Chapitre 1. Les Receveurs généraux des finances et leur place dans l’organisation financière
p. 21-31
Texte intégral
1Lors du rattachement au royaume, l'institution des receveurs généraux des finances avait déjà une longue histoire. Très tôt, il était apparu que les recettes effectuées dans l'ensemble du royaume par les receveurs des deniers royaux, nécessairement dispersés sur le territoire, devaient être réunies dans le cadre de chaque généralité, entre les mains de responsables de leur versement au Trésor royal.
Les origines de l'institution
2C'est à cette fin que par une ordonnance du 28 décembre 1355, le roi Jean le Bon avait créé cette fonction. La nécessité de pourvoir aux besoins de la guerre contre Charles le Mauvais et les Anglais l'avait conduit à accepter une réunion des Etats généraux qui, sous l'influence d'Etienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, avaient subordonné leur concours financier à une remise en ordre des finances excluant les manipulations monétaires et garantissant un fonctionnement du pouvoir royal plus ouvert aux vœux des sujets.
3L'ordonnance du 28 décembre 1355 établissait une distinction entre l’instance constituée par neuf receveurs généraux des finances dotés d'attributions juridictionnelles pour l'établissement des impôts et deux receveurs généraux comptables, eux seuls qualifiés pour manier les fonds, une annonce de la séparation de l'assiette et du recouvrement apparaissant déjà.
4Il faudra attendre presqu'un siècle pour que, sous Charles VII, une autre ordonnance, de Saumur, du 26 septembre 1443, insère les fonctions des receveurs généraux dans un texte fixant le cadre général des finances royales, suivant une distinction entre les finances ordinaires et les finances extraordinaires. A l’origine, les finances ordinaires sont constituées par le produit du domaine. Les finances extraordinaires sont fournies par le produit de la taille et des autres impositions et sont payables aux trésoriers de France, aux receveurs généraux des finances selon que l'on se trouve en pays d'Etats ou en pays d'élection. Les impôts sont alors recouvrés par trois trésoriers de France et trois receveurs généraux des finances.
5Cette distinction entre finances ordinaires et finances extraordinaires persistera jusqu'à la Révolution, mais son contenu changera avec l'évolution de la portée pratique donnée au sens des mots ; ce qui est ordinaire est durable et permanent, et l'extraordinaire, circonstanciel et provisoire, avec cette tendance, historique en matière fiscale, que l'extraordinaire devient ordinaire et permanent, ou tout au moins durable. Ce sera le cas des principaux impôts, la taille, la capitation, le dixième, pendant que l'extraordinaire, tout en conservant sa dénomination prendra davantage d’importance en fonction des besoins de l'Etat, en particulier de ceux provoqués par les guerres.
6Près d'un siècle plus tard en 1522, François Ier, par l’édit de Cognac, nomme pour le royaume seize receveurs généraux chargés d'encaisser tant le produit du domaine royal que celui des impositions ou autres ressources extraordinaires. En août 1553, Henri IV double l'effectif des receveurs généraux en juxtaposant des receveurs alternatifs aux receveurs généraux anciens, avec les mêmes gages. En janvier 1576, une déclaration royale leur accorde les mêmes privilèges qu'aux trésoriers de France, privilèges attachés aux membres des bureaux des finances : gages, franc sale, avantages d'ailleurs non attributifs de quartiers de noblesse. Henri IV créera des receveurs généraux triennaux et quadriennaux aux mêmes gages que les receveurs anciens et alternatifs. Ultérieurement, des édits ou des déclarations, en 1594, 1620, 1631 et 1662, préciseront leurs rémunérations. Après le rattachement de la Franche-Comté à la France, on comptera pour l'ensemble du royaume vingt-quatre recettes générales pour vingt généralités auxquelles s'ajouteront la Flandre, la Lorraine, Metz et l'Alsace, et la Franche-Comté.
7La province prend donc place dans une structure générale très organisée dont elle suivra l'évolution jusqu’à la loi du 24 novembre 1790 supprimant les offices de receveurs généraux, de trésoriers généraux et de receveurs particuliers.
