L’esthétique de Jules Barbey d’Aurevilly poète traducteur
p. 175-189
Texte intégral
1Si l’œuvre poétique de Jules Barbey d’Aurevilly reste méconnue et réduite, limitée dans le temps du point de vue de son écriture (mais témoignant de persévérance pour ce qui est de sa publication), son activité de traducteur l’est plus encore. Il a pourtant publié quelques traductions de poèmes de William Wordsworth1 : « Nous sommes sept », « L’Enfant aveugle des montagnes », « Lucy Gray ou la solitude ». Il a aussi eu recours à la traduction en tant qu’image pour désigner sa propre création poétique, en prose spécifiquement. Il est intéressant de saisir ce que ses tentatives de traductions révèlent de sa poétique, en écho avec diverses tendances esthétiques plus générales. Le choix d’évoquer sa propre parole de poète comme une transcription, dans une langue en prose, témoigne également d’aspects fondamentaux de son esthétique, tout autant qu’il le disculpe sur différents plans, personnel, poétique et générique. À partir de là, on peut aussi analyser comment ces usages de la traduction s’inscrivent – de manière convergente ou divergente – dans certaines évolutions majeures de l’histoire littéraire : celles du poème en prose, de la poésie plus généralement, du lyrisme de la Modernité.
2Barbey fait le choix de traduire en prose des textes à l’origine en vers. Il préfère également traduire, plutôt que le poète anglais qu’il admire sans doute le plus, Lord Byron, un autre romantique. Ces options éclairent deux axes, connexes, de l’esthétique aurevillienne, qui convergent en outre (un demi-siècle après) avec la poétique de Wordsworth telle que définie dans ses préfaces aux Lyrical Ballads : la promotion d’une poésie en prose issue des débats sur les relations entre poésie, vers et prose ; et la foi en la capacité de l’artiste à faire surgir la poésie de toute réalité. Barbey apprécie en effet chez Wordsworth la « poésie des choses2 », des petites choses, simples, mais que le Lakiste sait élever grâce à sa « longue et magnifique rêverie3 », qu’il sait transfigurer car il « a des manières de les regarder très-nouvelles, […] très-inventées » et des « recherches d’originalité4 ». En un mot, si Wordsworth peut être « niais », il est aussi « sublime5 » : « Au milieu des infiniment petits du détail, il sait ouvrir de l’horizon6 ».
3Cet abandon d’une nécessaire adéquation entre genre (poétique) et sujet ou style (noble, élevé) est fondateur d’une esthétique anti-classique. Mais, pour Barbey, cet élargissement des sujets poétiques ne fait que témoigner du caractère sublime de la poésie, toujours apte à « ajouter à la beauté du fait qu’elle raconte » et à « élever une réalité7 ». Si les choix de Barbey traducteur, notamment son admiration des sujets simples de la poésie lakiste, le rapprochent donc des révisions romantiques du poétique, ses réflexions théoriques le maintiennent dans une conception classique de la poésie et dans une esthétique du sublime.
4De même, la pratique poétique de Barbey, d’une poésie aussi bien en vers8 qu’en prose9 – et offrant en outre des échos entre ses poèmes en prose et ceux en vers10 –, entérine une dignité poétique de la prose qui, chez les romantiques anglais comme français, faisait encore partie des points de rupture avec l’esthétique classique :
Not only the language of a large portion of every good poem, even of the most elevated character, must necessarily, except with reference to the metre, in no respect differ from that of good prose, but likewise […] some of the most interesting parts of the best poems will be found to be strictly the language of prose when prose is well written. […] Is there then, it will be asked, no essential difference between the language of prose and metrical composition? I answer that there neither is nor can be any essential difference11.
5Pour Barbey, le poète ne saurait être réduit à un simple versificateur, à un « travailleur » du vers, un « homme de peine en littérature12 ». Il est celui qui doit avoir le « feu sacré13 », image qui renvoie, là encore, aussi bien à la force éclatante du génie romantique qu’à la sublimation classique. C’est pourquoi la prose (poétique) de son ami Maurice de Guérin, qui compte parmi les premiers poètes en prose romantiques, peut être louée comme plus admirable que ses vers : car le feu poétique y provient d’une « poitrine inspirée », par delà tout « instrument » grossièrement matérialiste :
Les vers de Guérin ne sont que des ébauches. C’est sa prose qui est sa poésie achevée. Sa prose, voilà son marbre travaillé, fouillé, éthéré, diaphane, rougissant, comme les nuées dont il a la légèreté dans les airs où il se dresse, mais ses vers… ce n’est qu’une glaise indécise, qui commence à vivre sous l’impression qu’elle a gardée d’un pouce divin ! […] Le Rythme ! Le Rythme ! ce n’était qu’un métier à apprendre, un pétrissage, une volonté, du contrepoint littéraire, mais la mélodie, Guérin l’avait et elle paraît plus divine à travers les fêlures de sa flûte. L’instrument est imparfait, près de se casser, près de se rompre ; mais l’haleine de jeune Dieu qui passe dans les trous du misérable roseau, la sentez-vous mieux perler et porter de vos oreilles dans votre âme, le son original, le son de la poitrine inspirée, qui passe dans l’instrument, mais que l’instrument ne fait pas ? Voilà aussi ce qui doit donner de la largeur à notre appréciation de cette poésie qui n’est pas des vers, mais qui est plus et moins que des vers et que les plus beaux vers, forgés à coups de marteau d’or, sur des enclumes de Diamants, ne vaudraient pas dans l’opinion des vrais connaisseurs14 !
