Premier chapitre. Les enjeux de la philosophie spencérienne
p. 17-47
Texte intégral
1La vie de Spencer a fait l’objet d’une riche documentation, à la fois par lui-même et par son secrétaire personnel, David Duncan1. Il existe également de nombreuses biographies et études spécialisées consacrées à la philosophie spencérienne2. Dans ce chapitre, notre analyse suit grosso modo la chronologie de la vie de Spencer afin de souligner l’importance de son engagement politique dès son plus jeune âge. Chemin faisant, nous examinons les affinités entre la philosophie de Spencer et le positivisme d’Auguste Comte. Sur plusieurs aspects, les deux systèmes philosophiques se font écho. Toutefois, Spencer et Comte adoptent des attitudes opposées à l’égard de la psychologie et des théories de l’évolution, que nous analysons en détail. Nous considérons ensuite les fondements physico-biologiques de l’évolutionnisme spencérien en insistant sur les différences que celui-ci présente avec la théorie darwinienne de la sélection naturelle. Nous terminons ce chapitre par un examen des théories psychologique et sociale de Spencer et des divers écueils que ce dernier rencontra dans ses efforts d’atteler les énoncés scientifiques à sa position politique.
LES DÉBUTS D’UN ENGAGEMENT POLITIQUE
2Spencer est né le 27 avril 1820 à Derby en Angleterre. Enfant, il manifeste un engouement pour les sciences physiques et naturelles ainsi qu’une forte aversion pour les disciplines classiques, telles que l’étude des langues anciennes. Son père, William George Spencer, professeur de mathématiques, ne consacre que peu de temps à l’éducation de son fils. Il décide de l’envoyer chez son oncle, le révérend Thomas Spencer, connu pour son intérêt dans les sciences. L’éducation du jeune Spencer s’appuie dès lors sur une rigoureuse méthode de raisonnement ainsi que sur une véritable instruction politique. Le révérend Thomas Spencer entretient d’étroites relations avec certains économistes de la Manchester School, comme Richard Cobden, qui souhaitent promouvoir le libre-échange et la doctrine économique du laisser faire. Les résultats de l’éducation chez l’oncle ne se font pas attendre. Le premier article de Spencer, publié à l’âgé de seize ans, condamne les lois sur le paupérisme3. Selon lui, ces lois ignorent le fait que la responsabilité humaine repose sur un système de récompenses et de punitions. Aux yeux du jeune Spencer, il est essentiel de veiller à ce que les subventions sociales ne soient pas trop faciles à obtenir afin de décourager toute tendance à la paresse.
3L’article consacré aux lois du paupérisme est suivi d’une série de douze lettres publiées en 1842-1843 sous le titre « The Proper Sphere of Government » dans le journal The Nonconformist4. À travers ces lettres, Spencer offre une esquisse de sa théorie biopolitique, dont les éléments fondamentaux resteront, pour l’essentiel, inchangés. Parmi eux, notons tout d’abord la croyance selon laquelle il existe une relation de dépendance étroite entre l’être et son milieu, et que les adaptations et les non-adaptations sont héréditaires. Deuxièmement, Spencer exprime une foi profonde dans l’universalité des lois naturelles, valables tant pour les animaux que pour l’homme. Enfin, il s’oppose fermement à toute forme d’intervention gouvernementale, qui irait, selon lui, à l’encontre de la marche bénéfique de la nature. Spencer résuma ce principe de la manière suivante :
Chaque être vivant est en relation spécifique avec le monde extérieur dans lequel il vit […] et la santé et le bonheur de chacun sont dépendants de la perfection et de l’activité de ces pouvoirs. À leur tour ceux-ci dépendent de la situation dans laquelle l’être est placé. […] Mettez des animaux dans une situation où l’un de leurs attributs soit inutile, enlevez-lui son exercice quotidien, diminuez son activité, et vous détruirez graduellement son pouvoir. Les générations suivantes verront cette faculté […] s’affaiblir petit à petit, et s’ensuivra une extrême dégénérescence de la race. Tout ceci est vrai de l’homme. […]
Les grandes difficultés rencontrées dans la conduite des intérêts sociaux proviennent du dérangement des lois naturelles […] les gouvernements ont sottement essayé de maintenir dans un état d’équilibre stable ce qui, livré à soi-même, se mettrait dans l’état d’équilibre stable5.
4La publication des lettres intitulées « The Proper Sphere of Government » suscite peu d’intérêt mais, pour Spencer, il s’agit d’une étape importante. Elles sont à l’origine des dix volumes composant le Système de Philosophie synthétique (publiés entre 1862 et 1893). Spencer admet que cet ouvrage n’aurait probablement jamais été écrit sans ces lettres, reconnaissant ainsi que l’objectif de son projet évolutionniste était avant tout politique6. Ses efforts successifs pour unifier biologie, psychologie, sociologie et éthique sous la loi universelle de l’évolution ont pour motif principal de doter sa position politique d’une légitimité scientifique.
5En 1848, Spencer reçoit l’opportunité de développer ses idées politiques lorsqu’il se voit offrir le poste de coéditeur du journal The Economist, organe des adeptes du laisser faire libéral7. Cette nouvelle responsabilité lui permet d’entrer en contact avec de nombreuses figures de la vie intellectuelle et politique londonienne. Il rencontre son futur éditeur John Chapman, propriétaire du journal The Leader, et se lie d’amitié avec le naturaliste Thomas Henry Huxley, qui lui apportera une aide précieuse dans la rédaction de ses ouvrages sur la biologie. Il fait également la connaissance de Mary Ann Evans, qui deviendra célèbre sous le nom de plume George Eliot. Elle restera la seule femme importante de sa vie malgré son refus de l’épouser8. Spencer entre également en relation avec Richard Potter et devient, au cours de séjours dans la maison de campagne de ce dernier, un proche de sa fille Beatrix, futur écrivain, épouse de l’activiste socialiste Sydney Webb et figure centrale de la Fabian Society.
6Le travail éditorial entrepris à The Economist donne à Spencer le goût de l’écriture. Il commence la rédaction de son premier livre, Social Statics : Or The Conditions Essential to Human Happiness Specified And The First of Them Developed, publié en 18519. Comme le suggère le sous-titre de l’ouvrage, l’objectif principal de Social Statics consiste en l’exposition des règles d’un système moral purement scientifique, c’est-à-dire exclusivement basé sur les lois naturelles dominant le monde physique. Dans cet ouvrage, Spencer compare la société à un agrégat matériel. À l’instar de ce dernier, les unités composant la société se trouvent en état d’équilibre lorsque toutes agissent et réagissent les unes sur les autres de manière égale. Un changement dans l’état de repos implique une diminution dans les sphères d’actions de certaines unités sociales à cause de l’extension des sphères d’actions d’autres unités. L’harmonie sociale s’établit seulement si ces unités, les individus, n’empiètent pas sur les sphères individuelles de leurs semblables. Spencer soumet cette idée comme la condition première et principale de sa morale, la résumant en la loi de « liberté égale » (« Equal Freedom ») : « l’homme est libre de faire tout ce qu’il veut, pourvu qu’il n’enfreigne pas la liberté égale des autres hommes10 ». De cette loi libérale classique découlent toutes les autres libertés : liberté personnelle, liberté d’expression, etc., traitées en détail dans les chapitres successifs du livre.
7L’enjeu principal de la morale scientifique de Spencer réside dans la conception de la loi de liberté égale comme développement d’une vérité physiologique. À ses yeux, la liberté chez tous les organismes biologiques fonde la condition essentielle au libre exercice des facultés. L’impulsion à maintenir cette liberté fait partie intégrante de la constitution animale et humaine et participe d’une « vie normale »11. Elle revêt de ce fait une nécessite primordiale pour atteindre le bonheur tant individuel que social. Un gouvernement qui s’efforcerait d’éradiquer la souffrance du peuple créera davantage de misère. Comme Spencer le dira plus tard : « si l’on aide les moins méritant à se propager en les affranchissant de la mortalité à laquelle les vouerait naturellement leur défaut de mérite, le mérite deviendra de plus en plus rare de génération en génération »12. Au nom de ce postulat, Social Statics avance une doctrine particulièrement poussée du laisser faire, exception faite de la proposition progressiste de nationaliser la propriété foncière, sur laquelle nous reviendrons dans la dernière section de ce chapitre. Selon Spencer, l’État ne doit jamais intervenir dans les affaires privées, sauf pour protéger les citoyens contre les injustices perpétrées par leurs semblables ou contre d’éventuelles attaques extérieures. Les mesures législatives destinées à venir en aide aux défavorisés se trouvent discréditées à l’instar de celles visant à l’amélioration de l’éducation nationale et du système sanitaire. Toute initiative gouvernementale dépassant les fonctions limitées de justice et de protection (travaux publics ou colonialisme inclus) est considérée comme une entrave au progrès. Ces transgressions nuisent non seulement aux individus mais aussi à l’État, car elles le détournent de ses fonctions réelles.
8Les prescriptions morales de Spencer trouvent une application concrète dans le domaine de l’éducation à travers quatre articles rédigés entre 1849 et 1859, et regroupés dans un volume intitulé L’éducation13. Cet ouvrage, qui rencontrera un succès international, promeut l’idée que la meilleure méthode d’épanouissement de l’enfant consiste à lui laisser la découverte du monde par lui-même afin de lui assurer un développement libre, naturel et sans contrainte. Pour le guider dans cet apprentissage empirique, Spencer préconise l’enseignement scientifique. Celui-ci fournit le savoir le plus utile au développement mental en stimulant l’indépendance d’esprit et en familiarisant l’enfant avec le raisonnement rationnel. L’étude des sciences lui procure ainsi des outils méthodologiques qui, adulte, l’empêcheront de s’égarer dans des raisonnements faux ou illogiques, et le rendront apte à s’autogouverner.
