Introduction
p. 11-18
Texte intégral
1La tentation pour les historiens des finances qui analysent et apprécient les pratiques de l'Ancien Régime est de s'inspirer du système d'administration des finances élaboré depuis la Monarchie de Juillet et qui, dans ses articulations générales, subsiste jusqu'à nos jours. Cette démarche n'a pas été retenue pour la description des institutions financières de la Franche-Comté telles qu'elles ont été mises en œuvre après son rattachement à la France. Les sources qui en retracent le fonctionnement sont suffisantes, même si elles comportent quelques lacunes, pour en donner une description, établie d'après des documents originaux, dont le rapprochement et la juxtaposition permettent de montrer la cohérence. Mais celle-ci n'est pas synonyme d'uniformité. Dans le système de l'Ancien Régime, la multiplicité des usages locaux fait que des règles applicables dans un territoire donné peuvent être sinon contredites du moins modifiées par d'autres règles ou d'autres pratiques constatées dans un autre territoire. Mais en dépit de cette situation, le régime appliqué à la Franche-Comté s'intègre au système général préexistant dans le reste du royaume sans toutefois qu'on puisse en conclure qu’il est pleinement représentatif de ce dernier. En outre la distinction établie habituellement entre pays d'Etats, pays d'élection et pour la Franche-Comté de « pays conquis » est peu significative faute d'éléments probants de comparaison.
2Les années qui ont précédé et suivi le rattachement de la Franche-Comté correspondent à une dégradation considérable de la situation financière du royaume. Colbert, après son accession au contrôle général des finances s'était attaché à rétablir un certain équilibre entre les recettes et les dépenses et avait permis, certaines années, d'obtenir un excédent. Mais en 1672-1674 la guerre de Hollande qui a permis la conquête de la Franche-Comté provoque une inversion de la situation financière qui dès 1676 conduisait à ce que les dépenses l'emportent sur les recettes. Cette évolution s'aggrave d'année en année pour atteindre un endettement fabuleux de 2 300 000 000 de livres à la mort de Louis XIV et ceci en dépit de tous les expédients utilisés pour créer des ressources : ventes d'offices, institution de nouveaux impôts, etc.
3Sur l'histoire de cette période dans son aspect financier un témoignage très précieux a été conservé dans le mémoire que lui a consacré Mallet, premier commis du contrôleur général des finances de Nicolas Desmarets dont il a été l'assistant très fidèle. C'est à ce dernier en effet qu'on attribue « un mémoire sur l'histoire des finances » dont les premiers mots laissent percer une tonalité critique à l'égard du système même. Il constate en effet « que les différents mémoires qui ont été présentés depuis 150 ans par rapport à l'administration des finances du royaume n'ont eu pour objet que l'augmentation des revenus du roi et que personne ne s'est donné la peine de travailler et de réfléchir au soulagement des peuples ».
4La description qu'il donne du système et des pratiques met en évidence ses défauts ;
« la taille est le plus ancien des impôts, alors qu'elle était faite par des gens choisis par le peuple, elle se lève sur les roturiers non privilégiés qui y sont assujettis en proportion de leurs biens ou de ceux qu'on leur croit, suivant la volonté des collecteurs de la taille ».
5Les intendants, mal informés, laissent une trop grande liberté à leurs subdélégués, les taillables peuvent être soumis aux vengeances des collecteurs, le recours à la contrainte est trop fréquent de même que les saisies et les enlèvements de bestiaux ; une protection injuste est accordée par les seigneurs à leurs fermiers. Monsieur de Vauban l'a expliqué parfaitement dans son livre sur la Dîme royale et « il est difficile de porter ses vues plus loin que le Maréchal sur les méfaits de la taille telle qu'elle est appliquée ».
