Sens et valeur de la fenêtre dans l’appréhension du paysage
p. 185-202
Texte intégral
1La fenêtre est-elle vraiment, comme l’affirme la tradition de l’histoire de l’art depuis Alberti, un instrument privilégié pour l’appréhension du paysage ? Ce dispositif optique est-il seulement un moyen, un outil sans conséquence qui fait naître et apparaître le paysage ? Ou bien emporte-t-il dans son sillage des présupposés théoriques et métaphysiques qui décident ou ont décidé d’un certain statut du paysage ?
La fenêtre comme dispositif pictural et l’ouverture du paysage
2Si l’on prend au sérieux le texte d’Alberti, la première fenêtre est un tableau. Relisons en effet sa célèbre description du peintre au travail :
Je parlerai donc, en omettant toute autre chose, de ce que je fais lorsque je peins. Je trace d’abord sur la surface à peindre un quadrilatère de la grandeur que je veux, faits d’angles droits et qui, pour moi, est une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire1.
3Le peintre qui prépare son travail, commence par délimiter sa surface puis, en quelque sorte, « ouvre une fenêtre » grâce à laquelle il peut faire surgir un monde sous les yeux du spectateur. Si l’analogie nous paraît aujourd’hui banale, Gérard Wajcman2 montre pourtant de remarquable manière qu’au moment où Alberti en formule le principe, la fenêtre rectangulaire à double battant, située à portée des yeux et ouverte sur la rue ou la cour, n’existe pas encore. Les traités d’architecture autant que les réalisations du même Alberti, au milieu du quattrocento, en témoignent clairement : la fenêtre sert seulement à faire entrer l’air, la lumière et à évacuer les fumées3. Elle a un sens principalement climatique, une fonction pratique, et se situe souvent très en hauteur sur les murs, proche des plafonds, bien loin des yeux et, bien sûr, elle n’est pas encore vitrée. Ainsi, sur la façade du palais Rucellai, construit à Florence d’après les plans d’Alberti lui-même, le premier étage montre des lucarnes qui se situent à quelques deux mètres du sol tandis que les fenêtres s’élèvent à plus de quatre mètres de hauteur. Au premier étage, les grandes fenêtres rectangulaires sont à nouveau très haut placées et permettent au mieux, à un homme sur la pointe des pieds, de regarder par-dessus le bord inférieur. Ainsi, faut-il reconnaître que même « chez Alberti architecte les fenêtres sont disjointes du regard »4. Autrement dit, la fenêtre ne sert pas immédiatement à voir ou à regarder au dehors, elle n’est pas un dispositif optique mais seulement l’organe respiratoire de la maison. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cela signifie que la fenêtre telle que nous la comprenons aujourd’hui n’a pas toujours existé et ce n’est que tardivement qu’elle permettra le regard et l’échange avec l’extérieur.
4C’est aussi pourquoi ce texte d’Alberti est résolument fondateur, non seulement du tableau mais bien de la fenêtre elle-même, puisque la fenêtre réelle, la fenêtre architecturale n’existe pas encore en tant qu’ouverture pour le regard. Ainsi, et paradoxalement, c’est le tableau lui-même, en tant que lieu de représentation des choses visibles ou des choses qui se présentent à la vue, qui permet de penser et de fonder métaphoriquement la fenêtre comme instrument de vision. De l’un à l’autre, du tableau à la fenêtre, c’est manifestement la découpe de leur cadre, ce fameux quadrilatère, qui sert de patron et fonde l’analogie. Le cadre du tableau, tout comme le cadre de la fenêtre, découpe et circonscrit un espace de visibilité, un monde, un paysage. Dès lors, le texte d’Alberti procède en fait à une triple fondation : celle du tableau, celle de la fenêtre et celle du paysage. Le paysage naît en Europe dans le tableau, dans la fenêtre qu’est le tableau, comme dans la fenêtre qui s’ouvre aussi à l’intérieur du tableau. Je laisse ici de côté la question strictement historique de savoir si le paysage naît avec la peinture flamande (Van Eyck, Patinir, Paul Bril, etc.), ou avec la fenêtre albertienne. On peut à tout le moins retenir la concordance historique (à partir de 1430) et surtout le fait essentiel que soudain le monde environnant naturel se découpe en paysages, se fractionne en visions, se cadre en scènes visibles, s’articule en un espace composé unitaire et à chaque fois circonscrit. Autrement dit, ce que je retiens et qui fera le centre de ces remarques, c’est la liaison forte et intime entre tableau, fenêtre et paysage. Car de là se pose la question de savoir ce qu’implique cette nouvelle vision du monde, cette nouvelle manière de voir le monde à travers le cadre de la fenêtre. Le paysage qui se constitue alors est-il exempt de tout présupposé ou bien cette origine picturale lui a-t-elle prescrit et imposé un sens spécifique ?
