Historique du concept d’intertextualité
p. 17-64
Texte intégral
1Il est d’usage de remonter à l'étymologie pour établir le sens élémentaire d'un concept. En ce qui concerne l'intertextualité, le préfixe latin "inter-" indique la réciprocité des échanges, l'interconnexion, l’interférence, l'entrelacs ; par son radical dérivé du latin "textere", la textualité évoque la qualité du texte comme "tissage", "trame"1 ; d'où un redoublement sémantique de l'idée de réseau, d'intersection. L'intertextualité caractériserait ainsi l'engendrement d’un texte à partir d'un ou de plusieurs autres textes antérieurs, l'écriture comme interaction produite par des énoncés extérieurs et préexistants. Au-delà de ce premier constat, le recours à l'étymologie s'apparente à une reconstitution incomplète et sans doute artificielle. En effet, pour avoir été reconnue comme une dimension essentielle de la communication verbale, l'intertextualité renvoie surtout à des enjeux cognitifs, à l'élaboration de méthodes d'analyse littéraire actuellement très usitées. Le déploiement de ce vaste domaine de recherches a donné lieu à des interprétations variables, à des remaniements terminologiques et à des rapprochements avec d'autres disciplines. Mais il importe aussi de dégager les constantes, les recoupements possibles entre des strates aussi diversifiées. Certes, les principales contributions et les apports plus marginaux forment autant de jalons qui confirment, d'un point de vue épistémologique, l'étendue et la vitalité de ce champ notionnel.
2En outre, une enquête rétrospective permet d'aborder un autre problème : tandis que les phénomènes décrits par l'intertextualité sont anciens, ce néologisme s'inscrit à l'origine dans la filiation directe des théories du Texte qui, des années 60 aux années 70, visent à substituer à l'histoire littéraire des modèles empruntés à la linguistique structurale ; son apparition renvoie à des objectifs, à des stratégies, à des prescriptions de la modernité qui, depuis lors, ont eu tendance à s'effacer, à se réduire. Son impact a suscité des réactions hostiles ou des malentendus dont les représentations négatives sont également révélatrices. Ainsi, on a reproché aux études d’intertextualité d'ouvrir un abîme insondable où se perdaient, d'écho en écho, la linéarité de la lecture et la cohérence interne du texte. Par ailleurs, ce récent métalangage ne risquait-il pas d'instaurer un décalage par rapport à des pratiques que les écrivains eux-mêmes ont désignées par d'autres termes ? De nombreuses études critiques ont contribué à résoudre ces difficultés afin d'utiliser l’intertextualité comme un ensemble d'indices et de repères, en y introduisant des critères plus spécifiques comme le contexte, l'auteur, le genre, le corpus.
3L'ampleur des phénomènes considérés et les confrontations nécessaires à des avancées théoriques ont probablement préservé l'intertextualité du déclin ou d'une certaine désaffection. Au-delà des effets de la mode et d'une simple querelle d’étiquettes, cet objet du savoir littéraire semble avoir atteint une phase de maturité et de stabilité relatives où il compose plus aisément qu'à l'origine avec des centres d’intérêt parallèles, avec des problématiques antérieures ou dérivées.
1. Les principaux modèles de l’intertextualité et leurs postulats méthodologiques
4C'est Julia Kristeva qui a forgé en français le terme d'intertextualité vers 1966, comme en témoignent deux articles repris dans Semiotikè. Recherches pour une sémanalyse (1969) : "Le mot, le dialogue et le roman", daté par l'auteur de 1966, et "Le texte clos", daté de 1966-67. Leurs titres laissent déjà apparaître ce fait essentiel : la formation de ce concept kristevien est à replacer dans le cadre de référence que constituent les travaux de Mikhael Bakhtine à l'articulation de la linguistique et de la théorie littéraire :
[...] l’axe horizontal (sujet-destinataire) et l'axe vertical (texte-contexte) coïncident pour dévoiler un fait majeur : le mot (le texte) est un croisement de mots (de textes) où on lit au moins un autre mot (texte). Chez Bakhtine d'ailleurs, ces deux axes, qu'il appelle respectivement dialogue et ambivalence, ne sont pas clairement distingués. Mais ce manque de rigueur est plutôt une découverte que Bakhtine est le premier à introduire dans la théorie littéraire : tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte. À la place de la notion d'intersubjectivité s'installe celle d'intertextualité f...]2.
5On sait que l'importance des ouvrages de Bakhtine a été tardivement reconnue ; ils ne seront publiés en traduction française qu'à partir de 1970 ; Tzvetan Todorov en tient compte, en 1981, dans un essai de synthèse qui explique les circonstances de leur diffusion3. En faisant ici référence à ce chercheur soviétique, J. Kristeva commente pour l'essentiel Problemy poétiki Dostoevskogo (Problèmes de la poétique de Dostoïevski, trad. fr. 1970), dont la première publication en russe remonte à 1929 et dont la seconde édition, remaniée et augmentée par l'auteur, venait de paraître à Moscou en 1963. En effet, les concepts bakhtiniens de dialogisme et d'ambivalence opèrent un dépassement critique des Formalistes russes qui vaut également à l'encontre de l'influence prépondérante de la linguistique saussurienne voire jakobsonienne. Ils tendent à récuser "l’objectivisme abstrait" qui se borne à décrire le langage comme un système clos, neutre, préétabli et toujours réitérable. Au contraire, Bakhtine s'intéresse à la production des énoncés singuliers qu’il analyse comme l'interaction des interlocuteurs dans un contexte concret. Sous des modalités diverses, l'énonciateur renvoie toujours à la voix d'autrui et à l'arrière-plan social (au-delà des rapports intersubjectifs) : tantôt de manière explicite et directe, pour la comprendre ou la rejeter (dialogue), tantôt de manière plus cachée, ou ambivalente pour disqualifier un énoncé (parodie) ou l'imiter de manière détournée (stylisation, hybridation...). L'on ne saurait échapper au déjà dit omniprésent, même dans la création littéraire, car tout discours rencontre à son insu le contexte culturel contemporain et la trace objective des usages antérieurs des mots dans la mémoire collective. C'est le roman qui atteint pour Bakhtine le degré le plus élevé des échanges dialogiques : ce genre mixte, hybride par essence, exploite massivement les ressources de l'ironie et de la parodie. Le roman polyphonique inventé par Dostoïevski marque un ultime accomplissement de ce potentiel dialogique : les points de vue inconciliables des personnages se combinent en une pluralité de consciences autonomes ; l'auteur n'intervient plus pour imposer une vérité transcendante. La polyphonie affranchit l'écriture des certitudes dogmatiques, car elle prend acte de l'altérité fondamentale des rapports humains pour en assumer pleinement les effets de dispersion. Elle subvertit par là même le "monologisme", c'est-à-dire le régime autoritaire d'une parole officielle servant à véhiculer une thèse, une idéologie.
6Le principe dialogique ne se limite donc pas aux formes du dialogue mais il coïncide avec un phénomène "bivocal" ou "plurivocal". Alors que Bakhtine construit une typologie différenciée des discours, des styles et des genres depuis l'Antiquité, l'intertextualité s'applique au statut fondamental de toute textualité. Cette extension de sens rejoint les théories du Groupe Tel Quel. En effet, la définition kristevienne du texte comme intertextualité insiste sur l'"infinité potentielle" des mots et des discours d'autrui dans la pensée moderne ; elle confère à l'écriture, au-delà de toute intentionalité, les propriétés de "l'hybride", les composantes d'un pluriel indifférencié de pratiques signifiantes : autant de positions théoriques qui s'attaquent aux prétentions idéalistes de la conscience créatrice. L'avènement de "l'intertextualité" annoncerait la fin de l'intersubjectivité où se complaisent l'écrivain et ses lecteurs : il s'agit avant tout de désacraliser l'autorité de l'auteur, de le destituer de son illusion d'originalité, et de récuser par là même les prérogatives de l'œuvre finie, achevée, autonome ; le déni de l'individualité, l'impersonnalité de l'acte d'écriture, tels sont les postulats de l'intertextualité dans sa première acception.
7Parallèlement à l'intertextualité, "Le Texte clos" proposait un néologisme plus restrictif, l'"idéologème", qui désigne le "foyer" de transformation des énoncés. J. Kristeva entendait ainsi souligner – conformément au principe dialogique – que tout texte opère dans une intertextualité fondée sur un contexte historique, sur des déterminations socio-culturelles. Mais le concept moins neutre d"'idéologème" évoque l'analyse marxiste et en particulier l'influence d'Althusser ; cet instrument d'analyse des phénomènes intertextuels n’a pas rencontré le même engouement consensuel. Ce sont des théoriciens ultérieurs qui, dans une perspective très différente, insisteront sur le rôle du contexte de la réception4 dans les phénomènes de l'intertextualité. Les présupposés de la modernité valorisent ici une représentation matérialiste de la production textuelle comme « appareil translinguistique qui redistribue l'ordre de la langue » pour se mettre en connexion avec « différents types d'énoncés antérieurs ou synchroniques »5. Le modèle mécaniciste – très répandu chez les théoriciens de cette période – tend à assimiler le texte à
une productivité, ce qui veut dire : 1. son rapport à la langue est redistributif (destructivo-constructif), par conséquent il est abordable à travers des catégories logiques plutôt que purement linguistiques ; 2. il est une permutation de textes, une intertextualité : dans l'espace d'un texte plusieurs énoncés, pris à d'autres textes, se croisent et se neutralisent6.
8J. Kristeva situe le rôle générateur de l'intertextualité à partir d'une dichotomie fondamentale en linguistique : l'articulation de l'axe paradigmatique (permutation, sélection des emprunts) et de l'axe syntagmatique (redistribution ou combinaison horizontale de la séquence, enchaînement -enchâssement dans le contexte). Si les textes littéraires sont une composante parmi d'autres de ce processus, leur spécificité n'est pas prise en compte dans Recherches pour une sémanalyse ; cette catégorie tend à être absorbée dans un ensemble plus vaste, l'interdiscursivité, d'autant plus opératoire lorsqu’il s'agit de repérer les signes de l'idéologie sociale ou de son renversement historique et critique.
9Dans la mesure où l'intertextualité kristevienne se réclame de la sémiotique, ne pourrait-elle pas faire intervenir d'autres codes et contextes d'emprunt ? Un texte, on le sait, peut être engendré à partir d'autres langages ainsi que de maintes sources culturelles : les arts plastiques, la musique, l'opéra... Dans le discours de J. Kristeva, la notion indifférenciée de texte paraît applicable à d'autres supports que l'écrit : l'enregistrement radiophonique, les techniques d'improvisation, de remémoration dans la diffusion de la poésie orale, des mythes, des contes traditionnels à travers leurs multiples versions. Elle pourrait s'étendre aussi à des formes d’expression hybrides, combinant le message textuel à des systèmes de signes non verbaux : le théâtre, l'opéra, le cinéma, la bande dessinée, l'informatique, la télématique... Ainsi, par exemple, dans des créations contemporaines, des croisements, des permutations rapprochent le texte, l'image, les rythmes ou des structures mélodiques. Le fait même de redistribuer des énoncés autour de systèmes de signes figuratifs ou musicaux accentue encore l'intime fusion de l'hétérogénéité, le pluriel irréductible des matériaux de l'intertextualité : citons encore, parmi les possibles de l’hypothèse sémiotique, la transposition d'un mythe dans une œuvre théâtrale, l'ekphrasis d'un tableau, l'utilisation des documents iconographiques à l’origine d’une pratique d'écriture ; leur insertion ou leur engendrement dans l'esthétique de certains textes : illustrations, emblèmes, collages, calligrammes, photomontages, ou encore citations insérées dans les films de Godard... Dès lors, sur le plan diachronique, les lois génératrices de l'intertextualité, dans leur universalité, pourraient même être assimilables à l'évolution historique d'autres arts que le langage verbal : l'intégration de l'héritage, le rejet et la transformation des modèles en peinture, en musique, en sculpture, en architecture... Cependant, d'une manière toujours ambivalente, l'extension démesurée du concept en affaiblit la validité : ce trop puissant levier de la sémiotique lui ôte la rigueur que lui garantissait son sens étymologique : au niveau de la stricte dénotation, il s'agit de rendre compte d'interconnexions ayant pour objet un ou des textes. Tout au moins faut-il souligner que ces pratiques discursives ou esthétiques hétérogènes devront être incorporées et transposées dans un texte.
10En fait, contrairement aux orientations de Bakhtine, J. Kristeva s'en réfère aux principales catégories logiques pour expliquer les règles de transformation des énoncés dans l'intertextualité. Cette hypothèse témoigne de l’influence de la grammaire générative de Chomsky. En outre, la référence aux modèles formels des mathématiques est perceptible dans un article intitulé "Pour une sémiologie des paragrammes" (1966) où J. Kristeva expérimente sur le langage poétique une théorie parallèle à l'intertextualité (dans la mesure où Bakhtine, trop schématiquement, refusait au lyrisme poétique les composantes du dialogisme romanesque). Cette théorisation emprunte cette fois aux travaux de Saussure sur les anagrammes et "hypogrammes" une conception algébrique du "réseau paragrammatique", où les éléments transversaux ou "tabulaires" du signifiant se correspondent dans l'espace du texte poétique. La lecture linéaire est rompue pour faire surgir une constellation de signes fragmentaires, éclatés. Les paragrammes dits "lecturaux" semblent relever de l'intertextualité : ce sont, par exemple, les textes étrangers "absorbés" et défigurés dans Les Chants de Maldoror, et les Poésies de Ducasse. Ils instaurent un « processus dynamique par lequel les signes se chargent ou changent de signification7 » pour transgresser les codes. Il importe de remarquer que cette perspective transformationnelle vise à dépasser les descriptions immanentes du texte, les modèles actantiels de l'analyse structurale. Comme le montre le schéma proposé lors d'une communication au Colloque de Cluny (1968), l'intertextualité ne relève pas du phéno-texte mais d'un niveau de structuration plus profond, le "géno-texte", assimilé à un concept de Chomsky, la compétence virtuelle :
Aux deux types de structures, celles de compétence et de performance, correspondraient le géno-texte, c'est-à-dire le niveau où le texte est pensé, transformé, produit, généré, et le phéno-texte, c'est-à-dire le niveau du texte accompli, du phénomène textuel, de ce résidu dans lequel bascule le processus de production et qui est toujours moins que le processus de transformation antérieur au produit8.
