Glossaire
p. 349-356
Texte intégral
Agencements collectifs d’énonciation
1Dans le chapitre Postulat de la linguistique, de l’ouvrage Mille plateaux, Deleuze et Guattari critiquent l’approche structuraliste du langage au profit d’une approche pragmatique. Dans ce cadre ils proposent deux notions fondamentales pour appréhender les pratiques langagières : l’agencement machinique (comment la parole s’insère dans un ensemble socio-politique constitué de rapports de forces sans cesse en mouvement) et l’agencement collectif d’énonciation (comment la parole s’insère dans le flux des discours extérieurs et antérieurs déjà-là que le sujet se réapproprie en fonction de sa propre subjectivité pour le transformer). Il s’agit de rendre compte de la dimension strictement sociale (et non individuelle) de l’énonciation qui unit l’acte de langage et l’énoncé (Deleuze et Guattari 1980 : 101) afin de comprendre, notamment, le fonctionnement du « mot d’ordre ». Cette approche suppose qu’il « n’y a pas d’abord insertion d’énoncés différemment individués, ni emboîtement de sujets d’énonciation divers, mais un agencement collectif qui va déterminer comme sa conséquence les procès relatifs de subjectivation, les assignations d’individualités et leurs distributions mouvantes dans le discours » (ibid.) Pour comprendre le fonctionnement de ces agencements qui constitutent toute forme langagière on se demandera alors « en quoi consistent les actes immanents du langage, qui font redondance avec les énoncés, ou font mots d’ordre » (ibid. 102).
Anthropographie
2Pour éviter toute relation à la dimension « ethnique » inhérente à la notion d’« ethnographie », même si les chercheurs aujourd’hui ne s’en réclament plus, Cécile Canut a proposé un terme moins connoté par l’histoire coloniale pour rendre compte des pratiques dites généralement ethnographiques137. Sa première définition, en 2012, renvoyait à
« une méthode d’enquête qui vise à rendre compte des agencements discursifs et des actes propres à des individus qui sont amenés à se rencontrer, brièvement ou plus durablement. Elle s’oppose à l’ethnographie car elle ne suppose aucun lien de type communautaire ou ethnique entre les individus qui communiquent ou interagissent. Elle est spécifiquement ancrée dans une optique méthodologique multi-site (Marcus). »
Canut 2012
3Un chapitre entier (partie III, chapitre 1) est consacré dans ce volume à la description des différentes étapes de travail d’une recherche anthropographique considérée avant tout comme une pratique sociale au cours de laquelle plusieurs personnes, dont au moins un chercheur, sont amenées à vivre, expérimenter et faire des choses en commun dans le but de construire un savoir et des objets écrits, audios ou visuels.
Background knowledge
4Pour John Gumperz (1982), les « background knowledges » (traduit par « connaissances d’arrière-fond ») sont toutes les expériences communicatives passées au cours desquelles certaines valeurs furent associées à certaines formes. Plus précisément, les connaissances d’arrière-fond renvoient à tout ce savoir pratique acquis par socialisation langagière par lequel des locuteurs construisent les indices de contextualisation. Cette notion permet à Gumperz de travailler sur le « malentendu culturel », notamment à travers l’étude d’échanges conversationnels au cours desquels les interlocuteurs ne contextualisent pas les mêmes indices de la même manière (par exemple, alors que l’un fait de l’intonation montante le signe d’une forme interrogative, l’autre en fait le signe d’un doute).
Dialogisme
5La notion de dialogisme provient de l’œuvre réalisée dans les années 1920- 1930 entre autres par Mikhaïl Bakhtine et Valentin N. Vološinov. Elle repose sur le fait que toute parole est habitée, traversée par d’autres voix, en raison de l’hétérogénéité énonciative de la parole. Dans la lignée des travaux de Michel Pêcheux sur l’interdiscours, la notion de dialogisme interdiscursif décrit le phénomène par lequel le discours du locuteur rencontre les discours tenus précédemment sur le même thème, c’est-à-dire par lequel le locuteur discute avec des énonciateurs antérieurs, avec les voix des absents. Également utilisée par l’analyse de discours dite française, et en particulier par la praxématique, la notion de dialogisme interlocutif met en évidence l’influence qu’a l’interlocuteur, même s’il est physiquement absent, sur la construction du discours par le locuteur, lorsque ce dernier anticipe la réaction de son interlocuteur en répondant aux questions qu’il lui prête ou en formulant par avance ce qu’il pense qu’il pourrait lui répondre.