Dedans dehors
5Si l’on file la métaphore de la fenêtre comme tableau, alors le paysage environnant qui se découvre de son point de vue est d’abord un monde vu et visible, de loin, de haut et de l’extérieur. Regarder par la fenêtre est, à vrai dire, une expérience fort singulière, et je partage sur ce point la conviction de G. Wajcman selon lequel c’est une expérience qui concentre en raccourci toute la métaphysique occidentale5. En effet, le regard qui part d’une fenêtre, s’ouvre de l’intérieur vers l’extérieur, et constitue d’emblée les deux pôles indissociables de la pensée – le sujet et l’objet. Le sujet, en retrait, séparé du monde par l’écart ou la réserve de la demeure, se constitue en centre de perspective, faisceau de rayons braqués sur le monde et prompt à le réfléchir, à le représenter, soit aussi bien le penser et le figurer. De son côté, le monde, devenu image, est constitué en objet : objet d’étude, d’observation, d’exploration, et de spectacles. Le monde devient un théâtre où se jouent toutes les aventures que l’on peut savourer de sa fenêtre, comme du balcon. Il n’est pas surprenant dès lors que l’image du theatrum mundi se diffuse à de nombreux domaines, depuis la cartographie et la gravure topographique jusqu’au Théâtre d’agriculture d’Olivier de Serres. Ainsi le géographe néerlandais Abraham Ortelius compose en 1570 un vaste atlas, le Theatrum orbis terrarum ; les Blaeu, cartographes de père et fils – Willem (1571-1638) et Johannes (1596-1673) – rédigent un Théâtre du monde qui inventorie différentes régions comme par exemple le Theatrum Statuum Sabaudiae, le théâtre de l’État ou maison de Savoie, proposant des vues cartographiées des villes telles que Chambéry ou Annecy jusqu’aux vues du Mont-Blanc et du Lac Léman, ou encore le Nouveau Théâtre d’Italie qui, en 1663, contient « la description de ses villes, palais, églises, et les cartes géographiques de toutes ses provinces », soit des panoramas de villes italiennes réalisés en vue cavalière. La perspective cavalière est effectuée par un « point de vue de haut », c’est-à-dire à nouveau une vue ménagée depuis un belvédère, un mirador ou une tour, à l’instar de la fenêtre. Ainsi avec la fenêtre, et en elle, se constituent conjointement le sujet et l’objet du savoir : le sujet réfléchissant et l’objet théorisé, soit l’ensemble de la nature qui peut tomber sous l’inspection du sujet actif. Non seulement un instrument optique et artistique se découvre par là, mais plus radicalement le destin du sujet occidental s’y décide en s’instituant « comme maître et possesseur de la nature » (Descartes). La fenêtre incarne un état de la pensée et des possibilités de l’esprit humain. Elle dit aussi un moment de notre histoire culturelle, car si on peut supposer sans crainte d’erreur que la tente du nomade n’a pas de fenêtre, la maison du paysan n’en possède guère davantage, il ne reste alors comme seul bénéficiaire de la fenêtre que le noble urbain disposant du loisir, tel le chancelier Rolin que le peintre flamand Jan Van Eyck place devant une forme de fenêtre, le large balcon d’une loggia ouverte sur la campagne. La fenêtre ne pouvait naître qu’à ce moment historique et intellectuel et avec elle le paysage pictural européen.
De haut de loin, un paysage sans reste
6Le paysage qui s’ouvre dans le cadre de la fenêtre est saisi de haut et de loin. C’est un paysage composé, dessiné, pensé de part en part selon un ordre nécessaire, soumis à l’entière domination du peintre qui l’imagine dans son atelier. Paysage visible ou qui tombe sous la vue pour parler comme Alberti. Plus encore, c’est un paysage qui offre une visibilité sans reste, car depuis la hauteur de la fenêtre ou du belvédère tout se dévoile et tout s’offre sans mystère. Si l’on examine un paysage de Patinir – Saint Jérôme dans le désert6 – c’est l’ensemble du monde connu qui se déploie sous notre regard et nous pouvons en détailler chaque région, partie, surface ou corps, jusqu’aux plus petits éléments. Le point de vue du peintre surplombe et domine la scène au point de la dépasser et de la survoler, de l’inclure dans une perspective plus vaste qui pousse aux confins de l’horizon. Le regard tient et contient l’ensemble de la nature, dans sa diversité qualitative comme dans sa grandeur.
