Concevoir la fenêtre innombrable
p. 307-331
Texte intégral
1La fenêtre constitue l’un des éléments fondamentaux de l’architecture1, ses fonctions premières étant de réguler les contacts entre l’intérieur et l’extérieur d’un édifice, puis de participer à la composition de ses façades, mais peut-être est-ce lors de la construction des grands programmes de logement dans les décennies qui suivront la seconde guerre mondiale2 que l’importance de la fenêtre culminera sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs.
2Le patrimoine considérable légué en France par cette période, en partie délaissé aujourd’hui du fait de son obsolescence, constitue une ressource importante pour subvenir à un besoin de logements toujours insatisfait3 ; si bien que son adaptation aux besoins actuels est devenue dans les dernières décennies une question majeure pour les acteurs de l’habitat et de l’aménagement urbain. La nécessité de diagnostiquer cet héritage bâti souvent mal connu a motivé de nombreuses recherches dans les champs de l’histoire de l’architecture, de l’aménagement ou des techniques4 qui ont amené à reconsidérer ces ensembles urbains5 via la redécouverte d’une diversité architecturale et de qualités de conception que des représentations péjoratives avaient fini par occulter.
3C’est en partant de ces constats généraux que nous interrogerons le travail de quatre architectes (Emile Aillaud, Jean Dubuisson, Marcel Lods, Fernand Pouillon) particulièrement actifs dans la production d’ensembles de logement, dans les débats doctrinaux de cette époque, et représentatifs d’attitudes architecturales différentes, voire antagonistes. En soulignant des traits de leurs discours et en décrivant des édifices significatifs de leurs productions, nous chercherons à comprendre comment chacun a interprété et mobilisé l’élément « fenêtre » pour répondre aux enjeux architecturaux et urbains posés par les grands programmes de logements qu’ils conçoivent. Nous repérerons également quelles logiques de conception ils ont convoqué pour cela6 et en soulignerons leurs convergences ou leurs spécificités.
4Précisons que nous ne réduirons pas le terme de « fenêtre » à l’acception stricte utilisée dans le domaine de la construction (un châssis vitré ouvrant ou fixe), mais que nous considérerons les fenêtres conçues par ces architectes comme des ensembles composites associant le châssis, le percement de la paroi dans lequel il s’insère (baie), et tous les éléments les complétant (garde-corps, occultations, etc.). Ajoutons que nous appréhenderons le rôle de cet ensemble à différentes échelles, depuis celle du logement jusqu’à celle du quartier, mais que nous n’approfondirons pas ici ses interactions avec les pratiques domestiques pour nous concentrer sur la perception de la composition extérieure des façades des édifices et en dégager les principes esthétiques.
Un contexte : loger vite, en grande quantité, à moindre coût
5Avant de nous intéresser au travail des quatre architectes retenus pour développer notre propos7, il importe d’abord d’évoquer quelques spécificités du contexte de production de l’architecture dans la période, et de repérer leurs conséquences pour la conception architecturale.
6En premier lieu, mentionnons le choix politique, réitéré par les gouvernements successifs de cette période, de privilégier des modalités d’action à grande échelle pour résoudre le problème du logement. En effet, si les priorités d’action de l’immédiat après-guerre concernent davantage la reconstruction des infrastructures de transport et de l’appareil productif, et n’abordent la question du relogement des sinistrés qu’au travers de constructions provisoires ou de quelques expérimentations ponctuelles, le début des années 1950 voit les priorités s’inverser et l’État se tourner vers une approche plus systématique du problème via des projets qui atteindront l’échelle inédite de plusieurs milliers de logements8. Le terme de « grands ensembles » qui leur fut associé jusqu’au changement d’orientation qui s’opérera en 19739 désigne bien leur vocation à constituer des fragments urbains importants associant habitat, commerces et équipements de proximité10.
7Pour mettre en œuvre ces grands programmes, l’État, concentrant alors l’essentiel des initiatives et des pouvoirs sur l’aménagement du territoire et la production du cadre bâti, va opter pour une logique pragmatique et une rationalisation à plusieurs niveaux, dont trois nous semblent importants pour notre propos. Ainsi, pour faciliter les acquisitions foncières et limiter leur coût, les terrains choisis pour édifier les grands ensembles seront-ils pour la plupart situés sur des étendues agricoles ou naturelles, dissociées des centres urbains existants. De même, une standardisation des programmes de ces opérations va rapidement se préciser afin d’en maîtriser les budgets autant que les prestations : les logements à concevoir seront alors précisément décrits en termes de quantités, de types, de surfaces, d’équipement... Notons que ces programmes intègrent les acquis des recherches architecturales et urbaines menées dans la première partie du XXe siècle dans le sillage de la pensée hygiéniste : un logement doit avant tout être salubre, lumineux, orienté pour laisser pénétrer le soleil, et les édifices suffisamment distants les uns des autres, entourés d’« espaces verts », etc. Enfin, évoquons aussi le rôle important qu’aura eu l’action politique dans le développement des techniques de construction par l’expérimentation puis l’agrément de certains procédés, par le soutien à l’industrialisation (notamment à la création d’usines de préfabrication d’éléments en béton) et l’encouragement à la rationalisation des procédés d’exécution des chantiers11 dans le but de raccourcir les délais et de diminuer les coûts de construction.
