2. Le centre salé du monde. La saline des Chimane du piémont bolivien
p. 13-47
Résumés
La saline traditionnelle des Chimane est une source salée qui occupe dans leurs représentations une place de « centre du monde » à l’échelle locale. Jaillissant à l’extrême amont de leur territoire, dans les derniers contreforts andins, cette saline du haut Pachene, bien qu’elle ne soit pour ainsi dire plus exploitée, continue à faire l’objet d’une riche tradition qui la pose comme « le » haut lieu par excellence de la région et qui s’organise pour l’essentiel en trois volets. Un mythe d’origine, d’abord, constitue « presque » le dernier épisode du grand mythe de création et pose d’emblée le lien intime existant entre la saline et un site de pétroglyphes voisin. Un autre mythe, ensuite, renvoie à une époque plus récente que celle des origines, et rend compte de la perte de l’extraction facile originelle, remplacée à jamais par une extraction fastidieuse. Le troisième volet, enfin, se compose de l’ensemble des pratiques, prescriptions, interdits et représentations qui entourent l’exploitation traditionnelle et, de façon plus générale, l’accès aux lieux. Distincts les uns des autres sur le plan discursif, ces trois volets se renvoient pourtant bien des échos. Le thème de la reproduction (plutôt que de la sexualité, sévèrement bannie des lieux) y est en particulier omniprésent – y compris dans le paysage qui, aux alentours de la saline, est surinvesti et fait l’objet d’une véritable topo-graphie.
The Chimane’s traditional source of salt is a spring that represents for them the local « centre of the world ». Rising in the Andean foothills at one end of their territory, this spring in the upper Pachene, though no longer exploited, remains the object of a rich tradition which constructs it as « the » high place par excellence in the region. This tradition may be grouped under three headings. First, there is an origin myth which forms almost the last episode of the great creation myth and which expresses the intimate link between the salt-spring and a nearby group of rocks marked with petroglyphs. Next, another myth refers to a more recent period, and explains the loss of an originally effortless process of extraction which has now been definitively replaced by a laborious one. The third part is made up of the set of practices, prescriptions, taboos and representations in which the traditional process of salt extraction, and indeed access to the site itself, is embedded. Although these three aspects are discursively separate from each other, there are echoes between them. The idea of reproduction (rather than literal sexuality, totally banned at the site) is omnipresent and permeates the landscape itself, which is intensely marked and forms the basis of a dense topography.
Entrées d’index
Mots-clés : sel, mythes, pétroglyphes, reproduction, paysage, Chimane, Amazonie, bolivienne
Keywords : salt, myths, petroglyphs, reproduction, landscape, Chimane, Bolivian, Amazonia
Texte intégral
1La saline traditionnelle des Chimane d’Amazonie bolivienne est une source salée jaillissant à l’extrême amont de leur territoire, dont l’exploitation – fastidieuse – est bien davantage contrainte et conditionnée par un contexte fait de mythes et de représentations que par l’écologie. L’environnement y est pourtant une donnée fondamentale, mais au premier chef au sens large de « paysage », tenant à la configuration des lieux et à leur place dans le monde. À côté de quoi, si on s’intéresse aux espèces naturelles présentes, c’est l’abondance en poisson et en gibier qui caractérise le site pour les Chimane, bien plutôt que des préoccupations pour les ressources en bois.
2Ce qui crée le contexte de l’extraction est un ensemble composé de trois volets. Un mythe d’origine, d’abord, qui pose d’emblée le lien intime existant entre la saline et un site de pétroglyphes voisin. Un autre mythe, ensuite, renvoyant à une époque plus récente que celle des origines, et qui rend compte de la perte du mode d’extraction facile originel. Le troisième volet, enfin, est constitué par l’ensemble des pratiques, prescriptions, interdits et représentations entourant l’exploitation traditionnelle et, de façon plus générale, l’accès aux lieux. Distincts les uns des autres sur le plan discursif, ces trois volets se renvoient pourtant bien des échos. Le thème de la reproduction, en particulier, y constitue un fil rouge. Mais on commencera par quelques éléments de contextualisation plus large.
I. Approches
3Peuple indien établi au pied des derniers contreforts andins, les Chimane, aujourd’hui quelque 7 000 personnes, ont une économie amazonienne classique associant essartage (les principaux produits cultivés étant les bananes plantains et le riz pluvial pour les repas, le manioc doux et le maïs pour la confection de bière), chasse, pêche et, dans une bien moindre mesure, collecte. Leurs villages, traditionnellement de taille très réduite même s’ils tendent aujourd’hui à se rassembler en « communautés », regroupent des maisons mono-familiales, parfois très proches les unes des autres, mais ne suivant pas un plan groupé. Leur organisation sociale est régie par le système de parenté qui combine une filiation et une résidence indifférenciées avec un système d’alliance dit « dravidien » (mariage dans la catégorie des cousins croisés et terminologie de parenté correspondante), système courant en Amazonie mais qui se singularise ici par la mise en pratique étonnamment stricte de ses principes (Daillant, 2003).
1. Localisation dans un monde en « tranches »
4La localisation des Chimane est importante, tant historiquement que géographiquement. Contrairement à ce que l’on observe ailleurs sur le piémont oriental des Andes, la forêt dans laquelle on pénètre en descendant des montagnes dans cette partie de la Bolivie ne s’étend pas sur une immense surface jusqu’à donner dans l’Atlantique, mais représente une bande boisée courant entre les Andes, à l’Ouest (fig. 1, p. 15), et une très grande savane, la savane de Mojos, à l’Est (fig. 2, p. 16).
5Or les conquistadors, et les Espagnols en général, civils et religieux, ont toujours été infiniment plus à l’aise en terrain découvert que dans les enchevêtrements de lianes – pour eux impénétrables, et leur masquant de surcroît des habitants insaisissables – de la forêt, et ils ont beaucoup plus rapidement dominé les Andes, d’abord (dès leur arrivée au XVIe siècle), puis la savane (dans le dernier tiers du XVIIe), que l’espace intermédiaire piémontais. Espace où les Chimane sont ainsi restés bien plus longtemps autonomes (ce qui ne signifie pas « isolés », des contacts et des échanges avaient lieu, à des degrés divers, jusqu’à la fin du XXe siècle).
6Mais surtout, dans un monde comme celui des Chimane, conceptuellement ordonné par l’axe Ouest-Est, auquel est rapporté l’axe Amont-Aval, posé comme équivalent, et dont la colonne vertébrale est leur rivière principale, le Maniqui, cela crée une disposition du monde en tranches droites – Montagnes/Forêt/Savane –, perpendiculaires à l’axe du monde puisque s’étendant dans le sens Nord-Sud (deux directions désignées en chimane par le même terme, rocve, qui signifie littéralement « en travers » ; fig. 3, p. 17). Par ailleurs, dans cette partie du piémont où les derniers contreforts sont très abrupts, on comprend aisément la perception qu’ont les Chimane d’un monde ouvert en aval et fermé en amont. En amont, c’est-à-dire, à peu de choses près, juste au-delà de leur saline.
7Cette saline, dont l’eau sourd à proximité immédiate de la berge du haut Pachene (le formateur occidental du Maniqui), en terrain déjà fortement accidenté, n’est plus exploitée aujourd’hui. Elle le fut régulièrement environ jusqu’aux années 1930, puis cessa de l’être, mais de façon moins radicale que ne le veulent certains récits chimane, qui présentent un arrêt brusque de l’extraction, nous y reviendrons. Celle-ci fut remplacée par l’acquisition de blocs de sel auprès des commerçants fluviaux qui sillonnent le Maniqui en saison sèche, puis, ces toutes dernières années, par l’achat de sel en poudre. Particulièrement sur le haut Maniqui (à la fois plus proche de la saline et plus éloigné du monde bolivien), de nombreux Chimane âgés (c’est-à-dire âgés au moment de l’enquête, en 1989-1990 et 1996-1998) étaient encore allés à la saline dans leur jeunesse pour s’approvisionner en sel. Dans les dernières décennies en revanche, ceux qui ont encore tenu à s’y rendre – il y en a dans toutes les régions chimane – l’ont fait à des fins relevant bien davantage à la fois du tourisme et du pèlerinage.