8Les receveurs généraux ont constitué la clé de voûte du système financier de l'ancien régime pour la collecte des ressources provenant des impôts, la mise à disposition du trésor royal des fonds nécessaires au paiement d'une très forte partie des dépenses.
9Avant d'évoquer les hommes qui seront investis de cette charge en Franche-Comté, il paraît nécessaire de retracer le cadre dans lequel ils ont exercé leurs fonctions tant dans leur concours au fonctionnement du Trésor que dans leur statut personnel et le système de leur rémunération.
La création de la « caisse Legendre »
10En 1709, sous la pression des besoins de la guerre et du délabrement des finances royales, Nicolas Desmarets avait créé une caisse regroupant en une sorte de syndicat douze receveurs généraux, désignée par le nom de son caissier, Legendre, dont la mission devait consister à centraliser les recettes et à pourvoir aux dépenses dont l'accroissement dépassait les moyens habituels du Trésor.
11La création de cette caisse répondait à la nécessité de charger un organisme apte à servir de relais entre les receveurs généraux auxquels incombait le recouvrement des impôts, mais également servir de relais pour négocier avec les banquiers ou autres gros détenteurs de fonds, les emprunts indispensables pour couvrir les dépenses. L'organisation du Trésor était confiée aux « gardes du Trésor royal » qui encaissaient les versements des receveurs généraux mais qui, pris individuellement, n'étaient pas en état d'assumer une telle mission.
12En effet, la situation était caractérisée par l'énorme décalage entre les recettes provenant des impôts ainsi que des divers expédients utilisés pour les accroître, et les dépenses ; le déséquilibre étant d'ailleurs aggravé par l'existence de délais peu compressibles en raison des distances et des risques du transport entre la collecte locale des fonds et le Trésor royal. D'autre part en 1701 et 1710 années de grande disette le produit des fermes avait considérablement diminué.
13Entre janvier 1710 et avril 1715, Desmarets indique qu'il manquait tous les ans 144 023 077 1. entre les dépenses et les diverses recettes : impôts, fermes royales, domaines, etc. La caisse devait agir dans une période où, comme il l'indique, l'argent était « très resserré ».
14Pour assurer son fonctionnement et étayer son crédit, la caisse avait été dotée de ressources extraordinaires que les receveurs généraux avaient accepté de recueillir sans autre frais que ceux de leurs bureaux à Paris et en province. Ils étaient également habilités à endosser les billets remis à différentes échéances qu'ils négociaient à 5 % d'intérêts.
15Dans ces conditions, la caisse avait permis de réaliser à moindre frais un certain nombre de recettes telles que :
- le rachat des droits de prêts, droits annuels, droits de survivance,
- la taxation et les « augmentations de gages » des officiers comptables,
- l'aliénation du contrôle des actes des notaires,
- la capitation du clergé,
- mais surtout le recouvrement des « biens fonds ».
16Dans un mémoire écrit après son éviction par la Régence en 1715 Desmarets estimait que « la création de la caisse avait fait comprendre aux ennemis du royaume qu'il était préférable d'envisager la paix ».
17Ces ressources extraordinaires devaient s'élever à 68 millions de livres. Mais il n'en reste pas moins qu'en dépit de toutes ces mesures le montant de la dette lorsque Desmarets a quitté ses fonctions au contrôle général demeurait considérable. Tous ses efforts le conduisaient à demander à la fin de ce mémoire dont la tonalité est mélancolique qu'il lui soit rendu « la justice qui est due à celui que le roi avait choisi pour un si pesant fardeau, pour une tâche si difficile à réussir ».
La chambre de justice de 1716 : un satisfecit pour les receveurs généraux
18Sous le règne de Louis XIV les dépenses de la guerre avaient fait la part belle au monde de la finance. Il fallait en outre trouver les moyens de résorber le déficit. Indépendamment d'autres mesures, le Régent et son Conseil décidèrent d'entreprendre une enquête sur les bénéfices réalisés pour faire rendre gorge à ceux qui en avaient un peu trop profité. Il était apparu nécessaire, en effet, de « purger » la France de deux sortes de gens nouveaux qui formaient un corps étranger dans l'Etat et qui en altéraient toutes les parties : les traitants et les usuriers dont « les biens mal acquis devaient être employés à la libération des dépenses du roi ».
