Chapitre 1. Les fermes royales et leur évolution
p. 225-240
Texte intégral
1Avec l'organisation des comptables des impositions les fermes royales forment le second pilier du système financier de l'ancien régime. Dès 1674, la Franche-Comté est comprise dans le système des fermes royales à un moment qui coïncide avec l'attribution du bail à un nouvel adjudicataire général. Ce bail prévoit des dispositions particulières pour la province et, jusqu'à la suppression de la ferme par la Révolution et sa liquidation en 1793, elle sera soumise à ses règles et suivra son évolution. Il ne paraît donc pas inutile pour la compréhension du régime appliqué d'apporter quelques indications sur l'organisation des fermes royales.
2A cette époque, les fermes royales sont déjà une institution ancienne dont la création remonte à Henri IV et à Sully ; leur action couvre un domaine très vaste de compétences : droits des traites, droit d'entrée et de sortie des marchandises, perception de droits multiples y compris d'octrois appliqués à quantité de produits et surtout la gestion du domaine royal, issu pour la Franche-Comté du domaine comtal, de nature composite, et qui représente jusqu'à la réunion à la France la principale ressource des souverains du Comté. Ce domaine produit certes des revenus inhérents au régime féodal mais surtout il est marqué par la prépondérance de deux éléments primordiaux en Franche-Comté : les salines et les bois.
3Au sein du régime français, les salines ont la particularité majeure d'être liées au régime de l'impôt le plus général, s'appliquant à un produit, le sel, dont la production, le transport, le commerce, les prix étaient conditionnés par le monopole au profit du trésor royal de la vente du sel.
4On ne peut séparer le système d'administration des salines du cadre d'ensemble qu'entraîne pour celles-ci leur rattachement aux fermes royales. Mais ce cadre a été aménagé en fonction des caractéristiques propres à la Franche-Comté : l'héritage du régime espagnol, des clauses des actes de capitulation consentis au moment de la réunion à la France, la configuration des structures financières qui prévalent dans le reste du royaume, caractérisée par la juxtaposition de multiples régimes particuliers. Cette structure ne pouvait manquer de subir l'évolution marquée par une insertion de plus en plus précise dans l'administration générale du royaume tout en préservant son originalité. La ferme générale est en évolution constante, évolution dictée certes par la pression des besoins financiers de la monarchie, mais aussi par l'accroissement régulier du montant des droits qu'elle recouvre et qui suivent l'essor de l’activité économique générale.
L'organisation des fermes royales
5Les historiens se sont intéressés davantage aux fermiers généraux, à leur fortune, à leurs pouvoirs réels ou supposés qu'aux conditions de fonctionnement de la ferme générale dont ces fermiers étaient la clé de voûte. Il ne peut être question ici d'en donner une description exhaustive mais d'en indiquer les particularités pour servir à la compréhension du cadre juridique, financier et fiscal dans lequel la Franche-Comté est entrée à compter de 1674. La ferme générale est d'abord une organisation progressivement étendue à l'ensemble du royaume dans un souci d'unification du régime fiscal — d'ailleurs jamais complètement réalisée — et qui comportait :
- un cadre juridique, le bail de l'adjudicataire général, sorte de code enregistrant les droits très divers à recouvrer ;
- un système de solidarité financière réalisé par la réunion de quarante puis soixante fermiers généraux responsables collectivement du paiement des droits au trésor.
- l'organisation centrale à Paris et territoriale en province chargée pour la première d'un pouvoir réglementaire et de contrôle, pour la seconde de leur exécution.
Le bail de l'adjudicataire général
6Autant le bail de l'adjudicataire général peut être considéré comme le cadre juridique ou l'armature fondamentale de la ferme, autant l'adjudicataire apparaît comme un personnage mythique dont on connaît le nom, mais non la personne, si ce n'est — encore ne cite-t-il pas ses sources — par la description pittoresque donnée par Pierre Clément dans son Histoire des derniers fermiers généraux dans laquelle il évoque Salzard entrant dans un estaminet proche de l'église Saint-Roch à Paris après acceptation du bail qui portera son nom. Qualifié dans les actes de « bourgeois de Paris », faisant élection de domicile en l'hôtel de la ferme générale, représenté par un ou des procureurs dans la présentation des soumissions et du texte du bail, l’adjudicataire n'est qu'exceptionnellement un fermier général, sauf peut-être à la fin du xviie siècle pour Nicolas Saunier, titulaire du premier bail applicable à la Franche-Comté, Claude Boutet, Charles Ferreau, qui sont mentionnés dans certains actes comme fermiers généraux et dans la correspondance de l'intendant. Cependant on ne peut déterminer si cette désignation correspond à celle d'une personne physique exerçant une fonction ou seulement à une référence pratique pour qualifier ou identifier le bail.
7L'importance des engagements, notamment financiers, d'un bail explique sans doute qu'il ne s'agisse pour l'adjudicataire que d’un prête-nom, la responsabilité réelle quant aux résultats ne pouvant incomber qu'à la ferme générale prise collectivement et à ceux qui se sont engagés à lui servir de caution. Le recours à un prête-nom, souvent présenté avec dérision, ne résulte pas d'un parti pris de dissimulation ; il constitue une fiction juridique engendrée par le système lui-même qui rendait impossible à une seule personne si riche soit-elle de se porter garante à elle seule du recouvrement et surtout du versement au trésor royal de près de la moitié des ressources de l'Etat.
8Le bail est généralement conclu pour une durée de six ans. Mais certaines circonstances peuvent l'abréger, soit en raison d'événements ou d'expériences historiques, soit en raison de la renonciation ou de la disparition de l'adjudicataire. Ainsi les baux de Claude Boutet (1680-1681), de Pierre Domergue (1687-1691), de Charles Ferreau (17.03.1708) prévus pour six ans, connaîtront des durées plus courtes. Les désordres qui ont suivi la mort de Louis XIV, puis l'expérience Law ont eu le même effet. Les baux de Magnus (1715-1718), d'Aymard Lambert (1718-1719) ont été résiliés par Law pour permettre de substituer à la ferme générale la Compagnie des Indes représentée par Armand Pillavoine (1719-1720), bail conclu pour neuf ans qui sera résilié pour faire place à celui de Charles Cordier (1720-1725), enfin le bail de Salzard (1781-1784) ne durera que trois ans, en conséquence de l’éclatement de la ferme générale en trois régimes distincts à la suite de la réforme de Necker.
