncé par Perec d'inscrire son œuvre-puzzle dans le puzzle littérature. Mais alors que l'image du puzzle ne rend pas compte du dynamisme de la recomposition et de la dissémination, la variation, elle, permet de produire et de produire en falsifiant. C'est aussi un moyen d'exclure la répétition pure et simple et de répondre à l'exigence de l'exhaustivité55. Exorcisme du ressassement, la variation a partie liée avec l’ironie. En effet, elle remet en cause, déstabilise les textes, redéfinit les hypothèses de lecture, instaure la mouvance. La variation constitue le réseau, aiguille vers le réseau. Elle permet d’écrire et de dire l'écriture : c'est à la fois une machine et une machination. Ce que j'attends d'une telle lecture de la variation tourne autour de l'espérance et de la déception du visible56, comme s'il s'agissait de lire Perec avec un regard qui s'écarquille.
55La variation a-t-elle les vertus d'un principe rassembleur et le prestige d'une formule quasi-magique, ou bien trop évanescente, trop générale, trop mal définie se dilue-t-elle sans efficace ? En tous cas elle renvoie à un principe de plaisir, dont la nature serait comparable, mise à part la nocivité, à celui que procure le billard électrique des Marquiseaux "du modèle Flashing Bulbs" avec ses éclairs57 :
sa caisse et sa table ne contiennent ni plots, ni ressorts, ni compteurs : ce sont des miroirs percés d'innombrables petits trous derrière lesquels sont disposés autant d'ampoules connectées à un flash électronique ; le déplacement de la bille d'acier, elle-même invisible et silencieuse, déclenche des éclairs lumineux d'une intensité telle que dans l'obscurité un spectateur situé à trois mètres de l'appareil peut lire sans difficultés des caractères aussi petits que ceux d'un dictionnaire ; pour celui qui se tient devant ou juste à côté de l'appareil, et même s'il porte des verres protecteurs, l'effet est à ce point "psychédélique" qu'un poète hippy a parlé à son sujet de coït astral. La fabrication de cette machine a été arrêtée après qu'elle ait été reconnue responsable de six cas de cécité ; il est devenu très difficile de s'en procurer, car certains amateurs accoutumés à ces éclairs miniature comme on peut l'être à une drogue, n’hésitent pas à s'entourer de quatre ou cinq appareils et à les faire fonctionner tous en même temps (vme, p. 236).
56J'attends l'éclair qui permet de lire en tout petit et j'aspire bien sûr à reproduire l'expérience, à faire marcher les machines toutes en même temps, les textes tous en même temps. Jusqu'à l'aveuglement ? Jusqu'à l'éblouissement ?
Annexe
ANNEXE 1
*VME, op. cit., p. 52 et p. 280-281
Dans les jardins du Luxembourg, tu regardes les retraités joueurs de bridge, de belote ou de tarots. Sur un banc non loin de toi, un vieillard momifié, immobile, les pieds joints, le menton appuyé sur le pommeau de sa canne qu'il agrippe à deux mains, regarde devant lui dans le vide, pendant des heures (uhqd, op. cit. p. 77)