8La commande à laquelle répondent architectes de cette époque traduit ainsi les enjeux de construire vite12, en grande quantité, et à coût limité. Ces différents paramètres orientent d’emblée certains aspects des projets, indépendamment des spécificités des situations : les immeubles auront des volumes importants mais des formes simples, seront soit hauts, soit étirés, distants les uns des autres et donc visibles de loin, et leur intérieur comme leur extérieur procèdera d’une logique de répétition admettant peu de variations. Conjointement aux recherches amorcées par les avant-gardes architecturales du début du siècle, ce contexte conduira de fait à un phénomène de simplification graduelle de la conception de l’immeuble de logement. Dans cette évolution d’ensemble, complexe et itérative, l’élément fenêtre va acquérir une importance d’autant plus grande que la tendance à l’abandon des modalités traditionnelles d’ornementation de la paroi s’accompagne de l’augmentation des surfaces de façade proportionnellement à celle des gabarits des bâtiments et d’une visibilité d’ensemble accrue par la faible densité d’implantation des constructions.
La fenêtre comme composant
9Des quatre architectes de notre corpus, Marcel Lods13 est probablement celui dont la démarche est la plus en adéquation avec ce contexte de commande. En matière d’urbanisme, il adhère avec enthousiasme aux préceptes de la « Charte d’Athènes » qui deviendront prédominants dans les décennies d’après-guerre, en appelant pour chaque situation à « rétablir les conditions de nature définies par Le Corbusier : soleil, air pur et verdure »14. Pour autant, il ne rompt pas complètement avec la tradition de la composition du plan héritée de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris : les bâtiments sont rationnellement répétitifs, orientés en fonction de l’ensoleillement optimal des logements et suffisamment espacés pour capter des vues lointaines et dégager les emprises pour une végétation généreuse, mais ils sont souvent implantés de façon régulière et suivant un axe de symétrie conférant à l’ensemble une forme de monumentalité et de cohérence d’organisation qui, vus d’au-dessus, satisfont l’aviateur émérite qu’il est.
10Concernant les édifices, Lods prônera très tôt15 leur décomposition en séries d’éléments produits industriellement à partir des matériaux les plus performants du moment et assemblés mécaniquement, ce qui représente pour lui la seule façon de parvenir à des résultats optimums en termes de qualité, de coûts et de délais. Ainsi n’hésitera-t-il pas à appeler de ses vœux l’émergence du « bâtiment intégralement usiné »16, et à considérer ce mode de production de l’architecture comme relevant d’une « esthétique nouvelle [qui] apparaît déjà dans les objets d’usage courant »17. À plusieurs reprises dans ses écrits, Marcel Lods obviera d’ailleurs aux critiques de monotonie faites à un tel systématisme par des arguments d’ordre esthétique : « […] ce n’est pas le principe de la répétition qui doit être mise en cause, mais bien l’usage qu’on en fait. Dans un cas, il existe un esprit de composition. Dans l’autre cas, il n’existe rien de tel. Et la règle, qui vaut pour le plan de ville, vaut pour la façade de la maison. », le légitimant alors par des exemples aussi canoniques que la place Vendôme ou la rue de Rivoli18.
11Prolongeant cette perspective, la fenêtre est conçue par Lods dans ses grands projets de logement collectif d’après-guerre comme l’un des composants d’un système cohérent, dont chaque élément doit pouvoir se combiner avec les autres selon les besoins de la situation, ceci grâce à leur coordination dimensionnelle suivant un module commun. Elle se décline néanmoins en plusieurs formats et constitutions liés aux fonctions qu’elle doit remplir selon son positionnement en façade d’un séjour, d’une chambre, d’une cuisine ou d’une salle de bain, rejoignant en cela la logique fonctionnaliste revendiquée à l’époque par les architectes du Mouvement Moderne. Bien qu’elle procède aussi d’une recherche esthétique, la forme découle de la fonction et ainsi, la représente tout en exprimant la rationalité du processus qui l’a déterminée.
12Les hauts bâtiments linéaires de l’opération de « la Zone verte » à Sotteville-lès-Rouen (1 050 logements, 1948-1956), implantés de part et d’autre d’un grand parc public, sont manifestes de la manière dont Marcel Lods utilise le nombre réduit de fenêtres qu’il a lui-même déterminées afin de composer des façades. Même si les conditions techniques de cette première période de la reconstruction ne permettent pas de pousser les principes de préfabrication aussi loin qu’il le souhaite, toute l’enveloppe des bâtiments est décomposée en petits éléments en béton manufacturé et assemblés sur place. Avec une logique de répétition des logements et des étages, Lods cherche à produire une rythmique et une échelle qui transcendent la simple addition d’appartements et à conférer une unité aux immeubles. Ainsi, en perception lointaine l’aspect de l’immeuble est structuré par les éléments saillants du volume (scansion verticale des loggias et lignes des balcons), mais les cadres préfabriqués en relief des fenêtres, dont le béton clair contraste avec la teinte sombre de la paroi qu’ils percent, apparaissent à mesure que l’on se rapproche. L’alternance de leurs dimensions devient ainsi graduellement perceptible et produit une variation sur un autre rythme qui complète et enrichit l’ordonnancement régulier de la façade, tout en guidant l’œil vers les détails plus subtils que constituent les petits modules de béton préfabriqué de la paroi, des éléments formant les claustras ou vers les garde-corps.
