Août 1834
p. 57-61
Texte intégral
11 er août. — Le bruit s’est répandu dans la journée que le château de M. de Magnoncour à Saint-Seine avait été brûlé par le tonnerre dans le dernier orage. Ce serait un grand malheur que cette nouvelle n'eût à se confirmer.
22 août. — M. l’abbé de Marguerye m'a dit qu'il avait reçu de Paris une lettre dans laquelle on lui mandait qu'il était question de faire l'abbé Gousset évêque de Langres.
33 août. — Notions élémentaires de linguistique en Histoire, abrégée de la parole et de l'écriture pour servir à l'introduction à la grammaire et au dictionnaire, par Charles Nodier, in 8°, imprimerie de Crapelet à Paris. 12ème volume des œuvres de l'auteur.
44 août. — Le conseil municipal vient de délibérer pour la seconde fois, à la majorité de huit voix contre sept, qu'il ne serait point accordé de subventions aux Frères de la doctrine chrétienne. En vain M. Bourgon a-t-il dit au conseil toutes les raisons qui militent en faveur des frères, leurs adversaires ont persisté dans leur absurde délibération avec un entêtement qui ne pèsera ni pour leurs lumières ni pour leur tolérance. Quand on voit les hommes que le système électif appelle à prononcer sur les intérêts d'une ville, on est vraiment tenté de le répudier à jamais et de regretter le temps où les conseillers nommés par le Roi étaient presque toujours l'élite de la population.
55 août. — Essai sur la nature de l'âme, sur l'origine des idées et les fondements de la certitude, par F.-J. Receveur, in 8°, imprimerie de Moessand à Paris.
66 août. — On m'a dit ce soir que M. J.-J. Ordinaire avait consenti à reprendre la place de recteur de l'Académie. M. Clerc est allé lui en faire son compliment et il l'a reçu. Si, comme je le pense, cette nouvelle se confirme, voilà M. l'inspecteur Buignet bien désappointé ; mais quel que soit son amour-propre, il est impossible qu'il n'avoue pas que M. Ordinaire est plus fait que lui pour remplir une place que les circonstances rendront encore longtemps pénible et difficile.
77 août. — Dans la séance d'aujourd'hui, le conseil municipal a décidé l'établissement d'un musée, réclamé depuis longtemps par tous les amis des arts. M. Lancrenon, notre premier peintre, en a été nommé conservateur. Ses appointements sont fixés à 1.500 fr.
88 août. — Il paraît que notre conseil municipal était dans une bonne veine, car, dans la même séance où il créait un musée pour Besançon, il volait une somme de 20.000 fr. pour l'agrandissement de la Bibliothèque. Reste à savoir si le devis présenté par l'architecte Marnotte est bien juste et si la somme qu’il a demandée sera suffisante pour construire une aile nouvelle. Sans en rien savoir, je gagerais que non.
99 août. — En creusant pour établir les fondations de la nouvelle halle, on a découvert une grande quantité d’ossements qui ont été transportés au cimetière. Il paraît que le terrain sur lequel on se propose d’élever la halle a servi longtemps à l'inhumation des morts de l'hôpital du Saint-Esprit, le plus ancien établissement de ce genre dans la province.
1010 août. — M. J.-J. Ordinaire a reçu sa nomination à la place de recteur. Lorsque j’ai été chez lui pour lui faire mon compliment, j'y ai trouvé le premier président, le directeur des douanes1, etc. Il ne songeait pas à rentrer dans l'instruction publique. C'est M. Clément et M. Jouffroy qui, sous son nom, ont demandé pour lui la place au ministre2 en répondant de son consentement. Puisqu'il accepte, il faut en féliciter le pays. Je ne crois pas qu’il fût possible de faire un meilleur choix, mais à sa place j'aurais eu beaucoup de peine à quitter la vie douce et tranquille qu'il menait depuis quelques années pour reprendre les fonctions plus ardues que jamais du rectorat. Les membres de l'académie ne paraissent pas contents de sa nomination ; suivant eux, M. Ordinaire va se trouver aussi embarrassé que les généraux de l'Empire placés par la révolution de Juillet à la tête d’une division militaire. Mais, ne leur en déplaise, la comparaison est inexacte, et leur mauvaise humeur prouve que les gens instruits ne sont pas à l'abri de l'influence des journaux qui, rédigés par de très jeunes gens, ne cessent de déclamer contre les hommes d'âge et d’expérience, qu'ils ont la sotte infamie de nommer des gérantes.
1111 août. — Les obsèques de M. Roux de Raze, l'un des doyens de la Cour royale, ont eu lieu ce matin à l'église Saint-Jean, sa paroisse. Il avait la réputation d'un homme d'esprit et d'un bon juge. Dès qu’il a connu le danger de son état, il a demandé les secours de l'église, et lorsqu'on lui a apporté le Bon Dieu, malgré sa faiblesse, il a, comme le Primatice, descendu de son lit pour le recevoir à genoux. M. de Raze était membre de l’Assemblée constituante et, avant la révolution, il remplissait les fonctions de lieutenant de bailliage de Vesoul.