8L’importance que revêt aujourd’hui encore la saline pour les Chimane ne tient donc pas à une utilité économique, qu’elle eut aussi par ailleurs.
2. Des circuits régionaux limités
9L’ampleur de la région que la saline du Pachene a pu approvisionner autrefois, que ce soit directement ou en alimentant des échanges, ne peut cependant être précisée, cette saline n’étant absolument pas documentée dans les sources anciennes, publiées ou d’archives connues à ce jour. Les premiers à la mentionner, sans la nommer, sont l’explorateur-ethnographe suédois Erland Nordenskiöld et le voyageur allemand Richard Wegner, qui parcoururent le pays chimane en 1913 et 1928 respectivement. Si Nordenskiöld recueille un premier fragment mythique sur le sel, concernant l’exploitation, il ne fait que signaler l’existence d’une source salée importante (1924, p. 112, 2001, p. 145)1. Wegner indique pour sa part que les plus grands voyages que font les Chimane sont les expéditions de plusieurs semaines à la saline, et que le sel est pour eux un produit d’échange nécessaire et prisé (1931a, p. 89-90 et 1931b, p. 231). Mais il ne dit ni avec qui ni contre quoi le sel était échangé. Les deux données prises ensemble suggèrent cependant des échanges intra-ethniques du même ordre que ceux dont témoignent les sources orales, et peut-être, pour les Chimane de l’aval, des circuits de relative proximité avec la population de San Borja (et de ses alentours) dans la savane voisine. Population blanche et métisse dont Nordenskiöld observait en 1913 que, sans les produits agricoles chimane, elle serait morte de faim… ou se serait vue contrainte de travailler (1924, p. 121, 127, 2001, p. 158, 164). Or le sel du Pachene était connu à San Borja dans les années 1920-1930, où il est même question de Boliviens (deux, selon Hissink, 1955, p. 64) s’étant rendus à la saline. Et si, en 1923, « San Borja » pouvait figurer avec le haut Chapare comme l’un des deux seuls noms composant la rubrique « salines » d’un article sur les ressources du département du Beni (Suárez Arana, 1923, p. 4), ce ne peut guère être qu’à la saline du Pachene qu’il le doit. Mais, à supposer que la route n’en ait pas été fermée plus tôt (cf. infra), l’intérêt qu’ont pu lui porter les habitants de San Borja a dû se tarir à partir de 1936, année où les premiers avions, susceptibles d’en amener de bien plus grandes quantités dans ce pays d’éleveurs, atterrirent chez eux. Même avant, il n’aurait du reste que servi éventuellement d’appoint, puisque, selon Hissink, avant d’arriver par avion des Andes, le sel de San Borja provenait du Brésil (op. cit., p. 61). Quant au commerce chimane, se référant à une époque déjà révolue lorsqu’elle connut la région en 1952, elle présente le sel du Pachene comme ayant fait l’objet de troc avec d’anonymes « tribus voisines » (ibid.).
10Plus à l’Ouest, donc plus près des Andes, une autre source salée est bien plus anciennement attestée sur le bas Bopi (important affluent gauche du haut Beni, appelé parfois Río La Paz du nom d’un de ses formateurs, fig. 1 et 2, p. 15 et 16). En 1620 – époque où il est (au mieux) extrêmement difficile de se repérer dans la multitude d’ethnonymes qui apparaissent dans les textes –, elle était exploitée par des Chanas et Mayas qui en commercialisaient le sel auprès de toutes les populations voisines. Ils se rendaient ensuite à leur tour, en remontant le Bopi dont ils occupaient l’embouchure, dans les Yungas (vallées chaudes et encaissées) de La Paz pour échanger les produits ainsi obtenus contre des biens espagnols, en particulier des outils métalliques2 (Bolívar, [1628] 1906, p. 215). Après un long vide documentaire, les sources reprennent à la fin du XVIIIe siècle, lorsque les franciscains commencent peu à peu à investir le haut Beni, désormais clairement occupé par les seuls Mosetene, voisins occidentaux et « parents » des Chimane, « réduits » en missions par les franciscains dans le courant du XIXe siècle.
11La présence de sel local est alors à nouveau signalée, et sa qualité soulignée. Il provenait d’une saline du bas Bopi chez les Mosetene de l’amont qui furent regroupés à Covendo3 et, semble-t-il, de la même chez ceux, originaires de l’Inicua, avec lesquels fut fondée Santa Ana4 (fig. 2, p. 16). Malgré les mentions récurrentes de ce sel, les données sur des circuits d’échange sont pour le moins pauvres. En 1803, un missionnaire (Coche, note 3) laisse entendre qu’il n’a pas connaissance de commerce au long cours (puisqu’il suggère qu’on pourrait peut-être en instaurer), tandis qu’en 1815 un autre évoque très succinctement des échanges permettant aux Mosetene de Santa Ana d’acquérir des biens commerciaux grâce à leur sel5. Selon que ces biens étaient acquis en remontant le Bopi, donc dans les Yungas andines, pourvues en sel, ou en descendant le Beni, dans la bourgade de Reyes manquant de sel (comme du reste tout l’aval jusqu’au Pérou et au Brésil), les échanges impliqués pouvaient être soit directs (dans le second cas), soit à deux temps comme en 1620 (dans le premier cas). Tout au plus peut-on ajouter qu’à la fin du XIXe siècle, alors que les missions mosetene (Covendo, Santa Ana et Muchanes) assuraient leur approvisionnement en biens extérieurs dans les bourgs des Yungas, le sel faisait partie des biens acquis en échange de produits locaux par les expéditions de saison sèche qui remontaient le Bopi en radeau. Une partie de ce sel était destinée à la mission, mais le reste était convoyé vers l’aval et vendu dans le port de Reyes, l’actuel Rurrenabaque (Balzan, 1892, p. 241 ; [1891-1893] 2007, p. 124-125)6. À cette époque, dans ce port d’origine coloniale, « la langue la plus parlée est le tacana de Tumupasa, car presque tous les péons en sont originaires » (op. cit., p. 143). Or, près d’un siècle plus tard, les Tacana de Tumupasa (rive gauche du Beni en aval, donc dans cette vaste région sans sel qui s’étend au Nord du pays mosetene) affirment avoir toujours acquis leur sel à Rurrenabaque (Ottaviano et Ottaviano, 1980, p. 39) – approvisionné, donc, au moins un temps, et peut-être en fait un temps plus long, par les Mosetene.