9Au cours de la durée d'un même bail, une procédure de subrogation du titulaire peut permettre le transfert du bail à un autre titulaire sans pour autant en modifier le contenu. Il couvre en effet un domaine composite pour ne pas dire hétéroclite qui résulte de l'extrême diversité des droits et des taxes dont le recouvrement est confié à l'adjudicataire général et ses cautions.
10Dans son ouvrage sur les impôts de l'ancien régime, Moreau de Baumont souligne que dans l'ordonnance de mai 1680 après la paix de Nimègue, Louis XIV s'était proposé de réduire tous les droits en un seul et établir une « jurisprudence pour certains d'entre eux ». Cette intention était évidemment irréalisable. Le bail Saulnier (1674-1680) mis en vigueur au moment du rattachement à la Franche-Comté comportait quelque six cents articles s'appliquant aux objets les plus variés, mais trois quarts de siècle plus tard, le bail de Forceville (1738-1744) en place au moment où le système atteint un certain palier de stabilisation et marqué par un certain souci de rationalité, contient encore un nombre aussi important de dispositions. Outre les droits dont le produit est d'application générale, comme les gabelles, les traites, les aides, le tabac, les domaines, le contrôle des actes des notaires, le nouvel amortissement, on relève une foule de droits particuliers ou locaux : coutumes de Bayonne, conroy et comtablie de Bordeaux, entrée de Chaillot, droit du pont de Joigny, domaines de Valence, etc.
11Eu égard aux soucis d'unification voulue par Colbert, on est encore loin du compte ; la complexité et le défaut d'homogénéité du bail illustrent une des caractéristiques de la pratique administrative de l'ancien régime. Cette dernière ne s'inspire pas des principes généraux dont découlerait le règlement des cas particuliers servant de fondement à un contentieux cohérent ; elle procède par énumération, juxtaposition et répétition de dispositions spéciales à chaque droit.
12Ceci explique que pour l'exécution d'un bail général ressortissant à l’administration de la ferme générale on ait eu recours à une multiplicité de fermes spécialisées attribuées à des sous-fermiers par adjudication ou par attribution à l'amiable. Cet ensemble, à la fois centralisé et diversifié, s'inscrit dans un échéancier. Une autre caractéristique de l'évolution des baux souscrits par les adjudicataires généraux, est l'ambiguïté du vocabulaire et des concepts qui régissent l'administration de la ferme générale et son hésitation entre plusieurs modes de gestion.
13Avant même le rattachement à la France et pour le cas particulier de l'administration des salines de Salins, les officiers de celle-ci s'adressant à Charles Quint, l'avaient mis en garde contre un affermage. Après la suppression de la ferme générale, le débat devant le Conseil des 500, en 1795, affermage ou régie, ne sera pas clos. Dans L'Esprit des lois, Montesquieu a opposé très vigoureusement la pratique de la régie, qu'il associe à la nature du gouvernement, « les républiques » par lesquelles la puissance publique perçoit directement les impôts pour son propre compte et par ses propres agents, au système de la ferme caractérisé par des recours à des traitants qui règlent à l'Etat une somme convenue d'avance, en conservant pour eux des bénéfices au risque d'en assumer les pertes, Montesquieu estimait d'ailleurs que « l'histoire des monarchies était pleine des maux faits par les traitants ».
14Ce dernier postulat peut apparaître comme celui qui a régi l'administration des fermes royales entre la fin du xviie siècle et la révolution. Mais l'examen des faits, des situations montre que le terme de régie revêt une certaine indétermination, et que dans la pratique, affermages et régies peuvent ne pas être incompatibles. Le vocable peut prendre des significations variant selon le cadre de son application et sa portée ne peut être définie que par le contexte. Dans certains cas, on peut le considérer comme simplement synonyme d'administration ; dans d'autres cas, il recouvre un mode de gestion comportant pour le régisseur la responsabilité exclusive de ses résultats.
15Ainsi les arrêts du Conseil de janvier 1721 qui prescrivent la résiliation des baux des fermes attribuées à la Compagnie des Indes et mettent fin à l'expérience de Law, indiquent que le « roi attribue la régie des droits de ses fermes à Charles Cordier à compter du 1er octobre 1720 pour les gabelles, les Cinq grosses fermes, les gabelles de Franche-Comté et des Trois-Evêchés, aides, papiers et parchemins timbrés » et à compter du 1er janvier 1721 pour les domaines et le contrôle des actes des notaires.
16Les résultats du bail accordé pour neuf ans à la Compagnie des Indes, soit trois ans de plus que la durée habituelle, avaient été tellement désastreux que le Trésor royal avait été conduit à régler les gages des agents des fermes, c'est-à-dire à renoncer au principal avantage de la ferme celui qui consistait pour le Trésor à être déchargé de tout souci d'administration et de dépenses et à recevoir le prix net de l'attribution des fermes.
17Le préambule de l'arrêt du 18 août 1726 rendu à l'expiration du bail de Cordier indique qu'« ayant résolu de faire cesser la régie des fermes générales et autres droits sous le nom de Cordier... pour en faire un bail général », celui-ci avait été attribué après publication et adjudication à Pierre Carlier, bourgeois de Paris, lequel s'était trouvé le plus cher enchérisseur soit 80 millions de livres. Le bail général des fermes de France est donc clairement distinct de la régie de Cordier. Il y a un changement dans les modalités de la gestion des droits. Ceci n’a pas pour effet de modifier les conditions nécessaires pour assurer la continuité du service et sa transmission. Ainsi à l’occasion de la « rendue » (autrement dit l’arrêté des comptes du bail) de la Compagnie des Indes à Cordier, un arrêt prescrivait aux procureurs, commis et préposées de Pillavoine de ne pas abandonner leur activité sans avoir remis à Cordier les registres et papiers concernant la ferme.
18A la fin du règne de Louis XIV, les titulaires ou les cautions des baux des fermes ont rencontré quelques déboires en ce qui concerne leurs résultats par rapport aux engagements pris.
19Domergue (1687-1691) ayant souscrit un bail pour un montant qu’il ne peut réaliser est conduit à l'abandonner avant le terme prévu. Pointeau (1692-1697), en dépit d'un engagement réduit, ne parviendra pas à le conduire à son terme et obtient finalement indemnité de 800 000 l. pour le dédommager de ses pertes.