9Les essais sur l’éducation, tout en étant un hymne à la pédagogie libérale et progressiste, se révèlent également l’expression d’un scientisme franchement religieux où la foi absolue dans les lois rigoureuses de la science remplace la foi chrétienne :
[La science] est religieuse parce qu’elle fait naître un profond respect pour ces uniformités d’action qui se découvrent en toutes choses et une foi implicite en elles. Par ces expériences accumulées, l’homme des sciences acquiert une croyance entière aux rapports immuables des phénomènes, à la relation invariable de cause à effet, à la nécessité de bons et mauvais résultats. […] Il découvre que les lois auxquelles nous devons nous soumettre sont à la fois inexorables et bienfaisantes. Il voit qu’en nous y conformant, la marche des choses tend toujours vers une plus grande perfection, vers un plus grand bonheur. Alors, il insiste sans cesse sur l’observation de ces lois, il s’indigne quand on les transgresse ; et c’est ainsi qu’en affirmant les principes éternels des choses et la nécessité de leur obéir, il se montre essentiellement religieux14.
10Ce genre de propos semble justifier le jugement de l’historien Antonello La Vergata, suivant lequel le système spencérien est le « dernier grand traité de religion naturelle », une sorte de « théologie plus naturelle », sécularisée et adaptée aux valeurs de la nouvelle bourgeoisie industrielle. Aux yeux de La Vergata, la philosophie de Spencer représente une tentative archaïque de maintenir une cohérence entre l’ordre cosmique, la raison humaine et l’ordre social15. Si le système spencérien peut paraître archaïque au lecteur contemporain, ses idées ont rencontré en leur temps un succès considérable, particulièrement en raison de leur effort pour établir des liens entre théorie de l’évolution et sciences sociales. Ce succès ne fut pourtant pas immédiat car la philosophie de Spencer est de prime abord perçue comme une version modernisée du positivisme. Spencer fut fort mécontent de l’association de sa pensée avec celle d’Auguste Comte et tenta de démontrer son indépendance d’esprit, en partie pour des raisons de fierté intellectuelle mais aussi pour des raisons politiques. Dans la partie suivante, nous abordons la question des similitudes et des différences entre les philosophies de Spencer et de Comte, dans la mesure où elle est essentielle pour comprendre la réception réservée aux théories de Spencer en France et en Italie.
UNE VERSION NEUVE DU POSITIVISME ?
11L’histoire du positivisme comtien en Grande-Bretagne a fait l’objet de plusieurs études récentes. Annie Petit relève que le terme « positivisme » a été forgé assez tardivement par Comte. On ne trouve que deux occurrences, dénuées de toute signification particulière, dans son Cours de philosophie positive16. En revanche, lors de la première parution du mot en 1841 dans une lettre adressée à John Stuart Mill, Comte en fait un usage hautement politique. Il utilise le terme « positivisme » pour décrire son projet de « comité européen », dont le but est d’être « chargé en permanence de diriger partout le mouvement commun de régénération philosophique, une fois que le positivisme aura enfin planté son drapeau […] au milieu du désordre et de la confusion de notre siècle17 ». À partir de 1843, le terme « positivisme » est employé par Comte dans une perspective militante de réorganisation sociale, et repris par Mill avec la même connotation. La révolution de 1848 renforce cette tendance18. Comte décide alors de fonder la « Société positiviste » et rédige son Discours sur l’ensemble du positivisme qui s’ouvre sur cette phrase : « Le positivisme se compose essentiellement d’une philosophie et d’une politique qui sont nécessairement inséparables comme constituant l’une la base et l’autre le but d’un même système universel19 ». La conclusion du Discours, intitulée « Culte de l’Humanité », révèle le tournant religieux de Comte. Annie Petit constate qu’à partir de ce moment, le lien entre philosophie, politique et religion se trouve au cœur de ce qu’on appelle communément le « positivisme ». Elle souligne que le terme « positivisme » est « une mine d’ambiguïté », aux multiples déclinaisons à la fois chez Comte et chez ses disciples. Il recouvre des traits divers : le caractère systématique des propos, les prétentions de scientificité, la volonté des réformes politico-sociales, les objectifs socio-religieux, ou encore la philosophie naturelle20.
12Selon Michel Bourdeau, c’est en Angleterre, et non en France, que le Cours de philosophie positive trouve ses premiers lecteurs21. Daniel Becquemont note aussi que les écrits d’Auguste Comte sont traduits assez rapidement en Angleterre, preuve de l’intérêt y suscité par sa pensée. Il précise toutefois que si beaucoup d’intellectuels anglais sont profondément marqués par le Cours de philosophie positive, ils s’en éloignent sensiblement22. En effet le « positivisme anglais » se veut plus l’héritier de la philosophie naturelle anglaise et met l’accent sur la positivité des faits et la démarche inductive23. Certains des adeptes du positivisme en Angleterre, comme Harriet Martineau, refusent d’adhérer pleinement au système de Comte. Martineau, première traductrice officielle de Comte24, entreprend en 1853 une adaptation de ses écrits. Bien que Comte soit très satisfait de l’ouvrage et le fait traduire en français pour l’intégrer parmi les volumes de la Bibliothèque positiviste, Martineau se garde de se définir comme l’une de ses disciples25. Les critiques de Thomas Henry Huxley à l’encontre de l’aspect politico-religieux du positivisme et le respect de l’autorité et de la hiérarchie qui en découle dévoilent la méfiance, voire l’aversion, des certains intellectuels anglais à l’égard de la philosophie de Comte :
Ecclésiastique jusqu’à la moelle depuis ses débuts, le positivisme illustre maintenant la loi qui veut que le vêtement s’ajuste tôt ou tard à l’homme intérieur. Frappé d’incompétence métaphysique et également incapable d’apprécier le véritable esprit de la méthode scientifique depuis son père fondateur, il essaie maintenant de cacher la grossièreté de son matérialisme philosophique sous les haillons d’une phraséologie spiritualiste dont le sens original a complètement disparu. Cela ne vaut pas la peine […] d’avoir rompu avec des croyances, qui, vraies ou fausses, incarnent des conceptions grandes et fécondes, pour retomber dans les bras d’un hybride de science et de théologie, qui, comme la plupart des hybrides, partage les défauts de ses deux parents et aucune de leurs vertus26.
13Spencer adopte la même attitude dénigrante lorsqu’il est accusé d’avoir plagié le titre de son premier livre, Social Statics, sur Comte. L’expression « statique sociale » avait été utilisée par Comte dans la division de sa nouvelle science sociologique entre « statique sociale » et « dynamique sociale ». Chez Comte, la « statique sociale » se réfère aux études ayant pour but d’identifier les lois de l’ordre social. La « dynamique sociale » se rapporte, quant à elle, aux études chargées de mettre en évidence les lois du progrès social. Rejetant toute influence supposée de Comte, Spencer précise dans son autobiographie que le titre Social Statics lui fut proposé par Thomas Hodgskin, alors l’éditeur en chef de The Economist27. Environ trois décennies plus tôt, Spencer avait admis, dans un écrit intitulé « Pourquoi je me sépare d’Auguste Comte28 », qu’il avait trouvé l’expression dans un passage des Principles of Political Economy de John Stuart Mill concernant la division de l’économie politique en deux parties : statique et dynamique29. Il expliquait alors :
Mais pourquoi n’avais-je pas cité le nom de M. Mill ? En relisant la première édition de son ouvrage je trouvais […] la solution de la question. Cette division n’avait pas été faite par M. Mill, mais, comme je le supposais, par quelque écrivain sur l’économie politique, que lui ne nommait pas et que je ne connaissais pas moi-même. […] Je l’aurais nommé si je l’avais connu. Et, dans ce cas, je n’aurais pas donné cette extension de la division comme nouvelle30.
14L’écrivain inconnu ne serait-il pas justement Auguste Comte ? Mill connaissait ses théories et n’hésitait pas à confesser son admiration pour le philosophe français qu’il a défendu contre les attaques de Huxley31. Toutefois, Spencer s’efforce de démontrer qu’au moment de rédiger Social Statics, il ignorait l’utilisation préalable du titre. Il rappelle son hésitation à choisir un autre titre, « Demostatics32 », et soutient qu’il ne connaissait pas l’œuvre de Comte. Il savait seulement que celui-ci était un philosophe français33.
15Il est probable que Spencer n’ait pas lu Comte dans les détails, mais sa connaissance de l’œuvre de ce dernier n’était certainement pas superficielle. Les innombrables conversations avec George Eliot l’ont sensibilisé aux idées de Comte34. En 1853, Eliot tente de lui faire lire le Cours de philosophie positive que Spencer n’achève pas35. Il parcourt également la « Physique organique » et la « Biologie » dans la traduction abrégée d’Harriet Martineau36. Enfin, Spencer connaît les travaux de son ami intime, le philosophe George Henry Lewes, qui rédigea A Biographical History of Philosophy37. Lewes est un fervent admirateur de Comte et le fondateur de la Fortnightly Review, organe central de la diffusion du positivisme en Grande-Bretagne.
16La raison pour laquelle Spencer insiste sur la signification essentiellement différente que revêt pour lui l’expression Social Statics est avant tout liée à sa position politique et morale38. Il rejette l’hypothèse de Comte selon laquelle la philosophie peut réorganiser la société. Pour lui, la société ne peut être organisée que par les effets cumulés de l’évolution sociale. « Statique sociale » ne décrit pas un état hiérarchique et coercitif, mais un état dans lequel la loi de « liberté égale » sert de règle de vie. Afin de parvenir au bonheur, il convient de laisser les individus se comporter de la manière la plus naturelle et libre qui soit, à la seule condition qu’ils ne transgressent pas les libertés de leurs semblables. L’objectif de la politique n’est pas d’accroître le contrôle autoritaire des citoyens, mais au contraire, de le réduire, et l’idéal politique spencérien est un « individualisme plus prononcé » plutôt que le « nationalisme plus fort » qu’il perçoit chez Comte39.