Maintenant, tu n’as plus de refuges. Tu as peur, tu attends que tout s'arrête, la pluie, les heures, le flot des voitures, la vie, les hommes, le monde, que tout s'écroule, les murailles, les tours, les planchers et les plafonds ; que les hommes et les femmes, les vieillards et les enfants, les chiens, les chevaux, les oiseaux, un à un tombent à terre, paralysés, pestiférés, épileptiques ; que le marbre s'effrite, que le bois se pulvérise, que les maisons s'abattent en silence, que les pluies diluviennes dissolvent les peintures, disjoignent les chevilles des armoires centenaires, déchiquettent les tissus, fassent fondre l'encre des journaux ; qu'un feu sans flammes ronge les marches des escaliers ; que les rues s’effondrent en leur exact milieu, découvrant le labyrinthe béant des égoûts ; que la rouille et la brume envahissent la ville, (ibid. p. 163)
* VME, op. cit., p. 302-307 (chapitre LII)
Tu ne finiras pas ta licence, tu ne commenceras jamais de diplôme. Tu ne feras plus d'études. (uhqd, op. cit. p. 25)
L'indifférence n'a ni commencement ni fin : c'est un état immuable, un poids, une inertie que rien ne saurait ébranler, brbrbrbrsages du monde extérieur parviennent encore sans doute à tes centres nerveux, mais nulle réponse globale, qui mettrait en jeu la totalité de l'organisme, ne semble pouvoir s'élaborer, (ibid. p. 113)
"complet" que, presque chaque jour, tu commandes, à peine entré, au serveur du comptoir de la Petite Source (ibid. p. 85)
Il s'agit d'un steack, parfois appelé beefsteack, ou même bistèque, mais certainement pas d'un tournedos, de frites que personne ne sacrerait pommes-paille, d’un verre de vin rouge dont nul ne songerait à contrôler l'appellation ni même à délimiter la supériorité qualitative (ibid. p. 84)
de même que tu ne choisis plus tes repas, que tu n'entreprends plus jamais de les varier, d’aller jusqu'au bout des quelques trois cents combinaisons qu'offrent au comptoir de la Petite Source cinq pièces de un franc, le tiers de ton pécule quotidien, au fond de ta poche ; de même que tu ne choisis plus tes heures de sommeil, ni tes lectures, ni tes vêtements... (ibid. p. 110)
Tu t'assieds au fond d'un café, tu lis le Monde ligne à ligne, systématiquement (ibid. p. 78)
Tu as vingt-cinq ans et vingt-neuf dents, trois chemises et huit chaussettes, quelques livres que tu ne lis plus, quelques disques que tu n'écoutes plus (ibid. p. 30)
Dans une bassine de matière plastique rose, tu mets à tremper trois paires de chaussettes, (ibid, p 25)
Tu apprends à regarder les tableaux exposés dans les galeries de peinture comme s'ils étaient des bouts de murs, de plafonds, et les murs, les plafonds, comme s'ils étaient des toiles (ibid. p. 70)
Tu découvres les passages (ibid. p. 76)
ou bien un matelassier proposant ses ressorts, ses pieds de lit (ibid. p. 75)
Tu lis, une à une, les cartes pâlies affichées à la devanture d'un graveur : Docteur Raphaël Crubellier, Stomatologiste, Diplômé de la acuité de Médecine de sur rendez-vous Marcel-Emile Paris, seulement, Burnachs S.A.R.L. Tout pour les Tapis, Monsieur et Madame Serge Valène, 11 rue Lagarde, 214 07 35 ; Réunion de l’Amicale des Anciens élèves du Collège Geoffroy Saint-Hilaire, Menu : Les Délices de la mer sur le lit des glaciers, le Bloc du Périgord aux perles noires, la Belle argentée du lac. (ibid. p. 76)
Avec une rigueur louable, tu règles tes itinéraires. Tu explores Paris rue par rue, du Parc Montsouris aux Buttes-Chaumont, du Palais de la Défense au Ministère de la Guerre, de la Tour Eiffel aux Catacombes.
