La démythification de Christophe Colomb de 1930 à l’heure actuelle en Amérique
p. 139-161
Texte intégral
1Avant de quitter le Texas pour la France, j'ai eu l'idée de téléphoner à la Commission du cinquième centenaire de la région métropolitaine de Dallas pour savoir quels événements commémoratifs auront lieu à Dallas cet anniversaire de la découverte colombienne. J'ai reçu des renseignements que je n'attendais pas. Consciente des difficultés présentées par ce qu'on se plaît à désigner maintenant "la soi-disant découverte de l'Amérique", la commission parle plutôt de "rencontre" et évite toute suggestion de "célébration" de l'événement. On essayera, au contraire, de présenter les richesses de notre héritage commun, selon la directrice, car il faut prendre une perspective globale. Selon elle, il s'agit moins de regarder le passé que de réfléchir aux cinq siècles à venir prochainement.
2On annonce, donc, des événements d'une étonnante variété, comme s'il fallait y trouver de la place pour tout le monde. Ainsi nous aurons une commémoration de l'expulsion des Juifs d'Espagne, des concerts et des ballets hispaniques, une conférence sur la perspective américaine indigène par Suzan Shown Harjo, présidente et directrice de la Fondation de l'Étoile du Matin, une exposition sur la culture religieuse mexicaine et une exposition d'art d'origine anglaise, écossaise, française et allemande inspiré par l'Espagne. Mais Colomb lui-même ne semble mériter aucune place parmi ces spectacles.
3En attendant, à Dallas et ailleurs, les Indigènes américains1 n'apprécient pas beaucoup ce qu'ils appellent "ces cinq cents ans d'atrocités commises contre les peuples indigènes et leur terre. En 1989, par exemple, quelqu'un versa un liquide, couleur de sang, sur la statue de Colomb à Denver. Le 12 octobre 19912, un descendant de Christophe Colomb a dû essuyer une rebuffade quand les membres de la tribu des Tigua à El Paso au Texas refusèrent de dîner avec lui, alors qu'on devait fêter un "renouvellement" des rapports entre le peuple espagnol et les Indigènes américains. Il y a deux mois, quand les copies des bateaux de Colomb entraient au bassin du port de Corpus Christi (au Texas), elles ont dû faire face à une démonstration pacifique du Mouvement des Indiens américains. Quand ces trois caravelles arriveront à San Francisco le 12 octobre, elles y retrouveront encore des représentants de la population indigène, cette fois la plus puissante de toutes ces organisations, le Conseil International pour les Traités Indiens (International Indian Treaty Council). On va lancer une "Marine de la Paix" de cinq cents personnes qui les arrêteront dans leur passage. Les "marins" seront obligés de signer un traité imposant le respect pour l'écologie et pour les droits des minorités. Le gouvernement espagnol, qui a dépensé quelque $14 millions de dollars pour construire ces copies à l'époque où il gardait innocemment la main sur ses anciennes colonies n'aurait jamais pensé ni à une telle conséquence ni à ce geste publicitaire.
4Il y a moins d'un mois, l'acteur célèbre Marion Brando a annoncé qu'il voulait retirer son nom du projet Christophe Colomb : la découverte parce que ce film risquait d'être autre que ce qu'on lui avait proposé d'abord. (Son scénario devait démasquer un scélérat infâme coupable de crimes contre l'humanité). En même temps, le révérend Luis Estrella, un "medicine man" ou sorcier des Sioux du Dakota du Sud, né d'un père Tainos, représentant donc idéal du peuple que Colomb a rencontré pour la première fois à San Salvador, a annoncé un message de paix et d'amour en forme d'itinéraire, un "Parcours pour la Paix et la Dignité", commençant le 2 mai en Alaska et en Argentine, avec une rencontre prévue des coureurs à Mexico le 12 octobre. Le gouvernement des États-Unis a déclaré que 1992 sera "l'Année de l'Indien américain". Il semble bien que le mythe de Colomb, que mon collègue le père Moses M. Nagy a si patiemment exploré, ne provoque plus les mêmes réactions qu'avant.
5Chaque mythe implique son "antimythe". Mais à quel instant pourrait-on fixer la transition entre le mythe positif d'un Colomb universellement admiré et Γ "antimythe" qui domine l'Amérique d'à présent ? Car si l'exaltation de Colomb nous sert à mesurer la sensibilité et le nationalisme américains, l'envers du mythe n'est pas moins révélateur. Je dirais, même, que l'antimythe est aussi américain que le mythe, peut-être même davantage. Ces réactions, ces récriminations, se pourrait-il qu'elles ne soient qu'une vaste tentative de récupérer le fond du mythe lui-même, un effort de renouveler plutôt que de réfuter ce qu'on célébrait autrefois dans le mythe de Colomb ?