12Une telle attention portée au sel du bas Bopi et aux circuits mosetene ne tient qu’en partie au fait que ces données concernent, d’une part, un groupe voisin des Chimane, qui plus est le seul à leur être culturellement et linguistiquement apparenté et, d’autre part, la saline la plus documentée de la région au sens large. Elle vise aussi à montrer combien il est ici nécessaire de jongler avec des bribes de données pour étayer un tant soit peu et par la bande la supposition, pourtant simple, qu’entre des gens bien pourvus en sel (les Mosetene) et des voisins presque immédiats qui en sont totalement dépourvus (les Tacana), il pourrait bien y avoir eu autrefois des échanges. Bien entendu, un grand nombre de données échappent aux sources écrites, et parmi celles-ci certaines échappent au chercheur. Malgré tout, même en tenant compte, il paraît clair que le piémont bolivien n’a rien connu de comparable à cet impressionnant réseau macro-régional qui s’était constitué plus au Nord, sur le piémont péruvien, autour du fameux Cerro de la Sal des Arawak préandins (Tibesar, 1950 ; Varese, 1968 ; Santos Granero, 1992, p. 23- 26 ; Renard-Casevitz, 1993). Une autre différence entre le Pérou et la Bolivie – à laquelle on peut supposer quelque lien avec la précédente – est l’existence, dans le Sud de l’Altiplano bolivien, d’immenses étendues de sel cristallisé : les Salars d’Uyuni et de Coipasa (plus de 12 000 et de 2 000 km2 respectivement, soit deux à trois départements français). Le sel en fut assidûment exploité et échangé de très longue date, et les caravanes de lamas qui le convoyaient se rendaient encore jusqu’à récemment dans certaines vallées chaudes du versant oriental des Andes (pour des données préhispaniques, cf. Lecoq 1985 et 1999, pour la période coloniale, Platt 1987 et, sur les caravanes de lamas contemporaines, Lecoq 1987). Vallées chaudes d’où on peut penser que des circuits locaux ont pu, en particulier dans le Nord sans sel, approvisionner le piémont.
II. L’origine : Dojity, Micha’, une femme et un enfant
13Ce qu’est « la » saline pour les Chimane est posé par la mythologie. Plus précisément, par le grand mythe de création, la geste de deux frères, Dojity et Micha’ – le premier, trublion créateur, le second beaucoup plus posé – dont, contrairement à la plupart des Amérindiens qui placent deux frères au cœur de leur mythologie, les Chimane ne nous disent ni qu’il s’agirait de jumeaux ni qui est l’aîné. L’épisode de l’origine du sel se situe « presque au terme » de l’histoire, une place, comme on le verra, particulièrement appropriée. Le début ne sera que brièvement résumé.
14Après un premier épisode qui se passe au zénith, chez leur sœur Dovo’se où ils tentèrent en vain de fixer à jamais leur troisième frère, le Soleil, ils descendent sur terre dans la partie Ouest et montagneuse du monde grâce à une liane issue de leurs larmes de frustration. Dojity, descendu le premier, amène la liane à se rompre pendant la descente de Micha’, qui chute, se brise en deux (la tête d’un côté, le reste de l’autre), se fait recoller « à l’envers » par son frère (la tête à la place du postérieur), et s’en trouve intégralement inversé, ses bras devenant ses jambes et ses jambes ses bras. Dès l’épisode suivant, alors que les deux frères se trouvent enfermés dans une grotte (suite au viol en série des femmes Grenouilles Von’tojto’ – par Dojity, bien entendu), Micha’ se creuse un tunnel qui le mène directement au-delà de la « porte » du monde (le Pe’päu)7, qui se trouve à l’extrémité Est. Rebouchant l’orifice derrière lui, il laisse son frère, qui dormait enfin, enfermé dans la grotte. À son réveil, celui-ci ne tarde pourtant pas à se libérer par une ruse, se laissant couvrir d’asticots pour faire croire à sa mort. Le découvrant ainsi, ses geôlières vont le jeter à la rivière, dont il ressort nettoyé. Sur quoi il transforme ces femmes en grenouilles von’tojto’.
15Commence alors le grand parcours créateur de Dojity, qui descend le monde en quête de son frère et qui, au fil des épisodes, crée de nouvelles espèces en transformant des gens en animaux. Lorsqu’il parvient à l’extrémité (Est, donc) du monde, qui est un lieu où, telle une grande herse, le ciel s’abat régulièrement sur la terre, il parvient à le franchir sans se faire écraser, et arrive enfin chez Micha’. Celui-ci a entre-temps deux femmes, dont une à laquelle il tient particulièrement (sur la hiérarchisation de ces femmes, cf. Daillant, 2006, p. 76-77). C’est, comme il se doit, celle-là que Dojity s’empresse de lui voler. Il s’enfuit avec elle, reparcourant alors le monde dans l’autre sens, cette fois en le remontant, d’Est en Ouest, non sans créer encore quelques nouvelles espèces au passage. Lorsqu’il parvient tout en amont du Maniqui, il emprunte le Pachene qui vient de l’Ouest, s’enfonçant en terrain accidenté.
16C’est ici que commence l’épisode qui nous intéresse. En voici d’abord une version de synthèse qui en situera la trame, les variantes et détails sur lesquels nous nous arrêterons plus loin ne pouvant être d’emblée présentés en bloc. Même une version simplifiée peut cependant amener à choisir entre des options, et ce sera le cas sur certains points de celle-ci.
17Lorsque Dojity et la femme volée parviennent sur le haut Pachene, la femme accouche. Dojity transforme – disons pour l’instant – la femme et l’enfant en sel, tandis que le liquide amniotique devient le Pachene. Se croyant arrivé au centre du monde, il veut fonder un village. Parvenu au terme de son tumultueux parcours créateur, il souhaite en effet s’établir et se reposer. Mais pour s’assurer de sa position, il envoie deux oiseaux en reconnaissance. L’un (jamais identifié), rentre rapidement bredouille, et c’est le colibri qui à son retour lui annonce que le centre du monde se trouve en fait plus loin dans les montagnes. Dojity crée alors les pétroglyphes pour désigner aux gens l’emplacement du sel, laisse l’empreinte de son pied dans une pierre pour baliser le chemin d’accès, et repart vers les montagnes, où il fonde finalement son village – que certains appellent « La Paz » – et s’établit définitivement. Depuis lors, les deux frères vivent ainsi, chacun à un bout du monde (fig. 3, p. 17).
18Quelques remarques s’imposent dès à présent.
19Il importe d’abord de souligner que dans l’ensemble du mythe – qui est une grande geste enchaînant de nombreux épisodes – et même de la mythologie, la saline et les pétroglyphes qui lui sont associés sont les seuls éléments localisés. Ce qui signifie aussi, en le formulant dans l’autre sens, que ce sont les seuls éléments du paysage à avoir une origine mythique et, donc, une existence ancrée dans le mythe. Et pas n’importe laquelle, puisque ce ne sont rien moins que la femme et l’enfant « du Père » qui s’y trouvent éternisés. « Le Père », Jen’, étant une appellation que les Chimane emploient pour désigner indifféremment les deux frères, y compris – et toujours au singulier – la paire qu’ils forment (soit une indétermination qui, dans ce contexte, évite de décider – ou ne permet pas de savoir – duquel des deux, au fond, on a là la femme et l’enfant). Cette appellation présente par ailleurs une accueillante porosité onomastique qui permet aussi à « Dios » (« Dieu ») d’apparaître dans l’histoire, pour désigner, là encore, l’un ou l’autre des deux frères, ou les deux ensemble. Si un seul est ainsi désigné (Dojity attire le terme en étant le principal créateur, et Micha’ en étant celui auprès duquel se rendent normalement les morts), l’autre sera volontiers appelé « Jesú-cristo ». Les deux héros ne se trouvent cependant pas plus affectés par l’emploi de ces labels que ne l’est la résidence de Dojity lorsqu’elle est appelée « La Paz » (appellation qui s’estompe, voire disparaît, d’ailleurs chez ceux pour lesquels la ville de La Paz représente réellement quelque chose).