13L’analyse de la production de Lods sur l’ensemble de sa carrière montre que si ses convictions sur l’architecture de l’habitat demeurent constantes, la manière de les concrétiser, notamment par le travail sur la façade, évoluera assez nettement dans le temps et à mesure que se développeront certains procédés de construction, cherchant à se rapprocher toujours plus des idéaux de précision et d’industrialisation des composants. Le grand ensemble « Les Grandes Terres » réalisé à Marly le Roi (1 500 logements, 1956-1959, avec Jean-Jacques Honegger), marquera une étape importante sur cette trajectoire. Ici, les immeubles sont d’une hauteur plus faible qu’à Sotteville et, groupés autour de jardins de proximité dont ils définissent les quatre côtés, ils ne sont pas perçus d’aussi loin. Les effets de relief des façades sont plus modérés et reposent sur la dissociation apparente de la structure porteuse constituée de poteaux et de dalles en béton armé et, en léger retrait, de panneaux de remplissage réalisés autour d’une ossature en bois isolée, revêtue d’une tôle d’aluminium laquée dans une gamme de teintes primaires, intégrant les fenêtres. Celles-ci associent des caractéristiques similaires (allèges pleines de la même hauteur, largeur égale à la distance séparant deux poteaux) et des variations (dimensionnement des parties fixes et ouvrantes selon les besoins fonctionnels des pièces, renfoncement des baies des séjours, largeurs variant avec l’écartement des poteaux suivant les dimensions des pièces), auxquelles s’ajoute la présence visuelle importante des stores d’occultation coordonnés à la couleur des panneaux (celle-ci changeant selon les jardins). Il en résulte un effet de brouillage de la répétitivité du programme : la perception première d’une façade très homogène est contrebalancée par les légères irrégularités des éléments qui la composent. Ceci est renforcé par l’expression d’une façade qui n’est plus assimilable à une traditionnelle paroi minérale, massive et percée de baies, mais se présente comme un assemblage d’éléments fins et de faible épaisseur, situés sur différents plans, qui tend à en atténuer la présence matérielle et la frontalité19.
La dissolution de la fenêtre
14La décomposition de la paroi et de la fenêtre à laquelle aboutit ce projet de Marcel Lods, trouve un écho dans la recherche poursuivie, avec des moyens et des résultats différents par un autre architecte en affinité avec les doctrines modernistes20. Jean Dubuisson21 conclut ses études au lendemain du conflit mondial par une période en Grèce, consacrée à l’analyse des sites antiques avec des archéologues, et se forge rapidement une démarche que l’on peut distinguer de celle de Lods sur plusieurs plans. À l’échelle urbaine par exemple, Dubuisson affirme l’importance de reconnaître les caractéristiques physiques du territoire sur lequel le projet se réalisera (relief, climat, éléments pré-existants) pour déterminer l’implantation des bâtiments, celle-ci devant à la fois assurer de bonnes conditions de vie aux habitants mais également valoriser les qualités du site. Bien que sériels, d’une échelle importante, et agencés avec une grande rigueur géométrique, les plans des quartiers conçus par cet architecte ne relèvent pas d’une même systématique. La disposition et l’organisation des édifices cherchent à produire une variété de configurations spatiales, mais aussi à qualifier les espaces publics par l’affirmation de limites claires et d’articulations avec le sol.
15Dubuisson accorde également une confiance plus relative que Lods à l’industrialisation du bâtiment pour assurer la qualité architecturale de ses projets. Quoiqu’il considère cette évolution comme une « nécessité inscrite dans le cœur et la raison des hommes de cette époque »22, il ne recourra pas automatiquement à la préfabrication. Plutôt que de chercher à définir un système idéal, son attitude consistera souvent à tenter de modifier, voire de détourner ceux qui lui sont imposés par les circonstances afin d’atteindre le but formel recherché, parfois grâce à une collaboration avec les industriels, comme dans le projet de Maine-Montparnasse, où de nouveaux types de fenêtres seront conçus pour ne pas nuire à l’équilibre de la composition.
16Les immeubles en eux-mêmes sont marqués par une recherche plastique allant dans le sens de l’abstraction, bien qu’un grand soin soit également porté à la réponse aux usages domestiques et à la distribution des appartements. L’architecte s’intéresse en effet aux débats artistiques de son époque et aux avant-gardes abstraites en peinture et en sculpture23. Par ailleurs, il expliquera rétrospectivement l’importance qu’ont pu avoir les motifs graphiques des tissus écossais et des dentelles observés pendant son enfance passée dans le nord de la France, alors haut lieu de l’industrie textile. Cette recherche formelle, que Dubuisson poursuivra durant toute sa carrière, donnera lieu à un travail de conception d’une grande précision sur les mesures et les proportions des éléments des façades24, celles-ci devenant peu à peu un signe caractéristique de sa manière, quels que soient les programmes traités.
17L’ensemble de 1 000 logements des Basses-Terres réalisé à Pierrefitte et Stains (1954-1966) témoigne d’une étape importante de la réflexion de Dubuisson sur les façades et de sa volonté que « les ouvertures ne soient pas un trou dans un plein, mais autour d’un plein. »25. Les immeubles sont bas (de trois à cinq étages) mais atteignent parfois la longueur impressionnante de 200 m afin de délimiter les espaces extérieurs tout en réduisant les coûts de construction. Différentes formes sont associées : rectilignes ou s’enroulant par segments autour de placettes ou de jardins, modifiant ainsi les proportions visibles de leurs volumes. Prenant le parti opposé à la subdivision de ces longs linéaires de façade, l’architecte choisit de les composer afin d’en accentuer l’horizontalité. La combinaison de plusieurs châssis vitrés horizontaux et verticaux, différente selon les étages dont les appartements sont pourtant identiques, rend ambiguë la perception du nombre de niveaux, et donc de l’échelle réelle de l’immeuble. La quantité et la contiguïté des fenêtres (dénuées d’occultations extérieures), sont si importantes qu’il devient également difficile de les reconnaître en tant que telles, d’associer une fonction ou même une pièce à chacune d’elle, et donc de saisir le nombre de logements qu’abrite d’édifice. L’importante surface transparente créée atténue l’effet de présence du plan vertical de la façade. Prises dans ce réseau de « vides » permettant de « diffuser subtilement l’éclairage en fonction de l’organisation et de l’utilisation des pièces »26, et d’éléments de structure effacés par leur teinte sombre, les quelques surfaces pleines réalisées en maçonnerie traditionnelle enduite en blanc paraissent ne pas avoir d’appui à leur mesure et léviter dans le plan vitré de la façade, parachevant l’effet d’abstraction.