17Spencer attaque également les fondements épistémologiques du positivisme comtien. Dans un article sur la genèse des sciences, il critique la classification des sciences suivant leur degré de développement « positif40 ». Selon Spencer, cette classification se révèle irrationnelle dans la mesure où l’ordre de succession des sciences ne représente aucune hiérarchie logique ou historique41. Chez Comte, les sciences sont divisées en deux classes : les sciences abstraites et les sciences concrètes. Spencer élargit cette bipartition en partageant les sciences concrètes en deux catégories. Il parvient ainsi à une classification en trois groupes : les sciences abstraites, les sciences concrètes et les sciences concrètes/abstraites. Une science abstraite est une science qui étudie « les lois des formes », comme la logique et les mathématiques. À l’instar de Comte, qui avait accordé aux mathématiques une position dominante par rapport aux autres sciences, faisant d’elles un outil méthodologique, Spencer leur donne également un statut supérieur42. Une science concrète étudie « les lois des produits » ; elle traite des phénomènes eux-mêmes et non pas de leurs relations isolées par abstraction. Parmi ces sciences se trouvent l’astronomie, la géologie, la biologie, la psychologie et la sociologie. Enfin, une science est qualifiée de concrète/abstraite lorsqu’elle envisage les lois des phénomènes qu’elle appréhende. La mécanique, la physique et la chimie en constituent des exemples. Chez Comte, la division entre sciences abstraites et sciences concrètes s’applique à l’intérieur de chaque discipline : il existe une biologie abstraite et une biologie concrète. Pour Spencer en revanche cette division s’effectue entre les sciences : la physiologie est une science abstraite et la zoologie est une science concrète. Spencer maintient qu’il n’y a aucune pertinence à classer les sciences selon « l’ordre sériel proposé par M. Comte43 », car elles ont un rapport de continuité à l’intérieur du cadre général de la science, et que seule la classification proposée par lui reflète l’unité de l’univers et du progrès scientifique.
18Les divergences mentionnnées ci-dessus paraissent essentielles aux yeux de Spencer, mais en réalité, les similitudes entre les deux systèmes philosophiques sont bien plus importantes que ce qu’il aurait voulu admettre. L’unité des sciences, élément central de l’attaque menée par Spencer contre Comte, est au cœur de la philosophie comtienne. Elle se réalise dans la philosophie positive où se trouvent regroupées les diverses sciences. Tant pour Spencer que pour Comte, la philosophie constitue l’élément ultime du système de connaissances. Elle l’emporte sur la science puisqu’elle est définie comme la connaissance « complètement unifiée », tandis que la science ne l’est que partiellement44. Le choix de l’adjectif « synthétique » pour désigner la philosophie spencérienne consacre cette vision. Bien que le mot n’apparaisse pas dans le titre du prospectus qui annonce, en mars 1860, la naissance du nouveau système philosophique45, Spencer l’évoque dans le premier volume de sa Philosophie synthétique, intitulé Les premiers principes46.
19L’appellation « synthétique » est chargée de signification puisqu’elle résume à la fois l’enjeu du système et la méthode employée. Selon Spencer, l’essentiel de l’effort intellectuel se trouve dans l’exercice de synthèse47. La méthode qu’il préconise consiste à faire des généralisations de plus en plus extensives. Il conteste l’« artificialité » dans la description saccadée du progrès, offerte par Comte. Selon Spencer, il n’y a pas de passage entre des états de pensée distincts, ayant chacun son propre sommet, mais une transition continue vers une connaissance toujours croissante. Ceci dit, Spencer reconnaît, à la manière de Comte, qu’il existe des « idées ultimes » dans la science, qui sont autant de réalités incompréhensibles48.
20Spencer développe ce concept, qu’il nomme l’Inconnaissable [the Unknown], dans la première partie des Premiers principes. Il tente de réconcilier science et religion en montrant qu’elles ne sont nullement contradictoires, mais qu’il s’agit, au contraire, de deux pôles complémentaires de la pensée humaine49. La science, écrit-il, est « un corps organisé des vérités, toujours en croissance et constamment purgé de ses erreurs50 ». La religion, ou plutôt les croyances humaines en général, proviennent de l’expérience humaine lentement accumulée et organisée au cours de l’évolution. Elles n’ont pas d’origine surnaturelle et contiennent, comme la science, « une âme de vérité51 ». Science et religion se retrouvent là où l’intelligence humaine atteint ses limites, c’est-à-dire dans l’Inconnaissable. Spencer explique : « Si toutes deux [science et religion] ont leurs bases dans la réalité des choses, il doit y avoir entre elles une harmonie fondamentale. […] La vérité la plus abstraite contenue dans la religion et la vérité la plus abstraite contenue dans la science doivent être le lien de leur fusion52 ». En fin de compte, la notion spencérienne des « idées ultimes », inaccessibles à la recherche humaine, reste assez proche des « causes premières » de Comte.
21Conscient de la ressemblance entre sa philosophie et le positivisme comtien, Spencer se déclare prêt à accepter les « vérités générales » sur lesquelles repose ce dernier : parmi elles, l’idée que toute connaissance vient de l’expérience, la croyance dans des lois naturelles invariables comme l’unique représentation possible des phénomènes observables et le rejet de tout recours à la métaphysique dans l’explication du monde53. Il souligne cependant que les principes clés du positivisme n’appartiennent pas à la pensée de Comte :
Que M. Comte ait donné une exposition générale de la doctrine et de la méthode scientifique, cela est vrai ; mais il n’est pas vrai que ceux qui admettent cette doctrine et qui suivent cette méthode soient les disciples de M. Comte. […] S’ils sont positivistes, ils le sont comme l’ont toujours été, d’une manière plus ou moins conséquente, tous les hommes de science…54.
22Selon Spencer, l’ensemble de vérités et de méthodes que Comte qualifie de « philosophie positive » est analogue à ce qui est désigné en Angleterre sous le nom de « philosophie naturelle55 ». Il souligne que si quelqu’un en particulier lui a permis de comprendre avec plus de clarté ces « principes fondamentaux de la science », c’est le philosophe Sir William Hamilton, non pas Comte56. Comte ne l’a influencé que dans le sens inverse de ce que supposent les adeptes de ce dernier : « C’est mon opposition à certaines de ses vues qui m’a fait développer les miennes. […] C’est à ce titre que la Philosophie positive […] m’a rendu service. Il est probable que si je n’avais pas désapprouvé la classification des sciences qu’établit Comte, je n’aurais pas eu mon attention attirée par le sujet57 ».
23Malgré les efforts de Spencer pour démontrer les discordances entre sa pensée et celle de Comte, la ressemblance des deux approches philosophique transparaît de manière évidente. À l’instar de Comte, Spencer cherche à construire un système global dans lequel la science occupe la place principale, un système qui puisse constituer une explication totale de tous les phénomènes. Il a beau s’efforcer de prouver, à lui-même et au monde entier, qu’il n’est pas un disciple de Comte, il ne parvient qu’à convaincre de l’influence de ce dernier sur sa pensée.
24L’affinité entre les deux philosophes permet en partie d’expliquer les critiques dont ils ont été l’objet. En revanche, lorsqu’on abandonne le cadre philosophique au sens strict pour examiner les diverses parties scientifiques du système spencérien, de réelles différences apparaissent entre la philosophie de Spencer et le positivisme comtien. Elles résident principalement dans leurs positions antinomiques face à la possibilité de constituer une psychologie scientifique. Nous nous interrogerons d’abord sur le rôle de la biologie dans la philosophie de Spencer, et examineront ensuite sa théorie psychologique.
LES FONDEMENTS PHYSICO-BIOLOGIQUES
25L’analyse approfondie de la théorie biologique de Spencer s’étend au-delà de ce chapitre. Ici, nous voulons nous concentrer sur la caractéristique de sa loi de l’évolution en tant que cas particulier d’un principe universel. Notre examen recouvre également certaines différences marquantes entre la biologie spencérienne et la théorie de Darwin, car si les deux penseurs anglais se positionnent à l’époque comme les grands théoriciens de l’évolution, l’un en biologie, l’autre en psychologie et sociologie, leurs théories sont loin d’être identiques.
26La première publication de Spencer consacrée à la biologie est un article intitulé « The Development Hypothesis », publié en 185258. Dans cet article, Spencer attaque les créationnistes pour leur manque de compétence scientifique et leur incapacité à comprendre que si être humain, plante, ou animal peuvent se développer à partir d’une seule cellule, il est évident que, sous certaines influences et au terme de plusieurs millions d’années, une cellule unique peut être à l’origine de l’espèce humaine. Les connaissances biologiques sur lesquelles s’appuie Spencer sont majoritairement tirées de l’ouvrage de Lyell Principes de géologie59. Paradoxalement, l’exposé de Lyell destiné à critiquer le transformisme de Lamarck convainc Spencer de la validité des vues de ce dernier60. Dans un deuxième article, publié également en 1852, Spencer reprend les idées de Malthus sur l’écart entre la croissance géométrique des sources naturelles et la multiplication exponentielle des êtres. Il conclut que la pression de la population constitue la seule garantie réelle du perfectionnement de l’espèce humaine61.
27Les lois biologiques attirent Spencer moins par leur contenu spécifique que par l’énorme potentiel qu’elles recèlent à ses yeux :
Et maintenant qu’il me soit permis d’indiquer ce qui a réellement exercé une profonde influence sur la marche de ma pensée. La vérité […] définitivement formulée par von Baer, – la vérité que tout développement organique consiste dans le passage de l’état d’homogénéité à l’état d’hétérogénéité, est le principe d’où j’ai tiré indirectement les conclusions auxquelles je me suis définitivement arrêté62.