7Ce point de vue altier est aussi celui de la terrasse d’où se découvre et se cadre le jardin, vestibule du paysage. Le jardin régulier, dit à la française, hérite de la tradition italienne des villas toscanes qui ont privilégié cette position dominante à flanc de collines permettant un regard ouvert et large sur la campagne grâce aux terrasses et aux loggias qui offrent à la fois un accès et une prise visuelle sur les jardins. Alberti, dont le traité d’architecture va contribuer à la construction des villas médicéennes, évoque la perspective de ces villas s’installant en dehors des villes, des maisons « où l’on peut se retirer », et il considère que leur place idéale serait « sur quelque petit coteau ou tertre » pour « regarder la plaine alentour plus basse que leurs pieds », « un logis que l’on puisse voir de toutes parts, ayant le ciel de tous côtés ouvert afin que le beau jour et le soleil avec le doux vent sain et frais s’y donnent à souhait : en outre qu’il n’y ait rien à l’environ qui mécontente l’œil »7. Le vocabulaire de la vue domine sans ambiguïté, la villa doit être visible de tous et voyante, déployer de tous côtés le regard sur son domaine. Belvédère, point de vue dominant ou site panoramique, l’emplacement idéal d’Alberti partage les caractéristiques des sites stratégiques militaires et ceux de la fenêtre : la hauteur et l’ouverture sur l’horizon. C’est sans conteste l’affirmation d’une puissance qui tend à s’élever à un point de vue omniscient, du moins qui tend à rivaliser avec le point de vue divin. Il en résulte un sens maîtrisé du jardin et du paysage, maîtrise que la perspective appliquée portera ensuite à son comble, comme dans les jardins de Vaux-le-Vicomte où le domaine s’étend par l’alignement des frondaisons jusqu’à l’horizon. Pareillement, les paysages classiques tels qu’ils s’élaborent chez Lorrain ou Poussin offrent cette visibilité élargie du panorama et semblent composés depuis une fenêtre. C’est aussi pourquoi, comme le remarque Merleau-Ponty, ils ont « un aspect paisible, respectueux qui leur vient de ce qu’ils sont dominés par un regard fixé à l’infini »8. Le paysage est dominé du regard et de la pensée : c’est un espace panoramique, synoptique, presque transparent où chaque chose est visible, sinon vue. Si l’on considère par exemple, Les Funérailles de Phocion de Poussin, on constate que même cachées les unes derrière les autres, toutes les places sont indiquées, c’est là le grand paradoxe de cette vision en coupe perspective que Merleau-Ponty souligne en le creusant : « je vois des objets qui se cachent l’un l’autre et que donc je ne vois pas, puisqu’ils sont l’un derrière l’autre »9. Autrement dit, aucune chose n’est véritablement masquée puisque le point de vue dominant dévoile toute cachette, en sorte qu’« un autre homme autrement placé – encore mieux : Dieu qui est partout – pourrait pénétrer leur cachette et les verrait déployées »10. Cet espace, sans cachette ou sans reste, du paysage classique n’est ni plus ni moins que la figuration (colorée et agrémentée) de l’espace géométrique, qui définit chaque point par sa position dans un système de coordonnées. Corrélativement, le spectateur de ce paysage se tient comme le géomètre en dehors du plan qu’il dessine, dans une position théorique, si l’on se souvient que l’étymologie de théôria renvoie à la vue, tant visuelle qu’intellectuelle11. C’est bien ce que préconisait Joseph Vernet dans ses conseils aux jeunes peintres : « Il faut se placer, si on le peut, de façon à être éloigné de l’objet qui est sur le premier plan, de deux fois sa hauteur ou de deux fois sa largeur, si cet objet au premier plan est plus large que haut. Il faut, après s’être ainsi placé, prendre pour sujet de votre dessin ou de votre tableau ce que le même coup d’œil peut embrasser sans remuer ni tourner la tête »12. Autrement dit, le peintre, tout comme le spectateur du paysage pictural à sa suite, est au spectacle – au balcon du théâtre ou à sa fenêtre – et le monde lui est donné tota simul.