18Par la suite, les contextes financier, normatif et technique évoluant continument dès la fin des années cinquante, Jean Dubuisson adapte les moyens de ses ambitions architecturales. Le grand ensemble de La Caravelle à Villeneuve-la-Garenne (1 630 logements, 1959-1967) montre comment le renforcement des exigences d’efficacité et d’économie devient moteur d’une radicalisation du langage plastique développé par l’architecte, ici contraint de rassembler la majorité du programme dans des volumes hauts et épais. Les grandes surfaces de façades qui en résultent acquièrent une présence visuelle forte y compris à l’échelle du paysage suburbain plat mais désordonné du site. Dubuisson choisit d’assumer leur planéité et leurs dimensions, et de les traiter comme les supports d’une grande composition formant un repère dans le territoire. Le principe constructif mis en œuvre pour ce projet adopte scrupuleusement les techniques alors promues par les autorités : structure porteuse constituée de planchers et d’une trame serrée de refends en béton coulés sur place, et panneaux de façade préfabriqués en béton accrochés à cette structure27. Toutefois, l’architecte en exploite les spécificités pour en infléchir les effets sur les façades en fonction de ses objectifs. Ainsi, la précision de la préfabrication en usine des panneaux permet-elle de placer les châssis vitrés au nu extérieur, ceci gommant la perception habituelle de l’épaisseur de la paroi et l’effet de percement de la baie. Selon les angles de vision, la fenêtre n’apparaît plus que comme un rectangle plat et brillant sur la surface blanche et matte du béton peint dont aucun garde-corps ni occultation ne vient troubler la lecture. Déclinée en plusieurs formats, sa répétition définit une trame de grande échelle dans laquelle elle se dissout, exploitant ici la possibilité d’inverser les moules de coffrage afin d’augmenter sans surcoût le nombre de panneaux différents et leurs combinaisons. Associé à la multiplication des fenêtres incluses dans chaque panneau, ce principe perturbe la visibilité de leurs dimensions et la perception de l’échelle réelle de chaque pan de façade pour le transformer en un gigantesque motif graphique sans orientation dominante, que le long soubassement noir qui le détache du sol finit de rendre abstrait.
La fenêtre désordonnée
19L’œuvre de l’architecte Émile Aillaud28 peut être rapprochée de celle de Jean Dubuisson par la recherche plastique qu’elle mobilise dans l’objectif de transcender la nature répétitive d’une commande d’habitat collectif formulée en termes quantitatifs. Elle s’en distingue cependant par le vocabulaire urbain et architectural employé, autant que par sa distance prise par rapport aux doctrines codifiées par les CIAM, ayant davantage comme références les architectes des pays nordiques, ou encore la liberté formelle de l’architecture latino-américaine qui se développe dans l’après-guerre. Aillaud résumera l’écart de sa position en affirmant que « La plus grande erreur de notre temps a été d’imposer la rationalité comme une esthétique et une morale (…) [alors qu’il faudrait] la respecter, puisqu’il faut qu’elle soit, mais arriver à la tordre, à la détourner pour la rendre imperceptible »29. C’est d’ailleurs ce point de vue atypique pour l’époque qui lui vaudra d’importantes commandes, lorsque la monotonie de certains grands ensembles de la première génération commencera à être pointée30 et que des alternatives seront recherchées.
20Ces convictions seront concrétisées par l’architecte dès ses premiers projets d’après-guerre dans la composition urbaine de ses quartiers, les emprunts au registre du pittoresque primant sur les préceptes de l’héliotropisme pour définir l’implantation des bâtiments. Il s’agira alors pour Aillaud de diversifier les volumétries, les configurations spatiales et leurs perceptions, mais aussi de refuser la régularité et l’exclusivité de l’orthogonalité, évoquant notamment les qualités des villes historiques italiennes liées aux accidents de leur morphologie. À quelques exceptions près, l’expression des façades s’affranchit moins rapidement des contraintes de l’époque malgré les recherches formelles entreprises. Tout en revendiquant que « trouver une”non-architecture” qui comme la”non-poésie” de Rimbaud (…) est peut-être la création d’une matière architecturale qui serait celle de l’innombrable. »31, Émile Aillaud adhère à l’idée qu’une répétitive banalité des appartements convient de fait à une majorité d’habitants. Ainsi la fenêtre reste-t-elle définie par cet architecte comme un simple percement dans la paroi (même si cela n’exclut pas des subtilités de dessin lui conférant des qualités formelles ou d’usage) qui affirme le caractère domestique des bâtiments dont la simplicité pourrait autrement être équivoque. Elle acquiert même dans le discours d’Aillaud une forte valeur sociale, celui-ci critiquant « les fenêtres identiques et superposées [qui] forment le diagramme de la vie des pauvres »32 et préconisant de « désarticuler et rendre illisibles les séries (fenêtres, bâtiments) (…) pour éviter le désespoir qui naît de la confrontation à l’innombrable »33.