1212 août. — Flajoulot, comme je m'y attendais bien, est furieux de la nomination de Lancrenon à la place de conservateur de notre musée. Il ne peut pas se persuader qu'il se contentera de ce modeste emploi et il le voit déjà chassant les professeurs de l'école. Qu'il connaît mal Lancrenon ; mais, comme c'est ainsi qu'il aurait agi, lui, Flajoulot, il n'est pas surprenant qu'il soupçonne les autres d'agir de même.
1313 août. — M. Clément, notre député, vient d'être réélu questeur à la Chambre, à une majorité de 304 voix sur 314 votants. Il ne lui a manqué que dix voix pour avoir l'unanimité. Rien n'est plus honorable et ne fait mieux l'éloge de ses qualités.
1414 août. — Malgré le progrès, les machines à vapeur ne sont pas encore bien multipliées dans la province. Il n'en existe qu'une seule à Besançon : celle de MM. Wey3 fabricants de tapis. M. Gauthier, l'imprimeur, se propose d'en établir une seconde pour le service de son imprimerie. Une affiche apposée par le maire avertit les personnes qui trouveraient de l'inconvénient à cet établissement d'en faire la déclaration dans les délais fixés.
1515 août. — Le principal du collège d'Arbois4 serait une preuve, s'il en était besoin, qu’on peut avoir des connaissances même assez étendues, faire des livres et des tragédies, et n'être qu'un sot. Pendant deux jours qu'il est resté ici pour les intérêts de son collège, il m'a gratifié de toutes les heures qu'il n'a pas été obligé de passer à l'Académie et n'a pas eu l'esprit de s'apercevoir qu'il m'empêchait de travailler, et que je ne faisais aucun compte de tous les lieux communs qu’il se croyait obligé de débiter pour m’amuser et qui produisaient un effet tout contraire.
1616 août. — La sonnerie de la paroisse Notre-Dame vient de s'augmenter d’une seconde cloche. C'était bien assez de la première pour étourdir ceux qui sont logés dans le voisinage de l'église. Le curé s'occupe maintenant de faire exhausser son clocher à demi ruiné par la Révolution, et je ne doute pas qu'il ne trouve plus facilement la somme nécessaire pour cette belle œuvre qu'on ne trouvera celle qui est demandée pour l'établissement des salles d'asile.
1717 août. — M. Jouffroy est arrivé de Paris hier par le courrier. Il ne s'est arrêté que le temps nécessaire pour prendre un bain et faire un mauvais déjeuner. A deux heures, il était en route pour Salins où sa femme l'attendait. Il nous a annoncé que la clôture de la Chambre devait être chose faite. Ainsi, nous ne tarderons pas à revoir nos députés.
1818 août. — Le livre des jeunes personnes. Extraits de prose et de vers choisis dans les meilleurs écrivains français anciens et modernes, avec une préface de M. Charles Nodier de l'Académie française, in 8°, imprimerie de Duverger à Paris.
1919 août. — M. Buignet, qui était allé à Paris solliciter la place de recteur, est de retour avec un pied de nez. Je le tiens pour fort heureux de n'avoir pas réussi dans sa folle démarche. Il y a ici grand nombre de personnes qui ne lui auraient jamais pardonné son succès, mais qui finiront par oublier ses prétentions et la manière qu'il avait cru devoir prendre pour les faire valoir.
2020 août. — C'est un M. Viellard5, capitaliste de Belfort, qui s'est chargé de faire construire nos deux ponts, moyennant un péage de 35 ans. Le conseil municipal ayant, sur sa demande, modifié quelques-unes des conditions du marché, il ne pourra recevoir son exécution qu’après l'approbation du ministre.
2121 août. — Nous avons eu hier au soir la queue d'un orage qui, selon toute apparence, a éclaté dans les environs de Saint-Vit. Tout était tranquille, le ciel couvert mais sans la moindre apparence de tempête, lorsque nous avons été réveillés par un furieux coup de tonnerre qui a été suivi d'un sac d'eau. On dit que la foudre est tombée dans la rivière près de l’hospice de Bellevaux. Le courrier arrivé ce matin a dit que le vignoble de Rochefort avait été grêlé.
2222 août. — M. Pouillet, notre grand physicien, est en ce moment à Cusance avec son beau-père, M. Pichon, conseiller d'Etat. Il n'a fait que traverser Besançon, mais il a promis d'y venir passer quelques jours avant de retourner à Paris.
2323 août. — M. Reynaud, examinateur pour l'Ecole polytechnique, arrivé d’hier, a commencé ce matin l'examen des candidats, dans la grande salle du collège.
2424 août. — Réflexions sur le droit d'entrée des fers étrangers, par un propriétaire de forges, ancien député, membre du conseil général (M. Bouchot, de l'Isle6) Besançon, imprimerie de Sainte-Agathe, in 8°.