6La première des tentatives de démythification est sans doute l'histoire du pilote inconnu, selon laquelle Colomb ne serait pas le premier à découvrir le nouveau monde. Il s'agit de quelqu'un qui, avant de mourir, aurait donné à Colomb une carte secrète indiquant l'existence des terres à l'ouest rencontrées par hasard. Cette histoire, on la trouve pour la première fois chez Gonzalo de Oviedo, l'auteur d'une histoire des Indes publiée en 15353. Là ce n'est que le commencement d'une longue série de thèmes repris et élaborés plus tard par les détracteurs de Colomb4. Mais si Colomb avait ses calomniateurs déjà au seizième siècle, c'est à cause des titres et des droits qu'il devait laisser à ses descendants. Les controverses qui suivirent la mort de Colomb furent des questions d'héritage, de privilèges, d'avantages et de bénéfices, et beaucoup moins de réputation. Elles concernaient surtout l'indispensable Martín Alonso Pinzón, marin expérimenté et surtout influent auprès des matelots de Palos, qu'engagea Colomb comme pilote expert et qui joua un rôle extrêmement important dans le premier voyage, mais qui mourut peu après le retour en Espagne sans pouvoir profiter de l'événement. Quand les héritiers de Colomb revendiquaient leurs droits, le fisc, au nom du gouvernement, tenta de prouver que leurs prétentions étaient vaines, parce que c'était Pinzón et non pas Colomb le véritable découvreur et, en tout cas, parce que Colomb avait promis de partager avec lui tous les avantages et bénéfices5.
7Les détracteurs de Colomb au seizième siècle avaient des buts très pratiques. Plus tard, au dix-huitième, la question du rôle historique de Colomb évolua. On ne s'occupait plus de sa contribution à la découverte, que tout le monde considérait pour importante, mais des conséquences de cette découverte. Ainsi Jean-Jacques Rousseau se demanda si elle était vraiment au profit de l'humanité. L'Abbé Reynal, le philosophe et collaborateur de Diderot qui s'intéressa beaucoup aux Indes, proposa un débat en 1787 à l'Académie de Lyon sur la même question et il conclut que les conséquences du voyage de Colomb, qui aboutirent à la destruction et à l'esclavage, avaient été désastreuses6.
8On voit donc deux tendances parmi ceux qui disaient du mal de Christophe Colomb avant le dix-neuvième siècle. D'un côté, il y avait ceux qui voulaient le priver de la gloire d'avoir été le moteur principal d'un des plus grands événements historiques depuis le commencement du monde ; de l'autre, il y avait ceux qui voulaient lui attribuer les tendances les plus déplorables à l'époque moderne. Ces deux perspectives ont continué à être valables jusqu'à présent. Néanmoins, elles ne semblent pas avoir joué un rôle très important au moment où l'on organisait le quatrième centenaire de la découverte, surtout sous la forme de l'exposition colombienne à la foire internationale de Chicago en 18937.
9Néanmoins, même à cette époque, il y avait quelques protestations d'indigènes américains contre la célébration du quatrième centenaire. Et malgré l'ambiance de festival qui dominait l'exposition à Chicago, il existait aussi des dissidents dans le monde des savants8. Déjà en 1874, un biographe américain, Aaron Goodrich, fit paraître le premier livre à critiquer sérieusement la vie et le caractère de Colomb. Goodrich, au contraire de Washington Irving, avait une connaissance profonde des documents sur le navigateur, et sa présentation posait des questions difficiles qui troublèrent les eaux paisibles de la recherche colombienne pendant le dernier quart du siècle9.
10L'espace du quatrième centenaire fut marqué par une grande activité internationale et la publication d'un nombre très impressionnant de sources indispensables pour l'étude de Christophe Colomb10. Mais à l'exception de quelques récentes découvertes archéologiques aux Caraïbes et des travaux aux archives espagnoles de l'Américaine Alicia Bache Gould, on a ajouté très peu à l'ensemble de la documentation colombienne depuis le quatrième centenaire. Les auteurs du Monde de Christophe Colomb paru l'an dernier ont remarqué que "les États-Unis semblent avoir perdu plus que gagné en connaissance de Colomb depuis 1892" (Phillips et Phillips, 7)11. Mais l'épicentre de ce séisme qui ébranle les fondations du mythe de Colomb à l'heure actuelle commence à se manifester vers 1930, il me semble, entre la mort d'Henry Vignaud en 1922 et le compte rendu publié par Charles Nowell en 193912. Cette deuxième étape de la démythification de Colomb ne semble pas avoir été provoquée par un débat idéologique. Il est question d’une évolution, d'un développement de certaines idées qui ont vu la lumière après l'explosion d'information vers la fin du dix-neuvième siècle.