Tu inventes des périples compliqués, hérissés d'interdits qui t'obligent à de longs détours (ibid. p. 87)
Tu t'assieds sur les bancs de lattes vertes aux pieds de fonte sculptés en forme de pattes de lion. (ibid. p. 75)
Tu t'enfonces dans l'Ile Saint-Louis, tu prends la rue de Vaugirard, tu vas vers Péreire, vers Château-Landon. (ibid. p. 71)
Tu marches dans des ruelles graisseuses le long de palissades maculées d'affiches en lambeaux, vers Charles-Michels ou Château-Landon. (ibid. p. 115)
Ton réveil, depuis longtemps, marque cinq heures et quart. Il s'est arrêté, pendant ton absence, sans doute, et tu as négligé de le remettre en marche, (ibid. p. 63)
Parfois tu restes trois, quatre, cinq jours dans ta chambre, tu ne sais pas (ibid. p. 111)
tu te glisses dans les petits cinémas crasseux des Grands Boulevards, (ibid. p. 31)
Tu rentres dans les cinémas de quartiers où flotte l’odeur insistante des désinfectants (ibid. p. 96)
Mais les rats, que tu saches, ne jouent pas au billard électrique. Tu te colles contre les appareils, pendant des heures, pendant des nuits, rageusement, fièvreusement, (ibid. p. 132)
Cafés ouverts toute la nuit [...] à demi retourné vers un billard électrique sur lequel s’obstinent trois marins. Tu bois du vin rouge et du café-perco. (ibid. p. 118)
Tu regardes les autres aller et venir, les commis de boucherie, les fleuristes, les crieurs de journaux, les bandes de fêtards, les saoûlots solitaires, les filles (ibid. p. 135)
Il reste 5 francs 25 pour ton second repas, qui sera un pain aux raisins ou une demi-baguette, pour un autre café, pour le métro, l'autobus, le dentifrice, le blanchissage (ibid. p. 149)
Une goutte d'eau perle continuellement au robinet du poste d’eau sur le palier, (ibid. p. 22) Tu es assis, torse nu, vêtu seulement d'un pantalon de pyjama, dans ta chambre de bonne, sur l'étroite banquette qui te sert de lit, un livre, les Leçons sur la Société industrielle, de Raymond Aron, posé sur tes genoux, ouvert à la page cent douze, (ibid. p. 21)
cette glace fêlée qui n'a jamais réfléchi que ton visage morcelé en trois portions de surfaces inégales, légèrement superposables, que l’habitude te permet presque d'ignorer, oubliant l'ébauche d'un œil frontal, le nez fendu, la bouche perpétuellement tordue, pour ne plus retenir qu'une zébrure en forme de Y comme la marque presque oubliée, presque effacée d'une blessure ancienne, coup de sabre ou coup de fouet, ces livres rangés, ce radiateur à ailettes, cette mallette-électrophone gainée de pégamoïd grenat : ainsi commence et finit ton royaume (ibid. p. 2) [cf. VME aussi p. 49]
tu vas au Louvre le dimanche, traversant sans t'arrêter toutes les salles, te postant pour finir près d'un unique tableau ou d'un unique objet : le portrait incroyablement énergique d’un homme de la Renaissance, avec une toute petite cicatrice au-dessus de la lèvre supérieure, à gauche c'est-à-dire à gauche pour lui, à droite pour toi (ibid. p. 116)
Mais, rien ne reste de cette trajectoire en flèche, de ce mouvement en avant où tu as été, de tout temps, invité à reconnaître ta vie, c'est-à-dire son sens, sa vérité, sa tension : un passé riche d'expériences fécondes, de leçons bien retenues, de radieux souvenirs d'enfance (ibid. p. 29).
ANNEXE 2
* STENDHAL, La Chartreuse de Parme, chapitre XXVIII (cf. Ewa Pawlikovska, op. cit.)
Ce qui dans Parme avait valu une réputation à Gonzo, c'était un magnifique chapeau à trois cornes, garni d'une plume noire un peu délabrée, qu'il mettait, même en frac ; mais il fallait voir la façon dont il portait cette plume soit sur la tête, soit à la main ; là étaient le talent et l'importance. Il s’informait avec une anxiété véritable de l'état de santé du petit chien de la marquise, et si le feu eût pris au palais Crescenzi, il eût exposé sa vie pour sauver un de ces beaux fauteuils de brocart d'or, qui depuis tant d'années accrochaient sa culotte de soie noire, quand par hasard, il osait s'y asseoir un instant.