Par la porte ou par la fenêtre
8Toutefois, comme le rappelle Merleau-Ponty, ce n’est pas ainsi que le monde se présente à nous dans le contact que nous donne la perception : « le monde est autour de moi, non devant moi »13. Dans la perception réelle, naturelle et incarnée, celle qui se tient auprès des choses, nous sommes toujours pris et limités par un point de vue, et jamais élevés au point de vue des points de vue. Parce que la vision réelle est immergée dans le monde, l’accès au paysage s’en trouve nécessairement perspectiviste, non pas au sens de la perspective géométrique, mais au travers du prisme des facettes successives, des esquisses, des vues partielles qui se succèdent avec le déplacement corporel et les changements de points de vue. Ces vues ne sont jamais données ensemble, mais l’une après l’autre et de manière discontinue, car les choses « sont toujours en deçà ou au-delà du point où l’on regarde. Toujours entre ou derrière ce que l’on fixe »14. C’est pourquoi le peintre moderne qui veut revenir à l’expérience vécue doit descendre dans le monde pour rétablir une vision réelle c’est-à-dire incarnée, et avec elle, les alentours, le mouvement de l’œil, la succession, la vibration, les facettes et les reflets qui se succèdent sur les choses comme le regard qui glisse sur elles. Merleau-Ponty considère que Cézanne est le premier qui parvient à cette rupture avec le paysage classique précisément parce qu’il introduit le spectateur directement dans l’espace pictural, en invitant son regard et son corps à circuler auprès des choses mêmes et de leurs facettes visibles. Il s’ensuit d’inévitables barrières, des opacités, des cachettes, des vues masquées justement parce que le regard ne peut pas passer par dessus les obstacles, parce qu’il n’a pas le surplomb de la fenêtre, encore moins le surplomb du point de vue divin. Cézanne rétablit du mouvement et de la succession dans le paysage, parce qu’il y réintroduit la mobilité du corps, des pas et de la marche. Il sort de la fenêtre et franchit la porte : ses pas le mènent sur le motif, dans le paysage même. Ainsi en est-il de diverses vues saisies de l’Estaque et du château d’If et, plus remarquables encore, les abords et les chemins qui mènent au Château noir15. Ses paysages n’offrent donc plus de vue totale ni globale mais seulement des aspects, des fragments tels qu’ils s’offrent staccato, successivement et latéralement, à celui qui marche.
9Fragments mobiles et vivants contre totalité figée et théorique. La démarche de Cézanne nous demande en ce sens de reconsidérer le sens du rapport de la fenêtre au paysage : n’est-elle pas en définitive un dispositif qui a transformé le paysage vivant en spectacle pétrifié, voire en décor ? La fenêtre fige le paysage parce qu’elle consacre la vue panoramique ou synoptique, elle l’immobilise et paraît le rendre incompatible avec la mobilité inhérente à la marche. Pourtant, le jardin et à sa suite le paysage du monde ne se laissent jamais voir d’un seul coup d’œil, mais exigent d’être arpentés, déroulés, dépliés. Le poète William Shenstone remarquait ainsi que « l’œil ne doit pas anticiper ce que seul le pied doit découvrir ». Cette déclaration a sans nul doute valeur de principe fondateur pour le jardin paysager (par opposition au modèle français régulier et visuel) animé qu’il est par le principe de la surprise et de la découverte, mais plus radicalement, on peut y voir aussi une expression de l’opposition fondamentale entre deux types de rapport au monde : l’attitude théorique et l’attitude pratique ou, pour le dire de manière schématique, l’opposition du contemplatif et du voyageur, de l’homme de la fenêtre et de l’homme de la route. À certains égards, cette opposition recoupe aussi celle du paysage occidental et du paysage chinois.