28Selon la « loi du développement » formulée par le naturaliste Karl Ernst von Baer (1792-1876), tous les embryons se ressemblent au commencement de leur formation, puis se différencient de manière successive au cours de leur évolution. Spencer découvre cette loi à travers la lecture de l’ouvrage de William Carpenter, Principles of General and Comparative Physiology63, dans lequel l’auteur suggère que la loi de von Baer peut s’appliquer plus généralement pour expliquer tous les phénomènes observables64. Spencer adopte l’idée de Carpenter pour en faire la pierre angulaire de son édifice philosophique. La méthode « synthétique » qu’il avance paraît, sous cette perspective, extrêmement réductionniste puisque la synthèse revient en réalité à ramener tous les phénomènes au même principe opérationnel. La recherche des faits n’a d’utilité aux yeux de Spencer que lorsqu’elle permet d’étendre les généralisations et de faire avancer l’unité des savoirs. Huxley remarquait d’un ton ironique : « Si jamais Spencer écrivait une tragédie, l’intrigue en serait le meurtre d’une belle déduction par un méchant fait65 ».
29La volonté de Spencer de trouver une loi unique qui puisse à elle seule expliquer tous les phénomènes observables s’exprime clairement dans un article intitulé « Progress : Its Law and Cause », publié en 185766. Spencer postule que le progrès consiste en la transformation d’un état homogène en un état hétérogène. Il déduit de cette universalité une cause unique, qui lui sert de base pour affirmer l’existence d’une loi globale du changement. La formulation initiale de cette loi de l’évolution est donnée dans la deuxième partie des Premiers principes, intitulée le Connaissable [the Known], par opposition à celle qui la précède sur l’Inconnaissable. Spencer consacre cette partie aux lois de la physique en insistant sur leur statut particulier comme fondements de son système67. Il définit la loi de l’évolution en termes physiques comme « l’intégration de la matière et la concomitante désintégration du mouvement », accompagnée d’un processus complémentaire de « dissolution », ce qui est « l’absorption du mouvement et la concomitante désintégration de la matière68 ». Cette première formule quasi mécanique est peauffinée à l’aide de l’idée de cohérence, définissant l’intégration de matière comme « le passage d’un état plus diffus à un état plus concentré ». Spencer arrive ainsi à la définition de l’évolution comme le processus de « changement d’une forme moins cohérente à une forme plus cohérente69 », faisant une distinction entre l’évolution « simple » et l’évolution « composée ». L’évolution « simple » se restreint à l’intégration de matière, alors que dans le processus d’évolution « composée » s’opère également une transformation de l’état homogène à l’état hétérogène. Les composantes de la masse, en s’intégrant, se différencient les unes des autres. Toutes sortes de modifications structurelles et de transformations s’enchaînent alors dans la direction d’une plus grande complexité.
30Le rôle qu’accorde Spencer à la physique comme base de son système, ainsi que sa définition de l’évolution, dénotent une conception quelque peu désuète de la science et révèlent un attachement aux traditions mécaniste et matérialiste de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Ceci explique pourquoi Spencer ressent plus d’affinité avec les lois transformistes de Lamarck qu’avec la théorie de son compatriote Darwin. La description lamarckienne du monde des vivants comme des engins mécaniques et chimiques où chaque organe et chaque structure ont une fonction bien précise, et où tout changement de fonction entraîne une modification de l’organe, correspond à la vision scientifique de Spencer. Bien que ce dernier accueille avec enthousiasme l’Origine des espèces en affirmant « on comprendra sans peine la satisfaction que me causa la lecture de cette œuvre70 », son analyse de la théorie de Darwin témoigne d’une incompréhension profonde. La satisfaction de Spencer provient plutôt de sa volonté d’incorporer la théorie darwinienne au sein de son propre système universel et de l’utiliser comme preuve supplémentaire de sa loi générale de l’évolution, que d’une réelle appréciation de l’originalité de Darwin.
31La différence entre Spencer et Darwin est manifeste dès le début des Principes de biologie, dont les deux volumes sont publiés en 1863-6471. Cet ouvrage commence par situer les phénomènes biologiques dans le prolongement des lois physiques. À la question « qu’est-ce la vie ? » Spencer répond par une description en termes mécaniques d’équilibre de forces : la vie est un « ajustement continu des relations internes aux relations externes72 ». Cet « ajustement » n’est autre que l’adaptation lamarckienne de l’organisme à son milieu afin d’assurer son existence. Aux yeux de Spencer, « la fonction est depuis le commencement jusqu’à la fin la cause déterminante de la structure73 ». Par la suite, il devient évident que les facteurs principaux de l’évolution sont les lois de l’usage et du non-usage ainsi que le principe de l’hérédité des caractères acquis. À la différence de Darwin, la sélection naturelle reste chez Spencer un facteur secondaire sujet à l’adaptation fonctionnelle :
Darwin reconnaît que l’usage ou le non-usage des parties sont des causes de modification dans les organismes […] Mais je crois qu’il ne le reconnaît pas assez. Tout en montrant d’une manière concluante que l’hérédité des changements de structure causés par des changements de fonction est complètement insuffisante pour expliquer une grande quantité, et probablement la plus grande, de phénomènes morphologiques, il passe selon nous sous silence une quantité considérable de phénomènes morphologiques explicables comme résultats de modifications fonctionnellement acquises, transmises et accrues, et qui ne sont pas explicables comme résultats de la sélection naturelle74.
32Chez Spencer, la complexité de structure de l’organisme vivant est liée à la complexité de fonction qui dépend, quant à elle, du principe de « division du travail physiologique ». Suivant ce principe emprunté à l’économie politique et développé auparavant par Henri Milne-Edwards75, le niveau de développement des organismes est corrélé à la spécialisation des fonctions physiologiques et à leur affectation à des organes différenciés. Spencer incorpore cette idée dans sa théorie biologique en précisant que le processus de différenciations successives s’accompagne d’un processus d’intégration, c’est-à-dire que la coopération physiologique entre les parties de l’organisme croît avec la progression de l’hétérogénéité de fonction/structure. La cause de toutes les modifications fonctionnelles est à rechercher du côté des principes physiques. Il s’agit soit de facteurs externes à l’évolution, tel que l’action des changements climatiques sur la matière vivante, soit de facteurs internes, tels que l’instabilité de la matière homogène et sa tendance à devenir hétérogène. Ce processus est qualifié de direct quand il résulte de la réponse adaptative de l’organisme à un changement de conditions externes, ou d’indirect lorsqu’il découle de la sélection naturelle. Pour décrire l’action de cette dernière, Spencer recourt à l’explication fonctionnelle, démontrant une fois de plus que sa référence biologique première est Lamarck plutôt que Darwin.
33Il soutient que les perturbations et les déviations successives dans les réponses de l’organisme à son environnement suscitent d’innombrables modifications supplémentaires, rendant ainsi dissemblables les individus d’une même espèce. Certains individus sont mieux adaptés que d’autres à leurs conditions d’existence, et sont de ce fait pourvus de plus de chance de survie et de nombreuse descendance. Les individus moins adaptés sont voués à l’extermination. Spencer maintient que l’on peut nommer ce processus de sélection naturelle « de manière plus littérale "la survie du plus apte" [Survival of the Fittest]76 ». Bien que Darwin adopte cette expression dans ses écrits postérieurs77, il ne faut pas y chercher la même interprétation.
34L’intégration du principe darwinien de la sélection naturelle dans la théorie de Spencer se réalise en enlevant à celle-ci son attribut le plus novateur. D’une cause de l’évolution elle se transforme en mécanisme secondaire d’élimination. Les variations se trouvent réduites en deux catégories : les « bonnes » et les « mauvaises », et la sélection naturelle à la distinction entre forts et faibles. Cette sélection est soumise, comme les variations, à la notion d’adaptation par modification fonctionnelle. La véritable cause de l’évolution demeure le déterminisme du milieu et les réponses de l’organisme aux conditions changeantes à travers la loi lamarckienne de l’usage et du non-usage et le principe de l’hérédité des caractères acquis. La sélection naturelle, ou la « survie du plus apte », résultent, en dernier lieu, d’actions physiques liées à la redistribution de la matière et du mouvement78.
35Spencer maintient son attachement à une explication fonctionnelle du développement des formes vivantes jusqu’à la fin de sa vie, y compris lorsque les nouveaux biologistes dits néo-darwiniens, menés par Auguste Weismann, dénoncent le principe lamarckien de l’hérédité des caractères acquis et confèrent une efficience totale à la sélection naturelle. En 1886, Spencer publie un long article intitulé « Les facteurs de l’évolution organique » (imprimé un an plus tard sous format d’un livre) pour réitérer sa théorie biologique79. Il insiste sur le rôle primordial des modifications fonctionnelles dans le processus évolutionniste et sur l’insuffisance de la sélection naturelle. Dans des articles successifs, publiés en 1893-1894, Spencer critique directement Weismann et déclenche une véritable polémique dans les pages de la Contemporary Review80. Ses désaccords avec Darwin et les néo-darwiniens sont également manifestes à propos du rôle joué par la sexualité dans le processus d’évolution et du lien entre évolution et progrès.