20Quant à la notion de « centre du monde » appliquée à un lieu qui apparaît, dans la vision du monde telle qu’elle a été présentée jusqu’ici, comme son extrémité Ouest, elle appelle bien sûr une explication. Elle est liée à l’unité conceptuelle qui existe pour les Chimane entre nos notions de « dans » et de « sous », regroupées chez eux dans une même notion d’intériorité, et signifiées par le même suffixe, -ĉan. Ce qui fait que le terme traduit ici par « centre » – et que les Chimane eux-mêmes traduisent en espagnol par centro dans ce contexte –, dyi’-ĉan-ya’, intègre en fait à la fois nos notions de « centre » et de « fond », dans une notion que l’on pourrait appeler de « centre-fond » correspondant au lieu le plus intérieur d’un objet : centre d’un disque, tout autant que fond d’un sac par exemple. Ou, pour établir un lien visuel entre les deux : « centre-fond » d’un bol ou d’une calebasse. Or, la représentation chimane du monde l’assimile justement, quoique de façon non directement explicitée, à un récipient. Explicitement toutefois, son seul bord et sa seule ouverture sont à l’extrémité Est, son extrémité Ouest étant dès lors « le lieu le plus intérieur », le « centre-fond » (fig. 4, p. 24). Et les deux frères n’en sont pas moins, aussi, chacun à un bout de l’axe du monde. Dans un important article sur lequel nous reviendrons à propos des pétroglyphes, Karin Hissink présente d’ailleurs une intéressante version, recueillie en espagnol en 1952, qui, en l’espace de quelques lignes, réunit les deux types de formulation : Dojity envoya deux oiseaux chercher le bout du monde (« das Ende der Welt ») et le colibri, qui mena sa mission à bien, revint en expliquant que le centre du monde n’était pas « ici », mais dans les hautes montagnes (« Hier ist nicht die Mitte der Welt, sie liegt in den hohen Bergen », 1955, p. 67, et Hissink et Hahn 1989, p. 60, souligné par moi ; pour des données beaucoup plus complètes sur les notions spatiales et sur la vision du monde chimane, cf. Daillant, 2003, chap. XII en particulier).
21Relevons aussi dès maintenant l’équivalence de type « télescopique » qui existe entre le centre-fond du monde global, où est établi Dojity, et le centre-fond du monde envisagé à une échelle locale : la saline.
22Enfin, dernier « détail », qui n’apparaît jamais dans la littérature, à peu près pour la même raison qu’il n’est pas apparu jusqu’ici : il tend à passer inaperçu. Le terme ava’ a été traduit ici de façon très littérale par « enfant », et il est généralement traduit en espagnol par « hijo », tout simplement parce que, dans cette langue, il faut choisir et que le masculin l’emporte. Mais du coup les versions publiées du mythe parlent toujours d’un fils (Hissink, 1955, p. 67 ; Hissink et Hahn, 1989, p. 61 ; Riester, 1976, p. 272). Or cet enfant est une fille. « Puisque le sel est toujours une femme… », selon les termes d’un Mosetene de Covendo à propos de la saline du bas Bopi. De fait, en chimane comme en mosetene, le sel, jicoj dans les deux cas, est féminin, grammaticalement et physiquement. Que ce soit sous forme matérielle ou animée, en parler en chimane revient toujours à dire « elle ». Cette coïncidence nécessaire entre le sexe d’un personnage et le genre grammatical du nom commun correspondant est du reste un phénomène général en chimane. Ce qui est parfois commode dans cette langue où le genre des substantifs n’est pas indiqué par le terme même. Connaissant par exemple l’épisode résumé plus haut, on ne peut avoir aucun doute : le terme von’tojto’, désignant une sorte de grenouille, est forcément féminin puisque ces grenouilles sont issues de la transformation de femmes (des femmes Von’tojto’ précisément).
III. La perte de l’extraction facile : la femme aux deux maris
1. Une histoire…
23Restant encore dans la mythologie mais passant à l’exploitation, un deuxième mythe – qui ne relève plus du temps des origines mais est situé quelque part dans l’histoire de l’humanité –, raconte comment « Autrefois, ce n’était pas dur d’extraire du sel ». Il faut préciser pour cela que la saline n’est jamais présentée comme un lieu qui aurait été habité en permanence, mais comme un lieu où on se rendait en saison sèche pour l’extraction. (Elle se trouve au-delà, en amont, de la zone peuplée qui comprend encore le bas Pachene).
24Devaient alors s’y rendre des couples ayant un très jeune enfant (de n’importe quel sexe, cette fois) et respectant encore la prohibition sexuelle post-partum qui dure plusieurs mois. Autrement dit, des couples dont l’enfant – qui maintient après la naissance une perméabilité avec ses parents – n’avait « pas encore été gâché, gâté » (jambi’ achi’joi’), c’est-à-dire « souillé », par leurs rapports sexuels : un « bon enfant », en somme, jäm’si’ ava’. L’idéal décrit étant un enfant grand dans cette première tranche d’âge, jouissant de bonne santé et d’embonpoint.
25En ce temps-là, le sel était exploité sous forme solide, prélevé sur ce qui est habituellement décrit comme un grand bloc, rarement comme une nappe à ciel ouvert, situé dans les deux cas sur une montagne du haut Pachene. À l’arrivée à la saline, les couples devaient offrir leur enfant pur et bien portant à l’esprit-maître et gardien du sel, jico-s a’ mo’, ou plutôt, à la maîtresse gardienne du sel, elle-même appelée Sel – étant « le Sel ’elle’-même », mo’dye Jicoj – qui apparaissait sous la forme d’un grand chien sauvage (blanc, selon certains). Normalement, les esprits en général et les esprits-maîtres en particulier – dont les plus importants sont ceux du gibier, maîtres à la fois du gibier-cheptel qu’ils possèdent et de la montagne qu’ils habitent, en même temps qu’ils sont « le Mont lui-même » (mu’dye Mucu’) – apparaissent toujours sous forme de jaguars. Ce chien sauvage, à la fois maître (sse) et personnification du sel, qui intervient ici est donc à première vue pour le moins curieux. Seulement, le jaguar, tout comme le puma, l’ocelot et autres félidés locaux, sont grammaticalement masculins. Le chien sauvage est le seul fauve féminin du bestiaire (ou de la langue) chimane, le seul dont on peut parler en disant « elle ». L’enfant lui était offert, non pour que Elle, donc, le mange, mais pour qu’elle le lèche et l’embrasse. Elle laissait alors les parents passer et accéder brièvement au bloc de sel, dont ils cassaient un morceau (certains précisent « au beau milieu ») qu’ils enveloppaient – « emmaillotaient », voudrait-on dire – soigneusement, et qui se mettait alors à grandir tout seul sur le chemin du retour. La maîtresse du sel, et le sel, étaient entourés de quantités d’autres fauves, jaguars et pumas principalement, qui faisaient office de gardes, mais qui, eux, ne léchaient pas l’enfant.
26Vint un jour une femme qui avait deux maris. Et cette fois, contrairement au trio du mythe précédent que cette nouvelle femme entre deux hommes ne peut pourtant manquer d’évoquer : simultanément. (Sociologiquement, le cas existe mais est exceptionnel). Or, rompant l’interdit, elle avait prématurément repris des relations sexuelles avec l’un des deux. L’autre, qui ne savait pas que l’enfant avait été « gâché », qu’il « ne valait plus » (aty jam yai’), le présenta innocemment à la maîtresse du sel qui, dès qu’elle le lécha, se mit dans une rage monumentale, dévora l’enfant, en général aussi ses parents, les autres enfants, et une grande partie des sauniers qui s’enfuyaient, les faisant de surcroît poursuivre par de grands pumas, les pupujri’, sortis de l’intérieur de la montagne et qui déferlèrent vers l’aval en attaquant tous les villages au passage jusqu’au moyen Maniqui. Là où celui-ci rompt le tout dernier relief et entre définitivement dans la plaine8, des chamanes – qui avaient fait préparer de la bière par des fillettes et l’avaient versée dans des tranchées creusées perpendiculairement au Maniqui sur ses deux rives (variante : dans des rigoles creusées en croix) – parvinrent à les arrêter et à leur faire réintégrer in extremis l’intérieur de la montagne. L’endroit s’appelle encore aujourd’hui Pupujri-tum-si’, l’endroit « qui est avec des pupujri’ » (« aux pupujri’ »), terme qui n’apparaît que dans ce contexte et dans ce toponyme, le puma ordinaire étant appelé ñeta’.