11On ne sait pas quels indices de l'intertextualité sont repérables dans le phéno-texte ou s'il faut partir de la dimension génératrice de l’écriture. Contrairement à la perspective kristevienne, les recherches ultérieures sur l'intertextualité s'efforceront de détailler les méthodes d'analyse. Ici, il est encore malaisé d'extraire le concept de cette effervescence théoricienne où l'histoire littéraire et la genèse des œuvres sont ressaisies dans un langage fort peu académique. Mais de fait, la valorisation du géno-texte représente pour l'essentiel une tentative de dépassement du structuralisme. Dans La Révolution du langage poétique (1974), l'intertextualité est absente de la table des matières : J. Kristeva constate à regret dans les premières pages que « ce terme a été souvent entendu dans le sens banal de "critique des sources" » ; désormais, elle lui en préfère un autre, la « transposition », qui exprimerait mieux son propos actuel, l'"effraction" du sujet et de l'objet9 dans les textes qui vont révolutionner le langage poétique à la fin du XIXe siècle. Il s'agit ici de montrer que les textes de Mallarmé et surtout de Lautréamont-Ducasse dialoguent avec les présupposés des textes antérieurs : ils s'en approprient et, en même temps, en rejettent les lois (par négation, transformation) !10 au cours d'une véritable "épreuve de force" comparée ici, pour la première fois, à la situation du transfert analytique11.
12Michel Arrivé, en 1972, dans Les Langages de Jarry et dans un article de 197312 a suivi un autre cheminement, bien qu’il utilise, comme Julia Kristeva, les concepts de la linguistique structurale. Il s'appuie en effet constamment sur Greimas, Hjemslev et Chomsky pour définir l'intertexte dans sa littérarité comme le lieu des "isotopies connotées" : la redondance, la réitération entre les unités linguistiques (isotopie) se produit entre deux ou plusieurs textes dont les éléments analogues sur le plan de l’expression ou du contenu transforment la dénotation antérieure. Cette théorisation illustrée d'exemples précis conduit à formuler un principe opératoire : « l’objet donné est le texte, et l'objet construit l’intertexte »13.
13Roland Barthes s'est fait le porte-parole autorisé du concept d'intertexte qu'il commente sans manifester le même souci de scientificité que J. Kristeva ou M. Arrivé. Le Plaisir du texte, publié en 1974, permet de repérer cette évolution : l'un des brefs chapitres qui composent cet essai s'intitule "Intertexte". Bien que Barthes ne manie le concept que discrètement, sur un mode allusif, oblique, il amorce une "dérive" vers l'imaginaire de l'écrivain et la subjectivité du lecteur. L'intertexte selon lui évoque un halo propice, un jeu de reflets brouillés ; il acquiert une valeur rétrospective plutôt que prospective ; ainsi, Barthes reconnaît des traces de Stendhal ou de Flaubert en lisant Proust :
Je savoure [...] le renversement des origines, la désinvolture qui fait venir le texte antérieur du texte ultérieur. Je comprends que l'œuvre de Proust est, du moins pour moi, l'œuvre de référence, la mathesis générale, le mandata de toute la cosmogonie littéraire [...]. Proust, [...] ce n'est pas une "autorité" ; simplement un souvenir circulaire. Et c'est bien cela l'inter-texte : l'impossibilité de vivre hors du texte infini – que ce texte soit Proust, ou le journal quotidien, ou l’écran télévisuel : le livre fait le sens, le sens fait la vie14.
14La reconnaissance de l'intertexte suscite la connivence d'un lecteur initié. Mais elle bascule aussi dans l'aporie d'une figure circulaire ; elle admet la perception confuse et vacillante d'un phénomène massif et presque incontrôlable. Pratique sans objet, elle exerce un effet de séduction qui se dérobe à la caution des hypothèses scientifiques :
Tout ce qui est à peine toléré ou carrément refusé par la linguistique (comme science canonique, positive), la signifiance, la jouissance, c'est précisément là ce qui retire le texte des imaginaires du langage.
Sur le plaisir du texte, nulle "thèse" n'est possible ; à peine une inspection (une introspection), qui tourne court15.
15Le structuralisme est ici dépassé au nom de valeurs culturelles associées à un "bénéfice de plaisir" esthétique ; Barthes tient un discours volontiers déceptif et intransitif sur le rôle de l'intertextualité, alors que J. Kristeva insistait en 1974 sur la désacralisation efficace, le rejet subversif des modèles.
16Par la suite, le champ de l'intertextualité va être systématiquement construit, inventorié, complété. Ainsi, Jean Ricardou, en 1971, dans Pour une théorie du nouveau roman, propose de distinguer accessoirement deux régimes possibles : l'externe (le rapport d'un texte à un autre texte) et l'interne (le rapport d’un texte à lui-même)16 ; en 1975, il reformule cette dichotomie : d'une part, l'"intertextualité générale" (rapports entre textes d'auteurs différents), d'autre part, l'intertextualité restreinte (rapports entre textes du même auteur)17. Plus récemment, une nouvelle définition est venue limiter l'intertextualité à des pratiques orientées vers des textes extérieurs et "allographes" (exogenèse) tandis que l'intratextualité18 est orientée vers la textualité préexistante d'un même écrivain. Avec une certaine ambiguïté ce dernier concept désigne la circulation-intégration de fragments textuels "autographes" à l’intérieur d'un même texte, ou d'un texte à un autre, dans la chronologie de l'écriture. L'écrivain travaillerait au niveau de l’intratextualité quand il réutilise un motif, un fragment du texte qu'il rédige ou quand son projet rédactionnel est mis en rapport avec une ou plusieurs œuvres antérieures (auto-références, auto-citations).
17Les schèmes linguistiques et logiques vont être remplacés progressivement par une approche plus spécifique de la poétique littéraire. Dès lors, les phénomènes de l'intertextualité seront traités dans une perspective empirique et pragmatique, et c'est essentiellement la rhétorique qui sera mise à contribution. Le numéro spécial de la revue Poétique, en 1976, illustre déjà cet état d'esprit post-kristevien : ce sont des études littéraires approfondies et variées qui en forment la substance ; en outre, une contribution propose une approche spécifique des fonctions pragmatiques de l'intertexte critique chez Barthes, Butor et Blanchot19. Dans un article inaugural, "La stratégie de la forme", Laurent Jenny observe qu'il hérite d'un terme déjà banalisé. Pour lui restituer un sens plein, il souligne que « le travail d'assimilation et de transformation de plusieurs textes » est « opéré par un texte centreur qui garde le leadership du sens »20. Pour la première fois, la graduation des phénomènes est prise en compte, depuis l'intertextualité "faible" (l'allusion) à une intertextualité structurée qui s'étend à l'ensemble du texte. Le seuil de l'intertextualité n’est pas atteint quand il s'agit de simples analogies thématiques. L. Jenny admet que tout texte réfère aux autres textes, mais de manière tantôt implicite (sur le plan génétique, par rapport aux codes littéraires en usage), tantôt explicite, "surcodée" (imitations, parodie, citation...). Les traces de l'intertextualité se rapprocheraient du travail du rêve sur des représentations-souvenirs. Différents types d'insertion contextuelle de ces "corps étrangers" dans le texte récepteur sont analysés : altération du cadre narratif, transcription d'autres systèmes signifiants ; segmentation "linéaire", déconstruction des textes-origines (avec les "cut-up" de W. Burroughs) ou enchâssement métonymique, métaphorique, métalinguistique, voire "a-sémantique" de tels fragments. Le travail intertextuel permet de reconnaître un attirail de "figures de style" plutôt que des matrices linguistiques : paronomase (déformation phonétique d'une citation), ellipse (reprise tronquée) ; amplification, hyperbole, interversion. L'intertextualité a pour fonction essentielle de perturber, de détourner les codes ; car elle « répond toujours à une vocation critique, ludique et exploratoire. Cela en fait l'instrument de parole privilégié des époques d'effritement et de renaissance culturels »21. La contribution de Paul Zumthor analyse historiquement les pratiques de l'intertextualité chez les Grands rhétoriqueurs comme une série de variations énonciatives sur des codes rhétoriques traditionnels (détournement de proverbes, dictons et vers ; sotie, parodie, allégorie) ; jouant sur l'énigme, l'ironie et l'ambiguïté, ces poètes cultivent des formes qui détruisent la norme et la régénèrent : « l'espace textuel [...] inverse et négativise l'espace intertextuel »22. Dans ce même numéro spécial, Lucien Dällenbach ("Intertexte et autotexte") joue sur les préfixes pour décrire les similitudes et jeux de miroirs internes de l'écriture.
18D'autres prolongements et ajustements terminologiques vont être proposés, à partir de distinctions empiriques. Ainsi, dans Symbolisme et interprétation23 (1978), Mikhaël Bakhtine ou le principe dialogique24. (1981), Tzvetan Todorov s’efforce de clarifier les définitions de l'intertextualité. Il revient aux sources du dialogisme bakhtinien pour établir l'usage respectif de deux concepts voisins ; néanmoins, il conserve certains modèles explicatifs empruntés à la linguistique25. Pour sa part, il rapproche l'intertextualité des schèmes fondamentaux de l'interprétation : elle figure parmi les "directions" de l’évocation symbolique (à côté de modalités comme énoncé/énonciation, contexte paradigmatique/syntagmatique) ; Todorov introduit également une distinction complémentaire entre symbolisme intratextuel (code sémique chez Barthes dans S/Z) et extratextuel (code symbolique dans S/Z).
19Les travaux de M. Riffaterre participent également de cet approfondissement stylistique et rhétorique des recherches sur l'intertextualité. En effet, la sémiotique intertextuelle chez Riffaterre est, avant tout, appliquée à l'étude de détail d’un texte ; elle propose des hypothèses de lecture, des interprétations particulières. Alors que J. Kristeva avait orienté initialement la problématique vers la production littéraire, la méthode d'analyse évolue ici vers la réception (les rapports entre le texte et le lecteur). Dès lors, une révision ou une précision terminologique intervient : l'intertexte est « l'ensemble des textes que l’on peut rapprocher de celui que l'on a sous les yeux, l'ensemble des textes que l'on retrouve [...] à la lecture d'un passage donné » et l'intertextualité, « un phénomène qui oriente la lecture du texte, qui en gouverne éventuellement l'interprétation, et qui est le contraire de la lecture linéaire »26. À partir des caractéristiques textuelles de surface, il s'agit d'actualiser des réminiscences pour faire surgir un mot-clef, un noyau générateur, une configuration sémantique dispersée mais récurrente, un hypogramme (ce terme est emprunté aux travaux de Saussure)27. Riffaterre s'intéresse aux aspects cognitifs et esthétiques de l'intertextualité qu'il étudie sur de multiples exemples comme une interaction entre l'écriture et la lecture. Il lui importe de déchiffrer les énigmes de ce principe générateur de l'écriture tandis que Barthes se plaisait à décrire les effets de brouillage ainsi produits, la confusion des sources. Dans "La syllepse intertextuelle", il applique aux formes de l'intertextualité cette figure de rhétorique qui consiste à prendre un mot dans deux sens différents, au sens littéral et au sens figuré. "La trace de l'intertexte", pour reprendre le titre d'un autre article de Riffaterre, relèverait des mécanismes de la signifiance, qui s'opposent essentiellement à la mimesis référentielle :
L'intertextualité est la perception, par le lecteur, de rapports entre une œuvre et d'autres, qui l'ont précédée ou suivie. Ces autres textes constituent l'intertexte de la première. La perception de ces rapports est donc une des composantes fondamentales de la littérarité d'une œuvre [...]28.
20Riffaterre rapproche l'intertextualité de la spécificité des textes littéraires, de leurs propriétés distinctes. Mais une description précise des faits s'impose car la trace indélébile de l’intertexte prend toujours la forme d'une aberration à un ou à plusieurs niveaux de l’acte de communication : qu’elle soit lexicale, syntaxique, sémantique, stylistique, elle est toujours perçue comme la déformation d’une norme ou une incompatibilité par rapport au contexte. Voici, à titre d’exemple, l’une de ces obscurités que Riffaterre élucide : dans "Delfica" de Nerval, l’allusion à la "Sybille au visage latin" – une anomalie par rapport aux sources hélleniques – est rapprochée d’un "interprétant", la Chanson de Mignon : ce poème de Goethe que Nerval lui-même a traduit évoque la nostalgie d’une terre d'élection, l’Italie, et révèle d’autres analogies avec certains vers du sonnet des Chimères. Bien que Riffaterre ait conclu cet article sur « l’interrogation continue de la trace » intertextuelle comme « système de signes du désir »29, il a établi une distinction préliminaire entre deux régimes de l’intertextualité : aléatoire ou obligatoire. L’intertextualité aléatoire ne constitue qu’un arrière-plan culturel, une « mémoire circulaire » qui enrichit le sens, mais dont « l’occultation accidentelle n’affecte pas le sens. »30. Au contraire, le déchiffrement de l'intertextualité "obligatoire" s'imposerait, en ce sens qu'elle requiert une compétence pour lire correctement les présupposés du texte. À l'opposé de Barthes, qui aurait savouré gratuitement la "suspension du sens", Riffaterre insiste sur l'utilité et la "rentabilité" du savoir littéraire quand il valorise le nécessaire déchiffrement des textes par leurs intertextes. Cette position de principe ne consiste-t-elle pas à se prémunir des abus de la "surinterprétation" ? En effet, selon Umberto Eco, « la seule alternative à une théorie de l'interprétation radicale orientée vers le lecteur est celle que prônent ceux pour qui la seule interprétation valide est celle qui vise à saisir l'intention primitive de l'auteur.31 » En ce sens, il faut poser des limites aux réminiscences littéraires : l'intention d'un interprète autorisé, l'auteur (contrairement à la première acception tel quelienne).