6En fait, la réforme de la taille n’aboutira jamais et les critiques de Mallet resteront sans suite. Un siècle plus tard, après la suppression de cet impôt, Monthyon dans ses Particularités et observations sur les ministres des finances en donnera une explication : l’absence d’un cadastre. « Les véritables principes de la confection d’un cadastre n’étaient point saisis et les exemptions toujours dérivant du régime féodal étaient mal fondées et trop nombreuses. »
7Autre faiblesse du système : la vénalité des charges, elle a été un expédient de finance très onéreux à l’Etat et au peuple par les gages qui s’y attachaient. La création d'offices n’apporte que des secours passagers en laissant à la charge du Trésor le paiement des gages et en grevant les revenus ; les efforts de François Miron, président du Tiers Etat à Paris, pour faire supprimer la paulette et la vénalité des charges.
8Enfin l’usage des assignations est très pernicieux car il rend le comptable entièrement maître de son créancier car les assignations tirées sur lui perdent à proportion de la durée qui s'écoule entre leur émission et le paiement ; elles jettent un discrédit sur le crédit du Roi. L'ombre de Colbert pèse sur les initiatives de ses successeurs, mais ils abandonnent nombre de mesures qui avaient donné de bons résultats. Il avait restauré les revenus du Roi, supprimé l'exemption des tailles, les privilèges des nobles accordés depuis 1634, les offices quadriennaux réunis en un seul collège de 240 les 5 collèges de secrétaires de roi.
9Au moment du rattachement à la France des esprits lucides ayant exercé ou exerçant de grandes charges démontraient les défauts de son système financier. Ce n'était pas une raison suffisante pour ne pas l'imposer.
L'installation du régime français
10L'installation de l'administration française donnera lieu à une série de décisions, les unes immédiates destinées à ne laisser aucune illusion sur le caractère irréversible du rattachement à la France, les autres échelonnées dans le temps, mettant en place les institutions existant dans le reste du royaume et alignant en fait la Franche-Comté sur le système d'administration de la monarchie.
11Dès 1674, l'Intendant installé à Besançon devient le responsable de l'administration générale de la province. A ce titre, il détiendra la haute main sur l'assiette et la répartition des impôts. Le gouverneur dont les attributions sont principalement militaires doit également fixer son siège à Besançon. Le 26 août 1676, le Parlement dont le siège était à Dole est transféré lui aussi à Besançon. L'alignement sur le reste du royaume se poursuit par la création, en 1680, de l'office du receveur général des finances et par la nomination en janvier 1681 d'un receveur général demeurant à Paris et représenté à Besançon par un commis ; en 1686, un office de receveur général des domaines et des bois est également créé dont le titulaire siégera à Salins ou à Dole. La Chambre des comptes voit son siège maintenu à Dole et des lettres patentes de premier maître délivrées à Antoine Borrey. En août 1692 interviendra une série d'édits instituant en Franche-Comté le système de la vénalité des charges appliqué à la Chambre des comptes, au Parlement de Besançon, aux présidiaux, à la Maréchaussée et aux offices comptables : ces édits détermineront une base territoriale stable sauf ajustement mineurs à ces différents corps dont l'implantation est essentielle à l'action de l'État.
12Ces édits marquent la volonté de transposer dans la province le système d'administration existant dans le reste du royaume en précisant le siège, les missions de chaque institution et le statut personnel de leurs membres. Pour le Parlement, il est établi à Besançon, aux mêmes honneurs, pouvoirs, autorité et juridiction que les autres parlements, pour y rendre la justice en dernier ressort, en la forme des ordonnances civiles et criminelles de 1667 et 1670.
13Pour la maréchaussée, l'expérience a montré qu'à la place des agents agissant depuis le traité de Nimègue, en vertu de commissions un corps d'officiers titulaires de charges à titre permanent et héréditaire était préférable à des agents passagers moins attachés à leur emploi.