27Depuis lors, l’accès au sel solide est interdit à jamais par ses gardiens qui s’en prendraient à quiconque approcherait des lieux. Désormais, il en coûte d’extraire du sel, seule la source salée étant demeurée accessible et son eau devant être fastidieusement mise à bouillir jusqu’à évaporation complète.
2. … dans l’Histoire
28Telle est la conclusion habituelle – et logique, puisque, de fait, l’exploitation se fit à partir de la source salée – des versions contemporaines. Il est cependant à relever que nombre de récits plus anciens présentent à des degrés divers une variante nettement plus hard. Tant pour ce qui est des représailles à l’infraction que pour les conséquences qu’elle eut sur l’ensemble de la population. Concernant les représailles, c’est une sorte de version moyenne qui a été présentée plus haut. Dans les versions les plus soft, seul l’enfant « gâché » est avalé, même s’il est difficile de savoir si, pour le narrateur, l’existence d’autres victimes ne va pas sans dire, tant il est habituel que les Chimane omettent dans leurs récits bons nombre d’éléments qui, pour eux (c’est-à-dire pour un narrateur donné), font pourtant bien partie de l’histoire mais qui, soit sont oubliés sur le moment soit sont considérés comme allant de soi. Par exemple, autant la formule très synthétique « une-femme-qui-avait-deux-maris », pärä’sis vämtyi’ (éventuellement le plus descriptif pärä’ ca vämtyi’ mo’), apparaît très systématiquement, autant la raison pour laquelle cette femme provoqua l’ire du Sel tend à être, non pas passée sous silence, mais simplement omise de l’énoncé. Toute question posée révélera que cette raison est une évidence pour le narrateur (et pour ses auditeurs habituels) alors que, tel quel, son énoncé pouvait laisser croire à un auditeur extérieur que c’était le seul fait polyandrique qui avait déclenché les représailles. Un raccourci du même ordre se trouve dans les quatre versions de Riester (1993, p. 237-241) et dans sa version de synthèse (1976, p. 273) : là, l’infraction sexuelle est explicitée mais aucunement mise en relation avec l’enfant. Elle apparaît dès lors, non comme une rupture de l’interdit post-partum, mais de l’interdit (plus circonscrit et existant par ailleurs) qui entoure la saline. Les représailles y apparaissent du même coup comme une réponse à cette infraction-là (et non au mauvais goût de l’enfant, même dans les deux versions qui parlent d’enfant léché)9.
29Pour ce qui est de la gravité de ces représailles : non seulement tous les Chimane vivant en amont de Pupujri-tum-si’ s’enfuirent jusqu’à cet endroit, beaucoup d’entre eux se faisant dévorer (dans les quatre versions de Riester datant de 1971) – ce qui ressemble beaucoup aux versions actuelles et suggère qu’une fois les pupujri’ rentrés dans la falaise les gens purent regagner leur domicile –, mais, dans deux des versions de Hissink de 1952 (sur trois), cette attaque dépeupla complètement tout l’amont, les survivants l’ayant abandonné pour s’établir en aval jusque dans la pampa (selon le sens qu’on donne au terme : la savane ou, plus largement, la plaine). Dans la troisième version, un simple fragment, ce repli pourrait être sous-entendu.
30Quant à la chute de l’histoire : dans deux des trois versions de 1952 (Hissink) et trois des quatre versions de 1971 (Riester) cette attaque eut pour conséquence, non de mettre simplement fin à l’extraction facile originelle, mais à l’extraction tout court. Autrement dit, les événements y sont présentés comme ayant inauguré, non la période historique d’exploitation fastidieuse, mais la période contemporaine de non-extraction. Et ce, à des dates où les narrateurs, particulièrement les premiers, savaient nécessairement cet abandon-là récent. Parmi mes propres matériaux, le contraste est également frappant entre les données recueillies en 1989-1990 et celles de 1996-1998. L’écart est bref, et il est clair que ce contraste doit beaucoup à l’enquête systématique entreprise sur ce thème dans la seconde période, et à un travail bien plus approfondi sur la langue. Que les divers récits entendus dans la première période n’aient pas plus permis que les versions de Hissink et de Riester de comprendre l’histoire telle qu’elle a été présentée ici peut certainement y être rapporté. Mais pas le fait qu’aucune version recueillie dans la seconde période n’ait associé l’attaque menée par le Sel et ses « gardes » à l’abandon de l’extraction10. Cette utilisation du mythe pour rendre compte de cette seconde rupture n’a plus cours, il a été pleinement réinvesti par ce qui est manifestement sa fonction d’origine.
31Pourtant, si sa fonction a toujours été de rendre compte d’une rupture dans l’exploitation du sel, et qu’il était donc prédisposé à cet usage réformé, une telle « mise en mythe » de l’actualité, si peu de temps après les faits et sous une forme aussi dramatique, solliciterait tout de même extraordinairement ses capacités d’accueil si aucun autre facteur n’y avait contribué. Des quantités de victimes, le haut Maniqui dépeuplé… et tout cela « hier », nous dit-on, cela ferait quand même beaucoup si le seul événement en jeu était le passage à l’acquisition de sel commercial. Pourquoi, dans ce cas, dramatiser à ce point l’attaque des fauves et ses conséquences plutôt que, au contraire, de les atténuer ? Seulement, le haut Maniqui a bien été dépeuplé dans les années 1920. Il y eut effectivement des quantités de victimes, et les survivants se sont réellement repliés vers l’aval. Ce ne fut pas à cause des pupujri’, mais de la variole, laquelle sévit en 1925 ou 192611. Or les grandes épidémies se prêtent à une élaboration empruntant à des thèmes mythiques, pouvant, en particulier, revêtir des allures cataclysmiques. Dans le cas présent, il semble cependant qu’il pourrait réellement aussi y avoir eu un ou plusieurs accidents dus à des attaques de jaguars et de pumas du côté du Pachene approximativement à la même époque.
32Hors de tout contexte mythique, puisque dans un relevé de données résidentielles au cours d’un recueil généalogique, un vieil homme m’expliqua ainsi, en 1990, que son frère aîné avait fui du Pachene, où il vivait, pour s’installer à Cara Cara (le village situé juste à côté de Pupujri’-tum-si’) quand les pupujri’ étaient arrivés et que « le Sel avait mangé les gens ». De même, avec une beaucoup plus grande proximité aux événements, Hissink présente l’abandon de l’extraction – qu’elle situe « environ en 1925 » – comme ayant « apparemment » suivi des accidents bien réels impliquant des jaguars et des pumas (1955, p. 61). Or, si de telles attaques frappent toujours les esprits, ce serait particulièrement le cas dans des lieux aussi marqués que le Pachene. Et, aujourd’hui encore, une infraction sexuelle aurait toutes les chances d’être invoquée, voire affirmée, si une telle agression se produisait dans les parages de la saline. Hissink ne mentionne pas pour sa part l’épidémie de 1925 (1926) – mais, en 1952, on comprend que, en fait d’épidémie, il ait été bien plus question sur place de celle de 1948 qui, selon les estimations qui lui furent rapportées, aurait tué environ un tiers de la population chimane (Hissink et Hahn, 1989, p. 52). Elle ajoute cependant un autre élément intéressant au tableau : l’effondrement, à proximité de la source salée, d’une falaise qui aurait également porté des pétroglyphes (en plus du col où elle en vit elle-même, cf. infra), et ce, « d’après une information crédible », en 1926 (op. cit., p. 65). La source jaillissant en terrain plat, aucune falaise ne pouvait la jouxter immédiatement, mais elle pourrait s’être trouvée sur l’autre rive du Pachene. Or, à propos des jaguars (ou pumas) sortant d’une montagne (ou falaise) du Pachene, la mention de la berge opposée à la saline apparaît de temps à autre. Si une falaise portant des pétroglyphes s’était effondrée à cet endroit-là, l’événement aurait nécessairement marqué les Chimane, et on remarquera que – tant du fait qu’il se serait agi de leur demeure que de par le mouvement même – un tel éboulement se prêterait singulièrement bien à un rapprochement, à la fois thématique et iconique, avec un déferlement de fauves à peu près contemporain.