11Quelques-unes de ces thèses sont assez curieuses. Jacob Wasserman et Salvador de Madariaga comparent Colomb à Don Quichotte et attribuent sa curieuse personnalité à ses origines juives qu'il aurait gardées comme son grand "secret"13. Ces discussions, comme tant d'autres sur les origines de Colomb, sont assez triviales. Plus sérieuses étaient les révélations concernant le caractère de Colomb qui commençaient à paraître après 1925. Clarence Haring démontra qu'il fut un très mauvais administrateur des colonies qu'il avait établies ; sa compétence comme navigateur, déjà mise en question par von Humboldt au dix-neuvième siècle, fut réexaminée par Menander, Magnaghi et Williamson. L'initiation de l'esclavage, introduite par Colomb dès le début, fut notée et condamnée. On commençait de parler de précurseurs de Colomb qui auraient découvert le nouveau monde bien avant lui, d'autres Italiens ou des Espagnols ou des Portugais, des Vickings, des Irlandais, des Chinois et même des Africains (Magnaghi 1935, Cortesão, de Freitas, Laufer et Wiener, dont la thèse a été reprise et amplifiée par Van Sertima). L'aspect religieux de la découverte est devenu problématique à cause du messianisme colombien qui émergeait de plusieurs études à bases solides (Taylor, Loughran et, surtout, Portigliotti)14.
12Trois œuvres exemplaires illustrent l'esprit de cet anticolombisme naissant. D'abord, au niveau érudit, on trouve les travaux de Cecil Jane, qui fut responsable de l'édition publiée par la Hakluyt Society de 1930 à 1933. Dans une introduction très élaborée, Jane présente un Colomb analphabète, incapable de réflexion intellectuelle ou de science ou même d'avoir écrit les notes qu'on lui attribue dans l'exemplaire de l'Imago Mundi. Son inébranlable confiance dérive non d'un esprit raisonnable en quête de preuves scientifiques mais d'une conviction religieuse poussée jusqu'au fanatisme et une croyance en une mission personnelle ordonnée par la providence divine. Jane montra que les délais du roi et de la reine, pour lui accorder la permission de voyager sous leur patronage résultèrent non d'une perversité ou cécité royale mais des conditions politiques contemporaines et des demandes irraisonnables présentées par Colomb lui-même. Bref, c'était un autodidacte extrêmement sensible, peu aimé et paranoïde, qui s'apitoyait sur son propre sort et qui fut obsédé par une théorie cosmologique erronée.
13Un deuxième ouvrage, une biographie populaire par Marius André qui a paru en français en 1927 et en traduction anglaise en 1930, va encore plus loin. Le livre d'André est essentiellement une démythification totale qui ne permet à son sujet qu'un don de la poésie et de la fantaisie. Son Colomb est un navigateur médiocre, un administrateur catastrophique et un menteur ou, du moins, un fabulateur du même genre que Mandeville, un homme qui méritait d'être fusillé à cause de sa désobéissance civile, qui est avide non seulement de l'or qu'il espère trouver mais aussi des privilèges qu'il convoite en pensant à ses descendants, et finalement un criminel qui imposa l'esclavage en défiant les ordres explicites de sa reine. André rejette à tort ou à raison des épisodes généralement acceptés pour vrais que lui qualifie de légendes ou de fables. Le Colomb qu'il dépeint, nullement admirable, est à la fois un égoïste insupportable et un pitoyable rêveur naïf qui n’a jamais su ce qu'il avait trouvé et qui ne mérite point la renommée d'avoir été le premier à découvrir l'Amérique.
14Finalement, dans la courte pièce en trois actes de Michel de Ghelderode, Christophe Colomb (1929), nous trouvons une critique extraordinaire de tous les phénomènes engendrés par l'affaire Colomb. Ghelderode présente la question de la découverte avec une action à rebours comique qui ne nous épargne nullement en exposant toutes les idées reçues du monde moderne. L'oppression du reportage, les vacillations de la politique, les équivoques de la science, la présence d'une perspective indigène, tout semble anticiper les grands thèmes de la démythification à venir six décennies plus tard. Mieux que nul autre, Ghelderode a saisi le sens essentiel de l'événement, surtout quand il fait parler l'Américain :
15L'Amérique vous fait beaucoup d'honneur en saluant votre statue car vous n'êtes pas Américain, ce qui est regrettable. En Amérique, il n'y a pas beaucoup de grands hommes. Les Américains ne sont ni grands ni petits, mais moyens, de bonne constitution. Stop. Cet hommage contient sa restriction. Vous avez découvert l'Amérique quatre siècles trop tôt. C'est maintenant qu'il fallait venir, yes ! Enfin, c'est déjà bien ainsi. Il ne me reste qu'à vous souhaiter bonne chance dans cette époque où il se pourrait prouver que vous n'avez jamais existé et où les statues se démodent singulièrement vite. Stop final ! (p. 183).
