Avant-propos
p. 9-12
Texte intégral
1Quand la ténèbre n’avait pas encore recouvert le monde, les mots désignaient idéalement les choses. Mais le pacte a été rompu et le langage, à son tour, a trahi. Pour Claude Louis-Combet, l’écriture consiste ainsi à approcher un mot essentiel, mais qui se refuse. Bien vaine peut apparaître cette recherche d’une phrase fondamentale, puisque nous n’avons en partage que les mots de notre langue, et qu’à l’origine de tant de livres, il y a une page illisible, gardienne du secret. Toute une littérature s’accommode sans doute de cette perte. Mais l’homme, devenu l’habitant d’une paroisse morte, peut-il demeurer indifférent à la question du sens ? Comment peut-il vivre – ou plutôt survivre – dans un paysage dévasté, au point de n’avoir pas même conscience de sa déréliction, et d’oublier la marque en lui du péché ?
2Loin des bruits du monde et de l’écume des événements, Claude Louis-Combet a choisi une forme d’inactualité. Opposant à l’appel des choses une sorte d’« inattention », il préfère la souveraineté que confère le retrait, ainsi que le montre, en ouverture, Dominique Bondu, qui peint Claude Louis-Combet en ermite, et pour cela même au centre. Se refusant à accepter le réel en sa pauvreté d’être, mais tout autant incapable d’en appeler aux illusions consolantes de l’ancien temps, l’écrivain vit un entre-deux, avec le souvenir comme viatique, et la finitude comme horizon. Il n’en revient pas, en effet, de la catastrophe inaugurale, ce « reniement » qui nous a « déjetés ». Mais alors, dans l’éloignement qui est le nôtre, il est difficile d’entendre encore la rumeur de l’origine, et d’évoquer le moment où le monde était encore une promesse. Approcher le secret – déjà vu, déjà vécu –, cela passe donc par une anamnèse, l’écriture constituant un mode de la réminiscence ; et la fable, une façon de se ressouvenir.
3À la parole première, inaudible, nous n’avons plus accès. Il nous revient donc d’en recueillir l’écho diffracté à travers ces textes médiateurs que sont les paroles de sagesse – récits hagiographiques, mythes grecs –, véritable mémoire de l’immémorial. Ce travail de reprise, nous le percevons bien dans la première partie, « Sources », grâce au fonds Claude Louis-Combet du centre Jacques-Petit de l’Université de Franche-Comté, présenté par France Marchal-Ninosque. L’approche génétique donne à voir la fabrique du texte (France Marchal-Ninosque, Élodie Bouygues et Héloïse Cabiron), notamment dans les marginalia, qui révèlent tout un travail d’innutrition (Noura El Cheikh), Claude Louis-Combet, copiste infidèle, reprenant à la tradition pour faire entendre d’autres harmoniques (Myriam White-Le Goff). L’auteur reconnaît d’ailleurs volontiers ce qu’il doit à de grands médiateurs : l’abbé Bremond, d’où proviennent tant de ces « égarées » qui peuplent l’œuvre (Marianne Froye) ; Platon, et l’éblouissement éprouvé à sa lecture (Marianne Massin) ; et bien sûr Henri Maldiney, le passeur, qui lui fit découvrir, entre autres, les romans de Samuel Beckett (Cyril Piroux). Escortée de toutes ces présences, l’œuvre peut faire de l’exil le chemin d’un « pèlerinage ». Mais de cette quête de soi, où passe le souvenir du vieil examen de conscience, quel est le véritable lieu ? Où se trouve l’« Ultima Thulé » ? Et comment concilier le « sentiment de désancrage » qui habite l’homme et finit par se confondre avec le « sentiment de notre existence », au motif qu’il représente non le divin mais bien plutôt son « ombre » et son « envers », avec la sensualité qui émane de l’œuvre, la plénitude charnelle de certains personnages – jusque dans leur souveraineté abjecte – et cette luxuriance de l’écriture ?
4Pour répondre à pareille question, la seconde partie se consacre à l’exploration de « L’imaginaire ». Écartelés entre christianisme et psychanalyse (Gérard Bonnet), les textes s’ouvrent en effet à une « métaphysique de la monstruosité » (Alexandre Salas), avec cette sainteté si proche de l’abîme (Dominique de Courcelles, Bernard Forthomme) et ces personnages aux identités réversibles (Marie Miguet-Ollagnier). C’est à ce prix qu’on accède à « la part obscure et mutique des sensations » (Anne Longuet Marx), jusqu’à esquisser, sur fond de franciscanisme, un accord avec le cosmos (Yaël Cange). Car s’il est facile d’opposer le Crucifié à Dionysos, puisque le christianisme et son goût de l’ascèse tiennent à distance le monde, on ne doit pas oublier qu’il sacralise les réalités élémentaires, ouvrant ainsi la voie à une réconciliation.
5Le risque alors, c’est qu’en cédant aux séductions de l’imaginaire, on en vienne à apprécier Claude Louis-Combet à l’aune de la psychologie, sans voir que la psychologie relève au fond de la métaphysique. Or depuis que l’homme a fait sécession, et s’en est venu habiter un univers déserté, il lui a été impossible de penser l’être sans détour. Du coup, les réalités élémentaires (la sensation, la chair), qui constituent notre horizon obligé, nous fournissent les seuls mots dont nous disposons. Rien d’étonnant alors à ce que le corps, qu’hypostasie le sexe de la femme, obsède à ce point le texte car lui seul permet d’interroger l’énigme, c’est-à-dire la question de l’origine. Quand le Sens s’est enfui, et la vérité hors de portée, quelle écriture inventer ? Dans un univers silencieux, quelle parole ? La seule justification de la littérature serait de nous indiquer le chemin de l’être ; mais comment pourrait-elle prétendre à pareille entreprise ? Du temps où le monde était habité, la prière rencontrait une écoute ; maintenant que les dieux s’en sont allés, la littérature n’a plus qu’à dire l’absence et le manque. Mais tout comme la poésie rémunère le défaut des langues, c’est justement l’absence qui féconde la parole.
6La troisième partie, consacrée à « L’esthétique », explore ainsi les apories d’une écriture vouée à célébrer la chair pour approcher l’être. Pour cette « parole organique » (Alain Romestaing), l’inceste apparaît comme la condition de l’accomplissement poétique (Marie-Hélène Boblet). Hantée par le rêve impossible du « neutre » (François Dominique), l’œuvre de Claude Louis-Combet donne à entendre un « cri » (Stéphanie Boulard) et se fait « liturgie de la chair » (Aude Bonord). Mais dès lors qu’est barrée la voie de la sainteté (Jacques Houriez), les mythobiographies ont beau préserver ces « reliques » que sont les textes anciens, l’écriture est « péché » (Jacques Poirier), permettant à l’enfant devenu homme de « réécrire sa damnation », faute d’avoir été « sujet de Dieu dès avant même l’heure première » (Daniel Vidal).
7 Enfin, la parole est donnée au mythobiographe qui, dans « Lisez ce que j’écris, vous me direz qui je suis », interroge ce qui se passe « à ce point de l’être où le cœur qui se cherche est tout près de se rejoindre, dans la fiction, sans espoir de rejoindre le réel », moment absolu où « l’écriture est l’unique activité susceptible de donner, fusse-t-elle aléatoire, une ombre de sens à l’existence ». Mais peut-être la beauté du verbe constitue-t-elle notre seule possibilité de salut dès lors que, comme le disait Hölderlin, « c’est poétiquement que l’homme habite sur la terre ».
Auteur
Professeur, Université de Bourgogne Centre Pluridisciplinaire Textes et Cultures, EA 4178
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