2. Dans la mouvance de l'intertextualité : les apports périphériques
21Avec La Seconde Main, ou le travail de la citation (1979), Antoine Compagnon nous livre une brillante défense et illustration de l'intertextualité sous un aspect plus technique que Kristeva et Barthes n'avaient pas envisagé. L'auteur cite volontiers les principaux courants de pensée de la modernité : Althusser, Bakhtine, Benveniste, Deleuze, Derrida, Foucault, Frege, Heidegger, Jakobson, Lacan, Levi-Strauss, Peirce, Tynianov. En revanche, il ne mentionne jamais Riffaterre dont les hypothèses sont très éloignées des siennes ; ni l'article d'André Topia sur les "Contrepoints joyciens"(1976) qui explorait déjà les différences entre la citation classique et les jeux de l'intertextualité dans la littérature moderne32.
22Il faut souligner l'intérêt de ce travail considérable : au demeurant, la citation ne se situe pas dans les marges du concept, dans la mesure où elle est une forme régulière, classique et bien attestée de l’intertextualité ; en outre, son objet s'écarte de la mouvance de Tel Quel, dans la mesure où les postulats initiaux de l'intertextualité négligeaient la citation, trop associée aux privilèges institutionnels de l'auteur. Néanmoins, les termes d'intertextualité – et d'intertextuels – sont peu employés. Une note d'A. Compagnon, à la fin de son "Avant-propos", rappelle qu'une première version de son travail a fait l'objet d'une thèse de troisième cycle réalisée à la Fondation Thiers et dirigée par J. Kristeva, de l'Université de Paris VII.
23Toutefois, cet ouvrage d'érudition n’exclut pas le ton personnel et un brio ludique. En effet, sa première partie se présente comme « une phénoménologie de la citation, de la production et non du produit » : l'auteur y appréhende l'acte de citer comme une expérience immédiate que matérialisent certaines opérations de soulignement, de découpage, de collage. Avant de citer, il faut avoir été « sollicité », « excité » par une lecture, d'où la conclusion qui fait suite à ces jeux de mots :
La citation tente de reproduire dans l'écriture une passion de la lecture [...]. La citation répète, elle fait retentir la lecture dans l'écriture : c'est qu'en vérité lecture et écriture ne sont qu’une seule et même chose, la pratique du texte qui est pratique du papier. La citation est la forme originelle de toutes les pratiques du papier, le découper-coller, et c'est un jeu d'enfant33.
24Et un peu plus loin :
Écrire, car c’est toujours récrire, ne diffère guère de citer. La citation, grâce à la confusion métonymique à laquelle elle préside, est lecture et écriture ; elle conjoint l'acte de lecture et celui d'écriture34.
25L'usage de la première personne, et ce commentaire phénoménologique rappellent assez la manière de Barthes (A. Compagnon a participé en 1977 au colloque de Cerisy, Prétexte : Roland Barthes). À propos de la récriture, A. Compagnon cite d'ailleurs quelques lignes de S/Z (1970), sur la notion de "scriptible" : « Quels textes accepterais-je d'écrire (de ré-écrire), de désirer, d’avancer comme une force dans ce monde qui est le mien ? »35 L’équivalence proposée entre écriture et réécriture – cette intuition de S/Z – est commentée en ces termes plus explicites par l'auteur de La Seconde Main : « Il y a toujours un livre avec lequel j'ai l'envie que mon écriture entretienne une relation privilégiée, "relation" valant ici pour son double sens, celui du récit (de la récitation), et celui de la liaison (de l'affinité élective) »36.
26Dans la mesure où la citation est perçue comme une "structure mentale" du sujet, elle convoque un imaginaire et un "pathos", selon le vœu de Barthes. Ainsi, pour citer une "constellation" de mots, il faut mobiliser activement une force de travail : il y aurait fulguration, ex-cision, investissement obsessionnel, mais aussi circulation "monétaire"... A. Compagnon se réfère aussi aux métaphores les plus courantes du travail de la citation chez les écrivains, pour en commenter les significations subjectives37 Plus aride, la deuxième partie de l'essai – une "sémiologie" de la citation – est placée sous l’autorité des linguistes ; elle démontre une certaine ambition de scientificité ; Benveniste et surtout Peirce sont le plus souvent invoqués. Toute citation étant un fait de langage, Antoine Compagnon en propose une typologie formelle, en lui appliquant les théories sémiotiques de Peirce, qui postule trois relations du signe "t. (S1)" et de son objet, "t. (S2)", mais aussi la relation du signe et d’un troisième élément, la série des interprétants. D'où une combinatoire de formules algébriques d'un maniement délicat. On distingue d'abord le "Texte" cité (T1) et le texte citant (T2), mais parfois aussi l'Auteur cité (Al) et l’auteur citant (A2) ; ces deux systèmes de relations-S1 (Al,T1) et S2 (A2, T2) permettent de discerner quatre « structures élémentaires ». Tout d’abord, dans une citation, on peut ne pas citer l'Auteur – et à la limite, il n’y a pas d'auteur, ce qui s'écrit T1-T2 (régime du symbole) ; par exemple : les vérités proverbiales : je les répète, sans savoir d'où elles viennent. On peut au contraire, faire référence à l'Auteur – citer son nom, l'invoquer, par exemple, dans une thèse où l’impétrant s'efface devant son objet : c'est la citation indicielle (A1-T2). Mais, en dernier ressort, l'auteur citant peut lui aussi se manifester, intervenir comme tel, et A. Compagnon distingue alors, sous forme d'équations, quatre variétés, où la relation imiterait et s'approprierait les caractères de l'objet, par similarité : S1 (Al, T1)-A2 (l'icône) ; T1-A2 (le diagramme) ; A1-A2 (l'image) ; enfin : S1-S2 : (amalgame déconcertant, a-sémantique : une tache, un cri...).
27La troisième partie de l’ouvrage illustre ces axiomes dans une perspective diachronique. Elle propose une intéressante "généalogie" de la citation en tant que pratique institutionnelle, depuis la rhétorique ancienne où A. Compagnon étudie les connotations de mimesis, de sententio et d'imitatio chez les Anciens ; il passe ensuite à la tradition scolastique, fondée sur l'auctoritas, puis à la glose patristique proliférant autour de la Bible, le Texte sacré. Enfin, l'avènement de la citation moderne au XVIe siècle est liée aux possibilités nouvelles de l'imprimerie : apparition des guillemets, indices typographiques qui permettent d'isoler la citation et qui deviendront les futurs garants de la propriété littéraire. Pour comprendre les pratiques de la citation à une époque-charnière, le XVIe siècle, A. Compagnon prend en compte un nouveau contexte culturel, le retour aux sources des Humanistes contre la tradition scolastique. Il analyse aussi le rapport ambigu de Montaigne à la citation : dans les Essais, elle n'est plus "indice" mais "icône", dans la mesure où s'y projette la figure de l'auteur, sujet et objet du discours – et non plus le texte ou l'auteur cité comme dans la tradition scolastique ; le véritable enjeu de la citation devient alors l'expression du moi, par de prudents et savants détours. Cet effet de miroir préfigure les usages citationnels de la littérature moderne.
28La quatrième et dernière partie de l'ouvrage analyse une "tératologie" de la citation : des anomalies, des symptômes et des leurres rendent les quatre catégories initiales moins opératoires chez les Modernes (fin XIXe-XXe siècle). Flaubert, Mallarmé, Joyce, Aragon et Borgès instruisent ce procès des pratiques naïves de la citation. Deux principaux effets de brouillage sont envisagés : la substitution du "sériel" au structural qui vise à contester la distinction entre la copie et l'original ; la "maculature", où la densité citationnelle est comparée à un univers en expansion, à un agencement complexe de strates, de plans ou de volumes.
29Après avoir récapitulé ces conclusions historico-évolutives, il faut peut-être en revenir au fondement de l’édifice : la définition de la citation. Dès la première partie, A. Compagnon se propose de considérer la citation au sens large comme « la forme simple d'une relation interdiscursive de répétition »38 : la rigueur de cette formulation est empruntée aux théories de la linguistique (et elle rappelle le concept d'isotopie, la réitération d'une unité linguistique, dont se servait Michel Arrivé). L'auteur de La Seconde Main reproche en effet aux dictionnaires de définir la citation comme un « passage rapporté d'un auteur ou d'un personnage célèbre », de sorte qu'ils "canonisent" un produit fini39, figé : ils occultent une dimension importante, l'acte même de citer. Or, si l'on considère la définition proposée par A. Compagnon, la présence des guillemets ne semble pas nécessaire, d'autant que la troisième partie de l'ouvrage nous rappelle que cette convention a été ignorée jusqu'aux débuts de l'imprimerie. Ce signe typographique ne constituerait donc qu'un indice accessoire. Dès lors, le risque est ici de perdre la distinction élémentaire qui s'établit pourtant, dans l'usage actuel et courant – depuis la reconnaissance du droit d'auteur –, entre la citation et le plagiat. C'est peut-être aussi la tentation secrète de l'essayiste, à en juger d'après le dernier chapitre, un épilogue narratif.
30Une autre objection, plus conséquente, pourrait être également soulevée : la citation étant définie comme « relation interdiscursive de répétition », elle inclut le discours rapporté, au style direct, indirect ou indirect libre, à l'écrit comme à l'oral (c'est là aussi une ambiguïté déjà inscrite dans la notion de dialogisme chez Bakhtine). Ainsi, par exemple, La Recherche du temps perdu : quand Mme Verdurin cite Swann, il ne s’agit pas d’un phénomène de l'intertextualité, mais d'un exemple de discours rapporté40. Mémorables ou anecdotiques, les expressions d'un personnage peuvent en effet être "citées" par le narrateur ou d'autres personnages. Mais ces citations intradiégétiques ne transitent pas par des énoncés extérieurs à l'univers fictionnel de ce texte. En fait, les traces écrites de cette interdiscursivité ne se présentent pas à la lecture de l'univers romanesque comme des emprunts explicitement attestés, même si elles correspondent sans doute en partie à des propos de salon réellement entendus par Proust, à des sources biographiques utilisées par l’auteur. Une définition aussi large de la citation finit par déborder tout le champ notionnel de l'intertextualité où nous avions initialement situé la citation. C'est le dialogisme bakhtinien lui-même qui expliquerait cette extrapolation : si toute activité verbale évoque la trace omniprésente des discours antérieurs, le "déjà dit" semble orienter tout acte d'énonciation vers la réitération. Au contraire, si l'intertextualité est définie comme une activité d'écriture et de lecture qui implique la transformation d'allusions et d’emprunts à des textes antérieurs, elle apparaît comme plus restrictive.
31Enfin, il est permis d'établir une autre distinction entre certaines pratiques sociales de la citation et les phénomènes de l'intertextualité : lorsqu'une citation, nous dit A. Compagnon, a l'insigne honneur d'être gravée « sur le piédestal des statues »41 ou au fronton des monuments, il nous paraît difficile, dans ce cas particulier, de considérer qu'il s’agit encore d'intertextualité dans la mesure où son support matériel l'isole de son domaine originel, celui des autres textes ou des discours. Elle est extraite de son contexte initial pour s'inscrire sur un support hétérogène. Mais A. Compagnon aurait pu aussi bien mentionner d'autres formes d'inscription citationnelle comme le graffiti anonyme, le tag – pratiques moins nobles mais plus modernes – et pourquoi pas, dans un sens également trivial, la poétique de la réclame ? (On sait que l'affiche publicitaire joue souvent sur la réitération, et se présente comme un palimpseste d'énoncés interdiscursifs)... Dès lors, et pour se limiter aux citations insérées dans des œuvres de sculpture et d'architecture, il n'y a plus permutation, "transformation", assimilation réciproque des textes ou des discours, mais plutôt séparation, hiatus, entre le point d'origine et le point d'aboutissement.
32Gérard Genette, dans Palimpsestes, La Littérature au second degré (1982) va délimiter avec précision le domaine de l'intertextualité et le situer par rapport aux autres concepts théoriques dont il est l'inventeur. (Rappelons aussi qu'en 1966, parallèlement au concept de J. Kristeva, son article intitulé "Proust palimpseste" annonçait déjà cette métaphore de l'écriture)42. Quinze ans après, dans Palimpsestes, plus systématiquement, il confère à la poétique cm objet, la "transtextualité", c'est-à-dire les catégories et relations "transcendantes" dont relèvent les textes. La première est l’intertextualité proprement dite, cette fois définie
d'une manière sans doute restrictive, par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire [...] par la présence effective d'un texte dans un autre. Sous sa forme la plus explicite et la plus littérale, c'est la pratique traditionnelle de la citation (avec guillemets, avec ou sans référence précise) ; sous une forme moins explicite et moins canonique, celle du plagiat (chez Lautréamont, par exemple), qui est un emprunt non déclaré, mais encore littéral ; sous une forme moins explicite et moins littérale, celle de l'allusion, c'est-à-dire d'un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d'un rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions, autrement non recevable[...]. Cet état implicite (et parfois tout hypothétique) de l'intertexte est depuis quelques années le champ d'étude privilégié de Michael Riffaterre [...]43.