19C'est pour accomplir cette mission qu'une Chambre de justice était constituée en mars 1716, présidée par le Chancelier, et parmi ses membres ou rapporteurs, certains s'illustreront au cours du siècle : les Lamoignon, Ormesson, Machault d'Arnouville.
20Les receveurs généraux, incontestablement partie intégrante du monde financier, ne pouvaient pas échapper aux investigations de cette instance ; finalement en ce qui concerne les conclusions de la Chambre leur seront favorables ; ils ne se confondent pas avec le petit monde du publicanisme.
21En mars 1717, une déclaration du roi leur accordera une sorte de satisfecit en tant que corps de l'Etat. Elle indique
« que l'examen fait à la Chambre de justice a conduit à reconnaître que les receveurs généraux des finances n'ont été attachés qu'à leur recette et qu'ils ont, non seulement rempli leurs fonctions avec honneur, suivi leur recouvrement avec exactitude et payé régulièrement les sommes qu’ils étaient obligés de remettre au Trésor royal ainsi qu'il a été vérifié par les comptes qu'ils ont rendus, mais encore qu'ils avaient fourni des services si considérables dans ces temps les plus difficiles de sorte qu'il était juste de les traiter avec distinction pour que S.M. ordonne que les receveurs généraux seront et demeureront exempts de toute taxe et recherche de toute Chambre de justice sans pouvoir y être assujettis sous quelque prétexte que ce soit ».
22On verra dans le cas des Durey que ce satisfecit général n'a pas eu pour conséquence de les dispenser des taxes, prononcées d'ailleurs à titre posthume par la Chambre de justice, de même que la quasi-totalité des receveurs particuliers, comptables des salines ou autres intéressés comtois.
L'expérience de Law et l'effacement éphémère des receveurs généraux
23Le jugement final de la Chambre de justice ne devait pas dispenser les receveurs généraux, ni d'ailleurs les receveurs particuliers de l'épreuve que fut pour eux l’expérience de Law. Celle-ci, de courte durée (1719-1721), a été dévastatrice pour l'organisation des comptables des deniers royaux et le recouvrement des impositions. Il ne peut être ici question de retracer les péripéties de cette période et l'inspiration générale dont elle procédait, mais seulement de rappeler l'impact qu'elle a eu sur ces derniers. Par un arrêt du Conseil du 12 octobre 1719, la fonction des receveurs généraux était supprimée et le remboursement de leurs offices prévu. Leur rôle dans le financement général de l'Etat était dévolu à la Compagnie des Indes. Un autre arrêt le 21 décembre suivant faisait remise des impôts et non payés, antérieurs à l'année 1710.
24Enfin un arrêt du Conseil organise le recouvrement pour l'année en cours et prévoit qu'à compter de 1720 les receveurs des tailles verseront directement leurs recettes au Trésor royal, déduction faite des sommes assignées sur leur caisse par les « états du roi », et qu’il leur sera délivré des quittances comptables pour leur décharge. Ils devront rendre compte des impositions levées au Conseil du roi et aux Chambres des comptes.
25Ce dessaisissement des receveurs généraux aura un effet catastrophique pour le recouvrement ; les contribuables préféreront prendre le risque des poursuites plutôt que de payer les impôts. Finalement les receveurs généraux sont le 5 janvier 1721 rétablis dans leurs fonctions et des lettres patentes du 12 octobre 1722 décident qu'ils reprendront leurs recouvrements rétroactivement à compter du 12 octobre 1719, date symbolique de leur suspension.
26Un demi-siècle après, Necker se heurtera au même échec dans sa tentative plus circonspecte de réduire le nombre de receveurs généraux.
Suppression et résurgences de la caisse commune
27La suppression de la caisse Legendre n'a apparemment pas fait l'objet d'explications circonstanciées. Il est cependant possible de tirer de la situation financière elle-même des raisons plausibles à la mesure prise.
28En 1716, la paix revenue supprimait la cause essentielle de l'augmentation des dépenses. Il restait cependant à apurer le montant des dettes et à restaurer le crédit du Trésor ; et il fallait trouver un mécanisme qui permette d'assurer de façon régulière le paiement des dépenses, d'accroître les moyens de financement.
