Chapitre 2. Portraits de quelques membres de la chambre
p. 363-372
Texte intégral
1Même si, en raison de leur rôle prédominant, les Premiers présidents appellent une évocation de leur personnalité, d'autres membres de la Chambre, par les traces qu'ils ont laissées à travers leur comportement ou leurs travaux, méritent d'être mentionnés pour leur contribution à l'histoire de l'Institution ou le rayonnement de leurs œuvres. Les gens des comptes sont, par leur nature même, nécessairement obscurs et discrets, leur rôle ne peut être que mal perçu de l'extérieur et il est difficile de le saisir dans ses modalités pratiques, ou par des résultats perceptibles. C'est un travail collectif qui se place dans une chaîne d'intervenants à laquelle chacun apporte sa part qui peut être variable sans qu'il soit possible la plupart du temps d'en imputer le mérite propre à chacun de ceux qui y sont associés. Ceci est d'autant plus vrai pour la Chambre des comptes de Dole dont on a déjà vu qu'elle n’avait cessé de défendre son existence et dont les attributions, même énoncées dans les textes qui les régissaient, ont été réduites ou contestées par d'autres autorités, comme le Parlement et l'intendant. L'examen des pièces retraçant l'activité de la Chambre montre d’ailleurs que certains noms apparaissent plus fréquemment que d'autres sans qu'on puisse, en raison des destructions subies, affirmer que cette fréquence soit significative.
L'abbé Thoullier d'Olivet
2L'attention se porte sur quelques personnalités de la Chambre dont le rôle, les travaux et le rayonnement méritent d'être rappelés car ils ont laissé le souvenir de travaux ou d’activité qui leur ont survécu. Celui d'entre eux dont la notoriété a dépassé le cadre de la province est certainement l'abbé Joseph Thoullier d'Olivet, conseiller d'honneur ecclésiastique, nommé le 26 février 1726 à la place d'Antoine Michotey, docteur en théologie, doyen du chapitre de Notre-Dame de Dole ; l’office qui lui était attribué était affecté d'une finance de 8 000 l. aux gages de 300 l. mais sans droit de participation aux épices.
3Pierre Joseph Thoullier d'Olivet est né à Salins le 1er avril 1682, fils de Nicolas d'Olivet, seigneur de Chamolle, conseiller au Parlement de Besançon et de Marguerite Thoullier. Lors de sa nomination, il était déjà membre de l'Académie française depuis 1723, élu au fauteuil occupé par Furetière et auquel devaient lui succéder Condillac, Bailly, maire de Paris, Sieyes, Xavier Marmier, autre comtois, Edmond Rostand, Cocteau. Il conserve sa place dans le Petit Robert des noms propres.
4Après une éducation soignée dirigée par son père, il était entré à la Compagnie de Jésus et avait exercé comme professeur dans les collèges de Reims, de Dijon et au collège de Clermont à Paris où il devait rencontrer un élève qui deviendra illustre, Voltaire, et qui conservera avec lui des relations dont le souvenir est entretenu par une correspondance dans laquelle l'ancien élève lui témoigne une affection parfois taquine. En 1713, en mission à Rome, il décide de quitter la Compagnie de Jésus, effrayé par la perspective de vœux définitifs, pour se consacrer à ses travaux sur la langue et la littérature. Il est lié au président Bouhier avec lequel il entretient une correspondance régulière. L'oeuvre de l'abbé Joseph d'Olivet est abondante, mais consacrée principalement à des travaux de traduction ou d'exégèse laissant peu de place à la poésie. Dans son Répertoire bibliographique des ouvrages francs-comtois, Maurice Perrod lui consacre quarante-trois numéros correspondant à des oeuvres, en français certes, mais aussi en latin et en anglais. Le cardinal de Fleury lui propose de devenir le précepteur du dauphin moyennant une pension de 1 5001. En 1732, il publie des essais de grammaire, en 1736, un traité de prosodie ; en 1744, il traduit les pensées de Cicéron pour servir à l'éducation de la jeunesse. A la suite du décès du président Bouhier, en 1746, il reçoit Voltaire à l'Académie, élu au fauteuil laissé vacant. La correspondance de Voltaire devient de plus en plus chaleureuse, comme souvent, lorsqu'il a besoin des gens ; le 25 mars 1752, il lui écrit de Potsdam pour lui recommander de s'occuper du jeune de Beausobre en lui disant qu'il l'obligerait s'il voulait lui enseigner le français, le latin et le grec.