14Quant à la Chambre des comptes, elle doit connaître tout ce qui relève de la compétence des cours et chambres des Domaines, aides et finances, et ceci en dernier ressort. Mais l'édit couvre un champ plus large que celui de la Chambre des comptes puisqu'il crée neuf offices de receveur particulier des finances auxquels s'ajoutera un dixième en 1693 pour Saint-Claude. La mission assignée à ces nouvelles charges est destinée à pourvoir à la sûreté des deniers royaux et à établir tous les officiers nécessaires pour en faire le recouvrement. D'autres édits créent pour ces différents corps, constitués en charges héréditaires, augmentent le nombre d'offices pour chacun d'eux tant en ce qui concerne le Parlement que la Chambre des comptes, les bailliages et les présidiaux, la maréchaussée, et créent une chancellerie au Parlement de Besançon...
15S'agissant d'institutions dont les délais d'installation sont nécessairement longs, il est difficile de donner à leur mise en œuvre effective des dates certaines. Ce qu'il faut souligner cependant, c'est que s'attachant à des fonctions aussi essentielles que l'organisation judiciaire, l'organisation financière, la police, le fait que leur statut soit publié le même jour, 22 septembre 1692, ne peut être le produit du hasard. Il s’agit de toute évidence d'une concomitance voulue, significative d'une volonté politique. Il en est de même de la création de charges héréditaires et de l'augmentation de leur nombre.
16Sans doute les préoccupations financières ont-elles leur part dans l'introduction de la vénalité des charges et la création de nouveaux offices. Dans cette période, les créations pour l'ensemble du royaume ont apporté au trésor quelque 50 millions de livres. Nous sommes certes au moment où les besoins de la guerre contre la ligue d’Augsbourg obligent le contrôleur général des finances à recourir à tous les expédients utiles pour faire rentrer l'argent. Ce serait cependant une erreur de ramener ces édits à cette seule intention ; ils semblent bien répondre à un dessein politique plus vaste, plus permanent, celui d'aligner la Franche-Comté sur les institutions du reste du royaume et d'assurer la consolidation de son rattachement à la France. Ils procèdent aussi de l'intention d'ancrer sur tout le territoire de la province des institutions proches des populations, susceptibles de faire contrepoids aux pouvoirs locaux attachés aux seigneuries ou aux communautés autonomes. Le préambule de l'édit sur le Parlement et les bailliages, présente la vénalité comme une sorte d'hommage aux officiers de la province en leur offrant
« la faculté d'entrer au droit annuel comme les autres officiers du royaume afin qu'ils puissent former des établissements solides et perpétuer à leurs familles les honneurs et les charges dont nous avons récompensé leur fidélité et leur attachement à notre service ».
17Cette affirmation du préambule illustre bien ce qui constitue le fondement de la politique observée par le pouvoir royal en Franche-Comté qui visait, en imposant des structures nouvelles pour administrer la province, à s'attacher les personnes et les familles grâce à l'hérédité des charges.
18La mainmise des instances de Versailles et de Paris sur la province est sans doute le résultat d'une volonté politique visant à assujettir la province à des usages et à une organisation qui, jusque-là, lui étaient étrangers.
19Mais il faut constater qu'elle a été rendue plus aisée par le concours apporté par des personnalités comtoises qui manifestèrent quelqu'empressement à adhérer à la nouvelle souveraineté, tenant compte des avantages que cela pouvait comporter pour eux.
20En outre, la centralisation et l'introduction du système français ont été également facilitées par des appels à l'arbitrage du Roi ou de ses ministres, rendus nécessaires par des conflits de compétence nombreux entre les diverses institutions mais aussi les personnes qui pouvaient opposer l’intendant au Parlement ou à la Chambre des Comptes, ces institutions entre elles, ces dernières aux dirigeants des villes, tous jaloux de leurs pouvoirs et de leur autonomie. Ces conflits et les rivalités les incitaient à s'adresser au pouvoir central avec lequel peu à peu s était établie une certaine familiarité dans les rapports et la constitution de réseaux de relations et de moyens d'influence.