Entextualisation (mise-en-texte)
6Pour les anthropologues linguistes américains (voir par exemple Silverstein et Urban 1996), il convient de distinguer discours et texte. Selon eux, le discours est simplement du texte en contexte. Plus exactement, selon la perspective inverse, un texte est « n’importe quelle unité objectivée de discours extraite de son contexte interactionnel [interactional setting] » (Gal 2006 : 177-178). Ainsi, le discours n’est pas (ou en tout cas pas seulement) produit à partir de la mise en action et en contexte de textes préexistants. Ce sont plutôt les textes qui découlent du discours à travers le processus d’entextualisation (autrement dit "mise-en-texte"). Dans la mesure où ce processus permet de construire des ensembles textuels décontextualisés/recontextualisables, il est intimement lié à toutes les façons de produire du sens, au dialogisme bakhtinien ainsi qu’aux rapports d’interdiscursivité.
Épilinguistique (discours)
7Élaborée à partir de la notion d’activité épilinguistique de Culioli (1990) – conçue comme l’activité de représentation non-consciente des sujets sur le langage – la notion de discours épilinguistique a été élaborée par Canut (1998, 2000, 2007) dans un sens quelque peu différent. Il s’agit de l’ensemble des discours (ou des gloses, fussent-t-elles scientifiques ou métalinguistiques) portant sur les pratiques langagières, celles d’autrui ou de soi-même (comprenant les langues), que leurs producteurs en soient conscients ou pas (cette question est de fait indécidable, sauf à supposer le pouvoir d’un chercheur repérant l’intentionalité du locuteur). L’étude de ces discours a pour objectif de rendre compte de la place de la subjectivité et de la reflexivité dans tout discours sur le langage, y compris celui des linguistes.
Enregisterment (mise-en-registre)
8Le processus de mise-en-registre (enregisterment, Siverstein 1996b ; Agha 2005, 2007 [2006]) renvoie à la formation contrastive d’ensemble de formes signifiantes associées à des personae sociales, à des activités, des lieux, des moments. La notion de registre, qui en est le produit, le résultat, peut concerner n’importe quel ensemble de signes interprété comme se distinguant d’un ou de plusieurs autres ensembles de signes, que ceux-ci soient linguistiques (différentes « langues », différents « dialectes », etc.) ou non (proxémie, habillement, architecture, etc.). Agha définit l’enregisterment comme un « processus par lesquels certaines formes linguistiques en viennent à être reconnues socialement (ou mises en registre) en tant qu’indices renvoyant à des caractéristiques attribuées à certains locuteurs, au sein d’une population de locuteurs »138 (Agha 2005 : 38, notre traduction).
Formation discursive
9Dans le cadre de l’analyse de discours dite française (Maingueneau et Charaudeau 2002), le concept de « formation discursive » (FD) désigne, bien que différemment selon les époques et les auteurs, des possibles discursifs qui se constituent mutuellement. Les FD renvoient plus concrètement à des discours à propos d’un « même » objet du monde, discours entretenant entre eux des rapports de complémentarité ou au contraire d’antagonisme ou d’opposition : non seulement elles se citent et se répondent, laissant des traces de l’autre sur leur parcours, mais elles façonnent également chacune le sens, conflictuel, des expressions qui les constituent. En outre, les FD sont à rapporter aux formations idéologiques – et donc à l’interdiscours – qui en déterminent le sens (conçu comme signifié saussurien). Ainsi, se placer dans une FD, c’est-à-dire puiser en elle les effets de sens des séquences discursives produites, revient à se positionner socialement. En effet, chaque FD est le fruit de conditions de production soit, dans un cadre marxiste-althussérien, des positions des locuteurs dans les rapports de production ou, dans un sens plus bourdieusien, aux positions des locuteurs dans un champ social particulier.
Hétérogénéité énonciative
10Comme l’a montré le travail de Jacqueline Authier-Revuz (1995), en partie inspiré des travaux de Bakhtine et Vološinov, et largement repris par l’analyse de discours française, l’hétérogénéité énonciative est constitutive du dire : en montrant la multiplicité des énonciateurs présents dans la parole d’un locuteur, elle met en évidence l’omniprésence de l’interdiscours, du discours autre, dont on ne peut repérer que des traces inconscientes, non intentionnelles, dans le discours. Mais elle peut parfois être également représentée, et met alors en scène un locuteur qui cherche à distinguer son discours du discours autre par des marques conscientes, intentionnelles, plus ou moins visibles et explicites, et est donc repérable au travers d’indices textuels.