6L’activité poétique de traduction est donc intéressante chez Barbey en ce qu’elle entre en écho avec des éléments importants de sa poétique ou de ses positionnements esthétiques : à la fois dans la lignée romantique, mais dans le prolongement, aussi, de présupposés classiques… et ce jusque dans les années 1850-1880.
7De plus, le processus de traduction semble se poursuivre au-delà même des traductions réelles : dans les poèmes en prose de Barbey, qu’il présente en effet à plusieurs reprises comme des sortes de traductions et dont l’origine pseudo-étrangère serait perceptible dans le -h du titre des Rhythmes oubliés, qui fait songer au terme anglais. Cette métaphore d’un discours poétique traduit tient peut-être au désir de Barbey poète de faire, plus même que du Wordsworth, du Byron15. Désir certes inavoué, mais qui pointe à travers telle allusion à Byron dans « Les Bottines bleues » ou Amaïdée16, ou telle définition donnée à Trebutien de « Niobé », « cette rêverie qu’on croirait traduite d’un poëte anglais17 ».
8 Mais si la rêverie poétique aurevillienne est traduction, c’est surtout parce qu’elle est retransmission d’une parole autre, qui échappe en partie au poète :
Ma Niobé n’est pas de la poésie, car il n’y a pas de poésie sans Rhythme et sans cette langue à part que les sots croient un mécanisme et que j’appelle un organisme, moi ! Ce n’est point de la poésie, mais c’est quelque chose de poétique et d’exalté qui tient le milieu entre la prose et la poésie, mais qui penche surtout de ce côté. On dirait, – si je ne me trompe, – ce morceau-là traduit de quelque poëte inconnu. Et de fait, il y a dans le diable de fouillis qui est ma nature, dans ce buisson ardent de facultés entrecroisées, il y a couché quelque part, un poëte inconnu et c’est des œuvres cachées de ce poëte, que ceci a été traduit dans la furie ou la Rêverie d’un moment18.
9L’indécision du poème en prose n’est donc pas que générique, elle touche son énonciation même : un poète (inconnu) habite en Barbey, qui doit se traduire lui-même lorsqu’il veut faire œuvre de poète ! Le moi profond, à extirper dans ce mouvement de traduction de soi à soi, est bien, en conséquence, un moi poétique (puisque se révélant sur un mode poétique), mais traduit, néanmoins, dans une « poésie sans Rhythme », une poésie en prose, qui n’est donc « pas de la poésie », ou pas exactement, car le moi plus superficiel, traducteur, n’est pas, lui, poète. La parole poétique est par conséquent, pour Barbey, à la fois sienne et étrangère, accessible uniquement par la médiation d’une traduction.
10Et si le poète présent en Barbey est un « poëte inconnu », c’est que la poésie demeure un absolu qui ne peut être atteint : les poèmes en prose sont des « rhythmes oubliés », tel autre texte proche n’est qu’un « fragment19 », tout renvoie à un « poème fantasmatique qui n’apparaît chez Barbey qu’au conditionnel, sur le mode du désir ou du regret20 ». Amaïdée, sous-titré « poëme en prose21 », mais qui n’est qu’« une espèce de poëme en prose22 », met en scène cette conception absolue – et pessimiste – de la création : Somegod, qui incarne dans ce texte le Poète (et l’ami Guérin), est incapable d’« exprimer l’Amour23 », « une harpe [lui] manqu[e]24 » ; « de Poésie, [il] n’en [a] pas qui [lui] appartienne25 », il ne peut que « rêv[er] » un « langage idéal26 », que « jou[er] au Dieu en s’efforçant de créer avec sa parole27 ». Sa poésie « est toute dans cet inexprimable amour, qui l’a clouée, comme la foudre, au fond de [s]on âme28 », comme au fond de celle de Barbey lui-même, où le traducteur doit aller puiser. Il en découle que le poète est toujours un « Génie muet29 », non éclos, image développée également à propos de Guérin30 :
Pour les Artistes, pour les rêveurs, pour les acheveurs en pensée des Ébauches que le Génie laisse derrière lui comme des œufs merveilleux qu’il n’a pu couver, ces vers où l’image la plus charmante tremble dans le Rythme mal assuré comme un rayon de l’aube ou de la lune tremble sur la feuille agitée du peuplier, ces vers ont un charme qui se redouble du contraste et qui augmente de leur faiblesse.
11La poésie, « fille de Dieu31 », reste inaccessible, la création artistique n’atteint jamais au « poème de la Création32 ». Mais la prose qui dit cette quête impossible de l’idéal poétique aboutit tout de même à des bribes de poétique33 : imparfaites et conscientes de ne pouvoir exactement dire « l’Amour » majuscule, mais tentant tout de même, dans leur imperfection, et en prose, d’en approcher. De traduire.