Sept ou huit personnages de cette espèce arrivaient tous les soirs à sept heures dans le salon de la marquise Crescenzi. A peine assis, un laquais magnifiquement vêtu d'une livrée jonquille toute couverte de galons d'argent ainsi que la veste rouge qui en complétait la magnificence, venait prendre les chapeaux et les cannes des pauvres diables. Il était immédiatement suivi d'un valet de chambre apportant une tasse de café infiniment petite, soutenue par un pied d'argent en filigrane ; et toutes les demi-heures un maître d'hôtel, portant épée et habit magnifique à la française, venait offrir des glaces.
Notes de bas de page
1 Ce texte reprend de manière légèrement modifiée, une intervention au séminaire Perec (Paris VII) de mars 93.
2 Trois exemples de variations en nombre qui créent ou transforment des séries et dont l'élément de base est bien reconnaissable (généralement) :
- systématicité structurale pour la galerie des procédés de transformations langagières appliquées à l'incipit de Proust "Longtemps je me suis couché de bonne heure" (Atlas de littérature oulipienne, Gallimard, Folio, 1981) et illustrant l'anoulipisme (c'est-à-dire réutilisation de textes ou de structures existant déjà) ;
- variations homophoniques fondées sur l'à-peu-près et productrices de récit appliquées :
* à un énoncé unique (le nom de la cantatrice Montserrat Caballé) qui se déploie en 101 "métamorphoses" (C. Burgelin, J. Bens, P. Fournel, B. de Jurquet, H. Matthews, G. Perec, "La cantatrice sauve" in La Bibliothèque oulipienne, Volume I, Ramsay, 1987).
* à des énoncés divers (constituant souvent sinon des séries au moins des listes, des ensembles) en des occasions rituelles : Vœux, Seuil, 1989.
Un exemple de fausse répétition : la duplication apparemment à l'identique du texte de description du bureau de l'écrivain, motivée par la présence sur ce bureau du texte qui le décrit, comporte en fait cinquante différences. On pense à une version verbale du jeu des erreurs : Still life/Style leaf in L'Infraordinaire, Seuil, 1989.
Un exemple d'instabilité onomastique avec les soixante-quatorze noms du triste héros de Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, sorte de variations suffixales sur "Karacine".
Deux exemples théâtraux combinant répétition et transformation de situations, de répliques, d'une manière qui laisse deviner, sous les scénarios verbaux et les jeux de rôles, de savantes permutations : L'Augmentation et La Poche Parmentier.
3 Un homme qui dort (-> uhqd), 10/18, 1967 ; La Vie mode d'emploi (-> VME), pol, 197 ; Un cabinet d'amateur (-> uca), Balland, 1979. Un autre ouvrage de Perec cité est également désigné par les initiales du titre (La Disparition -> ld).
Les titres des tableau de uca sont indiqués entre guillemets et en romains. "uca" désignera donc le tableau de Kürz et uca le livre de Perec. Le corpus sur lequel je m'appuie dans le présent article est limité à quelques chapitres de vme, en particulier le chapitre LII, et à quelques-uns des tableaux d'uca.
4 L'intertextualité ne définit pas seulement un champ de recherche mais joue un rôle conceptuel formateur et inducteur d'une démarche, singulièrement adaptée à Perec. Pour être "réticulée", la lecture doit être méticuleuse, s'attacher particulièrement à la surface.
Le bougé de la variation pourrait introduire une transition entre l'intertextualité et un objet à construire qui serait l'espace dans l'écriture perecquienne.
5 Cf. Rimbaud, "Vagabonds", Illuminations.
6 Je préfère cette superposition privilégiant le dynamique à l'opposition variation/variante qui réduirait l’ambiguïté.
7 Cf. notamment J.-M. Adam, Le Texte narratif, Nathan, 1985.
8 Dans la rencontre d'hommage à Queneau qui s'est tenue à Rouen et a été publiée en décembre 1980 (no 18 des Amis de Valentin Bru), Perec le désigne comme un petit cousin. Rappelons que vme est dédié à Raymond Queneau.