Imaginaire linguistique
11À travers son modèle, A.-M. Houdebine a développé une analyse de contenu portant surtout sur le lexique, la morphologie ou la phonétique/phonologie, phénomènes révélateurs d’images, de perceptions, d’évaluations, de sentiments, et donc de catégorisations des locuteurs. Dans les années 1990, alors que plusieurs d’entre nous ont travaillé à partir de son modèle et l’ont un peu transformé, elle définit l’IL « comme "le rapport du sujet à lalangue (Lacan) et à La Langue (Saussure) repérable par ses commentaires évaluatifs sur les usages ou les langues" (versant unilingue ou plurilingue des évaluations linguistiques) » (Houdebine 1996 : 165).
Indexicalité
12Inspiré de la sémiotique piercienne (Mertz 2007) le concept d’indexicalité renvoie à la propriété des signes (n’importe quel signe) d’entrer en rapport avec leur « co (n) texte », compris dans le sens le plus dynamique qui soit (Silverstein 2003, 2006). C’est de cette propriété sémiotique que naissent des effets de sens, dans la rencontre des signes et des circonstances de leur production. Alors qu’une certaine compréhension du « contexte » est nécessaire à l’interprétation des signes, une certaine compréhension des signes est, simultanément, nécessaire à l’interprétation du contexte. Cette « calibration mutuelle » (Silverstein 1993 ; Verschueren 2000) et permanente est en outre régie par la fonction métapragmatique du langage. On peut donc dire que la métapragmatique est ce processus qui contraint le fonctionnement indexical des signes.
Indices de contextualisation
13Proposée par John Gumperz (1989) la notion de contextualization cues (traduits par « indices de contextualisation ») veut rendre compte des mécanismes inférentiels des interlocuteurs engagés dans une interaction. L’idée est qu’au cours d’un échange verbal, un auditeur prend davantage en compte certains signes plutôt que d’autres dans l’élaboration de ses hypothèses quant à l’« intention de communication » de son interlocuteur. Ces signes, qui s’imposent alors à lui comme des interprétants pertinents, permettent notamment de se faire une idée à propos de l’« activité langagière » en cours, c’est-à-dire qu’ils permettent de répondre – toujours momentanément – à la question « qu’est-ce qu’on est en train de faire ensemble ? » et, à partir de là, de répondre à cette seconde question fondamentale pour la pragmatique « pourquoi me dit-il cela comme ceci ? ».
Inférences
14L’étude des interactions verbales (ethnographie de la communication, sociolinguistique interactionnelle, analyse de la conversation, etc.), pose le phénomène interprétatif comme inférentiel. Par cela, elle entend que n’importe quel sujet interprétant, pris dans une situation d’interlocution (en face-à-face ou non), rentre dans des sortes de « calculs » ou de « mises en rapport » dont il teste sans cesse la pertinence et qui lui servent de base dans sa mise au jour de la signification (Grice 1979 ; Sperber 1989 ; Gumperz 1989 ; Silverstein 2013). Ces calculs inférentiels prennent pour objet le flux continu de l’expérience communicative et si certains signes sont davantage « considérés » que d’autres (repérés puis signifiés), la plupart reste difficile à circonscrire.
Interdiscours-préconstruit-intradiscours
15Dans le cadre de l’analyse du discours dite « française », Michel Pêcheux et ses collaborateurs (notamment Paul Henry, Claudine Haroche et Catherine Fuchs) ont proposé un cadre discursif pour l’analyse de l’idéologie (Haroche, Henry et Pêcheux 1971 ; Pêcheux et Fuchs 1975 ; Pêcheux 1975). Cette dernière, comprise dans son sens althussérien de rapports imaginaires des sujets à leurs conditions matérielles d’existence (leur assujettissement), travaille le sens des signes linguistiques et de leur combinaison, transformant la langue en discours. L’idéologie, bien que matérielle, n’est pas descriptible discursivement, seul l’« intradiscours », c’est-à-dire le « fil du discours » des locuteurs peut être soumis directement à l’analyse (Paveau et Rosier 2005). Dans ces séquences effectivement produites, il est alors possible de découvrir des segments chargés de discours autres dont ils tirent des effets d’évidence : les préconstruits. Si, pour Henry et Pêcheux (Henry 1975 ; Pêcheux 1975), les préconstruits sont avant tout syntaxiques (relative, nominalisation, etc.), ces « effets d’évidence » habitent également les unités lexicales (Paveau 2006 ; Marignier 2016). La notion de préconstruit ne renvoie pas cependant à de la matérialité discursive mais reste un « effet », dont les causes sont à rechercher dans l’interdiscours, lieu de l’inconscient et de l’idéologique, principe générateur de sens – conflictuel – et constitué de l’ensemble des discours précédemment et lointainement énoncés par d’autres.