12Si les récits aurevilliens mettent très fréquemment en scène une énonciation enchâssée, avec un narrateur qui se présente comme un conteur second, sorte de rhapsode qui récite – et joue – un texte écrit ou dit par un autre, la poésie demande donc, elle, un traducteur. Même redoublement d’une parole autre, même délégation en cascade, par l’auteur, de son autorité linguistique ; mais, en poésie, il s’agit moins de rhapsodie que de traduction, c’est-à-dire de transcription d’une langue à une autre, car la poésie est bien pour Barbey essentiellement une question de langue : une « langue à part34 ».
13Le Fragment, à la fois récit et poème, explicite cette distance de soi à soi qui se joue pour Barbey dans la création poétique, tout comme le caractère essentiel qu’y possède la langue. Ce texte bref débute par le récit, en troisième personne et au passé, d’un moment, anecdotique mais initiatique, dans la vie de deux jeunes filles. Au milieu de ce récit, le narrateur intervient brutalement en s’adressant à l’une de ses deux personnages, dont on apprend alors qu’elle est à l’origine de ce récit, mais comme sujet lyrique bien plus que comme narratrice :
Qui donc les obligeait à rester ainsi, oublieuses de leurs châles délaissés ? Qui donc les retenait à cette fenêtre, insoucieuses de ces fragilités de teint que les aspérités de la saison offensaient ? Vous qui m’avez raconté ces choses, vous ne me l’avez pas dit, Madame ; vous avez gardé le plus précieux dans votre âme. Vous n’avez pas voulu qu’entre l’impression et l’écorce je pusse poser un doigt curieux ; vous n’avez pas voulu que je remontasse flot à flot ces épanchements de la pensée jusqu’à leur secrète origine ; vous avez voilé, sinon éteint, ses plus intimes résonances… Ou peut-être même les avez-vous oubliées, tant elles passèrent au plus profond de ce mobile je ne sais quoi qui s’appelle un cœur heureux et qui ne vous est pas resté35 !
14L’auteur du Fragment ne peut donc que répéter l’histoire dite par cette jeune fille, mais amputée d’éléments qui lui avaient donné sa valeur :
N’est-ce pas bien là ce que vous m’avez raconté, Madame, moins votre doigt (celui du milieu, je crois), que vous glissez si rêveusement le long de vos lèvres tout en racontant ; moins votre regard qui s’altère, et votre voix qui, en se baissant, veloute tout ce qu’elle dit ; moins, enfin, ces ineffables charmes de votre manière donnés à ce souvenir de votre jeunesse, gâté par moi en le rappelant parce que nous sommes trop loin l’un de l’autre pour que vous puissiez recommencer à me le raconter encore, Madame, c’est ce qu’avaient voulu signifier ces fleurs qui n’étaient pas encore tombées quand vos deux têtes s’inclinèrent comme pour les rejeter36.
15Le narrateur est également, dans le Fragment, un traducteur. Et si, du fait de la traduction, le rythme est perdu, « brisé », par l’empathie poétique, en revanche, l’intime, la pensée peuvent être en partie transcrits (sauvegardés par la « voix » du traducteur, qui sait « ce qu’avaient voulu signifier [l]es fleurs » du récit premier). Le récit se fait poème (« sonnet »), bien que traduit en prose :
Depuis, je vous ai entendu faire ce récit avec la mélancolie qui s’attache aux joies et aux peines écoulées. En relisant ce livre d’un poète que vous aimez, à ces poésies intimes qui vous plaisent est revenue se mêler l’idée de ce récit fait par vous comme une poésie aussi intime et plus douce, comme quelque sonnet parmi ceux-ci dont le sentiment a survécu au rhythme brisé, mais (comme vous le voyez, Madame) dont je n’ai pu recueillir les débris épars. Voilà pourquoi j’ai écrit ces lignes ici même, espérant que l’amour de ce livre serait l’occasion qui vous les ferait lire comme on lit ce qu’on a écrit, soi, il y a longtemps ; car si ce n’est pas toute votre pensée, au moins est-ce un peu de votre pensée. L’âme est souvent comme les petits enfants qui aiment mieux leur voix dans l’écho : tout de même on accueille bien sa pensée quand elle revient toute affaiblie, mais reconnaissable encore, du cœur caché dans les lointains de la vie où habite l’écho invisible37 !
16Le Fragment, sorte de « rhythme » brisé avant la lettre et qui s’autodéfinit, renvoie donc bien à la complexité de la création poétique pour Barbey : quelque chose qui est à la fois en soi et pas entièrement de soi, devant donc être transcrit pour être véritablement ex-primé. Et ce processus de traduction reflète, une nouvelle fois, une espèce de mystique de la Beauté absolue, que l’artiste ne peut que tenter d’imiter.
17Par-delà ce credo renvoyant à l’un des fondements de l’esthétique classique, la traduction, chez Barbey, procède aussi du dédouanement. Sur un plan personnel d’abord : bien que capable de se rêver en Byron et, en conséquence, de faire peser une forte charge fantasmatique sur la poésie, Barbey se sait en fait inapte à rivaliser avec le grand romantique anglais. Si la poésie est inatteignable, ce n’est pas seulement en tant qu’absolu, mais sans doute, avant tout, par Barbey lui-même, qui se juge mauvais poète, qui ne cesse, en tout cas, comme le rappelle Pascale Auraix-Jonchière38, de porter un jugement dépréciateur, sur ses vers particulièrement : qualifiant ses productions versifiées de « poussières39 », « versiculets40 », « verroterie41 ». La mise à distance de la création poétique par le biais d’un processus de traduction imaginaire et surajouté disculpe en partie de cette médiocrité, qui ne saurait être mise au compte exclusif du simple traducteur.