21La mise en place des institutions financières s’articulera sur celles qui se sont progressivement formées dans le reste du royaume autour des comptables des deniers royaux représentés par les receveurs généraux ou trésoriers présidant au maillage constitué dans les bailliages par les receveurs particuliers chargés du recouvrement des impôts et les collecteurs des multiples droits prélevés par les fermes royales.
22L'action de ces réseaux se précisera avec d'autant plus de force qu'ils devront répondre aux besoins d'un pays confronté à une crise financière quasi permanente.
Une crise financière quasi permanente
23En prenant place dans l'ensemble français, la Franche-Comté rejoint un royaume aux prises avec des difficultés financières croissantes. Louis XIV a accompli la moitié de la durée de son règne ; Colbert qui depuis son accession au contrôle général, en 1661, a poursuivi avec constance une œuvre de réorganisation de l'administration et des finances, voit son étoile pâlir et sa fin approcher. Les grandes ordonnances avaient réorganisé le cadre de l'administration. Il avait redressé les finances en améliorant le recouvrement des impositions, en récupérant les éléments du domaine royal aliénés dans des conditions critiquables, il avait supprimé les offices générateurs d'attributions de gages injustifiés, réalisé enfin un certain équilibre entre les recettes et les dépenses. Mais depuis 1676, c'est-à-dire dans les années qui ont suivi le rattachement de la Franche-Comté, ces résultats se sont dégradés. A la suite de la guerre de Hollande, celle qui avait conduit au traité de Nimègue en 1678 et au rattachement définitif à la France, le déficit atteignait en 1680, près de 35 millions, l'arriéré dû par le Trésor s'élevant à quelque 50 millions de livres. Désormais, exception faite de quelques périodes de rémission résultant de l'action tenace de quelques grands commis et en particulier celle d'Orry contrôleur général des finances qui conservera ses fonctions de 1730 à 1745, le déficit ne lâchera pratiquement plus la monarchie.
24Il ne s'agit pas ici de faire l'histoire financière de cette dernière ; mais seulement, par l'évocation de quelques faits majeurs indispensables à la compréhension de l'évolution générale, de montrer le cadre dans lequel le rattachement de la Franche-Comté à la France a été effectué. L'histoire locale, en dépit de ses caractéristiques propres, n'est pas dissociable de l'histoire générale qui, sur le plan financier, était génératrice de décisions trouvant leur aboutissement dans la vie concrète de la province, de sa population, des formes de son administration. C'est un fait que la quasi-totalité des décisions financières ont été prises sous la pression des besoins des guerres ou pour remédier à leurs conséquences. C'est un autre fait que le pouvoir absolu du souverain, constamment affirmé dans tous ses actes, trouve une de ses limites dans la nécessité d'obtenir les ressources nécessaires à l'exécution de sa politique, qu'il s'agisse de l'entretien des armées, des besoins inhérents au fonctionnement de l'Etat, des constructions de prestige, ou plus simplement de son plaisir. Les successeurs de Colbert ont eu à faire face à des charges qui ont alourdi dans des propositions considérables l'endettement de l'Etat. Peut-être le choix des contrôleurs généraux n'a-t-il pas toujours été très heureux ; mais la disproportion entre les dépenses et les recettes possibles était telle que, quel que soit le savoir-faire du ministre la situation ne pouvait être changée ; celui-ci était condamné à recourir à des expédients. Saint-Simon, dans ses mémoires, se montre particulièrement sévère pour Chamillard, qui dit-il « ne devait son crédit auprès de Louis XIV » que du fait « qu'il excellait au billard » et qui était « parvenu à sa charge moins par présomption que sottise » et que « le grand ressort pour lui était son incapacité même ». Mais son prédécesseur, Pontchartrain, avait procédé à la vente d'offices pour 50 millions de livres. Il avait créé en 1695 la capitation pour la durée de la guerre. La crise financière s'est approfondie au point qu'en 1708 la dette s'élève à 1 milliard 500 millions avec 400 millions de billets émis non gagés par des ressources. La cruauté du commentaire ne trouve pas de justification dans les initiatives du contrôleur général dont les décisions sont de la même nature que celles de ses prédécesseurs. Il suffit d'ailleurs de se reporter au passage des mémoires dans lesquels Saint-Simon évoque le sort de Chamillard en butte aux protestations des maréchaux dont les troupes n'avaient pas pu être payées.
