Chapitre 4
Les délimitations territoriales de la propriété
p. 141-178
Texte intégral
1L’entreprise cadastrale soulève l’hostilité des ultraroyalistes qui en font suspendre l’exécution dès les premiers moments de la Restauration. Ils refusent en effet un travail reconnaissant le transfert foncier opéré sous la Révolution et souhaitent détruire l’emprise de l’État jacobin, centralisateur, qui s’immisce dans les affaires privées. Fervents partisans du secret des familles, contre l’intrusion de l’État dans les contrats privés, ils défendent le consensualisme dans les mutations foncières. Au nom de la restauration de la liberté, entendue sous l’angle des privilèges qu’ils espèrent recouvrer, ils contestent l’héritage administratif stabilisé sous l’Empire. Leur logique s’inscrit dans le rêve de la restauration d’une monarchie mythifiée, fantasmée, diffusée dans leurs rangs par le romantisme. Plus symboliquement encore, ils veulent abattre tout ce qui est frappé du sceau de l’infamie des meurtriers de Louis XVI, de Marie-Antoinette, et de l’usurpation du trône. Enfin, ils entendent porter un coup à ces grandes écoles où se sont illustrés tant d’ennemis de l’ancienne monarchie. Polytechnique, surtout, création de Gaspard Monge, représente pour eux la Révolution dans sa quintessence mathématique. Néanmoins, le frein qu’ils portent au cadastre parcellaire s’avère momentané.
2Le gouvernement de Louis XVIII décide de relancer le cadastre, car il représente une manière de mieux organiser le prélèvement de la contribution foncière. Les ultraroyalistes parviennent seulement à faire admettre la disparition du bureau central du Cadastre à Paris et faire confier les travaux de levée aux départements, comptant sur leur capacité à peser sur les conseils généraux des départements qui financent les opérations. Grâce à leurs appuis parisiens, ils espèrent tenir les préfets entre leurs mains et les faire révoquer au besoin comme cela a pu avoir lieu dans plusieurs départements dès 18161. Ils savent surtout que nombre de préfets sont désormais directement leurs alliés, familialement, amicalement et politiquement. Ainsi, pensent-ils détenir les moyens d’orienter les travaux du cadastre.
3Toutefois, la relance des opérations fait réapparaître des difficultés liées à des questions identitaires locales sur le territoire de chaque commune. En outre, la manière d’appréhender les parcelles soulève des interrogations. Les propriétés sont en effet soumises à une nouvelle représentation de l’espace, basée sur une logique très fiscale, alors que les terres travaillées sont perçues par les populations d’après d’autres repères que ceux utilisés par les géomètres au cours de leur travail.
Une affaire d’identité : les limites des communes
4Avant de lever le cadastre, le premier impératif est de déterminer les limites du territoire communal concerné, comme lors de la confection des matrices sous la Constituante2. Pour couvrir près de 40 000 territoires communaux, les besoins en personnels se révèlent importants, même si les travaux sont envisagés sur plusieurs années. Des géomètres, payés à la tâche, sont missionnés pour réaliser ce travail, alors que des géomètres en chef s’occupent de répartir et vérifier les travaux3. Les compétences nécessaires à ce travail écartent d’emblée ceux dont les connaissances techniques sont jugées trop approximatives. En effet, la critique portée à l’encontre des arpenteurs et de leurs aptitudes s’est accrue à mesure que l’esprit des philosophes s’est renforcé dans l’opinion. Henry de Richeprey en est la parfaite illustration, lui qui pousse l’assemblée provinciale de Haute-Guyenne à ouvrir une École des ingénieurs du cadastre à Cahors (Lot) pour combler la pénurie d’arpenteurs qualifiés. Son école ne lui survit pas longtemps mais ses compagnons en conservent le modèle. Quant aux grands noms qui refondent le cadastre, ils sont tous imprégnés de cette raison mathématique qui bouleverse l’univers intellectuel des années 1780 et 1790.
5L’administration fait donc appel à des arpenteurs au début des travaux du cadastre napoléonien. Spécialistes de la mesure « des arpents », ils sont enracinés dans l’ancienne monarchie. En effet, un édit de février 1554 institue un arpenteur dans chaque bailliage, sénéchaussée, ville et bourg du royaume. Sous Louis XIV, deux catégories d’arpenteurs se distinguent : ceux de la Maîtrise, spécialement attachés à l’aménagement des forêts ; et, en 1702, les « arpenteurs experts » royaux, attachés aux domaines du roi, du clergé et des communautés. Ces derniers ont été ainsi nommés, car « ils ont été unis aux jurés experts des bâtiments » qui constituent un corps de métier, une corporation dotée de privilèges (Peuchet, 1782, t. 1, p. 457). Tous les arpenteurs sont officiers du roi, dans le sens où ils achètent leur charge et le droit de la transmettre à un héritier. Leur parole fait foi en justice et ils seront choisis de préférence à tout autre expert par un juge pour l’aider à résoudre un litige où la compétence d’arpentage est requise4. Cependant, les arpenteurs perdent tous leurs privilèges à la suite des décisions de la Constituante. Mais cette dernière a grand besoin d’eux, pour dresser les états de section dans les municipalités, gérer la masse des biens nationaux, ou reprendre en main l’administration forestière. Les arpenteurs préservent donc leur expertise tel un trésor mais leur nom les associe à un monde ancien, monde qui vient de s’effondrer.
6Néanmoins, une nouvelle génération voit le jour : celle des mathématiciens, des ingénieurs topographes, des spécialistes de la géométrie. « Le géomètre » signe la modernité et son nom évoque l’alliance de la terre, de la science, et bientôt du nouvel étalon de toute mesure : le mètre, alors que l’arpent rappelle, quant à lui, aux plus instruits le temps d’avant. Certes, le géomètre « arpente » toujours les terrains, mais dans le but premier d’en identifier précisément les limites. Les géomètres qualifiés, dotés des compétences techniques et mathématiques nécessaires, fixeront les limites foncières, et les bornes, qui pourront être juridiquement invoquées en cas de litige. Leur art consiste donc à déterminer une limite, à en repérer une ancienne, à en établir une nouvelle, et, toujours, à la fixer sur le terrain et le papier. Au service du Cadastre et donc de l’administration, de la justice en tant qu’expert, et des particuliers, les géomètres ancrent physiquement le droit de la propriété afin qu’une juste contribution foncière puisse être établie. L’idée est grande, encore faudrait-il réussir à la faire vivre au cœur des territoires.
7Chaque commune suit une procédure unique pour délimiter son territoire. Ainsi, le maire s’entoure de deux ou trois propriétaires, membres ou non du conseil municipal pour guider le géomètre commis par la Préfecture sur les confins de leur territoire. Les municipalités limitrophes envoient leur maire et les propriétaires se joindre à ce premier groupe pour sillonner le long de la limite qui les concerne. Puis, le géomètre dessine chaque portion de ce parcours sur une feuille séparée ; il disposera par exemple de quatre croquis distincts si quatre communes avoisinent celle qu’il cadastre. De cette manière, toutes les autorités municipales se prononcent sur les limites présentées au géomètre par le maire de la commune cadastrée. Sachant que le cadastre est levé par canton, les limites déjà identifiées n’auront plus à l’être quand le géomètre se déplacera pour cadastrer la commune voisine de celle dont il vient d’achever les travaux. Au fil du parcours sur les confins, le géomètre plante des repères qui serviront à la levée ultérieure du plan de la commune à laquelle il s’intéresse. Aussi, les préfets recommandent expressément aux maires d’informer les populations que quiconque déplacerait ou arracherait une telle marque serait passible d’une lourde contravention5. La surveillance des terrains est confiée aux gardes champêtres communaux, surveillance assimilée à un vœu pieux compte tenu de la longueur des périmètres concernés et des missions ordinaires qui incombent à ces agents.
8Lorsque cela est possible, les géomètres ont ordre de fixer les limites communales sur des « limites naturelles ou invariables »6, par souci d’asseoir les circonscriptions sur ce qui est le plus fixe et le plus visible dans le paysage. Cependant, une telle quête néglige les aléas qui bouleversent parfois la nature comme c’est le cas dans les communes de Pountous et de Puydarrieux (Hautes-Pyrénées). En effet, à la suite d’une brusque crue, la rivière qui séparait les deux finages a abandonné une partie de son lit pour couper en deux le bois communal de Puydarrieux. Une partie de ce bois se retrouve alors du côté de la rive relevant du territoire de Pountous. Afin de respecter le territoire d’origine, les maires décident de fixer la limite des communes sur l’ancien lit7. Ainsi, même si les préfets encouragent souvent les maires à abandonner certaines portions du territoire communal pour que les circonscriptions collent aux chemins, aux grandes routes, aux lits des rivières, à des lisières forestières, à des lignes de rochers ou à des lignes de crêtes, la réalité s’avère tout autre tant l’espace porte des enjeux identitaires et économiques. De même, tout rattachement d’une enclave à une commune ne s’opère que si cette dernière abandonne une contrée équivalente à la commune lésée. Si un territoire ne tient que par un mince corridor à sa commune d’appartenance, à charge des géomètres du cadastre de convaincre les maires de procéder à un échange de terrains, l’impératif étant de constituer des entités territoriales homogènes à l’aide de repères apparents dans le paysage. Dans le cas où aucun élément du relief n’est retenu, des bornes sont implantées sur les points remarquables du périmètre communal. Le géomètre dessine la délimitation des parcelles sur des croquis et indique beaucoup d’autres repères, comme les inflexions géométriques de la limite séparative ou la distance par rapport à un point fixe du paysage. Il reprendra ensuite ces éléments dans un texte qui servira de procès-verbal descriptif de la limite. Ce travail d’une particulière précision demande du temps car les périmètres enquêtés s’étendent ordinairement sur 10 à 20 kilomètres, dans des environnements parfois difficiles d’accès.
9La plupart du temps, les travaux se déroulent sans encombre. Prenons l’exemple de Combiers (Charente) où les opérations ont lieu le 15 mai 18268. Le parcours sur le terrain commence face à la commune de Charras. Les enquêteurs partent d’une grande borne, entre deux taillis forestiers, et suivent sur 4 764 mètres des chemins, puis une succession de fossés entre des forêts, avant de rencontrer une haie qui borde un autre grand chemin. Ils rencontrent de nouveau un fossé, puis un « vieux mur », puis une limite forestière marquée par des bornes, le tout marquant le périmètre communal. La démarcation avec les communes limitrophes de Beaussac et Les Graulges (Dordogne) court sur 5 402 mètres, la forêt de Combiers désignant la première séparation. Ensuite, des fossés, des chemins, une haie et un ruisseau affluent de la rivière Nizonne, forment le tracé. À chaque étape, le géomètre relève le nom des propriétaires situés de part et d’autre de la ligne suivie. L’ancien lit de la Nizonne marque, quant à lui, la limite avec la commune de Sainte-Croix-de-Mareuil (Dordogne) sur 982 mètres. La référence à cet élément témoigne de la force des mémoires indépendamment du changement de cours de la rivière. Un fossé séparant un pré d’une terre cultivée rejoint le nouveau cours de la Nizonne. Puis, la limite, toujours marquée par la rivière, concerne les communes d’Argentine et de Rochebeaucourt (Dordogne) sur 4 861 mètres. Les opérations se poursuivent : des routes, des sentiers et le mur du parc d’un château séparent la commune de Combiers et celle d’Édon sur 2 792 mètres. De même, des sentiers sinueux et le bord d’une forêt séparent Combiers et Rougnac sur 4 861 mètres. Au total, 23 662 mètres, presque 24 kilomètres, couvrent le périmètre, et 28 personnes, incluant le géomètre et les maires des communes, ont participé à l’opération.
10Le procès-verbal est clos sans difficulté et ce travail entérine la limite de la commune de Combiers telle que les habitants la conçoivent. La délimitation entre ensuite dans une phase plus technique. Le géomètre dessine un relevé trigonométrique des segments reconnus à l’aide d’un équipement composé d’une chaîne d’arpenteur, d’un instrument pour mesurer les angles et d’une table de calcul afin de déterminer les longueurs à partir des angles observés. Le travail se termine le 6 octobre 1827, et le 9 octobre, le géomètre en chef du cadastre du département se rend à Combiers pour le vérifier. Reprenant les calculs, le contrôleur estime que la différence entre ses résultats et ceux de son subordonné est inférieure au millième. Les calculs seront validés le 9 décembre 1827 et serviront à lever le plan parcellaire de la commune. Il en sortira une configuration planimétrique cadastrale représentant le ressort fiscal sur lequel s’exercera l’autorité municipale.
11Contrairement au cas précédent, il existe néanmoins des situations plus délicates et conflictuelles. Puisqu’aucune communauté n’entend abandonner un espace duquel elle retire des ressources ordinaires, des contestations éclatent généralement au sujet des terres vaines et vagues, des marécages et des friches, c’est-à-dire des terrains attribués aux communautés par la Révolution. Les forêts posent également problème lorsqu’elles ont été acquises par les municipalités après l’abolition des seigneuries. En effet, si ces dernières s’étendent sur les confins de plusieurs communes, elles sont souvent revendiquées par plusieurs communautés. Dans ce cas et pour mener à terme les travaux du Cadastre, une ordonnance royale du 30 octobre 1821 exige des préfets qu’ils résolvent au préalable et de façon définitive les contestations éventuelles entre municipalités voisines au sujet de leurs limites séparatives. L’ordonnance reprend un arrêté du ministère des Finances daté du 22 janvier 1801, de nouveau diffusé aux préfets le 3 novembre 1802. Les difficultés soulevées au moment de la réalisation des premiers cadastres ont conduit à des décisions qui ne peuvent que servir l’action de la Restauration en cette matière.
12Imaginant la réforme du cadastre, le Consulat a effectivement rencontré un problème semblable à celui que la Restauration affronte en 1821 et à celui que la Constituante avait eu à affronter lors de l’établissement de la contribution foncière en 1790-1791. L’enjeu des arrêtés de 1801 et de 1802 est donc de clore toutes les contestations liées aux limites communales en obligeant les préfets à régler les litiges en cours et à fixer les circonscriptions de manière définitive. Par l’arrêté du 3 novembre 1802, il est conseillé d’examiner plutôt les « convenances, que de consulter des prétentions fondées sur des titres contestés, ou dont la Révolution a détruit le mérite primitif ou l’objet féodal » (Dulaurens, 1802, p. 152). L’ancien monde étant mort, mieux vaut éviter de considérer des actes d’origine seigneuriale octroyant des droits à la légitimité désormais douteuse. Le ministère des Finances suggère d’agir de façon pragmatique et de rattacher un terrain contesté à la commune dans laquelle il a habituellement été soumis à l’impôt. Le 10 février 1806, un avis du Conseil d’État recommande néanmoins de ne borner que les territoires communaux au cœur de litiges, pour ne pas gaspiller d’énergie dans une très vaste entreprise, et pour ne pas risquer de soulever des tensions là où aucune ne s’est encore manifestée.
13Les arrêtés de 1801 et 1802, ainsi que l’avis du Conseil d’État, ont permis en apparence de résoudre de nombreuses situations. Ainsi, dans les Hautes-Pyrénées, les communes de Pountous et de Campezan voient l’administration préfectorale mettre un terme d’autorité en 1806 à leur conflit portant sur une forêt (malgré un bornage datant de 1623)9. Quand le géomètre du cadastre procède à la délimitation du territoire de Pountous le 29 février 1812, il observe qu’un fossé établi au cœur du bois toujours litigieux avec Campezan est ponctué de bornes bien visibles. Il en fait la base de son relevé sans égard pour les déclarations des habitants des deux communes10. Dans le Doubs, trente cas de litiges sur les limites communales sont tranchés entre 1802 et 183511.
14Par ailleurs, là où les municipalités abritent des hameaux et des écarts eux-mêmes dotés de droits propres, d’autres singularités se révèlent très problématiques. Les géomètres affrontent en effet des revendications complexes à trancher, de vastes terrains formant une véritable copropriété entre des localités qui ressortent parfois de municipalités différentes. La Creuse en donne un bel aperçu.
15Le 20 juin 1808, le directeur des Contributions directes de ce département signale au préfet les problèmes posés par les communes du canton d’Ahun.
À Peyrabout [écrit-il], les habitants du bourg se prétendent propriétaires exclusifs d’un communal appelé le Gaunet, contigu à la commune de Savennes. Les habitants de Savennes soutiennent qu’ils ont droit à la moitié de ce communal, dans lequel ils indiquent pour division une ligne tirée d’un rocher appelé Malpertu, à l’angle au sud-ouest du pâtural [pâturage] du Gaunet appartenant à Jean-Baptiste Ademi de Peyrabout12.
16Il égrène plusieurs autres contestations :
- Le puy Marisat13 est disputé entre les habitants de Maisonnisses et du hameau de La Védrenne, commune de Sardent.
- Le puy de la Lizole est disputé par les mêmes et par une troisième commune, La Chapelle-Saint-Martial.