18Sur un autre plan, la traduction est une excuse à l’indéfinition générique : dans la lettre de Barbey à Trebutien42 sur son poème en prose « Niobé », le fait que sa rêverie poétique soit traduite d’un « poëte inconnu » caché en lui apparaît comme « la meilleure explication à donner peut-être de cette strange thing qu’un Académicien ne saurait classer ». La traduction absout donc du péché de monstruosité générique des textes qui ne sont « pas de la poésie », tout en étant « quelque chose de poétique et d’exalté », qui sont « entre la prose et la poésie43 ». Si la poésie pure est inatteignable, des formes hybrides, monstrueuses (chimériques ?) en poursuivent toutefois la postulation. Péché du point de vue classique là encore, l’indéfinition générique est rachetée par l’évaluation généralement positive de la monstruosité chez Barbey, souvent associée à la force, au génie et, par là, digne d’admiration.
19Elle est en outre relayée par une indéfinition d’un autre ordre, sexuel : perceptible à la fois dans la manière dont Barbey théorise le genre du poème en prose et à travers l’origine énonciative de certains de ses poèmes en prose. « Niobé » est en effet défini, comme une « production Hermaphrodite qui répond au mot de M. Jourdain : Tout ce qui n’est pas vers est prose et tout ce qui n’est pas prose est vers44 », comme une de ces « créations intermédiaires entre les créations contrastantes45 » ; et le genre du rhythme brisé est comparé à une « femme sans busc et sans corset46 », autre image de perversion sexuelle pour Barbey (non exempte d’attrait, du reste). Quant au Fragment, il est retranscription d’une parole première due à une locutrice, traduction au masculin, donc, d’une parole féminine, dans une relation nettement sexualisée47, tant les lèvres ou doigts sont présents (doigt curieux, doigt du milieu, précise le traducteur), tant les regards « s’altère[nt] » et les voix « veloute[nt] », tant l’isotopie de l’intimité et de la profondeur est développée (« secrète origine », « ses plus intimes résonances », « au plus profond »…), tout comme celle de l’« épanchement », tant les fleurs des jeunes filles tombent et tant la distance de la traduction est aussi distance des corps (« ce souvenir de votre jeunesse, gâté par moi en le rappelant parce que nous sommes trop loin l’un de l’autre »). De manière proche, Amaïdée est pour une part une autre réalisation « hermaphrodite » : du point de vue de son genre, là encore, ainsi que le montre Pascale Auraix-Jonchière qui analyse les relations entre les trois personnages du récit comme la métaphore d’un « genre mixte », « qui remettrait en cause l’antinomie constamment réaffirmée de la prose et du vers48 », puisque cette trinité est également « unité, dont l’élément central participe à la fois de la nature des deux autres pour en abolir définitivement les différences49 ». Or, avec ce texte, Barbey se fait aussi le traducteur de son ami Guérin : Amaïdée réalisant, sur un plan générique donc, un projet poétique non abouti de Guérin, celui d’écrire un Hermaphrodite50 ; Guérin que Barbey qualifie en outre « d’hermaphrodite intellectuel51 » et qu’il figure, dans son récit poétique, dans le personnage de Somegod, à travers une ambiguïté sexuelle, qui le lie à Altaï (Barbey) : « Et [à la vue d’Altaï] j’ai éprouvé jusque dans la moelle de mes os une joie secrète, quelque chose de véhément et d’intime comparable, sans doute, à ce qu’éprouvent les hommes capables d’amitié52 ». La traduction, malgré ses résonances classiques, renvoie donc également à une esthétique beaucoup plus impure (romantique ? décadente ?) de l’indéfinition, du mélange et de l’ambiguïté.
20Par ces différents aspects, Barbey rejoint une histoire littéraire plus générale et (avec quelques décalages temporels) le cheminement même du genre du poème en prose. Dans l’émergence de cette forme, les phénomènes de pseudo-traduction jouent en effet un rôle important : dans les dernières décennies du XVIIIe siècle et les premières du XIXe, paraissent en France de nombreux textes qui se veulent des transpositions de textes étrangers (ou anciens), alors même qu’ils sont des créations contemporaines (et françaises), présentées comme des traductions53. Ce subterfuge permet aux auteurs d’importer un certain exotisme dans la poésie française et, finalement, des thématiques, formes et pratiques poétiques nouvelles. Il sert donc aussi de couverture : l’auteur, tout en les proposant au public, ne reprend pas totalement à son compte les hardiesses induites par la soi-disant traduction, notamment, lorsqu’il s’agit de textes poétiques, le fait qu’ils soient (prétendument) traduits en prose et que la prose intègre donc, par ce biais, le champ poétique français.