16On ne pourrait trouver un meilleur résumé de la situation actuelle du mythe de Colomb. À part les livres bien connus de Samuel Eliot Morison et quelques publications qui ont paru dans les années cinquante pour fêter la naissance de Colomb, l'activité érudite n'était pas intense. Avant de parler des livres récents où Colomb est mal vu, il serait peut-être utile de rappeler les éléments principaux de cette démythification. Les énigmes du pilote inconnu et du rôle de Pinzón, souvent reprises par les biographes, établirent une tendance à nier que Colomb ait été le premier à découvrir l'Amérique, mais parmi tous ses possibles précurseurs qu'on a proposés, les Vickings sont les seuls à être généralement acceptés. Pour certains, Colomb fut un fou et un fanatique religieux ; pour d'autres, un matérialiste motivé par son avidité pour l'or. Il était l'inventeur du colonialisme15 selon les uns, un homme incapable de régler quoi que ce soit, selon les autres. Un homme d'imagination et de poésie de l'avis de plusieurs, un homme incapable de décrire ce qu'il voyait devant ses yeux sans l'exagérer ou le réduire à des formules romanesques d'une naïveté stupéfiante, aux yeux d'autres. C'était un publiciste qui faisait de la réclame pour la bonté des Indiens, pour la salubrité du climat et surtout pour la présence d'énormes quantités d'or dont il ne pouvait fournir aucune évidence. Ou bien un homme qui n'a pas découvert l'Amérique parce qu'il n'a jamais compris où il était ou bien un menteur qui voulait décevoir ses rivaux en insistant sur l'idée que les îles découvertes par lui étaient près du continent d'Asie. On peut dire en tout cas que certains mythes méritaient d'être démolis. Colomb n'a jamais essayé de démontrer que la terre était ronde, par exemple ; le mythe de la croyance à une terre plate au moyen-âge est une invention du dix-neuvième siècle, comme Jeffrey Russel explique dans son étude détaillée de ce sujet curieux. L'Invention de la terre plate. Finalement, si Colomb est mort déçu, il n'est pas mort misérable ; au contraire, à son décès c'était un homme riche qui avait gagné des privilèges extraordinaires pour ses héritiers.
17Le mythe de Colomb qu'on enseignait encore à l'école quand j'étais étudiant il y a trente-cinq ans est devenu de plus en plus difficile à soutenir16. Mais la démythification actuelle ne veut pas se limiter à fulminer contre un homme mort il y a presque cinq cents ans. La proie qu'elle vise est beaucoup plus importante. Ce n'est plus Colomb tout seul qui est mis à l'accusation mais toute la civilisation occidentale qui est coupable d'avoir spolié le globe, tyrannisé le tiers monde et imposé sa politique partout. Bien avant le présent centenaire, on commençait à entrevoir la nouvelle perspective qui dominerait les controverses colombiennes de l'avenir. Il y a vingt-cinq ans, il parut le livre important de Carl Sauer (The Spanish Main, 1966), qui parle de la tragédie écologique de l'arrivée des Espagnols. Huit ans plus tard, Alfred Crosby (dans L'échange colombienne, 1974) proposa de substituer le mot "échange" à celui de "découverte" et conclut que "Nous et tout ce qui vit sur la terre, nous avons beaucoup perdu à cause de Colomb, et nous devenons et deviendrons de plus en plus pauvres" (p. 219). L'influence de ce dernier est très marquée dans la littérature récente sur Colomb. D'une façon indirecte elle domine La Conquête de l'Amérique par Tzvetan Todorov. Etude sémiotique des premières rencontres américano-européennes, ce livre dévoile la violence, la cruauté et l'incompréhension de Colomb et de ses successeurs dans le nouveau monde. Stephen Greenblatt a continué l'analyse "sémiotique" de Todorov en explorant les implications des mots "merveille" et "merveilleux" utilisés si souvent par Colomb dans son journal de bord. Kadir Djelal s'adresse à un autre aspect linguistique du colonialisme, celui de la prophétie. Alvin Josephy présente un recueil d'essais consacré aux Indigènes avant l'arrivée des Espagnols. Mais de tous les livres sur Colomb parus récemment, celui qui a fait le plus de bruit aux États-Unis est sans doute La Conquête du Paradis par Kirkpatrick Sale17.
18Pour Sale, Colomb est coupable d'à peu près tout ce qui nous ennuie dans le monde contemporain. La destruction des forêts tropicales, de plusieurs milliers d'espèces de plantes en Amérique et de la terre vierge a réduit de 90 pour cent les ressources qui émerveillaient les premiers Européens dans leur visite du nouveau monde. La population des Indigènes a souffert encore plus. Mais ce qui frappe dans le livre de Sale, c'est cette nostalgie et cette tendance à exagérer la pureté des Indigènes masquée par l'énorme panoplie de sources savantes et l'érudition qui étouffe toute opposition à sa thèse principale.
19Quoi qu'on en dise, il y a eu certes une occasion d'or, un moment, une chance pour les peuples d’Europe de trouver une nouvelle base dans un nouveau pays, où ils ont à peine entrevu la promesse d'un paradis terrestre, une chance d'assurer le salut du monde. Mais ils n'en ont découvert que la moitié, un monde de trésors et d'un peuple naturel à saisir et qu'ils ont pris sans jamais avoir compris le véritable pouvoir régénérateur qui était là devant eux ; par conséquent, cette occasion fut perdue. Ils avaient vraiment conquis le paradis, mais inévitablement, comme il arrive toujours quand on fait la guerre à la nature, ceux qui gagnent finissent par perdre ; perdu encore une fois, et cette fois peut-être définitivement (p. 370).