20La constitution en régie du bail attribué à Charles Cordier tendait à remédier aux difficultés des baux précédents, les résultats satisfaisants avaient produit pour le trésor 11 à 12 millions de plus qu'il n'était prévu ; ceci entraîna chez certains observateurs un préjugé favorable aux procédés de la régie dont l'administration avait été laissée aux quarante fermiers généraux. Est-ce le niveau de rendement atteint qui provoque un regain d'intérêt pour l'affermage des milieux financiers ? De toute façon, le bail suivant de Carlier (1726-1732) marque le retour à l'attribution d'un bail pour six ans et la réunion dans le traité de toutes les fermes du royaume : gabelles, traites, aides, domaines de France, domaines d'Occident (Canada), amortissements, tabac, cette dernière ferme étant attribuée pour huit ans. Le bail Carlier représente le premier essai de regroupement sous un même nom ou prête-nom de l'ensemble des droits dont l'administration et le recouvrement sont confiés à une organisation unique dotée d'un pouvoir effectif. Ceci n'implique pas que les droits soient en totalité acquis à la ferme générale ; les conditions particulières d'attribution du bail général portent à la fois sur le montant global à régler au Trésor, et sur le contenu du bail. Ainsi le bail suivant de Nicolas Desboves (1734-1738) est attribué pour 88 millions de livres ; celui de son successeur Jacques Forceville (1738-1744) est ramené à 80 millions en raison du retrait des droits sur les portes, quais, halles et marchés de la ville de Paris, mais après adjonction de la ferme du tabac, le montant définitif s'élève à 91 830 000 l. Ce bail de Forceville servira de référence au contenu et aux règles des traités suivants ; il correspond à un certain stade de stabilisation et d'organisation de la ferme générale qui subsistera jusqu'aux réformes de Necker.
Les traités de sociétés
21L'importance des sommes en jeu jointe à la diversité des droits à asseoir et à recouvrer rend nécessaire la mise en œuvre d'une couverture financière mieux adaptée. La ferme générale est une institution — dont, sans doute, la raison d'être essentielle est d'organiser la responsabilité collective et solidaire des fermiers généraux. Cette responsabilité est consacrée par des « traités de sociétés ». Déjà, le bail de Templier (1697-1703) était accompagné d'un tel traité précisant les obligations et les droits des fermiers généraux, qui ne pouvaient s'y soustraire. Il prévoyait la constitution d'un fond d'avance alors fixé à sept millions de livres au regard d'un bail s'élevant à 55 millions, destiné à pourvoir au besoin du trésor en attendant la rentrée du produit des droits. Si sur le plan de l'administration une certaine division du travail était établie entre les fermiers généraux, par contre, leur responsabilité financière est globale et collective ; le traité organisait également les conditions de rémunération et les obligations des participants.
22Les « droits de présence » des fermiers généraux étaient fixés à 1 000 l. par mois auxquels s’ajoutaient 1 000 l. par mois pour frais de tournées, en raison de l'obligation de se rendre en province en cas de nécessité. Interdiction leur était faite d'utiliser individuellement les fonds de la ferme, ainsi que de prendre des intérêts dans les baux des sous-fermiers. Le système de garantie du recouvrement était lui aussi global, mais en ce qui concerne la responsabilité financière et la répartition du résultat, le service de la ferme était réparti suivant un partage de compétences entre les gabelles, les Cinq grosses fermes et le tabac, les aides et les domaines. Les quarante fermiers généraux se répartissaient les risques à concurrence de 14 millions pour les gabelles, 14 millions pour les Cinq grosses fermes, 12 millions pour les aides et domaines.
23Depuis le bail de Carlier (1726-1732) l'unification de l'administration sous la direction des quarante fermiers généraux a été assurée, mais une des novations du bail Forceville résidait dans le caractère global tant de la réunion des droits, que de celle du système de garantie et de financement.
24Le traité de société souscrit et signé par les fermiers généraux prévoit une répartition égalitaire des parts à raison de 20 s. par membre dont aucun ne doit, sauf dérogation acceptée collectivement, détenir qu'une seule part. Il comporte un engagement de fournir solidairement huit millions de fonds d'avance par quartier à la caisse de la ferme générale.
25En plus du fond d’avance, il pourvoit à un autre fond de 400 000 l. pour satisfaire au besoin de fonctionnement du bail, sorte de fond de roulement. Chaque associé reçoit un « droit de présence » de 18 000 l. sur les fermes unies et 3 000 l. sur la ferme des tabacs, auxquelles s'ajoutent 3 000 l. pour les frais de bureau pour les fermes unies et 1 200 l. pour la ferme du tabac. Les associés sont soumis aux incompatibilités prévues dans les baux précédents : interdiction de prendre intérêt dans les baux et marchés ainsi que de prélever des fonds directement dans la caisse des comptables de la ferme.
26Le traité contient des clauses complexes de partage de résultats des opérations, tant en cas de profit que de perte ; ce partage est fait pour toute la durée du bail, par égales portions chaque année « sans avoir égard aux plus forts produits d'une année sur l'autre » de telle façon que le produit et la dépense des six années représentent 600 000 l.
27Thibault la Rue (1744-1750) et Girardin auxquels sont subrogés Bocquillon (1750-1756) et Henriet (1756-1762) reprennent les mêmes dispositions pour des montants de plus en plus élevés soit : 101 149 500 pour Girardin, 110 000 000 pour Henriet, 124 millions pour Prévost (1762-1768) et 132 millions ramenés à 128 666 667 l. pour Alaterre (1768-1774). L'importance croissante de ces sommes a entraîné à partir du bail Prévost, une augmentation du nombre des fermiers généraux portée de quarante à soixante et même soixante-et-un, si l'on tient compte que les Haudry père et fils se partageaient une seule part. Cette mesure élargissait les bases financières du système par l'accroissement du nombre des cautions et réduisait d'autant les charges et les risques pour chacun des fermiers généraux pris individuellement ; l’avance au trésor est portée à dix millions de livres pour le bail Henriet, à trente millions pour le bail Prévost. Pour faire face à cette obligation, l'arrêt du Conseil faisait valoir qu’il était nécessaire d'adjoindre « vingt sujets éclairés, laborieux et capables à tous égards de partager un si grand fardeau ».
28Le bail Alaterre se signale non seulement par son montant mais par la procédure de son attribution, son domaine de compétences et son mécanisme de financement. Le préambule de l'arrêt du Conseil du 19 mai 1767 le concernant indique « qu'ayant reconnu qu'il était du bien du service de préférer les offres proportionnées aux produits des fermes au procédé des enchères par lequel il était possible qu'elles ne fussent pas portées à leur valeur » il avait été jugé que les offres faites sous le nom de Julien Alaterre étaient les plus favorables, le bail lui avait été attribué : on renonçait donc à l'adjudication au profit d'une négociation directe.