5Le principal ouvrage de Joseph d'Olivet est son Histoire de l'Académie française dans laquelle il entreprend de poursuivre l'ouvrage de Pélisson arrêté à 1652 et que, lui-même, complétera jusqu'en 1700 seulement, date dont il explique le choix dans une lettre au président Bouhier « par la difficulté qu'il trouvait à accorder les droits de la vérité avec ceux de la prudence ».
6Quelques mois auparavant, il avait reçu une dernière lettre de Voltaire qui témoigne du ton et de la nature de leurs relations ; il le remercie pour l'envoi de ses Remarques sur la langue française, mais, esprit pratique Voltaire ne s'éloignant guère de son penchant pour la finance rassure d'abord l'abbé en affirmant que son livre se vendra bien, ensuite sur sa santé :
« Je vous assure que je ne me porte pas si bien que vous — il lui survivra cependant plusieurs années — vous m'étonnez de me dire qu'il ne faut pas travailler dans la vieillesse ; c'est, ce me semble, la plus grande consolation de notre âge... Puissiez-vous avoir la goutte, notre cher confrère, Bertrand de Fontenelle en avait quelques accès et il a vécu jusqu'à cent ans. C'est un avant-goût de la vie éternelle. »
7Il conclut : « Mes respects à l'Académie, je vous en supplie, et quelques sifflets si vous le voulez, à la Sorbonne ». Le potache du collège de Clermont retrouvait sa jeunesse.
8Il consacrera son existence à l'Académie dont il sera à plusieurs reprises directeur ou chancelier. Un contemporain note : « C'était un académicien modèle, exact aux séances, attentif, ardent aux discussions passionnées pour tous les intérêts du docte corps, gourmandant les tièdes, il faisait de chaque élection une forte affaire ». D'après une épigramme du temps, « jamais il n'aima personne, personne jamais ne l'aima ». Lorsqu'il évoque l’œuvre de Racine, c’est surtout sous l'angle grammatical, peu sensible à l'éclat de la poésie. Dans l'avant-propos de l’Histoire de l'Académie par Pélisson qu'il entreprit de continuer, il indique que ce dernier n'avait pas eu de mémoires exacts et qu'il fallait donc remédier aux erreurs. Il meurt en 1768 d'une attaque d'apoplexie, après une séance orageuse avec Duclos.
9Il n'était pas dépourvu d'une certaine habileté pour réunir les pensions. Si son œuvre manque de générosité et d'inspiration, par contre, il ne manque pas de biens. II laisse à son neveu Jean-Baptiste Thoullier d'Olivet, président à mortier au Parlement de Besançon quatre-vingts actions des fermes, 50 000 écus de terres, 30 000 francs d'arrérages, 250 louis en argent, 350 marcs de vaisselle d'argent et une très belle bibliothèque.
François-Félix Chevalier
10Avec moins d'éclat et de notoriété, d'autres membres de la Chambre ont contribué à lui donner un certain rayonnement, indépendamment de la mission particulière de la juridiction à laquelle ils appartenaient. Ainsi, François-Félix Chevalier était né à Poligny en 1705, devait y mourir en 1801 après avoir consacré la plus grande partie de son existence à l'Histoire de la ville et de la seigneurie de Poligny. Avocat au Parlement, il avait été nommé le 8 novembre 1746 sur la place laissée vacante par M. de Rozet et il avait demandé l'honorariat en 1768. Son goût pour les travaux historiques peut peut-être s'expliquer par le fait qu'il avait épousé la fille de l'historien Dunod de Charnage dont il cite abondamment les travaux. En 1767, il avait publié chez l'imprimeur libraire Pierre Delhorme, de Lons-le-Saunier : Les mémoires historiques sur la ville et seigneurie de Poligny avec des recherches relatives à l'histoire du comté de Bourgogne, de ses anciens souverains et une collection des chartes intéressantes par messire François-Félix Chevalier, de Poligny, conseiller maître à la Chambre et Cour des comptes, aides, domaines et finances du comté de Bourgogne, membre de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon et de la société royale d'agriculture d'Orléans. »
11Une phrase de la préface de l'ouvrage semble bien correspondre au personnage : « Je suis entré dans la carrière que je cours qu'avec défiance de moi-même et avec l'ambition d'être compté parmi ceux qui respectent encore plus la vérité qu'ils n'aiment leur patrie ». L'ouvrage comporte deux gros volumes comprenant, après l'avant-propos, une première partie intitulée « Eclaircissement ; Préliminaires : réponses aux questions imposées par des amis ; origines du nom de Séquane ; division de la haute Bourgogne en quatre cantons ; limites des cantons et finalement pour ces éclaircissements un mémoire sur les voies romaines ».