20Ce jugement sombre donne une idée du style prophétique de Kirkpatrick Sale en un livre qui évoque un autre mythe au fur et à mesure qu'il démythifie celui de Colomb, le mythe du bon sauvage qui n'est en rien moins eurocentrique que celui qu'il dénonce.
21Au premier congrès de San Salvador en 1986, les participants évitaient la démythification en faveur d'un approfondissement de nos connaissances archéologiques et géographiques, surtout la question sur le point d'arrivée du premier voyage. Luis Coin Cuenca, professeur d'histoire maritime à l'Université de Cadiz, prétend que Colomb n'a pas suivi la route acceptée par les historiens mais un trajet plus au sud qu'il dissimulait pour éviter d'affronter les Portugais ; cette théorie est élaborée dans le livre de John Dyson qui a paru l'an dernier. Cette volonté de se heurter à la politique courante est très marquée au catalogue somptueux de l'exposition à la National Gallery (Washington) Circa 149218, qui veut substituer à nos connaissances colombiennes une sorte de vol d'oiseau sur l'art du monde tel qu'il existait à l'époque. Ce qui est curieux pour celui qui feuillette ce gros volume, c'est la façon dont on évite de parler de Colomb lui-même, comme si c'était un sujet trop embarrassant pour être mentionné. C'est une démonstration parfaite de l'idéal de "multiculturalisme" et du rejet de "l'eurocentrisme" qui font partie de la politique "correcte" depuis dix ans aux États-Unis. L'exposition de la National Gallery fut très discrète, un peu trop à mon avis. Elle évitait toute suggestion de controverse ; elle offrait quelque chose pour tout le monde, un de ces grands compromis qui sont essentiellement américains mais qui ne nous apprennent pas grand chose sur l'état actuel de la question colombienne.
22Mais le résultat le plus étonnant et le plus troublant de toutes les recherches exécutées depuis plus d'un siècle de colombisme assidu c'est l'évidence de la fragilité de presque toutes nos conclusions19. De tous les titres publiés récemment, c'est surtout celui de David Henige qui est le plus bouleversant. Henige montre que les textes sur lesquels sont fondées les interprétations forment une base très peu solide. Le journal de bord de Colomb, par exemple, n'existe que dans une version préparée par Las Casas, basée sur on ne sait quelle copie de l'original, qui semble être parfois une transcription plus ou moins exacte et parfois une sélection ou une paraphrase. Comment se fier à des documents qui sont eux-mêmes des labyrinthes20 ?
23Y aurait-il, cependant, dans toutes ces controverses un aspect positif ? Est-ce qu'il faut céder la place à ceux qui voient dans le centenaire non une occasion de commémorer mais un événement à déplorer ? Un demi-siècle après le premier voyage, l'esclavage des Indigènes fut proscrit. Dans son étude sur la lutte pour la justice à l'époque de la conquête, Lewis Hanke a montré que l'idée de la fraternité universelle était d'origine espagnole. La découverte du nouveau monde était en même temps, malgré des erreurs tragiques, une découverte de la nature de l'homme. Pour la première fois il était possible d'imaginer l'humanité comme un tout, même s'il a fallu des siècles pour reconnaître la liberté, l'égalité et la fraternité comme des droits essentiels de tous les hommes de la terre. Anthony Pagden a mis en relief que la récusation la plus soutenue et la plus complète fut présentée formellement par les juristes et théologiens espagnols. Le titre "d'Espagne" sur les terres nouvellement découvertes fut contesté déjà au seizième siècle par un juriste espagnol, Francisco de Victoria (1492-1546), au sein donc de la loi espagnole. Dans son De Indiis il déclara que les barbares étaient les véritables propriétaires et qu'on n'avait aucun droit à leurs pays ni à les réduire en esclavage, fût-ce eux-mêmes qui auraient découvert l'Espagne. Il faut ajouter que les récriminations actuelles sont presque toujours conçues en termes de caractère occidental : la conséquence la plus importante de la tragédie des Indigènes de l'Amérique est peut-être la formation d'une conscience morale plus ouverte aux droits de l'homme, une conscience qui eut sa source dans les premières rencontres de l'Europe avec un peuple et un monde nouveaux dont on n'avait jamais soupçonné l'existence.