21Pour la conception de la cité la Grande Borne à Grigny (3 700 logements, 1963-1973), la taille importante du programme, la hauteur des bâtiments réglementairement restreinte autant que le recours aux panneaux de façade préfabriqués imposé par l’entreprise attributaire de la construction confrontent d’emblée Aillaud à la question de la répétitivité, et d’autant plus qu’il choisit prioritairement de traiter les espaces extérieurs avec un soin particulier, de ne pas concentrer les édifices sur une partie du terrain, et de construire un nombre important d’immeubles courbes, décisions qui grèvent le budget d’ensemble et impliquent en retour une rationalisation plus importante des autres postes, dont celui des façades. Il en résultera la restriction à trois formats de fenêtres conventionnelles, dotées de châssis à la française et de persiennes pour l’ensemble de l’opération, et leur taille limitée. Ce faisceau de contraintes motivera la recherche par l’architecte, conscient des « dangers de la préfabrication »34, de principes de composition combinatoire à partir de la forte grille visuelle formée par les joints de panneaux et de ce nombre restreint d’éléments -augmentés toutefois par la possibilité de recourir à différentes teintes pour les revêtements en céramique des panneaux. À la manière d’une partition musicale se déroulant sur les façades des bâtiments35, les fenêtres sont alors disposées comme des notes sur une portée pour produire une rythmique visuelle complexe et variante, définie en fonction des parcours dans la cité afin d’en différencier les espaces et de faciliter le repérage. Émile Aillaud évoquera à ce sujet « ces désordres apparents [qui] contiennent un ordre secret qui, comme le”dessin dans le tapis”, peut n’être perçu qu’à la longue, par hasard ou peut-être jamais. »36 et qui donneront lieu à de nombreuses expérimentations graphiques.
22L’attitude de l’architecte évolue toutefois dans la dernière grande opération de logement social qu’il conçoit, la cité Pablo Picasso à Nanterre (2010 logements, 1973-1981), où la technique constructive employée pour la structure des immeubles tours, détournement de celle utilisée pour les châteaux d’eau (béton armé coulé dans un coffrage glissant d’étage en étage), permet de développer une recherche plastique spécifique sur l’ensemble des éléments architecturaux, fenêtres comprises. Celles-ci, en écho à la géométrie ondulante de ces tours sculpturales, adoptent des formes inhabituelles, dérivées du hublot. Positionnées haut par rapport aux planchers pour limiter la sensation de vertige dans les étages supérieurs, elles sont réduites à un simple vitrage trempé, monté sur pivots et maintenu en pression sur un joint en caoutchouc, comme dans certaines automobiles de l’époque. Les trois formes déclinées sur ce principe sont réparties indifféremment de la nature des pièces afin « qu’on ne sache pas ce qu’il se passe là, derrière ces fenêtres : (…) que plus rien ne soit visible »37 mais dont la visibilité des rideaux intérieurs resitue toutefois le caractère domestique. En façade, elles apparaissent comme des découpes abstraites pratiquées dans la paroi aléatoirement, mais résultent d’une organisation subtile reposant sur l’équidistance de certains percements afin d’éviter la lecture des superpositions répétitives habituelles des tours de logement. Contrairement à la Grande Borne, l’absence d’une grille visuelle formée par les panneaux atténue la lecture du système de composition pourtant similaire. Le double procédé de singularisation de la fenêtre recoupe en outre le choix d’une polychromie appliquée en façade suivant des motifs semi-figuratifs de nuages : il devient alors plus facile à l’habitant, en croisant les particularités de forme, d’emplacement et de disposition, d’identifier où il habite.
La fenêtre contextuelle
23En nous arrêtant au vocabulaire formel employé, nous pourrions situer le dernier architecte dont nous convoquerons le travail, Fernand Pouillon38, à l’opposé d’Aillaud, mais dans l’analyse plus globale qui nous occupe, ce point de vue mérite d’être nuancé en regard des convictions qui animent sa démarche. Ainsi Pouillon partage-t-il la même opposition envers la rationalité abstraite et la logique industrielle portées par les architectes du Mouvement Moderne, notamment pour ce qui concerne la composition urbaine. Il privilégiera l’organisation des édifices et de l’espace public en fonction de leur perception par ceux qui les parcourent et les habitent39, les archétypes de la ville historique et la reconnaissance fine d’un contexte culturel devenant pour l’architecte marseillais la matrice de tous ses projets, jusque dans leur matérialité et le recours à des techniques de construction dérivées des traditions locales.