Le paysage traversé
10Les paysages chinois, qui ignorent justement la perspective et la fenêtre, sont d’abord dessinés sur des rouleaux dont le déroulement reproduit analogiquement le déroulé du chemin et de la marche dans la montagne. Par suite le paysage lui-même se définit non pas dans la composition optique des points de vue mais plutôt dans la consistance ou la cohésion de ses éléments mis en tension : montagne et eau, ciel-terre, haut-bas, est-ouest, vent-lumière, rochers et vagues, etc. François Jullien rapporte en ce sens les mots du poète Xie Lingyun (vers 422) lorsqu’il fait route vers un poste en mer orientale où il a été affecté :
Montagnes traverser aller au bout grimper descendre
Eau(x) aborder aller au terme remonter dévaler
Pics se dresser sommets s’enchaîner s’étageant
Plages se dérouler îlots se lier se succédant
11Il commente alors en ces termes : « le paysage ne s’aborde que dans de l’activité, la marche, le parcourant et l’explorant d’un bout à l’autre, l’arpentant jusqu’à épuisement… C’est en gravissant-descendant qu’on entre dans du paysage ; c’est en le traversant de part en part qu’on le déploie »16. Autrement dit, le paysage chinois concerne moins la vue que le vivre et le sentir corporels, parce qu’il est une invitation à la marche, à la traversée. Sa représentation passe également par le déroulé des plans successifs que la marche va creuser, comme le faisaient déjà les premières cartes médiévales, mais que le tableau ne peut que figer en les représentant tous en même temps, à l’instar des paysages-mondes de Joachim Patinir par exemple. Si ces éléments caractérisent le paysage chinois (schématiquement réduit ici à ces quelques aspects) ils sont aussi de manière plus générale les points ou les aspects sur lesquels s’arrête immédiatement un marcheur tel Michel Butor ;
Je crois qu’on peut distinguer deux choses : le paysage à plat – le cadre, donc ce qu’on voit en restant immobile devant un cadre, même si on peut se rapprocher ; quand on regarde de la peinture on va aller regarder des détails, etc., mais après il y aura ce paysage qui est quand même sur un plan – et le paysage traversé, le paysage à l’intérieur duquel on se promène […] j’aime aussi beaucoup la déambulation, la façon dont on explore le paysage17.
12On voit ainsi se contraster deux types de rapport au paysage et au monde selon que l’on se penche de la fenêtre ou du tableau, ou selon que l’on s’engage dans sa traversée comme l’explorateur, le pèlerin, l’aventurier ou le voyageur du Grand Tour. La marche comme le voyage nous invitent à découvrir le paysage en immersion, de l’intérieur, depuis l’immanence des choses dans une vue incertaine, limitée et brouillée. Ils invitent aussi à l’aventure c’est-à-dire aux risques que la fenêtre, le tableau ou la carte ont désamorcés en nous donnant le confort d’une vision synoptique et à distance. Au contraire, tout au long des chemins, au gré des carrefours et des rencontres, l’incertitude, le doute et l’errance sont les compagnons inséparables du voyageur. Là où le spectateur immobile à sa fenêtre fait l’épreuve de sa toute puissance scopique devant un paysage maîtrisé, composé, captif de son omni-savoir, le voyageur en mouvement subit l’épreuve du temps et le heurt imprévisible des choses qui l’entraînent sur les chemins de la vie et de la mort. La maîtrise absolue devant l’espace, d’un côté, l’impuissance inéluctable au sein du temps parcouru, de l’autre. Si avec la fenêtre le paysage se transforme en espace transparent et docile, avec la route le paysage s’incarne plutôt dans un temps opaque et résistant.
13Doit-on conclure à une opposition définitive ? Faut-il voir dans le contraste de la fenêtre et de la route, deux sens antinomiques du paysage, parallèlement à deux conceptions du sujet et du monde, à l’instar de celles de l’orient et de l’occident ? Est-il impossible de saisir ensemble le paysage et le mouvement, l’espace et le temps depuis la fenêtre picturale, ou pour le dire encore autrement, le visible et le mobile sont-ils radicalement inconciliables ?
Voir l’histoire
14À dire vrai, notre présentation a oblitéré un élément essentiel : en aucune des deux approches le paysage n’existe sans le récit qui le dit, le figure, le façonne ou le compose. Autrement dit, le paysage qu’il soit vu, peint ou traversé, n’existe comme tel qu’à travers un discours qui en rapporte le cours, la teneur, l’atmosphère et le sens. Et le récit introduit nécessairement le rythme et le déploiement du temps, à tout le moins le temps du discours, au sein du paysage.
15L’anthropologue Dominique Cassajus rapporte que les Touaregs, marcheurs infatigables, s’orientent avec une aisance mystérieuse à travers les paysages sahariens. Ces paysages ne donnent lieu à aucune peinture ni à aucune cartographie18, ils ne sont pas vus de la fenêtre, ni de haut ni de loin, mais bien de l’intérieur. Et néanmoins ces paysages traversés ne restent pas indicibles, ils se déroulent en un tracé successif au cours de nombreuses compositions poétiques. « Un poème touareg raconte généralement l’histoire d’un amant en route vers une tente lointaine où il espère rencontrer enfin celle qu’il aime. Le voyage de ce narrateur éploré le fait passer à travers une succession de lieux-dits dont le poète fait chanter les noms »19. Le voyage se résout dès lors dans le récit de voyage qui fait apparaître la forme, la chair, la vie et le mouvement des paysages, des espaces et des lieux rencontrés. Le paysage accède à sa plus haute cohésion dans le temps et le mouvement du récit, c’est-à-dire aussi dans cet entrelacs du sujet et de l’objet, de l’être-au-monde que le voyageur incarne ou concrétise. Alors inversement, la fenêtre-picturale ne peut-elle dire quelque chose de la mobilité et de la temporalité du paysage qu’elle nous met sous les yeux, nous en offrir une manière d’anticipation ou de synthèse ?