9 Anne Roche, "Ceci n'est pas un trompe-l’œil..." in Sociologie du Sud-Est no 35-36, janvier-juin 83, p. 189. Elle fait l'hypothèse que dans uca jouent "un certain nombre de principes généralisables aux autres textes de Perec" (ibid.).
10 Au sens de commentaire critique (Genette) et au sens d'autoreprésentation (Magné, Ricardou).
11 Ex. uca p. 29 où les variations minuscules de copie à copie qui exaspèrent les visiteurs renvoient par ex. aux citations légèrement modifiées de la vme ou uca p. 63 où est narrée la manière dont Kürz s'y prend pour répondre au vœu de Raffke de représenter toute sa famille, les membres de la famille Raffke se substituant aux personnages portraiturés dans les tableaux d'origine : on a un mouvement de substitution et aussi un mouvement de redistribution d'une (id)entité donnée.
Ces exemples n'épuisent pas la valeur d'introduction et d'itinéraire privilégié d'uca.
12 Je pense ici à la sémiotique de l'altération élaborée par Jean Peytard (voir notamment Semen no 8 et Syntagmes no 4, Annales littéraire de l'Université de Besançon) et encore en devenir, à la place du transcodage dans sa théorie qui, notamment, illustre la nécessité d'une mise en dialogue critique de systèmes sémiotiques différents (pour poser, par exemple la question de l'espace dans les arts du verbal et les arts du visuel).
13 uhqd n’en fait pas partie et, dans mes analyses, ce récit apparaît souvent comme matière réutilisée ultérieurement. Néanmoins, quoiqu'il s'agisse d'un récit non oulipien, les exigences formelles, l'unité remarquable conférée par là au texte et la prégnance de l'intertextualité (pour ce livre que Perec a décrit tissé entre Kafka et Melville) y sont tout à fait représentatives.
14 Outre le Cahier des Charges de vme (présenté par Hans Hartje, Jacques Neefs, Bernard Magné, Éditions CNRS, Collection Manuscrits, Zulma, 1993), à signaler, sur Alphabets, le no 5 des Cahiers Georges Perec, Les Poèmes hétérogrammatiques de B. Magné et M. Ribière, Éditions du Limon, 1992.
15 L'expression est de G. Perec dans un entretien in Texte en main, no 1,1984.
16 "Le très complexe ensemble de règles que Perec se donne (une combinaison de formules de transformations et de variations greffées les unes sur les autres) est étranger à toute fonction mimétique et pourtant il devient le moyen de produire et d'organiser une multitude de descriptions et de récits" (Préface au Cahier des Charges, op. cit., p. 9) ; "le bi-carré latin permet bien à Perec d'obtenir [...] une distribution non aléatoire et non réaliste mais formellement réglée de ses matériaux romanesques. En revanche il présente [...] une rigidité excessive [...]. L'utilisation de ce seul modèle aurait conduit à écrire [tel] chapitre à partir des 42 éléments de rang 1 [...]. Fidèle à sa stratégie de la variation, Perec [...] complexifie sa machinerie en décidant de distribuer chacune des 21 paires de listes selon un bi-carré latin différent [...]. Une fois retenu le principe [d'une] permutation générale des lignes et des colonnes [...] [Perec choisit] une généralisation due à Raymond Queneau de la sextine [d'] Arnaud Daniel" [il s'agit de la pseudo-quenine d'ordre 10] (p. 22-23) (c’est moi qui souligne).
17 Quand on dispose des avant-textes et du texte ou d'une partie du texte (c'est le cas pour vme et "53 jours"), ceux-ci, avant-texte et texte, dans leur distance même peuvent apparaître en relation de variation.
18 Au sens de "ayant occupé un espace voisin" et non de "occupants contemporains se connaissant" ce que les informations temporelles ne permettent pas d’établir me semble-t-il.
19 Le Cahier des charges révèle en outre que le nom propre Astrat, via l'écho d'un slogan publicitaire des années 60-70 pour Astra, fait allusion au mot préjugé (imposé par la contrainte de la liste "couples" – de noms propres de personnages ou d'expressions).