12Une seconde partie concerne des mémoires sur la ville et seigneurie de Poligny avec des recherches relatives à l'histoire du comté de Bourgogne. Il se réfère fréquemment aux travaux de Gollut et de Dunod de Charnage, mais il avertit le lecteur qu'il a pris beaucoup de citations des titres et des chartes de la Chambre des comptes d'où, indique-t-il, « il a le plus tiré, entendu que celles qui sont enregistrées seront citées par les numéros des registres et des feuillets et que les anciennes chartes non enregistrées seront citées par lettres alphabétiques selon lesquelles elles sont comprises dans les inventaires de cette cour ». Notons que dans cette partie de l'ouvrage, il indique que la chapelle de la Chambre des comptes appartenait à Othon, qu'elle était dédiée à Saint-Georges et édifiée en 1289. Il mentionne aussi que Charles VII, roi de France était aussi comte de Bourgogne en 1483.
13Le second volume comporte une seconde et une troisième parties. La seconde décrit les institutions de la ville et seigneurie de Poligny, divisée en deux chapitres : le premier traite des juridictions, le second, des établissements ecclésiastiques et de piété. La troisième partie est formée par une série de notices sur les familles nobles de Poligny parmi lesquelles l'auteur fait figurer ses propres antécédents, sa noblesse étant d'ailleurs contestée par Roger de Lurion dans son nobiliaire, encore que celui-ci reconnaisse que son entrée à la Chambre des comptes lui assurait un titre qui devait être consolidé par le mariage de sa fille avec Hugues-Joseph d'Astorg.
14Ce dernier devait devenir conseiller maître à la Chambre des comptes le 30 mai 1758, puis être nommé le 21 novembre 1766 gouverneur de Poligny ; leur fils, Jacques-Pierre-Paul-Hippolyte, comte d'Astorg, sera député du Jura en 1824.
Nicolas Loys
15Nicolas Loys, né en 1708, avait d'abord été avocat au parlement de Besançon ; il était le fils de Philippe Loys, greffier en 1698 du présidial de Gray. En épousant une fille de François Quirot, greffier en chef de la Chambre des comptes, il lui avait succédé dans cette charge le 18 avril 1732. Certaines notices le concernant mentionnent sa qualité d'écrivain, ainsi qu'ami et correspondant du chancelier d'Aguesseau. En 1757, il devait être élu à l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Besançon ; la notice qui lui est consacrée dans les archives de cette dernière, très sommaire, ne fait mention d'aucune œuvre susceptible de justifier cette qualité d'écrivain.
16Mais le personnage ne laisse pas indifférent pour des raisons tout autres. Dans son ouvrage sur Louis XV, Michel Antoine évoque la part qu'aurait prise Nicolas Loys dans l'agitation parlementaire à Besançon, décelée par des documents découverts après son décès à l'occasion d'un inventaire. Il est vrai que sa soeur avait épousé le chirurgien anglais Acton, qui jouissait à Besançon d'une notoriété certaine, mais qui était lié au clan des membres du parlement de Besançon qui avaient levé l'étendard de la révolte contre l’intendant Bourgeois de Boynes. Cet incident n'a pas laissé de trace dans les archives comtoises, incident que le duc de Choiseul n'avait pas jugé susceptible de mériter d'autres suites.