29Le nouveau bail introduisait en outre de nouvelles dispositions concernant le financement ; l'avance est portée à 60 millions de livres pour la durée du bail et dès son entrée en vigueur Alaterre et ses cautions sont invités à remettre au trésor 20 millions de livres en 20paiements égaux de mois en mois. Le bail suivant celui de Laurent David (1774 à 1780) attribué pour 152 millions de livres présente un intérêt particulier pour son épisode comtois marqué par la décision de la construction de la nouvelle saline de Chaux en désignant Nicolas Ledoux pour en dresser le projet.
30Le nouveau bail pour ce qui relève des pratiques de la ferme générale et de son administration se singularise par le procédé qui consiste à confier à Jean Roux Mondar suivant un bail de 24 ans la construction et l'exploitation de la saline d'Arc-et-Senans. La durée habituelle des baux (six ans) était évidemment insuffisante compte tenu de l'importance des travaux, de leur coût et de la durée nécessaire pour les amortir. Le traité avec Mondar était un moyen de dégager la ferme générale de la construction à laquelle s'ajoutaient nécessairement les charges de son exploitation. Pour mieux étayer le dispositif, Mondar était chargé d’exploiter les salines de Salins, de Montmorot, de Lorraine et des Trois-Evêchés. Comme pour Montmorot, ce dispositif ne devait pas aller jusqu'à son terme, le traité était résilié le 24 mars 1782.
31La conception et le déroulement du bail du successeur, Nicolas Salzard (1782-1786) d'un montant de 153 410 000 l. devaient subir quelques avatars en raison des réformes introduites par Necker en 1780, de sa suspension par une décision subite de François-Henri d'Ormesson en 1783, puis de sa remise en vigueur jusqu'à son terme, en 1786, à la suite des protestations des fermiers généraux.
Les réformes de Necker et l'éclatement de la ferme générale
32Parvenu à la direction générale des finances en 1776, Necker ne pouvait éviter d'être confronté au système de la ferme générale et à la domination que les soixante fermiers généraux exerçaient sur une fraction aussi importante des recettes de l'Etat. Il prit son temps.
33Le 9 janvier 1780, un arrêt de règlement du Conseil ordonnait la répartition entre trois compagnies distinctes de la levée des droits confiée jusqu'alors à la ferme générale. C'était l'aboutissement d'une action entreprise par Necker dès son accession à la direction générale du trésor, qui tendait à réduire l'influence des fermiers généraux sur la gestion des finances.
34La ferme générale était maintenue sous la responsabilité de quarante fermiers généraux ayant pour compétence : les gabelles, le tabac, les droits des traites (douanes) et les entrées à Paris, c'est-à-dire les droits les plus productifs. Une régie générale était créée et formée grâce à la caution de vingt-cinq financiers pour assurer le recouvrement des droits d'aides c'est-à-dire des droits sur les boissons, les cuirs et peaux et la plupart des droits d'importance variée appelés « réunis ».
35Enfin, l'administration générale des domaines était placée sous l'autorité d'un conseil de vingt-cinq personnes chargé de la perception des revenus du domaine royal y compris les droits domaniaux, le contrôle des actes sous seing privé, des actes notariés, des actes judiciaires.
36Cette réforme répondait à un souci de clarté et de rationalité. Elle ne procédait d'ailleurs pas d'une improvisation. En 1775 les receveurs généraux des domaines avaient été supprimés. Peu de temps après la nomination de Necker et au cours du bail de Laurent David, un arrêt du Conseil du 3 avril 1776 avait prévu le transfert à une régie générale d'un certain nombre de droits alors incorporés à la ferme générale et dont le recouvrement était confié à un régisseur, le sieur Foacier. Cet arrêt n'est guère résumable ; il énumère sans ordre logique les matières les plus diverses : cuirs et peaux, inspection des boucheries, marques d'or et d'argent, cartes à jouer, papiers et cartons, hypothèques et gages intermédiaires, octrois municipaux, sol pour livre ; l'ensemble de ces droits représente 26 910 000 l. La régie devait être garantie par des cautions ; celle-ci devait se conformer aux règles établies par le Conseil.
37Sans être négligeables, ces réformes ne remédiaient pas pour autant au problème essentiel, celui posé par l'existence même de la ferme générale, c'est-à-dire sa profonde impopularité. C'était une réforme d'ordre technique qui ne pouvait toucher la sensibilité populaire. La ferme générale conservait l'essentiel de son pouvoir ; pour justifier cette situation, Necker ne manquait pas d'arguments. La raison majeure qu'il invoque dans son compte rendu de 1781 réside en ce qu'il était difficile de trouver un système de substitution capable de remplacer les avances effectuées par les fermiers généraux pour les besoins du trésor dans l'attente de la rentrée des fonds provenant des droits et impositions. Necker montre ainsi que la matière fiscale n'est pas aisément malléable et qu'elle supporte mal les modifications brusques et les incertitudes liées à des procédés de substitution à une échelle aussi importante. Il était notamment difficile de renoncer à l'impôt le plus impopulaire, celui des gabelles, en raison de son importance dans les recettes de l'Etat qui s'élevait en effet à 54 millions de livres c'est-à-dire l'équivalent de près la moitié des fonds réunis par la ferme générale.
38Mais Necker pouvait se prévaloir qu'une proposition, essentielle tout au moins sur le plan moral, avait abouti : dans l'abandon de la pratique des « pensions » et des « croupes », qui consistait à prélever sur la part des fermiers généraux, et par voie de conséquence sur celle du trésor, des prébendes allouées à quelques privilégiés proches de l'entourage du roi ou du contrôleur général. Cette pratique avait atteint son apogée au cours du bail de Laurent David, lequel s'était d'ailleurs soldé par des bénéfices considérables dont la part la plus grande avait été affectée aux fermiers généraux. Pour donner des exemples, Mme Victoire avait obtenu pour un de ses protégés une croupe de 6 000 l. ; la famille du contrôleur général des finances et celle de Mme de Pompadour, avaient reçu trois fois un quart de part, soit 12 000 l. ; une pension de 5 000 l. avait été attribuée à un protégé de Trudaine, 15 000 l. à un protégé de Mme Louise, deux fois 6 000 l. à la comtesse de Provence.