- Le puy de la Cour est déclaré indivis entre La Cour, La Chapelle-Saint-Martial et deux hameaux de Maisonnisses.
- Le puy des Barris est présenté comme indivis entre deux hameaux et le chef-lieu de Maisonnisses d’une part, et plusieurs hameaux de la commune de Sardent, mais pas son chef-lieu, d’autre part.
- Le puy des Châtres est indivis entre un hameau de Sardent et deux autres de Maisonnisses.
- Il en va de même d’un communal indivis entre un hameau de Sardent et le chef-lieu de Maisonnisses.
- Les habitants d’un hameau de La Saulnière, Luth, « prétendent avoir droit dans tous les communaux de Pouzaud », commune de Mazeirat.
17Et la liste se poursuit par deux articles de même teneur concernant d’autres localités. L’ampleur du problème naît de l’importance des propriétés communes et de leur enchevêtrement sur des territoires voisins. Aucune localité ne veut céder des droits, qui ne sauraient d’ailleurs être divisés aussi facilement que les surfaces qui les portent. Mais, le directeur des Contributions souhaite obliger les municipalités concernées à délibérer sur le sort de ces territoires. Par conséquent, il suggère de faire inscrire les limites séparatives par des bornes afin de briser toute contestation future. Cela implique néanmoins de trouver un compromis quant à l’exercice des droits d’usage dont jouissent les populations et qu’elles ne veulent pas abandonner.
18De même, le 19 juillet 1809, le préfet est informé que « le géomètre chargé du parcellaire des communes d’Ahun et Saint-Yrieix-les-Bois éprouve des difficultés pour les limites de ces communes avec celles circonvoisines »14. Le problème provient de communaux situés sur les confins de ces municipalités, chacune prétendant y avoir des droits identiques mais aucune ne possédant un titre authentique pour en prouver l’usage. Notons que l’administration départementale accorde de l’intérêt à ces titres anciens alors que les arrêtés du ministère des Finances du 22 janvier 1801 au 3 novembre 1802 demandent de ne pas les considérer. Cependant, établir des limites communales oblige à se prononcer sur le sort de ces unités foncières sans accroître l’hostilité des populations, qui sentent que leur patrimoine est menacé. La question ne se posait pas jusque-là puisque les habitants considéraient ces terres comme une entité distincte des communes sur laquelle des droits particuliers étaient fondés de manière immémoriale. Le rattachement administratif d’une contrée à une municipalité devient donc un motif d’opposition entre les communes, entre les communes et l’administration fiscale, entre les communes et l’administration départementale. Pour apaiser les craintes, le pouvoir rappelle que les droits respectifs de parcours ou de pacage seront maintenus « s’ils sont suffisamment justifiés »15. Le préfet, qui supervise le dessin des communes par son pouvoir de police administrative, ordonne aux maires concernés de trouver un compromis. Dans le cas contraire, les communaux seront affectés d’autorité aux communes qui auront le mieux prouvé leurs droits. Chaque canton du département connaît la même litanie de contestations. Une solution radicale est parfois proposée pour mettre un terme à ces difficultés : la réunion pure et simple des communes dans une nouvelle municipalité.
19Une vingtaine d’années plus tard, le 18 mars 1830, le directeur des Contributions directes en poste dans le département rapporte de nouvelles difficultés rencontrées dans dix communes du canton de La Courtine au moment de dresser leurs limites. Dans deux cas, une fusion des communes est suggérée. Le premier cas concerne la commune de Malleret, que le directeur demande de fusionner avec sa voisine Beissat. Toutes deux prétendent posséder deux hectares en prés, pâtures, terres et bois au lieu-dit « Des Gorces » et soutiennent que les propriétaires sont imposés depuis 1792 dans les deux communes, ce que le directeur des Contributions directes conteste d’après ses archives. Par conséquent, il propose d’inclure « Des Gorces » à Beissat et d’y rattacher Malleret au motif de son étroitesse et de ses prétentions territoriales16. Toutefois, le préfet ne suit pas cet avis et décide d’attribuer simplement le tènement contesté à Beissat17.
20Le second cas concerne la commune de Villefert qui apparaît trop petite pour être convenablement administrée. Son inclusion à la commune du Mas-d’Artige est donc proposée. En janvier 1830, les documents préparatoires à ce rapprochement révèlent que Le Mas-d’Artige dispose d’une superficie de 1 100 hectares, d’une population de 253 habitants et d’une contribution foncière de 755 francs alors que Villefert s’étend sur 525 hectares, pour 146 habitants et une contribution de 406 francs. Elle ne dispose d’aucun curé, ni presbytère, ce qui incite à la fondre avec sa voisine18. Soumis aux conseils municipaux, le projet est accepté par Le Mas-d’Artige, qui ne perd rien de sa position, mais refusé par Villefert. Le 6 août 1830, dans un climat d’incertitude lié à la révolution de Juillet, le sous-préfet d’Aubusson recommande de repousser l’idée, du fait du désaccord entre les deux localités. Toutefois, le secrétaire général de la préfecture répond que les instructions relatives au cadastre invitent à réunir les petites municipalités dont les ressources sont trop limitées pour qu’elles s’administrent convenablement. Au final, sur l’avis du préfet de la Creuse et du Conseil général, le ministère de l’Intérieur réunit Villefert au Mas-d’Artige. L’ordonnance royale est signée le 6 juillet 1831 et communiquée pour exécution le 20 juillet suivant. Elle précise que chaque localité formera une section de commune19 qui jouira séparément de ses droits d’usage dans l’étendue de la nouvelle circonscription. Le chef-lieu est fixé au Mas-d’Artige mais chaque commune gardera durablement un esprit propre à sa localité.
21Entre 1801 et 1848, 40 communes de la Creuse sur les 296 que le département compte en 1801, soit plus de 13 %, sont ainsi absorbées par une autre20. Le mouvement est encouragé partout pour faciliter les opérations du cadastre, l’argument de la faiblesse des revenus des localités permettant surtout d’effacer les blocages nés des revendications foncières des unes et des autres. L’Aveyron perd 310 communes entre 1801 et 1848, soit presque la moitié des 633 communes recensées en 1801. Le Gers, le Lot-et-Garonne, le Jura, la Seine-Maritime, le Tarn-et-Garonne, les Alpes-de-Haute-Provence, la Haute-Marne, le Calvados, la Moselle, l’Orne, l’Eure et la Vienne perdent entre 20 et 30 % de leurs communes dans la même période. Les autorités y voient une meilleure gestion des espaces et l’opportunité de trouver des administrateurs instruits pour diriger les conseils municipaux. Cependant, les populations apprécient peu ce regroupement et les hameaux s’estiment mal représentés au conseil municipal même si la loi du 21 mars 1831 garantit aux sections de commune un nombre minimum de conseillers au sein de la municipalité. En effet, là où la section est faiblement représentée face au chef-lieu municipal, ses conseillers peinent à en défendre les intérêts. En revanche, là où les sections pèsent démographiquement, le chef-lieu de la municipalité se retrouve en difficulté. En 1843, le conseil général du Jura s’en plaint et souhaiterait que les conseillers municipaux soient admis à siéger après une élection sur liste ouverte à l’ensemble du territoire municipal pour ramener les sections à leur juste part dans la conduite des affaires locales (Conseil général du Jura, 1845, p. 157). En France, les débats sont très vifs là où une telle situation se présente.
22À l’inverse, dans l’Aveyron, en 1840, le conseil général examine huit demandes de hameaux qui veulent devenir ou redevenir des communes, leurs habitants estimant ne pas être entendus au sein des municipalités. Or, l’administration est réticente à scinder les circonscriptions déjà existantes, car la levée de l’impôt serait plus complexe. En outre, les localités n’auraient pas les moyens de répondre aux charges budgétaires que le statut communal implique. Deux perceptions s’affrontent. D’une part, le rapport à la terre constitue un élément d’identité d’une localité, qui s’affirme face à ses voisines. D’autre part, l’administration publique ne conçoit que l’efficacité de gestion selon des normes uniformes, et prétendues rationnelles, à l’échelle du territoire national (Conseil général de l’Aveyron, 1840, p. 56). Le bon ordre et la procédure réglementaire en vigueur obligent néanmoins à examiner chaque demande. Dans le cas aveyronnais de 1840, quatre hameaux sont érigés en municipalité à la demande du conseil général parce que les tensions y sont trop vives. Quatre autres demandes sont rejetées mais les hameaux sont transformés en section de commune (ibid., p. 110-113). En effet, la loi municipale du 18 juillet 1837, rendue exécutoire le 17 août suivant, permet à un hameau de demander son érection en municipalité ou sa reconnaissance comme section de commune, avec des droits propres sur son territoire. Ce statut est systématiquement accordé aux municipalités supprimées et rattachées à une nouvelle entité, mais il n’élimine pas pour autant les tensions entre les habitants des localités réunies notamment au sujet de la maîtrise des ressources du territoire communal.
23Un autre cas conflictuel diffère des cas précédents. Plusieurs municipalités légalement constituées refusent de briser l’entité qu’elles forment pour administrer des territoires servant aux habitants de chacune, et formant une copropriété intercommunale (Patault, 1989). Certes, l’espace d’exercice des droits communautaires pourrait physiquement être partagé, mais comment diviser des droits acquis, sans précision d’affectation, sur la totalité de ces contrées qui ne sont pas toujours rassemblées en une unité homogène ? Quelle commune deviendrait maîtresse des terres divisées ? Le risque est plus grand que la simple logique fiscale ne l’affirme. En effet, associer une contrée à une commune, c’est la faire passer sous le pouvoir administratif d’une municipalité, donc sous son pouvoir réglementaire, et permettre que, par des arrêtés municipaux légalement pris, l’usage en soit restreint aux seuls foyers du lieu, ou principalement à certains foyers.
24Les Pyrénées offrent un cas d’école en la matière. Les localités d’une même vallée ont développé une solidarité intercommunautaire très forte et articulent trois formes de rapport au foncier :
- Les foyers disposent de leur propre patrimoine, souvent situé autour des villages et des demeures et exploité de manière privative.
- Les municipalités administrent un communal au service exclusif des habitants de chaque lieu, chaque foyer disposant de droits sur les produits du sol.
- Les communautés d’une même vallée sont enfin propriétaires, en indivision, de vastes territoires utiles aux déplacements et à la nourriture des troupeaux.
25Par ailleurs, ces copropriétés adoptent des configurations multiples. En effet, une municipalité peut disposer d’un droit avec une localité voisine sur un bien, avec d’autres encore sur un autre bien, et former avec l’ensemble un tout associé à d’autres zones de pâturage. Mais, soulignons-le, aucune communauté ne sait quelle est la part physique, lisible dans le paysage, du territoire concerné qui lui revient exclusivement. Les foyers de chaque municipalité accèdent simplement aux ressources dont dispose chaque communauté. De plus, le système précédemment décrit, permet aussi de réguler dans la durée l’équilibre du partage des droits entre chaque municipalité sur le territoire en copropriété.
26Les habitants des lieux connaissent bien la nature de ces agencements, au fondement de leur vie. Les biens intercommunautaires assurent une cohésion à une microrégion. Le mode d’organisation résulte des usages locaux et d’anciens compromis entre les localités d’une même vallée où les droits s’exercent selon un calendrier coutumier très bien connu des foyers. Ces usages permettent d’apprécier les éventuelles atteintes aux droits de chacun et comptent davantage aux yeux des populations que les règles issues du droit en vigueur à l’échelle de la France. L’administration, en revanche, a tendance à se perdre dans ces arrangements puisque son seul impératif est l’application des règles nationales. Elle ne reconnaît pas les anciens compromis qu’elle estime être le témoignage d’un système féodal abattu. L’incompréhension s’accentue surtout quand des affaires sont prises en main et étudiées par un bureau ministériel à Paris.
27Dans ce contexte, la délimitation des communes s’avère particulièrement délicate. Les habitudes des populations des vallées pyrénéennes les éloignent de l’ordre administratif défini depuis 1800. D’après l’administration, seule la municipalité est apte à gérer les affaires publiques au niveau local. Les autorités présentes dans les arrondissements communaux et les départements ont la charge, quant à elles, d’accompagner, de contrôler, de conseiller, voire de sanctionner, les municipalités et de veiller à l’application des lois et règlements. Les municipalités sont pensées pour être les courroies de transmission des décisions supérieures vers les populations. Le choix du centralisme, tranché en 1793 et 1794, s’explique par la volonté de rompre avec tout ce qui perpétuerait les privilèges d’Ancien Régime. Aucune différence régionale en matière d’organisation administrative n’est admise.
28Ainsi, les Pyrénées offrent une structure hors norme dans l’armature territoriale nationale et la délimitation des communes y est conflictuelle, surtout dans les zones de montagne, telle que la vallée de Castelloubon (Hautes-Pyrénées). Quatorze villages se situent dans les vallées du gave de Pau et de l’Adour21, formant dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, une vaste seigneurie détenue par la famille des princes de Rohan. En 1808, les opérations permettant de délimiter les communes commencent mais les géomètres affrontent des maires attachés à la copropriété d’immenses bois et pacages. Le 20 juillet 1808, le maire de Germs-et-Cotdoussan est appelé à se prononcer sur les limites avec la municipalité de Gazost, qui relève de la même entité humaine. Il déclare que « le territoire de Bagnères-Adour [Bagnères-de-Bigorre] ne confronte [ne touche] point avec celui de Gazost, puisqu’il ne confronte pas même avec les montagnes que le ci-devant seigneur [avant 1789] avait affiévées [baillées à ferme moyennant le paiement d’une redevance] aux communes de Trébons et de Bénat [actuelle Bénac], ni non plus avec celles de la ci-devant baronnie des Angles »22. Le maire de Bagnères-de-Bigorre reconnaît la situation mais ajoute cependant que sa commune est limitrophe de Castelloubon et déclare que d’autres communes possèdent des biens enclavés sur son territoire sans remettre en cause l’existence des droits collectifs des entités propriétaires23. Les maires d’une autre vallée, dite du Davantaygue, située à l’ouest, se refusent de même à admettre le procès-verbal de délimitation avec Gazost. Ils avancent qu’un des maires de leur groupe n’a pas été convoqué alors que certains biens à délimiter requièrent son avis. Le procès-verbal du géomètre se clôt sans consensus sur ce que représente le territoire de Gazost, ce qui suspend momentanément les travaux de délimitation de nombreuses communes. La préfecture située à Tarbes est alors informée des problèmes.
29Les opérations concernant Germs-et-Cotdoussan se déroulent un an plus tard, le 20 août 1809. Cette délimitation est à relier à celle de Bagnères-de-Bigorre, commune étrangère à la vallée de Castelloubon, qui débute le 24 août 180924. Le 30 août, puis le 4 septembre 1809, prenant connaissance des opérations liées à Bagnères-de-Bigorre, le maire de Germs-et-Cotdoussan dénonce les délimitations en cours avec toutes les municipalités dans tous les procès-verbaux où il est impliqué25. Sa vigilance témoigne de son attachement viscéral au ressort de la vallée dont sa municipalité relève, d’autant que les pâturages et les « montagnes » des différents territoires sont en cause. La délimitation communale réveille des tensions qu’un bornage ancien était censé avoir apaisées. Le périmètre de Bagnères-de-Bigorre s’appuie sur 126 bornes et englobe environ 12 590 hectares entre l’Adour, à l’ouest, et Castelloubon, à l’est. Il s’étend au sud sur un ensemble montagneux qui culmine au pic du Midi de Bigorre. Le 30 septembre, sur le procès-verbal de délimitation de Bagnères-de-Bigorre, le maire de Germs-et-Cotdoussan fait écrire :
La vallée de Castelloubon n’entend point contester la propriété aux communes de Trébons, Labassère, Astugue et Bénat de leurs montagnes comprises dans le plan de Bagnères, mais les montagnes concédées par le seigneur de Castelloubon font partie du territoire de ladite vallée [Castelloubon], qui est très intéressée à conserver son territoire par rapport à un procès qu’elle a avec les acquéreurs des biens du ci-devant seigneur. On veut que les montagnes des susdites communes soient sur le plan, ou de la commune de Gazost, ou de Cotdoussan26.
30Le même jour, au moment de vérifier la limite entre Bagnères-de-Bigorre, Bôo-Saint-Pastous – de la vallée du Davantaygue –, et Cotdoussan – de la vallée de Castelloubon –, le maire de cette commune déclare « qu’il se réserve de s’en tenir aux limites du titre de la vallée de Castelloubon du 1er août 1537 ». Il fait la même remarque quant aux limites entre Gazost, Germs-sur-l’Oussouet et Bagnères-de-Bigorre27. Le 4 septembre, il demande un nouvel arpentage car « la vallée de Castelloubon ne veut pas permettre que les montagnes de son territoire soient séparées ni comprises dans aucun territoire d’une commune étrangère. Elle veut conserver et soutenir l’intégrité de son territoire conformément à la circonscription des limites mentionnées dans l’acte d’acquisition desdites montagnes en date du 1er août 1537 »28. Ces limites sont énoncées : toute commune étrangère à Castelloubon, dont le plan inclurait des biens de cette entité, serait déférée devant les tribunaux. Chacun peut imaginer l’embarras du géomètre… Puisque Germs-et-Cotdoussan parle au nom des intérêts de la vallée de Castelloubon, les autorités prononcent en 1810 sa division en deux municipalités distinctes : Germs-sur-l’Oussouet et Cotdoussan. En affaiblissant son principal défenseur, elles espèrent ainsi briser la résistance de la vallée.