33Annick Bouillaguet a proposé en 1989 un tableau de ces modalités strictement intertextuelles selon Genette ; elle leur ajoute une quatrième forme à la fois explicite et non littérale, la "référence"44.
34Le second type de "transtextualité" est formé par le "paratexte" que Genette étudiera en détail dans Seuils en 1987 (la périphérie, l'environnement, les seuils du texte : titres, préfaces, épigraphes, notes...). Le troisième est la relation métatextuelle, le commentaire « qui unit un texte à un autre texte dont il parle [...]. C'est, par excellence, la relation critique45 ». Le quatrième type, le plus abstrait et le plus implicite, est l’architextualité – l'appartenance du texte à un genre, à des codes littéraires qui déterminent l'horizon d'attente du lecteur. Quant au dernier type de transtextualité, auquel Genette va consacrer tout le reste de son ouvrage, il s’agit de l'hypertextualité :
« J'entends par là toute relation unissant un texte B (que j'appellerai hypertexte) à un texte antérieur A (que j'appellerai, bien sûr, hypotexte) sur lequel il se greffe d'une manière qui n'est pas celle du commentaire »46.
35Le décodage intertextuel de l’hypogramme selon Riffaterre est conçu différemment :
J'appelle donc hypertexte tout texte dérivé d'un texte antérieur par transformation simple (nous dirons désormais transformation tout court) ou par transformation indirecte : nous dirons imitation47.
36Avant d'étudier en détail l'hypertextualité, Genette prend le soin de préciser que les cinq types fondamentaux de transtextualité ne sont pas des catégories étanches : leurs recoupements sont nombreux et souvent décisifs. Ainsi, le genre d'un texte – son appartenance architextuelle – se constitue sans doute par voie d'imitation (et donc par la relation hypertextuelle) tout en se manifestant par des indices paratextuels (au niveau du sous-titre, par exemple). En outre, un "genre hypertextuel" comme le pastiche satirique a souvent une valeur de commentaire critique. Quant au commentaire critique, cette relation dite métatextuelle s'accompagne souvent d'une pratique de la citation à des fins démonstratives. Aux dernières lignes de Palimpsestes, Genette aboutit à une vision saisissante de la transtextualité qui s'unit à une apologie de la littérature au second degré :
Ainsi s'accomplit l'utopie borgesienne d'une Littérature en transfusion perpétuelle – perfusion transtextuelle –, constamment présente à elle-même dans sa totalité [...] et dont tous les auteurs ne font qu'un, et dont tous les livres sont un vaste Livre, un seul Livre infini. L'hypertextualité n'est qu'un des noms de cette incessante circulation des textes sans quoi la littérature ne vaudrait pas une heure de peine. Et quand je dis une heure...48.
37Mais si toutes les œuvres littéraires – dans leur contenu fictionnel – sont hypertextuelles, « certaines le sont plus (ou plus manifestement, massivement et explicitement) que d'autres »49. Les autobiographies, les romans réalistes, parce que leurs finalités sont moins représentatives, sont délibérément écartés du champ de Palimpsestes. La première partie de l'ouvrage commence par analyser les quatre genres hypertextuels canoniques, bien que considérés comme des genres mineurs : la parodie, le travestissement, la charge et le pastiche (ce sont aussi des domaines auxquels Bakhtine s'était déjà intéressé, mais ce rapprochement n'est pas signalé). Genette critique la conception de Riffaterre parce qu'elle conduit à « traquer dans n'importe quelle œuvre les échos partiels, localisés, et fugitifs de n'importe quelle autre, antérieure ou postérieure ». Se disant « brouillé depuis longtemps et pour [s]on plus grand bien » avec l'herméneutique (inter)textuelle, il considère « la relation entre le texte et son lecteur de manière plus socialisée, plus ouvertement contractuelle, comme relevant d'une pragmatique consciente et organisée »50.
38Les apports de Palimpsestes sont considérables ; cette exploration systématique a permis de défricher de vastes territoires. Tout d'abord, dans les premiers chapitres, une série de termes usuels est clarifiée à l'aide d'une distinction rigoureuse entre deux types de transformation d'un texte antérieur : d’une part, la parodie stricte, c'est-à-dire une réécriture ludique, littérale et souvent minimale ; d'autre part le travestissement burlesque, la transformation d'un sujet noble à visée satirique et dégradante. Dès lors, ces deux modalités peuvent être différenciées de deux registres voisins, qui correspondent à deux types d'imitation stylistique : l'une satirique – la charge ou le pastiche héroï-comique – et l'autre le pastiche à visée ludique. De même, toute la dernière partie de Palimpsestes consacrée au régime sérieux de l'hypertextualité reprend cette dichotomie fondamentale des deux types de relation hypertextuelle : l'imitation à des fins sérieuses baptisée "forgerie" (continuations attestées ou apocryphes) et la transformation sérieuse d'un sujet appelée "transposition" (terme qui avait déjà été utilisé par J. Kristeva). Cette ultime catégorie de la transposition correspond à un champ extrêmement riche et varié de pratiques d'écriture ou plus exactement de réécriture. En effet, elle regroupe : la traduction ; la mise en prose et la mise en vers ; le passage d'un genre à un autre (narrativisation quand le sujet d'une pièce de théâtre devient un roman ou dramatisation quand, à l'inverse, l'intrigue d'un roman est adaptée au théâtre) ; des transformations quantitatives (contraction ou expansion du texte antérieur) ; des transformations "qualitatives" qui portent sur les techniques d'écriture, sur la signification (diégétique, pragmatique et idéologique) de l'hypotexte ou encore sur la démotivation, la transmotivation, la dévalorisation ou la revalorisation de personnages ou de situations. Genette s'efforce de dresser ici l'inventaire des innombrables procédés de la transposition ; mais il n'analyse pas dans quel contexte interviennent et quels effets de sens produisent ces pratiques fort dissemblables, tantôt utilitaires et tantôt créatrices, tantôt fidèles et tantôt infidèles à l'hypotexte. Il y a peu de remarques générales, si ce n'est l'idée d'une interversion des tonalités stylistiques : « à texte sérieux, hypertexte ironique, à texte ironique, hypertexte sérieux »51.
39En se réclamant d’un structuralisme "ouvert"52, Genette prend en compte le déploiement des "pratiques mixtes", la gamme des états intermédiaires en-deçà des dichotomies : la "transtextualité" assure l'incessante circulation des catégories, la variation graduelle des écarts par rapport aux définitions. En outre, ce "structuralisme ouvert" fait valoir son goût des bricolages ludiques à l'encontre des lois régulières des systèmes ; il évite les pesanteurs de la théorie pour promouvoir un jeu culturel d'une séduisante ingéniosité. Le panorama des pratiques hypertextuelles est agrémenté par l’humour de Genette qui suggère des exemples savoureux et fantaisistes53. Tantôt l'auteur commente avec enjouement les efforts malhabiles de certains écrivains54. Tantôt il utilise au second degré les trouvailles du métalangage structuraliste (ainsi l'idiolecte de Renan dont l'élément premier serait le "renanème"55) ; à propos d'une distinction qu'il vient d'établir entre "anachronisme" et "prochronisme", il précise entre parenthèses : « je n'en demande pas vraiment tant ». Quand l'intérêt du sujet lui paraît épuisé, il en informe le lecteur qui l'a accompagné dans cette longue exploration des "contrées hypertextuelles" : « il me semble que cela suffit »56 ou encore « il sera alors temps de conclure et de ranger nos outils, car les nuits sont fraîches en cette saison »57.
TABLEAU GÉNÉRAL DES PRATIQUES HYPERTEXTUELLES (GENETTE, 1982)
IMITATION stylistique (Autre "sujet") | TRANSFORMATION d'un texte (Si nulle = la copie) | <--Relation Régime : |
PASTICHE (chap. XIV-XXVI) | PARODIE (chap. VIII-ΧΙ) | ludique |
CHARGE (chap. : idem) | TRAVESTISSEMENT BURLESQUE | satirique |
FORGERIE (chap. XXVII-XXXIX) | TRANSPOSITION (chap. XL-LXXX) | sérieux (hommage) |
40Les nomenclatures, les tableaux que Genette propose pour inventorier tous les éléments constitutifs sont dignes d'un Mendeleïv de la poétique ; le domaine des possibles tend à être valorisé par rapport à leur actualisation ; l'existence provisoire d'une case vide démontre le primat de l'hypothèse, l'avancée autonome de la théorie avant sa confirmation empirique... Mais un échange dialectique s'opère lorsque la recherche d'un ou plusieurs exemple(s) fait surgir des types mixtes et des superpositions d'un concept à l'autre ; ou lorsque la masse des faits, la surabondance des procédés à décrire donnent lieu à un catalogue d'une richesse inépuisable, comme c'est le cas dans les derniers chapitres de l'ouvrage.
41Certaines questions demeurent ouvertes, dans la mesure où les rapports entre l'hypertextualité et l'intertextualité n'ont pas été envisagés. Les distinctions établies peuvent conduire à méconnaître leurs parentés fonctionnelles. En effet, puisque l'intertextualité est redéfinie par la co-présence du texte A dans le texte B (relation in praesentia), l'hypertextualité, qui consiste à établir une relation différée entre l'hypotexte (texte A antérieur) et son hypertexte (texte B ultérieur), se présente symétriquement comme une variante in absentia de l'intertextualité. De fait, selon leur contexte, la citation (avec ou sans référence), l'allusion, le plagiat – ces formes de l'intertextualité selon Genette – peuvent aussi être produites selon un régime ludique, satirique ou sérieux, tout comme les pratiques hypertextuelles. Ajoutons que la parodie stricte se rapproche d'une quasi-citation doublée d'une allusion.
42Nous avons résumé les recoupements mentionnés entre les relations transtextuelles dans le premier chapitre de Palimpsestes ; mais aucun exemple de cas-limite n’assure explicitement la transition entre l'hypertextualité et l'intertextualité. Or, un exemple permet de vérifier que l'intertexte et l'hypotexte peuvent coexister : À rebours de Huysmans contient à la fois un (ou des) pastiche(s) de Baudelaire – pratique hypertextuelle – et des citations de Baudelaire – pratique intertextuelle. La pression des exemples a une valeur heuristique lorsque des distinctions extrêmement pertinentes en principe s’avèrent n’être plus isolables en pratique à l'analyse d’un texte. Les écrivains parcourent en tous sens les labyrinthes de la "littérature au second degré" – par exemple au XXe siècle Aragon, Joyce, Borges, Butor, Umberto Eco... – et l'on serait bien en peine de classer leurs jeux vertigineux dans une relation transparente, constante et unilatérale comme la parodie ou un type de transposition.
43Genette met l'accent sur la valeur opératoire de la dualité qu'il établit entre L'imitation" d'un style et la "transformation" d'un sujet. Si efficace soit-elle, cette opposition binaire pourrait néanmoins être interprétée comme le retour ou la permanence indésirable d'une opposition schématique entre forme et contenu : peut-être aurait-il été opportun à des fins didactiques de s’en démarquer pour éviter quelques malentendus ou contre-sens. Alors que les corrélations entre "intertextualité" et "hypertextualité" ne sont pas envisagées, Genette reconnaît l’existence de pratiques mixtes entre l'imitation et la transformation : « un même hypertexte peut à la fois [...] transformer un hypotexte et en imiter un autre. [...] On peut même à la fois transformer et imiter le même texte »58. Mais implicitement la porosité admise des catégories sous la pression des cas-limites affaiblit la pertinence de toute dichotomie conceptuelle.
44D’autres types de rapports, en dehors de l'imitation et/ou la transformation, ne peuvent-ils pas s'instaurer entre l'hypotexte et l'hypertexte ? À cet égard, il est permis de regretter les effets de la coupure épistémologique que Genette établit dans Palimpsestes entre la "poétique" et "l'herméneutique". Cette commodité est garante de la rigueur mais elle a aussi ses limites et sa contrepartie dans la mesure où l'imitation ou la transformation peuvent renvoyer à des enjeux mimétiques, critiques, polémiques, et plus généralement à des intentions pragmatiques bien réelles – au premier degré – et non seulement à des critères stylistiques préexistants comme le sérieux, le ludique ou le satirique... Pour reprendre l'exemple d'À rebours, l'imitation et la transposition de Baudelaire correspondent à la fois à des affinités d'ordre fantasmatique et à un positionnement critique dans le champ littéraire, à un signe de rupture par rapport aux prescriptions du roman naturaliste.
45En fait, le théoricien de Palimpsestes se propose de décrire objectivement, de l'extérieur, des procédés de fabrication. À la fin de Figures III (1972), Genette admettait déjà que son vocabulaire théorique relevait de catégories étrangères aux "idées de l'auteur" : « la conscience esthétique d'un artiste [...] n'est pour ainsi dire jamais au niveau de sa pratique [...] »59. Il appartient selon lui à la poétique littéraire de produire des avancées scientifiques, des instruments valables pour lire les œuvres. De même, cette théorie de l'hypertextualité ne prend pas en compte les intentions de l'auteur dans un contexte d'écriture. Par là même, elle évite une difficulté intéressante : les représentations subjectives de l’hypertextualité, les présupposés de l'imitation-transformation. En effet, il faudrait peut-être analyser le discours de l'auteur, non plus pour s’y référer comme s’il s'agissait d'une vérité indépassable, mais pour se livrer à une évaluation pragmatique des contraintes, des possibles, des contradictions spécifiques qu'il rencontre. L'étude du métatexte et du paratexte pourraient affecter la structure de ce champ de l'hypertextualité et l'orienter vers d’autres perspectives que le clivage fondamental entre "imitation" d'un style et "transformation" du sujet. Ainsi, pour étudier la réécriture de Fénelon dans Les Aventures de Télémaque, il importe de décrypter les effets de sens de l'auto-commentaire aragonien qui place constamment l'écriture romanesque dans le miroir de la lecture et de la réécriture critiques ; des rapprochements s'établissent avec la problématique des "incipit"60 et des "collages"61.