17Par contre, la bibliothèque de Besançon a conservé une série de documents écrits par Nicolas Loys à l'intention du chancelier d'Aguesseau dans lesquels sont décrits de façon circonstanciée les divers objets intéressant la Chambre des comptes, l'histoire et les procédures suivies par elle, sa compétence et, d'une façon plus générale, les diverses questions liées à la présentation des comptes. Ces divers mémoires mentionnent sa qualité de greffier en chef de la Chambre des comptes, fonction qu'il a exercée de 1732 à 1762, date de son décès. Ils portent sur les sujets les plus variés, traités suivant des analyses techniques en s'attachant à les situer d'après leurs sources et leur évolution historique. Ainsi, par exemple, son Mémoire sur les comptes de la capitation et la juridiction de la Chambre des comptes concernant cet impôt, commence par indiquer que, chez les Romains, la capitation faisait partie du trésor public. Ce travail de Nicolas Loys représente une source précieuse pour l'étude des pratiques financières de l'Ancien Régime.
Claude-Joseph Terrier de Cléron
18Claude-Joseph Terrier de Cléron, né à Besançon le 11 juillet 1697, avait acquis en 1729 la charge de Président laissée vacante par Etienne Gense ; il était alors avocat au Parlement de Besançon. La part qu'il a pu prendre aux travaux de la Chambre des comptes est difficile à apprécier, sinon par le fait que son nom est indiqué dans quelques arrêts. Doué d'une certaine aisance de plume, ses écrits ne se limitent pas au seul jugement des comptes.
19Le répertoire bibliographique de Maurice Perrod énonce parmi ses textes un Discours prononcé à la Chambre des comptes en 1754-55, une Histoire de Mandrin depuis sa naissance jusqu'à sa mort en 1755, traduite en latin et publiée à Venise, un Discours sur la dignité et les devoirs de la magistrature et sur la nécessité et l'emploi du tribut (Paris, 1757, 24 p.). On ne peut manquer d'en citer un passage, particulièrement édifiant lorsqu'il s'agit de rappeler la vigilance nécessaire aux officiers des comptes :
« Le plus sage des Romains, Caton d'Utique, par sa fermeté et sa vigilance, ramena l'ordre et l'intégrité dans la collecte des impôts publics ; il sut aussi bannir de la Chambre des comptes de l'empire l'indolence des questeurs, ses collègues et les abus qui s'étaient glissés dans le maniement des deniers de la république, et rendit ce tribunal plus respectable et plus révéré que le sénat. »
20Perrod signale aussi son Mémoire à Louis XV, à la reine, au maréchal de Belle Isle, ministre de la guerre et à tous les princes d'Europe, dans lequel il fait part de sa découverte de remèdes pour la guérison des fièvres quartes, putriques et pleurétiques (Paris, 1759) et, plus proche des préoccupations d'un membre d'une institution chargée du domaine royal, un Etat des forges, fourneaux et usines du comté de Bourgogne, de la quantité de milliers de fers qu'ils produisent et des droits de traites surtes fers.
21Peut-être aurait-il mieux valu pour lui se consacrer à ce type de sujet et de préoccupation ? Mais, il avait cru bon de s'associer à l'agitation du Parlement de Besançon, ce qui lui valut d'être « exilé », mesure dont il allait pouvoir se venger en écrivant une Histoire allégorique de ce qui s'était passé de plus remarquable à Besançon depuis l'année 1756. Ce texte d'un ton satirique l'avait conduit à la Bastille. Le commentaire qui prélude à sa levée d'écrou le 22 février 1761 indique que sa détention était due à ce dernier libelle « en raison du fait qu'on craignait qu'il continuât à échauffer les esprits et qu'il ne caballât avec les malintentionnés ». On est surpris qu'une mesure aussi grave ait pu être prise à l'égard d'un personnage certes agité, mais inoffensif. De retour en Franche-Comté, il devait mourir en 1765 dans une certaine pauvreté, comme en témoigne sa succession.
Pierre-Joseph-Désiré Richardot de Choisey
22Pierre-Joseph-Désiré Richardot de Choisey et Claude-François-Richard Belon, seigneur de Coges et d'Aligny, appartiennent à cette catégorie d'officiers entièrement voués à l'institution dont ils sont membres.