36Spencer postule qu’il existe une relation inverse entre la fécondité et le niveau de développement intellectuel. Plus un organisme s’élève dans la complexité individuelle, plus il dépense d’énergie nerveuse pour perfectionner son intelligence et améliorer sa situation. Il en résulte une diminution de la productivité des cellules sexuelles, qui reçoivent moins d’influx nerveux que le cerveau, et une baisse de la fertilité. L’antagonisme entre perfection de l’individu et reproduction de l’espèce ne constitue cependant pas une menace pour la survie de l’espèce puisque un degré élevé de complexité implique une meilleure adaptation et des chances accrues de survie81. Sous la pression de la population, l’évolution devient la promesse d’atteindre une forme plus élevée de l’espèce, qui sera composée d’individus plus développés à la fois au niveau physiologique et intellectuel. Aux yeux de Spencer, « évolution » et « progrès » sont complètement interchangeables : « Je dis progrès, mais je devrais dire évolution, car maintenant le mot a pris sa place et commence à être employé à la place de celui de progrès82 ». Chez Darwin en revanche l’évolution n’est pas forcément synonyme de progrès. Bien que Darwin reconnaisse une certaine estime pour le talent littéraire de Spencer, il écrit dans son autobiographie :
La conversation d’Herbert Spencer me semblait très intéressante, mais je ne l’aimais pas particulièrement, et n’avais pas l’impression que je pourrais facilement me lier avec lui. Il était, à mon avis, extrêmement égoïste. Chaque fois que je lisais l’un de ses livres, je débordais d’admiration pour son talent fulgurant, je me suis souvent demandé si, dans l’avenir, il ne serait pas hissé au même rang que de grands hommes comme Descartes, Leibniz, etc. (sur lesquels, à vrai dire, je sais très peu de choses). Néanmoins, les écrits de Spencer ne m’ont servi à rien dans mon propre travail. Sa manière déductive de traiter le sujet est totalement opposée à ma forme d’esprit. Ses conclusions ne m’ont jamais convaincu ; et chaque fois que je lisais l’une de ses discussions, je me disais : "Voilà qui ferait un très bon thème pour une demi-douzaine d’années de travail." Ses généralisations fondamentales […] sont peut-être, oserai-je le dire, très valables d’un point de vue philosophique, mais d’une essence telle qu’elles me paraissent n’avoir aucun usage strictement scientifique. Relevant par essence des définitions plus que des lois de la nature, elles ne permettent pas de prédire ce qui se produira dans un cas particulier. De toute façon, elles n’ont été pour moi d’aucune utilité83.
37Les « généralisations fondamentales » auxquelles Darwin se réfère font en sorte que les deux volumes des Principes de biologie se réduisent à un long exposé sur les lois de la redistribution de la matière et du mouvement, appliquées au domaine du vivant. Spencer procède ainsi au nom de la continuité bio-sociale qu’il souhaite établir à travers son système philosophique. Les lois biologiques sont conçues dans le prolongement des lois physiques afin que les lois psychologiques et sociales qui en découlent puissent s’attacher aux lois de la nature inanimée. À la différence de Darwin, Spencer ne s’intéresse pas principalement à l’évolution biologique. Il considère celle-ci comme un cas particulier de l’évolution universelle et souhaite cibler ses recherches sur le développement humain et social. En effet, avant d’entamer l’écriture de son grand système de philosophie, Spencer publia, en 1855, la première version des Principes de psychologie comme une œuvre indépendante. Il doit sa renommée croissante à cet ouvrage, revu et augmenté au début des années 1870, ainsi qu’à son traité Introduction à la science sociale84, dont nous allons à présent nous occuper.
DE LA PSYCHOLOGIE À L’ÉTUDE DU SOCIAL
38Les Principes de psychologie ont pour objectif de présenter un système des phénomènes mentaux reposant intégralement sur la causalité des connexions nerveuses à travers l’étude des fonctions de l’appareil neuromusculaire. L’idée d’une « science de la conscience » déterminée par des lois naturelles passionne Spencer depuis sa jeunesse et ses premiers contacts avec la phrénologie. En 1842, à l’âgé de vingt-deux ans, il assiste aux conférences de Johann Spurzheim, élève de Franz Josef Gall, fondateur de la phrénologie. Par la suite, il fait lui même l’objet d’un examen phrénologique, et invente en 1846 une machine pour mieux mesurer les caractères crâniens85. Dans les Principes de psychologie, Spencer critique la méthode des phrénologistes tout en reconnaissant leur affinité avec l’étude scientifique de la psychologie :
Quiconque considère la question calmement, ne peut résister longtemps à la conviction que les différentes parties du cerebrum doivent, d’une façon ou d’une autre, servir différents types d’action mentale86.
39Selon Spencer, la psychologie est une « partie spécialisée de la biologie », à cette exception près qu’elle est à la fois « objective » et « subjective ». Elle est subjective dans la mesure où les pensées et les émotions constituant la conscience sont absolument inaccessibles à autrui. Par conséquent, « l’esprit continue à être une chose qui ne présente aucune affiliation avec les autres choses87 ». La psychologie ne se soustrait pas pour autant à l’étude scientifique, et dans ce sens elle est « objective ». C’est une science sui generis dans laquelle les faits de la partie dite « subjective » forment les données de la psychologie « objective ». Celle-ci est analysée selon une division en « synthèse générale », « synthèse spéciale » et « synthèse physique ». La « synthèse générale » retrace dans le monde animal le progrès des ajustements des actions intérieures aux actions extérieures, qui accompagnent l’évolution croissante du système nerveux. La « synthèse spéciale » examine le même processus de plus près afin de le formuler dans des termes qui impliquent la conscience. Enfin, la partie sur la « synthèse physique » relie les mécanismes expliqués dans les deux autres au fonctionnement de la loi de l’évolution88.
40Lorsque Spencer prépare la réédition du premier volume des Principes de psychologie tout en travaillant sur la rédaction du deuxième, il développe ses idées à partir du célèbre ouvrage de John Stuart Mill, le Système de logique inductive et déductive89. Suivant Mill, Spencer affirme que la sensation constitue le seul et unique fait psychologique dont les idées ne sont que des copies. Le cerveau humain se compose de sensations, réunies selon un certain nombre de lois combinatoires, ou « associations90 ». Spencer interprète l’intégration des sensations en « associations », c’est-à-dire en états de conscience plus élevés, comme la marche vers une structure plus cohérente et plus hétérogène. Il postule qu’au départ, les organismes sont des grains non différenciés de protoplasme qui réagissent aux stimuli extérieurs. La loi de l’instabilité de la matière fait en sorte que ces stimuli n’opèrent pas de manière égale sur toutes les parties de l’organisme. Certaines parties y sont plus sensibles que d’autres et des vagues de mouvement nerveux se répandent dans tout l’organisme à partir de ces points de contact. Conformément au principe physique selon lequel toute force suit la ligne de moindre résistance, le flux nerveux a tendance à passer à travers les mêmes « voies tracées ». À force de répétition, sa trajectoire se fixe de plus en plus, transformant les connections neurales en véritables chaînes de communication mentale au sein de l’être. Le développement de l’intelligence suit les mêmes règles et s’explique également par l’associationnisme. À l’instar de Darwin, Spencer maintient que l’intelligence trouve son origine dans les actions réflexes qui, en se composant, constituent d’abord l’instinct puis ce qu’on appelle la raison91.
41La révision du premier volume des Principes de psychologie et l’écriture du deuxième s’achèvent en 1872. Spencer, satisfait du résultat, proclame : « cet essai aura la même importance que les Principia de Newton92 ». Il passe ensuite à l’étude des phénomènes sociaux à travers une série d’articles publiés entre avril 1872 et octobre 1873 dans le Popular Scientific Monthly. Cette revue est fondée en 1872 par l’éditeur Américain Edward L. Youmans dans le but de servir de lieu de diffusion aux écrits de Spencer (qui y publia quatre-vingt-onze articles au total). Youmans n’est pas une figure nouvelle dans la vie de Spencer. Il joue un rôle important dans la propagation des théories spencériennes aux États-Unis et en Europe dès l’annonce du Plan générale de la philosophie synthétique. En 1866, alors que le nombre des souscripteurs périclite, Spencer envisage de cesser la publication en raison de difficultés financières. Youmans vole à son secours en réunissant une somme considérable auprès de ses amis américains. Au départ, John Stuart Mill avait proposé de souscrire avec quelques-uns de ses amis pour deux cents cinquante exemplaires, mais grâce à l’aide de Youmans, cette mesure d’urgence est abandonnée.
42Youmans est également le fondateur, en 1872, de la « Série scientifique internationale ». Cette collection, destinée à être le lieu de collaboration de plusieurs éditeurs dans différents pays, est conçue pour promouvoir la circulation des découvertes scientifiques les plus récentes et contribuer à la propagation de la science. Spencer s’engage immédiatement dans le projet de Youmans93. Son livre The Study of Sociology, l’une des premières publications de la série, regroupe les articles publiés précédemment dans le Popular Scientifique Monthly94. À l’instar de Social Statics, le titre The Study of Sociology suscite des débats concernant la relation entre la philosophie de Spencer et le positivisme de Comte. Le terme « sociologie » avait été inventé par Auguste Comte pour désigner sa nouvelle discipline : la science de l’homme par l’homme, également appelée « physique sociale ». L’expression est introduite en Grande-Bretagne, et Spencer avoue l’avoir empruntée au maître français95. Il s’empresse toutefois de souligner que c’est faute d’autres termes « disponible(s) » et rejette les accusations selon lesquelles il a été influencé par la philosophie de Comte96.
43The Study of Sociology ne fait pas à proprement parler partie du Système de philosophie synthétique, mais peut être perçu comme une sorte d’introduction séparée aux Principes de sociologie. C’est ainsi que Spencer le concevra ultérieurement :
En décrivant avec exemples à l’appui, les diverses formes de préjugés contre lesquels, dans l’étude de la sociologie, il faut se tenir en garde, je m’aperçus avoir besoin moi-même des avis que je donnais. […] je me préparais mieux à juger avec impartialité des différents facteurs du développement social97.
44Le principal objectif de l’ouvrage de Spencer est d’exposer la méthode d’analyse de l’évolution sociale. Il établit une distinction entre deux types de difficultés se présentant d’emblée aux apprentis sociologues. Les premières sont « objectives », liées à la multitude et à la complexité des faits sociologiques, dont l’analyse est ardue par nature. Les secondes sont les difficultés « subjectives », qui renvoient à la situation délicate dans laquelle se trouve le sociologue. Partie intégrante de l’agrégat qu’il considère, il est à la fois maître et objet de son étude, et se trouve assailli de préjugés – dont il se doit être conscient – susceptibles d’altérer ses jugements. Pour réduire les obstacles, Spencer préconise d’adopter la méthode scientifique. En effet, l’étude des sciences « est le moyen de donner des habitudes de pensée convenables », dans la mesure où elle entraîne une familiarité avec les divers ordres de phénomènes physiques et chimiques, précisant et fortifiant le sentiment de cause à effet chez l’enquêteur98.