Métapragmatique
16Reprenant la fonction « métalinguistique » de Jakobson (1963), c’est-à-dire la capacité du langage humain à se prendre lui-même pour objet, Michael Silverstein propose la notion de fonction métapragmatique (1993) pour parler du fait que les locuteurs, engagés dans leurs productions langagières, supposent qu’il est possible dans un certain contexte, de produire ou non certains signes avec certains effets. Les signes n’ont donc pas de sens en soi, mais c’est la rencontre en société de divers ensembles de croyances (au sens de Peirce) sur ce qui peut être dit ou non et avec quels effets (les idéologies linguistiques) qui permet aux signes d’avoir des effets pragmatiques en contexte.
Modalité/modalisation discursives
17Issues de la linguistique de l’énonciation, les notions de modalité et de modalisation désignent l’attitude du locuteur vis-à-vis de son énoncé et de son interlocuteur. Elles proviennent de la distinction établie par Charles Bally (1932) entre le dictum, contenu du dire, et le modus, attitude du locuteur vis-à-vis de ce dire. La parole du locuteur porte une appréciation, un jugement sur le contenu de son dire. Autrement dit, la valeur modale du discours indique les prises de positions du locuteur – elle constitue en cela la partie centrale du phénomène de l’énonciation. Ces prises de position peuvent être d’ordre épistémique (de l’ordre du probable, du possible), esthétique (de l’ordre du beau/laid), axiologique ou déontique (de l’ordre du bien/mal – jugement moral), aléthique (de l’ordre du vrai/faux), désidérative ou boulique (de l’ordre du vouloir), etc.
18L’analyse de discours dite française distingue la modalité, ou valeur modale, et la modalisation en considérant que toute parole comporte de la modalité, c’est-à-dire que le locuteur exprime nécessairement un point de vue sur le dictum ; alors que la modalisation, plus occasionnelle, repose sur un dédoublement énonciatif, c’est-à-dire sur la coexistence de deux énonciateurs correspondant au même locuteur, l’un, en position de surplomb, commentant le dire de l’autre. La modalisation peut ainsi reposer sur la forme du dire (ex : « pour ainsi dire »), comme l’a montré Jacqueline Authier-Revuz, ou sur le contenu du dit (ex : « je viendrai certainement lundi »). En cela la modalisation est fortement liée à la question de l’hétérogénéité énonciative et du dialogisme.
Police
19La notion de police, issue de la perspective de Rancière est ainsi définie dans La mésentente : « Ensemble des processus par lesquels s’opèrent l’agrégation et le consentement des collectivités, l’organisation des pouvoirs, la distribution des places et des fonctions et les systèmes de légitimation de cette distribution. » (Rancière 1995 : 51) Un peu plus loin, dans le même ouvrage, l’auteur précise : « La police est, en son essence, la loi, généralement implicite, qui définit la part, ou l’absence de part des parties. » C’est « un ordre (…) qui fait que telle activité est visible et que telle autre ne l’est pas, que telle parole est entendue comme du discours et telle autre comme du bruit » (1995 : 52).