46Enfin, Palimpsestes isole son objet, la littérarité d’une littérature au second degré qui apparaît comme une entité indépendante du monde extérieur, au détriment de cas hybrides et plus complexes. Restons dans le domaine aragonien : le "mentir-vrai" consiste très largement à détourner à des fins de dévoilement autobiographique des citations ou des allusions littéraires, tout autant que divers hypotextes, par réécriture et transposition de situations reprises à d’autres œuvres : « Est-ce que tu comprends que pour te retrouver, pour t'atteindre [...] je ne pouvais imaginer rien d'autre que le monde tel qu'il est, le terrible monde réel où je retrouve entrée par le chemin des fables, Luna-Park ou Hyperion... »62. Cet exemple incite à contester le principe d'une séparation entre la littérature au second degré et le référent extérieur : la première est ici un biais pour accéder à l'autre. Ainsi, les romans réalistes ou autobiographiques peuvent utiliser de manière très active et intensive les opérations hypertextuelles. A. Compagnon l'indiquait déjà à propos de la relation "iconique" entre texte cité et texte citant : elle peut être motivée par un effet de miroir, une analogie avec le discours personnel de l'auteur et son autobiographie d'écrivain. Il en est de même, dans certains cas, des relations hypertextuelles entre le texte B (l'hypotexte) et le texte A (l'hypertexte).
47Par ailleurs, il faut peut-être aussi commenter certains termes utilisés par les écrivains eux-mêmes pour définir leur relation à l’écriture. Si le même Aragon renoue avec l'imitatio dans les années 40, il a également, dès les premières armées 20, cherché à transposer le collage dans l’écriture – en jouant de ce désordre, de ce puzzle créateur souvent aléatoire, ostensible et déconcertant ; point de départ délibéré ou point de rencontre énigmatique avec des significations nouvelles, cette pratique relève peut-être d'autres instruments d'analyse que ceux de Genette. Les théories de l'intertextualité ne devraient pas occulter l'initiative qui revient souvent aux écrivains eux-mêmes et en ce sens les travaux critiques peuvent aussi contribuer à approfondir les efforts de la théorisation. Au lieu d'inventer de nouveaux concepts, il n'est pas sans intérêt d'analyser les termes de prédilection qu'un écrivain a employés pour décrire les phénomènes de l'intertextualité, non seulement dans le paratexte mais aussi dans le texte (autobiographique, fictionnel, poétique). Même s’ils sont discutables au regard du métalangage théorique, s'ils manquent de rigueur terminologique, certains déplacements de sens méritent une étude attentive dans la mesure où l'idiolecte de l’auteur fait connaître une relation particulière à l'écriture comme réécriture63. Les chercheurs peuvent à la fois resituer une trouvaille dans son contexte historique et la réinterpréter par analogie.
48Ainsi, Francis Goyet a discuté la définition de l'intertextualité par Riffaterre d'un point de vue empirique : en effet, dans un article de 1987, il établit des différences entre "imitatio" et "intertextualité" (sous-titre : "Riffaterre revisited") au profit du premier terme, l'imitatio, dont la pratique lui paraît plus souple et l'analyse mieux appropriée à des cas particuliers. Si tout texte est défini comme un intertexte, rien n'échappe à l'intertextualité : cette tendance à la généralisation, à l'abstraction comporte un risque de dogmatisme64. En particulier, Riffaterre ne permet pas de distinguer entre la citation – allusion in praesentia – et l'allusion, qui, jusqu'au XVIIe siècle, connotait le jeu sur le signifiant : si l'intertexte est, chez Riffaterre, caché, implicite, c'est à la fois une source et une allusion in absentia. Or, il existe deux régimes possibles de ce procédé utilisé dans l'imitatio antique : l'allusion vive et l'allusion morte – cette dernière serait rendue délibérément imperceptible, en l’absence de traces, de références repérables – cette figure invisible et perverse, compte sur l'inculture du lecteur. Les Anciens et les Classiques, quand ils prônaient l'imitatio, étaient plus sages, car ils ne posaient pas une loi de facto, une norme "herméneutique" : ils adressaient aux seuls écrivains – et non aux lecteurs plus ou moins érudits – un bon conseil, celui de décalquer, de réemployer les modèles antiques. Par conséquent, la tradition de l'imitatio n’oblige pas le lecteur à reconnaître les sources : au contraire, Érasme souhaitait que son lecteur n'identifie pas telle ou telle allusion à Lucain, pour ne pas "contaminer le texte d'un sens parasite". Dès lors, paradoxalement, une prudente abstention serait parfois recommandée, et, en tout cas, appliquée par les auteurs, par opposition à cet "autoritarisme de la lecture intertextuelle" chez Riffaterre. D'où ce diagnostic, en conclusion :
Tout se passe comme si la vieille critique de sources, de modeste et utile qu'elle est, s'était enhardie à passer pour une théorie générale de l’écriture et de la lecture. Une telle prétention à l'universel me paraît venir d'une analogie trompeuse avec la linguistique. [...]. Que la phrase source permette de "décoder" la phrase nouvelle, soit. Mais, par analogie avec le code linguistique, qui s'impose effectivement à tout sujet parlant, on en a déduit un peu vite que le code culturel ou littéraire s'imposait à tous. L'idée plaît aux professeurs, mais elle semble passablement irréaliste, ou idéaliste65.
49Cette réflexion critique tend à soumettre l'intertextualité à l'historicité des pratiques et à des cas particuliers de la réception ; elle se propose aussi de valoriser les connotations de l'imitatio par rapport au concept d’intertextualité. La notion de "collage" a également fait l'objet de travaux parallèles à l'intertextualité. Par exemple, dans "Le pagure de la modernité", Henri Behar insiste sur l'invention "dadaïste" du collage, « procédé terroriste s'il en est », qui « participe d'une crise de l’esprit particulièrement sensible à l'époque de référence. »66 Toutefois, il situe le collage parmi les opérations intertextuelles : dans un tableau qui reprend les six fonctions du langage selon Jakobson, il assigne au collage la perturbation du code métalinguistique67. Plus encore, la Revue d'Esthétique a consacré dès 1978 un numéro spécial au "collage" ; dans un avant-propos, le groupe "μ" précise que cette "rupture" par rapport aux codes dominants « tendrait nécessairement vers une limite ». (Ce constat pourrait être rapproché de la réflexion développée par Umberto Eco sur la sémiotique) :
Le sentiment que l'art a exploré tous les possibles en même temps qu'il est concurrencé par une culture cumulative et pléthorique, stimule une poétique de la copie où entrent à la fois du refus et de l'impuissance, de l'ironie et de la révérence (qui est aussi référence).
50Malgré cette ambiguïté constitutive, les auteurs soulignent que le collage est sans doute une contre-rhétorique qui donne la priorité à la "dispositio" sur "l'inventio". Cette « nouvelle poétique se libère d'une technique expressive et imitatrice » pour insister sur le « traitement d'une combinatoire qui se définit par sa qualité heuristique. » À cet égard, là encore, « le collage et son bricolage fonctionnent comme jeu » (l'analyse de la citation chez Compagnon et de l’hypertextualité chez Genette invoque les mêmes arguments du jeu et du bricolage). Ici, ils sont valorisés pour leur effet de modernité :
Si l'on considère à présent les éléments hybrides qui entrent dans la composition des collages, on note qu'ils engagent de façon particulièrement marquée [...] ce type de poétique moderne qui se reconnaît dans des notions comme celles d'œuvre ouverte ou de texte pluriel. [...] Chaque élément citatif brise la continuité ou la linéarité du discours et convie nécessairement à une double lecture : celle du fragment perçu par rapport à son texte d'origine, celle du fragment comme s'incorporant à un nouvel ensemble, à une totalité différente. La ruse du collage consiste aussi à ne jamais supprimer l'altérité des éléments réunis dans une composition momentanée. Ainsi l'art du collage s'avère comme une des stratégies les plus efficaces dans la remise en cause de toutes les illusions de la représentation68.
51Les articles réunis à la suite étudient essentiellement le découpage-montage de ces "messages préformés" : soit par isotopie (ou ressemblance) ; soit par allotopie (ou dissemblance, hétérogénéité) ; soit par l'effet du hasard et de l'automatisme verbal, chez les surréalistes (par coïncidence, ou par surimpression, donc palimpseste...). Genette envisagerait peut-être sous l'angle satirique les rapports dialectiques entre le texte-source et le texte-récepteur ; mais la notion classique de satirique n'est pas nécessairement pertinente ici.
52Les travaux critiques s'aventurent souvent au-delà du concept ; ils échappent aux limites des exemples disparates et purement illustratifs de la poétique générale. Au lieu de forger une théorie générale, ils explorent des modes d'individuation des pratiques de l'intertextualité. Ce n'est plus la rigueur dans la terminologie qu'ils cherchent à instaurer, mais l'approfondissement des valeurs personnelles ou culturelles. Sans doute certains écrivains se prêtent-ils mieux que d'autres à cette cette perspective de recherche : par exemple, "l'apologie de l'influence" chez André Gide69 ; le "détournement des sources" chez Valery Larbaud70... Proclamant que tout est citation et qu’"il n’y a pas d'œuvre individuelle", Michel Butor pratique lui aussi très consciemment une "intertextualité généralisée". Les dispositifs typographiques, les stratifications matérielles d'une écriture polyphonique et stéréophonique, la transgression des frontières entre les arts (collages de peinture ou de photographie, modèles musicaux de la fugue, récitatifs et polyphonie) mettent en cause le code narratif linéaire, de type logico-chronologique71. Plus généralement, le Nouveau Roman et l'Oulipo ont procédé à des expérimentations systématiques de l'intertextualité (et de l’hypertextualité) : le pullulement des emprunts textuels, leur combinatoire, leurs manipulations investissent et saturent l'activité créatrice de connotations variées : bricolage ludique, jeux de dérive, d'osmose, vertige et dissolution du sujet écrivant, selon la conception kristevienne, formulée dans la même période. Ces courants de la modernité rapprochent aussi "l'intertextualité" de "l'entre-deux" du sens, de l'"incertitude" des signes et des sources d'énonciation dont les enjeux et les modalités paraissent irréductibles à une opposition binaire comme imitation/transformation.
53Mais les relations subjectives aux pratiques de l'intertextualité peuvent aussi s'apparenter au travail du rêve : projection, transfert, détournement, condensation, déplacement, etc72. Ce rapprochement entre l'activité d'écriture et l'interprétation des effets de sens diffère à l'évidence des corrélations transtextuelles envisagées par Genette. Plus généralement, les premières études consacrées aux aspects psychanalytiques de l'intertextualité se situent dans les marges du concept (selon Freud, un fantasme peut se réitérer dans une œuvre d'art ; l'inconscient peut investir et transformer les traces des réminiscences littéraires). En 1973, Harold Bloom montre qu'un poète ne devient "original" qu’après avoir surmonté son "angoisse de l’influence" (The Anxiety of influence) ; L. Jenny, dans un article déjà commenté sur l'intertextualité, rend compte en ces termes de cette réflexion : tantôt le nouvel écrivain
prolonge l'œuvre du précurseur tout en l'infléchissant vers le point ou elle aurait dû aboutir (clinamen), tantôt il s'agit d'inventer un nouveau fragment qui va permettre de considérer l'œuvre du précurseur comme un nouvel ensemble (Tessera), tantôt on s’efforce de rompre radicalement avec le père (Kenosis), à moins qu'on ne se purge de l’héritage imaginatif qu'on peut avoir en commun avec lui (Askesis), ou qu'on ne s'efforce de créer une œuvre qui paradoxalement paraîtra point d'origine et non conséquence de l'œuvre antécédente (Apophrades)73.
54Est-ce uniquement lors de la formation de l'écrivain que surgit l’essence de ce conflit dramatique ? Il nous semble qu'une variante de cette crise peut se réitérer à chaque nouveau projet d'écriture au moment où se fait le partage entre un héritage "stérilisant" (les topoi, les conventions à éviter, l'imitation comme obstacle) et les bénéfices de l'intertextualité, de l'intratextualité, ou de l'hypertextualité ; les rencontres avec d’autres livres, les trouvailles directement issues de ce contact, les médiations du discours d'autrui dans une pratique d’écriture en devenir ne sont pas incompatibles avec le rôle structurant de l'auto-référence dans un itinéraire personnel.
55Michel Schneider, dans Voleurs de mots : essai sur le plagiat (1985)74, a également déchiffré ces enjeux. Mais le terme d”intertextualité est ici qualifié d'euphémisme disgracieux ; tenu à distance, placé entre guillemets, il n'est employé que pour caractériser une permissivité très vingtièmiste envers les jeux de la réécriture et du détournement des sources. En effet, il est interprété comme le symptôme de l'indulgence dont bénéficie à notre époque la tentation du plagiat (succès du pastiche ou refus de l'Auteur au profit d'un pluriel de textes mixtes, indifférenciés). M. Schneider préfère lui substituer d'autres trouvailles, avec un indéniable bonheur d'expression : un texte pour l'autre (pour désigner le plagiat), un texte sous l'autre (pour désigner le palimpseste), un texte comme l'autre (pour désigner le pastiche). Le propos est orienté vers la psychanalyse, pour saisir les rapports constitutifs du moi et de l'autre dans l'activité de lecture-écriture. Dès lors, la distinction entre la citation et le plagiat qu'A. Compagnon avait laissée à l'arrière-plan revêt une importance capitale, puisqu’elle permet de comprendre les incidences psychopathologiques du mimétisme inconscient de nos lectures antérieures, et de nos comportements devant la Loi, l'interdit que fonde l'existence de la propriété littéraire.