25En raison de la gravité de la situation, Chamillard avait été invité à s'effacer en 1708, devant un successeur d'une autre envergure : Nicolas Desmarets, neveu de Colbert. Nommé d'abord comme intendant des finances, et principal inspirateur du contrôleur général, il était bien informé de la tâche qui l'attendait et qu'il appréciait avec lucidité.
« Le Roi ne me laissa pas la liberté de lui représenter ce que je savais et ce que je connaissais de l'état de ses finances. Il me prévint et m'expliqua nettement qu'il connaissait parfaitement l'état de ses finances, qu'il ne me demandait pas l'impossible, que si je réussissais je lui rendrais un grand service, il me saurait beaucoup de gré, si le succès n'était pas heureux, il ne m'imputerait pas les événements. »
26En pleine guerre, les troupes pour la plupart n'avaient pas été payées. D'après l'inventaire qu'il en fait, Desmarets trouve une dette de 303 357 325 I., soit plus de trois fois le montant des impositions directes d’une année. Au 20 février 1708, il était dû au public 72 millions de billets de monnaie réformée, en 1707, s'ajoutent 54 000 000 de monnaie convertie en billets des fermiers généraux, billets de sous fermes, des aides, promesses de la caisse de la gabelle, billets d'emprunt des trésoriers de l'extraordinaire des guerres ; les intérêts de la dette étaient de 30 millions, soit le dixième du total. Il restait dû 100 millions aux trésoriers de France qui avaient avancé des fonds et 54 millions de dépenses consommées d'avance.
27On a généralement reconnu à Desmarets le mérite d’accepter une charge aussi lourde dans une situation quasi désespérée. Mais l’histoire n'a sans doute pas suffisamment rendu justice à un autre mérite plus essentiel encore, celui de l'intelligence, de la pénétration et de l'énergie dont il faisait preuve dans ses décisions et ses choix.
28Parmi les contrôleurs généraux des finances, Colbert, Law, Turgot, Necker, ou même Calonne ont suscité davantage d'intérêt et de recherches. De Desmarets, on a généralement montré qu'il n'avait pas renoncé aux expédients utilisés par ses prédécesseurs Pontchartrain et Chamillard : anticipation de recettes, reports de dépenses, manipulation de la valeur de la monnaie, création artificielle de charges d'offices, augmentations de gages, recours aux formes les plus diverses d'emprunts. Il s'est surtout voulu comme un serviteur fidèle du souverain, en apportant dans son rôle principalement technique la largeur de vue d'un homme d'Etat. Il a d'abord compris le rôle décisif que jouait dans la guerre et dans la paix l'aptitude du pays à faire face à son financement.
29Mallet lui apporte son témoignage : Nicolas Desmarets joignait à une grande capacité toute la bonne volonté nécessaire pour le rétablissement de l'ordre et le soulagement des peuples, mais chargé des finances dans des temps où les besoins augmentaient d'une année sur l’autre il n’a pu mettre en pratique les arrangements qu'il avait faits et qu'il avait médités.
30Dès son entrée en fonction, il suspend le paiement de toutes les dettes de l'Etat afin de rendre disponibles les recettes de 1708 pour parer aux dépenses les plus urgentes. Il recourt à des avances ou des anticipations de recettes des receveurs généraux des finances. En 1709, il procède à une réévaluation de la valeur faciale des monnaies qui, pour un même poids et un même titre, en augmente de 23 % la contre-valeur. Les monnaies anciennes sont refondues pour réaliser des émissions dans des quantités plus importantes dont le produit est consacré au paiement des troupes. Il obtient pour 24 millions de livres le rachat de la capitation du clergé, puis en 1710, réalise pour 8 millions la même opération pour le dixième, impôt qui vient d'être créé. Ces mesures tendent à obtenir des rentrées immédiates de recettes en sacrifiant les rentrées annuelles futures. Cette anticipation s’accompagne d'annulation de créances arriérées. En 1711, il créé le service des rentes sur l’Hôtel de ville.
