Préface
p. 9-12
Texte intégral
1L’histoire du Second Empire a connu de profonds renouvellements historiographiques au cours des dernières années et le livre que nous propose aujourd’hui Antoine Schwartz s’inscrit dans ce mouvement. Le libéralisme caméléon. Les libéraux sous le Second Empire est une ample réflexion qui relève à la fois de la science politique et de l’histoire des idées sur le libéralisme et ses différentes formes à un moment charnière de notre contemporanéité, le tournant des années 1860.
2Dans un plan ternaire d’une grande limpidité, l’auteur commence par évoquer la décennie précédente pour mieux comprendre ce qui se joue alors.
3Après le coup d’État du 2 décembre 1851 réalisé par le président de la République Louis-Napoléon Bonaparte pour se maintenir au pouvoir, les libertés politiques sont comprimées par la nouvelle Constitution du 14 janvier 1852, les décrets qui la suivent et les mesures d’accompagnement du rétablissement de l’Empire, en fin d’année. Les libéraux sont vaincus, éloignés du pouvoir lorsqu’ils sont restés fidèles à leurs convictions, isolés, désespérés. Alors seul opposant libéral au sein du Corps législatif, le comte de Montalembert a pu écrire sur cette période : « Nul ne saura jamais ce que j’ai souffert dans cette cave sans air et sans jour, où j’ai passé dix ans à lutter contre des reptiles »1.
4Cependant, ces années cinquante sont aussi pour eux une intense période de réflexion au cours de laquelle ils doivent apprendre à ruser avec le pouvoir et sa censure pour faire connaître leurs idées et frotter leurs cervelles les unes aux autres sous la Coupole de l’Académie française, dans les salons et dans les salles de rédaction des rares journaux d’opposition encore autorisés à paraître. Un publiciste de vingt-cinq ans, Anatole Prévost-Paradol, sorti peu auparavant major de l’École normale supérieure, commence à exceller dans cet art, au sein du grand périodique libéral, le Journal des débats.
5Ainsi que le souligne Antoine Schwartz, une cristallisation commence à s’opérer en 1860. Transgressant les clivages des « anciens partis » comme le pouvoir qualifie le légitimisme, l’orléanisme et le républicanisme pour mieux les dénigrer, quelques figures libérales essaient de constituer un corps de doctrine commun et cohérent. Ils sont convaincus qu’une ère nouvelle s’est ouverte depuis 1848 et qu’il faut désormais apprivoiser la démocratie, la concilier avec la liberté, bâtir une « démocratie libérale », expression qui naît alors, pour faire triompher le libéralisme. La pensée de certains auteurs étrangers tel John Stuart Mill, commence à se diffuser et à rayonner. C’est aussi le moment où, conseillé par une partie de son entourage dont le comte, puis duc de Morny, Napoléon III prend les premières mesures de libéralisation de son régime pour essayer de rallier les plus modérés des libéraux et pour isoler les moins bonaparto-compatibles et les irréductibles.
6En vue des élections législatives de 1863, les libéraux de tous bords parviennent néanmoins à s’entendre en faisant provisoirement taire leurs divisions sur la nature du meilleur des régimes pour la France, la monarchie ou la république, ainsi que leurs querelles dynastiques. Ils parviennent même à élaborer une stratégie d’alliance. Se constitue alors une « Union libérale », formule qu’invente un journal de Marseille, Le Sémaphore et que s’approprient rapidement les principaux intéressés. Son étude minutieuse constitue la partie centrale et pivotale du livre, celle autour duquel il est conçu.