23Les Richardot de Choisey s'identifient à l'histoire de la Chambre des comptes et Pierre-Joseph-Désiré représentait la troisième génération de cette famille titulaire d'offices dans la juridiction. Son grand-père, Pierre Richardot, qui avait entrepris la construction du château de Choisey, seigneur de Gendrey, lieutenant général du bailliage de Lons-le-Saunier, est reçu à la Chambre des comptes le 19 octobre 1704 dans l'office laissé vacant par Claude-Antoine Matherot ; il meurt en fonction le 13 septembre 1709 ; l'autre fils, Pierre-Louis, seigneur de Choisey, né le 15 novembre 1687, devait remplacer son père dans sa charge le 31 décembre 1715 et recevoir lui-même l'honorariat en 1746. C'est donc avec ces solides antécédents que Pierre Joseph-Désiré Richardot de Choisey, né le 7 août 1717, avocat au parlement, est nommé le 27 juillet 1745 et installé le 2 décembre suivant pour exercer dans l'institution un rôle plus marquant que son grand-père, son père ou son oncle.
24Son nom apparaît plus fréquemment dans les actes de la Chambre, témoignant d’une activité plus suivie. En mai 1754, il remplace dans son office de président, Ferdinand d’Arvisenet, seigneur de Lavans. Pierre de Menthon a laissé de lui le portrait vivant d’un homme ouvert aux idées nouvelles de l'époque, pénétré de l’importance de ses fonctions, peut-être imbu de lui-même, mais à juste titre affecté par la suppression de la Chambre des comptes en 1771 et par l’ingratitude marquée par les instances de Versailles à l’égard d'un serviteur du pouvoir royal qui avait assumé ses fonctions avec compétence et lucidité. Il ne recevra pas les compensations obtenues par exemple, par le procureur général Bouhelier d'Audelange ou par le président Marguier d'Aubonne, qui retrouveront des fonctions dans le Bureau des finances.
25Richardot de Choisey préside la seconde chambre qui assume les compétences d'une Cour des aides d'ailleurs réduite, comme en témoigne le sort réservé à Malesherbes, président de la Cour de Paris.
26La personnalité de Richardot contraste avec l'autorité incertaine de Claude-François de Monnier, le Premier président. Les textes dont il est l'auteur qui ont été conservés font apparaître la fermeté de ses conceptions qui se manifeste dans son attitude avant et après la suppression de la Chambre. La création du second vingtième en 1756 a donné lieu à une levée de boucliers dans les parlements de Paris et de province, à laquelle l'institution de Dole n’a pas manqué de s'associer. Ces remontrances ne relèvent pas d'une originalité particulière par comparaison avec celles de juridictions similaires ; elles concernent la dénonciation des exactions des commis des fermes, l'injustice de l'assiette des impôts, le maintien et l'aggravation en temps de paix d'impôts prévus à titre exceptionnel pour le temps de la guerre, les ravages provoqués par l’abus des corvées. La Chambre s'aligne sur la thèse émise par le Parlement de Besançon d’après laquelle la Franche-Comté, pays d'Etat, est un pays de « don gratuit » non imposable à la seule volonté du souverain.
27Ces remontrances ne passent pas inaperçues et en janvier 1757, le chancelier de Lamoignon met en cause le comportement de Richardot :
« Sa Majesté a été très étonnée qu'un magistrat qui doit savoir les règles s'ingère de faire imprimer un écrit sans permission et surtout des remontrances faites à Sa Majesté au nom de la compagnie, dont selon toutes les apparences il est le principal auteur ».
28Le fait de rendre des remontrances publiques marque l'intention de soulever les peuples « contre l'autorité de Sa Majesté ». En réponse à cette mise en garde, Richardot reconnaît être l'auteur de la « plus grande partie » des remontrances ; il explique qu'il les avait fait imprimer à Besançon pour les distribuer aux membres de la Chambre — à l’époque, les pièces des procès étaient imprimées — mais il invoque l'existence d'interversions de textes qui en aurait dénaturé le sens.