31Le texte de 1537 aurait pu être admis comme valant titre puisque la législation révolutionnaire reconnaît comme imprescriptibles les droits fondés sur des actes authentiques antérieurs à 1566, mais les autorités n’en ont que faire. L’origine féodale de l’entité « vallée » pousse à en refuser l’expression, conformément aux décrets abolissant la féodalité et aux mesures qui interdisent les coalitions, corporations et corps intermédiaires privilégiés. En effet, la vallée apparaît comme l’expression d’un rassemblement fondé sur une situation que la Révolution a brisée. Enfin, et surtout, les terres et les forêts concédées par les anciens seigneurs de Rohan ont été vendues depuis 1791. Les anciennes conventions, dont les villages se réclament, sont donc considérées comme nulles. L’acquéreur de ces terres avait confié à un régisseur intransigeant le soin d’administrer ses biens. Résidant à Paris, ce régisseur confia à son tour à un homme de Bagnères-de-Bigorre l’exploitation des forêts et leur défense contre les intrusions des villageois. Suivons avec Jean-François Soulet les tensions que cela a pu provoquer dans le premier tiers du xixe siècle (Soulet, 2004 [1987]). Durant des années, le Castelloubon mène une guerre d’usure contre le propriétaire des forêts. Ses gardes sont maltraités, ceux qui l’aident intimidés, et les établissements qu’il fait construire pour exploiter les ressources locales sont incendiés. L’organisation de la vallée se perpétue de manière secrète. Incapable d’identifier les meneurs, l’administration recourt, en juillet 1822, à une loi révolutionnaire délaissée : celle du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795). Cette loi avait été votée pour dissuader des délinquants de s’en prendre aux biens de ceux qui faisaient appliquer les lois de la Révolution. Elle prévoyait une lourde sanction, collective, contre la municipalité sur le territoire duquel des actes de rébellion surgissaient sans que les auteurs ne soient identifiés. En usant de cette loi contre la commune de Gazost en 1822, la sous-préfecture fissure le front de la résistance, sans le détruire entièrement.
32Cette affaire repose sur le conflit entre deux normes : l’une venue des autorités et l’autre relevant du champ social. L’acquéreur des biens des Rohan dispose d’un acte qui lui confère la propriété dans une dimension exclusive. Il se pense seul bénéficiaire de tous les produits des terrains dont il détient le fonds. Les habitants de Castelloubon, quant à eux, fondent leur propriété collective sur des titres anciens, contestés. La transaction de 1537 en est la preuve mais ils en conservent pourtant jalousement le texte. Certes, la Révolution a d’abord consolidé les droits des habitants mais la vente des biens nationaux a introduit un concurrent soutenu par les autorités, l’abolition de la féodalité retirant toute valeur à la revendication des communautés. Le nouveau propriétaire peut donc affirmer son emprise sur le sol et reste aveugle face aux titres de possession exhibés par les villages. Pourtant, une situation de propriété simultanée est bien en passe d’être actée, par la force des choses : plusieurs ayants droit sont reconnus pour une même terre, avec des droits fondés de manière différente, par rapport à un usage lui aussi différent des ressources. Les habitants revendiquent des pâturages, le propriétaire s’intéresse aux forêts. Il s’agit en somme d’une superposition de droits à la propriété sur des éléments divers liés à un même espace, exercés par plusieurs entités, parfois dans des temps différents, parfois simultanément.
33Cette situation contrarie la rationalisation espérée depuis 1789, autour de l’exclusivisme de la propriété foncière. En effet, les tensions pyrénéennes obligent à articuler les revendications des habitants, des municipalités, des propriétaires privés et de l’État, qui revendique de son côté la propriété de certaines forêts. Le compromis intervient très tardivement, avec la loi municipale de juillet 1837, qui en son titre IV, article 70, donne la faculté aux municipalités possédant en indivision des biens ou des droits sur des terrains de s’associer en syndicat, pour en organiser l’exercice. De cette manière, l’État trouve un interlocuteur avec qui discuter pour résoudre les conflits sur les territoires contestés. De plus, la reconnaissance de la gestion des copropriétés facilite l’acceptation de la délimitation des circonscriptions communales. Les communes de Castelloubon sont parmi les premières en France à en revendiquer le bénéfice acté par une ordonnance royale du 29 mars 1839. Le 2 mai suivant, la municipalité de Germs-sur-l’Oussouet élit son délégué syndical29. Puis, les autres municipalités en font de même.
34Les autres vallées pyrénéennes connaissent des situations comparables. Le syndicat de la vallée de Barèges est fondé avec l’ordonnance royale du 8 mars 1839. La délibération de la municipalité de Luz-Saint-Sauveur du 2 février 1838 le demande au nom des quatorze autres communes intéressées et le 3 juin 1839, le syndicat tient sa première réunion30 et administre par la suite les pâturages et les sources thermales de la vallée. En juin 1843, le maire de Luz-Saint-Sauveur découvre dans les archives, « par hasard, l’expédition d’une donation faite en 1319 par Charles VII, fils du roi de France, comte de la Marche [Charles, fils de Philippe IV le Bel, comte de la Marche de 1314 à 1322, puis roi de France et de Navarre jusqu’en 1328], en faveur de la vallée de Barèges ». La pièce est d’une grande importance pour la vallée « puisqu’elle constitue le droit de propriété des montagnes et forêts qu’elle possède ». Cependant, « tous ces titres sont illisibles, […] dès lors il importe de faire venir tout de suite un archiviste pour les faire traduire »31. Les membres du syndicat approuvent immédiatement et espèrent que cet acte les aidera à prouver leurs droits sur les forêts et les eaux thermales que les Domaines leur disputent toujours. Preuve est d’ailleurs donnée que l’idée d’une propriété simultanée n’est que tolérée par le pouvoir.
35Les lois qui imposent la propriété privée se heurtent ainsi aux habitudes et aux formes économiques qui permettent à des foyers de vivre du partage de ressources foncières. Les Pyrénées ne forment pas un cas unique de tensions liées à des logiques intercommunautaires. En effet, par l’ordonnance royale du 22 mars 1838, treize communes aux portes de Rouen (Seine-Maritime) obtiennent la création d’un syndicat pour administrer leurs biens indivis du domaine de la Muette, « la Forêt Verte ». L’origine en est un acte conclu en 1551 entre l’abbaye Saint-Ouen de Rouen et, à l’époque, dix-sept communautés usagères32. En 1791, la Nation devient propriétaire du massif. La recomposition administrative réduit en outre à treize le nombre de municipalités mais chacune entend maintenir ses droits d’usage sur cette forêt. La tension s’accroît alors entre les autorités et les municipalités. En mars 1826, après plus de trente ans de difficultés, et dans l’intérêt de l’ordre public, le préfet du département propose de reconnaître aux communes des droits d’usage sur cette forêt, en les encadrant plus que par le passé. Néanmoins, les Domaines ne renoncent à pas la propriété du fonds et montrent leur réticence à reconnaître une propriété exercée sur le même élément par deux entités revendiquant deux légitimités différentes (Leber et Puibusque, 1838, p. 742). Les communes refusent le compromis et entament un procès contre l’État. Ce dernier se clôt en 1831 par la reconnaissance d’une copropriété communale sur le foncier en lui-même et par celle des droits d’usage sur 496 hectares de bois et de pâturages. La reconnaissance de l’ensemble en un syndicat apaise les revendications33.
36Sur le fond, la propriété simultanée n’est que tolérée. Les droits de chaque partie sont momentanément clarifiés mais dans la réalité, les Domaines veulent maîtriser entièrement les territoires qu’ils revendiquent et contrôler l’activité reconnue aux communes, laissant bien vivant le germe des conflits. En outre, la situation de ces syndicats est fragile et toujours favorable à l’État. En effet, le Code civil de 1804 a entériné le principe selon lequel une indivision se rompt à la demande d’une partie. Ainsi, ce qui vaut pour les particuliers devient également valable pour les propriétés intercommunales. Qu’une municipalité demande à jouir de sa part en toute autonomie, et l’indivision peut être brisée. Elle bénéficie alors de la quotité qui lui revient de droit, comme l’exemple de Bennecourt en a témoigné précédemment pour un pâturage34, et peut disposer de son bien dans les formes légales, décider de l’affermer, de le vendre, en totalité ou en lots, ou de le partager. Dans le cas d’une copropriété forestière, l’État, par l’administration des Domaines, encadre et dirige l’exploitation des massifs. Si une municipalité se retire d’une indivision forestière, elle demeure sous la tutelle publique pour la part qui lui revient. L’État préserve ainsi ses droits sur les ressources forestières d’une manière habile et légale. Cette situation illustre comment une tension légale s’insinue dans le pays depuis les réformes de la Constituante : les normes qui soutiennent la plénitude de la propriété se heurtent à celles qui fondent d’anciennes pratiques. La jurisprudence permet d’entériner la manière dont elles s’articulent, quand l’une ne parvient pas à éradiquer définitivement l’autre.
37En la matière, la Corse mérite une attention particulière car la délimitation des communes et le cadastre y sont réalisés beaucoup plus tardivement qu’ailleurs du fait de deux problèmes majeurs, qui perdurent tardivement au xixe siècle :
- Les conflits entre communautés au sujet des limites de leurs territoires.
- Les conflits avec les autorités, sur la nature des biens qui relèvent du domaine de l’État.
38Au moment où la France acquiert la Corse, les communautés forment des unités appelées les pièves, qui à l’origine étaient attachées à un même centre religieux. En 1789, la Corse comptabilisait 69 pièves civiles regroupant 344 communautés, érigées en municipalités. En 1790, la Révolution en crée une 345e. Les Corses attachent une grande importance à la propriété commune. Le mouvement s’inscrit dans un processus historique qui diverge plus nettement à partir du xive siècle entre le nord et le sud de l’île, de part et d’autre d’une ligne de crêtes dont les sommets dépassent les 2 600 mètres d’altitude. Néanmoins, un principe enraciné dans le chapitre 39 des Statuts civils et criminels de la Corse (1571) veut que tous les terrains sur lesquels personne ne peut prouver un droit de propriété restent communs, fait reconnu par la monarchie dès 176935. Déjà à cette époque, l’administration royale inventorie les biens relevant de la République de Gênes pour les attacher au domaine de la Couronne, par le bais de la levée du terrier dont il a déjà été question avec Henry de Richeprey. Dès lors, des tensions avec les communautés insulaires surgissent.
39Elles perdurent au xixe siècle et renforcent celles qui naissent au moment de la délimitation des circonscriptions communales – lorsqu’elles n’y sont pas d’avance liées. Aux heurts entre communautés, s’ajoute ainsi l’opposition avec les représentants des gouvernements successifs. Au cœur des discordes se trouvent notamment les forêts. La Corse dispose en effet de hautes futaies, dont le bois est considéré d’excellente qualité pour la marine36. C’est pourquoi les Domaines souhaiteraient en acquérir la propriété et l’exploitation, avec le projet d’y d’interdire le pâturage qui détruit les pousses des futurs arbres. Toutefois, les autorités dans l’île ont fort à faire car l’élevage occupe une place centrale dans les équilibres économiques et sociaux. De plus, l’éloignement géographique avec Paris complique la situation, car les ministères tiennent à suivre de près les questions sensibles en la matière.
40Or, jusqu'en 1844, si un préfet à Ajaccio sollicite le conseil d’un bureau parisien, il doit attendre au mieux une vingtaine de jours avant d’obtenir une réponse, dans le cas d’une affaire très urgente. Encore faut-il que les trois conditions suivantes se conjuguent :
- Que le transport se déroule sans encombre, sans tempête sur la mer par exemple, pour couvrir les 1 086 kilomètres de distance, dont une partie maritime, nécessitant au bas mot huit jours pour l’aller et le retour.
- Que la question, urgente localement, soit jugée prioritaire au ministère, et pas noyée parmi le reste de la correspondance.
- Que le problème ne plonge pas dans l’embarras les autorités, auquel cas une procédure s’ouvrirait pour obtenir l’avis éclairé de conseillers d’État.
41Le délai de vingt jours pour ce seul périple n’est envisageable qu’à titre exceptionnel. En effet, une fois la réponse rédigée par Paris, et revenue en préfecture à Ajaccio, il faut la traduire pour la rendre exécutoire, et en communiquer les modalités aux autorités locales concernées. Plusieurs jours encore sont donc encore nécessaires, surtout si le trajet jusque vers les relais du préfet, puis vers les municipalités, se déroule sur des chemins escarpés, ardus, étroits, parfois bloqués par les éboulis, les torrents, et la neige durant l’hiver37. Comprenons clairement que le plus souvent le préfet de Corse doit décider de lui-même, au risque de sévères remontrances parisiennes, dans le cas par exemple où son action soulèverait une nouvelle tension locale, ou si la réponse apportée ne va pas dans le sens de ce que Paris a imaginé.
42L’enchevêtrement des droits sur les terres est la source des problèmes que doit affronter le pouvoir. En Corse, île montagne baignée par la Méditerranée, les activités agricoles et pastorales reposent sur les déplacements saisonniers des hommes et des troupeaux38. Les zones basses, les plages près des littoraux et les bas de vallée, sont fréquentées à la mauvaise saison alors que les zones d’altitude, moyenne et haute montagne, sont parcourues durant les beaux jours. Les espaces se complètent, y compris entre versants de vallée exposés au sud et ceux exposés au nord. De nombreux villages situés entre 300 et 1 000 mètres d’altitude disposent de vastes terrains leur offrant des ressources variées. Les communautés se structurent souvent en plusieurs localités, ou quartiers, rattachés à un centre dans lequel se trouve l’église. S’ajoutent des constructions occupées par intermittence dans les contrées où des travailleurs sont présents temporairement. Une telle situation ralentit considérablement les travaux de délimitation des circonscriptions communales pourtant exigés par l’administration et le géomètre en chef du cadastre s’en plaint amèrement auprès du conseil général de Corse en 1861. Depuis 1843, seulement 377 000 hectares sur les 875 000 estimés dans l’île ont été cadastrés, soit 137 communes.
Les questions des limites affectent 17 cantons où il n’est pas possible d’entreprendre les travaux d’arpentage […]. Il est à craindre que dans un avenir rapproché, il ne reste plus de cantons dégagés de contestations, ce qui amènerait forcément une suspension regrettable dans le service cadastral (Conseil général de la Corse, 1861, p. 109).
43En 1861, le ministère de l’Intérieur ne s’est toujours pas prononcé sur 19 affaires de délimitation, pourtant entre ses mains depuis 1851, soit dix ans. Ces affaires concernent le statut de territoires enclavés, des litiges sur les communaux, ou l’érection de hameaux en municipalités. Bastelica (Corse) est au cœur d’un de ces problèmes qui prend la forme d’une véritable « guerre des confins » (Pomponi et Usciati, 2007)39. Ici, et depuis l’époque génoise, les habitants s’opposent à ceux de la côte, Ajaccio surtout, pour maîtriser des terres du littoral et de la basse vallée du fleuve Prunelli. Les autorités imaginent que l’érection du territoire disputé en municipalité permettra d’éteindre les revendications de Bastelica. Le projet s’appuie sur le hameau de Bastelicaccia, d’abord temporairement occupé par des travailleurs venus de Bastelica. Bien que difficile, l’érection du hameau en municipalité est actée en 1863 par le conseil général, qui se range à l’avis du préfet. Cette nouvelle entité se dote de sections foncières arrachées à Bastelica, à Eccica-Suarella, à Tavera et à Tolla. Son assise foncière est fixée à environ 1 800 hectares. Il faut donc remanier les territoires des municipalités voisines, car les activités pastorales des communautés d’altitude sont perturbées. Une loi du 14 juin 1865 fait ainsi naître Bastelicaccia, mais la tension avec les villages évincés de leurs domaines se réactive durant de longues années.