21Le jeu de Barbey poète avec la traduction rejoint l’histoire littéraire générale sur un autre point, les interrogations poétiques et esthétiques de Barbey sur les rapports entre vers, prose et poésie renvoyant à une mise en question plus générale : l’émergence du poème en prose romantique, et l’indétermination générique qu’elle induit, sont en effet précédées par une remise en cause, qui marque tout le XVIIIe siècle français, de l’adéquation jusque-là incontestée entre poésie et vers. Au début du XIXe siècle, la conception de la poésie change donc radicalement : plus définie par le vers rimé et mesuré (et les caractéristiques, tonales, thématiques, stylistiques, qui lui sont rattachées dans les poétiques classiques), elle peut désormais se réaliser dans diverses formes, dont la prose spécifiquement pendant la période romantique (alors que celle-ci s’opposait au vers, donc à la poésie, pour les classiques). Barbey se raccroche à ces évolutions dans les années 1830-1840, 1850- 1860 et 1880, à la fois en écrivant puis publiant des poèmes/traductions en prose et en jetant, dans sa correspondance ou à travers des éléments métatextuels, des bribes de théorisation de ces expériences. Enfin, il fait également écho, avec sa conception d’une poésie dégradée (en « rhythme brisé ») mais/car absolue et inatteignable, aux conceptions esthétiques des poètes en prose qui le précèdent : d’Aloysius Bertrand, « aiglon avorté54 », pour qui tous les artistes ne sont que les « copistes du créateur55 », à Guérin56, en passant par Xavier Forneret qui avoue son impuissance57, tout comme Jules Lefèvre-Deumier sur un mode plus humoristique58.
22 Mais cette histoire littéraire, du poème en prose, de la poésie, de l’esthétique, Barbey la rejoue aussi sur un mode personnel. Ainsi sa poésie, en prose comme en vers, est-elle largement autobiographique59 et lyrique, d’un lyrisme élégiaque répétant les motifs de l’abandon, de l’échec amoureux (ou poétique), de la mélancolie60, qui détonne avec certains traits récurrents dans les autres poèmes en prose contemporains61. En effet, même si toute dimension lyrique n’est pas totalement absente des poèmes en prose du XIXe siècle, le lyrisme y subit, pour le moins, un fort questionnement : alors que les vers d’Aloysius Bertrand ou de Jules Lefèvre-Deumier développent des formes, une thématique et une rhétorique relevant de la lyrique traditionnelle, leurs poèmes en prose62 échappent largement à la célébration et à l’exaltation lyriques. Parfois, comme chez Xavier Forneret63 ou Charles Baudelaire64, celles-ci semblent sapées de l’intérieur même de rêveries pseudo-lyriques, brisées dans leur élan. Un peu plus tard, ce sont de véritables renversements carnavalesques que Joris-Karl Huysmans65, Catulle Mendès66, Théodore de Banville67 font subir au lyrisme, ou, plus encore et de manière plus massive, les poètes des cabarets fin-de-siècle68. Dès le moment même de son émergence donc, le poème en prose à la fois remet en cause la tradition lyrique en poésie et instaure un lyrisme déjà en crise, travaillé par la prise en compte de son impossibilité même dans le monde moderne. Dans les poèmes en prose de Barbey au contraire, même si le lyrisme peut être métapoétique (dans Amaïdée) ou cruel, amer (dans « Quand tu me reverras… », « Les trois tasses de thé », « Laocoon69 »…), ambigu (dans « Niobé70 »), il ne met pas en question une définition acceptée du poétique (le vers en moins) : pour Barbey, c’est bien le lyrisme qui fonde le poétique.
23La posture de Barbey poète en traducteur conduit néanmoins ce lyrisme vers des voies moins traditionnelles. La médiation discursive qu’elle suppose, les dédoublements ou redoublements qu’elle fait subir à la parole poétique rapprochent celle-ci du sujet lyrique tel qu’il s’élabore dans la Modernité, à partir de Baudelaire en particulier – mais déjà en partie chez les premiers poètes en prose romantiques –, puis dans la seconde moitié et la fin du siècle : sujet instable, aléatoire, fait de réduplications, ainsi que le décrit Jean-Michel Maulpoix71.