29Richardot de Choisey ne s'en tiendra pas là ; dans de nouvelles Observations, il reprend la critique d'un système qui assure « des gains usuraires aux monopoleurs et aux traitants » et évoque l'écart qui existe entre ce qui est prélevé sur le peuple et ce qui est effectivement versé au trésor royal. Il demande que les receveurs particuliers justifient de leurs « frais de comptes » en détail et non par de brefs états ; il en est de même des « frais de régie ». La gestion des financiers doit être clairement analysée dans des comptes libellés « pourvus de quittances et autres pièces justificatives ». Les officiers des comptes doivent être mis en état de juger que le tribut versé par les sujets parvient exactement au « dépôt général ». Cette mission de contrôle revient « au corps permanent de la magistrature » et non aux intendants, « magistrats isolés auxquels le chef de l'état donna sa confiance pour un temps ». Depuis, le conseil du roi a revendiqué la compétence sur la régie des fermes et l'administration des impôts, sans avoir à redouter l'œil de la magistrature, « la cupidité s'est enhardie, les concussions se sont multipliées, le faible n'a plus de voie pour réclamer, le crime est devenu impuni ».
Claude-François-Richard Belon d'Aligny
30Claude-François-Richard Belon, seigneur de Coges et d'Aligny, était entré à la Chambre des comptes bien avant Désiré-Joseph Richardot de Choisey, mais, peut-être y avait-il quelques liens entre eux, puisqu'un Belon d’Aligny devait être désigné après son décès comme procureur spécial de sa veuve dans un conflit entre l'intendant, le Parlement de Besançon et le Conseil du roi, au sujet de certaines dispositions de sa succession.
31Claude-François-Richard Belon était né à Besançon le 6 janvier 1701, fils de noble Frédéric Belon, docteur en droit, et de Claudine-Elisabeth d’Orival. Son parrain n'était autre que noble Claude-François D'Orival, docteur en droit, avocat au Parlement, maire de Besançon en 1703. Ce dernier devait renforcer sa notoriété en étant l'auteur, en 1721, d'un Commentaire sur les usages et coutumes de Besançon et plus encore, en raison du talent manifesté dans le procès qui confirmait la ville de Besançon dans la propriété de la forêt de Chailluz. Le père de Claude-François était lui-même un avocat en vue du barreau de Besançon.
32Il accède à la Chambre des comptes à une charge de conseiller maître le 11 mai 1736 et en devient l'un des membres les plus actifs et les plus compétents ; on retrouve son nom dans les missions les plus délicates, notamment lorsque les comptes des receveurs particuliers révèlent des anomalies. La compagnie l'honorera, comme il l'indique lui-même, de plusieurs députations à Paris en 1746, 1754 et 1755. Ses fonctions le fixent à Dole où il épouse, en 1740, en l'église Notre Dame, la fille d'un conseiller maître Jeanne Deltel de Saint-Martin, et où il demeure dans l'hôtel situé actuellement, au 18 rue du Collège. En dehors de son activité au sein de la Chambre, il s'efforce de la faire mieux connaître.
33C'est un laborieux, il est auteur d'ouvrages demeurés manuscrits qui constituent un complément très utile des sources conservées dans les archives ; en 1748, il a réuni dans un registre la copie de ce qu'il appelle les Lettres secrètes et autres affaires adressées à la Chambre des comptes de 1588 à 1688. Ce document qui concerne principalement la période espagnole donne des informations très intéressantes sur l'activité de la Chambre antérieure à la période française. Ainsi on apprend que le receveur général des finances doit verser caution à concurrence de 6 000 l. pour garantir son maniement des fonds, que les auditeurs ne peuvent signer d'actes sans le contre-seing d'un maître ; on y trouve également les instructions du Conseil des finances siégeant à Bruxelles sur la correction des comptes de la recette générale, les comptes de la saunerie de Salins... Ces lettres secrètes sont complétées pour la période suivant le rattachement à la France par une énumération des délibérations de la Chambre sur divers sujets. En 1758, il publie chez Tonnet à Dole un Recueil des édits, déclarations, arrêts du Conseil concernant la Chambre de comptes. Mais le témoignage le plus intéressant est son Journal historique de la Chambre des comptes, Cour des aides, domaines et finances du comté de Bourgogne, céante à Dole, suivi d'une maxime en latin noctura versata manu versata diurna discite par M. Belon, conseiller maître et doyen de la Chambre et Cour ».