44La défense des droits de chaque communauté sur un espace conjoint est fréquemment le cœur des questions les plus complexes à résoudre. En effet, certaines localités jouissent de droits sur des contrées situées parfois loin de leur territoire respectif. Elles en jouissent à titre purement communautaire, sans que ces droits ne fassent l’objet d’une attribution par foyer. Il en va ainsi de certains villages du Cap Corse, du Nebbio et de Balagne sur la région des Agriates, sans peuplement permanent dans le nord-ouest de l’île. Là, des villages viennent traditionnellement cultiver des terres pour obtenir des ressources absentes de leur domaine propre ou insuffisamment présentes. Dans le Nebbio, la délimitation des deux communes de Pieve et de Rapale se heurte au sort de 1 200 hectares de forêt en copropriété, qui les séparent. Deux autres communautés, Santo-Pietro-di-Tenda et San-Gavino-di-Tenda, ont des droits sur ces mêmes communaux forestiers et se refusent à les abandonner. Les oppositions s’éternisent sur le terrain entre 1845 et 1870, date d’un compromis avec l’administration des Domaines, qui revendiquent également ce vaste massif. Enfin, dans le golfe de Galéria, sur la côte occidentale, cinq villages du Niolo, dans la montagne, se partagent le pâturage de plusieurs milliers d’hectares en partie constitués de forêts. Les bergers y viennent l’hiver et y affrontent souvent les bergers locaux, ceux de Calenzana notamment (Ravis-Giordani, 2004, p. 80). Chaque localité tient à ce que sa possession soit respectée. Toutes ces situations impliquent une propriété simultanée que l’État veut éradiquer, dans le meilleur des cas.
45Dans le Sud, un dossier très sensible concernant l’érection de la commune de Coti-Chiavari – territoire qui constitue une copropriété intercommunautaire –, donne la mesure des difficultés qui se succèdent. Sa revendication par l’autorité publique remonte au rattachement de la Corse à la France. La monarchie avait alors estimé que cet ensemble anciennement rattaché au domaine de la République de Gênes, devait entrer dans le domaine de la Couronne. Après les troubles révolutionnaires, les Domaines continuent de mener leur politique en défaveur des communautés qui, en retour, défendent leur emprise. Vers 1850, l’administration envisage d’y établir un pénitencier sous la forme d’une colonie agricole, mais les terres et les forêts concernées doivent être soustraites aux communautés qui les revendiquent. Le meilleur moyen d’y parvenir paraît tenir à l’érection en municipalité de ce territoire, entité qui sera créée par le décret du 18 mai 1852. Le 1er septembre 1856, un autre décret lui attache des sections relevant des communes de Frasseto, Campo, Quasquara et Zecavo. Devant l’hostilité des communes démembrées, les représentants de l’État répondent que les villages ne sont qu’usagers de terres jadis concédées par Gênes.
46Les arguments échangés à l’occasion de ce conflit mobilisent toute l’histoire de la région. En effet, les communautés dépossédées exhibent un accord conclu en 1593 entre les Génois, les habitants des villages côtiers et ceux des villages des hauteurs du golfe d’Ajaccio et du Valinco. Les fréquentes incursions des pirates, et l’incapacité de Gênes à sécuriser les lieux, ont poussé les habitants du littoral à se réfugier dans les villages de l’intérieur, tels que ceux vivant sur le territoire de Coti. Ces derniers ont néanmoins conservé leurs propriétés et leurs droits sur le littoral. Par le compromis de 1593, toutes les localités de la région s’engagèrent à entretenir à leurs frais six tours du guet sur le littoral pour se protéger de la barbaresque. En contrepartie, Gênes accorda le droit exclusif d’exploiter les terres et les pâturages du même littoral, entre la pointe de l’Isolella et celle de la Castagna, dans le vaste golfe d’Ajaccio.
47Des liens familiaux très étroits furent tissés entre les familles originaires de la côte et celles de l’intérieur, et de nouveaux lignages les unirent. L’habitude fut prise de considérer les terres du littoral comme relevant des villages où la population s’était fixée. De fait, en 1750, toutes les communautés concernées conclurent un accord interdisant à leurs foyers d’enclore les terrains sur la côte mais autorisant à y construire des maisons et à y planter vignes et arbres. Cependant, une fois la Corse devenue française, la monarchie accorda plusieurs concessions à des particuliers sur ces terrains, ce qui suscita certaines contestations. En effet, ces nouvelles propriétés heurtaient la copropriété en vigueur et avantageaient certains au mépris des règles coutumières. Deux décrets de 1791 les révoquèrent, mais au lieu de restituer les terres aux villages, la Constituante décréta que les dépendances de Coti et de Chiavari appartiendraient désormais au domaine national. Dès que la situation le permit, les municipalités protestèrent en justice. Seulement, l’État eut gain de cause, ce qui accentua le nombre de plaintes. Ainsi, l’établissement de la municipalité de Coti-Chiavari en 1852 est vécu comme une atteinte aux droits des communes préexistantes, et alimente de nouvelles tensions (Colonna d’Istria et Gaffori, 1859, p. 451 sqq.).
48S’il n’est pas nécessaire de multiplier les exemples, le cas qui précède démontre que la création d’une municipalité est le moyen employé par l’administration pour imposer une reconfiguration spatiale et abattre les prétentions communautaires. Dans le golfe de Galéria (Corse), la commune du même nom est créée en 1864 à la suite du transfert d’une large part des communaux relevant de Calenzana et dans le but de réduire l’influence des villages du Niolo sur cette zone. Le Cadastre peut ainsi définir une limite communale puis, à l’intérieur, établir le relevé des terres qui s’y déploient. Mais la fixation des limites communales doit être sans équivoque, car l’opération qui s’engage suppose en arrière-plan un remaniement des droits sur les terres. La rationalisation de l’espace administratif et fiscal influe par conséquent sur les activités et le rapport ancestral que des populations entretiennent avec leur territoire.
49En effet, la commune est un territoire-berceau, composé de liens nombreux entre natifs. C’est également un territoire-tombeau où les défunts engagent les vivants à ne rien brader de leurs droits, surtout lorsqu’une tombe familiale est située dans un lieu risquant d’échapper à l’emprise de la communauté à laquelle appartient une lignée. C’est enfin un territoire-mémoire où les coutumes et les traditions légitiment l’action. Des actes vieux de plusieurs siècles sont ainsi parfois invoqués pour résister à l’action des géomètres et de l’État. De même, l’adjectif « immémorial » revient souvent sous la plume des maires. Les biens fonciers sont la vision concrète d’une identité, d’un enracinement et de droits vivants ramenés par les autorités à une marqueterie de propriétés, privées et publiques afin de former une circonscription. Les populations rurales y voient la source de leur groupe, l’image de leur passé, le support de leur vie. La commune est cette « petite patrie » dont parleront à l’envi les autorités de la Troisième République.
50Bien souvent, le cadastre ne peut être dressé qu’à condition de garantir aux communes la jouissance de leurs droits, indépendamment de la définition des circonscriptions. La promesse devient souvent formelle, car chaque municipalité est dotée de pouvoirs réglementaires qui l’autorisent progressivement à avantager les foyers qui la constituent. Par ailleurs, le statut de section de commune assure à un hameau la jouissance exclusive des biens auxquels il est associé par l’histoire. Après 1837, des modes intercommunaux de gestion peuvent être mis en place, comme les syndicats de vallée dans les Hautes-Pyrénées. Toutefois, les autorités ne cachent pas leur désir de voir s’effacer ces usages qu’elles tolèrent, à défaut de pouvoir les proscrire, tant reste forte la perspective d’un soulèvement des populations qui se sentiraient lésées en cas d’interdiction pure et simple de leurs droits immémoriaux.
La question impérieuse des chemins
51Une fois la délimitation des circonscriptions communales réalisée, l’établissement du cadastre fiscal s’engage à l’intérieur de ces entités. L’instruction de l’an XI sur la levée des plans commande aux géomètres de commencer par lever ceux « de l’espace dont le périmètre est formé par les chemins, rues, rivières, ruisseaux, canaux, et autres lignes de démarcation dépendantes de l’autorité publique »40. Les chemins dont le sol relève de la propriété d’une autorité publique sont considérés comme l’armature d’un territoire. Toutefois les chemins traversant des propriétés privées pour desservir des contrées agricoles ou forestières ne doivent pas retenir la même attention des géomètres s’ils dépendent de propriétaires privés. En effet, l’important n’est pas l’existence matérielle d’un chemin ou d’un sentier, mais bien le statut du sol qui le supporte. Si le sol relève d’un particulier, le chemin doit figurer dans sa totalité au compte de son propriétaire. Ainsi, que des propriétaires tolèrent collectivement un linéaire utile aux déplacements dans une contrée agricole ne peut relever que d’une convention privée, mais cela soulève plusieurs questions.
52Dès les premiers moments de la Révolution, les chemins publics sont passés sous la tutelle des autorités. Leur emprise territoriale n’est pas imposable puisque la liberté des déplacements implique qu’aucun péage n’y soit établi. Ils ne génèrent donc aucune ressource en propre. En outre, leur tracé retire des terres à l’espace productif. Le 11 juillet 1797 (25 messidor an V), un arrêté stipule que « la destination des chemins vicinaux ne peut être que de faciliter l’exploitation des terres ou les communications de commune à commune ; que toutes les fois que ce double objet est rempli, l’ouverture de nouveaux chemins n’est plus qu’une usurpation sur l’agriculture ». Par conséquent, les ouvrages publics destinés aux infrastructures s’opposent à la protection du potentiel agricole et forestier du pays. Le 28 février 1805, une loi ordonne aux administrations de reconnaître les limites des chemins et de veiller à ce qu’ils mesurent six mètres de largeur. Elle conseille d’identifier les chemins absolument utiles aux localités et ceux pouvant être rendus à la culture afin de préserver les terres cultivables. Cependant, la nécessité de circuler oblige à faire réapparaître des chemins que les particuliers auraient réduits en y étendant leurs cultures. Les municipalités veillent à baliser ces chemins, avec l’appui d’arpenteurs qui plantent des bornes pour marquer fermement ces tracés. À Moutiers-Saint-Jean (Côte-d’Or), l’état des surfaces à reconquérir est arrêté le 13 décembre 1820 par un arpenteur, le maire et des indicateurs désignés par le conseil municipal. Près de 30 hectares de terrains ont été intégrés à des propriétés privées depuis la Révolution, dont la moitié aux dépens des chemins et l’autre aux dépens des biens communaux. Les foyers concernés sont donc contraints de restituer ce qu’ils ont pris et de payer une redevance à la municipalité pour prix de la jouissance passée41.
53Dans le but de préserver les axes de communication et de dynamiser le commerce, la loi du 28 juillet 1824 organise l’entretien des chemins par le recours aux prestations. Ainsi, chaque homme âgé d’au moins 20 ans doit fournir deux jours de travail ou son équivalent en argent. Au besoin, les municipalités peuvent assurer les frais que les prestations ne couvrent pas, mais par mesure d’économie, beaucoup renoncent à créer des chemins et les déplacements se font sur des tracés nés d’une entente entre voisins ou associés à des servitudes. Ces chemins ordinairement nommés par référence à la localité ou à la contrée agricole qu’ils desservent, sont perçus comme des chemins de « quartier », ou des chemins « voisinaux », engageant uniquement les voisins entre eux. Ils deviennent parfois des « chemins de service », « de servitude » ou « de souffrance », lorsqu’ils n’existent que par l’obligation de laisser un passage aux exploitants. Dans le Var, ce type de sentiers desservant un fonds enclavé est nommé « viol ». Leur largeur est fixée par la coutume à 5 pans, soit 1,25 mètre, la largeur nécessaire au passage d’un individu et d’une bête de somme. Ici, l’entretien en est à la charge du bénéficiaire (Usages et règlements locaux, 1886, p. 78). Toutefois, à mesure que les exploitants veulent jouir de leurs biens en toute liberté, ces chemins deviennent l’objet de tensions. Le 21 mai 1836, à l’issue d’un long débat, le ministre Adolphe Thiers (1797-1877) fait adopter une loi portant la prestation des propriétaires et des exploitants âgés entre 18 et 60 ans, à trois jours de travail ou à son équivalent en argent. Cette loi encourage la création de chemins vicinaux entre les communes, sous la responsabilité du préfet et selon les règles de l’expropriation d’utilité publique.
54L’essor des voies de communication est alors considérable en France. En effet, après ceux liés aux canaux, les projets de chemins de fer se multiplient. Là encore, et conformément aux mesures d’expropriation pour cause d’utilité publique, l’État intervient (loi du 11 juin 1842)42 pour rassembler les terres utiles à l’installation des équipements. Par la suite, les départements et les communes rembourseront en théorie l’État jusqu’à concurrence des deux tiers des sommes engagées. Les compagnies privées bénéficieront, quant à elles, de la concession de l’exploitation. L’article 7 de cette loi stipule qu’« à l’expiration du bail, la valeur de la voie de fer et du matériel sera remboursée, à dire d’experts, à la compagnie par celle qui lui succédera, ou par l’État », lequel conserve la possibilité, légalement, de reprendre en main ces terrains et les équipements installés. En réalité, l’État apporte surtout son concours légal à l’expropriation mais l’essentiel des investissements revient aux compagnies concessionnaires (Théret, 1995). L’ensemble de ces travaux modifie profondément la configuration des contrées agricoles traversées par les linéaires : les contrées sont coupées en deux et l’écoulement des eaux dans les terrains modifié. L’attention portée au maintien des surfaces cultivées s’affaiblit ainsi au profit des infrastructures. En s’appuyant sur les cadastres, – là où ils sont disponibles –, les autorités disposent d’informations précises pour concevoir les projets et pour engager les procédures d’expropriation. Les plans levés par les géomètres dans chaque municipalité deviennent alors des outils d’administration au-delà de leur utilité fiscale. Néanmoins, dans les communes où les cadastres n’ont pas été levés, le travail préparatoire à l’établissement de nouveaux axes s’avère plus long puisqu’il faut recenser les propriétaires et les exploitants concernés par la future installation et procéder aux relevés topographiques.
55Par ailleurs, des procédures administratives permettant de classer les chemins sont définies. Ainsi, les grandes routes, qui relient Paris aux grandes villes, sont financées par l’administration centrale et les axes d’intérêt régional et local financés par les départements et les communes. Trente années sont nécessaires pour configurer ce cadre légal, c’est-à-dire pour classer les chaussées selon leur intérêt dans la vie économique. Toute reconnaissance d’un chemin vicinal requiert la création d’une obligation financière à inscrire aux dépenses des administrations concernées. A contrario, tout déclassement d’un chemin vicinal implique de supprimer la dépense d’entretien correspondante. Cette situation n’encourage pas les municipalités à ouvrir des chemins publics, même si ces derniers permettent d’améliorer la desserte des diverses propriétés communales. Les servitudes de passage jouent alors un grand rôle au cœur des espaces communaux. Reconnues par le Code civil, elles sont liées au fonds qui les porte et l’usager qui en bénéficie ne peut en être privé tant que le besoin existe.
56Sur le terrain, les géomètres du Cadastre relèvent les linéaires des chemins et des routes qui forment les éléments fixes du paysage. Ne sont reconnus que les chemins dont le terrain appartient aux communes, aux départements ou à l’État. Les autres axes, établis sur des terrains privés, n’apparaissent souvent pas sur les plans du cadastre ; seules les parcelles juxtaposées les unes aux autres y sont tracées. Dans certains cas, les municipalités protestent contre cette manière de procéder comme à Aigremont (Yvelines) où un conflit éclate en 1829 entre la municipalité et un propriétaire qui ne réside pas dans le village. Ce dernier s’oppose au passage sur une de ses terres revendiquant une lettre d’un ancien maire d’Aigremont, notaire à Paris. Le chemin en question ne serait qu’une tolérance accordée à la commune par le propriétaire. La municipalité rétorque néanmoins que le chemin détient un caractère immémorial comme peut en témoigner la forme d’un tronc de châtaignier centenaire dont le pied est façonné par les passages des roues des charrettes. Selon elle, le géomètre est fautif de ne pas avoir relevé ce chemin sur l’atlas communal, peut-être, ajoute le maire, pour s’éviter d’avoir à rémunérer un indicateur local à ce sujet. Devant cette omission, la municipalité reconnaît sa négligence, certaine de son bon droit. Si le tracé à travers les friches et les terres est connu par tous les foyers, la levée précise des éléments constituant le territoire communal ne signifie pas que les habitants y soient réellement associés. Enfin, la municipalité regrette de ne pas avoir consigné cet itinéraire dans la liste des chemins communaux. Mais cet oubli ne signifie en rien sa volonté d’abandonner le passage discuté43. En 1836, le préfet demande qu’une nouvelle liste des chemins communaux soit dressée. Le maire d’Aigremont « propose de profiter de cette circonstance » pour ajouter aux chemins déjà connus de l’administration « les omissions qui avaient eu lieu lors de la rédaction » du premier état, en février 1827. Il décide d’y inclure « chemins et sentes » ouverts aux habitants dans les différentes contrées44. La crise se règle ainsi en faveur de la municipalité.