24Vers la fin de son livre sur Colomb dans la collection "Que sais-je ?", Charles Verlinden a souligné l'importance du premier voyage pour la perspective et la communication modernes : C'était le contrôle de l'Atlantique par leur navigation qui leur avait permis d'atteindre l'Asie par l'est et l'Asie encore par l'ouest. Aucun peuple avancé d'un autre continent ne dominait les transports intercontinentaux d'une façon comparable, même de loin, à ce qu'avait réalisé l'homme occidental. Lui seul avait une vue d'ensemble du monde et, dans ce monde pour lui comme pour tous ceux qui arrivèrent à assimiler plus tard ses connaissances et ses techniques, l'Atlantique occupait sans doute possible la position centrale, clé et condition des communications avec les autres océans. C'était l'homme européen qui avait uni les mondes océaniques et avait donné à la Terre le premier système de communications intercontinentales intégrées. La face du monde en demeura changée pour toujours (Verlinden, 125-26).
25Le monde que nous habitons est un village global, comme disait Marshall McLuhan il y a trente ans. C'est cette vue d'ensemble du monde qui nous a amenés au monde actuel que nous. habitons ensemble. Mais nous ne nous trouvons pas toujours à l'aise avec nos voisins, surtout s'ils ont tendance à nous dominer en quelque sorte, que ce soit une tyrannie de caractère économique, politique, culturel ou religieux. Plus le monde devient un, et plus nous réagissons contre cette uniformité globale qui nous est imposée sous forme de Mac Donalds et de Disneylands américains ou de voitures et magnétoscopes japonais. Partout on craint la perte inévitable de l'identité régionale. Le même nationalisme exacerbé des dix-neuvième et vingtième siècles qu'on croyait en train de s'estomper revient maintenant au galop, à la différence essentielle qu'il est plus subtil que l'impérialisme et le colonialisme du passé. Aujourd'hui c'est la fragmentation qu'on voit en train de se manifester dans l'ancienne URSS ou en Yougoslavie et dans d'innombrables tentatives d'autonomie régionale, une espèce d'individualisme local qui définit notre nouveau monde. Le mot de la tribu a plus d'importance que la légende des siècles qui a soutenu les empires historiques. Voilà, finalement, pourquoi le mythe de Colomb est devenu Si difficile à soutenir, même dans le nouveau monde où il a pris naissance, et tellement impossible pour certains à célébrer.
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Notes de bas de page
1 Je les appelle ainsi pour éviter le mot trompeur d"'Indien".
2 La fête de Colomb aux États-Unis.
3 Elle raconte qu'une caravelle aurait été poussée par des vents contraires vers l'ouest où elle aurait découvert une ou plusieurs îles du côté des Indes et aussi des gens qui se promenaient nus. Mais tout l'équipage serait mort peu après leur retour en Europe, sauf le pilote, qui est devenu l'ami intime de Colomb. Malheureusement, il mourut peu après de la même maladie qui aurait frappé ses confrères - mais non sans confier à Colomb quelques indications précises. C'est ainsi que Colomb fût devenu le seul dépositaire de la découverte. Cependant, Oviedo ajoute : "Personne ne peut affirmer que cela soit vraiment arrivé, mais cette histoire s'est propagée ainsi dans le monde, dans le peuple, comme je l'ai raconté. Pour moi, il s'agit d'un faux" (cité par Taviani II 303). L’histoire a été reprise par Francisco Lopez de Gomara dans son Historia de las Indias en 1552 et par Bartolomé de Las Casas au chapitre XIV du livre premier de son célèbre ouvrage sur les Indes. Bien qu'il ne se soit prononcé ni pour ni contre la légende, Las Casas n'y voyait rien qui eût pu diminuer le grand Amiral. Dénoncée désormais par nombre de savants, la fable a été prise au sérieux par une succession de spécialistes, tout récemment par Juan Manzano (Colón y su secreto, 1976 ; 2ème éd. 1982).
4 Par exemple, l'historien mexicain Edmondo O'Gorman a remarqué en 1961 que la légende mentionnée pour la première fois par Las Casas, selon laquelle Colomb aurait conçu son voyage dès le commencement comme une tentative de trouver un monde jusqu'alors inconnu, fut proposée non pour augmenter sa gloire mais pour combattre ses intérêts et réduire son prestige.
5 Il en résulta qu'en 1535 il y a eu un procès "héritiers Colomb contre héritiers Pinzón" qui se termina en 1537 en faveur de ceux-là après une intervention de la puissante famille d'Albe. Le représentant de la couronne conclut en 1536 que "Pinzón avait des indications sur les îles découvertes, il se proposait d'aller à leur recherche lorsque Colón vint le trouver, il s'associa alors avec lui et fournit les moyens de mettre l'entreprise à exécution. Il devait donc bénéficier de la moitié de tous les avantages qu'allait rapporter la découverte. Mais profitant de la mort de Pinzón avant qu'il n’ait vu les rois, Colón s'en attribua tout le mérite" (cité par Merrien 142).
6 Malgré la logique et le rationalisme de cette argumentation, il y a chez l'Abbé un style rhétorique qui paraît plus propre à l'orateur qu'à l'historien sobre ou au sociologue. Ses fulminations seront reprises, à nos jours par son disciple américain Kirkpatrick Sale.