39De toute façon la réforme est mise en place mais la répartition des tâches entre la ferme générale, la régie générale et l'administration des domaines n'est pas sans rencontrer quelques obstacles. L'échéance du bail de Laurent David offre une première occasion de procéder à la répartition des attributions entre les trois nouvelles institutions. Le bail de la ferme générale est attribué à Nicolas Salzard pour une période de six ans et trois mois. Il a pour caution quarante fermiers généraux. La disposition la plus novatrice concerne la répartition des bénéfices entre les quarante fermiers généraux et le roi, c'est-à-dire le trésor royal. En effet, le roi se réserve la moitié du bénéfice, à la suite de quoi il sera rendu après la fin du bail un compte général au conseil. Les quarante fermiers généraux fournissent une avance de 62 400 000 l. à concurrence de 1 560 000 l. pour chaque fermier général. Il est prévu que tout ce qui dépassera le prix du bail de 157 285 000 l. pour les quinze premiers mois et 126 millions pour chacune des années suivantes sera partagé entre le trésor et les fermiers généraux. Les autres éléments de la réforme sont mis en place dans les jours qui suivent ; la régie générale, sous le nom de Henri Clavel, devant fournir une avance de 25 millions. Par un arrêt du 30 avril le Conseil mettait en place le dernier volet de la réforme en confiant l'administration des domaines à un nommé Jean-René Vincent. L'exécution de ce plan est interrompue par un arrêt du 24 octobre 1783 pris sur l'initiative de François-Henri d'Ormesson, contrôleur général des finances, qui prévoyait la conversion de la ferme générale en une régie intéressée, mais avec le maintien en place des fermiers généraux et la suppression de leurs responsabilités dans l'exécution du bail. Cette décision entraîne une réaction de trente fermiers généraux qui obtiennent son départ ainsi que l'exil du premier commis des finances, Coster, qui semble avoir inspiré cette décision. Le bail Salzard est maintenu jusqu'à son terme, il est suivi par un autre bail attribué en mars 1786 à un certain Jean-Baptiste Mager pour 115 600 000 l. ; son préambule est marqué par un souci évident de rigueur :
« Après avoir balancé le montant total des différentes perceptions avec les dépenses qui y sont relatives, nous avons fait communiquer les résultats aux fermiers généraux que nous avons choisis pour caution du nouvel adjudicataire. L'abandon définitif de l'attribution du bail par adjudication est expliqué par le fait que cette formalité était nécessaire dans un temps où la valeur des droits qui composent cette branche principale des revenus de l'Etat, n'était qu'imparfaitement connue... il ne peut rester aucun doute sur l'exactitude du compte que nos fermiers généraux... rendent des recouvrements qui leur sont confiés. »
40De son côté, la régie générale était attribuée à Jean-François Kalendrin, bourgeois de Paris. Ces traités n'iront pas à leur terme. L'Assemblée constituante mettra fin au système échafaudé par Necker en décidant, en août 1789, la clôture des livres de la compagnie des fermiers généraux ; une série de décisions en 1791 procède à la suppression des droits qu'elle était chargée de recouvrer. Plus tard, les fermiers généraux paieront un lourd tribut à leur puissance passée.
Les salines et les capitulations de 1668 et 1674
Les capitulations de 1668 et 1674
41Dans l'acte de capitulation de Salins du 7 février 1668, le maréchal de Luxembourg avait accepté des dispositions spéciales concernant le sort à réserver aux salines de Salins. Pour l'essentiel, celles-ci tendaient à affirmer l'autorité royale sur les salines, mais également à préciser que pour les habitants de la province, les droits et les obligations en vigueur sous le régime espagnol seraient maintenus. Elles tendaient aussi à rassurer la population dans la mesure où cette dernière considérait que ces droits, venant d'une tradition séculaire, seraient respectés et confirmés. Il était indiqué que les revenus des salines et puits à muire demeureraient chargés des paiements que l'on était obligé de « faire à ceux qui ont vendu des quartiers en proportion de l'importance de ceux-ci comme encore des autres charges dont les salines étaient affectées », sous réserve que celles-ci soient justifiées de « bons titres ».
42Le roi honorerait également les avances faites à Sa Majesté catholique par les « intéressés » dans les fermes des salines, et que leur remboursement serait fait sur le produit de la ferme ; ces droits devaient donner lieu à un état vérifié par un commissaire du roi (article 10).
43Ces capitulations indiquaient aussi que « toute charge de justice tant du bailliage que des sauneries et des autres offices que sa Majesté catholique avait accordée sur les dites sauneries et puits à muiré soit à survie soit autrement demeurerait à ceux qui en avaient été pourvus » (article 14). Les « bénéfices ecclésiastiques demeureraient honorés par les revenus assignés sur le produit des sauneries ». Ces dispositions s'inspiraient visiblement du respect des droits acquis, ceux-ci étant d'autant plus faciles à assumer que les ressources en provenance des salines permettaient de les honorer. Elles devaient d'ailleurs être reprises par les capitulations du 21 juin 1674 qui pour l'essentiel, respectaient l'inspiration de l’acte de 1668 en précisant l'obligation pour le pouvoir royal de payer « toute dette, rente, hypothèque, pensions, gages et autres charges, sans exception ni réserve » et en insistant sur le fait que les sauneries et puits à muire demeurent en l'état. Une apostille au titre de la capitulation précisait : « selon le service du roi », ce qui pouvait laisser place à des échappatoires.
« Tout le sel et effest existants, tant aux sauneries et puits à muires que ceux appartenant aux “intéressés” à la ferme des sauneries leur demeuraient acquis avec pouvoir de vendre dans la province ceux qui étaient destinés et à en distraire ceux “destinés pour les Pays des Suisses” et à en recevoir le prix comme de choses à eux appartenant (Art. 14). L'acte de 1674 précisait que toutes charges de justice, tant du bailliage que des sauneries et tous autres offices que sa Majesté catholique avait accordés sur les dites sauneries et bailliages, soit en survivance ou autrement, demeuraient à ceux qui en ont été pourvus avec les gages et revenus en dépendant. »
L'héritage espagnol
44Au moment de leur insertion dans le système français, les salines disposaient déjà d'une organisation solide et ancienne, constituée progressivement par les comtes de Salins, régime espagnol avait réglé de façon telle leurs conditions de fonctionnement qu'elles n'avaient pas à être sensiblement modifiées car elles relevaient des conditions physiques de leur activité, sur lesquelles le changement de souveraineté ne pouvait avoir d'incidence. La transformation en sel de l'eau des sources salées ne peut être obtenue que grâce à l'énergie nécessaire à l'évaporation des eaux, énergie provenant du bois des forêts proches de Salins. Pour être à pied d'œuvre le bois devait être transporté et stocké dans des conditions de régularité d'autant plus nécessaires que la formation du sel en exige de très grandes quantités. De même, le sel produit devait être acheminé à proximité des lieux de consommation, c'est-à-dire dans les magasins ou greniers à sel à partir desquels il était distribué. Les conditions de la production impliquaient donc la conjonction de trois événements : sources d'eau salée, accès à de grandes quantités de bois, installations permettant d'assurer l'exploitation de ces différents éléments concourant à la production.