24Cet attachement à l’histoire se singularise cependant par sa prédilection pour la tradition classique française et ses racines puisant dans les traités d’architecture élaborés depuis la Renaissance, dans lesquels Pouillon portera une attention particulière aux systèmes de tracé et de dimensionnement harmonique40, empruntant en cela des voies ouvertes avant lui par Auguste Perret, avec lequel il collaborera à plusieurs reprises. Il est donc logique que Fernand Pouillon relie la question de la fenêtre aux notions historiques d’ordonnance et de travée, dont il analysera en détail les effets sur la qualité des rues, places et édifices d’Aix en Provence41, tout en l’envisageant comme un moyen d’apporter du confort aux appartements : « [la baie] a pu avoir toutes sortes de dimensions suivant les climats, les techniques, rétrécir ou s’agrandir. Il n’en reste pas moins qu’il y a toujours eu des hommes encadrés par ces baies, qui avaient tous les mêmes besoins de lumière, de proportions harmonieuses, de vue. À présent, on compose une façade et, derrière, les pauvres gens se débrouillent comme ils peuvent.»42
25L’ensemble de logements de La Tourette à Marseille (260 logements, 1949-1953) est la première opération d’habitat conçue par Pouillon dans le contexte de l’après-guerre. Même si son envergure est modeste en regard de celles qui suivront, elle lui servira de véritable prototype pour élaborer la méthode de conception qu’il appliquera ensuite. Sa situation sur une pente exposée au Mistral, au sommet du secteur de reconstruction du vieux port et à proximité d’édifices patrimoniaux motivera une recherche poussée sur les volumétries et l’expression architecturale des différents corps de bâtiment rassemblés autour d’un jardin43 - finalement aménagé en parking. Il en résulta que si « l’immeuble devait être très plein : une ordonnance de baies profondément enfoncées dans des murs épais de soixante centimètres »44, cette décision contredisait la volonté de l’architecte de démontrer la possibilité de construire aux prix les plus bas malgré la pénurie de matériaux et de main d‘œuvre qualifiée. La solution fut trouvée par l’invention d’un procédé de « pierre banchée »45 permettant de préserver la massivité et la texture des façades dans lesquelles alternent des percements verticaux ou carrés (pour les séjours et les loggias) dont la superposition varie indépendamment de la répétition des logements pour matérialiser la tripartition des immeubles traditionnels : soubassement - corps - couronnement. Cette profondeur de baie cadre le grand paysage s‘étendant devant les appartements et met à distance l’espace public aux étages inférieurs. Elle intègre tous les éléments de second-œuvre (châssis à la française, volets roulants, balustrades) réalisés en bois exotique avec un souci du confort et du détail.
26Ces principes connaîtront ensuite dans les projets de Pouillon de nombreuses déclinaisons suivant les spécificités de chaque situation, mais ils seront transcrits d’une façon sensiblement différente dans l’important ensemble du Point du Jour à Boulogne-Billancourt (2 260 logements, 1957- 1963), où la rentabilité d’une opération de promotion privée visant à mettre sur le marché parisien des logements à bas coût impliqua une densité de construction élevée alors que le site constitué d’anciennes parcelles industrielles en pleine agglomération induisait une proximité entre les bâtiments organisés autour de deux longs jardins. Il s’agissait donc ici de rendre les édifices moins présents et de préserver l’intimité des logements malgré les vis à vis. Les façades orientées au nord-ouest qui abritent les pièces intimes des logements des immeubles hauts sont constituées d’une fine grille préfabriquée en béton peint, dont les éléments verticaux sont espacés de 80 cm de façon à recevoir différents châssis vitrés selon les pièces, ou des remplissages opaques sans pour autant altérer le rythme général. Ils sont complétés par une tablette filante à la hauteur du garde-corps permettant de s’accouder ou de disposer des objets. Leur profondeur d’environ 40 cm offre plusieurs intérêts : non seulement elle limite les vues biaises sur les fenêtres depuis les autres appartements ou depuis le sol, mais elle permet aussi de capter la lumière par réflexion dans cette orientation défavorable. Enfin, ce dispositif d’approfondissement de la baie permet d’alléger visuellement la volumétrie de ces hauts bâtiments dont la façade n’apparaît plus comme une surface plane et homogène percée de fenêtres, mais comme un filtre composé de petits éléments créant une ordonnance dont les proportions ennoblissent le caractère de l’espace public, faisant de leur répétitivité un atout.
D’une époque à l’autre
27De ce bref panorama il ressort d’abord le constat d’une grande diversité des réponses apportées par les quatre architectes au même enjeu de maîtrise de la répétitivité inhérente aux programmes d’habitat de masse des trente glorieuses. Ce constat, qui recoupe celui opéré par d’autres chercheurs sur différents aspects des projets de cette époque46, mérite néanmoins quelques nuances qui les ouvriront à des déductions plus générales.
28Ainsi, les récurrences que nous avons repérées dans les réalisations de chaque architecte47 indiquent que la diversité des réponses est moins tributaire des spécificités des situations des projets que des convictions, des prédilections ou des références mobilisées par le concepteur, même si celles-ci évoluent avec le temps. Avec des nuances selon les architectes, les systèmes constructifs utilisés, valorisés ou détournés, et leur corrélation à l’impératif d’économie s’avèrent être un autre facteur important pour les principes de composition de la fenêtre dans la façade. Par ailleurs, nous avons aussi observé que des architectes dont les orientations doctrinales divergeaient pouvaient néanmoins recourir à des principes de formalisation proches : l’acceptation mais l’enrichissement de la répétition chez Lods et Pouillon, ou son atténuation par l’abstraction graphique chez Dubuisson et Aillaud. Ces ambiguïtés éclairent les convergences ou les disjonctions entre ce qui ressort de la « manière » propre à chaque architecte en ce qu’elle tient de la formalisation ou de la matérialisation d’une intention, et ce qui ressort de son « style », que l’on peut définir en architecture comme les moyens mis en œuvre par le concepteur pour trouver sa cohérence à un projet nécessairement confronté à des données complexes et contradictoires48. Là encore, les façons de concevoir les projets et les processus y aboutissant transcendent les apparentes divergences d’esthétique ou de discours des quatre architectes : autant la forme du projet est définie par une logique déductive ou systémique dans les cas de Lods et de Pouillon, autant Dubuisson et Aillaud recourent à des processus itératifs d’expérimentation formelle pour aboutir aux résultats qui les satisfont.