57En 1839, un problème similaire surgit à l’autre bout de la France, dans la municipalité des Angles (Hautes-Pyrénées). À cette date, la municipalité s’insurge contre un jugement rendu à Lourdes au sujet d’un terrain qu’elle revendique comme étant un chemin communal45 et qui a disparu du plan cadastral où ne figurent plus que des parcelles cultivées. Le tribunal, quant à lui, juge qu’il s’agit d’un « chemin de service » et qu’à ce titre, le fonds en appartient aux propriétaires riverains. Or, selon le maire, ce chemin a « tous les caractères et la destination d’un chemin public communal ». Les preuves en sont données par le conseil municipal :
[Le chemin] avait la largeur de deux brayées [mesure locale] ; il était séparé de la propriété Labayle [le propriétaire mis en cause] par une haie, et de la propriété Laffont [un second propriétaire] par une rangée de saules. Il partait du chemin du village et se continuait jusqu’à la route de Lourdes. Il était pratiqué par tous les habitants des Angles qui se rendaient au marché de Lourdes. Et il existait encore, et il était ainsi pratiqué, il y a 15 ou 20 ans. Seulement, et depuis que Labayle s’en est emparé en face de sa propriété, les autres propriétaires confrontants [riverains] l’ont fait disparaître à son exemple.
58Les marqueurs du chemin sont non seulement paysagers (linéaire végétal, traces du passage habituel, largeur ouverte), mais également mémoriaux et techniques, comme l’illustre sa liaison avec d’autres axes. La municipalité redoute qu’un tel jugement ne pousse d’autres propriétaires à inclure d’autres chemins dans leurs terres. Sans doute pour s’éviter des charges, et parce qu’un consensus existe sur ces voies, la municipalité des Angles n’avait pas classé tous les chemins communaux existants, mais cette stratégie lui a valu d’être déboutée par le tribunal de Lourdes.
59Les conflits sur la nature des chemins sont délicats à trancher par la seule consultation du cadastre, qui n’a aucune valeur légale quant à la propriété des terres, comme peut en témoigner la commune de Croix (Territoire de Belfort, à proximité de la Suisse) à l’occasion d’un long procès terminé en 1842. L’un de ses chemins d’exploitation, celui dit « des Murats », soulève la colère de deux exploitants contre un propriétaire qui a creusé un fossé pour empêcher les passages sur son bien. Les deux exploitants saisissent la justice en s’appuyant sur le caractère immémorial de ce chemin. Le propriétaire attaqué se défend en soutenant que les protestataires ne sont pas riverains du chemin mais qu’ils en usent pour traverser une partie du territoire communal. Un premier jugement est rendu le 5 février 1840 : le propriétaire attaqué est débouté au titre de la servitude de passage. Il fait appel, mais le 14 décembre suivant, le tribunal rend un jugement qui mécontente toutes les parties, chacune faisant de nouveau appel.
60Le juge reconnaît en faveur du propriétaire que les passages ne sont permis que lorsque le champ n’est ni ensemencé, ni emplanté, ni mis en valeur, au titre du droit de propriété. Il ordonne cependant contre lui de combler les entraves à la circulation. En faveur des demandeurs, le juge admet qu’ils disposent d’une servitude de passage mais, contre eux, refuse de consigner dans le jugement que ce passage est possible en toutes circonstances. Les demandeurs estiment que le caractère immémorial du passage impose de concevoir le chemin comme indépendant de la propriété traversée, donc accessible en tout temps. Le 22 janvier 1842, la cour d’appel de Colmar tranche en faveur des demandeurs et estime que la largeur du chemin, sa configuration, son ancienneté et son intérêt prouvent que cet axe « a été établi du consentement réciproque des propriétaires dans la localité et dans l’intérêt d’une exploitation étendue à leurs propriétés à portée du chemin, et non restreint uniquement à celles que ce chemin borde ou traverse » (Arrêts et décisions de la cour royale de Colmar, 1842, p. 132). En outre, l’arrêt précise que ce type de chemin a toujours été compris « comme l’exécution d’une convention tacite faite entre les habitants d’un même territoire pour la desserte de leurs héritages ; qu’ils en jouissent dès lors non à titre de servitude, mais à titre de copropriétaires ». Par conséquent, tous les exploitants présents sur un même espace communal peuvent l’emprunter.
61À l’appui de l’arrêt, la cour d’appel ajoute que le chemin en question est « indiqué dans le plan cadastral de la commune de Croix » réalisé en 1824 et qu’il est libre d’accès pour « la culture et le défruitement [le retrait des récoltes] ». Le chemin contesté y figure effectivement sous la forme d’un linéaire en pointillé. Les juges mentionnent par ailleurs le plan cadastral comme une présomption supplémentaire de la réalité ancienne du chemin. Ils estiment que chaque propriétaire de la commune en admet l’existence, et en particulier ceux des parcelles sur lesquelles il est dessiné. En réalité, le géomètre auteur du plan a cru bon d’indiquer par des tirets la présence d’un passage mais le terrain qui le supporte est bel et bien la propriété des riverains – tel est le sens graphique des pointillés. Il est possible que le géomètre n’ait pas consulté les propriétaires au moment de cadastrer la zone. Rien ne l’obligeait à faire figurer le passage sur le plan. En agissant ainsi, il a donné une indication qui se retourne donc contre les propriétaires des parcelles dix-huit ans après la confection du plan ! De son travail est reconnue l’existence d’un passage coutumier qui acquiert la valeur d’un chemin public même si son fondement foncier résulte, initialement, d’une simple tolérance de la part de propriétaires privés.
62Ce type de litige est très fréquent. La justice les tranche car les autorités administratives sont réticentes à clarifier la situation des chemins au sein des contrées agricoles, pouvant porter atteinte, parfois, au droit des propriétaires. Lors de la discussion des crédits supplémentaires à allouer au ministère des Travaux publics, les 24-31 mai 1842, les chemins d’exploitation sont évoqués (Duvergier, 1842, p. 109-116) pour déterminer ce que doit devenir une route que l’administration considère comme inutile. La procédure de déclassement mise en œuvre consiste à rayer des listes du domaine public le tracé en question. Dès lors, administrativement, que devient-il ? Faut-il considérer que le linéaire demeure un chemin d’exploitation au service des propriétés riveraines ? Faut-il considérer que les riverains peuvent inclure le terrain déclassé à leur patrimoine ? Dans ce cas, ils auraient le droit de cultiver la partie dont ils seraient bénéficiaires. La réflexion s’engage pour décider si l’administration, sous la conduite du préfet, ne devrait pas d’abord examiner les autres possibilités d’accès aux propriétés desservies par l’ancienne route, ce qui permettrait de céder les terrains aux propriétaires riverains. Dans le cas contraire, certains estiment que le préfet devrait classer le tracé dans la catégorie des chemins d’exploitation par un arrêté.
63La Chambre des pairs s’y oppose. D’une part, les chemins d’exploitation n’existent que par l’addition de terrains mis en commun par les propriétaires concernés – ce qui justifie l’idée d’une communauté d’intérêt à titre privé. D’autre part, puisqu’il s’agit d’une gestion privée de l’espace, le préfet ne peut en aucun cas fixer le mode de jouissance de ce type de terrain. En effet, la jurisprudence du Conseil d’État avait avancé l’incompétence des préfets pour trancher des litiges liés à l’exploitation des propriétés privées dans une décision du 22 février 1813. Une autre décision du 24 février 1825 avait rappelé que seuls les tribunaux civils pouvaient trancher les questions liées au droit de passage (Le Rat de Magnitot et Huard-Delamarre, 1841, p. 205). Au nom des principes protecteurs de la propriété, les pairs rappellent par ailleurs que l’autorité publique ne doit pas dicter aux propriétaires les conventions qu’ils peuvent conclure entre eux, y compris lorsqu’il s’agit de maintenir un chemin utile. Là réside toute la problématique des chemins d’exploitation, très importants pour l’activité agricole mais délaissés par les autorités. Une autre posture aurait conduit à prévoir suffisamment de financements publics pour assurer l’entretien de centaines de milliers de kilomètres de voiries. Or, l’effort financier de 1842 se concentre avant tout sur les chemins de fer, les chemins vicinaux et les chemins de grande communication.
64De fait, les demandes visant à améliorer la desserte des contrées agricoles seront repoussées durant la majeure partie du siècle. Le 29 avril 1845, la Chambre des députés rejette l’idée que lui soumettent des propriétaires de l’arrondissement de Carpentras (Vaucluse) visant à ouvrir des chemins d’exploitation pour désenclaver leurs parcelles. Face à une minorité d’opposants, des pétitionnaires imaginent qu’une loi pourrait autoriser la majorité à imposer son point de vue. Selon eux, le morcellement des terres et la croissance de la population nécessitent l’attention des législateurs. Néanmoins, repoussant l’idée d’autoriser des associations pour créer et entretenir des chemins privés d’exploitation, les députés rappellent combien la voirie mobilise déjà les bras des travailleurs et de grosses sommes à cet effet. Le sous-secrétaire d’État à l’Intérieur, Antoine Passy (1792-1873), suit leur avis et refuse de créer un nouvel impôt sachant que les dépenses annuelles pour les chemins vicinaux atteignent bon an mal an 53 millions de francs supportés pour l’essentiel par les communes (Jourdan, 1845, p. 293-296)46. Cinq critères justifient cette inaction :
- Ne pas transformer des terres agricoles en chemins.
- Respecter le droit de propriété privée.
- Ne pas dépenser dans les expropriations.
- Ne pas accroître la charge fiscale des municipalités.
- Ne pas reconnaître une autonomie de gestion aux associations syndicales, ce qui consterne ceux qui voudraient jouir pleinement de leur bien, en toute indépendance.
65Dans les années 1840, tous les conseils généraux de France se plaignent des difficultés nées de l’absence, ou du très mauvais état, des chemins d’exploitation. Beaucoup de propriétaires font de même. En Lorraine, territoire au parcellaire très morcelée, les agronomes militent pour l’établissement de chemins d’exploitation « sans lesquels la liberté de culture n’est qu’un vain mot » (Guérard, 1841, p. 389). « Un sol cultivable ne peut être mis en valeur, s’il n’est parcouru par des chemins d’exploitation bien praticables et bien situés », déclare un membre du comice agricole de l’arrondissement de Toul en 1847 (Denis, 1848, p. 67). Dans les Vosges, en 1846, le conseil général ajourne le vœu du conseil d’arrondissement de Neufchâteau qui veut « que des chemins d’exploitation fussent établis par conventions amiables ou par mesure forcée, dans les campagnes, pour l’utilité de l’agriculture ». Il s’en remet à l’initiative privée par crainte d’exacerber des tensions liées à l’expropriation forcée des propriétaires aux dépens desquels les chemins seraient établis (Conseil général des Vosges, 1846, p. 133).
66Ainsi, là où le parcellaire est le plus morcelé et où les exploitants sont les plus dépendants les uns des autres pour circuler, la question des voies de communication demeure problématique. À Quincy-le-Vicomte (Côte-d’Or), d’après le cadastre terminé en 1833, une section constituée de près de 358 hectares de labours n’est desservie que par six kilomètres de chemins, soit un kilomètre pour environ 60 hectares, sachant que 1 589 parcelles constituent l’ensemble47. Les terres qui ne débouchent pas sur un chemin sont accessibles grâce aux servitudes. Par ailleurs, pour préserver les espaces, des sentiers et des chemins courent sur les rebords des terres, là où les labours de chacun se rencontrent. Les limites entre voisins deviennent ainsi des sillons de passage. De même, les lisières des bois, les bords des haies, des ruisseaux, des rivières abritent des sentiers. En outre, le sol est frayé par les déplacements habituels, donnant le sentiment qu’il s’agit de véritables voies ouvertes au public. La plupart des chemins d’exploitation sont donc établis sur des portions appropriées. D’ordinaire, l’herbe les recouvre les transformant parfois en zones de pâturage pour les animaux des communes, ce qui provoque à la fois de nombreuses critiques et de nombreux dégâts sur les terres riveraines.
67La question des chemins se pose avec une particulière acuité dans les régions qui se livrent à la transhumance, c’est-à-dire au déplacement de grands troupeaux depuis les plaines vers les pâturages d’altitude. En Provence, ces chemins de transhumance, les drayes, mènent au pâturage dans une commune, ou aux carraires, ou carreirades, chemins des estives. Ils longent la plupart du temps des terrains incultes et des pâturages mais peuvent également traverser des contrées utiles aux cultures. Les relargs sont, quant à eux, des lieux coutumiers établis pour la halte des troupeaux lors de leurs longs trajets et mesurent généralement 50 à 60 mètres de diamètre (Villeneuve-Bargemon, 1829, p. 534). Dans le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes, des centaines de milliers d’ovins, répartis en milliers de troupeaux, sont déplacés chaque année pour regagner les Alpes dans les premières décennies du xixe siècle. La montée s’effectue en mai et la descente a lieu entre fin octobre et début novembre, selon la précocité de l’hiver. Les bergers sont dirigés par un responsable : le bayle. Des marques temporaires, implantées par les communautés traversées, matérialisent les chemins afin de garantir la sécurité des récoltes. Par ailleurs, les conducteurs des troupeaux s’emploient à éviter le paiement de redevances pour nourrir et abreuver les animaux le long du parcours. Or, les difficultés s’accumulent avec la croissance des troupeaux et la mise en culture d’un nombre toujours plus grand de terrains jusque-là associés aux carraires et aux relargs. En effet, depuis la Révolution et la suppression de l’ordre seigneurial, longtemps garant de l’équilibre juridique local, le partage des communaux et la mise en culture d’un plus grand nombre de terres réduisent l’étendue des terrains traditionnellement liés à la transhumance. La croissance démographique pèse également sur les terres vaines et vagues, supports coutumiers des carraires. La question des chemins de transhumance apparaît donc comme problématique au début du xixe siècle.
68En septembre 1802, le préfet des Bouches-du-Rhône, Charles Delacroix de Constant (1741-1805)48, prépare un arrêté pour en finir avec les dégâts causés par les troupeaux le long des carraires49. Un ancien administrateur du département, bon connaisseur du problème, en donne une analyse détaillée cette même année à la demande du ministère de l’Intérieur (Michel, 1802)50. Selon lui, un règlement sévère paraît indispensable pour prévenir et punir les atteintes que les ovins portent aux récoltes au cours des déplacements (ibid., p. 144). En effet, les bayles, responsables des colonnes, avertissent les riverains à l’approche des animaux pour qu’ils protègent leurs biens. En fin de cortège, ils règlent les litiges éventuels et dédommagent sur-le-champ, les personnes lésées. Or, le nombre de litiges augmente fortement – à moins que ce ne soit la tolérance des communes traversées qui régresse. Les bayles en paient les frais et distribuent de plus en plus souvent des « cadeaux » pour étouffer les oppositions à leur passage (ibid., p. 186). De plus, ces difficultés sont accentuées par l’effet du décret sur les biens et usages ruraux de 1791, qui rend coupable de contravention celui qui laisse pacager sur des terres communes les animaux en mouvement. Le détail est d’importance car les communaux sont les lieux que les coutumes destinent en priorité aux relargs. Cependant, une stricte application des mesures décrétées en 1791 interdirait la transhumance, activité fondée sur d’anciens statuts. Or, la préfecture préfère transiger et trouver un compromis puisqu’il n’est manifestement pas possible, dans les faits, d’interdire la transhumance. L’administration doit donc décider des règles à retenir pour organiser le quotidien : la loi ou les usages ? Quel compromis trouver ?
69Des propriétaires et des exploitants des municipalités de Peyrolles, d’Aix et de Vitrolles ont sollicité le préfet contre des délits de pâturage51. Leur action s’inscrit dans la continuité des querelles existant entre éleveurs et exploitants des terres52. L’ancien parlement d’Aix, supprimé à la Révolution, avait tranché un de ces conflits par un arrêt du 21 juillet 1783 que les autorités intégrèrent dans les usages locaux du département. Ce texte reconnaît la transhumance mais il réduit la largeur des chemins suivis et défend aux conducteurs de nourrir leurs animaux sur les terres communes, comme l’officialise par ailleurs le décret sur les biens et usages ruraux de 1791 pour la France entière. Enfin, dans son article 9, il défend à « tous consuls, officiers de justice, gardes terres, soit des seigneurs, soit des communautés, et à tous autres de rien exiger des conducteurs des troupeaux » (Michel, 1802, p. 195-196) dans le but de proscrire la pratique des cadeaux et des pots-de-vin. En somme, les gardiens locaux des récoltes ont l’obligation de laisser passer les troupeaux en aidant les bergers à protéger les biens.
70Pour répondre à ces difficultés, le préfet Delacroix prépare un arrêté et le présente au ministère de l’Intérieur pour approbation. Il considère que :
d’après les statuts de la ci-devant Provence, le propriétaire qui avait souffert le dommage était autorisé à attaquer le propriétaire du troupeau de la bergerie la plus prochaine, lorsqu’il n’avait pas trouvé le bétail sur le fait ; que cette mesure conservatrice du droit de propriété avait été reconnue indispensable, qu’elle avait été établie par un règlement du 13 mai 1381 et maintenue par divers règlements subséquents ; que quoique la loi du 28 septembre 179153 relative à la police rurale eût changé les formes qui s’observaient en Provence dans cette partie de l’administration publique, elle ne les avait pas néanmoins abrogées.