31En dépit de ces mesures, à la mort de Louis XIV, le montant de la dette s'élève à 2 500 000 000 de livres. Mais l'action de Desmarets, secondé par Mallet, premier commis du contrôle général, aura permis de tenir jusqu'à la paix. Il devait être remercié par le Régent au profit du duc de Noailles qui avait ourdi, bien avant la mort de Louis XIV, des intrigues pour le remplacer dans ses fonctions.
32Après la tournure prise par l'épisode de Law, l'histoire financière connaît un retour à des procédés d'administration plus classiques, coïncidant avec une période de paix durable. Les hommes qui se succèdent au contrôle général appartiennent aux cadres de l'administration : Le Pelletier des Forts, Le Pelletier de La Houssaye, Dodun, ont exercé leurs fonctions antérieures comme intendants des finances ou intendants en province. Dodun en particulier appartient à une famille de financiers très liée au monde de la Ferme générale. Dans ce type d'homme, on relèvera le cas de Philippe Orry qui remportera, dans cette fonction de contrôleur général le record de la durée : quinze ans. Ce n'est pas un imaginatif, mais c'est un homme d'administration, laborieux, appliqué, s'attachant aux détails, attitude perceptible dans des interventions en Franche-Comté, parfois maladroitement sévère, parfois curieusement indulgent ou imprudent comme dans le cas de Gallevier de Miéry. Il devra trouver les moyens de faire face aux dépenses de deux guerres, celle de la succession de Pologne en rétablissant, en 1733, le dixième qu'il suspendra en 1736, celle de la succession d'Autriche pour laquelle il rétablira le même dixième en 1741. Il s'attache à accroître le montant du bail de la Ferme générale porté de 80 à 92 millions de livres.
33Son successeur, Machault d’Arnouville qui lui succède en 1745, aborde ses fonctions avec une plus grande largeur de vues. Il s'efforcera de remédier aux vices de fonctionnement du système à l'injustice du régime fiscal qui affecte la taille et la capitation et qui ont pour conséquence de faire porter le poids des dépenses sur la partie la plus défavorisée de la population.
34En 1749, un édit pris sous son inspiration crée une caisse d'amortissement distincte du Trésor, qui aura pour mission le remboursement des dettes anciennes et à venir, cette caisse étant alimentée par un nouvel impôt, le vingtième, qu'il applique à l'ensemble des revenus y compris les revenus fonciers, les cotes individuelles étant calculées sur la base des déclarations des contribuables. En contrepartie, le cinquantième est supprimé et Machault d’Arnouville procède à un allégement de la taille pour les années 1750, 1751, 1752. Cette réduction ne s'applique que dans les pays d'élection, les pays d'Etats étant moins imposés.
35En 1756, la nécessité d'ajouter un deuxième vingtième provoque une levée de boucliers des parlements et des juridictions financières.
36Ses successeurs atténueront les conséquences du vingtième pour les privilégiés, mais les difficultés financières conduiront au contrôle général l'abbé Terray qui se révélera être un partisan résolu et énergique des réformes.
37Le nouveau contrôleur général dont l'état ecclésiastique ne coïncide pas avec des mœurs édifiantes, s'impose par la clarté de ses vues, la fermeté dont il fait preuve dans ses fonctions. Après un temps d’observation, il s'attaque à la réforme du vingtième pour lui redonner sa véritable place, d'abord en le pérennisant et en donnant aux contrôleurs locaux les moyens de veiller à son application par un contrôle plus rigoureux des déclarations. Le premier vingtième, limité à dix ans par un édit de 1763 est rendu permanent, le second à échéance en 1771 est reconduit. Il s'efforce de réduire les privilèges, comme nous le verrons en ce qui concerne la Franche-Comté, en dénonçant l'assujettissement à la portion colonique.