16Alberti nous met à nouveau sur la voie lorsqu’il nous dit que le tableau est « une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire ». Regarder ou voir l’histoire. La formule sonne étrangement : comment peut-on voir une histoire ? On raconte, on invente ou on lit une histoire. Mais on ne la « voit » pas, au mieux, on l’imagine. Pourtant il n’y a là aucun accident sous la plume d’Alberti, car il y revient à plusieurs reprises indiquant, de manière normative qui plus est, que « le plus grand travail du peintre n’est pas de faire un colosse mais une histoire »20, ou encore que « l’œuvre majeure du peintre, c’est l’histoire, et les parties de l’histoire sont les corps, la partie du corps est le membre, la partie du membre la surface »21.
17Si la fenêtre du tableau nous donne à voir une histoire, c’est que la peinture est – ut poesis pictura, comme une pièce théâtrale, mais statique ; une histoire concentrée en une unique scène exemplaire parce qu’elle est lourde de toutes les péripéties. La vision cadrée, composée et synthétique, de la fenêtre doit nous jeter aussi rapidement que le récit dans une histoire et un monde. Alors, d’une certaine manière, on peut dire qu’on « voit » l’histoire, car la fenêtre picturale nous offre une station qui nous invite à reconstituer les phases de l’histoire et à les parcourir dans l’intuition imaginante. L’espace synoptique de la fenêtre ou du tableau est comme le point d’ancrage qui exige à sa suite le temps de la narration, le dérouler, l’arpentage, la circulation à travers des paysages et des mondes imaginaires ou réels. La fenêtre n’est en ce sens pas antagonique de la route ou du chemin qui sillonnent le paysage, mais elle nous y convie par le détour de l’imagination et du récit, dès lors qu’ils sont stimulés et mis en mouvement par la puissance de concentration de l’image picturale.
Traverser la fenêtre
18Regarder par la fenêtre, c’est donc déjà commencer le voyage, prendre la route, s’aventurer dans le paysage du monde, au moins par la projection imaginaire ou la rêverie. Il n’est que d’évoquer Vermeer pour se souvenir de cette jeune femme lisant à la fenêtre. Fenêtre qui ne montre rien et qui pourtant est tellement ouverte sur le monde que la jeune fille en est comme happée, elle est déjà transportée. De même la fenêtre est souvent associée chez le maître hollandais à une carte ou une mappemonde, rappelant ainsi sa continuité ou du moins son rapport intime avec les voyages d’exploration, la découverte de nouvelles contrées. Il en va de même chez Caspar David Friedrich où les rares scènes d’intérieur se tiennent près d’une fenêtre qui laisse entrevoir les mâts d’un bateau, de quoi emporter même une imagination paresseuse. La fenêtre dans le tableau s’ouvre sur le monde et nous rappelle aux mouvements de la vie et de l’action. Parfois même, elle nous jette directement dans le jardin comme chez Pierre Bonnard, ou sur la plage comme avec Matisse22, nous rappelant à la nécessité « d’y aller », d’y vivre, d’y agir, tant le paysage suppose et exige la mobilité du corps, et à défaut la mobilité du récit.
19Invitation au voyage et au récit, la fenêtre qui découvre le paysage extérieur engage à raconter une histoire, un chemin, une vie, un destin. Il est d’ailleurs significatif que les premiers paysages de la peinture occidentale, ceux qui justement apparaissent dans le cadre de la fenêtre (on peut penser à la fenêtre gauche du remarquable St Jérôme d’Antonello de Messine) nous présentent toujours des routes ou des rivières, rappelant ainsi que le paysage est d’emblée conçu comme une métaphore de la vie ou du séjour sur terre. Ainsi la rivière qui serpente et s’étire vers l’horizon évoque le lent écoulement de la vie qui se déploie, s’aventure, se perd et s’échappe peu à peu dans les confins du monde. Parce que le paysage se traverse, se parcourt, demande un temps de déplacement, il implique tout de suite tacitement la notion du temps et non pas seulement l’espace. C’est pourquoi la fenêtre qui veut en rendre compte doit aussi trouver le moyen de conjuguer le temps à l’espace visible, autrement dit trouver le moyen d’amorcer une narration. Et telle est bien la tâche qu’Alberti assigne à tout tableau, à toute fenêtre.