24La poésie aurevillienne, en prose spécifiquement, et sa description, par Barbey lui-même, comme processus de traduction – de soi à soi –, s’inscrivent donc de manière finalement complexe dans les évolutions esthétiques qui marquent le XIXe siècle. Cela tient, pour une part, à la chronologie, élastique72, de l’œuvre poétique de Barbey : par la date d’écriture de ses poèmes en prose, Barbey appartient à la fin de la période, romantique, de naissance du genre ; par leurs dates de publication (du milieu à la fin du siècle), il s’inscrit davantage dans un lyrisme de la Modernité et dans la vogue symboliste du poème en prose. D’autre part, les différents (voire divergents) axes de cette poétique et des éléments de réflexion théorique qui l’accompagnent renvoient également aux positionnements idéologiques, esthétiques ou poétiques de Barbey, autant qu’aux résurgences de son psychisme et de son inconscient. Les premiers rattachent le poète au classicisme : la poésie, pour Barbey, est élévation, feu divin, appuyée sur une esthétique du sublime et du Beau absolu ; ce qui rend du reste la création poétique si difficile et impose l’image d’une médiation par la traduction. La poétique aurevillienne se rattache pourtant à la révolution romantique : avec l’abandon de l’adéquation entre genre, sujet et style, tout comme par le questionnement des relations entre vers, prose et poésie, Barbey rejoue – de manière décalée et pour son compte personnel – l’histoire du poème en prose et des bouleversements esthétiques qu’il induit (disjonction entre poésie et versification, question de la dignité respective de la prose et du vers, rôle de la traduction et pseudo-traduction, indéfinition générique et apparition de nouveaux modes de généricité…). Enfin, le psychisme et l’inconscient aurevilliens à la fois entrent en correspondance avec des courants esthétiques plus contemporains et débouchent sur un entremêlement de tendances esthétiques diverses : le goût pour l’ambiguïté, le mélange, caractéristiques du tournant romantique, témoignent aussi de convergences fortes avec le courant décadent ; mais la superposition opérée entre poésie et lyrisme renvoie Barbey en deçà du poème en prose moderne ; toutefois son lyrisme du cri, de l’énergie appartient, lui, à la Modernité, par son énonciation poétique complexe, par le détour de la traduction qui dit une création à la fois en soi et étrangère, ou à travers une instabilité du sujet lyrique, grandissante dans les années 1890-1900 qui sont celles des éditions définitives (toutes posthumes) de la poésie aurevillienne, mais aussi des publications des poèmes en prose d’Émile Verhaeren, Stéphane Mallarmé, Stuart Merrill, Marcel Schwob, Saint-Pol Roux, Pierre Louÿs, Marcel Proust, Paul Claudel, Renée Vivien, Marguerite Burnat-Provins… Si la poésie de Barbey n’est qu’une partie limitée de son œuvre – à la fois quantitativement et qualitativement –, la forte charge qu’il confère au poétique, tout comme ses réflexions sur sa pratique du poème en prose et sa nature de (pseudo-) traduction, l’inscrivent donc tout de même dans une réflexion esthétique en interaction – paradoxale parfois – avec les grandes évolutions esthétiques de son temps.
Notes de bas de page
1 Revue indépendante, mars 1888 (rééd. Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1966, p. 1606-1613).
2 « Brizeux – Œuvres complètes », Le Réveil, 3 juillet 1858 et Le Pays, 15 janvier 1861 (repris dans Les Œuvres et les Hommes, 1re série, vol. III, « Les poètes », Cr., I, p. 733-750).
3 « M. de Laprade – Idylles héroïques », Le Pays, 11 janvier 1859, Cr., I, p. 877-886.
4 « Brizeux – Œuvres complètes » (op. cit.).
5 « M. Soulary – Sonnets humouristiques », Le Pays, 20 décembre 1859, Cr., I, p. 803- 812.
6 « Brizeux – Œuvres complètes » (op. cit.).
7 « M. J. [Joseph] Autran, Laboureurs et soldats – Milianah », Le Pays, 3 mars 1858, Cr., I, p. 859-868.
8 Dans Poussières (Paris, Lemerre, 1897 – Premières éditions, partielles et confidentielles, en 1854 et 1870).
9 Non seulement lorsqu’il traduit Wordsworth, mais également dans ses Rhythmes oubliés (Paris, Lemerre, 1897 – premières publications, partielles, dans les années 1850 puis 1880 – Certains poèmes ont été écrits dès les années 1830-1840), dans son Fragment à mettre en tête du Joseph Delorme que je dois donner à… (Entretiens idéalistes, 25 février 1910, puis Lemerre, 1912 – écrit vers 1833-1835), voire dans sa prose poétique d’Amaïdée (Gil Blas, 6 et 10 avril 1889, puis Lemerre, 1890, écrite vers 1835, à la même époque que Le Centaure de Maurice de Guérin).
10 Tels cette statue de « Niobé » (Rhythmes oubliés, in Pascale Auraix-Jonchière, Jules Barbey d’Aurevilly, « Un palais dans un labyrinthe », Poèmes – édition et essai, Paris, Champion, 2000, p. 63-67) qui rappelle celle du « Buste jaune » (Poussières, ibid., p. 41-43), ce thème du secret qui rapproche « Les quarante heures » (Rhythmes oubliés, ibid., p. 67-68) de « Chanson » (Poussières, ibid., p. 56), ce jupon qui fait méditer sur l’amour dans « Les trois tasses de thé » (Rhythmes oubliés, ibid., p. 80- 81) comme dans « Un amour de jupe » (Poussières, ibid., p. 34-36) ou, de manière plus générale, certains motifs topiques du féminin et de l’amour (le front, les cheveux, l’abandon voire l’échec amoureux…) présents aussi bien en prose qu’en vers.
11 William Wordsworth, Lyrical Ballads, with other poems, London, T. N. Longman and O. Rees, Paternoster-Row, 1800, vol. I, p. XXII-XXIII et XXV.
12 Dans « M. J. [Joseph] Autran, Laboureurs et soldats – Milianah », Barbey dit son refus de « la théorie des travailleurs, – des hommes de peine en littérature », la « théorie dont M. Théophile Gautier insulte lui-même son grand talent par coquetterie, à savoir : qu’avec de certains procédés, on peut créer des poëtes, comme Vaucanson fabriquait des joueurs de flûte et des canards ». La poésie est donc bien plus qu’une « rimaillerie plus ou moins perfectionnée », op. cit., p. 862.
13 Image qui revient dans les réflexions esthétiques aurevilliennes, notamment dans cet article sur « M. J. Autran » (op. cit.).