33La chronologie exacte de ce faisceau d’événements, impressionnants à divers titres, et d’autant plus par leur relative simultanéité, est difficile à établir. Le témoignage de Wegner est ici important, puisqu’on sait qu’il réalisa son voyage en Amérique du Sud de 1927 à 1929 (1931b, p. 5), que son parcours du Maniqui eut lieu en saison sèche (notre été) et, au vu de sa place dans l’ensemble du voyage, en 1928. Or les Chimane se rendaient encore à la saline lorsqu’il les vit, donc après l’épidémie (certes, la date de 1925 ou 1926 qui lui est attribuée est aussi issue d’une estimation, cf. note 10, mais si on peut confondre ses 15 ans et ses 16 ans, on ne confondra généralement pas ses 15 ans avec ses 18 ou 19 ans).
34L’épidémie serait liée à la variante actualisée du mythe par l’impact qu’elle eut sur la population en général, qui coïncide étonnamment avec la situation dépeinte dans les versions de Hissink. Mais ce seraient plutôt des événements légèrement postérieurs, infiniment moins létaux mais touchant une population déjà traumatisée, qui auraient à la fois incité les Chimane à ne plus fréquenter la saline et fourni la matière, par ce caractère de « déjà vu » qui les rendait si signifiants, et si terrifiants, au remodelage d’un mythe tout fait pour les absorber. Et ce d’autant plus facilement qu’il présente déjà par lui-même plusieurs caractéristiques très rares dans les mythes chimane : celles de ne pas être censé se jouer au temps des origines, mais dans un passé de type « historique », et de mettre en scène des gens ordinaires et même un esprit-maître, alors que ces personnages, bien présents pour les Chimane dans le monde actuel, sont habituellement totalement absents de la mythologie. On comprend aussi dès lors toutes ces versions et ces récits où, alors que l’attaque des fauves et ses conséquences sont amplifiées, les données sur l’exploitation originelle, le bloc de sel, le bébé pur, sont au contraire estompées : cela répond à la même actualisation, à la même mise en phase avec l’exploitation traditionnelle dans le cadre de laquelle l’histoire se trouve, à des degrés divers, transplantée. Le grand frère du vieux monsieur de 1990 fut peut-être le témoin d’une attaque des pupujri’ et du Sel incarné, mais il ne lui avait jamais donné de bébé à lécher.
IV. Intermède : des hommes et des bêtes, des hommes ou des bêtes
35La partie précédente nous a déjà considérablement approchés de l’exploitation traditionnelle. Mais avant de l’aborder plus précisément, il est encore un dernier mythe, lui aussi « historicisant », au sens où il ne se situe pas au temps des origines et concerne des gens tout à fait ordinaires (mais cette fois pas d’esprit-maître). D’une importance très mineure par rapport au précédent, il explique comment les gens découvrirent la – ou une – source salée. « Logiquement », il pourrait se situer après le précédent, puisque se déroulant dans un monde sans sel solide connu ou exploitable, où avant, puisque les gens ne connaissaient alors pas le sel, mais les velléités chronologisantes n’auraient ici pas grand sens. Il s’agit plutôt d’une petite histoire indépendante, du reste non intrinsèquement liée au Pachene.
36En ce temps-là, donc, les gens vivaient sans sel. Un jour, un singe capucin apprivoisé partit se promener en forêt et revint en se léchant les doigts. Cela se reproduisit plusieurs fois et les gens, intrigués, se demandèrent ce qu’il avait bien pu trouver. Ils tentèrent de le suivre dans ses escapades, mais il leur échappait. Ils finirent par lui attacher au cou un os hyoïde de singe hurleur (os qui constitue un véritable gobelet par sa forme et par sa taille). Lorsque le singe se pencha à nouveau sur la source, l’os se remplit, et il ramena de l’eau salée au village. Ainsi les gens connurent le sel, puis, parvenant enfin à suivre le singe, la source salée. Depuis lors, ils mangent salé12.
37En bons chasseurs, les Chimane n’ignorent rien du goût des animaux pour le sel. De ce point de vue, ce petit mythe qui ne cantonne pas aux humains l’appétence pour ce condiment apparaît plus réaliste que d’autres récits chimane, où le fait de manger salé, par opposition à sans sel, constitue l’un des marqueurs codifiés de la civilisation par opposition à la sauvagerie animalisée. Dans les histoires faisant intervenir un personnage « sauvage » (ou ensauvagé, s’il a été enlevé ou capté par des animaux) cette opposition apparaît à la même place et avec la même fonction que deux autres : manger cuit plutôt que manger cru, et manger de la chair animale plutôt que de la chair humaine. Toutes les histoires faisant intervenir ces oppositions équivalentes, et parfois interchangeables, ont la même issue : le sauvage meurt à la fin. Faisant l’objet d’une tentative de récupération par les humains, il meurt lorsqu’on lui impose un menu civilisé : qu’il succombe pour l’avoir absorbé, ou qu’il meure de faim pour s’y refuser.
38Cette fonction du sel comme marqueur déborde du reste ces récits constitués mettant en scène une sauvagerie individuelle et intra-ethnique. L’un des groupes indiens de la région – que les Chimane, peu au fait du politiquement correct, continuent à appeler « Chamas » (et non Ese Ejja, comme il se doit depuis quelques années) – représente tant pour les Boliviens que pour ses voisins indiens une incarnation collective de la sauvagerie. Or, pour les Chimane, ces gens, non seulement ne mangent pas de sel, mais meurent s’il advient qu’ils en absorbent.
39Les Chimane les plus isolés sont eux aussi dits manger sans sel. Mais, dans leur cas, il s’agit d’un manque : cette absence est vue comme le comble de la pauvreté, et on ne supposera jamais qu’ils mourraient d’en consommer. Ils tendraient du reste à assaisonner malgré tout leurs plats, entend-on parfois, mais avec un produit de substitution : le miel. Substance qui, comme le sel, fait passer un met de « fade », tabac, à des saveurs désignées par des termes ne marquant qu’une différence d’intensité : caudyi, traduit en espagnol par dulce, « doux », mais signifiant en fait à la fois « modérément (ou agréablement) sucré » et « modérément salé », ou jäsec « très (ou trop) sucré » aussi bien que « très salé ».