34Dans sa préface, il fait valoir que ses expériences ont achevé de « l'instruire à fond de tout ce qui concernait la Chambre et n'avait rien laissé à désirer sur les éclaircissements nécessaires à la perfection du dessein qu’il avait pris de mettre au jour le fruit de ses veilles dans l'espace d'un service assidu de trente-trois ans et à chaque découverte dans des choses relatives à ce plan, il avait toujours couché sur le papier ses idées, il avait fait usage de tout ».
35Il était sans doute trop âgé pour continuer une carrière après la suppression de la Chambre des comptes de Dole en 1771. Il meurt à Besançon, sa ville natale ; l'extrait du registre paroissial fait mention de « messire Claude-François-Richard Belon d'Aligny, âgé de 76 ans, conseiller maître, doyen de l'ancienne Chambre des comptes de Franche-Comté, mort le 9 mars 1777 et inhumé le lendemain dans le caveau de famille en présence des sieurs Daniel-Antoine Tasnière, prêtre doyen, et de Claude Doroz, prêtre chapelain de cette église Saint-Jean-Baptiste.
Antoine Marguier d'Aubonne
36On est tenté d'établir une certaine similitude entre les familles des Richardot de Choisey et des Marguier d'Aubonne dans la mesure où trois générations ont été détentrices d'offices au sein de la Chambre des comptes sans observer toutefois le même enchaînement d'une génération à l'autre. François-Hyacinthe Marguier d'Aubonne, procureur fiscal à Mont benoît depuis 1706, fait l'acquisition, le 27 octobre 1732, d'un office d'auditeur ; il meurt l’année suivante et sa charge n'est pas reprise par un membre de sa famille. Ce n'est qu'en 1742 que son fils Jean-Baptiste, avocat au Parlement, acquiert pour 38 600 l. la charge de conseiller maître laissée vacante par Jean Roux de Beauvoisin, dans laquelle il est installé le 14 septembre. Il obtient l'honorariat en décembre 1763 après avoir laissé l'office à son fils Antoine qui reçoit ses lettres de provision le 5 décembre 1762. La carrière de ce dernier, par son éclat, éclipse celle de son père et de son grand-père. Né le 30 octobre 1741, il n'a pas atteint l'âge de vingt-cinq ans requis pour exercer les fonctions de conseiller maître ; il doit donc être admis par dispense d'âge, usage assez fréquent lorsqu'il s'agissait de la dévolution d'un office par transmission directe. Les dérogations en sa faveur ne se limitent pas à son âge, une autre dispense est nécessaire car il a épousé la fille d'un auditeur, Burignot (qui lui apporte en dot 72 000 l. et plusieurs domaines) ce qui va à l'encontre du principe proscrivant l'alliance entre familles appartenant à l'institution.
37Le décès de Terrier de Cléron le 16 août 1765 rendant vacant un office de président, les tuteurs des héritiers de Terrier de Cléron, enfants mineurs, vendent l'office à Marguier d'Aubonne, lequel n'a alors que vingt-six ans. Il lui manque donc quatorze années pour remplir les conditions d'âge alors fixées à quarante ans. La dispense est obtenue et les provisions lui sont délivrées le 14 octobre 1767. La suppression de la Chambre des comptes ne devait pas mettre un terme à sa carrière. L'honorariat de sa présidence lui est accordé et il entre au bureau des finances en tant que second président, après le décès de Bouhelier d'Audelange. L'importance de son rôle dans l'administration comtoise est montrée par le fait qu'il assurera l'intérim de l'intendant Caumartin de Saint-Ange dans les derniers mois de l'Ancien Régime ; les derniers actes de l’Intendance portent sa signature.