29Quittant le contexte spécifique de l’après-guerre et de la production du logement en masse, nous remarquerons que, concernant l’évolution des schèmes esthétiques, la plupart des dispositifs de composition des façades utilisés par les quatre architectes ont survécu à cette période. Bien que les enjeux et les cadres de production ont radicalement changé, ils perdurent aujourd’hui dans la production du logement en France de diverses façons. Nous faisons l’hypothèse que ces survivances répondent une fois encore à une crainte de la monotonie engendrée par la répétition, bien que celle-ci opère maintenant à une échelle bien moindre49. Enfin, sur le plan des processus, nous retiendrons la confirmation que la conception de la fenêtre relève d’une réflexion qui ne peut être circonscrite au niveau du seul ensemble d’éléments qu’elle constitue. Elle engage plus globalement des arbitrages et des intentions définis par l’architecte à d’autres échelles, tissant ainsi un système décisionnel imbriqué et synthétique qui mobilise des opérations de conception et des outils différents. Il nous semble que cet aspect s’est renforcé au cours des dernières décennies avec la complexification croissante des contextes de production de l’architecture et celle du logement en particulier50. En ce sens, les conceptions actuelles de la fenêtre pourraient être analysées comme les métonymies de façons plus globales de concevoir l’édifice.
Bibliographie
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Vayssière Bruno, Reconstruction-déconstruction. Le hard french ou l’architecture des trente glorieuses, Paris, Picard, 1988.
Notes de bas de page
1 Voir notamment la généalogie de la fenêtre dans l’architecture parisienne depuis le moyen-âge retracée dans : Henri Bresler, Les fenêtres de Paris – aperçu historique du XVe siècle à nos jours, Paris, Atelier Parisien d’Urbanisme, 2000.
2 Pour un panorama synthétique de ce phénomène, voir notamment : Joseph Abram, L’Architecture moderne en France. Tome 2, Du chaos à la croissance, 1940-1966, Paris, Picard, 1999, ou : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000) : histoire et théories, Paris, éditions du Moniteur, 2001.
3 Au cours des dernières décennies, les ministères successifs ont toujours estimé à 500000 logements par an la production nécessaire pour répondre aux besoins, quantité très rarement approchée par la réalité.
4 En particulier pour chacune de ces catégories, en rapport avec le propos de cet article : Bruno Vayssière, Reconstruction-déconstruction. Le hard french ou l’architecture des trente glorieuses, Paris, Picard, 1988 ; Sandra Parvu, Grands ensembles en situation, Genève, MétisPresses, 2011 ; et Guy Lambert, Valérie Nègre (dir.), Ensembles urbains, 1940-1977. Les ressorts de l’innovation constructive, rapport de recherche, Paris, CNAM, DAP, 2009.
5 La création par le ministère de la Culture et de la Communication du label « Patrimoine du XXe siècle » en 1999 témoigne institutionnellement de ce regain d’intérêt. Toutes les opérations étudiées dans cet article ont reçu ce label.
6 Compte-tenu de la complexité des contextes de production, des jeux d’acteurs propres à chaque opération mentionnée, et des phénomènes de réception par la critique ou par les habitants qui les ont accompagnées depuis leur réalisation, notre propos se limitera ici à mettre en relation les intentions exprimées par les architectes, parfois contradictoirement, avec l’aspect des édifices. Pour chacun de ces architectes, le lecteur pourra trouver des compléments et des nuances à nos analyses dans un ou plusieurs ouvrages monographiques issus de recherches récentes. Notamment : Dominique Lefrançois et Paul Landauer, Emile Aillaud, Gollion, Infolio, 2011 ; Elise Guillerm, Jean Dubuisson, Gollion/Paris, Infolio, 2011 ; Pieter Uyttenhove, Marcel Lods : Action, architecture, histoire, Paris, Verdier, 2009 ; Jean Lucien Bonillo (dir.), Fernand Pouillon architecte méditerranéen, Marseille, Imbernon, 2001 ; et Marc Bedarida, Fernand Pouillon, Gollion, Infolio, 2012.
7 Les inventaires des archives de ces architectes attestent que chacun a conçu durant les sa carrière plusieurs milliers ou dizaines de milliers de logements. Ces chiffres sont considérables en regard de la production actuelle des agences d’architecture françaises, même spécialisées dans les programmes de logement.
8 En particulier via le décret du 31 décembre 1958 instituant la procédure d’urbanisme de « Zone à Urbaniser en Priorité » jusqu’en 1969.
9 La circulaire Guichard du 21 mars 1973 met un terme à la conception d’ensembles de logements de plus de 500 unités en dehors de projets d’urbanisme coordonnés, tels que les « villes nouvelles ».
10 Cette ambition sera néanmoins peu concrétisée, notamment en raison de difficultés récurrentes de financement constatées pour les équipements ou les infrastructures de transport.
11 En particulier les techniques de grutage mobile dite du « chemin de grue » et le système du « coffrage glissant », qui auront des effets importants sur les architectures réalisées.
12 En comparaison, les durées que nous mentionnerons pour les projets étudiés pourront sembler longues. Elles sont à relativiser du fait du fréquent découpage en plusieurs tranches, d’interruptions des financements, ou de revirements décisionnaires fréquents.
13 (1891-1978), architecte actif en France et en Afrique centrale pour la conception d’ensembles de logements collectifs, d’équipements de tous types et de plans d’urbanisme.
14 Marcel Lods, Le métier d’architecte, Paris, éditions France Empire, 1976, p. 202.
15 Dès la fin des années 1920, alors qu’il est associé à l’architecte Eugène Beaudouin. Cette méthode est expérimentée dans des projets de plusieurs centaines de logements collectifs à Bagneux (cité du Champs des Oiseaux) et à Drancy (cité de la Muette).