71L’article unique qui le constitue prévoit que « le propriétaire qui a souffert le dommage peut, lorsqu’il n’aura pas trouvé le bétail sur le fait, attaquer devant l’autorité compétente le propriétaire du troupeau de la bergerie la plus prochaine, sauf à celui-ci son recours contre ceux qu’il prouvera en être les auteurs »54. La chaîne des responsabilités est posée : le berger est d’emblée accusé sauf s’il met en cause un autre coupable !
72L’administration a le devoir de protéger les propriétés, ce qui constitue « une des bases principales de l’ordre social ». « Dans l’espèce, cette garantie repose essentiellement sur l’exécution d’une mesure qui, de temps immémorial, a été reconnue indispensable pour assurer le droit de propriété »55. L’arrêté encadrant l’activité est publié le 1er avril 1806 et signé par le successeur de Delacroix, ce dernier étant décédé. Il stipule que les déplacements doivent suivre des chemins dont la largeur oscille entre 5 et 20 mètres, mais la réglementation n’est guère aisée à mettre en place, car au fil des années, beaucoup de propriétaires s’emparent des terrains dédiés aux carraires pour les cultiver. Les bayles s’en plaignent alors devant les juridictions et un arrêt du 13 novembre 1849 de la Cour de cassation rappelle l’obligation de laisser circuler les troupeaux. Par ailleurs, cet arrêt précise que le préfet fixe la direction et la largeur des carraires sans pouvoir en créer, car cela reviendrait à établir une servitude aux dépens d’un particulier. Enfin, seule la justice civile peut se prononcer sur les demandes en indemnités émises par les propriétaires dont le terrain est saccagé, et sur les plaintes des bayles concernant les entraves à leurs déplacements. En outre, à mesure que le réseau des chemins vicinaux se développe, les bergers y conduisent leurs troupeaux, ce qui inquiète l’administration des Ponts et Chaussées, car des milliers d’animaux dégradent les chaussées, aux structures souvent fragiles. Or, depuis 1789, la loi garantit la libre circulation sur les chemins publics. Les bergers déclarent d’ailleurs préférer ces chemins aux carraires qui suscitent trop de conflits. Ainsi, progressivement les déplacements des troupeaux sont canalisés sur la voirie publique et l’ancienne trame des chemins passe sous le contrôle d’exploitants qui les mettent en culture. Mais désormais la tension se porte sur les dégradations des chemins publics du fait du passage des troupeaux. En effet, les municipalités traversées dénoncent le fait de devoir entretenir des chemins sur leurs deniers propres alors qu’une part de la dépense devrait être couverte par les bénéficiaires de la transhumance.
73Dans toutes les régions concernées par de longs déplacements de troupeaux, des problèmes semblables s’accumulent. Les détenteurs des biens ruraux doivent accepter les passages selon des modalités spécifiques et dans un temps donné. Dans les Pyrénées, les éleveurs du Labourd, de la Navarre et du pays de Soule, formant le Pays basque, alternent le pâturage des brebis entre les montagnes en été et les landes de Gascogne, du Bazadais et du Bordelais en hiver. Les communes louent à cette fin des herbages et parfois des étables. Les éleveurs des vallées du Béarn agissent de même entre les montagnes et les plaines de Gascogne. Dans les Pyrénées centrales, les pratiques de l’élevage ont fixé des itinéraires coutumiers pour les troupeaux conduits dans les montagnes. À l’autre extrémité des Pyrénées, de l’Ariège au Roussillon, des pratiques similaires sont en œuvre. Ainsi, un trajet coutumier connu sous le nom de Cami ramadé, ou « chemins des troupeaux », relie le Capcir à la Cerdagne et permet aux animaux de passer d’une région de pâturage à l’autre au printemps et à l’automne. Dans l’Ariège, les routes de la transhumance, qui s’organisent autour d’un axe principal entre Foix et Ax-les-Thermes, conduisent jusqu’en Andorre. De vieux accords conclus entre les communautés des deux versants des Pyrénées, les lies et passeries, réglementent les trajets.
74Des chemins coutumiers de transhumance, les drailles, existent également entre les rebords méridionaux du Massif Central, les Cévennes, et les basses terres du Languedoc et de la Provence. La Grande Draille est une artère majeure qui part d’Anduze (Gard) et rejoint les plateaux de la Lozère, le Gévaudan, la Margeride et l’Aubrac. D’autres partent du nord de l’Hérault et conduisent au-delà du mont Aigoual vers les mêmes pâtures. Les moutons qui partent dans les zones d’altitude pour y passer l’été cheminent à travers les landes, les sous-bois et les pâtures. Ils sont parfois canalisés par des haies et des murets, mais souvent les drailles ne sont que des espaces ouverts au passage et connus pour être périodiquement empruntés par les animaux. Beaucoup de drailles très anciennes deviennent la base de la nouvelle vicinalité au cours du xixe siècle. Jusque-là, les bergers et les populations évitaient de fréquenter les rares chemins publics pour ne pas les dégrader davantage. Il fallait surtout arriver assez vite à l’estive et s’éviter les ennuis en traversant les lieux peuplés et bien cultivés. Les trajets suivis étaient donc les plus rectilignes et situés sur les hauteurs, les crêtes, les lignes de partage des eaux, chaque fois que possible.
75Beaucoup d’autres régions connaissent de semblables mouvements d’animaux entre des zones complémentaires, basses et d’altitude. La Corse en a déjà donné l’exemple. Si les moutons sont les principaux bénéficiaires de ces chemins, les bovins sont également concernés. Dans le massif du Cantal, les vaches laitières passent quatre à cinq mois dans des pâturages entre 900 et 1 300 mètres d’altitude avant d’être reconduites dans les vallées durant la mauvaise saison. Le Jura et les Vosges connaissent également des mouvements de troupeaux. De ce panorama rapide et non exhaustif, retenons l’importance pour les conducteurs de troupeaux de disposer de droits à circuler et de places de repos pour les bêtes et les hommes qui les surveillent. Certains propriétaires acceptent d’ouvrir un bien à la halte des animaux, car les déjections laissées par des centaines de moutons représentent un apport intéressant pour fumer les terres. Mais aux côtés de ceux qui y voient un intérêt, beaucoup d’autres redoutent les dégâts dans les propriétés et dénoncent les entraves apportées à la libre disposition de leurs biens.
76De fait, durant des décennies, la question des chemins demeure un point sensible pour beaucoup d’exploitants, partout en France et pour des raisons diverses. La mauvaise desserte des parcelles enclavées et l’obligation de laisser passer des animaux, parfois en très grand nombre, limitent la capacité des exploitants à agir comme ils l’entendent, et à tout moment, sur leurs terres. Toutefois, si on considère que les chemins d’exploitation relèvent de la seule décision des propriétaires qui y sont intéressés et si on garde à l’esprit l’idée de contenir au plus bas les dépenses liées aux travaux des routes, les autorités ne se donnent pas les moyens de débloquer la situation, véritable paradoxe dans une France qui entend soutenir l’essor de la production agricole en privilégiant l’individualisme agraire. Sociétés d’agriculture, notables rassemblés dans des comices agricoles et agronomes ne parviennent guère à faire plier l’État en la matière. En somme, la desserte des espaces agricoles est un sujet problématique. La liberté du propriétaire privé trouve, de fait, une limite très concrète à son exercice avec la question des déplacements utiles au travail.
La levée des plans parcellaires : reconnaissance ou remodelage de l’espace ?
77L’examen du parcellaire rural prouve d’une autre manière comment les structures foncières représentent très souvent un frein à l’application intégrale du droit du propriétaire privé. Les habitants des campagnes perçoivent leur espace à travers des ensembles aux caractères homogènes. Ils en parlent à l’aide de termes génériques, variables selon les localités et les régions. Le terme « contrée » est habituel dans la France du Nord, en particulier dans les régions au paysage très ouvert, sans haie. Le mot indique que l’observateur peut saisir du regard la masse des terres qui en constituent l’unité56. Dès lors que le regard est arrêté ou que la nature des lieux change, une autre contrée s’individualise. Le terme « canton », quant à lui, indique une portion de l’espace clairement délimitée par son étendue et ses ressources. Dans le Limousin, les habitants parlent du contou comme d’un territoire distinct du reste d’un finage (Béronie et Vialle, 1823, p. 40). Le mot « canton » est encore utilisé pour désigner les différentes parties des forêts, de manière presque semblable au mot « triage », habituel dans le vocabulaire de l’administration.
78Le « quartier », plus fréquent dans la France du Midi que dans celle du Nord, renvoie à la situation des terres selon les points cardinaux par rapport au chef-lieu de la commune. Le mot recouvre l’idée d’une contrée. Tel est le cas dans les villages du Toulousain et des Pyrénées qui appréhendent leur espace à travers une multitude de « quartiers » (Sacaze, 1887)57. Réfléchissant en 1831 à la surveillance du territoire, le conseil municipal d’Ancizan (Hautes-Pyrénées) expose que la variété des terrains et la présence des montagnes compliquent le maintien d’une bonne police. « La difficulté de veiller sur les quatre points cardinaux est réelle » et nécessite de disposer de quatre gardes champêtres et non de trois58. Par ailleurs, le « climat » indique une conception du lieu par rapport à son exposition, à la course du soleil. Le mot est bien attesté au xve siècle dans la zone viticole de Beaune à Dijon (Côte-d’Or). Ainsi, la contrée se définit du regard, le canton par une masse d’exploitation homogène, le quartier depuis le cœur de la commune, le climat par l’exposition dominante. Toutes ces manières d’apprécier l’espace local donnent naissance aux lieux-dits.
79Les premiers travaux du cadastre ne reposent pas sur cette diversité d’appréciation de l’espace mais bien sur une approche par « section » et « masse de culture ». Les géomètres appréhendent ainsi l’espace communal de manière uniforme à travers l’ensemble du pays. À partir de 1807, les « sections » sont conservées mais les « masses de culture » sont remplacées par des « parcelles ». Le mot « section » indique une césure de l’espace fiscal et diverge des manières habituelles d’identifier les ensembles territoriaux constitutifs des communes. De même, la « masse de culture » est une approche par la production, la récolte, tandis que la parcelle renvoie d’abord au sol, à la terre, donc davantage au fonds sur lequel le paysage s’enracine et le travail s’exerce. La parcelle est plus significative au propriétaire qu’à l’exploitant, qui utilise ordinairement le nom d’une production pour la désigner : un pré, une lande, un « blé », une « orge », un bois, etc.
80Chaque section reçoit une lettre et un nom et regroupe plusieurs lieux-dits. Il est recommandé par ailleurs de ne pas consigner tous les toponymes pour éviter de surcharger les plans. En 1838, le ministère des Finances expose qu’il « serait à désirer que l’étendue des lieux-dits, notamment dans les localités où la propriété est morcelée, ne dépassât pas vingt hectares ». Le mot « propriété » s’entend ici dans le sens d’unités foncières, de terres. L’emploi de ce terme par les autorités témoigne de la puissance sur les esprits de ce droit, qui absorbe à la fois l’idée théorique et le sol qui en est l’objet. Or, d’un point de vue strictement sémantique, le ministère des Finances désigne ici la dispersion des terres en unités foncières, les parcelles. Les conseils municipaux doivent donc réunir « deux ou plusieurs lieux-dits contigus qui auraient une trop petite étendue, en affectant à l’ensemble une dénomination commune »59. Les terres ayant un nom particulier pourront, sans impératif aucun, être répertoriées dans les états de section sous ce nom, même s’il n’est pas relevé sur le plan du cadastre.
81De leur côté, les particuliers perçoivent leur propriété d’après leur inclusion aux lieux-dits. La description d’une propriété immobilière telle que les lois civiles l’imaginent ne correspond donc pas au système du cadastre. En effet, dans ce document, les immeubles sont enregistrés sous une lettre, un numéro d’ordre, une appartenance à un lieu-dit, sur le territoire d’une commune. Dans les actes notariés, les biens doivent être désignés de manière à être facilement et longtemps identifiables sur le terrain, sans confusion possible. La pratique retient d’abord l’appartenance à une circonscription communale, éventuellement au territoire d’un hameau, et à un lieu-dit. Tout immeuble est considéré par rapport à ses tenants et ses aboutissants, comme le code de procédure civile l’exige. Les propriétaires voisins, la nature des terrains et les éléments remarquables du paysage, un chemin par exemple, sont indiqués en prenant soin de les référencer selon les points cardinaux. C’est ainsi que les habitants d’une commune se représentent l’environnement foncier dans lequel ils vivent.
82Longtemps, certains notaires se plaindront de ce qu’aucune loi n’oblige à mentionner dans les actes les numéros attribués aux parcelles dans les atlas cadastraux. Lors de l’enquête agricole de 1866 dans le Pas-de-Calais, un notaire d’Arras déclare que « les notaires ont toujours reconnu l’utilité d’inscrire les sections et numéros du plan cadastral dans leurs actes ; ils insistent constamment auprès de leurs clients pour arriver à cette énonciation ; mais ce renseignement est difficile à se procurer : les clients, soit incurie, soit négligence n’en comprennent pas l’importance malgré l’insistance et les explications fournies », cela obligeant à maintenir les anciennes localisations des biens fonciers (Ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, 1867, p. 341). En réalité, l’identité cadastrale d’une parcelle peine à entrer dans l’esprit des ruraux. En effet, ces derniers apprécient les terres non pas sous la forme de la parcelle fiscale, mais selon les repères coutumiers dont ils ont hérité, à savoir :
- leur apprentissage au sein de leur famille ;
- leur propre vécu de l’espace, où ils ont pris l’habitude de se déplacer et de travailler depuis leur enfance ;
- les conventions informelles qui permettent à une société locale de se comprendre, et qui concernent le territoire dont elle a principalement la maîtrise.
83Un autre aspect est d’ailleurs introduit avec le travail des géomètres qui consignent des lieux-dits d’après ce que l’oreille leur en fait comprendre, plus que d’après la réalité de ce que les populations désignent. De fait, de nombreux toponymes consignés sur les plans sont des déformations sémantiques, francisées, de noms qui ont parfois un sens différent de celui qui est officiellement retenu. Mieux, certaines désignations sont accolées à des contrées alors que leur réel enracinement se situe dans un autre lieu d’après les populations. Les plans du cadastre napoléonien et les archives locales donnent des milliers d’exemples de ces décalages, perçus comme sans importance par les autorités en charge de la fiscalité. Ils contribuent pourtant, dans un premier temps, à douter de la valeur du document officiel ainsi dressé.
84Enfin, la réalisation du cadastre ne parvient pas à éliminer la façon dont les populations perçoivent les mesures et les contenances des terres. Comme cela a été souligné précédemment, les mesures renvoient davantage pour les particuliers à des volumes et à un effort en travail ou en déplacement qu’à une surface géométrique ou une distance spatiale. Là encore, le Code civil de 1804 apporte une réponse à ces imprécisions au moment des transactions foncières. Ainsi, l’article 1 618 établit que la surface d’un immeuble objet d’une vente doit s’entendre avec une tolérance de 5 %, en plus ou en moins, entre la contenance réelle et la contenance déclarée. Fait remarquable, les mesures fournies par le cadastre, et censées être les plus précises possible puisqu’elles résultent d’hommes de l’art appliquant des principes trigonométriques, sont elles-mêmes assujetties à ce principe dès lors qu’elles figurent dans un acte notarié. De fait, une pièce de terre est vendue « comme elle se comporte », pour indiquer qu’elle est telle que l’acquéreur la connaît. Or, le cadastre parcellaire repose sur la mesure spatiale des surfaces, exprimée d’après la base métrique autour du centiare – un mètre carré –, de l’are – dix mètres carrés –, et de l’hectare – cent mètres carrés. Dès les premiers relevés, une question liée à l’exactitude des mesures et la prise en compte de l’effet des reliefs sur l’évaluation de la surface, est soulevée. En effet, un problème important se pose quant à la figuration à plat d’un espace en relief : malgré des mesures conformes sur le terrain, comment rendre compte sur un plan de surfaces juxtaposées dans le relief ? Indiquer une échelle cartographique n’élimine pas le fait que les mesures faites d’après le plan seront discordantes avec la réalité de la configuration, sauf à indiquer des repères spatiaux donnant corps aux mesures sur le terrain, quitte à interdire de figurer la réalité spatiale sur le plan. En somme, plusieurs manières de concevoir la terre coexistent, voire s’entrechoquent, au cours du xixe siècle : si les opérations cadastrales créent un savoir d’un point de vue fiscal et géométrique, le système de référencement des biens tel que la société le conçoit s’inscrit bel et bien dans un ancien ordre coutumier difficile à déraciner au profit d’une vision purement planimétrique.