38Marguier d'Aubonne prendra le chemin de l'émigration fin 1790. Il y sera accompagné par deux de ses fils qui rejoindront l'armée du prince de Condé ; Jean-Etienne Barbe, né à Besançon le 6 janvier 1779 sera tué le 4 octobre 1812 dans les combats de la grande armée de Russie avec le grade de capitaine au cinquième régiment d'artillerie ; son autre fils, Claude-Antoine-Marie Gabriel, après avoir un temps épousé la condition militaire, entrera dans les ordres. De retour en France à la suite de l'amnistie accordée aux émigrés, il deviendra professeur et censeur du lycée de Dijon, puis le 14 décembre 1814, proviseur du lycée de Besançon, fonctions dans lesquelles il sera successivement évincé et réintégré suivant les vicissitudes politiques de l'époque, pour être nommé en 1823 inspecteur d'académie du Doubs. Il avait reçu auparavant l'ordre de Saint-Louis et la légion d’honneur.
Claude-Ignace Pajot de Vaux
39Claude-Ignace Pajot de Vaux, conseiller maître en 1764 puis, en 1776, conseiller au Parlement de Besançon, n'a pas laissé une trace significative dans ces deux juridictions. Il doit la persistance de sa notoriété à sa femme, Marie-Jeanne Dupuits et à leur fils François dont le parrain n'était autre que Voltaire. Le registre paroissial de Lons-le-Saunier en fait mention :
« Le second août 1766, le prêtre curé de l'église a procédé à la cérémonie du baptême d'un fils de messire Claude-Ignace Pajot, chevalier, seigneur de Vaux, et de dame Marie-Jeanne Dupuits, mariés, le dit enfant né et baptisé le 24 février 1765 en l’hôtel du dit messire Pajot de Vaux, selon la permission qui lui en avait été accordée, le dit enfant a été nommé François et a eu pour parrain messire François Marie Arouet de Voltaire, gentilhomme ordinaire dans la chambre du roi, représenté par le sieur Jean Baptiste Fumey, maître-horloger en cette ville et pour marraine Denise Antoinette de Mairol, douairière de feu messire Jean-François Tricalet, seigneur de Taxenne, représentée par Jeanne-Marie Barey, laquelle est illettrée. »
40Voltaire écrit, certes à intervalles espacés, à celle qu'il qualifie de « maîtresse des comptes » à Lons-le-Saunier, et à qui il s’adresse plus familièrement par le sobriquet de pâté. Le ton des lettres est très chaleureux et le thème essentiel en est le jeune François : « Il ne sera pas une petite poupée comme la plupart de nos courtisans, mais un digne Franc-Comtois. » Claude-Ignace Pajot restant proche de son frère, Voltaire les désigne comme « les deux maris » de Marie-Jeanne et fait usage de son influence en faveur du conseiller maître. Il a écrit au vice-chancelier pour obtenir des lettres de vétérance en faveur de Claude-Ignace en récompense à ses services de capitaine avant son accession à la Chambre des comptes. Mais il arrive également que Voltaire aborde des affaires plus politiques ou personnelles, comme la cause des mainmortables de Saint-Claude ou ses démêlés avec le duc Charles-Eugène de Wurtemberg, qui lui doit 70 000 francs de France et le conseil suprême de Montbéliard.
Bibliographie
Sources
L'abbé d'Olivet (Pierre-Joseph Thoullier)
ADD : B 613.
Arch. Académie française, fauteuil 31.
Correspondance de Voltaire, La Pléiade, t. 13.
Gresset, Gens de justice....
Lurion, Notice..., p. 207.
François Joseph Chevalier :
ADD : B 617.
Lurion, Notice..., p. 241.
M. Perrod, Répertoire bibliographique..., n° 433.
Nicolas Loys :
ADD : B 615,705.
BMB : Ms, fonds Baverel, n° 55.
M. Antoine, Louis XV, p. 733, 759, 760.
Lurion, Notice..., p. 290.
Claude Joseph Terrier de Cléron :
ADD : B 614, 862.
Lurion, Notice..., p. 192, 201.
M. Perrod, Répertoire bibliographique..., no 2280.
Pierre Joseph Désiré Richardot de Choisey :
ADD : B 617, 618, 925, 953.
Lurion, Notice..., p. 198, 241.
P. de Μenthon, Richardot...
Claude François Richard Belon :
ADD : B 613
Bibl. Montmirey-la Ville.
Lurion, Notice..., p. 237.
Antoine Marguier d'Aubonne :
ADD : B 619, 620 (f.41).
Lurion, Notice..., p. 198, 246.
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