45La méthode scientifique conseillée par Spencer ne provient pas seulement de sa volonté de développer des modes de pensée plus rigoureux dans le domaine de la sociologie. En reliant les phénomènes sociaux aux phénomènes physiques et chimiques, il cherche à instituer une sorte de continuité bio-sociale en passant par l’étude de l’homme : « L’être humain est à la fois le problème final de la biologie et le facteur initial de la sociologie99 ». Qu’il s’agisse de phénomènes organiques ou de phénomènes « super-organiques », la loi de l’évolution reste la même. Pour assurer à la sociologie, comme à la psychologie, le statut de sciences « véritables », Spencer propose de les concevoir sous l’angle des sciences déjà établies, la physique et la biologie. La continuité bio-sociale qu’il cherche à instaurer trouve son expression dans le postulat de l’analogie organique :
Quand on se sert d’une métaphore pour exprimer une similitude réelle, on donne à penser que cette similitude n’est qu’imaginaire ; on obscurcit ainsi la perception d’une connexion intrinsèque. C’est ce qui arrive pour les expressions, "corps politique", "organisation politique" etc., qui assimilent tacitement une société à un être vivant ; on les prend pour des expressions ayant leur raison d’être, mais ne correspondant pas à une réalité et tendant plutôt à entretenir une fiction. Pourtant, les métaphores sont ici plus que des métaphores, dans le sens ordinaire du mot. Ce sont des façons de parler où se fait jour une vérité d’abord obscurément perçue, mais qui s’éclaircît à mesure qu’on examine de plus près le témoignage. Il y a analogie réelle entre l’organisme individuel et l’organisme social ; cela devient incontestable dès que l’on a reconnu que tous deux sont également soumis à certaines nécessités qui en déterminent la structure100.
46L’analogie organique est en grande partie responsable du succès que connut L’introduction à la science sociale en France et en Italie. Cette façon de poser la réalité sociale comme objet organique dépendant de la biologie offre une vision unifiée du monde qui permet de penser les affaires humaines comme partie intégrante de la réalité naturelle. L’analogie organique soulève cependant nombre de problèmes relatifs aux multiples interprétations de ce concept malléable. Selon Judith Schlanger, il existe deux interprétations principales de l’analogie organique. La première est l’interprétation méthodologique ou épistémologique qui n’implique pas de véritable assimilation des réalités. Elle décrit la société comme un organisme dans la mesure où le savoir sociologique se pense à travers le langage bio-organique. On considère alors la société comme un tout organisé car ce point de vue permet de rendre compte des phénomènes sociaux au moyen de démarches conformes à l’idéal scientifique du savoir. En revanche, selon la deuxième interprétation, la référence organique ne constitue pas une simple analogie descriptive, elle découle d’une volonté de naturaliser la réalité sociale. Suivant cette interprétation littérale, l’organisme social possède la structure et les fonctions de l’organisme biologique, car il est lui-même un organisme101.
47À en juger d’après les deux chapitres du premier volume des Principes de sociologie intitulés « Qu’est-ce qu’une société ? » et « Une société est un organisme », on serait tenté de ranger Spencer parmi les partisans de l’interprétation littérale de l’analogie organique. Il semble qu’à ses yeux, la société est comparable en tout point à l’organisme vivant, puisqu’elle est une croissance naturelle qui obéit aux mêmes lois que les organismes biologiques. Procédant de cette manière Spencer renforce la théorie avancée dans un article sur l’organisme social, publié quinze ans plus tôt102. Il y comparait les sociétés tribales à des animaux primitifs (comme l’Hydre), les sociétés féodales aux vertébrés les plus simples et ainsi de suite, jusqu’à ce que dans l’ère moderne, les routes deviennent l’équivalent des vaisseaux sanguins, les lignes de télégraphe l’équivalent des nerfs, etc. Malheureusement, l’analogie organique, ainsi interprétée, n’est pas sans inconvénients. Si elle rattache la sociologie à la biologie, ses conclusions sous-tendent des applications politiques que Spencer souhaite à tout prix éviter.
48Admettre que la société est un organisme au sens propre oblige Spencer à reconnaître que, comme tout organisme individuel, elle possède une conscience propre dépassant celles de ses unités. L’analogie organique, interprétée littéralement, paraît justifier par conséquent l’émergence d’une conscience sociale, une sorte de « méta-volonté » au-dessus des consciences individuelles. Loin d’appuyer une politique individualiste du laisser faire, elle légitime l’existence d’un organe central de contrôle. Pour éviter d’aboutir à cette conclusion, Spencer modifie sa position. Dans le deuxième volume des Principes de sociologie, il déclare que la société n’est pas un organisme au sens strict :
Répétons une fois de plus qu’il n’existe point d’analogie entre le corps politique et le corps vivant, sauf celle que nécessite la dépendance mutuelle des parties que ces deux corps présentent. Quoique nous ayons, dans les chapitres précédents, comparé la structure et les fonctions sociales à la structure et aux fonctions du corps humain, nous ne l’avons fait que parce que la structure et les fonctions du corps humain fournissent les exemples les mieux connus de la structure et des fonctions en général. […] Le seul point commun que nous reconnaissions entre les deux genres d’organismes, c’est que les principes fondamentaux de l’organisation sont communs à l’un et à l’autre103.
49Spencer tente de défendre son analogie organique en spécifiant que l’agrégat social et l’agrégat biologique évoluent selon les mêmes lois mais aboutissent à des résultats structurels divergents. Les deux agrégats croient en volume et cette croissance s’accompagne d’une complexification de structure. Le processus de la division du travail, à l’œuvre dans la société humaine comme dans le corps vivant, entraîne une différenciation progressive des fonctions et la dépendance mutuelle des parties. Il existe pourtant une dissemblance essentielle entre les deux types d’organismes. L’organisme social est « discret », l’organisme biologique est « concret ». Autrement dit, dans la société, à la différence de l’organisme vivant, la conscience est répandue dans tout l’agrégat sans avoir de centre unique. L’évolution de la société contient une étape supplémentaire, méconnue par l’organisme animal ou végétal. Tandis que pour ces derniers la division du travail, accompagnée d’une différenciation et d’une complexification de structure, mène à la naissance d’une nouvelle individualité à la fois hétérogène et cohérente, il n’en est pas de même pour les « super-organismes » sociaux. Le développement d’un « sensorium social » dont les besoins et les volontés surpassent et conditionnent ceux des unités, ne constitue pas le signe d’une forme de vie hautement évoluée104. Bien au contraire, le contrôle des droits des individus au profit des exigences d’un appareil régulateur central est le signe manifeste que l’organisme social n’a pas encore atteint son stade d’évolution maximal, et qu’il se trouve à l’état dit militaire.
50Comme son nom l’indique, l’état militaire se démarque par les caractéristiques nécessaires à l’efficacité guerrière. À ce stade de l’évolution, toutes les forces productives de la société sont l’apanage d’un système régulateur central et despotique, dont les directives détaillées sont appliquées à tous les échelons sans considération des besoins individuels. La société équivaut à l’armée et le contrôle étatique est comparable en tout point au système nerveux central chez les êtres vivants. Cet état, dépourvu de toute liberté individuelle, reste tout de même essentiel pour le développement de celle-ci. La rigidité de la structure hiérarchique, le respect de l’ordre et l’obéissance constituent des facteurs favorisant l’avènement d’agglomérations sociales considérables sans lesquelles aucune industrie avancée n’est possible105. Toute société doit traverser l’état militaire avant d’atteindre la phase supérieure du développement social, l’état dit industriel.
51À la différence de l’état militaire, l’état industriel se caractérise par l’indépendance des individus. Il émerge lentement, une fois la menace de guerre écartée, grâce aux habitudes paisibles acquises au moyen de l’activité commerciale. La coercition de l’État cède la place à la coopération volontaire entre individus et ses fonctions se trouvent considérablement réduites. Au lieu d’être à la fois « négativement » et « positivement » régulatrices, elles ne deviennent que « négativement » régulatrices. L’État ne doit plus gérer la vie des citoyens, puisque dans la « société industrielle » les rapports entre individus s’autorégulent de manière non forcée. Le pouvoir central se limite à assurer la protection « négative » : maintenir la justice en veillant à ce que les contrats soient respectés et contrer d’éventuelles offensives extérieures106. Il est important de noter que Spencer distingue la « société industrielle » de la « société industrieuse ». Dans la « société industrieuse », revendiquée par les socialistes et communistes, les individus sont soumis à un contrôle comparable à celui de l’état militaire. Leur coopération reste forcée et l’individualité de chaque membre de la société est subordonnée à l’État. Sous ce régime, la distribution des richesses a un effet de nivellement entre entités paresseuses et laborieuses. Dans la « société industrielle », en revanche, le système de libre contrat garantit un lien direct entre les bénéfices et les efforts de chacun. L’individualité, au lieu d’être sacrifiée pour la société, est protégée par celle-ci107.