14 Lettre à Trebutien, 11 octobre 1853, CG, III, p. 252.
15 Jacques Petit suggère, dans sa notice aux Rhythmes oubliés (ŒC, II, p. 1614), que c’est « dans les traductions de Byron, présentées ainsi en strophes de prose, que [Barbey] a pris l’idée de ces “Rhythmes oubliés” ».
16 In Pascale Auraix-Jonchière, op. cit., p. 92.
17 Lettre à Trebutien, 16 septembre 1846 (op. cit., 1982, t. II, p. 74).
18 Lettre à Trebutien, Mardi Saint [22 mars 1853] (op. cit., t. III, p. 196-197).
19 Le Fragment à mettre en tête du Joseph Delorme que je dois donner à… : voir ci-dessus note 9.
20 Mathilde Bertrand, « Du “barbare à sensations” au “dilettante d’architecture”. Prose et poésie dans l’œuvre de Jules Barbey d’Aurevilly et de Marcel Proust », Revue d’histoire littéraire de la France, 105e année, n 2, avril-juin 2005, p. 408.
21 Dans l’édition originale en volume.
22 Lettre à Trebutien, 5 décembre 1854 (op. cit., 1984, t. IV, p. 130). Je souligne.
23 Amaïdée, op. cit., p. 111.
24 Ibid., p. 92.
25 Ibid., p. 109.
26 Ibid., p. 113.
27 Ibid., p. 110.
28 Ibid., p. 111.
29 Ibid., p. 114.
30 Dans sa lettre à Trebutien du 11 octobre 1853 (voir ci-dessus note 14 : partie manquante de la citation référencée par cette note).
31 Amaïdée, op. cit., p. 119.
32 Ibid., p. 116.
33 Voir aussi mon article : « Les “poésies sans rhythme” de Jules Barbey d’Aurevilly : de l’aiglon avorté au lion de Saint-Marc », Revue des Lettres Modernes, « Barbey d’Aurevilly », n° 19, éd. P. Auraix-Jonchière, p. 27-46.
34 Voir ci-dessus note 18.
35 Fragment à mettre en tête du Joseph Delorme que je dois donner à…, in Pascale Auraix-Jonchière, op. cit., p. 86.
36 Ibid., p. 87.
37 Ibid., p. 87-88.
38 Dans son introduction (op. cit.), p. 125 notamment.
39 Titre, choisi par Barbey, de son volume de vers.
40 Lettre à Trebutien, 23 septembre 1852 (op. cit., 1983, t. III, p. 155).
41 Dédicace à Trebutien de Poésies (Caen, impr. De Hardel, 1854).
42 Du Mardi Saint (voir ci-dessus note 18).
43 Ibid.
44 Ibid.
45 Ibid.
46 Disjecta membra, Paris, La Connaissance, 1925, t. II, p. 139.
47 Voir le Fragment, op. cit., p. 86-87 (et voir ci-dessus notes 35-36).
48 « Amaïdée de Barbey d’Aurevilly, le texte hermaphrodite », in Nathalie Vincent-Munnia et al. (dir.), Aux origines du poème en prose français (1750-1850), Paris, Champion, 2003, p. 478.
49 Ibid., p. 480.
50 « [Guérin] parle dans une de mes lettres de sa rage de traiter des sujets insensés et d’un Hermaphrodite qu’il a longtemps rêvé, – un poëme psychologique, sans doute, comme Le Centaure. » (lettre de Barbey à Trebutien, 20 juillet 1854, op. cit., t. IV, p. 75).
51 Une « espèce d’hermaphrodite intellectuel [dont le] génie n’avait pas de sexe […], [qui] n’était jamais mâle : mais […] jamais efféminé non plus, [plutôt] quelque chose de Neutre et de sublime, comme l’Ange du Catholicisme ou l’Androgyne de Platon » (ibid.).
52 Amaïdée, op. cit., p. 93. Somegod est de plus doté d’un « regard de femme » (p. 92) ; lui-même se compare à une « jeune fille » (p. 94) ou à « une mère » (p. 113) et admet son impassibilité envers les femmes (p. 111). Il est en outre, à la fin du récit, quitté par Altaï, comme celui-ci l’est par Amaïdée, pourtant amoureuse de lui.
53 Cette vogue de la pseudo-traduction débute en Angleterre avec le phénomène de l’ossianisme (James MacPherson, Fingal, an Ancient Epic Poem, In Six Books, Together with Several Other Poems Composed by Ossian, Translated from the Galic Language, London, T. Becket and P. A. De Hondt, 1760-1773 ; lui-même traduit en France dès 1760 par Turgot et 1777 par Le Tourneur), puis se poursuit chez Saint-Lambert, Rousseau, Florian, Pierre Sylvain Maréchal, Évariste Parny, Chateaubriand (et sa sœur Lucile), Mme de Genlis, Charles Nodier, Alphonse Rabbe, Prosper Mérimée, Ludovic de Cailleux, Judith Walter/Gautier…
54 Gaspard de la nuit [1842], Paris, Gallimard, « Poésie », 1980, p. 246. Voir aussi « Les “poésies sans rhythme” de Jules Barbey d’Aurevilly : de l’aiglon avorté au lion de Saint-Marc », op. cit.