20 Mai est le cinquième mois de l'année comme E la cinquième lettre de l’alphabet. On connaît la malédiction qui pèse sur ld et les avatars de sa figuration ! Le legs Astrat comporte donc "le moule de faux marbre que Karl Böhm fit porter à Haig Clifford pour le rôle du Commandeur dans le Don Giovanni qu'il monta au Mai Musical d’Urbino" (vme, p. 300) (c’est moi qui souligne) Cf. ld, p. 105-106, Denoël, 1969.
21 Parmi les 21 paires de 10 éléments prescrivant les 42 composantes a priori de chaque chapitre figure la liste "Musiques" : ancienne, classique, romantique, sérielle, contemporaine, jazz, pop et folk, rengaines tubes, militaires, opéra (Cahier des Charges, op. cit.).
22 En référence aux analyses de G. Genette dans Palimpsestes, Seuil, 1982.
23 C'est également le cas dans la bande son de l'adaptation cinématographique de uhqd, qui reprend le texte du récit, à l'exclusion des chapitres sur le sommeil.
24 Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l'ordre des années et des mondes". (Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Gallimard, Folio, 1987, p. 5) Antoine Compagnon signale en note à propos de cette phrase qu'elle peut être considérée comme un écho intertextuel de Matière et mémoire de Bergson et des Mille et une nuits ! Une sorte de puissance secrète, exercée dans l'intimité d'une position retranchée permet de mettre en rapport la phrase dont est tiré le titre et l'épigraphe de Kafka.
25 Mais il semble que ce soit le seul cas, avec L'Augmentation transposée au chapitre lxxxxviii, de coïncidence d'utilisation citationnelle et de développement diégétique. Ce qui confère à l'ensemble un fonctionnement d'allusion auto-indicielle.
26 L’Annexe 1 propose dans l’ordre d'apparition de vme, la liste des passages d'uhqd qui fournissent les citations. Le souvenir du défilé du jour de la mi-carême qui intervient à la fin du chapitre lii pourrait être considéré comme un développement narratif des "radieux souvenirs d'enfance" (uhqd p. 29) mentionnés sans aucun détail.
27 Le tableau "était à l'origine un projet de décor pour le prologue de l'Énée de Racquet à l'opéra de Lisbonne" (uca, p. 52-53). Plusieurs éléments restent mystérieux au sens où ils laissent espérer une clé qu'ils ne m'ont pas livrée. Ainsi la présence d'Enée, le nom parfaitement palindromique du peintre Otto Reder ou celui de la Fondation Sherbum-Boggs qui se prête peut-être à calembour bilingue.
28 Maroufler signifie "appliquer une toile peinte sur une surface murale, un support mince sur un autre plus rigide".
29 Plutôt comme "mythème" ou "biographème" que comme "thème" !
30 À remarquer que le titre du chapitre glose le titre du livre plus qu'il ne vise le contenu de la diégèse.
31 À propos d'un autre tableau "St Jérôme dans son cabinet de travail" (qui fait aussi partie de la liste des allusions picturales dans VME).
32 Dans uca, le tableau "Sous-officiers pendant la guerre de Sécession" (p. 31) renvoie d'une part par le biais du no de catalogue (35) à l'histoire du sergent Nochère trop friand de gomme (chapitre XXXV) ; d'autre part avec la traduction du nom du peintre, Daisy, à Marguerite, et avec l'évocation des enfants du capitaine Grant qui fournit le thème vernien du buffet sculpté par Winckler, à la vie des Winckler. La valeur métatextuelle de "Margueritte" (nom d'une marque de machines à écrire, et d'un des trois sergents, l'autre s'appelant Olivetti) qui renforce aussi le lien XXXV- no 35 m'a été indiquée par B. Magné.