45Cette nécessité avait été clairement perçue par les souverains du comté de Bourgogne et ceci d'autant plus qu'antérieurement à la réunion à la France, sources, bois et installations appartenaient au domaine comtal.
Le règlement d'Albert et Isabelle
46Dans un règlement du 22 septembre 1607, Albert et Isabelle-Claire-Eugénie, Infants d'Espagne, comtes de Bourgogne et comtes de Salins, se sont attachés à définir le cadre juridique de l'activité des salines de Salins. Ils observent dans une sorte de préambule, que « leur ville de Salins était presque au milieu de leur Comté, que plusieurs fontaines d'eau salée, fort fertiles et abondantes, s'y trouvaient, sources dont on peut former le sel très bon et en grande quantité, non seulement pour la nécessité de leurs sujets, mais aussi des circonvoisins qui le viennent acheter et apporter deniers et autres grandes commodités », « que les salines sont environnées de plusieurs beaux et grands bois, tant en hautes futaies que taillis de grande fertilité sans lesquels ne peut se former le sel ».
47Le règlement (articles 1 à 20) définissait le rôle des agents des salines qui en assuraient le fonctionnement et notamment celui du juge visiteur dont les fonctions et les décisions de nature juridictionnelle consistaient à veiller au respect par « toutes les parties prenantes » des obligations prévues par ce règlement. Ce dernier concernait :
- les charrois avec possibilité d'y contraindre des sujets habitant les villes assurant le transport des bois destinés à la cuite des muires ;
- l'interdiction de faire aucun affouage ou abattis à deux lieues de la ville de Salins ;
- le règlement des droits d'usage de pâturage dans les forêts et de coupe de bois.
48Ce règlement est remarquable car il met clairement en évidence la liaison fondamentale qui existait entre la présence de sources d'eau salée, l'existence de forêts importantes et l'organisation régulière des transports.
49D'autres règlements ont suivi et précisé les fonctions et l'organisation des salines : ceux des marqueurs et contrôleurs des bois, des fasseurs, des ouvriers, des forestiers, des charretiers et autres menant le bois aux sauneries. En 1671 un règlement des bois avait complété le système.
50En résumé, toutes ces dispositions s'attachent à définir l'organisation et le statut des divers acteurs participant à l'activité des salines ; organisation caractérisée par sa complexité, cette dernière découlant dans une large mesure de la diversité des conditions nécessaires à leur activité.
51La réunion au royaume n'entraînera pas de rupture avec le système antérieur en raison, certes des dispositions acceptées dans les capitulations de 1668 et 1674, mais également parce que l'institution, sous le régime espagnol, de l'affermage des salines était très proche de ce qui se pratiquait du côté français. En 1587, d'ailleurs, les officiers de la grande saunerie avaient adressé en vain à Charles Quint une requête « pour lui démontrer qu'il était plus avantageux de laisser la régie des salines, que d'amodier les revenus de ces établissements » ; leur point de vue n'avait pas prévalu ; après la conquête, l'affermage devait être maintenu. Il suffisait de changer le fermier.
Les débuts de l'administration française
52Dès l'installation de l'administration à Besançon, les salines apparaissent dans les préoccupations de l'intendant et dans sa correspondance. D'ailleurs, avant même la capitulation, l'ambassadeur français auprès des cantons suisses à Soleure, M. de Saint-Romain, avait rejoint Louis XIV au camp d'Orchamps pour attirer son attention sur l’importance de l’approvisionnement de leur population en sel de Salins et sur l'intérêt que sa fourniture régulière comportait pour le maintien de bonnes relations entre les cantons suisses et la France.
53Sous le régime espagnol, les salines et leurs fermiers disposaient d'une grande autonomie et ne relevaient en quelque sorte que d'elles-mêmes. Mais le rattachement à la France avait pour conséquence de les faire entrer dans le cadre à l'époque peu contraignant, des fermes royales ; leur administration devait donc s'adapter aux procédures de ces dernières. En 1674, l'intendant Camus de Beaulieu s'attache à préciser leur situation dans le cadre juridique du royaume. En septembre 1674, Nicolas Saunier, fermier général des gabelles de France, Lorraine, pays messin, est envoyé en possession du bail de l'adjudicataire général pour six ans.
54Les salines intéressent l'intendant en raison de plusieurs de ses attributions : financières d'abord à cause de l'importance des revenus relevant de leur activité et du produit de la vente du sel, de police par la répression de la contrebande sur le sel et la protection qui doit être assurée envers les commis des fermes, économiques, vu l'importance de la consommation du bois des forêts et des livraisons de sel pour la fabrication des fromages et des salaisons, diplomatiques pour le suivi des conventions passées avec les Cantons Suisses, enfin politiques et psychologiques compte tenu de la sensibilité de la population à l'égard de son approvisionnement en sel et de sa répartition entre les communautés.
55A l'occasion de l'envoi en possession du bail de l'adjudicataire général, l'intendant Camus de Beaulieu prescrit l'établissement d'un état des lieux à la demande du sieur de Courchamps, « intéressé » à la ferme des sauneries sous le régime espagnol ; en octobre 1674, il décide de faire procéder à « l'inventaire des meubles, ustensiles et autres moyens qui se trouvent servir dans lesdites sauneries », sans oublier les chemins ; il désigne pour dresser cet inventaire deux « commissaires » : Alexandre Ignace de Santans, maître à la Chambre des Comptes de Dole et, sur le souhait du sieur Saunier fermier général, compte tenu de l'importance des sauneries, son propre subdélégué, M. de Morville.
56Après la paix de Nimègue, une autre reconnaissance des lieux sera effectuée en octobre 1680 à la demande de l'intendant Chauvelin, par Jean-Baptiste Richard, seigneur de Villers-Vaudey, auditeur à la Chambre des comptes, Jean Rollet, secrétaire de la reine, et Jean-Baptiste Godet, intéressé à la ferme en vertu d'une procuration délivrée par Nicolas Faucielle, fermier des gabelles de Franche-Comté et des Trois-Evêchés. De cette reconnaissance, il résultera, le 29 novembre 1680, une estimation de réparations à faire au bâtiment du puits à muire dont les commissaires ont évalué la dépense à 4 192 l. 11 s. et 8 d.
57Les successeurs de Camus de Beaulieu continueront à témoigner de l'intérêt pour les salines. En 1687, sur la requête de l’intendant Claude de La Fond, un nouvel inventaire sera effectué par Sulpice de Verny, fermier général. En 1690, Alexandre Ignace de Santans demande des vacations pour son travail de liquidation du bail de Faucielle en se prévalant d'avoir fait rentrer au Trésor 6 685 l. 13 s. 8 d. En 1697, un nouvel inventaire sera confié au juge visiteur des salines, Gay de Marnoz.