V. Extraction et configuration des lieux : le mythe paysagé
1. Sociologie et écologie – à grands traits…
40Les variations saisonnières des Chimane n’étaient pas autrefois binaires comme celles – entre autre – des Esquimos, mais ternaires. Aux périodes de regroupement dans les villages s’opposaient deux types de dispersion : la « dispersion-isolement » (deux fois l’an, où les familles s’installaient en forêt dans des résidences secondaires : en fin de saison des pluies pour des expéditions de chasse, et en fin de saison sèche pour mettre en route un petit essart pour l’année suivante) et la « dispersion-rencontres », pendant la saison sèche, qui était celle des voyages, des visites, anciennement des raids, et aussi des expéditions à la saline. Le mois par excellence de l’extraction, au cœur de la saison sèche, était le mois d’août. Sans doute cette saison est-elle plus favorable aux opérations, mais, au premier chef, elle est celle où les lieux sont accessibles, le Pachene n’étant pas praticable en saison des pluies. De plus, la saline se situant non seulement dans le seul terrain plat de tout le secteur (ce n’est pas pour rien que Dojity avait pensé s’y installer), mais encore à grande proximité de la berge, très basse à cet endroit, elle est submergée en saison des pluies, sinon en permanence, du moins par les crues violentes qui peuvent monter rapidement de plusieurs mètres et ennoient aussi les terrains environnants qui accueillent les campements.
41Les Chimane ont connu autrefois une organisation sociale plus formalisée, qui ne subsistait déjà plus que dans certains bastions isolés de l’amont lorsque l’épidémie de 1925 y mit fin (cf. Daillant, 2003, chap. XI). Ils étaient alors subdivisés en un certain nombre de sous-groupes endogames qui ont depuis lors fusionné. Les villages envoyaient tous les ans des délégations au Pachene, vers lequel convergeaient ainsi des membres de tous les sous-groupes, et ce lieu était le seul où ils étaient systématiquement, et pour ainsi dire institutionnellement, amenés à tous se côtoyer. L’extraction aurait duré environ un mois et est décrite comme une période de convivialité et de festivités. Ce qui ne va pas sans bière, et donc sans plantations, d’autant qu’il fallait aussi alimenter les repas : même dans un lieu aussi poissonneux et aussi giboyeux, les Chimane ne se contenteraient pas si longtemps d’un régime purement carné. De fait, chaque délégation s’occupait aussi de mettre en route un petit essart collectif, et se nourrissait de celui mis en place l’année précédente par les gens du même village. L’agriculture, impliquant défrichement et brûlis, fournissait donc, aussi, et comme à la maison, des quantités de bois sec (datant au moins de l’année précédente) et partiellement carbonisé (très superficiellement pour les troncs et grosses branches) idéal pour alimenter les feux.
42L’extraction, on l’a vu, ne prit cependant pas fin avec l’épidémie. Parmi les témoignages postérieurs, l’un d’eux13 fait encore état de consommation de bière environ en 1935. Et, à une question de son entourage sur ce point, l’intéressé de répondre : « Bien sûr qu’ils faisaient de la bière ! Tout le coin était couvert d’essarts abandonnés ! », ne signifiant pas par là qu’il n’y en avait pas de neufs – sans quoi il n’y aurait pas eu de bière –, mais soulignant le caractère coutumier de cette pratique si visiblement inscrite de la sorte dans la durée14. Lorsque l’exploitation se fit plus occasionnelle, puis exceptionnelle, et que l’agriculture sur place cessa, il resta – et reste – encore les arbres arrachés et charriés par les crues, déposés par les décrues, qui fournissent toujours du bois mort au voyageur.
43Le principal souci technique dont font état les Chimane concernait la solidité des marmites en terre cuite qu’ils amenaient avec eux, ou plutôt leur faible résistance lorsqu’elles servaient à cuire le sel. Bien cuites et de la meilleure argile, elles résistaient deux fois plus longtemps que les mauvaises, mais finissaient toujours aussi par se rompre. Au point que l’habituel « On repartait quand on avait assez de sel », peut aussi faire place à un « On repartait quand on n’avait plus de marmites ». Selon Wegner (1931a, p. 90, 1931b, p. 231), les Chimane amorçaient l’évaporation dans des bacs en spathe de palmier copa (Iriartea deltoidea), ojdo’ en chimane, récipient multifonctionnel et léger qu’ils pouvaient soit amener, soit fabriquer et laisser sur place (la matière première étant de saison en août).
44D’après les quelques données disponibles pour la période où l’extraction était la plus organisée (avant 1925), de retour au village, les différentes délégations distribuaient du sel aux habitants n’ayant pas participé à l’expédition de l’année. L’information selon laquelle ce sel était réellement donné, et non échangé, au village rappelle fort les distributions de sel qui avaient lieu à la fin du XIXe siècle dans les missions mosetene au retour des expéditions en radeau dans les Yungas. Yungas où les Mosetene entretenaient du reste également de petits essarts collectifs (surtout destinés, dans ce cas, à alimenter le voyage de retour, le séjour sur place étant très bref, Balzan op. cit.). Et ces essarts constituent, avec ceux du Pachene, les deux seuls cas relevés pour l’ensemble des deux groupes de ce type d’exploitation, l’agriculture étant normalement, tant chez les uns que chez les autres, et de façon très ancrée, une activité strictement intrafamiliale. Les Mosetene, on l’a vu, convoyaient une partie du sel ainsi distribué en aval. De même, si on suppose que tous les villages chimane éloignés n’envoyaient en fait pas chaque année une délégation au Pachene, on peut penser que le sel pouvait, ensuite, faire l’objet d’échanges (qui auraient dans ce cas été en premier lieu intra-ethniques).
45Mais suivons maintenant plus précisément les Chimane dans ces expéditions que Wegner nous dit avoir été pour eux « un devoir particulièrement sacré » (« eine besonders heilige Pflicht », 1931a, p. 90). Pour donner une indication sur la durée du trajet : lorsque je m’y rendis, nous mîmes six jours (dont à peu près la moitié jusqu’à l’embouchure du Pachene) depuis la mission de Fatima à l’embouchure du Río Chimane, donc depuis un lieu relevant déjà du haut Maniqui (fig. 2, p. 16) et en aval duquel vit la majorité de la population (fig. 5, p. 33). Le retour est, bien sûr, plus rapide. La saline se trouve au point où la figure 2 indique 350 mètres d’altitude (ou, pour les amateurs de Google Earth, au point 15°36’59.00”S, 66°47’6.00”W, situé dans ce cas à quelque 380 mètres d’altitude).
2. Le chemin du Père, les pétroglyphes salés et la femme qui accouche
46Avec son cours en marches d’escalier, alternant rapides et biefs calmes (fig. 6 et 7, p. 34), le Pachene n’est navigable, et avec difficulté, que dans sa partie basse. Les pirogues (et, avant, les radeaux, plus anciens dans la région), déjà traînées dans les rapides depuis l’embouchure, étaient laissées dans un endroit un peu abrité au-delà duquel le voyage se poursuivait à pied pendant encore environ un jour et demi. Les sauniers empruntaient alors le « chemin du Père », Jen’si’ majmij en chimane, et souvent el camino de Dios en espagnol : celui que Dojity avait inauguré et balisé. Après son deuxième gué, il quitte la berge pour couper en direction Est-Ouest à travers monts. Dans la montée se trouvait la pierre où Dojity avait laissé l’empreinte de son pied, une autre où certains voyaient les empreintes de sa mule (normalement absente du mythe) et, dans une échancrure de la crête – ouvrant vers l’Ouest sur le « fond » du monde (fig. 8, p. 35) –, le col des pétroglyphes.
47Ces pétroglyphes, tout comme les pierres et toute cette partie du chemin, ont été détruits en 1996 par le bulldozer d’une entreprise forestière (SERIMA). Lorsque je me rendis à la saline en 1997, ils n’existaient donc déjà plus. Ils ont été documentés par le bref mais précieux article déjà cité de Karin Hissink qui visita le site en 1952 en compagnie d’Albert Hahn. Leurs guides chimane ne les emmenèrent cependant pas plus loin, évitant la saline qu’ils percevaient comme un lieu inquiétant (« unheimlich », op. cit., p. 61)15. Le motif massivement dominant des pétroglyphes étaient des vulves (tsic), qui ont donné son nom au col lui-même : tsic-ya’ (« aux vulves ») – ainsi signalé « Car la femme du Père y accoucha » (fig. 9-12, p. 35-37).