56Une première partie est consacrée à la littérature ; l'autre, aux démêlés entre Freud et ses disciples, pour la paternité des concepts. L'emprunt, la reprise, le ressassement sont envisagés à travers l'imaginaire de la transgression (chez le plagiaire) ou de la mélancolie (chez le compilateur scrupuleux). Annick Bouillaguet approfondit ces hypothèses à propos de Proust qui a évoqué l'agrément et le rôle formateur des "journées de lecture". Elle associe les pratiques "polymorphes" de l’intertextualité chez cet écrivain au bénéfice de plaisir et à l'humour. Proust a, on le sait, un réel talent pour le pastiche, il manifeste aussi une extrême prédilection dans l'écriture pour les références aux arts ; il cultive les citations collectionnées et reprises de manière littérale (exacte) ou déformée (adaptée, détournée), les allusions qui jouent sur le non dit et suscitent la connivence. Mais ces gratifications d'ordre esthétique et poétique n'excluent pas une angoisse de la répétition, facteur de créativité, depuis les ébauches jusqu'à la rédaction de Recherche, dans la mesure où l'écrivain en gestation désire sans doute, de manière contradictoire, rendre hommage aux maîtres qu'il admire en les imitant plutôt que de s'affranchir de l'emprise fascinatrice qu'ils exercent sur lui. Une stratégie fantasmatique paraît surdéterminer les objectifs de l’imitation et de la transformation.
3. Bilan et perspectives
57Malgré le foisonnement des publications, le domaine de l'intertextualité est aujourd’hui soigneusement défriché et balisé par des bibliographies et de substantielles études de synthèse. Les théories de Kristeva, de Riffaterre, puis de Genette ont rapidement essaimé dans d'innombrables articles, ouvrages et des numéros spéciaux de revues (Poétique, Littérature, Texte75). Parallèlement, les encyclopédies et les ouvrages didactiques ont permis de répandre et d'officialiser le néologisme. Ce nouvel outillage théorique n'aurait pu s'imposer sans ce travail de diffusion et de vulgarisation qui, en retour, tend à confirmer l'efficacité d'une méthode.
58Le terme d’intertextualité introduit en 1966 par J. Kristeva est repris dès 1968 dans la Théorie d’ensemble du Groupe Tel Quel. En 1968 également, Barthes publie dans L’Encyclopedia universalis un article sur "La Théorie du Texte" : très proche, à cette date, des promoteurs du concept, il accorde une attention bienveillante à "l'intertexte" et à d'autres hypothèses qu'il reformule avec des qualités de style. Sa réputation contribue à lancer un effet de mode, à cautionner ces nouvelles théories auprès d'un public élargi. Barthes a pris conscience des insuffisances de l'approche structurale de la littérature. Au moment où il amorce le tournant de S/Z, son intervention en faveur de l'intertextualité souligne que la parole et le texte actualisent la langue dans un pluriel irréductible d'indices énonciatifs :
Le texte redistribue la langue (il est le champ de cette redistribution). L’une des voies de cette déconstruction-reconstruction est de permuter des textes, des lambeaux de textes qui ont existé ou existent autour du texte considéré, et finalement en lui : tout texte est un intertexte [...]. [...] L'intertextualité, condition de tout texte, quel qu'il soit, ne se réduit évidemment pas à un problème de sources ou d'influences ; l’intertexte est un champ général de formules anonymes, dont l'origine est rarement repérable, de citations inconscientes ou automatiques, données sans guillemets. Épistémologiquement, le concept d'intertexte est ce qui apporte à la théorie du texte le volume de la socialité : non selon la voie d'une filiation repérable, d'une imitation consciente, mais selon celle d'une dissémination [...]76.
59Ici Barthes met l'origine mémorielle de l'intertextualité à distance de quelques notions périmées de l'histoire littéraire selon Lanson ("sources et influences"). Il en associe l'effet de modernité à sa propre réflexion sur le stéréotype ("formules anonymes [...] données sans guillemets ") et à l'apport des théories de Derrida sur la dissémination. Il reprendra encore dans les années 70, de manière discrète, allusive et fragmentaire, cette problématique très générale du texte comme intertexte.
60Peu après, en 1972, la notion d'intertextualité entre dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage publié par Wahl, Ducrot et Todorov77 ; en 1976, elle apparaît dans un manuel destiné aux étudiants : Initiation aux méthodes de l'analyse du discours, par Dominique Maingueneau.78. En 1983, la revue canadienne Texte publie une bibliographie annotée de 339 références, sans prétendre à l'exhaustivité. En outre, elle se fait l'écho des polémiques suscitées par la fortune du concept : dès les premières pages, après avoir mentionné une étymologie latine et les traductions étrangères de cette notion, Hans-George Ruprecht reproche à Barthes de l'avoir rendue imprécise et « scientifiquement irrecevable »79. Loin d’être séduit par la dissémination et la déconstruction, il cherche à lui substituer des perspectives plus cohérentes qui se rapportent à sa théorie des "formants" intertextuels. Il se prononce en faveur des hypothèses historico-évolutives qui permettront de construire une théorie sémiotique de la lecture : il mentionne à cet égard l’utilité des travaux de Riffaterre et du médiéviste Paul Zumthor, qui distingue entre les "modèles préconstruits" de la tradition, et leurs éventuelles variations. Cette revue publie aussi des réquisitoires dont l’intertextualité semble n’être que l’occasion ou le prétexte : d’une part, un affrontement entre Uri Eisenzweig et Michael Riffaterre, puis entre Michael Holland et Jean Ricardou. Eisenzweig, dans "Un concept plein d'intérêts", condamne ce « privilège institutionnel » de l’érudition universitaire qui, chez Riffaterre, confère les privilèges de la docte autorité à la compétence intertextuelle. Michael Holland reproche à Ricardou une théorisation "pathologique" de la textualité, qui se couperait de la pratique ; la réponse comminatoire de ce dernier s'intitule "Le Texte survit à l'excité". Un bilan provisoire ne peut que souligner la variabilité de la notion, chez les théoriciens et les vulgarisateurs ; en outre, le discours des défenseurs et des détracteurs fait apparaître l'incidence du contexte et des intentions extérieures à l'objet de la connaissance.
61Ces débats sur l'intertextualité révèlent les stratégies de positionnement que provoquent l'impact et les enjeux d'un nouveau concept. En 1983, Marc Angenot80 est le premier à enquêter sur l'émergence et la diffusion du concept d'intertextualité dans la critique universitaire. Il publie dans cette perspective deux articles fort éclairants dont l'un figure dans le numéro spécial de la revue Texte. Mais il s'intéresse surtout à la portée épistémologique d'un secteur de recherches en pleine expansion, et non aux malentendus, aux petites querelles de chapelle qu'il peut susciter. En effet, selon lui, c'est la notion d'intertextualité qui a entraîné un dépassement critique du structuralisme. Au lieu de décrire des systèmes très codifiés, des schémas fonctionnels, cette nouvelle méthode d'analyse conduit à ouvrir des "réseaux de connexions" qui mettent en évidence l'hétérogénéité des matériaux prélevés à d'autres textes ; elle fait surgir des « faits de discordance, de seuil [...] et de dissémination »81. Tout ce « bricolage productif » aura permis de redécouvrir des « formes négligées de la pratique littéraire qui s'appellent plagiat, parodie, satire, montage, cut-ups, burlesque, collage, doxographies, fragment. »82.
62L'hostilité de Bakhtine envers l'"objectivisme abstrait" des formalistes tend à corroborer aussi cette hypothèse. Mais par ailleurs cette visée profondément novatrice n'a pas été pleinement assumée comme telle ; Marc Angenot relève très justement des survivances, des « fétiches » du structuralisme dans la terminologie des théoriciens de l'intertextualité : le "dispositif" et le "champ" intertextuels, le Texte comme totalité immanente et la référence aux codes linguistiques, sémiotiques...Car, nous l'avons vu, les divergences sont faiblement marquées dans les premières approches de l'intertextualité (de 1966 à 1976) ; tout l'appareil conceptuel de la linguistique servait de cadre. Il est permis, dès lors, de relever cet apparent paradoxe : avant que la dynamique de ce nouveau champ notionnel n'ait pu désactiver le "noyau dur" du structuralisme, des rapprochements sont attestés avec ce courant de pensée ; ils ont même été proposés par les théoriciens et revendiqués sur le plan méthodologique, si l'on en juge par les sources de la réflexion de Julia Kristeva et de Michel Arrivé. En revanche, quinze ans plus tard, à l'ouverture d’un colloque international dont les Actes, publiés en 1986 sous le titre Le Plaisir de l'intertexte, rendent hommage à Barthes, Michel Arrivé renonce à faire le compte-rendu inaugural des travaux récents sur l'intertextualité que les organisateurs attendaient de lui ; il estime que les publications sont trop nombreuses et trop diverses :
On l'a compris : sauf à entrer dans d'infinis détails, ou à se contenter d'approximations, il était impossible, ici, de procéder à une synthèse. Je me contenterai de renvoyer à deux auteurs qui, plus téméraires que moi, ont osé cet exercice [...] j'entends Marc Angenot[...] et H.-G. Ruprecht [...].
La synthèse d’ensemble exclue, restait une autre possibilité : une mise au point terminologique. J'ai essayé. Et j'ai renoncé. Parce que je rencontrais, au niveau de la terminologie, les problèmes insurmontables que j'avais préalablement rencontrées. Ce n’est un mystère pour personne que les mots intertexte et intertextualité prennent des sens différents selon les contextes théoriques dans lesquels ils interviennent. Et d'un autre côté, on a vu fleurir, sur le modèle d'intertextualité, une foule de néologismes. D'abord par mutation du préfixe : Genette a introduit 'paratextualité', 'métatextualité', 'hypertextualité', 'architextualité'. Mais on trouve aussi'autotextualité', 'bibliotextualité', 'catatextualité', 'épitextualité', 'extra'- et 'intratextualité', 'hétéro'- et 'homotextualité', 'hypotextualité', 'mimotextualité', 'péritextualité', 'transtextualité', etc. – chacune de ces formations ayant leurs équivalents en -texte et -textuel. Après la mutation du préfixe, sa combinaison avec d'autres : on observe alors 'intraintertextualité', 'intermimotextualité', et même – je n’invente rien – 'inter-intermimotextualité'83.
63Ce pionnier de l'intertextualité semble être passé de l’enthousiasme à la désillusion. Prudent, mais sceptique, il condamne l'abus de nouveaux gadgets conceptuels chez les émules de Genette et de Ricardou. Au-delà même de cet exemple, il faudrait peut-être nuancer sur quelques points l'hypothèse de Marc Angenot sur le clivage : 1) certains chercheurs se sont représentés ou se représentent encore les pratiques intertextuelles comme des assemblages formels, un système de similitudes ou d'oppositions signifiantes. Cette "topologie" immanente s’inscrit dans le prolongement direct du structuralisme. L'analyse des indices de l'intertextualité consiste à dresser un tableau quantitatif des occurrences distribuées dans le texte, à y repérer des effets de rime ou l'emploi des six fonctions du langage chez Jakobson ; 2) les travaux sur l'intertextualité, anciens ou plus récents, ne critiquent pas nécessairement les limites du structuralisme et du formalisme à partir des hypothèses de travail décrites par M. Angenot ; ils ouvrent aussi sur d'autres enjeux. L'intertextualité a été partagée et reconstruite selon diverses orientations. Nous en voulons pour preuve les dictionnaires et manuels méthodologiques destinés, ces dernières années, aux étudiants de lettres : leurs notices sur l'intertextualité résument les définitions successives (ou certaines d'entre elles) ; elles intègrent parfois en dernier lieu les propositions de Palimpsestes, mais une synthèse fait souvent défaut84. En outre, il importe aussi de tenir compte d'un regard critique, de l'usure des théories dans la réflexion contemporaine.
64Le concept d'intertextualité a reçu une nouvelle consécration en 1989, avec une nouvelle édition de l'Encyclopedia universalis où une notice lui est consacrée. Dans cet article, après un exposé très complet du concept, P.-M. de Biasi regrette, à la suite de Greimas85, d'Angenot ou d'Arrivé, le flou terminologique qui a permis à l'intertextualité de s'imposer à la faveur de glissements de sens successifs ; mais il souligne, en dernier lieu, l'intérêt des contributions les plus récentes et la clarification apportée en 1982 par Genette et ses successeurs.
65Dans Palimpsestes, le champ de l’intertextualité est restreint au profit de l’hypertextualité, l'un des autres nouveaux concepts qu'a inventés Genette lui-même : le progrès accompli par ce travail de refonte terminologique revient à écarter provisoirement l’intertextualité proprement dite, tandis que la notice de P.-M. de Biasi dans l'Encyclopedia universalis tend à mettre en valeur son importance générale dans le savoir contemporain. Il en résulte une certaine distorsion latente, puisque les premières lignes de la notice proposent une définition large qui ne reprend pas explicitement ce nouveau partage notionnel, même si la fin de l'article se prononce en faveur de Genette. Dès lors, l'intertextualité recouvre de nouveau le champ de l'hypertexte puisqu'elle est ici définie comme « l'élucidation du processus par lequel tout texte peut se lire comme l'intégration et la transformation d'un ou de plusieurs autres textes »86.