16 Marcel Lods, « L’industrialisation du bâtiment », in L’Architecture d’Aujourd’hui n° 1, 1946, p. 30.
17 Marcel Lods, Le métier d’architecte, op.cit., p. 114.
18 Marcel Lods, « L’industrialisation du bâtiment », op.cit., p. 30
19 Ce principe de décomposition de la paroi lié à l’utilisation de composants « légers » et celui d’une architecture « usinée » trouveront ensuite leur aboutissement dans l’opération expérimentale de la Grand’Mare à Rouen (500 logements, 1962-1969, avec Paul Depondt et Henri Beauclair) à partir d’un système de construction métallique spécialement développé par les architectes et des partenaires industriels.
20 En témoigne le crédit que lui accordera Le Corbusier en lui confiant en 1964 la rénovation de la villa Savoye (1928-1931), considérée comme l’un de ses chefs d’œuvre.
21 (1914-2011), architecte actif en France dans différentes régions, majoritairement pour des programmes d’habitat collectif, quelques équipements publics et des études d’urbanisme.
22 Jean Dubuisson, « Ces ensembles qu’on voulait grands », in Les années 1950, Paris, Editions du Centre Georges Pompidou, 1988, p. 530.
23 Ces références à la culture artistique dépassent un simple transfert formel de la peinture vers l’architecture. Evoquant l’aspect du projet à Villeneuve la Garenne, Dubuisson rapporte ainsi que sa « prétention était de donner aux habitants une œuvre d’art », dans Armelle Lavalou, Jean Dubuisson par lui-même, Paris, Editions du Linteau, 2008, p. 93.
24 « Nous travaillions à l’agence à partir d’éléments grandeur nature pour effectuer ces corrections du Modulor au millimètre, en fonction des tonalités. (…) Ces ajustements sont indispensables pour obtenir une satisfaction comparable à ce qui advient en musique quand on trouve la note juste. », Ibid., p. 131-132.
25 Dans : Jean Dubuisson et André Wogensky, Conférences, Paris, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 1998, p. 40.
26 Ibid., p. 40.
27 Techniques que Jean Dubuisson avait pourtant réussi à détourner de façon radicale lors d’une précédente réalisation, à caractère expérimental : la construction de 300 logements pour le SHAPE à St-Germain en Laye (1951-1952).
28 (1902-1988), architecte actif dans la région parisienne et l’est de la France, il concevra essentiellement de grandes opérations de logement sociaux et quelques équipements publics.
29 Emile Aillaud, « Désordre apparent, ordre caché », Techniques et Architecture n° 307, 1975, p. 84.
30 Voir notamment les circonstances d’obtention de la commande de la cité de La Grande Borne analysées dans Raymonde Moulin [et al.], Les architectes : métamorphose d’une profession libérale, Paris, Calman-Lévy, 1973.
31 Emile Aillaud dans le reportage télévisé « La Grande Borne, un effort pour le beau », ORTF, 1972.
32 Emile Aillaud, « Désordre apparent, ordre caché », op.cit.
33 Emile Aillaud, Chanteloup les Vignes- quartier la Noé, Paris, Fayard, 1978, p. 68.
34 Emile Aillaud, « Les dangers de la préfabrication », in Techniques et architecture, n° 5, 1968, p. 74.
35 Selon l’analyse qu’en fait Jean François Dhuys dans son ouvrage : L’architecture selon Emile Aillaud, Paris, Dunod, 1983.
36 Emile Aillaud, Chanteloup les Vignes- quartier la Noé, Paris, Fayard, 1978, p. 68.
37 Emile Aillaud, « Désordre apparent, ordre caché », in Techniques et Architecture, n° 307, 1975, p. 84.
38 (1912-1986) architecte actif dans le sud de la France, en région parisienne, en Algérie et en Iran pour des projets de logement collectif, d’équipements et des études urbaines.
39 « J’organise mes espaces. Je travaille pour le piéton et non pour l’aviateur. Je pense à celui qui regarde par la baie de sa chambre ou de son salon. Je me promène dans ces espaces imaginaires et je les modifie lorsque je n’atteins pas la sensation que je souhaite. » Fernand Pouillon, Mémoires d’un architecte, Paris, Le Seuil, 1968, p. 220.
40 À ce sujet, voir les éclairages fournis par Catherine Sayen dans son ouvrage, L’architecture par Fernand Pouillon, Toulouse, Éditions Transversales, 2014.
41 Sur la base des relevés réalisés par les étudiants qu’il encadre à l’école d’Aix, et publiés par lui-même en 1953 dans un recueil intitulé « Ordonnances ».
42 Cité dans Marie Hélène Contal, « Portrait de Fernand Pouillon », in Architecture Intérieure Créé n° 209, 1985-1986.
43 « Mon ensemble répondait aux fortes murailles du fort St-Nicolas dont la matière et la couleur me servirent de modèles. », Fernand Pouillon, Mémoires d’un architecte, op.cit., p. 101.
44 Ibid., p. 101.
45 Des dalles de pierre étaient assemblées pour former un coffrage laissé apparent, et rempli de béton armé.
46 Confère références données en note n° 3.
47 Compte tenu du format de cet article, nous avons limité les cas présentés à deux opérations par architecte, mais nos analyses se sont basées sur un corpus plus étendu de quatre à six réalisations pour chaque architecte.
48 Nous reprenons ici la définition qu’en donne Michel Callon dans « Le travail de conception en architecture », in Les Cahiers de la Recherche Architecturale, n° 37, 1996.
49 Voir les analyses de la volumétrie de quartiers d’habitat récents réalisées dans Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui, formes urbaines et mixités, Paris, Editions de La Villette, 2012.
50 Sur ce sujet, voir : Monique Eleb et Philippe Simon, Le logement contemporain (1995- 2012) : entre confort, désir et normes, Liège, Mardaga, 2013.
Auteur
École Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand
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