33 Cette pseudo-invention évoque peut-être aussi dans vme la captation par Lebran-Chastel des travaux de Dinteville.
34 La fonction occupée quelques temps par Grégoire Simpson (sous-bibliothécaire adjoint à temps partiel) est ce qui permet d'insérer l'allusion programmée dans vme à un autre livre de Melville Moby Dick (cf. le Cahier des Charges, op. cit. et Ewa Pawlikowska, "Citations et allusions dans vme", in Texte en main, no 6,1986).
35 Oswald Ducrot ("Esquisse d’une théorie polyphonique de l’énonciation" in Le Dire et le dit chap. VIII, Minuit, 1984) s'intéresse à la pluralité des voix dans les énoncés isolés, produits par un seul sujet parlant (auteur empirique de l'énoncé) qu'il distingue du locuteur (être de discours responsable de l’énoncé et l'énonciation) et des énonciateurs ("êtres qui sont censés s'exprimer à travers l'énonciation sans que pour autant on leur attribue de mots précis ; s'ils 'parlent' c'est seulement en ce sens que l'énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur attitude mais pas au sens matériel du terme, leurs paroles"). Ici le locuteur (narrateur) ne change pas mais ce qui fluctue sans indicateur univoque, c'est l'identité des énonciateurs. La question de la focalisation s'intègre dans le modèle de Ducrot qui a cependant une perspective différente et une portée générale plus grande, plus susceptible me semble-t-il de rendre compte de la duplicité du narrateur perecquien.
36 La révélation elle-même intègre la rétention car c’est "la plupart des tableaux" qui sont faux, comme "la plupart des détails" du récit. Le Post Scriptum de vme avec la liste des trente auteurs "implicités" opère de la même manière. L'usage des indéfinis est très caractéristique dans la stratégie de la révélation ambiguë, voire paradoxale.
37 Il a été remarqué, que, moyennant traduction, son nom signifie le "trompeur", le ''double''.
38 Troie-Troyan évoqué plus haut en fait partie.
39 Pour B. Magné cela apporte un surcroît de mimesis mais aussi un caractère métatextuel de la mise en page comme collage dans le chapitre lii puisque celui-ci effectue un collage à partir d'uhqd. Collage et redistribution sont donc à envisager sous plusieurs angles.
40 Une question cruciale de variation, notamment quand elle est minuscule et littérale, est de savoir si on est en présence d'une coquille, d'un hasard (autrement dit du régime de l'erreur) ou bien d'une variante significative. Dans "Le viol du bourdon" (Le Cabinet d'amateur, no 3, Toulouse, 1994), B. Magné approfondit l'exploration de "l'ensemble flou" des erreurs, de ce territoire entre coquille et clinamen : il l'aborde, en dehors de "la problématique de l'intentionnalité", en termes d'écarts, en dresse une typologie et tente de faire un sort (c'est-à-dire de trouver du sens) même aux erreurs apparemment irréductibles. Il me semble qu’on peut souscrire à cette proposition (en substance) : on ne peut parler de coquille que jusqu'à ce qu'on ait trouvé quelque chose qui fasse sens.
41 B. Magné (séance de mars 93 du séminaire Perec) considère que la diminution du nombre des pièces du puzzle matérialise la temporalité de l'écriture et de la lecture, l’écoulement du temps depuis le début du roman.
42 "Une fois les bords reconstitués [...] – et les grandes masses des arrière-plans séparées en paquets selon leur tonalité de gris, de brun, de blanc, ou de bleu ciel – la résolution du puzzle consistera simplement à essayer à tour de rôle toutes les combinaisons possibles". Bleu ciel suivi d'un tiret p. 17 est suivi d'une virgule p. 250.
Ces variations orthographique et typographiques ont une grande importance dans Still life/Style leaf ainsi que dans uca. Ainsi plusieurs noms de peintre sont orthographiés différemment selon leurs occurrences.
43 Le terme métaphorise les déplacements intertextuels mais si on reprend à Philippe Hamon ("Pour une analyse sémiologique du personnage", in Poétique du récit, Points, Seuil, 1972) sa définition du personnage comme "morphème migratoire", il renvoie aussi à la construction continuée qui incombe au lecteur, au caractère évolutif du texte.