7 Un événement important, tant pour les leçons qu'il apporta à l'urbanisation américaine que pour sa valeur politique et nationaliste, c'était l'occasion d'un grand rassemblement des triomphes et des promesses de l'Amérique moderne. On montrait des répliques des trois caravelles de Colomb. Le pittoresque n'était pas absent de cette grande scène où l'on trouva parmi les marbres monumentalement néo-classiques les produits de l'industrialisation et des grandes plaines exaltés comme les fruits d'un nouvel éden technologique. L'image de Colomb qu'on présentait alors était celle du savant, de l'homme de science et de raison, qui s'obstina jusqu'à ce que les aveugles fussent convaincus de la simple vérité qu'il ne cessa jamais de leur proposer.
8 La biographie de Roselly de Lorgues, œuvre romanesque plutôt qu'historique, donnait raison à ceux qui voulaient voir en Colomb un saint digne de canonisation. La réfutation classique de leurs sentiments fut le livre d'Angelo Sanguinetti publié en 1875 : c'était la révélation des relations de Colomb avec sa maîtresse, Béatriz Enriquez de Harana, qui donna le coup de grâce à cette tentative littéralement hagiographique.
9 Parmi ses successeurs, il faut inclure trois savants américains qui ont continué cet esprit critique : Justin Winsor, John Fiske et surtout Henri Harrisse. Ce dernier, citoyen américain mais né à Paris et fils d'un père juif russe et d'une mère française, offrit une contribution monumentale. L'étude de Colomb pendant la seconde moitié du siècle fut dominée par lui, et sa poursuite systématique des documents et des faits historiques concernant les gestes du grand Amiral sert comme indice du prestige de Colomb à cette époque, même si Harrisse était souvent obligé de démasquer les aspects discutables de l'hagiographie colombienne. Auteur d'études historiques sur la vie et son temps, Harrisse explora une vaste quantité de documents et contribua directement à l'explosion des activités scientifiques consacrées aux explorateurs de la Renaissance vers la fin du dix-neuvième siècle. Le travail critique de Harrisse augmenta énormément l'effort scientifique qui couronna le quatrième centenaire. Malgré son admiration pour son personnage, la contestation lancée par Harrisse contre l'authenticité de la biographie de Christophe Colomb par son fils Ferdinand et la méfiance de Bartolomée de Las Casas sont les témoins d'un scepticisme croissant dans le monde savant, même si l'image populaire de Colomb est restée plus ou moins intacte.
10 En Espagne, la revue El Centenario était le bureau central des colombistes, et en 1892 le célèbre Menéndez Pelayo contribua au deuxième volume par un compte rendu des livres érudits consacrés au grand événement. La revue publia la carte de Juan de la Cosa de 1500 avec un essai descriptif de Cesário Fernández Duro. Des éditions tout à fait remarquables commençaient de paraître. La duchesse de Berwick et Alba fit imprimer des documents essentiels des archives de sa famille. Ressource indispensable, la collection en 67 volumes de documents des archives des Indes à Séville sélectionnés par Pacheco, de Cárdenas et Torres de Mendoza, avait déjà commencé en 1864 et fut continuée jusqu'en 1931. D'autres collections furent publiées au cours de la décennie : celles d'Asensio et de la Real Academia de la Historia, par exemple, ainsi que le catalogue de la bibliothèque de Colomb par Feraudo et les deux volumes de Cesário Fernández Duro qui documentent les procès des héritiers de Colomb. En Italie, la Commission Colombienne contribua à partir de 1892 à la Raccolta di documenti e studi pel quarto centenario della scoperta dell'America, une série monumentale en six parties et quinze tomes, ce qui reste toujours la plus importante collection de textes originaux. L'édition critique des écrits de Colomb, la première partie (en quatre tomes), garde sa valeur même un siècle plus tard. (Une réédition de la série, amplifiée et mise à jour, avec traduction italienne en face, commença à paraître en 1988). Fumagalli et Amat di S. Filippo publièrent une bibliographie originale de tous les livres italiens consacrés à Colomb et aux voyages des Italiens en Amérique, et Cornelio Desimoni s'adressa aux problèmes qu'affrontaient les érudits à la fin du siècle. Plusieurs ouvrages spécialisés répertorièrent la découverte à travers l'art (Ponce de León), la littérature (Gelcich), les monuments (Curtís) et les premières impressions de la végétation du nouveau monde (Colmeiro). Les histoires de la maladie vénérienne (Proksch), des relations de Colomb avec le couvent de la Rábida (Coll) et avec les Juifs (Kayserling, Modona) et de la ligne de démarcation furent minutieusement examinées. Harrisse était très actif pendant cette dernière période d’une carrière distinguée et contribua à l'introduction d'une édition anglaise du livre des privilèges de Colomb par Benjamin Franklin Stevens et un essai sur les autographes de Colomb, sans compter trois ouvrages importants, deux écrits en