58L'intendant veille également au fonctionnement technique des salines et à leur installation. Dans une lettre du 1er août 1687, Claude de La Fond informe le Conseil du roi que Vauban, qu'il a accompagné à Salins, n'a point « jugé à propos de faire aucun travail quant à présent ». A la même époque, il rappelle l'importance de la saline sur le plan financier en raison de la faiblesse des autres ressources de la province. « Il n'y a, dans mon département, aucun bureau de douane. Il ne se lève que le droit des impositions dont les deniers sont portés à des receveurs qui sont établis dans chaque bailliage. Il n'y a, dans cette province, que la seule Ferme des sauneries ».
59L’intendant participe également activement à l'élaboration des clauses du bail de l'adjudicataire général. En ce qui concerne les salines le projet de bail de Claude Boutet lui ayant été communiqué, l'intendant Chauvelin indique, en le renvoyant au contrôleur général, le 27septembre 1680 : « J'y ai ajouté quelque chose : j’ai mis dans un cahier quelques articles dans lesquels j'ai tâché d'en réformer plusieurs autres du dernier bail du roi catholique pour exprimer ce qui était à la charge du Fermier ». Ici apparaît dans une période d'adaptation difficile la mission essentielle de l'intendant qui consiste à assumer les conséquences du changement de souveraineté et à adapter à une population des structures d'administration conçues pour les autres parties du royaume.
Le bail de Nicolas Saunier
60L’année 1674 coïncidait avec la fin du bail des fermes des gabelles établi pour six ans le 30septembre 1668. Pour le bail suivant, il avait été décidé de procéder « à la publication et à l’adjudication au plus offrant d'un nouveau bail contenant, en détail, tous les droits des fermes ». Des affiches avaient été apposées « au Palais du Louvre, au Châtelet et aux lieux accoutumés de la bonne ville de Paris, ainsi qu’à la principale porte du château de Versailles ».
61Sur l'avis du Conseil un certain Nicolas Saunier avait été désigné comme adjudicataire des fermes des gabelles de France, des Trois-Evêchés (Metz, Toul et Verdun), des salines et domaines de Lorraine et du Comté de Bourgogne, ainsi que de celles des cinq grosses fermes qui avaient compétence sur les gabelles de France, et fixe le prix du sel, levé dans tous les greniers à sel « tant en impôt que par vente volontaire suivant les édits d'avril 1667 et septembre 1668 ».
62Ce nouveau bail est important d'abord par son caractère général, ensuite parce qu’il stipule que les salines et domaines de Franche-Comté « par nous nouvellement conquises » étaient appelés à suivre le régime des cinq grosses fermes du royaume pour six ans à compter du 1er octobre 1674 pour finir le 30 septembre 1680.
63Le montant du bail était fixé à 25 950 000 l. en temps de guerre et 27 200 000 l. en temps de paix, étant entendu qu'en plus de ces prix, Saunier devait payer les gages des officiers des greniers à sel. Les salines de Franche-Comté entrant dans le cadre français faisaient l'objet de dispositions spéciales énoncées dans les articles 92 à 128. L'article 92 précise les conditions de prix ou de droits que le fermier est autorisé à appliquer pour « chaque charge de gros sel ordinaire », soit 16 francs 2 gros 16 d. pour les bailliages d'Aval à proportion de ce prix en y incorporant les augmentations possibles de prix et à condition que le sel provienne de la grande saunerie de Salins. Il admet par ailleurs la liberté de fixer le prix pour toutes les autres catégories de sels : sel extraordinaire vendu aux communautés en plus de leur allocation normale, sel vendu à l'extérieur du Comté, sel destiné aux cantons suisses et stipule que l'adjudicataire peut vendre tous les autres sels « à tel prix qui lui semble bon ».
64Le cadre général fixé par le premier bail est donc clair ; pour le sel ordinaire, livré en quantités déterminées aux communautés de la province, il s'agit d'un régime de prix fixé par voie d'autorité. Par contre, pour les autres catégories de sel, la liberté de fixer les prix est reconnue à l'adjudicataire. Compte tenu de l'augmentation importante du prix global du nouveau bail, l'adjudicataire est autorisé à augmenter les quantités de sel produites. Le bail précise que toute vente de sel devra obtenir préalablement son consentement.
65Les conditions d'exploitation des salines, en particulier de la grande saunerie sont ensuite fixées. Le fermier est autorisé à utiliser les installations. Il bénéficiera de l'exclusivité de l'exploitation des bois affectés aux salines, celle-ci étant soumise au contrôle du juge visiteur qui a du reste la qualité pour superviser l'activité des salines : menues réparations des ouvrages, traites et transactions concernant le sel.
66Enfin, le bail rappelle les conditions et les institutions par lesquelles le roi entend maintenir son autorité sur les salines. Le roi se garde « toute la souveraineté sur la justice des sauneries par les juges établis par lui et certains officiers : procureur, avocat et trésorier fiscal. Il se réserve également la nomination des titulaires d'offices tels que celui du maître des ouvrages de la grande saunerie », « lequel sera tenu de visiter les lieux de quatre mois en quatre mois ». Il en est de même pour les offices de « marqueur des bois » ; le juge, l'avocat et procureur fiscal ainsi que les autres agents du roi doivent être payés de leurs journées de vacation suivant une taxe fixée par le juge.
67Le bail de Saunier devait expirer en septembre 1680. Les textes le désignent bien comme fermier général, de même que son successeur, Claude Boutet, dont le bail devait être de très courte durée.
68Certaines sources conduisent à penser qu'il n'a pas été le personnage mythique qu'on décrit habituellement lorsque l'on évoque le rôle de l'adjudicataire général, car il est certain qu'il a continué à exercer des fonctions au sein des salines bien après la date d'expiration de son bail et de celui de Boutet.
69L'intendant Claude de La Fond, dans une lettre datée du 19 décembre 1688, soit plus de huit ans après la fin de son bail, propose sa reconduction dans les fonctions de « directeur des salines » dont il indique qu'il les a exercées pendant cinq ans. Saunier lui a écrit pour lui demander sa protection contre ses associés qui veulent l'expulser de la ferme. L'intendant appuie son souhait en indiquant qu'il est « un bon et digne sujet ».