44 On connaît les contraintes régissant le compendium : 60 signes-espace par entrée, 3 ensemble de soixante sauf pour le dernier ensemble qui n'en comporte que cinquante neuf, inscription en diagonale de A pour le premier ensemble, M pour le second, E pour le troisième (soit le mot ame) et donc manque d'un ultime E au coin inférieur gauche de la figure géométrique (un carré incomplet de 60 sur 59) dessinée par le troisième ensemble. Les participes présents sont extrêmement fréquents (162 sur 179 entrées), mimant la valeur descriptive de titres de tableaux et impliquant temporellement une simultanéité, une dépendance par rapport à un temps de référence.
45 Où on peut lire mais sans autre indice de citation que les guillemets pour "grand sellier" : "Sur la moquette de nylon violet, le lit [...] est une coquille surbaissée gainée d'un tissu imitant le daim, couleur ambre, finition 'grand sellier' avec ceinture et boucle de cuivre et un couvre-lit en fourrure acrylique, de couleur blanche" (p. 595).
46 Marcia, Moreau : la variation a un caractère littéral qui pourrait la faire considérer comme une coquille. B. Magné (séance du séminaire Perec de mars 93) m'a fait remarquer que l'option de la coquille était celle que retenait David Bellos puisque dans sa traduction de vme, il rectifie. Magné tranche quant à lui d'autant plus pour la variante significative que cette boîte à épices se trouve en onzième position de l'énumération. Pour le réseau du onze dans l'œuvre de Perec, voir notamment B. Magné "Pour une lecture réticulée" in Cahiers G. Perec no 4, Ed. du Limon, 1990.
47 C'est ce que dit Perec dans un entretien publié dans Texte en main, no 1,1984, p. 51 :
"un carré de dix sur dix ressemble beaucoup à un petit beurre dont on commence toujours à manger un coin. Or il y a une petite fille qui apparaît à la fin du chapitre LXV : elle mord dans un petit beurre et fait tomber le chapitre suivant si bien que toute la numération de la suite est fausse".
Cf. vme à propos de la cuisinière de Madame Moreau : "la boîte dans laquelle, de tout temps, elle a rangé ses gousses de vanille, ses bâtons de cannelle, ses clous de girofle, son safran, ses petites perles et son angélique, une vieille boîte à biscuits en fer-blanc, carrée, sur le couvercle de laquelle on voit une petite fille mordre dans un coin de son petit-beurre" (p. 394).
48 Annexe 2.
49 Ibid., ou encore "un champion de boxe, encore vaillant dans la première copie recevait un terrible uppercut dans la seconde, et était au tapis dans la troisième" (uca, p. 23).
50 Dû à B. Magné, voir Perecollages, Presses Universitaires de Toulouse-leMirail, 1989.
51 Même paternité que pour "marquage et masquage".
52 Repérage de Ewa Paxlikovska (op. cit.).
53 Notamment par la mise sur le même plan de la représentation de premier et de second degré dans le chapitre li. Cf. B. Magné, in Perecollages, op. cit.
54 Cf. Genette, Barthes, Adam.
55 Deux impératifs évoqués par C. Berge et E. Beaumatin dans leur article "G. Perec et la combinatoire" in Cahiers G. Perec no 4, op. cit., à propos des contraintes mathématiques.
56 Un découragement et une stimulation à la fois du voir et du savoir. Cf. par exemple le projet de traduire tous les noms propres étrangers à la recherche d'une densité sémantique dissimulée, celui de vérifier avec les outils de l'érudition quels sont les tableaux faux et les tableaux vrais.
57 Cf. la pratique du billard électrique dans uhqd et la mention d'éclairs au moment où vient le sommeil : le protagoniste voit des éclairs qu'il est impossible de regarder et qu'il nomme pourtant.
Auteur
Université de Besançon
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