38Il est ouvert aux initiatives tendant à améliorer le fonctionnement et le prestige de l'administration. Ainsi, le 6 décembre 1770, s'adressant à l’intendant de Lacoré il écrit :
« Quoique les circonstances soient peu favorables pour des dépenses à la charge du Roi et des villes, puisque les officiers municipaux de Besançon vous pressent de passer à l'adjudication des bâtiments de l'intendance, vous pourrez y procéder mais en prenant la précaution de donner plusieurs années pour la construction et encore plus pour les paiements afin qu'ainsi divisés, ils soient moins à charge. »
39Après l'expérience brève et peu concluante de Turgot, il est fait appel à Necker. Celui-ci s'oriente vers des réformes portant davantage sur les structures de l’administration et les modes de comptabilité que sur la réduction de l'écart existant entre les recettes et les dépenses dont la connaissance exacte est dissimulée par la confusion des comptes. La déclaration du 17 octobre 1779 pose clairement le problème à résoudre :
« Que tous les registres des comptes du trésor royal où l'on devrait naturellement trouver le détail exact de l'universalité de nos recettes et de nos dépenses ne présentent à cet égard que des connaissances insuffisantes et des renseignements incomplets ; une partie des impositions n'est ni versée, ni connue, diverses sortes de dépenses étant habituellement acquittées par diverses caisses, il n'en existe plus aucune trace au trésor royal. Cependant, les dépôts de la Chambre des comptes ne peuvent point suppléer aux vices de ces dispositions, non seulement parce que ce n'est qu’au bout d'un très grand nombre d'années que tous les comptes particuliers sont rendus et arrêtés, mais encore parce que étant divisés entre toutes les Chambres des comptes de notre royaume, ce ne serait que par l'effet d'un travail immense qu'on parviendrait à former les résultats. »
40Cette exigence de sincérité dans les comptes n'empêchera pas qu'une polémique très âpre surgisse en 1787 sur le compte présenté par Necker pour l'année 1781 ; ce dernier en avait fixé le solde à un excédent de recettes de 10 200 000 livres ; Calonne affirmait que loin de se traduire par un excédent de recettes, la gestion de Necker avait laissé un déficit évalué d'abord à 45 millions de livres, puis à 70 ou 71 millions, soit 80 millions par rapport au chiffre avancé.
41Malgré leur querelle sur les chiffres, Necker et Calonne sont d'accord pour dénoncer le désordre dans la présentation des comptes et l'ignorance dans laquelle le contrôleur général des finances se trouve pour apprécier la situation réelle du Trésor.
42Ainsi, devant l'assemblée des notables de 1787, Calonne reprendra le thème du désordre :
« Le nombre prodigieux des parties hétérogènes et variables dont les états sont composés, l'enchevêtrement des différentes créances, la confusion provenant des prélèvements locaux sur les recouvrements plus ou moins retardés, le rejet des valeurs et assignations reportées d'une année sur l'autre, la multiplicité inconcevable des causes imprévues qui peuvent changer l'ordre des dépenses et celui des remboursements, enfin le mélange presqu'inévitable de l’arrière, du courant et du futur, du fixe et de l'éventuel de ce qui n'est que le résultat des virements d'avec ce qui doit être compté pour effectif, toutes ces causes réunies rendent extraordinairement difficile de découvrir ce qui appartient à chaque année, pour former une balance juste de l'état ordinaire et annuel. »
43Il est clair que la Franche-Comté n'avait pas rejoint la Terre promise. D’ailleurs on ne lui avait rien promis sinon les nouvelles institutions dont elle devait être dotée.
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