29C'est à cette fin qu’une déclaration du 10juin 1716 avait établi pour l'avenir une Caisse commune et générale groupant tous les receveurs généraux siégeant à Paris et à laquelle seraient portés directement tous les deniers provenant des impositions, ainsi que les restes à recouvrer des années antérieures.
30La caisse devait être dirigée et administrée par des receveurs généraux choisis et nommés par le roi, lesquels seraient solidairement responsables des deniers remis à la Caisse et recevraient les ordres du Conseil des finances pour la distribution et le paiement des fonds, conformément à l'affectation arrêtée.
31La caisse eut un rôle très actif dans la reprise en main des affaires qui a suivi l'éviction de Law. Dès le 13janvier 1721, les receveurs généraux se regroupaient volontairement pour les opérations de la caisse et s'engageaient à lui faire porter de mois en mois les fonds qui leur seraient adressés par leurs commis sur le produit des impositions de 1719, 1720 et 1721. Ils s'engageaient également à verser pendant les douze mois de l'année 1721, mensuellement, trois millions de livres, représentant une sorte d'acompte sur la première partie des impositions de cette année. Une organisation était d'autre part établie à Paris pour assurer quotidiennement la correspondance avec les recettes générales et une représentation régulière auprès du ministre pour suivre le déroulement de la remise en ordre.
32Pour des raisons qui nécessiteraient une étude approfondie et qui tiennent sans doute aux difficultés rencontrées par les receveurs des tailles à la suite de l'arrêt du recouvrement des impôts des années antérieures à 1719 et à celles des receveurs généraux pour présenter les soumissions des années 1721, 1723, dont le ministre avait exigé qu'elles fussent portées à soixante millions au total, puis à quatre-vingt millions, une déclaration décidait le 1er juillet 1726 la suppression de la caisse commune, ainsi que des fonctions des inspecteurs et des contrôleurs ambulants attachés au fonctionnement du système.
33Mais la nécessité d'une caisse assumant le même rôle s'imposa de nouveau très vite en raison de la difficulté, en l'absence d'un tel organisme, d'assurer la coordination des apports de fonds des receveurs généraux des finances. La caisse fut rétablie à compter de 1731, et maintenue sous la direction de Geoffroy qui, d'ailleurs, était resté en place en dépit des avatars de la caisse.
La consolidation de la fonction
34La période qui suit l'épisode de Law est marquée par un net retour en grâce des receveurs généraux des finances sur lesquels reposera désormais le rétablissement d'un minimum d'ordre, aidés en cela par des financiers de grande envergure comme Samuel Bernard et Antoine Crozat, lesquels avaient l'expérience des recettes générales, le dernier en raison des fonctions qu'il avait exercées à Bordeaux.
35Entre 1720 et 1730, les contrôleurs généraux des finances se succéderont : Le Pelletier de La Houssaye (1720-1722) ; Dodun, appelé au Contrôle général en mars 1722, charge qu'il conservera jusqu'au 14 juin 1726 et dans laquelle lui succédera Le Pelletier des Forts, enfin Orry à partir de 1730, sont issus du milieu des charges de finance avec une formation acquise dans l’exercice de fonctions d'Etat. Ce sont plus des experts, des techniciens que des politiques. D'ailleurs, ils ne siégeaient pas au Conseil royal.
36Sous leur direction, un système d'administration des finances s'élaborera peu à peu s'efforçant de remédier à une situation financière et à une administration très dégradées, marquées par l'importance de l'endettement et des restes à recouvrer sur les impositions des années antérieures. La remise en ordre sera longue et dominée par la préoccupation de faire rentrer l'argent tout en réduisant au strict minimum les frais de transfert et de transport des fonds, avec les risques que ces derniers comportaient à l'époque en raison de leur durée et de l'insécurité.
37On ne se proposera pas ici de retracer en détail les mesures prises par la succession de ces contrôleurs généraux, mais de décrire les grandes articulations du système qui s’en dégagera. Dans l'administration des finances, les modifications sont fréquentes, mais il est rare qu'elles affectent la distribution générale des rôles des divers agents.