85Cependant, la réalisation du cadastre affine la connaissance des terres du pays. Par une circulaire du 10 décembre 1807, le ministère des Finances fait savoir que la levée par des ensembles homogènes de culture, les masses de culture, est remplacée par une levée parcelle par parcelle. Le motif en est la difficulté à obtenir de tous les propriétaires la déclaration exacte des biens qu’ils possèdent dans l’étendue d’une contrée. Pour se faire, le ministère envisage une procédure très précise : le maire convoque les propriétaires, les exploitants ou les représentants qui connaissent les lieux dans la partie du territoire à cadastrer et demande à chacun de planter des piquets surmontés d’une fiche aux points angulaires du périmètre de ses propres parcelles. En cas de contestation sur une limite, les parties qui s’opposent sont invitées à trouver un compromis. Si aucun accord n'est trouvé, le géomètre relève les limites générales de l’ensemble litigieux et porte sur le plan le nombre de numéros correspondant au nombre de parcelles présentes. Après règlement du conflit en justice – car seule la justice civile peut trancher un conflit de propriété –, la limite entre les deux parcelles litigieuses sera reportée sur le plan.
86Néanmoins, tous les rapports des préfets et des géomètres démontrent que la méthode, séduisante, est impossible à appliquer. Certains particuliers se refusent à sacrifier plusieurs jours pour assister les géomètres, car beaucoup ne résident pas dans la commune ou sont retenus par d’autres tâches. D’autres s’y refusent tout simplement par crainte des retombées fiscales. « Chacun s’est imaginé que si le gouvernement pouvait parvenir à avoir une parfaite connaissance des produits de l’Empire, il en profiterait pour augmenter la masse de l’impôt », écrit en 1810 un inspecteur des Contributions directes du département de l’Aube (Mirbeck, 1810, p. 29). Par conséquent, à défaut de mobiliser les particuliers, les autorités obligent les géomètres à s’entourer d’indicateurs chargés de les renseigner pour leur permettre de réaliser le cadastre sans que les contribuables concernés n’y participent directement. Or d’un point de vue juridique, si le géomètre ne peut garantir d’avoir vraiment identifié les contours d’une propriété, l’inscription cadastrale ne peut constituer l’équivalent d’un titre de propriété.
87D’après l’instruction du cadastre du 20 avril 1808 (article 130) reprise dans le Recueil méthodique de 1811, une parcelle s’entend comme « une portion de terrain plus ou moins grande, située dans un même canton, triage ou lieu-dit, présentant une même nature de culture et appartenant à un même propriétaire » (Hennet, 1811, p. 50). Ainsi, si une masse de terres labourables appartient à dix propriétaires, dix parcelles seront individualisées sur le plan cadastral. Si la même masse est constituée de dix usages différents mais n’appartient qu’à une seule personne, il y a aura également dix parcelles. Si une haie, un fossé, un chemin public ou un cours d’eau, divise une terre en deux, deux parcelles doivent être différenciées. Si en revanche la division provient du passage d’un chemin d’exploitation, d’un simple ruisseau d’écoulement ou d’une rigole, c’est-à-dire si elle provient de la présence d’un élément qui ne relève pas du domaine de l’État, alors il ne peut exister qu’une parcelle, sauf si le géomètre estime que l’élément est de nature à faire apparaître plusieurs entités remarquables. Enfin, si une parcelle est occupée par une culture dominante et par quelques éléments d’une autre culture, alors elle est définie par rapport à la source principale du revenu qu’elle produit. En somme, la parcelle s’individualise par son homogénéité d’usage, sa production principale, son appropriation. Il s’agit de la plus petite unité foncière reconnue par les pouvoirs publics. La parcelle est également l’élément clé de l’organisation du crédit via le système des hypothèques, dont l’importance dans les transactions a été précédemment exposée.
88Inventorier les parcelles obéit partout à un processus identique. Après avoir défini les cantons à cadastrer en accord avec le conseil général du département, le préfet avertit les maires du déroulé des opérations. Une fois les communes délimitées, le géomètre engage un relevé trigonométrique du territoire communal pour trianguler l’espace. Cela nécessite de fixer des signaux bien visibles à l’aplomb de points remarquables, ce qui peut prendre fréquemment jusqu’à une année. Par ailleurs, cette opération peut s’avérer techniquement difficile dans les régions où la végétation et le relief se conjuguent, ce qui complique les mesures, comme en témoigne le géomètre en chef de la Creuse auprès du directeur des Contributions directes en 1837 dans le canton d’Évaux60. Les travaux d’implantation des signaux ont commencé en mars 1836 dans les neuf communes concernées, couvrant une surface d’environ 20 600 hectares. Mais, le terrain est vallonné et les collines couvertes de bois formant « des rideaux impénétrables aux rayons trigonométriques. Il a donc fallu tailler et retailler » à travers la végétation pour que la levée des repères topographiques soit précise.
89Le géomètre en chef des services explique par ailleurs que 389 signaux ont été implantés pour servir d’appui aux mesures et ont permis de relever 625 points remarquables. De là, un premier croquis, servant de base au plan, a été dessiné faisant apparaître environ 1 500 triangles au sein desquels il a été possible de reporter la localisation des parcelles – travail qui se poursuit en 1838. Néanmoins, il est fréquent que les signaux disparaissent. En 1829, dans le canton de Boussac (Creuse), le géomètre en chef rapporte que « plusieurs signaux ont été abattus et emportés, que même les tas de pierres faits aux pieds des signaux pour en reconnaître la place ont été souvent dispersés, que dans quelques endroits, les cultivateurs gênés pour le labourage les ont changés de place »61. La malveillance est moins en cause que l’ignorance dans ces actes, mais cela allonge les travaux préparatoires à la levée du plan parcellaire.
90La triangulation de l’espace précède l’identification des parcelles, puis leur inscription sur le plan et sur les états de section. Quand tous les calculs trigonométriques sont achevés sur le terrain, un vérificateur contrôle le travail et reprend les mesures principales. Pour cela, il examine un échantillon de parcelles pour déterminer si les contenances indiquées sur les documents correspondent à celles du terrain. Son action entraîne soit la validation des travaux, soit leur reprise – partielle, plus rarement totale –, soit enfin des ajustements, comme la réunion de deux parcelles en une seule, ou la redéfinition de la nature du terrain. Des bulletins sont ensuite rédigés et communiqués à chaque propriétaire pour qu’il vérifie les parcelles qui lui sont attribuées. Une fois le contrôle terminé, les réclamations éventuelles peuvent être examinées.
91Arrêtons-nous un instant sur la manière dont les parcelles sont appréhendées par les services du Cadastre. Une pièce de terre formant une unité paysagère peut être transformée en plusieurs parcelles si le géomètre le décide ou sur la recommandation d’un particulier. En effet, une unité foncière se compose ordinairement d’éléments paysagers différents. Des labours, des dépôts liés à l’épierrement du terrain, une zone de friche, ou encore une oliveraie, une vigne, un jardin, un verger, peuvent ainsi coexister. Puisque ces éléments sont inégalement productifs, le terrain qui les porte sera fiscalisé différemment. De là, le choix de distinguer autant de parcelles que de natures principales de terre. Les propriétaires font des démarches en ce sens auprès des géomètres pour défendre leurs intérêts de contribuables et les géomètres se laissent parfois convaincre, car leur rémunération dépend en partie du nombre de parcelles qu’ils ont à relever – les instructions de décembre 1807 imposant de prévoir une rétribution d’un minimum de 25 centimes pour chaque parcelle cadastrée62.
92En 1827, le contrôleur principal des Contributions directes de la Creuse adresse un rapport circonstancié au directeur des services du cadastre pour souligner les incohérences souvent présentes dans la levée du parcellaire. Partant du cas de la commune de La Souterraine, il soumet des remarques plus générales à l’appréciation de son supérieur et fait supprimer du plan cadastral « une notable quantité de parcelles abusives »63. Il a « vu dans le même héritage [pièce de terre] des accidents de terrain insignifiants former parcelles », tandis que des terres séparées par des haies ou des chemins publics mais appartenant à un même contribuable ont été mentionnées sous un seul numéro. Il en déduit par conséquent que les géomètres « ne sont pas encore bien fixés sur la définition de la parcelle ». Par ailleurs, dans le cas de La Souterraine, le contrôleur principal note que les plans présentent « des parcelles tellement imperceptibles qu’il n’est permis ni de les distinguer parfaitement, ni de déchiffrer le numéro sous lequel elles sont désignées ».
93Son témoignage reflète à quel point l’identification d’une parcelle se construit. Trois dimensions se conjuguent pour lui donner corps :
- Les éléments du paysage qui la singularise.
- Le respect de la déclaration du propriétaire, quand il se manifeste.
- Les impératifs techniques qui guident les choix du géomètre.
94Sur ce dernier point, les géomètres obtiennent des résultats différents dans la levée du parcellaire suivant la méthode qu’ils emploient. Ceux qui procèdent à vue, utilisent des méthodes trigonométriques pour calculer les distances entre les signaux qu’ils ont disposés sur le terrain alors que ceux qui utilisent les chaînes d’arpenteur, relèvent les longueurs effectives des périmètres des parcelles sur le terrain. La parcelle telle qu’elle est reportée sur le plan et dans les documents du cadastre ne correspond presque jamais, pour ainsi dire, à la réalité des lieux, surtout en considérant la difficulté initiale à représenter à plat un relief sans déformer les surfaces. Enfin, les instructions autorisent les géomètres à choisir entre trois échelles pour dessiner les plans, selon l’apparence du morcellement parcellaire de l’espace. Deux d’entre elles, au 1/1 250e et au 1/2 500e, facilitent la levée d’un nombre assez important de parcelles et la figuration du détail des structures de l’espace. Le problème réside notamment dans le surcoût d’un tel choix pour les services qui financent ce type d’opération plus longue et nécessitant plus de papier et d’encre.
95Devant l’inflation du nombre de parcelles décrites par les géomètres, une première circulaire du 24 juillet 1817 déclare que « tout géomètre qui serait reconnu avoir abusivement augmenté les parcelles serait rayé des cadres ». L’interruption des travaux du cadastre au début de la Restauration empêche cette dynamique de s’enraciner mais le problème réapparaît avec la reprise des opérations. Malgré les recommandations ministérielles du 17 février 1824 enjoignant aux géomètres de ne pas multiplier les détails des terrains sur les plans, beaucoup continuent à distinguer un nombre de parcelles plus élevé que celui estimé par les Contributions directes au moment de la préparation du budget des travaux. Le tableau suivant donne un aperçu éloquent de quelques localités de Côte-d’Or dont le cadastre est décidé en 1826 et terminé sur le terrain en 182864.
Figure 1. Parcelles imaginées, parcelles dénombrées dans quelques villages de Côte-d’Or en 1826-1828
Communes | Estimations des bureaux des Contributions directes quant à l’espace imposable | Résultats des opérations du cadastre quant à l’espace imposable | Écart entre l’estimation et la réalité en % | |||
Surface en hectares | Nombre de parcelles | Surface en hectares | Nombre réel des parcelles | Surface | Nombre de parcelles | |
Côte viticole | ||||||
Marey | 350 | 1400 | 389,97 | 2 020 | + 11,4 | + 44,3 |
Meuilley | 500 | 4 000 | 594,30 | 7 003 | + 18,9 | + 75,0 |
Nuits | 1 000 | 6 000 | 1 356,14 | 7 987 | + 35,6 | + 33,1 |
Vosne-Romanée | 300 | 2 100 | 351,37 | 2 950 | + 17,1 | + 40,4 |
Vougeot | 80 | 200 | 84,95 | 276 | + 6,1 | + 38,0 |
Communes de la région d’Is-sur-Tille, essentiellement en labours et en forêts | ||||||
Lux | 2 300 | 4 000 | 2 267,12 | 9 091 | - 1,4 | + 127,3 |
Pichanges | 1 000 | 3 000 | 988,10 | 7 050 | - 1,2 | + 135,0 |
Spoy | 1 100 | 3 500 | 1 174 | 5 649 | + 6,7 | + 61,4 |
Thil-Châtel | 2 600 | 10 000 | 2 539 | 12 307 | - 2,3 | + 23,1 |
96Les bureaux de Côte-d’Or s’étonnent des résultats définitifs du parcellaire. Si les terres viticoles sont par avance connues pour leur extrême division, les zones de labours réservent, quant à elles, de grandes surprises. L’émiettement du parcellaire est amplifié par les géomètres qui distinguent les terrains d’après la qualité de leur sol et qui singularisent les paysages plus que les limites effectives des terres. Par crainte de voir le système des héritages diviser excessivement les patrimoines fonciers familiaux, un membre du conseil général de l’Indre, lui-même propriétaire, constate en 1847 que deux facteurs principaux expliquent l’immense morcellement des terres. Le premier, à ses yeux, est que « les géomètres du cadastre ont été payés à la parcelle. Il était de leur intérêt de les multiplier ». Le second est la règle qui consiste à individualiser les différentes natures de culture et la qualité des sols au sein même d’une unique pièce de terre : « Je parle [écrit-il] avec un plan cadastral bien fait sous les yeux. […] Une ferme de 50 hectares, d’un seul tenant, cadastrée en 1834, traversée par un seul chemin, forme dix-huit parcelles » (Briaune, 1847, p. 563). Les propriétaires se rendent bien compte du caractère parfois artificiel de la parcelle, dont la structure ne recoupe pas leur propre vision des territoires agricoles. La question dite des « divisions abusives » n’est donc toujours pas réglée.
97La dernière circulaire du ministère des Finances portant sur cet objet date du 30 mars 1832 et rappelle les géomètres à leur responsabilité. En effet, multiplier les parcelles a pour effet d’accroître la durée des travaux du cadastre et les dépenses afférentes. De plus, cela complique l’intelligence des plans, multiplie les travaux d’écriture, brouille l’esprit des contribuables, et alourdit les tâches administratives impliquant les références parcellaires telles que le calcul des contributions, les hypothèques ou encore les mutations – ventes et successions. Le phénomène se lit à l’envi dans les états de section qui récapitulent les parcelles dans l’ordre où elles sont numérotées. Partout apparaissent des numéros voisins relevant d’un même contribuable, formant sur le terrain un même bien, et produisant des récoltes semblables. Le ministère des Finances réfute d’ailleurs les arguments présentés par les directeurs des Contributions directes pour justifier ces très nombreuses divisions et rappelle que seuls les experts classificateurs, intervenant après les géomètres, peuvent définir la valeur productive moyenne des biens et pondérer les revenus d’une terre en prenant en compte les paramètres qui la caractérisent. Par ailleurs, le ministère recommande que « les petites portions de terre habituellement désignées comme pâtures, friches, saussaies, aulnaies, bois, etc., qui dépendent d’une pièce en labour, pré ou toute autre culture, ne doivent point former des parcelles séparées, lorsque la contenance de chacune de ces portions n’est pas supérieure à deux ares ». De même, faut-il associer aux parcelles qui les jouxtent les mares, réservoirs, fontaines, fondrières, murgets – petits murets linéaires constitués de l’épierrement de terrains –, dépôts de pierres, rochers, broussailles, haies, bordures plantées d’arbres ou de vignes, ou toutes autres bandes étroites enherbées. Enfin, identifier les parcelles suivant leur nature de culture suppose que ces dernières soient stables dans la durée alors qu’il est légalement possible de modifier l’affectation productive des terres.
98Malgré ces injonctions ministérielles, beaucoup de cadastres terminés après 1832 recensent des parcelles identifiées selon des approches paysagères, d’une part parce que la rareté des bornes interdit un repérage immédiat des unités à cadastrer, et d’autre part parce que le pouvoir n’a aucun moyen d’imposer le bornage de manière générale – ce qui serait d’ailleurs très coûteux. En outre, l’État refuse de faire arpenter les terres sur la présentation de titres de propriété, puisque la plupart des propriétaires n’en disposent pas au sortir de la Révolution. Les acquéreurs des biens nationaux ne possèdent, au mieux, que des actes d’achat réalisés sans garantie de contenance aucune. Tous ces éléments viennent renforcer l’idée que le cadastre ne peut être un livre foncier récapitulant légalement les propriétés présentes sur un territoire communal, mais uniquement une représentation fiscale de l’espace, disjointe de la structure foncière telle qu’elle est connue, vécue et pensée par les populations. Reste que l’un des débats les plus houleux pendant plus d’un siècle – jusqu’au cœur des années 1960 –, tient à l’idée du handicap que représente la trop grande division du parcellaire sur la modernisation agricole. Ce phénomène a très certainement été amplifié par la façon dont les géomètres ont distingué les unités fiscales élémentaires formant les parcelles. N’oublions pas qu’un exploitant agricole a la faculté de cultiver comme bon lui semble ses parcelles. Si plusieurs sont contiguës, la petite taille de chacune ne l’empêche pas, s’il le souhaite, de les rassembler en un seul bloc. Le fait que les analyses des experts mettent pourtant en œuvre un commentaire sur le parcellaire pour en déduire un obstacle à la modernisation suffit à prouver combien, avec le temps, la parcelle a acquis une valeur très supérieure à ce qu’elle représente pour les ruraux. De leurs côtés, ces derniers ne se posaient pas cette question au moment de la levée du cadastre tant ils avaient le sentiment du caractère artificiel de la parcelle, tenant au seul rôle fiscal.