52L’idée selon laquelle le développement social se compose en étapes bien définies n’est pas propre à Spencer. Il mentionne lui-même la théorie d’Adam Ferguson suivant laquelle la société passe d’un premier état primitif, l’état militaire, à un deuxième état raffiné, l’état commercial108. Spencer rappelle également la classification dichotomique proposée par son contemporain, Sir Henry James Sumner Maine. Ce dernier interprète le progrès historique comme le passage d’une société de « statut », guidée par la contrainte et la subordination, vers une société de « contrat », régie par la coopération entre individus109. La démarche consistant à catégoriser l’histoire humaine en étapes de progrès convient à Spencer car elle lui permet d’injecter des jugements de valeur dans l’évolution sociale. Au nom de cette hiérarchisation, Spencer promeut la politique de laisser faire comme l’étape la plus avancée du développement social. Inévitablement, la continuité bio-sociale qu’il avance se trouve alors affaiblie. Son analyse démontre l’impossibilité d’établir une analogie organique parfaite pour décrire l’organisme social dans ses formes de vie supérieures. Conscient dès le départ de la contradiction inhérente à sa réflexion, Spencer avise : « Je me suis servi des analogies péniblement obtenues, mais seulement comme d’un échafaudage qui m’était utile pour édifier un corps cohérent d’inductions sociologiques. Démolissons l’échafaudage les inductions se tiendront debout d’elles-mêmes110 ». Quoique peu convaincant, cet argument suffit à Spencer. Il s’appuie sur la distinction entre les différentes étapes du développement social pour discerner deux types de morale, morale « absolue » et morale « relative », et esquiver, dans ses Principes d’éthique, certaines propositions progressistes avancées trente ans plus tôt dans Social Statics.
L’ÉVOLUTION AU SERVICE DE L’INDIVIDUALISME LIBÉRAL
53Les conclusions auxquelles s’arrête Spencer dans la dernière partie de son système, composée des Principes d’éthique, se rencontrent en grande partie dans L’introduction à la science sociale et renvoient à son écrit de jeunesse sur la sphère propre du gouvernement. Dans la préface au premier volume des Principes d’éthique, il admet :
… mon premier essai indiquait vaguement que je concevais l’existence de certains principes généraux du bien et du mal dans la conduite politique ; depuis cette époque, mon but final, poursuivi à travers tous les buts prochains que je me suis proposés, a toujours été de découvrir une base scientifique pour les principes du bien et du mal dans la conduite en général111.
54La rédaction du premier volume des Principes d’éthique débute dès 1878, alors que Spencer réalise que le travail sur la sociologie requiert plus de temps que prévu. Afin de récupérer les données nécessaires à la rédaction des Principes de sociologie, Spencer s’engagea dans un projet intitulé Descriptive Sociology112. Cette étude, initiée en 1867, juxtapose des tableaux de faits sociaux dans un ordre chronologique afin d’en tirer, étape par étape, les lois du fonctionnement de l’évolution sociale sous-tendant le progrès entre les différentes formes historiques. Pour mener ce projet, Spencer travaille à partir de récits de voyages et d’autres témoignages ethnologiques. Confronté à la quantité des sources, il décide de partager la tâche avec un collaborateur et engage un secrétaire, David Duncan, qui deviendra son biographe. Malheureusement, la Sociologie descriptive s’avère un fiasco financier. Craignant que sa santé, rendue fragile avec les années, ne l’empêche de rédiger la partie de son système philosophique relatif à l’éthique, Spencer interrompt le travail sur la sociologie. Il explique l’importance des Principes d’éthique pour l’ensemble de la Philosophie synthétique en affirmant : « cette dernière partie de la tâche est celle pour laquelle toutes les parties précédentes ne sont […] qu’une préparation113 ».
55Spencer termine l’écriture du premier volume, intitulé Data of Ethics, en seulement six mois114. Au début de cet ouvrage, il avertit le lecteur à propos du vide désastreux causé par la décadence d’un système moral devenu insuffisant alors qu’aucun autre système n’est prêt à le remplacer. Spencer ne prétend pas fonder une nouvelle morale. Il propose de démontrer que les prescriptions éthiques, jadis soutenues par une autorité sacrée, correspondent à la loi de l’évolution et que la nature tend vers le bonheur. La constatation selon laquelle les lois naturelles sont bienfaisantes rappelle les doctrines de théologie naturelle, notamment celle de William Paley115, quoique Spencer déclarait mal la connaître116. La position de Spencer présente également des similitudes avec l’utilitarisme de Jeremy Bentham, mentionné à plusieurs reprises dans Social Statics et dans The Data of Ethic. Reconnaissant cette parenté intellectuelle, Spencer remarque : « Aucune école ne peut donc éviter de prendre pour dernier terme de l’effort moral un état désirable de sentiment, quelque nom d’ailleurs qu’on lui donne : récompenses, jouissance ou bonheur. Le plaisir, de quelque nature qu’il soit, […] voilà l’élément essentiel de toute conception de moralité117 ». Spencer spécifie cependant que ses prédécesseurs n’ont pas su aller au bout de leur réflexion causale pour parvenir à une véritable morale scientifique118. Lui, en revanche, estime qu’il est possible de déduire des lois de la vie les actions qui tendent nécessairement au bonheur ainsi que les lois scientifiques de la conduite morale119.
56La plus importante parmi ces lois définit la justice humaine suivant une formule méritocratique : « chaque individu devra recevoir les profits et les pertes de ses propres nature et conduite120 ». Pour élever cette loi au rang de maxime scientifique, Spencer l’assoit sur le principe biologique de l’égoïsme rationnel. D’après lui, l’égoïsme forme le sentiment naturel de l’être vivant puisque celui-ci doit en premier lieu assurer son existence individuelle. L’intérêt de l’individu ne se limite pourtant pas à sa propre personne, comme en atteste la conduite altruiste manifestée vis-à-vis de la progéniture. Égoïsme et altruisme sont coessentiels. D’un côté, l’altruisme dépend de l’égoïsme, car les actes concourant au maintien de la vie précèdent les autres. De l’autre, l’égoïsme dépend de l’altruisme, car sans une conduite altruiste, la conservation de l’espèce ne saurait être assurée. Égoïsme et altruisme sont également co-régulateurs et s’équilibrent dans un mouvement perpétuel. Un égoïsme trop poussé risque de devenir nocif lorsqu’il s’oppose aux intérêts de l’espèce, tandis qu’un altruisme sans limites comporte le danger d’un appauvrissement du patrimoine héréditaire. L’égoïsme reste tout de même la valeur prééminente, conditionnant la morale spencérienne par son antériorité biologique comme seul centre réel d’appréciation du bonheur121.
57La prémisse de l’égoïsme rationnel trouve son complément dans le principe de la survie du plus apte. Ayant établi que le bonheur individuel précède le bonheur général, Spencer décrit le progrès social comme résultant de la multiplication des membres les plus heureux de la société, c’est-à-dire ceux capables de s’adapter à leur environnement et de laisser une descendance qui hérite de leurs meilleures adaptations122. La survie du plus apte devient de cette manière à la fois une théorie explicative de la nature biologique et une théorie normative de la nature humaine. Selon Spencer, il suffit de laisser la nature suivre son cours pour arriver à l’état supérieur de l’évolution morale, dénommée « morale absolue ». Dans cet état, les individus, se respectant entre eux, reconnaîtront mutuellement leurs droits et limiteront volontairement l’exercice de leurs libertés. Les êtres humains pourront atteindre cette nature morale plus élevée uniquement de façon libre, en procédant au rythme naturel du développement social.
Toute notre argumentation repose sur l’idée que pour chaque société, et pour chaque phase de son évolution, il y a un mode de pensée et de sentiment approprié, et que tout mode de pensée et de sentiment qui n’est pas adapté au degré d’évolution et aux conditions du milieu ne peut être établi d’une manière permanente123.
58La « morale absolue » correspond à l’état industriel, état parfait de paix et de non-agression, dans lequel l’individu est entièrement adapté à son environnement et ses actes conduisent nécessairement au plus grand bonheur personnel et général. La « morale relative », en revanche, s’applique à l’état militaire et à tous les autres états semi développés. Les principes de la « morale absolue » étant uniquement valables pour la société industrielle pleinement développée : « il est donc évident que nous devons considérer l’homme idéal comme existant dans l’état idéal. […] c’est seulement quand ils [l’homme idéal et l’état idéal] coexistent qu’il peut y avoir une conduite idéale, dont la morale absolue doit trouver la formule, et que la morale relative doit prendre comme règle pour estimer combien on est éloigné du bien, et quelles sont les règles du mal124 ». Spencer souligne toutefois que, même dans l’état idéal d’harmonie et d’entraide, la lutte pour l’existence restera un facteur indispensable du dynamisme d’adaptation continuelle et de marche vers le progrès. La survie du plus apte ne sera jamais remplacée par la « morale absolue ». Elle se transformera en une « lutte industrielle pour l’existence125 ». La différence essentielle entre le sauvage non civilisé et l’individu moral pleinement développé réside dans le fait que le premier cherche à pousser la lutte pour l’existence jusqu’à son dénouement sanglant, tandis que le second consacre toute son énergie à la contenir dans des limites raisonnables.
59Le concept de « lutte industrielle » permet à Spencer de lier la concurrence vitale à la concurrence économique et d’appuyer son individualisme libéral sur la biologie, tout en soutenant une politique non réformiste. Il déclare que l’imperfection de l’être humain au temps présent nous empêche de suivre les règles de la « morale absolue ». Il faut se contenter d’autres arrangements qui prennent en compte notre développement incomplet en aspirant à cet idéal. Spencer met néanmoins en garde contre l’adoption de réformes radicales. La « morale relative », soutient-il, ne doit pas être prise comme raison pour introduire des réformes de type socialiste. Ces réformes, en cherchant à améliorer l’individu par des mesures artificielles, ne font qu’entraver le progrès vers l’état supérieur. La position conservatrice impliquée par cette vision désavoue les propos radicaux concernant la redistribution des richesses, exprimées dans Social Statics trente-cinq ans plus tôt. Pour justifier cette volte-face Spencer déclare que ses propositions antérieures, notamment en faveur de la nationalisation des propriétés foncières, relevaient du système de l’éthique absolue, non de celui de l’éthique relative : « En les écrivant […] j’avais à l’esprit un futur lointain où une meilleure adaptation de la nature humaine à la vie sociale serait atteinte, et où des arrangements sociaux purement équitables seraient rendus praticables126 ». Ainsi conçu, l’idéal industriel devient une utopie. Le stade final de l’évolution ne peut qu’être approché, et l’avenir lointain demeure en réalité complètement hypothétique. Spencer admet lui-même que l’évolution nous enseigne la mesure et la patience :
Il est évident qu’autant qu’une doctrine peut influencer la conduite générale – ce qu’elle ne peut qu’à un degré relativement faible – la doctrine de l’évolution, dans ses applications à la société, est destinée à produire sur l’action comme sur la pensée un effet modérateur127.