38A partir de l'année 1730, sous la direction d'Orry, l'organisation financière sera dotée d'une structure stable dont on peut rendre compte en décrivant les rapports entre les divers agents appelés à manier les deniers royaux, c'est-à-dire les rapports hiérarchisés entre les receveurs généraux et les receveurs particuliers, ainsi que ceux des receveurs généraux avec le Trésor royal, et leur propre organisation au sein de la caisse commune. Cette dernière peut-être considérée comme formant l’armature durable de l'Ancien Régime dans le domaine financier, en ayant présent à l'esprit qu'elle est le produit d'une évolution faite d'apports successifs et de leurs corrections et qu'elle se juxtapose à celle de la Ferme générale.
Receveurs généraux et receveurs particuliers
39Des mesures prises entre 1720 et les années suivantes on peut indiquer que la transmission des fonds était organisée de la façon suivante : les receveurs devaient les adresser tous les mois, déduction faite de leurs propres émoluments et des charges particulières affectées sur leurs recettes.
40Pour conserver dans les provinces autant qu'il était possible les fonds provenant des impôts et pour maintenir à un niveau suffisant la circulation de numéraire, les commis des recettes générales ne devaient « faire » aucune voiture à Paris sauf sur le seul ordre du receveur général et, pour ce dernier, d'après les instructions du ministre.
41Les receveurs généraux devaient remettre sans aucun « divertissement » à leur caisse générale tous les deniers et lettres de change qu'ils recevaient tant de leurs commis que des receveurs particuliers, ainsi que les fonds correspondant aux « rescriptions » qu'ils pouvaient tirer en province. En précisant ces instructions, Orry soulignait l’importance extrême qu'il attachait à cette obligation. Ces dispositions furent lentes à produire leurs effets.
42Mais une mesure d'ordre technique, un procédé de financement ne pouvaient remédier à une crise aussi profonde que celle qui a été évoquée. Sous ces différents aspects, l'évolution de la fonction des comptables de deniers royaux sera surtout marquée, tout en conservant la permanence d'une structure fondamentale pour le fonctionnement de l'Etat, par ces crises financières.
43Jusqu’à la fin du xviie siècle, la monarchie a vécu d'expédients multiples mais éphémères, tels que la création d'offices, les augmentations de gages, les impôts à titre temporaire, sans pour autant modifier les principes généraux définis par Colbert, notamment par l'ordonnance de 1669.
44Avec la présence de Nicolas Desmarets au Contrôle général des finances, le besoin de rouages nouveaux apparaît dans l'émergence d'organismes mieux adaptés. L’institution des receveurs généraux devra traverser les expériences représentées successivement par la création de la caisse Legendre, de la Chambre de justice de 1716, de la Compagnie des Indes, la tentative de Law et la remise en ordre avec la création de la caisse commune et les réformes du contrôleur général Orry, à partir de 1730.
45Le corps des receveurs généraux des finances aura alors acquis une structure stable. Leur mission revêtira deux aspects : la collecte des impôts dans leur généralité respective, le financement des besoins généraux de l'Etat à Paris. Pour assurer cette mission, ils sont d'abord chargés de la surveillance des receveurs particuliers présents dans chaque bailliage, y compris au moyen de la contrainte par corps ou de sa menace, comme nous aurons à le voir dans les épreuves de certains receveurs comtois ; ils exercent les droits du roi sur les biens mobiliers et sur les immeubles, ils encaissent les fonds réunis par les receveurs particuliers dont le recouvrement est assuré par les collecteurs au sein des paroisses et des communautés. Ils acquittent seuls toutes les charges et dépenses prévues dans leurs soumissions, et dans les états du roi.
46Mais contrairement aux receveurs particuliers installés dans leurs bailliages respectifs, ils ont leurs bureaux à Paris et une représentation permanente en province dans la ville siège de l'intendant où ils sont représentés par un commis nanti de leur procuration et qui, de ce fait, est pratiquement l'interlocuteur habituel de l'intendant, de ses bureaux, de ses subdélégués et des receveurs particuliers.