20En terme plus naturaliste, le paysage pictural rend compte aussi d’une exploration active du monde. Les grands paysages flamands et hollandais, qui paraissent au premier abord peu diserts en aventures, disent pourtant, comme le rappelle fort bien Hegel23, l’histoire des hommes et de la nature, de la conquête de la terre et de la mer, ils montrent des routes, des chemins, des croisements, des lieux-dits où se rencontrent des voyageurs, des hommes en route, colporteur, pèlerin ou paysan24, seigneur ou bandit. Les grands paysages-mondes de Bruegel ou de Patinir qui peignent la vie villageoise et ses larges paysages environnants nous offrent de multiples détails sur la vie telle qu’elle se déroule, se construit, se travaille, s’agit : chasseur, pêcheurs, patineurs, faucheurs, soldats, bateaux, chariots, chevaux, etc. La conjonction d’espaces géographiques très différents (plaine, plateau, montagne, rivière, désert, littoral, etc.) par simple juxtaposition des plans, reliés par des chemins ou des variations de niveaux, montre que le paysage de la terre est un lieu de circulation, de cheminement, un monde où on circule, où le voyage et le déplacement non seulement ouvrent de nouveaux paysages mais attestent que le paysage ne va pas sans cette traversée, cette mobilité. Regardant des gravures de Dürer, Julien Gracq se demande dans les Carnets du grand chemin : « Comment, au long de ces chemins, voyait-on la terre quand on allait ? »25. La question est saisissante dans sa conjonction du visible et du mobile, et il répond à même la question : « quand on allait ». Autrement dit, le tableau, la fenêtre picturale, s’efforce de faire voir et de rendre compte de ce paysage où l’on circule, où l’on « va ». À certains égards, la peinture flamande et hollandaise y parvient bien puisqu’elle provoque la question sur ces mouvements mêmes, elle donne envie de se représenter, de visualiser à notre tour, ce que voyaient ces voyageurs, ces pèlerins, et ces chasseurs qui sillonnent des forêts. Elle en donne l’envie parce qu’elle a semé assez d’indices ou de suggestions sur ces marches et ces démarches, ces déambulations dont on perçoit la force quotidienne. À rebours du paysage classique, statique et assigné à un espace transparent, la fenêtre ouverte sur les paysages du nord est en mesure de nous porter et de nous transporter, de nous faire sortir de son cadre pour rejoindre ces mondes et ces histoires dans un parcours imaginaire et intuitif.
L’art de la fenêtre, limites ou risques
21On peut dès lors déterminer les risques dont la fenêtre picturale doit se prémunir si elle veut s’ouvrir sur un paysage vivant, un paysage à vivre et à raconter, non pas seulement un paysage décor. Elle peut échouer à concilier les deux aspects du paysage – la mobilité du parcours et la visibilité de l’espace ordonné – en différentes occasions. D’abord, et tout simplement, en appliquant la consigne d’Alberti à la lettre et en privilégiant l’histoire (sainte ou profane) ce qui revient à gommer le paysage (Le Tintoret ou J.- L. David). Inversement, elle peut nous présenter un paysage complet, déplié mais somme toute peu d’histoire, peu d’invitation au récit, c’est-à-dire peu d’invitation au voyage (des études de Rosa, le naturalisme d’un Millet ou d’un Courbet). La fenêtre peut aussi totalement s’abolir dans un paysage où nous glissons tout d’un coup. Nous sommes alors happés et immergés dans « un morceau de nature », comme le revendique Cézanne : « ils faisaient le tableau et nous tentons un morceau de nature ». Ce faisant, il s’agit aussi à certains égards de supprimer la fenêtre elle-même. Inversement, on tombe dans un excès analogue lorsque le cadre de la fenêtre se dévoile lui-même et s’érige en sujet même du tableau comme dans une célèbre photographie de Richard Long ou dans certains dispositifs de François Méchain qui, certes, invitent à des spéculations sur l’œuvre, théoriquement fructueuses mais esthétiquement peu convaincantes car elles n’invitent plus au voyage narratif, au libre jeu de l’imagination vagabonde.
22Si la fenêtre albertienne donne accès au paysage, elle court aussi le risque d’en faire un spectacle figé pour un point de vue souverain. Pour conserver sa chair et sa mobilité au paysage, elle doit trouver le moyen de se faire le substitut de la porte qui conduit au-dehors, ou du chemin qui le parcourt. Et sans doute pour cela rendre le paysage inséparable du dit qui le décrit, le raconte et le rend visible. Alors, ut poesis pictura, le tableau de paysage doit être comme le récit de voyage, une invitation à traverser le monde, explorer les chemins, ouvrir les espaces.