55 Ibid., p. 75.
56 « Les dieux errants ont posé leur lyre sur les pierres ; mais aucun… aucun ne l’y a oubliée. Au temps où je veillais dans les cavernes, j’ai cru quelquefois que j’allais surprendre les rêves de Cybèle endormie, et que la mère des dieux, trahie par les songes, perdrait quelques secrets ; mais je n’ai jamais reconnu que des sons qui se dissolvaient dans le souffle de la nuit, ou des mots inarticulés comme le bouillonnement des fleuves. » (Le Centaure [1840], Œuvres complètes de Maurice de Guérin, Paris, Les Belles Lettres, 1947, t. I, p. 9).
57 « Tout est senti chez nous, sans pouvoir jamais bien en sortir. » (« L’auteur », Pièce de pièces Temps perdu [1840], Contes et récits, Paris, Corti, 1994, p. 145). « L’auteur comprend la poésie comme il ne pourra jamais la faire, c’est-à-dire grande, élevée, sublime, naïve, ardente, railleuse, fine, emportée, suave, mordante, mélancolique, soupirante, onctueuse, toute de jour, toute de nuit, brillante ou noire. / Pour lui, dans ce monde, la poésie en tout, c’est son rêve. / Quand il a écrit, c’est le réveil, et ce réveil l’accable. Il se trouvait bien, il se trouve mal ; il a tout senti, il n’a rien dit, puisqu’il a dit à sa manière. » (« Pour quelques passages de quelques-unes des Vapeurs de ce livre », Vapeurs ni vers ni prose [1838], Œuvres, Genève, Slatkine, « Ressources », 1980, p. 82).
58 « Ces idées magnifiques sont absolument comme vous : elles ne veulent ou ne peuvent pas sortir de chez elles. Elles ne trouvent pas, dans les mots de votre dictionnaire, de chaussure à leurs pieds et de robe à leur taille. » (« Les jours de traduction », Œuvres d’un désœuvré – Les Vespres de l’abbaye du Val, [1842], Paris, Firmin-Didot, 1886, t. 1er, p. 221).
59 « Quand tu me reverras… » (Rhythmes oubliés, op. cit., p. 62-63), par exemple, est d’abord inséré « dans le premier Memorandum à la date du 29 septembre 1836 », comme le note Pascale Auraix-Jonchière (Jules Barbey d’Aurevilly, « Un palais dans un labyrinthe », op. cit., note 109, p. 62), qui analyse également : « Barbey s’écrit – dans les deux sens du terme » (ibid., p. 164) ; les « allocutaires divers […] renvoient aux multiples facettes d’un “je” égaré, qui s’épuise dans un dialogue indéfiniment renoué avec lui-même » (ibid., p. 166).
60 Ainsi que l’admet Barbey lui-même : « Le Poëme [Amaïdée], je ne l’ai pas relu depuis ce temps [de l’écriture] et je serais bien étonné que ce ne fût pas un beau bloc de Marbre de Pathos. » (lettre à Trebutien, 5 décembre 1854, op. cit., t. IV, p. 130).
61 Voir « Le devenir du lyrisme à l’ère du poème en prose », in Nathalie Watteyne (dir.), Lyrisme et énonciation lyrique (Québec, éd. Nota Bene / Presses universitaires de Bordeaux, 2006, p. 263-285) et Michel Sandras, « Le déni du lyrisme dans le poème en prose » (Textuel, 1995, n° 29, p. 121-130).
62 Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit (1842) ; Jules Lefèvre-Deumier, Œuvres d’un désœuvré (1842) et Le Livre du promeneur ou les mois et les jours (1854).
63 Rien… Quelque chose (1836), Et la lune donnait et la rosée tombait (1836), Lanterne magique ! Pièce curieuse ! (1836), Quelque chose du cœur (1837), Pièce de pièces temps perdu (1840) et Rêves (1846).
64 Le Spleen de Paris ou Petits poèmes en prose (1869).
65 Le Drageoir à épices (1874) et Croquis parisiens (1880).
66 « Sanguines », Histoires d’amour (1868).
67 Les Camées parisiens (1866-1873) et Petites études. La Lanterne magique – Tableaux rapides (1883).
68 Voir notamment l’anthologie Les Poètes du Chat noir (Paris, Gallimard, « Poésie », 1996).
69 Rhythmes oubliés, op. cit., p. 62-63, 80-81, 81-84.
70 Ibid., p. 63-67.
71 Notamment dans La Poésie comme l’amour – Essai sur la relation lyrique, Paris, Mercure de France, 1998 (p. 27-28 et passim).
72 Voir note 9.
Auteur
Maître de conférences de Littérature française du XIXe siècle à l’Université Blaise Pascal / Clermont-Ferrand II. Ses travaux portent notamment sur la poésie en prose au XIXe siècle, en particulier sur la naissance du genre du poème en prose pendant la période romantique : Les premiers poèmes en prose : généalogie d’un genre dans la première moitié du XIXe siècle français (Champion, 1996) ; Aux origines du poème en prose – La prose poétique 1750-1850 (Champion, 2003, avec Simone Bernard-Griffiths et Robert Pickering). Elle travaille aussi, plus largement, sur les problématiques génériques et littéraires des marges, frontières, altérités, différences au (et à partir du) XIXe siècle (poésie ouvrière et populaire, différence des sexes en littérature, rapports entre textes poétiques et autres types de discours ou représentations, genres-frontières…), ainsi que, plus récemment sur la notion de génération.
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