60Le changement dans les propositions politiques de Spencer se révèle désastreux pour l’intégrité de son système philosophique. Les Principes de sociologie et les Principes d’éthique, conçus au départ pour justifier l’application des lois de l’évolution aux sociétés humaines – évolution qui devrait s’achever avec l’adaptation parfaite de l’homme à l’état industriel – aboutissent à une autre conclusion. Les énoncés les plus radicaux, déduits de la loi de la liberté égale, se trouvent disqualifiés. Le refus de Spencer de remettre en question l’ordre établi et de soutenir une politique libérale plus avancée semble alors étouffer son esprit progressiste. Bien que la publication en 1896 du dernier volume des Principes de sociologie, clôturant le Système de philosophie synthétique après tant d’années difficiles et une rédaction plusieurs fois interrompue, soit reçue en véritable triomphe128, elle ne parvient pas à masquer l’isolement politique de Spencer dans son propre pays. À l’étranger, beaucoup de ses adeptes français et italiens de la première heure critiquent de plus en plus fortement l’interprétation spencérienne de l’analogie organique. Pour eux, Spencer a admirablement exposé l’ordre de la nature et de la société, mais les conclusions politiques et morales auxquelles il est parvenu sont manifestement erronées. Afin de comprendre leurs critiques et les théories proposées en alternative, nous examinerons, en premier lieu, les modalités d’introduction et de diffusion des idées de Spencer en France et en Italie dans les années 1860-1870.
Notes de bas de page
1 Spencer 1904 ; Duncan 1908.
2 Francis 2007 ; Taylor 2007 ; Jones et Peel (ed.) 2003 ; Becquemont et Mucchielli 1998 ; Perrin 1993 ; Tort 1987 ; Peel 1971, 1972 (ed.).
3 Spencer 1836.
4 Spencer 1842.
5 Spencer 1987 [1907], p. 88-89.
6 Spencer 1904, I : 242.
7 Wiltshire 1978, p. 49.
8 À propos de la relation entre Spencer et Eliot, voir Paxton 1991.
9 Spencer 1868 [1851].
10 Ibid., p. 121, trad. NB.
11 Ibid., p. 106.
12 Spencer 1903a [1874], p. 241.
13 Spencer 1861.
14 Spencer 1974 [1878], p. 63-64.
15 La Vergata 1990, p. 124-172.
16 Petit 2003, p. 107, note 92.
17 Comte A. « Lettre à Mill 20 Nov. 1841 », cité dans Petit 2003, p. 108.
18 Larizza-Lolli 2003, p. 222.
19 Comte A. 1848. Discours sur l’ensemble du positivisme, cité dans Petit 2003, p. 108.
20 Petit 2003, p. 87.
21 Bourdeau 2003, p. 5.
22 Becquemont 2003a, p. 58.
23 Becquemont 2003b, p. 317.
24 Une traduction anglaise du Cours de philosophie positive, commencée en 1851 aux États-Unis, esr désavouée par Comte et reste inachevée.
25 Becquemont 2003b, p. 321-322.
26 Huxley T. 1878, cité dans Becquemont 2003b, p. 328-329.
27 Spencer 1904, I : 292 et 413.
28 Spencer 1864.
29 Mill 1848.
30 Spencer 1872, p. 124-125.
31 Mill « Letter to H. Spencer, April 3rd 1864 », cite dans Duncan 1908, I : 114-115.
32 Spencer 1904, I : 412-414.
33 Spencer 1872, p. 124.
34 Spencer 1904, I : 517. Spencer remarque que dans sa dernière conversation avec George Eliot, il est évident que celle-ci s’est éloignée des vues de Comte au point de préférer celles de Spencer, qui en divergent considérablement en ce qui concerne la conception de la société. Voir Spencer 1904, II : 430.
35 Spencer 1872, p. 122, note 1.
36 Martineau 1853.
37 Lewes 1845-1846.
38 Spencer 1872, p. 129.
39 Spencer 1892a [1864], II : 134-136.
40 Spencer 1854.
41 Spencer 1872, p. 1.
42 Ibid., p. 6.
43 Ibid., p. 10-11 ; Spencer 1892a [1864], II : 104.
44 Spencer 1898a [1862], p. 136.
45 Le titre original est A System of Philosophy. Ce n’est qu’en 1871 que Spencer adopte officiellement la désignation « synthétique ». Perrin 1993, p. 149-150. Pour une reproduction du prospectus, voir Spencer 1904, II : 557-562.
46 Spencer 1898a [1862].
47 Ibid., p. 285, 409.
48 Spencer 1872, p. 111-112.
49 Spencer 1898a [1862], p. 110.
50 Ibid., p. 21, trad. NB.
51 Ibid., p. 15, 46, trad. NB.
52 Spencer 1920 [1871], p. 17.
53 Spencer 1872, p. 103-107.
54 Ibid., p. 98-99.
55 Spencer 1904, II : 128.
56 Spencer 1872, p. 110
57 Spencer 1987 [1907], p. 217.
58 Spencer 1852a (voir Spencer 1892a, vol. I).
59 Lyell 1830-1833.
60 Spencer 1904, II : 7.
61 Spencer 1852b.
62 Spencer 1872, p. 130-131.
63 Carpenter 1841.
64 Richards 1987, p. 269, 283-284.
65 Duncan 1908, II : 502, trad. NB.
66 Spencer 1857 (voir Spencer 1892a, vol. I).
67 Conscient du problème que pose le caractère métaphysique de la partie sur l’Inconnaissable pour un système synthétique qui se veut scientifique, Spencer déclare qu’il ne faut pas prendre celle-ci pour base de la Philosophie Synthétique. Cette place est réservée à la partie sur le Connaissable. Spencer 1920 [1871], p. 100-101.
68 Spencer 1898a [1862], p. 291, trad. NB.
69 Ibid., p. 337, trad. NB
70 Spencer 1904, II : 57, trad. NB.
71 Spencer 1863-1864.
72 Spencer 1898b [1898-1899], I : 80, trad. NB.
73 Ibid., p. 167, trad. NB.
74 Ibid., p. 449, trad. NB.
75 Spencer 1904, II : 316.
76 Spencer 1904, II : 115-116, trad. NB.
77 Darwin utilise l’expression spencérienne à partir de la cinquième édition de L’origine des espèces, parue en 1869, où le quatrième chapitre porte le titre : « La sélection naturelle ou la survie du plus apte ».
78 Spencer 1904, II : 115.
79 Spencer 1887.
80 Contemporary Review, 1893 no 63, 64 et 1894 no 66.
81 Spencer 1898b [1898-1899], II : part VI.
82 Spencer 1987 [1907], p. 249.
83 Darwin 1984 [1887], p. 90.
84 Becquemont D. et Ottavi D. 2011b, p. 28.
85 Spencer 1904, I : 228-229, 634-638. Sur les rapports de Spencer avec la phrenology, voir Richards 1987, p. 250-253.
86 Spencer 1892b, I : 573, trad. NB.
87 Ibid., p. 140, trad. NB.
88 Ibid., p. 141-142.
89 Spencer 1904, I : 277 ; Mill 1843.
90 Spencer 1892b, I : 163-192.
91 Ibid., p. 304 et seq.
92 Duncan 1908, I : 75, trad. NB.
93 Spencer 1904, II : 264-265.
94 Spencer 1873.
95 Spencer 1904, I : 517.
96 Ibid., p. 292-293.
97 Spencer 1987 [1907], p. 394.
98 Spencer 1885a [1874], p. 421.
99 Ibid., p. 332.
100 Spencer 1903a [1874].
101 Schlanger 1971.
102 Spencer 1860 (voir Spencer 1892a vol. I).
103 Spencer 1882, p. 191-192.
104 Spencer 1910, I : 461.
105 Spencer 1885a [1874], p. 212.
106 Spencer, 1882, p. 196.
107 Spencer 1883a, p. 812-813.
108 Spencer 1874a, p. 327-328.
109 Spencer 1904, II : 340.
110 Spencer 1885a [1874], p. 192.
111 Spencer 1885b [1880], p. v.
112 Spencer 1873-1881.
113 Spencer 1885b [1880], p. v.
114 Spencer 1879.
115 Paley 1802.
116 Duncan 1908, II : 146.
117 Spencer 1885b [1880], p. 38.
118 Ibid., p. 47, 134.
119 Spencer 1987 [1907], p. 304-306.
120 Spencer, 1892c, p. 9, trad. NB.
121 Spencer 1885b [1880], p. 170-172.
122 Ibid., p. 162-164.
123 Spencer 1885a [1874], p. 422.
124 Spencer 1885b [1880], p. 240.
125 Spencer 1910, II : 610.
126 Duncan 1908, I : 247, trad. NB.
127 Spencer 1882, p. 433.
128 Spencer reçoit à cette occasion une lettre d’admiration collective à laquelle de nombreuses figures importantes du monde politique et philosophique britannique joignent leurs félicitations. Voir Duncan 1908 II : 98-101.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Michelet, à la recherche de l’identité de la France
De la fusion nationale au conflit des traditions
Aurélien Aramini
2013
Fantastique et événement
Étude comparée des œuvres de Jules Verne et Howard P. Lovercraft
Florent Montaclair
1997
L’inspiration scripturaire dans le théâtre et la poésie de Paul Claudel
Les œuvres de la maturité
Jacques Houriez
1998