47Ils sont reçus à la Chambre des comptes où ils fournissent une caution, sauf dispense, pour la sûreté des fonds servant aux paiements des parties prenantes, c'est-à-dire des institutions ou des personnes ayant des titres à recevoir les fonds prévus par les états du roi. Ils sont obligés également de se faire recevoir au bureau des finances dans les généralités où celui-ci existe et ne peuvent être déchargés de leurs opérations qu'après reddition de leurs comptes, rendus à la Chambre des comptes ; celle-ci statue en définitive par voie d'arrêts, mais après seulement que l'arrêté final des opérations d'une année ait été approuvé par le Conseil du roi : « L'état au vrai ». A défaut de l'observance de cette procédure, le plus souvent fort longue, les receveurs généraux ne peuvent être déchargés du maniement des deniers provenant des diverses impositions qu'autant que leurs comptes aient été entièrement corrigés, jugés et déclarés quittes par les Chambres des comptes. On verra, comme le montre l'exemple de la Franche-Comté, que ces procédures peuvent prendre beaucoup de temps. Il faut d'ailleurs avoir présent à l'esprit que le fondement de ces différentes opérations consiste en ce que les deniers maniés étant ceux du roi, aucun fonds de cette nature ne doit rester entre les mains des collecteurs, des receveurs particuliers et des receveurs généraux.
48Si leur rôle consistant à collecter les fonds provenant des impositions est essentiel, celui qui réside dans leur concours au financement des besoins de l’Etat est non moins important car par l'intermédiaire de la caisse commune, ils remédient à l'absence d'un véritable Trésor procédant lui-même à l'appel des fonds, nécessaires pour assurer le paiement courant des dépenses.
Les « soumissions » et les « avances »
49Pour pourvoir aux besoins de l'État, les receveurs généraux sont appelés à présenter des « soumissions » prenant la forme de traités par lesquels ils s'engagent à apporter sous forme d'avances mensuelles le produit anticipé des impôts et ceci indépendamment de la rentrée effective de ces derniers. Un dispositif analogue est appliqué par les receveurs généraux aux receveurs particuliers.
50Le montant des « soumissions » est déterminé d’une part par les restes à recouvrer de l'année précédente, et, d’autre part, par le rendement attendu du recouvrement des impôts de l'année à laquelle s'applique la soumission.
51Cette dernière est fixée après l’établissement des « brevets », c'est-à-dire des montants attendus de « l'impôt ordinaire » ou de la taille pour le premier brevet, et des impositions extraordinaires pour le second brevet. Ces dispositions sont établies pour l'ensemble du royaume et couvrent la totalité des généralités. On s'arrange pour que le montant total représente la somme des impositions à encaisser par les receveurs généraux, déduction faite des charges prévues, le solde représentant la part que le receveur général doit verser au Trésor royal, étant entendu qu'il ne doit jamais conserver des fonds libres correspondant à des deniers royaux. Les charges ne peuvent être payées qu'aux dates prévues par l'état du roi.
52Lorsque le ministre a approuvé ce dispositif général, la masse est subdivisée entre les quarante-huit receveurs généraux et la soumission de chacun d'eux est fixée, elle comprend le premier brevet soit : l'impôt ordinaire et la capitation et le second brevet pour les impositions extraordinaires. Ultérieurement la création de l'impôt du vingtième conduira à l'établissement d’un état supplémentaire suivant le même système.
53C'est sur cette somme assignée à chaque receveur général que celui-ci est appelé à verser tous les mois ou par trimestre sa quote-part à la caisse commune, il le fait par anticipation sans avoir au préalable encaissé les fonds provenant des impositions. Les versements sont effectués selon des termes fixés à l'avance. Le caissier de la caisse commune doit leur délivrer un récépissé.
54Pour assurer la régularité de ces versements, leur périodicité est précisée pour chaque recette générale. Ces délais, d'abord prévus à dix-huit mois, ont été modulés pour les différentes généralités soit :
- Metz, en douze mois à compter d'avril,
- Paris, Soissons, Amiens, Châlons, Rouen, Caen, Franche-Comté, à compter de janvier en vingt mois ;
- les autres généralités en 21 mois.
55Compte tenu des aléas que pouvaient comporter les transferts de fonds et l'encaissement des impositions, le règlement du total des impositions d'une année pouvait prendre vingt-quatre mois.