français et un en anglais. Quelques années après la décennie de commémoration, John Boyd Thacher, profitant de cette récolte d'érudition, étudia tout le nouveau matériel en un projet monumental de trois volumes. Cette grande époque fut conduite à sa conclusion par les travaux de l'américaniste français Henry Vignaud, admirateur et biographe de Harrisse qui poursuivit ses recherches dans le même esprit de documentation patiemment exécutée et de scepticisme envers les exagérations présentes dans des sources telles que les histoires de Fernand Colomb ou de Las Casas. Son premier livre, Le vrai Christophe Colomb et la légende, malgré son titre provocant, n'est pas une démythification de Colomb mais une dernière tentative de la part de l’auteur de réaffirmer plusieurs thèses qu'il avait soutenues dans ses écrits antérieurs, y compris l'histoire du pilote inconnu, que Vignaud prenait pour vraie, et l'assertion que Colomb est parti, dès le commencement, à la recherche d'un nouveau continent inconnu. Ainsi, "on découvre un Colomb qui, sous bien des rapports, diffère de celui de la tradition, mais auquel on doit attribuer à bien plus juste titre le mérite d'avoir seul découvert l'Amérique" (p. 22). Le Colomb de la légende, selon Vignaud, "est un homme qui s'éprend d'une idée chimérique qu'il tente de réaliser, ce qui a pour conséquence de l'amener à se butter contre des terres dont il ne soupçonnait pas l'existence et qu'il prend pour les extrémités de l'Asie orientale” (p. 194). Loin de vouloir critiquer Colomb pour quoi que ce soit, Vignaud ne veut que remettre "Colomb à sa place, sans l’avoir diminué dans ce qui fait sa véritable grandeur" (p. 200).
11 Par conséquent, la démythification actuelle est parfois aussi ignorante que la mythification du dix-neuvième siècle et aussi peu informée par le sens de l'histoire. Les tentatives érudites des savants à la fin du dix-neuvième siècle de fêter la mémoire du grand homme ont servi en même temps à créer des doutes autour du sens de l'entreprise de Colomb et surtout de son exécution.
12 C'était à ce moment entre les deux guerres mondiales que l'Occident commençait à être conscient des excès de la modernité et de la fragilité de toute civilisation et où certaines nouvelles forces anti-démocratiques étaient à peine perceptibles, que le mythe a subi des modifications très profondes.
13 Les origines de Colomb ont été très discutées, malgré tous les documents découverts au dix-neuvième siècle qui ont établi que Gênes était, sans aucun doute, sa ville de naissance. Les thèses de ses origines espagnole, catalane, anglaise ou celtique proposées par certains auteurs ont été démolies entre 1923 et 1928 quand R. D. Carbia et Angel de Altolaguirre démontrèrent que les documents desquels ils dépendaient étaient faux. En 1931 des documents publiés par la ville de Gênes établirent d'une façon définitive qu'il était bien génois (Voir aussi Caddeo, 1929).
14 Malgré la réédition en 1930 par Caddeo de la biographie de Fernand Colomb et une défense de son authenticité (contre Harrisse et Vignaud, qui la nièrent), Carbia continua de mettre en question la fiabilité du livre attribué au deuxième fils de Colomb et rejetait l'interprétation des événements proposés par Las Casas.
15 Colomb a même insisté sur le sens symbolique et étymologique de son nom adopté et faisait dériver "colonialisme" explicitement de la version espagnole de son nom de famille (Colón).
16 Les historiens italiens et espagnols lui sont généralement favorables, les américains, anglophones ou hispanophones, progressivement hostiles. Les travaux de Paolo Emilio Taviani, par exemple, représentent une tentative pour défendre Colomb contre ses détracteurs, de Harrisse jusqu'à nos jours. La nouvelle biographie de Fernández-Armesto (qui doit être classé anglais-espagnol) est une présentation scrupuleusement balancée.
17 Il ne faut pas le confondre avec un autre livre, presque du même titre, La Conquête de l'Éden, bien plus balancé et plus raisonnable, de Michael Paiewonsky.
18 Rédacteur : Jay Levenson.
19 À part quelques faits tenus maintenant pour indiscutables, la personnalité de Colomb demeure mystérieuse ; les énigmes qui ont échappé à toute explication sont très bien présentées par John Noble Zilford en son compte rendu publié l'an dernier.
20 C'est une des grandes ironies de l'histoire que nous possédons un manuscrit colombien dont le texte est beaucoup plus certain, le Livre des prophéties, copié par son fils de treize ans. Jusqu'ici, il a été très négligé et considéré de peu d'intérêt scientifique. Néanmoins, une nouvelle édition avec traduction de ce dernier écrit de Colomb, soigneusement présentée par Delno West et August Kling, est peut-être la contribution la plus importante du cinquième centenaire, car il nous restaure un Colomb, homme de son époque, qui était plutôt hanté par des visions eschatologiques que par une perspective moderne.
Auteur
Université de Dallas, Texas
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