66Néanmoins, cette récente définition de l'Encyclopedia universalis peut faire référence à titre de synthèse provisoire dans la mesure où elle résume les principales contributions théoriques avant et après la refonte du concept dans Palimpsestes. Elle opère aussi un certain retour aux sources, puisqu'elle met l'accent sur la modalité "transformationnelle" qui figurait déjà chez J. Kristeva. Une exigence de purisme et de rigueur incite P.-M. de Biasi à critiquer la simplification de la notion à des fins pédagogiques ; c'est ainsi qu'il reproche à D. Maingueneau de l'avoir « infléchie dans le sens d'une dominante relationnelle, aux dépens de la composante transformationnelle »87. Dès lors que l'intertextualité est définie comme « l'ensemble des relations avec d'autres textes se manifestant à l'intérieur d'un texte », elle perdrait sa véritable spécificité.
67S'il importe de réaffirmer sa dimension transformationnelle, l’intertextualité se rapproche manifestement d'autres disciplines et méthodes, et tout d'abord de l’étude des manuscrits, de la critique génétique. Ainsi, P.-M. de Biasi signale en conclusion que ce nouvel horizon de l’intertextualité consisterait à élucider « comment se construit l'emprunt, à l'état naissant ; comment la citation, le plagiat, la référence et l'allusion résultent aussi d'une appropriation et d'une intégration ayant l'espace même du texte qui s'invente »88. Il faut préciser également que Genette dans Palimpsestes avait déjà envisagé la relation génétique comme « une affaire d'auto-hypertextualité » dans la mesure où elle « se ramène constamment à une pratique d'autotransformation, par amplification, par réduction ou par substitution. Si inépuisable que soit son champ d'étude et si complexes que soient ses opérations, elle est bien un cas particulier [...] de l’hypertextualité [...] : tout état rédactionnel fonctionne comme un hypertexte par rapport au précédent, et comme un hypotexte par rapport au suivant »89.
68Par l'importance des modalités transformationnelles, les travaux sur l'intertextualité rencontrent donc l'histoire littéraire et la critique génétique. De ce point de vue, Raymonde Debray-Genette, dans une récente mise au point, observe que "l'intertextualité avant-textuelle", dans les manuscrits, fonctionne « selon les deux modes fondamentaux définis par Gérard Genette dans Palimpsestes, par imitation et par transformation »90. Notons que c'est le terme d'intertextualité – plus usuel, plus consensuel – qu'emploie Raymonde Debray-Genette, alors qu'elle se réfère ici aux deux modalités fondamentales de l’hypertextualité : il existe donc des points de contact dans la répartition d’ensemble des pratiques. Dès lors, « le travail de la critique génétique, par rapport à l'intertextualité, relève d'un tissage entre les avant-textes dont le critique doit, à chaque fois, construire la trame et la chaîne91 » Dans un travail plus ancien, Raymonde Debray-Genette avait déjà proposé une hypothèse opératoire sur le statut de l'intertextualité comme élément du géno-texte en distinguant deux modalités symétriques dans les "avant-textes" de Flaubert : l'endogenèse, un processus où l'écriture est centrée sur elle-même et l'exogenèse, un processus où le projet rédactionnel s'empare des sources et se sert de matériaux extérieurs92. La première modalité relève de l'autoproduction, c’est-à-dire d'un travail autonome à partir d'un scénario ou de précédentes versions du manuscrit (elle opère au niveau de l'intra-textualité) ; mais la seconde fait intervenir entre autres l'intertextualité critique ou documentaire, par exemple la transcription de notes de lecture, la recherche d'éléments iconographiques.... Certes, la dynamique de l'écriture tend en principe à intégrer l'exogenèse dans l'endogenèse, à nier dialectiquement la première, sauf précisément dans les cas les plus avérés de l'intertextualité (texte à forte densité citationnelle) ou encore dans les genres les plus caractéristiques de l'hypertextualité (parodie, pastiche, travestissement, digest...).
69Par un apparent paradoxe, la percée théorique, le développement rapide et intensif des recherches sur l'intertextualité ont rencontré une difficulté souvent signalée : leur assimilation indésirable avec la "vieille" critique des sources qui leur sert encore de support, de préalable érudit. Il a fallu tenter de comprendre cet obstacle pour y remédier93 ou démontrer que les hypothèses et les résultats diffèrent sur l'essentiel94.
70Il est vrai que les méthodes sont fort distinctes à l'origine puisque, sous l’influence du structuralisme, c'est une approche synchronique de l'intertextualité qui a initialement prévalu : elle consiste, par exemple, à répertorier, à classer la liste des occurrences pour décrire leurs configurations formelles, leurs emplacements et leurs indices contextuels. Plus généralement, les recherches sur l'intertextualité ne visent pas à identifier des influences mais à construire une analyse des modes d'insertion et surtout de transformation, d'altération des emprunts95. Tandis que l'idée de, la filiation "naturelle" privilégiait le modèle au détriment des successeurs, l'intertextualité n'est plus entravée par cet héritage de la philologie : elle s'intéresse à des pratiques d'écriture à la fois prospectives et rétrospectives, à la plurivocité et à la réversibilité des effets de sens. Il est admis que le texte second (ou texte récepteur), loin d'être une copie, une pâle imitation de l'original dialectise son rapport au texte-support ; dès lors, il s'agit d'analyser ces corrélations objectives comme une série d'opérations techniques. Au-delà de ce premier centre d’intérêt – les procédés de fabrication – les recherches sur l'intertextualité se sont tournées de manière de plus en plus pragmatique vers les enjeux, les fonctions de ces actes combinés d'écriture et de lecture.
71Une amplification démesurée a pu également susciter l'inquiétude et la méfiance : si de simples analogies ne relèvent pas de l'intertextualité, la perception trop fine des effets d'écho prête à des confusions gênantes et à des usages abusifs ; au sens large, l'intertextualité peut aussi désigner l'assimilation-transformation d'autres matériaux empruntés à des langages non verbaux. Pour préserver la rigueur d'un concept aussi productif, il a fallu lui imposer de sévères restrictions sémantiques ; en 1982 Genette a pris l'initiative de délester certaines formes de l'intertextualité vers un nouveau concept en partie concurrentiel : l’hypertexte. Il propose de délimiter autrement le champ théorique, en assignant à l'intertexte une position déterminée parmi quatre autres relations fondamentales (l'architexte, le paratexte, l’hypertexte, le métatexte). Mais d'autres lignes de partage fondamentales subsistent : le dialogisme selon Bakhtine mettait initialement l'accent sur le rôle déterminant du contexte intersubjectif et du discours social dans une perspective historico-évolutive. En outre, les travaux sur l'intertextualité rencontrent des disciplines constituées en-dehors de la poétique : elles se prolongent vers l'histoire littéraire, la sociocritique, la critique génétique. Il se pourrait que l'aspect novateur de la théorie ait été mis en doute avec l'abandon des premiers modèles linguistiques. Dépouillée d'un effet visible de modernité, l'intertextualité soulève plus directement un problème essentiel de l'activité littéraire : les rapports complexes de la tradition et de l'invention, les filiations fantasmatiques et le positionnement de la conscience critique, les questions de l'authenticité, de l'originalité et du renouvellement.
72Au demeurant, il n’est pas anodin qu'un nouveau vocabulaire ait été adopté. Le concept d'intertextualité est le premier né d'une nombreuse famille de mots dont les préfixes varient autour du même étymon de "-texte" et de "-textualité". Il faisait découvrir un objet à investir, et il s'est répandu d’autant plus aisément qu'il est commode de disposer au moins d'un concept fédérateur qui regroupe tout un réseau lexical pour désigner une catégorie abstraite. L'immanence et la matérialité du Texte et de l'intertexte (texture enchevêtrée, réseau enveloppant, illimité) ont été célébrées dans les mythologies du discours théorique contemporain. Au-delà de cette nécessité rationnelle ou de cette passion fétichiste, l'intertextualité originaire et sa variante radicalisée, l'hypertextualité ("hyper" : toujours plus !) semblent se dissoudre inévitablement à l’analyse en une gamme d'infra-concepts, de termes plus précis, de modalités plus restreintes : citation, autocitation, plagiat, allusion, référence, parodie, pastiche, forgerie, transposition, imitatio, réminiscence, et pourquoi pas "sources", "influences", etc... La diffraction infinitésimale des exemples, la pression sous-jacente d'un riche vocabulaire accentuent cette difficulté méthodologique. Toute analyse de l'intertextualité introduit subrepticement des désignations moins neutres et moins techniques, des connotations variées, des métaphores évocatrices : par exemple, l'effet de fascination d'un palimpseste généralisé ; la citation comme proclamation militaire96 ou argument d'autorité, excitation du lecteur et mélancolie du compilateur ; tout l’artisanat du collage, de la "sertissure", de la "farcissure"97, de la greffe et du croisement : bricolage ludique de matériaux textuels, découpage de fragments ; divers états psychiques : la manie "correctrice", le symptôme de la "ré(é)criture" à l'infini ; la transgression provocatrice à l'égard des modèles, la perversion du plagiaire, l'emprise ou le détournement des sources ; la fusion jubilatoire, la dispersion, la dissolution du sujet écrivant dans la matrice des intertextes... Les autres méga-concepts inventés sur ce même étymon de "texte" se décomposent eux aussi à l'analyse, lorsqu'il s'agit de repérer la singularité d'une pratique, l'évolution des genres, les spécificités d'une période. Par là même, l'univocité, cette propriété nécessaire aux concepts, fait défaut à l'intertextualité comme à l'hypertextualité. À l'évidence, l'histoire de la langue, le contexte culturel, les pouvoirs de l'imaginaire projettent le substrat d'une herméneutique dans les théories de la littérature.
73Certes, les travaux sur l'intertextualité ont édifié un savoir positif dont les méthodes s'appliquent à des faits observables. Néanmoins, il appartient à l'exégèse de mettre quelque peu à l'épreuve leur cohérence et leur valeur. De ce point de vue, les failles internes, les divergences d'une hypothèse à l'autre présentent autant d'intérêt que des recoupements qu'il ne faudrait pas tenir pour des acquis définitifs. Ainsi, au lieu de construire une synthèse artificielle, il m'est apparu plus probant de faire dialoguer les composantes d'un champ de recherches où se révèlent tant de confrontations actives98.
Notes de bas de page
1 Hans-George Ruprecht, "Intertextualité", Texte (Toronto), no 2,1983, p. 13-15. (Prépublication d'une notice également prévue pour le Dictionnaire international des termes littéraires).
2 Julia Kristeva, Semiotikè. Recherches pour une sémanalyse, coll. "Tel Quel", éd. du Seuil, 1969, "Le mot, le dialogue et le roman", p. 145-146.
3 Tzvetan Todorov, Mikhäel Bakhtine : le principe dialogique, coll. "Poétique", Seuil, 1981. Cet ouvrage comporte un chapitre intitulé "Intertextualité" (p. 95-116) ; Todorov admet que l'usage répandu de ce concept kristevien constitue la traduction française du concept bakhtinien de "dialogisme".
4 Voir les pages 247-251 de la Bibliographie annotée de Don Bruce, Texte, Toronto, 1983.
5 J. Kristeva, ibidem, "Le texte clos", p. 113.
6 Ibidem, p. 113. Cet article contient à titre d'illustration une étude de Jehan de Saintré d'Antoine de la Sale ; il s'agit de montrer dans ce roman du XVe siècle le passage d'une pensée symbolique fondée sur les universaux à l'idéologème du signe, fondée sur l'écart, la contradiction ; cette thèse sera développée dans Le Texte du roman, Mouton, La Haye, 1970.
7 "Pour une sémiologie des paragrammes"(1966), Semiotikè, ouv. cité, p. 178. Les analyses consacrées à Mallarmé et à Lautréamont seront reprises et développées en 1974 dans La Révolution du langage poétique.
8 "Problèmes de la structuration du texte", La Nouvelle Critique, no spécial d'avril 1968, p. 60.
9 Voir J. Kristeva, La Révolution du langage poétique, éd. du Seuil, coll. "Tel Quel", 1974, p. 59-60.
10 Ibidem, p. 340.
11 Ibidem, p. 339.
12 Michel Arrivé, "Pour une théorie des textes poly-isotopiques", Langages, no 31, septembre 1973, p. 53-63.
13 On trouvera un résumé détaillé de cette contribution, et des exemples dans Introduction aux études littéraires, Duculot, Paris-Louvain-la-Neuve (Belgique), 1987, p. 115-120.
14 Roland Barthes, Le Plaisir du texte, coll. "Tel Quel", éd. du Seuil, p. 59.
15 Ibidem, p. 55-56.
16 Jean Ricardou, Pour une théorie du Nouveau roman, Seuil, 1971, p. 162 et suiv.
17 J. Ricardou, "Claude Simon, textuellement", in Claude Simon, Colloque de Cerisy-la-Salle, Union Générale d'éditions, coll. "10/18", 1975.
18 Cette terminologie complémentaire est beaucoup moins répandue que le concept d'intertextualité ; on en trouve, à ma connaissance, une première mention sous la plume de Jean Verrier dans Poétique, no 26, 1974, "Segalen lecteur de Segalen", p. 338-339 ; mais le sens en est proche de la composition circulaire et spéculaire (qu'on appelle parfois plutôt "autotextualité") : « Le jeu des reflets et des répétitions ne s'établit pas entre le texte du roman et un référent, mais à l'intérieur du texte même. Il est le fruit du travail de l'écriture et particulièrement de ce que l'on pourrait appeler "l'intratextualité" ». Chez Todorov, le régime "intratextuel" s’oppose à l'extratextuel (voir Symbolisme et interprétation, coll. "Poétique", Seuil, 1978, p. 61-62). Enfin, dans la revue Texte (1983), Brian T. Fitch situe "l’intra-intertextualité" au point d'intersection de l’intertextuel et de l'intratextuel (l'intertextualité externe/générale et l'intratextualité, au sens d'intertextualité interne – restreinte aux textes d'un même auteur) (Texte, ouvrage cité, p. 85-86).