Gratifications et taxations
56En raison de son importance et de ses risques, la fonction des receveurs généraux ne pouvait être gratuite et ceci d'autant plus que leurs gages, c'est-à-dire leur rémunération fixe, étaient modestes et hors de proportion avec la responsabilité financière qu'ils devaient d’ailleurs couvrir par la constitution d'une caution jusqu'à ce que l'édit de mai 1707 les en dispense.
57Par analogie aux Trésoriers de France, un édit de septembre 1594 leur avait accordé deux deniers par livre du montant des impositions qu'ils recouvraient. Cette forme de rémunération proportionnelle augmentera avec le temps et avec le volume et la diversité des impôts.
58En 1620, une déclaration du roi leur avait accordé trois deniers par livre supplémentaire et, en 1662, neuf deniers par livre de remise pour couvrir les intérêts de leurs avances et les frais des « voitures d'argent ».
59En 1691, 1693, 1695, diverses modalités de gratification ou de taxation ont été appliquées, mais c'est par un édit de janvier 1710 que le système prendra sa forme définitive avec onze deniers par livre d'impôts recouvrés, répartis à raison de six deniers pour les receveurs généraux et cinq deniers pour les receveurs des tailles ou particuliers. L'édit maintenait en outre les dédommagements accordés au titre du recouvrement de la capitation, de l'ustensile pendant les guerres et des impositions extraordinaires.
60Pour les receveurs généraux, les gratifications sont les suivantes ; six deniers par livre pour le premier brevet, quatre deniers pour le second, cinq deniers pour la capitation et par la suite, quatre deniers pour les vingtièmes après la création de ces derniers.
61Ces taxations ou gratifications avaient été confirmées par un édit de février 1718. Auparavant, elles avaient été déclarées exemptes de toute recherche par la Chambre de justice ce qui, de la part de cette dernière, représentait une reconnaissance de leur bien-fondé.
62Comme tout mode de rémunération, elles prêtaient à discussion, mais le système subsistera jusqu'à la Révolution et, sous d'autres modalités, lui survivra. On lui reconnaissait le mérite d'avoir réduit le nombre de poursuites par la voie de contrainte exercées par les receveurs particuliers à l'encontre des contribuables. Sa raison d'être était également expliquée par la nécessité pour les receveurs généraux de faire des avances au Trésor : il convenait de les indemniser des intérêts correspondant à la disposition des fonds nécessaires aux avances et sans quoi ils se trouveraient dans l'incapacité d'exécuter les traités et de faire face à leurs soumissions.
63La perspective d'une récompense pécuniaire était stimulante pour les receveurs particuliers pour lesquels elle constituait une incitation à « presser » leur recouvrement. Elle rendait les receveurs industrieux, attentifs à ménager les contribuables pour les inciter à payer, à « s'abonner » avec les collecteurs, à saisir les instants favorables des récoltes, des marchés, ventes de denrées ou autres, pour avancer leur recouvrement et à diminuer pour les sujets des frais qui leur seraient aussi à charge que les impositions mêmes.
64Un mémoire terminait la justification du procédé par cette envolée « il est au contraire de la plus grande importance de conserver les choses sur le pied où elles sont et regarder comme un miracle perpétuel le recouvrement annuel de 140 millions de livres, en sols ou en liards sur un peuple immense dont le plus grand nombre a à peine de quoi satisfaire les besoins de première nécessité ». Comme exemple de cynisme il paraît difficile de faire mieux.
Les tentatives de réforme de Turgot et Necker
65Cette organisation devait être maintenue jusqu'aux réformes de Turgot et Necker entre 1775 et 1782 qui étaient inspirés certes d’une volonté de remédier aux vices de fonctionnement du système mais sans oser remettre en cause le principe de la vénalité des offices.