Pratiques langagières
20La notion forgée par Josiane Boutet, Pierre Fiala et Jenny Simonin-Grumbach (1976) est redéfinie en 2002 par Boutet :
« D’un point de vue empirique, "pratiques langagières" renvoie aux notions de "production verbale", d’"énonciation", de "parole", voire de "performance", mais il s’en distingue d’un point de vue théorique par l’accent mis sur la notion de "pratique" : le langage fait partie de l’ensemble des pratiques sociales, que ce soit des pratiques de production, de transformation ou de reproduction. Parler de "pratique" c’est donc insister sur la dimension praxéologique de cette activité. Comme toute pratique sociale, les pratiques langagières sont déterminées et contraintes par le social, en même temps, elles y produisent des effets, elles contribuent à le transformer. »
Boutet 2002 : 458-59
21Pour notre part nous les définissons (page 27) comme :
« toutes actions de transformations du monde par le biais du langage – entendu à la fois comme verbal, para-verbal et non verbal –, telles qu’elles sont prises dans des rapports de forces opérant entre jeu et contraintes et mises au jour par l’analyse interprétative à partir de la matérialité langagière recueillie dans le cadre de situations concrètes d’activité de langage. »
Rhématisation
22Pour S. Gal et J. Irvine (Gal et Irvine 1995 ; Gal 2005) le processus de rhématisation désigne le fait qu’un index (signe entretenant avec son référent un rapport de contiguïté, de coprésence ou de causalité) finisse par être considéré comme une icône (signe entretenant avec son référent un rapport de ressemblance). Selon Gal (2006), dans toute construction de rapports socio-sémiotiques différenciés, la distinction se constitue sur la base d’une opposition entre différentes indexicalités (deux ou plus). Par exemple, si une certaine façon de parler est interprétée comme indiquant la provenance géographique d’un locuteur, c’est qu’elle s’oppose à d’autres façons de parler associées à d’autres lieux. Or, bien qu’un lieu ne ressemble pas à une façon de parler, les différents rapports (indexicaux) entre un lieu et un registre se ressemblent entre eux, et entretiennent donc des relations iconiques. Ainsi, le processus de rhématisation peut provoquer l’essentialisation ou la naturalisation de l’association langue-territoire et l’idée que par exemple l’accent marseillais est une icône de ce qu’est Marseille, plutôt que simplement un signe coprésent au territoire, un simple index. Ce processus s’accompagne de la reproduction de rapports d’opposition à différentes échelles, plus petites ou plus grandes, ce que Gal et Irvine (1995) appellent la récursivité fractale. Souvent, on peut aussi constater le gommage d’éléments considérés comme contradictoires avec les oppositions indexicales stéréotypées sur lesquels se basent la rhématisation (Gal 2006).
Speech event
23En 1972, dans le cadre du projet de l’ethnographie de la communication, Dell Hymes propose l’expression de speech event pour se référer à « des activités sociales directement gouvernées par l’application de règles et de normes explicites à propos des usages langagiers » (Hymes 1972, notre traduction). La notion de speech event, qui trouve sa place entre les speech situations et les speech acts, constituait avant tout une grille d’analyse pour l’étude des phénomènes sociolangagiers dans leur diversité. Pour reprendre l’exemple de Hymes, si un mariage est une speech situation, une conversation au cours de ce mariage est un speech event et une blague, au cours de cette conversation est un speech act. La notion a connu un grand succès auprès des anthropologues linguistes américains (Duranti 1997 : 290), qui l’ont néanmoins retravaillée dans le sens d’une plus grande prise en compte de sa dimension « créatrice de contexte ». Dans le cadre du présent ouvrage, nous avons quant à nous insisté sur la réflexivité langagière dont les speech events font nécessairement l’objet ainsi que sur leur importance en tant que mode d’existence d’insitutions sociales, insitutions justement reproduites et transformées au cours des multiples opérations de contextualisation construisant le speech event en tant qu’évènement.
Structure de l’engagement
24En 1963, Erving Goffman propose de parler de structure de l’engagement pour décrire la fluctuation de l’attention entre les participants à une même rencontre. Ces engagements, rendus visibles et interprétables via l’« idiome corporel » de chacun (ses « conduites »), témoignent de notre respect vis-à-vis de la situation en même temps qu’ils prennent en charge la définition de cette situation. Par exemple, chuchoter lors d’une pièce de théâtre c’est faire preuve à la fois d’un manque d’engagement dans la situation (l’attention n’est pas portée vers ce qui se passe sur scène), et d’un grand respect pour la situation (une attention est portée au fait que cela reste « discret »). Tous ces jeux et leur fluctuation déterminent au final la structure de l’engagement des participants dans une situation.
Notes de bas de page
137 Notre défnition se différencie de celle d’Albert Piette (2011. « Épilogue. Anthro-pologie donc Anthropo-graphie », in J. Massard-Vincent, S. Camelin et C. Jungen (dir). Portraits. Esquisses anthropographiques, Paris, Editions Pétra).
138 « Processes whereby distinct forms of speech come to be socially recognized (or enregistered) as indexical of speaker attributes by a population of language users ».
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