Bibliographie
Bibliographie
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Annexe
Annexe
Notes de bas de page
1 L. B. Alberti, De Pictura (1435), § 19, p. 115, Paris, Macula, 1992.
2 Gérard Wajcman, Fenêtre, Paris, Verdier, 2004.
3 « Les fenêtres servent d’abord pour les lumières mais aussi pour que sortent l’eau et la fumée », Alberti, De re aedificatoria (Livre 1, chap. XIII) cité par Gérard Wajcman, Fenêtre, op. cit., p. 194. Il en allait déjà de même chez Vitruve, car le chapitre qu’il consacre aux fenêtres s’intitule « Vers quelles régions du ciel les bâtiments doivent avoir vue pour satisfaire aux besoins et à la salubrité » (livre VI, chap. VI) et il privilégie les ouvertures zénithales percées dans les toits. En conséquence, la fenêtre est un puits d’air et de lumière, elle ventile et aère l’habitation, mais elle ne sert pas à voir.
4 Gérard Wajcman, Fenêtre, op. cit., p. 220.
5 Ibid., p. 237 et sq.
6 Voir illustration 1.
7 De re aedificatoria, livre IX, 2, trad. de J.-P. Le Dantec dans Jardins et paysages : une anthologie, Paris, Editions de la Villette, 2003, p. 53. Nous soulignons.
8 Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’esprit, 1964, Paris, Gallimard, Folio, p. 45.
9 Ibid.
10 Ibid., p. 46.
11 En effet, la théorie avant d’être spéculation abstraite est une vue, une prise de vue, car la θεωρία (theôria) vient du verbe ancien θεωρέω (theôreo) lui-même issu du verbe ὁράω (oraô) voir, observer, d’où se trouve déduit à son tour le spectateur θεωρός (theôros). C’est en ce sens que l’on peut entendre une remarque de Peter Sloterdijk : « la théorie, selon ses définitions antiques, équivaut à un regard serein par la fenêtre », Règles pour le parc humain, (trad. fr. O. Mannoni), Paris, Mille et Nuits, 2000, p. 41.
12 Correspondance de Joseph Vernet avec le directeur des bâtiments sur la collection des Ports de France et avec d’autres personnes sur divers objets 1756-1787, « Première lettre aux jeunes gens qui se destinent à l’étude du paysage ou de la marine, vers 1760 », in La Peinture, sous la direction de J. Lichtenstein, Paris, Larousse, coll. Textes essentiels, 1995. Nous soulignons.
13 Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’esprit, op. cit., p. 59.
14 Ibid., p. 73.
15 Voir illustration 2.
16 François Jullien, Vivre de paysage, ou l’impensé de la raison, Paris, Gallimard, 2014, p. 55- 56.
17 Michel Butor, entretien avec Nathanaël Gobenceaux, « Quelques éclaircissements sur la relation de Michel Butor à la géographie », in Cybergeo : European journal of geography, p. 17, mis en ligne 12 septembre 2007, URL : http://cybergeo.revues.org/9952.
18 Ce serait une autre manière d’illustrer la thèse d’Erwin Straus selon laquelle le paysage vécu ou senti dans le vivre originaire est inexprimable dans le tableau et la carte : « L’espace du monde de la sensation est plutôt à celui du monde de la perception comme le paysage est à la géographie », Erwin Straus, Du Sens des sens (1935), trad. fr. de G. Thines & J-P. Legrand, Grenoble, J. Millon, coll. Krisis, 2000, p. 376.
19 Dominique Casajus, « À propos d’une géométrie vernaculaire : pratiques d’orientation en pays touareg », in Afriques [En ligne], 02 | 2010, mis en ligne le 24 décembre 2010. URL : http://afriques.revues.org/723
20 Alberti, De pictura, op. cit., p. 159.
21 Ibid., p. 153.
22 Voir illustrations 3 et 4.
23 Cf. par exemple sur la peinture hollandaise, Esthétique, Le système des arts particuliers, 3e section, La peinture, Développement historique de la peinture : la peinture hollandaise et allemande, Paris, Livre de poche, tome 2,1997, p. 311 et sq.
24 Voir illustrations 5 et 6.
25 Julien Gracq, Carnets du grand chemin, Paris, José Corti, 1992, p. 185.
Auteur
Université de Rennes 2 (EA – 1279)
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