99Une fois les parcelles définies, la valeur productive des différents biens fonciers est discutée. Le but est de répartir dans des « classes » homogènes les parcelles présentant la même nature de culture. Les meilleures terres d’un lieu rejoignent ainsi la première classe et les moins bonnes, la cinquième : les chènevières ne relèvent que d’une classe ; les terres vaines et vagues, les landes, les vignes, les vergers et les terrains plantés d’arbres sont ventilés en deux classes ; les prairies naturelles, les jardins et les bois taillis sont répartis en trois classes. Dans la mesure où le classement est relatif à une commune, il existe des différences notoires avec les terres classées en première catégorie à l’échelle d’un canton, d’un département et, a fortiori, à l’échelle nationale, loin des péréquations imaginées à l’origine du projet. Par ailleurs, les propriétaires de la commune participent à ce classement en lien avec les Contributions directes, qui veillent à ce que les propositions des experts-classificateurs collent au potentiel productif local réel.
100Dans le canton d’Ahun (Creuse), les experts de la municipalité de Vigeville rapportent que les labours de première classe se composent « d’une terre assez franche et assez végétale qui a environ dix pouces de profondeur et très souvent plus ». Leur revenu cadastral est évalué à 12,48 francs par hectare. La dernière classe, la quatrième, comprend des rochers, un peu de terre noire, « sans force végétative, que l’on ne cultive qu’après vingt ou vingt-cinq ans de repos et quelquefois plus, et qui rendent à peine l’indemnité des frais de culture », et leur revenu cadastral est évalué à 2,70 francs par hectare65. La commune voisine de Cressat, quant à elle, fixe le revenu cadastral de ses terres de première classe à 14,60 francs par hectare et descend jusqu’à 2,09 francs pour celles de quatrième classe. En quelques endroits, la meilleure terre « n’a pas moins de douze à quinze pouces de terre végétale, tandis que dans d’autres elle n’a que dix à douze pouces, mais elle n’en paraît pas moins végétale ». La dernière classe, « se compose des parties plus ou moins garnies de rochers, ou tellement inclinées que les pluies d’orages n’ayant laissé qu’un stérile gravier, elles sont à peu près abandonnées ; quelquefois après de longues années elles se garnissent de quelques brins d’herbe utiles seulement aux bêtes à laine [les moutons] »66.
101Les sols et les pratiques culturales diffèrent peu entre ces deux villages voisins. Toutefois, l’appréciation des valeurs fiscales varie pour des terrains semblables. Pour harmoniser l’ensemble, l’administration fiscale rassemble les maires au chef-lieu de canton afin de rendre plus équitable la répartition de la contribution foncière, qui se fait toujours par attribution d’un contingent cantonal, au sein d’un arrondissement, dans un département. Chaque municipalité reçoit ensuite la part qu’elle doit payer par rapport à ses capacités. Il faut donc que chacune soit considérée le plus justement possible par rapport à ses voisines, d’autant qu’un contribuable devrait également comprendre pourquoi des terres comparables sont fiscalisées différemment dans deux communes proches. Cette difficile harmonisation entre les municipalités génère une inégalité chez les contribuables non seulement à l’échelle d’un arrondissement, mais a fortiori, également à celle du pays.
102Les classements ainsi définis sont ensuite reportés sur les documents du cadastre pour former les états de section et la matrice. Les états de section récapitulent la liste exhaustive des parcelles et permettent de mesurer l’émiettement des propriétés. La liste des parcelles d’un contribuable figure dans les matrices communales, sous sa cote foncière. Les contribuables concernés sont aussi bien des particuliers, des établissements publics, des sociétés, une commune, un groupe de communes, que l’État. L’habitude se répand de considérer qu’une cote renvoie à un propriétaire, rapprochement abusif puisque d’un point de vue juridique le cadastre ne vaut que présomption de propriété. En effet, un particulier peut figurer sous une cote individuellement, ou en indivision, ou comme membre d’une société, ou comme usufruitier et peut ainsi apparaître sur plusieurs cotes distinctes. En outre, de nombreux propriétaires disposent de biens dans au moins deux communes. Par conséquent, le nombre de cotes ne correspond pas au nombre de propriétaires.
103Pourtant, l’opinion publique tend à confondre le propriétaire et le contribuable. À partir de la monarchie de Juillet jusqu’à la Troisième République, le nombre des cotes foncières devient l’enjeu des débats sur l’émiettement de la propriété privée et sur les difficultés que cela pose à l’agriculture française. Beaucoup d’auteurs invitent à la prudence sur le sens à donner à ces données, tout en les utilisant pour dénoncer la parcellisation excessive des territoires productifs. Le nombre de cotes foncières s’élève à 10 083 751 en 1815, 10 296 693 en 1826, et 10 893 528 en 1833. En 1851, le total monte à 12 549 954 et atteint 13 122 758 en 1854 (Ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, 1855, p. 4-7). Généralement, les estimations réalisées sur la base de sondages retiennent un ratio de 60 à 80 contribuables pour 100 cotes inscrites au cadastre. Dans l’Yonne, ce chiffre tombe à 45 pour 100 cotes. Cette augmentation du nombre des cotes est rapprochée de l’accroissement de la population en France, qui passe de 29,1 millions en 1815 à 34,3 millions en 1841. Toutefois, beaucoup d’auteurs insistent sur l’accroissement des constructions qui ont lieu à la suite de divisions d’anciennes parcelles. En outre, le cadastre est trop rarement mis à jour pour prendre la mesure du processus inverse à celui de la division : les regroupements de parcelles.
104En somme, le cadastre apparaît comme une entreprise considérable, qui tient davantage à une interprétation de l’espace fiscalisé qu’à un relevé strict de ce qu’il représente réellement dans sa structure foncière. Les résultats généraux sont donc sujets à caution. Réalisé dans un but fiscal, le cadastre contribue à fixer les circonscriptions communales. Par ailleurs, l’évolution du nombre de parcelles permet aux économistes de déduire la qualité des structures agricoles du pays. La parcelle est ainsi l’exemple parfait d’une construction intellectuelle, fiscale, topologique et géométrique et s’impose comme la référence des discours fonciers dans la deuxième moitié du xixe siècle, et au-delà. En outre, la création et l’enregistrement du parcellaire permettent de gérer les ressources financières nationales. Mais l’administration apprécie la fortune des Français à partir d’un potentiel productif dont l’inconvénient majeur est qu’il n’est guère actualisé avec l’évolution des techniques agricoles, la hausse de la production, les changements de productivité ou la mutation des productions. L’absence d’un bureau centralisé du cadastre empêche ainsi de le faire évoluer d’après une impulsion nationale. Les départements financent les travaux éventuellement nécessaires pour réviser ce document mais les municipalités en demeurent les responsables. Au fond, une telle situation laisse souvent les populations indifférentes, d’autant qu’elles ne s’intéressent que peu au cadastre pour appréhender leurs droits sur l’espace et préfèrent s’en remettre à leurs mémoires, aux usages et aux titres dont elles disposent quand leur possession est mise en cause.
Notes de bas de page
1 Le préfet Hervé Clérel de Tocqueville (1772-1856), père de l’écrivain Alexis de Tocqueville (1805-1859), époux de la petite-fille de Chrétien de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794), l’avocat de Louis XVI, est déplacé de Côte-d’Or à la fin de l’année 1816 pour la Moselle parce qu’il a déplu aux ultraroyalistes.
2 Voir les pages 73-74.
3 Le Recueil méthodique de 1811 récapitule cette structure (Hennet, 1811).
4 La qualité d’expert vient du vieux droit. Les lois civiles stipulent avant 1789 que « dans les contestations où il s’agit de la vérification d’une chose qui ne peut être parfaitement connue que de ceux qui sont habiles dans la pratique de quelque art, on ordonne un rapport d’experts sur les faits marqués par la sentence qui ordonne ce rapport. Chacune des parties doit nommer son expert. Si l’une d’elles refuse d’en nommer, le juge doit en nommer un d’office. Il doit aussi nommer d’office un tiers expert, quand les deux premiers ne s’accordent point » (Domat, 1777, p. 233).
5 C’est le cas par exemple du préfet de la Creuse qui informe en ce sens les maires du canton de La Courtine, le 23 avril 1829 (archives départementales de la Creuse [désormais AD 23], Guéret, 3 P 130).
6 Circulaire sur la délimitation des communes du 7 mars 1811 (Hennet, 1811, p. 35).
7 AD 65, Tarbes, 3 P 2 853.
8 Combiers, 1826-1828, archives départementales de Charente (désormais AD 16), Angoulême, 3 P. Toutes les références qui suivent proviennent du procès-verbal de délimitation.
9 Monographie communale de Pountous, 1887, p. 14, AD 65, Tarbes, T 385.
10 AD 65, Tarbes, 3 P 2 853.
11 Archives départementales du Doubs (désormais AD 25), Besançon, 3 P 1 936 à 3 P 1 965.
12 AD 23, Guéret, 3 P 19. Les éléments qui suivent proviennent du même dossier.
13 Un puy est une zone boisée ou non, située sur un relief et comprenant un flanc de colline et des bas-fonds humides. Ils sont ici associés à un toponyme qui les individualise dans l’espace.
14 AD 23, Guéret, 3 P 19.
15 Ibid. Le parcours est un pâturage toléré de commune en commune sur des terrains soumis à des droits indivis au bénéfice des habitants d’une localité alors que le pacage s’entend seulement dans l’intérieur d’une commune.
16 AD 23, Guéret, 3 P 130.
17 Délimitation de la municipalité de Beissat du 7 septembre 1829, AD 23, Guéret, 3 P 131. En marge est mentionnée la décision finale du 30 juin 1830.
18 AD23, Guéret, 3 P 141.
19 Voir sur ce statut la page 63.
20 Les données concernant les réunions de communes ont été calculées d’après Motte, Séguy et Théré (2003).
21 Dans les Pyrénées centrales et occidentales, le « gave » désigne un cours d’eau au régime torrentiel issu de la montagne.
22 AD 65, Tarbes, 3 P 1 795.
23 Ibid.
24 AD 65, Tarbes, 3 P 1 036.
25 AD 65, Tarbes, 3 P 4 304.
26 AD 65, Tarbes, 3 P 1 036.
27 Ibid.
28 AD 65, Tarbes, 3 P 4 304.
29 AD 65, Tarbes, 200 E-dépôt-1, f° 10 v°.
30 AD 65, Tarbes, 500 E-dépôt-1, f° 1er r°.
31 Ibid., f° 32 v° et f° 33 r°.
32 Bulletin de la Commission des antiquités de Seine-Maritime, 1900, p. 95.
33 Ce syndicat existe encore aujourd’hui, à l’instar d’ailleurs des syndicats de vallée de la chaîne des Pyrénées.
34 Voir les pages 89-91.
35 L’édition consultée est celle qui date de l’inclusion de la Corse au royaume de Louis XV (Serval, 1769, p. 107).
36 Les massifs les plus réputés sont Tartagine, Valduniellu, Aïtone, Vizzavone, Sant’Antone, le Fiumorbu, Bavella, l’Ospedale.
37 Jusqu’en 1854, avec le télégraphe, il faut expédier la lettre par un navire. Puis le courrier doit atteindre Paris depuis un port de Provence. Après 1856 et la mise en service du chemin de fer Marseille-Paris, le trajet prend moins de temps. Le bureau ministériel, qui reçoit le courrier parmi beaucoup d’autres, doit examiner la situation, proposer une réponse et la faire entériner par l’autorité. Le chemin du retour s’engage alors mais pour peu que la mer soit mauvaise, le navire peut être empêché de partir. Pour une affaire ordinaire le délai est donc souvent de plus d’un mois. Dans les années 1840, d’après l’Annuaire des postes, les 1 086 kilomètres entre Paris et Ajaccio nécessitent sept jours de transport, délai très idéalisé.
38 Pour une vue d’ensemble de l’évolution sociale et économique, voir Renucci (1975).
39 L’analyse est empruntée à ce travail.
40 Instruction du 10 ventôse an XI (1er mars 1803), AD 21, Dijon, 3 P 3 / b / 3.
41 AD 21, Dijon, E-dépôt 445 / 3.
42 Pour une approche d’ensemble de l’établissement des chemins de fer, consulter Caron (1997). Pour les procédures mises en œuvre, voir Numa (2009).
43 Délibérations du 2 août 1829 au 20 mars 1830, AD 78, Montigny-le-Bretonneux, 105 E-dépôt / 3, f° 13 à 15.
44 Délibération du 15 mai 1836, AD 78, Montigny-le-Bretonneux, 105 E-dépôt / 3, f° 37 v°.
45 Délibération du 9 mai 1839, AD 65, Tarbes, 11 E-dépôt-10, Registre des délibérations municipales, f° 4 à 6.
46 La reproduction de ce débat dans un recueil destiné aux maires de l’Isère prouve l’intérêt pour ces questions partout en France.
47 AD 21, Dijon, cadastre série P.
48 Charles de Lacroix de Constant (1741-1805) est le père du peintre Eugène Delacroix.
49 Extrait des registres de la préfecture des Bouches-du-Rhône, arrêté du 19 fructidor an X (8 septembre 1802) soumis pour approbation au ministère de l’Intérieur par courrier du 26 fructidor an X (13 septembre 1802), AN, Paris, F2-I-1206, Bouches-du-Rhône.
50 L’auteur a été administrateur de 1790 à 1792.
51 AN, Paris, F2-I-1206. Peyrolles-en-Provence, Aix-en-Provence et Vitrolles sont des communes voisines.
52 Sur ces questions, encore présentes dans les années 1960, voir Baticle (1974, p. 490 sqq.) et Repéraz (1969).
53 En fait un décret de l’Assemblée constituante.
54 Proposition d’arrêté du 19 fructidor an X (6 septembre 1802), AN, Paris, F2-I-1206.
55 Ibid.
56 Centre national de ressources textuelles et lexicales [En ligne], URL : https://www.cnrtl.fr/etymologie/contrée. Le mot viendrait du latin vulgaire contrata, « pays situé en face de celui qui regarde ».
57 L’enquête, œuvre des instituteurs communaux, couvre les départements des Landes, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Gers, Haute-Garonne, Ariège, Pyrénées-Orientales, Aude et une partie de l’Aveyron et du Tarn-et-Garonne. Les volumes donnent un aperçu complet, village après village, du patois, des toponymes, des manières de penser la structure spatiale des territoires communaux. Notons, pour chaque village, une carte localisant les lieux-dits, l’habitat, les chemins. C’est une source de premier plan pour la compréhension des territoires locaux dans les Pyrénées et le Midi toulousain.
58 Délibération du 31 janvier 1831, AD 65, Tarbes, 6 E-dépôt-11.
59 Circulaire du 27 avril 1838 intitulée « Numérotage des plans par lieux-dits ».
60 Travaux du cadastre du canton d’Évaux, lettre datée de Guéret, le 26 avril 1837, AD 23, Guéret, 3 P 158.
61 Lettre du directeur des Contributions directes au préfet du 9 avril 1829, AD 23, Guéret, 3 P 246.
62 Circulaire du ministre des Finances du 1er décembre 1807, « Instruction pour les arpentages parcellaires », titre ii, article 3, repris dans Hennet (1811, articles 932-934).
63 Lettre datée du 31 décembre 1827, AD 23, Guéret, 3 P 82. Tous les éléments qui suivent proviennent de ce document.
64 Bilan des travaux du cadastre, AD 21, Dijon, 3 P 3 a-1.
65 Évaluation des revenus des terres, 1808, AD 23, Guéret, 3 P 20.
66 Évaluation des revenus des terres de la commune de Cressat, mai 1810, AD 23, Guéret, 3 P 21.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La formation d’une opinion démocratique
Le cas du Jura, de la révolution de 1848 à la « république triomphante » (vers 1895)
Pierre Merlin
2017
Les mutations récentes du foncier et des agricultures en Europe
Gérard Chouquer et Marie-Claude Maurel (dir.)
2018
Deux frontières aux destins croisés ?
Étude interdisciplinaire et comparative des délimitations territoriales entre la France et la Suisse, entre la Bourgogne et la Franche-Comté (xive-xxie siècle)
Benjamin Castets Fontaine, Maxime Kaci, Jérôme Loiseau et al. (dir.)
2019
Un mousquetaire du journalisme : Alexandre Dumas
Sarah Mombert et Corinne Saminadayar-Perrin (dir.)
2019
Libertaire ! Essais sur l’écriture, la pensée et la vie de Joseph Déjacque (1821-1865)
Thomas Bouchet et Patrick Samzun (dir.)
2019
Les encyclopédismes en France à l'ère des révolutions (1789-1850)
Vincent Bourdeau, Jean-Luc Chappey et Julien Vincent (dir.)
2020
La petite entreprise au péril de la famille ?
L’exemple de l’Arc jurassien franco-suisse
Laurent Amiotte-Suchet, Yvan Droz et Fenneke Reysoo
2017
Une imagination républicaine, François-Vincent Raspail (1794-1878)
Jonathan Barbier et Ludovic Frobert (dir.)
2017
La désindustrialisation : une fatalité ?
Jean-Claude Daumas, Ivan Kharaba et Philippe Mioche (dir.)
2017