7Si les élections de 1863 permettent au pouvoir de conserver une large majorité grâce au système de la candidature officielle et au soutien des campagnes, elles marquent une nette progression de l’opposition dans certaines métropoles, en particulier des républicains, et si un grand nombre de candidats légitimistes, orléanistes et indépendants de l’Union sont défaits, ce demi-échec est masqué par le succès de deux de leurs plus grandes figures, le grand orateur légitimiste, Berryer, et l’ancien principal ministre de Louis-Philippe, Thiers. Alors que le pouvoir hésite et alterne désormais nouvelles mesures de libéralisation et pas en arrière, ce sont les libéraux qui semblent donner le tempo. Au Corps législatif, Thiers prononce un discours clé sur les libertés nécessaires dont le pays a besoin qui se termine par un avertissement : si le pouvoir les accorde, il peut espérer voir les libéraux se rallier à lui, mais s’il les refuse, il devra compter ses jours. En 1865, Prévost-Paradol, chantre de l’Union libérale reconnu par ses pairs, est élu à l’Académie française, temple du libéralisme, à seulement trente-cinq ans. Deux ans plus tard, c’est au tour du républicain Jules Favre d’être élu sous la Coupole avec les voix des libéraux légitimistes et orléanistes.
8Le chant du cygne de l’Union libérale est pourtant proche. Les élections législatives de 1869 sont un cuisant échec pour ses partisans au moment précis où, au sein même de la majorité impériale, un grand nombre de députés se font élire ou réélire en soutenant un programme d’élargissement des libertés. C’est au républicain rallié Émile Ollivier que Napoléon III confie la mission de fonder l’Empire libéral, expérience originale de démocratie libérale. Un grand nombre de libéraux s’y rallient, cependant que d’autres restent dans une expectative prudente et que la majorité des figures du républicanisme se disent irréconciliables avec le régime, fustigent ceux de leurs anciens amis qui franchissent le Rubicon et menacent ceux qui semblent vouloir le faire à courte ou moyenne échéance. Prévost-Paradol accepte pour sa part de servir l’Empire libéral comme ministre plénipotentiaire à Washington. Arrivé sur place, il apprend que la France vient de déclarer la guerre à la Prusse, réalisation d’une prophétie lourde de menaces qu’il avait formulée quelques mois plus tôt dans son ouvrage La France nouvelle2. Il se donne la mort à quarante ans. Le Second Empire et son ultime expérience libérale ne lui survivent que six semaines !
9Prévost-Paradol, à juste titre très présent dans l’ouvrage, comme les autres grandes figures du libéralisme du temps, les Thiers, Guizot, Rémusat, Broglie, Barrot, Montalembert, Laboulaye, Nefftzer, Ollivier, etc., éclaire par son parcours, de façon singulière, ces trois moments de genèse de la démocratie libérale.
10Grâce à l’analyse minutieuse, presque clinique à laquelle Antoine Schwartz se livre, des classements et des reclassements politiques, le plus souvent négligés par la littérature classique et par une histoire des idées déconnectée d’une indispensable contextualisation, nous comprenons mieux, à la suite d’autres travaux qui ont ouvert la voie, les recompositions politiques qui s’opèrent au cours de la décennie suivante et qui président à l’avènement de la Troisième République, à l’adoption des lois constitutionnelles et au succès de l’opportunisme républicain.
11Cette histoire qui nous est ici proposée est très dynamique et se lit facilement. Tel en est l’un des atouts. Version entièrement remaniée d’une thèse de doctorat soutenue à l’université Paris-Ouest Nanterre en 2011, Le libéralisme caméléon présente à la fois la rigueur scientifique d’un travail universitaire de grande qualité, indispensable pour devenir un ouvrage de référence, et la fluidité de style, d’exposition et de présentation nécessaires pour qu’il puisse rencontrer un large public. On ne peut que se féliciter que les Presses universitaires de Franche-Comté nous le proposent sous cette forme.
12Ajoutons enfin que le livre prend une importance singulière dans notre actualité. Que veut dire être libéral et qu’entendre par démocratie libérale ? Ces questions que l’on se posait il y a 160 ans déjà méritent de l’être à nouveaux frais aujourd’hui, mais en s’appuyant sur l’éclairage du passé. On trouvera des éléments de réponse importants dans les pages qui suivent. Il reste à l’auteur de ces lignes à vous en souhaiter une bonne lecture.
Notes de bas de page
Auteur
Maître de conférences (HDR) en histoire à Sorbonne Université.
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