70De son coté Amelot, l'ambassadeur à Soleure tient à témoigner de la satisfaction des Suisses à son égard en soulignant qu'« il est ami de toutes les honnêtes gens de Suisse ». La réponse des fermiers indique qu'il importe, dans son cas, de distinguer la participation à la ferme de la direction des salines, mais que Saunier, non « intéressé » par celle-ci, peut en garder la direction. Il semble donc qu'une dissociation soit faite entre les fonctions comportant une responsabilité financière dans l'exploitation et éventuellement l'accès à ses bénéfices, et un rôle administratif strict.
Bibliographie
Sources
Adjudicataires des fermes royales 1674-1793
Nicolas Saunier 1674-1680 —Paix 27 200 000 / Guerre 42 5900 000
ADD : B. 605 (f.48v), 2090, 2091
AN : G1 6 ; G7 1175 ; Z-La891 ; E 7006 (f.2)
Claude Boutet (Faucielle) 1680-1681 — 57 570 000
ADD : B 585 (f.150v), 2091
AN : G7 276 (f. 37), 232 ; MC xiv 235-19.9
Jean Fauconnet (Faucielle) 1681-1687 — 56 670 000
ADD : B 585 (f. 255,256v), 2148.
AN : G7 11426 ; E 533 (f. 41).
Pierre Domergue (De Henry) 1687-1691 — 36 000 000
ADD : B 585 (f.319v), 2106, 2148.
AN : G7 277 (f. 128), 276 (f. 49), 1142.
BMB : imprimés no 57757
BN : Ms fr. 7725 (f.2).
Pierre Pointeau (Le Mot) 1691-1697) — 61 000 000
ADD ; B 585 (f. 326). 2148.
AN :G1 142
BN : Ms fr. 7725 (f. 7).
Thomas Templier (Jacques Mollard) 1697-1703 — P. 55 000 000 — G. 52 000 000
ADD : B 606 (f. 61), 2094.
AN : E 662 ;G7 279 (f. 331), 1142
BN : Ms fr. 7584 (f. 126) ; 7725 (f. 10) ; 7799 (f. 84)
Charles Ferreau (Gabelle de F.-C. distraite du bail Dusauçoy) 1703-1709 — 3 ans prorogé — 41 700 000
ADD : B 586, 607 (f.295v).
AN : E.796a (f. 122) ; G7 750 (f. 72, 18.11.1704), 1142 (f. 12), 1153.
BN : Ms fr. 7684 (f. 73).
Charles Ysambert (Nicolas Chambon) 1708-1714 — 3 ans prorogé — 37 066 000
AN : E 796 (f. 122) ; G7 1498 ; MC cxiii, 3.5.1710.
François de Nerville (subrogé Ysambert) 1714-1715 — 4 2000 000
AN : AF 27 ; E 874, 876 ; F46 ;G7 1142, 1176.
Paul Manis (Gouget), 1715-1718 — Paix 49 500 000 / Guerre 4 850 000
AN : E 879 (f. 36), 882 (f. 69) ;G7 1142, 1169.
Aymard Lambert (Michel Parent) 1718-1719 — 48 500 000
AN : E 9146 (f. 5), 937a (f. 256).
Arnaud Pillavoine, 1719-1720
AMB : HH 20.
BN : Ms. fr. 7717.
Charles Cordier, 1721-1726 — Régie
ADD : 1 C 1328
ADJ : A 53.
AN :G7 1142
BN : Ms fr. 7717.
Grillau (Salines Gabelles, Trois-Evêchés, Franche-Comté) 1724-1726 — 1 500 000 — bail résilié
ADJ : A 53 ; B 605 (f.53v).
AN : T 139-21.
BN : Ms fr. 7728, f.3v ; Ms fr. na 21175.
Louis Bourgeois 1726-10 et 17.9.1726
ADD : B 1230.
AN : G1 6.
BN : Ms fr. 7728 (f. 14), 11141
Pierre Carlier, 1726-1732 — 80 000 000
ADD : B 605 (f. 56v) ; 1 C 1521
ADJ : A 53
BMB : imprimé no 57-758
Recueil des édits..., t. V, p. 521
Nicolas Desboves, 1732-1738 — 84 000 000
ADD : B 2025 (f. 118) ; 1 C 1327
ADJ : A 54
Jacques Forceville, 1738-1744 — 80 000 000 — 91 830 000 (+ tabac)
ADD : B 2025 (f. 123).
BN : Ms fr. 7728 (f. 105, 183).
ADJ : A 56).
Thibault La Rue, 1744-1750 — Paix 92 000 000 / Guerre 91 153 000
ADD : B 2025 (f. 124-138) ; C (a.c) 1825.
BN : Ms fr. 7729.
Jean Girardin (Jean-Baptiste Bocquillon) 1750-1756 — 101 149 500
ADD : B. 2025 (f. 139v, 150)
Pierre Henriet, 1756-1762 — 110 000 000
ADD : B. 2025 (f. 150v, 155-161)
ADJ : A 101
BN : Ms fr. 7729
Jean-Jacques Prévost, 1762-1768 — 124 000 000
ADD : B. 2025, f. 162, 182
AN : G1 12
BN : ms fr. na 20093
Julien Alaterre, 1768-1774 — 132 000 000 — 128 666 667 — Régie
ADD : B 594 (f. 38), 2025 (f. 184, 216).
AN : G1 12,92.
BN : Ms fr. 7729 (f. 209).
Laurent David (Jean Roux Mondar) 1774-1782 —135 000 000
ADD : C (a.c) 1825 (f. 25).
AN : G1 93
BN : Ms fr. 7729 (f. 176-185v)
Nicolas Salzard, 1781-1786—15 3410 000
ADD : C (a.c.) 1825 (f. 77-85).
ADJ : A 140, 147.
AN : G1 6 ; G7 99.
BN : Ms fr. 7729, 11162 (f. 85).
Jean-Baptiste Mager 1786 — 115 560 000
ADD : C 1825 (anc. cote) ; F. 94, f. 109v
AN : G1 95
Régie générale (Jean-François Kalendrin) 1.1.1787-31.12.1792 — 6 8640 000
ADD : C (a.c.) 1825 (f. 122).
ADJ : A 152, 165
AN : G1 6 ; G2 ; G42 ; G 132
BN : Ms fr. 7729 (f. 209 1.4.1780)
Administration des domaines Jean-Vincent René
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Michelet, à la recherche de l’identité de la France
De la fusion nationale au conflit des traditions
Aurélien Aramini
2013
Fantastique et événement
Étude comparée des œuvres de Jules Verne et Howard P. Lovercraft
Florent Montaclair
1997
L’inspiration scripturaire dans le théâtre et la poésie de Paul Claudel
Les œuvres de la maturité
Jacques Houriez
1998