19 Leyla Perrone-Moisés, "L'intertextualité critique", Poétique, no 27, 1976, p. 372-384.
20 Laurent Jenny, "La stratégie de la forme", ibidem, p. 262.
21 Ibidem, p. 281.
22 Paul Zumthor, "Le carrefour des rhétoriqueurs : intertextualité et rhétorique », ibidem, p. 336 ; voir aussi Poétique, "Intertextualités médiévales", no 41, février 1981.
23 Tzvetan Todorov, Symbolisme et interprétation, coll. "Poétique", Seuil, 1978, p. 61-62.
24 T. Todorov, Mikhaïl Bakhtine : le principe dialogique, Seuil, 1981.
25 Léon Somville a fait un compte rendu plus détaillé de cette contribution (et de quelques autres) dans Introduction aux études littéraires (Sous la direction de Maurice Delcroix, Fernand Hallyn), Duculot, Paris-Louvain-la-Neuve (Belgique), 1987, p. 120-125 ; voir aussi la bibliographie p. 364-365.
26 Michael Riffaterre, "L'intertexte inconnu", Littérature, no41, février 1981, p.4-5.
27 M. Riffaterre, La Production du texte, coll. "Poétique", Seuil, 1979, p. 76.
28 M. Riffaterre "La trace de l'intertexte", La Pensée, no215, octobre 1980, p. 4.
29 Ibidem, p. 18.
30 Ibidem, p. 5
31 Umberto Eco, Interprétation et surinterprétation, P.U.F., trad. fr., 1996, p. 23.
32 André Topia, "Contrepoints joyciens", Poétique, no 27,1976, p. 351-371.
33 Antoine Compagnon, La Seconde Main, ou le travail de la citation, éd. du Seuil, 1979, p. 27.
34 Ibidem, p. 34.
35 R. Barthes (S/Z, Seuil, 1970, p. 10) cité par A. Compagnon, op. cité, p. 35.
36 A. Compagnon, ibidem (p. 35).
37 Voir aussi A. Compagnon, "Proust sur Racine", La citation, Revue des sciences humaines, no 196,1984, p. 39-64.
38 A. Compagnon, La Seconde Main, ouvrage cité, p. 55.
39 Ibidem.
40 Une trace de cette confusion est repérable dans un ouvrage récent qui commence par analyser les personnages citant des propos fictionnels, malgré l'absence d'emprunt attesté dans ce cas : Annick Bouillaguet, Le Jeu intertextuel, Éditions du Titre, 1990, p. 17.
41 A. Compagnon, ouvrage cité, p. 337.
42 G. Genette, "Proust palimpseste", Figures I, Seuil, 1966, p. 39-67.
43 G. Genette, Palimpsestes, La littérature au second degré, Seuil, coll. "Poétique", 1982, p. 8.
44 Annick Bouillaguet, "Une typologie de l'emprunt", Poétique, no 80, novembre 1989, p. 496.
explicite | non explicite | |
littéral | citation | plagiat |
non littéral | référence | allusion |
45 Genette, ouvrage cité, p. 10.
46 Ibidem, p. 11-12.
47 Ibidem, p. 14.
48 G. Genette, ibidem, p. 453.
49 G. Genette, ibidem, p. 16.
50 Ibidem.
51 Ibidem, p. 371-372.
52 Ibidem, p. 452.
53 Ibidem, p. 25, p. 43, 46, p. 135, p. 175, p. 254, p. 332.
54 Ibidem, p. 26, 47, 48 ; p. 57 : "la pochade de Jean Tardieu" ; p. 300 : " Il s'agit de notre vieil ami Houdar de la Motte" ; p. 301 : "Houdar ne passe certes pas pour un géant de la scène".
55 Ibidem, p. 84.
56 Ibidem, p. 105.
57 Ibidem, p. 40.
58 Ibidem, p. 39 ; voir aussi la définition presque aphoristique de la copie, effet d'imitation maximale obtenu par un effort de transformation minimale, p. 444-445.
59 G. Genette, Figures III, coll. "Poétique", Seuil, 1972, p. 270.
60 « Pour moi, la phrase surgie (dictée ?) d'où je pars [...] a ce caractère de carrefour [...] entre se taire et dire, entre la vie et la mort, entre la création et la stérilité. Et cela se passe non point au niveau de la volonté, de la décision herculéenne, mais dans le choix, l'arbitraire des mots empruntés (à qui ? pourquoi ?) comme par l'étrange détour de l'échangeur ». Aragon, Je n'ai jamais appris à écrire ou les incipit (1969), coll. "Champs", Flammarion, 1981, p. 41-42. Et p. 43 : « Comprenez-moi bien, ce n'est pas manière de dire, métaphore ou comparaison, je n'ai jamais écrit mes romans, je les ai lus ».
61 Aragon, Les Collages (1923-1965), coll. "Savoir", Hermann, 1980.
62 Aragon, Blanche ou l'oubli (1967), nrf, Gallimard, p. 496.
63 Ainsi, pour reprendre l'exemple du collage, ce concept représente une contestation subversive de la valeur des arts plastiques ; Aragon commente dès 1923 les collages de Max Ernst, "peintre des illusions", et distingue en fait divers types de collage (cubiste, dadaïste, surréaliste). Cet effet de transposition est indéniable dans Le Paysan de Paris (1926) où le dépaysement onirique se combine à des fragments prélevés du référent. Jusqu'en 1965, Aragon va commenter la pratique des collages en parallèle avec son évolution d’écrivain et sa conception du réalisme. À son tour, la critique va rapprocher (de manière presque anachronique) le métalangage aragonien de l’intérêt dont bénéficiait l’intertextualité : voir Wolfgang Babilas, "Le collage dans l’œuvre critique et littéraire d’Aragon", Revue des sciences humaines, juillet-septembre 1973, no 151, p. 329-354.
64 Francis Goyet, "“Imitatio” ou intertextualité ?", Poétique, no 71, septembre 1987, p. 313-314 : « [...] il [Riffaterre] a affirmé péremptoirement que tout texte dérivait d’un autre : “Il est constant qu’un texte littéraire signifie par rapport à des textes qu’il présuppose.” [...] Je soutiendrai que non, en ramenant cette ambitieuse proposition universelle à une modeste proposition particulière : non pas tous les textes tout le temps, mais quelques-uns, parfois ».
65 Ibidem, p. 320.
66 H. Behar, "Le pagure de la modernité", Littéruptures, "Bibliothèque Mélusine", L'Âge d'homme, 1988, p. 189.
67 Ibidem, p. 187.
Procès : | /Élément mis en cause : |
Transcription | canal |
plagiat | référent situationnel |
citation | référent contextuel |
pastiche | substance du message |
paraphrase | forme du message |
parodie | message |
collage | code |
68 Collages, Revue d'esthétique, 1978, coll. "10/18", p. 34-35.
69 Éric Marty, "L'apologie de l'influence : la citation dans le Journal d'André Gide", Revue des sciences humaines, 1984, p. 81-92 ; voir aussi Daniel Moutote, "Intertextualité et journal dans l'œuvre d'André Gide", Le Plaisir de l'intertexte, Peter Lang Verlag (Frankfurt am Main-Bern-New York-Paris), Actes du colloque de Duisburg, 1985 : "Formes et fonctions de l'intertextualité dans la littérature française du XXe siècle", 2ème édition 1989, p. 137-184 ; Alain Goulet "Narcisse au travail dans l'œuvre d'André Gide", ibidem, p. 185-208 ; Pierre Masson, "Production-reproduction : l'intertextualité comme principe créateur dans l'œuvre d'André Gide", ibidem, p. 209-226.
70 Anne Chevalier, "Du détournement des sources", Revue des sciences humaines, ouvrage cité, p. 66-79.
71 Jean-Claude Vareille, "Butor ou l'intertextualité généralisée", Le Plaisir de l'intertexte, ouvrage cité, p. 277-296 ; voir aussi Marie Miguet-Ollagnier, "Activité et représentations du feu dans Où de Michel Butor", Le Nouveau Roman en questions 2, Minard, 1993, p. 54-64.
72 Voir déjà La Seconde Main, ouvrage cité, et certaines contributions du no spécial de la Revue d'esthétique sur les collages.
73 L. Jenny, Poétique, art. cité, p. 258-259.
74 Michel Schneider, Voleurs de mots, "Bibliothèque des idées", Connaissance de l'inconscient, Gallimard, 1985.
75 Poétique, no 27, 1976 ; Littérature, no 41, 1981 ; no 55, 1984 ; no 69, 1988 ; Texte (Toronto), no 2, 1983 ; repris l'année suivante dans un volume publié par Trinity College.
76 Roland Barthes, "Texte" (Théorie du), Encyclopedia Universalis, t. XV, 1968, pp. 1013-7.
77 F. Wahl, O. Ducrot et T. Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil, 1972, p. 445-446 ; rééd. 1979.
78 D. Maingueneau, Initiation aux méthodes de l'analyse du discours, Hachette, 1976.
79 Hans-George Ruprecht, "Intertextualité", Texte (Toronto), art. cité, p. 16.
80 Marc Angenot, "L'intertextualité : enquête sur l'émergence et la diffusion d'un champ notionnel", Revue des sciences humaines, no 189, 1983, p. 121-135 ; et "Intertextualité, interdiscursivité, discours social", Texte, ouvrage cité, p. 101-112.
81 M. Angenot, "L'intertextualité : enquête sur l'émergence et la diffusion d'un champ notionnel", art. cité, p. 131.
82 Ibidem, p. 128.
83 Michel Arrivé, "Intertexte et intertextualité chez Ferdinand de Saussure ?", Le Plaisir de l'intertexte, ouvrage cité, p. 15-16.
84 Par exemple Introduction aux études littéraires : méthodes du texte, ouvrage cité ; Michèle Aquien, Dictionnaire de poétique, Le Livre de Poche, 1993, p. 159-160 ; Joëlle Gardes-Tamine, Marie-Claude Hubert, Dictionnaire de critique littéraire, A. Colin, 1993, p. 100-101 ; Daniel Bergez et alii, Vocabulaire de l’analyse littéraire, Dunod, 1994, p. 123-125. Cependant, une étude d'ensemble, cohérente et précise, vient d'être proposée : Nathalie Piegay-Gros, Introduction à l’intertextualité, Dunod, 1996.
85 A. J. Greimas, J. Courtès, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Hachette, 1979, p. 194.
86 Pierre-Marc de Biasi, "Intertextualité (Théorie de), Encyclopedia universalis, éd. 1989, p. 514.
87 Ibidem, p. 515.
88 Ibidem, p. 516.
89 Palimpsestes, op. cit., p. 447.
90 Raymonde Debray-Genette, "Histoire littéraire et critique génétique", Revue d'histoire de la France, Supplément 1995, no 6, p. 158.
91 Ibidem, p. 160.
92 Raymonde Debray-Genette, Essais de critique génétique, coll. "Textes et manuscrits", Flammarion, 1979.
93 « [...] la critique des sources ne s'est pas privée d'établir de tels rapprochements. Mais à voir l'intertextualité partout, on perd les moyens d'identifier et de distinguer les textes où elle joue un rôle constitutif. Il faut donc que le principe global de la présence nécessaire d'une dimension intertextuelle soit modéré et nuancé par des règles ponctuelles, qui permettent d'établir les cas où l'intertextualité est pertinente ou non. » T. Todorov, Symbolisme et interprétation, Seuil, 1978, p. 61.
94 Voir par exemple Marc Eigeldinger, Mythologie et intertextualité, Slatkine, 1987, "Introduction", p. 9-10 ; Raymonde Debray-Genette, Revue d'histoire littéraire de la France, ouvrage cité, p. 158-160 ; et Nathalie Piegay-Gros, ouvrage cité.
95 Marc Eigeldinger, ouvrage cité, p. 9-10 : « Il faut d'emblée préciser que l'intertextualité ne saurait se confondre avec l'établissement des sources, qu'elle s'en distingue parce qu'elle se situe à un autre niveau en tant qu'acte de l'écriture. Elle renvoie certes à un savoir culturel, mais elle vise à la reconstruction du texte et elle est déterminée par son fonctionnement. Davantage qu'à un emprunt, elle correspond à une greffe ou à une trace, selon la formule de Michael Riffaterre. C'est pour éviter cette confusion entre l'intertextualité et la recherche des sources que Julia Kristeva a opté pour le terme de transposition [...]. »
96 Jean-Pierre Guillerm, La Citation, Revue des sciences humaines, ouvrage cité, p. 5.
97 "La farcissure : intertextualités au XVIe siècle", Littérature, no 55, octobre 1984.
98 Au sens où Tzvetan Todorov propose de construire "une critique dialogique" (Critique de la critique, collection "Poétique", Seuil, 1984).
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L’intertextualité
Ce livre est cité par
- TURAN, Simay. (2020) Réécriture d’un mythe ou réécriture de l’humanité ? «Exemple de Le Nom d’Œdipe d'Hélène Cixous». RumeliDE Dil ve Edebiyat Araştırmaları Dergisi. DOI: 10.29000/rumelide.814666
Ce chapitre est cité par
- Yahyaoui, Sarah. (2022) Intertextualité de « Montréal $ud » : Dead Obies et le hip-hop. Analyses, 16. DOI: 10.7202/1090841ar
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