2525 août. — L’Académie a tenu sa séance aujourd'hui pour la distribution des prix. M. Courvoisier, président, a prononcé un discours dans lequel il a démontré que le clergé de France n'a cessé de défendre les libertés publiques à toutes les époques. Ce discours, qui renferme plusieurs propositions que je crois très contestables, a été entendu avec une attention soutenue et couvert d'applaudissements. Une épître médiocre de Flajoulot à dom Grappin, mal lue par Génisset qui ne la comprenait pas, un petit poème de Trémolières sur futilité des caisses d'épargne, dont l'à-propos faisait le principal mérite, ont suivi le discours du président. M. Bourgon, le professeur d'histoire, a fait ensuite le rapport sur les mémoires envoyés au concours et dont le sujet était : l'influence de l'empereur Barberousse sur les arts dans la province. Ce rapport, mal pensé, mal écrit sans doute à raison de la précipitation avec laquelle il a été fait et dans lequel les deux concurrents ont été traités fort durement, a eu pour conclusion que le prix serait partagé, comme encouragement, aux deux concurrents, M. Richard, curé de Beure, et M. Bernard, jeune homme de 18 ans, qui donnerait de grandes espérances s'il n'était pas d’une santé si délicate. La séance a été terminée par Viancin qui a lu un petit poème sur un chien nommé Brillant, mort de douleur sur la fosse de son maître. Le préfet a été nommé président de l'Académie pour l'année 1835 à une très grande majorité, M. Léon Bretillot vice-président.
2626 août. — L'Académie s'est réunie aujourd'hui à la demande de M. Courvoisier. Il a proposé à la docte assemblée d'exprimer le vœu que son secrétaire perpétuel, M. Génisset, soit décoré de la Légion d'honneur. Cette proposition a été délibérée sans discussion ; il reste maintenant à savoir si les distributeurs de croix y auront égard. Toutes les récompenses, tous les encouragements ne sont-ils pas réservés pour Paris ? Quand on réfléchit à la conduite du gouvernement depuis quarante ans, on doit être étonné qu'il reste encore quelques hommes de talent et de science dans les provinces.
2727 août. — La distribution des prix au collège avait attiré un grand concours de curieux. Elle a été faite dans la chapelle à raison du mauvais temps. Le discours a été prononcé par M. Damiens, professeur de quatrième. M. Ordinaire, en sa qualité de recteur, a dit quelques mots sur la cérémonie et a profité de la circonstance pour jeter quelques fleurs sur la tombe de son prédécesseur qui avait été son élève et son ami. Il avait un air triste et fatigué ; M. Courvoisier m'a dit qu’il l'avait trouvé vieilli de dix ans.
2828 août. — Ouverture du théâtre, fermé depuis le mois d'avril pour réparations. L'intérieur de la salle a été repeint entièrement, le plafond refait, le rideau renouvelé, l'avant-scène diminué, l'orchestre agrandi. Tous les amateurs ont voulu juger de ces changements, aussi il n’y avait plus de billets à six heures. On donnait l'opéra du Barbier de Séville avec un vaudeville, M. Jovial en prison.
2929 août. — L'Impartial, en rendant compte de la séance de l'Académie, s'est égayé aux dépens de l'épître de Flajoulot ; je suis sûr qu'il prendra fort mal la plaisanterie, et je ne serais pas surpris qu'il écrivît au rédacteur7 pour lui demander raison du jugement qu'il a porté de sa pièce.
3030 août. — Essai sur l'histoire abrégée de l'horlogerie par Louis Perron, Besançon, imprimerie de Chalandre, in 8°. Le titre seul de l'ouvrage prouve que l'auteur ne sait pas écrire.
3131 août. — La distribution des prix de l'école de dessin a eu lieu aujourd'hui dans la grande salle du Palais de justice. Une affiche de la mairie annonçait que les personnes qui voudraient assister à cette cérémonie pourraient s'adresser pour avoir des billets à MM. Borel et Flajoulot. Ainsi l'on peut présumer que les deux professeurs n’auront eu pour spectateurs que des amis.
Notes de bas de page
1 M. Alviset, président ; M. Duverger, directeur des douanes (Annuaire du Doubs).
2 Guizot.
3 Cette manufacture de tapis fut fondée par François-Antoine Wey (1750-1815) puis développée par Casimir, élu à la chambre de commerce en 1819 (Journal, ii, p. 383, note 94).
4 Emmanuel Bousson de Mairet, principal du collège d'Arbois à partir de 1833, pendant 3 ans
5 Ce maître des forges de Morvillars et Grandvillars, Viellard, a réalisé à Besançon le pont suspendu, dit pont « fil de fer », conçu par l'ingénieur Parandier, ouvert en 1842 dans le prolongement de la rue Neuve-Saint-Pierre ; ce pont a été remplacé en 1883 par un pont de pierre (aujourd'hui pont de la République). Le péage a duré près de 35 ans.
6 Maître des forges de L’Isle-sur-le-Doubs, Auguste Bouchot était semble-t-il acquis aux théories sociales de Fourier : Jonathan Beecher, Charles Fourier, the visionary and his world, University of California Press, 1987.
7 Charles Pellarin.
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