66Le 8 mai 1772, une déclaration du roi supprimait la « comptabilité » des receveurs particuliers en les dispensant de rendre compte aux Chambres des comptes, la reddition des comptes devant ces juridictions n’incombant plus qu'aux receveurs généraux des finances. En août 1775, il est mis fin à la dualité ou à la pluralité des offices receveurs des tailles ou des impositions, à la suite de quoi il ne devait plus subsister, en principe, qu'un seul receveur par élection. Cette mesure n'a pas été appliquée en ce qui concerne les receveurs particuliers de Franche-Comté. Par contre un édit de janvier 1782 porte création d'un nouveau cadre de receveurs particuliers à raison d'un seul comptable par bailliage. Cet édit se réfère à un autre édit d'octobre 1781 qui a créé deux offices de receveurs généraux pour chacune des généralités où ils avaient été anciennement établis, ce qui pour la Franche-Comté correspondait au maintien de la situation existante.
67Cette décision n'a pas été expliquée, elle peut correspondre soit au souci de ne pas avoir à procéder au remboursement des offices supprimés, soit à la difficulté pour un seul comptable de répondre sur ses biens d'un montant d'impositions considérablement accru.
68Ces receveurs généraux devaient être garants et responsables envers le roi des deniers dont le recouvrement est confié aux receveurs particuliers. L'édit se propose de fixer définitivement l'état, la finance, les attributions des offices de ces receveurs et de subordonner l'octroi des provisions aux prochains titulaires à l'accord préalable les receveurs généraux. L'édit supprimait tous les receveurs des tailles et les receveurs des impositions existants dans les généralités dans lesquelles des receveurs généraux avaient été établis — ce qui était le cas pour la Franche-Comté, rappelons-le — il créait et établissait en titre « d'offices formés et héréditaires deux offices de receveurs particuliers » dans chaque élection, bailliage et bureaux des dites généralités. On revenait donc au système qui avait prévalu depuis la suppression des receveurs particuliers triennaux en 1719.
69La suppression puis la création des nouveaux offices ne devaient prendre effet qu’à compter du 1er janvier 1783, les titulaires des offices supprimés continuant d'ailleurs à exercer leurs fonctions. La finance de ces offices était fixée et liquidée conformément à un rôle établi par le Conseil du roi en exécution de l'édit de février 1781. Les nouveaux offices de receveurs particuliers étaient chargés d'effectuer la recette de toutes les sommes imposées sur les paroisses de leur département recouvrées antérieurement par les receveurs des tailles et des impositions. Il s'agissait de la réunion, entre les mains d'un même comptable, du recouvrement de la totalité des ressources provenant de l'impôt assuré antérieurement par des receveurs spéciaux affectés à divers corps de la société : noblesse, cours supérieures, universités. Les prix des offices nouvellement créés n'étaient plus susceptibles d'être modifiés au gré d'arrangements particuliers et il était interdit de les vendre, au-delà du prix fixé par l'édit, sous peine de nullité. Les prêts accordés pour l'achat des offices donnaient lieu à une inscription d'hypothèque au profit du prêteur et d'un privilège spécial sur les biens du comptable. Les gages alloués aux nouveaux receveurs devaient correspondre à l'intérêt appliqué au montant de leurs finances sur lesquelles serait retenu — exemple de prélèvement à la source — le montant de la « capitation et du 1/10e d'amortissement ». En contrepartie de quoi, ils étaient exemptés de payer séparément le centième denier et le 1/10e d'amortissement, taxes traditionnelles affectant les offices.
70En outre les comptables avaient vocation à recevoir des taxations de trois deniers par livre appliquées au montant du brevet général et de deux décimes sur le montant du vingtième. Ils étaient autorisés d'autre part à retenir le montant de leurs gages et des taxations sur le produit de ces divers impôts. Ces réformes n'ont pas provoqué de grands bouleversements dans la situation des receveurs généraux et particuliers en Franche-Comté.
71Leur nombre restera le même et le système de l’alternance des années paires et impaires subsistera jusqu'à la suppression de l'institution. Les réformes de Turgot et de Necker étaient limitées et même lorsqu'elles correspondaient à quelque désir d'innovation elles se heurtaient aux réalités qui exigeaient la présence de receveurs proches des contribuables pour assurer la rentrée des impôts. Elles représentaient un essai de clarification du régime des offices dont la finance pour les deux receveurs généraux de Franche-Comté était fixée à 440 000 livres et les gages à 39 600 livres, tant pour les années paires que pour les années impaires.
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