48Toute l’expédition est marquée par une prohibition sexuelle et, en passant dans le col, les pétroglyphes devaient être soigneusement et respectueusement nettoyés à la main, avec une stricte interdiction de plaisanter sous peine de se faire agresser par un jaguar (ou un serpent). Les plaisanteries auraient bien entendu été sexuelles, ce qui aurait été tout à fait déplacé, et dangereux, à cet endroit. Et si le nettoyage n’était pas correctement fait, le sel (ou l’eau salée, les deux étant appelés jicoj) ne sortirait pas à la source. C’est en somme ce nettoyage des vulves qui libère le flux, et il existe une continuité organique entre les pétroglyphes et la saline, saline où « il y a comme une femme à l’intérieur ». À la fois par l’assimilation (explicite) de l’orifice dont sort la source à un vagin (tsic également), par la forme apparemment très suggestive qu’aurait la pierre d’où elle jaillit, et, bien sûr, par référence au mythe qui assimile la source au liquide amniotique d’une femme qui perd ses eaux.
49À la descente du col, avant de poursuivre en partie par le lit pierreux (fig. 13, p. I), un gué était le lieu désigné pour une lessive générale, faite avec les feuilles d’un arbre vayajñi (Pithecellobium angustifolium, une Mimosacée), puisqu’il fallait se présenter à la saline toute proche en vêtements propres. La source salée jaillit au fond d’un trou d’eau au pied d’un très gros rocher, rocher qui est le Pa’tsene proprement dit : s’il a donné son nom à la rivière (y compris, maintenant, en chimane), le vrai nom de celle-ci est en fait Jicoj-ĉan, [la rivière] « dans le sel ». À l’arrivée à la saline, qu’il convenait de saluer correctement, la priant de bien vouloir donner du sel (que du sel « sorte »), la première opération était une opération de nettoyage faisant écho à la précédente. La source se trouve en sous-bois et pleine de détritus végétaux, dégageant une forte odeur de pourriture. Il fallait dès lors vider toute l’eau accumulée au pied de la roche et nettoyer la fosse, y compris la pierre du fond en forme de vulve16, puis laisser reposer le tout pendant la nuit. C’est l’eau propre et plus salée qui sortait ensuite, qui était recueillie, et mise à bouillir jusqu’à complète évaporation (fig. 14 et 15, p. I).
3. Production – Reproduction
50Dans cette région du monde où la cuisson dans une poterie est communément une image de gestation, on trouve bien cette image ici. Mais il manque encore quelque chose pour que le « bébé » soit complètement formé : la constitution des pains de sel, qui se faisait en enveloppant le sel cristallisé (un sel blanc) dans des feuilles, et en laissant durcir le paquet dans la cendre, un peu à l’écart du feu. Que cet empaquetage soigneux évoque un emmaillotement, ou du moins un langeage, a déjà été relevé dans la partie précédente, même s’il concernait alors un sel déjà compact.
51Outre la continuité organique entre le col et la saline, il en existe encore une autre : entre la source et un sel solide correspondant, plus ou moins explicitement selon les locuteurs, à celui qui permettait autrefois l’extraction facile originelle. Son accès a été condamné, mais il existe toujours, les Chimane le situant sur une montagne juste au-delà de la saline, et le présentant comme son « garant » : la source peut momentanément se tarir, mais, dans la durée, ce bloc de sel, aussi appelé a’ mo’, « son corps », ou sa « pièce maîtresse », voire son « maître », est dit la réalimenter et garantir sa pérennité. Même si rares sont les énoncés qui le disent clairement, ce bloc de sel apparaît aussi comme l’enfant du mythe d’origine, situé juste au-delà de (« après ») la source qui figure sa mère en train d’accoucher.
52Prélevé à un endroit (ou à moment) antérieur dans l’itinéraire (et dans l’histoire – « en amont » dirions-nous, mais, en l’occurrence : en aval), le sel d’aujourd’hui n’est pas un produit fini. Aujourd’hui, « le sel est à cuire », pour reprendre la formule de France-Marie Renard-Casevitz appliquée aux Matsiguenga péruviens du Cerro de la Sal (1992) – dont le sel présente bon nombre de parallélismes avec celui des Chimane. Trop, malheureusement, pour être détaillés et analysés ici, mais signalons du moins son origine : la transformation d’une femme et de sa fille, la seconde se trouvant cristallisée dans une mine non exploitée sur une montagne proche de celle de sa mère (qui est cependant ici elle-même cristallisée, tout en alimentant par ailleurs plusieurs sources) ; ou encore l’impossibilité d’accéder à certains filons (des parties de la mère et de la fille) protégés par des jaguars qui dévoreraient quiconque s’en approcherait…
53Pour les Chimane aussi – qu’ils soient des villages les plus traditionnels de l’amont, de la mission, ou des cercles de l’élite politique la plus proche de San Borja –, il demeure aujourd’hui totalement inenvisageable de s’aventurer en quête de ce sel-là. De ce bloc déjà constitué, enfant mis au monde dans un mythe, qui grandissait tout seul dans l’autre, lorsque les Chimane offraient en échange leur propre enfant à lécher au « Sel ’elle’-même ». En somme, ce n’était pas alors à la sueur de leur front mais à celle de leur enfant qu’ils obtenaient ce sel – quasiment sel pour sel, donc, et enfant pour enfant.
54Certes, dans le second mythe, le sel solide – langé et grandissant tout seul – n’est pas dit être un enfant, mais l’écho que se renvoient les images est indubitable, sans parler de la compensation d’allure clairement maternelle qui est offerte au « Sel ’elle’-même », puisque, même si c’est ce qui est le plus mis en avant, l’enfant n’est pas seulement léché mais aussi embrassé. Le geste s’inscrit bien dans un registre de tendresse, et l’image n’est pas celle d’un animal léchant un quelconque objet salé, mais bien celle d’une mère qui lèche son petit.
55Et cet écho entre les mythes se répercute jusque dans leurs variantes puisque, à celle du second mythe qui, au lieu de bloc de sel, parle (rarement) d’une nappe, répond dans le premier la mention (bien plus courante) de la transformation en sel du placenta. Autrement dit, du double de l’enfant. Un dédoublement qui fait à son tour écho, mais cette fois au sein du premier mythe, à celui de la mère, les Chimane ne voyant aucun inconvénient à considérer qu’elle est aussi repartie avec Dojity lorsqu’il poursuivit son chemin, ce qui permet aux deux frères d’être finalement établis à leur bout du monde respectif chacun avec une femme. D’où aussi, à l’occasion, la mention atypique d’un ruisselet salé qui s’écoule de la montagne : ce sont les larmes de l’enfant pleurant de se voir ainsi abandonné. Que la mère soit dédoublée en étant présente ou simplement représentée dans la saline revient au même : sa place est bien aux deux endroits et, d’une façon ou de l’autre, elle est simultanément présente dans les deux.
56Ce sel-là donc, prélevé sous forme déjà solide, n’était, lui, pas « à cuire ». Il n’était toutefois pas pour autant consommé cru. En effet, enfant déjà né et produit fini, il était, disent éloquemment les Chimane, « déjà cuit »…
57Au chapitre des rapprochements entre production et reproduction il en est encore un autre, qui nous permettra aussi de revenir sur l’assimilation en chimane des saveurs sucrée et salée déjà mentionnée plus haut. À propos de cette femme qui engendra le sel, une analyse menée ailleurs du discours sur les deux femmes de Micha’ suggère que son activité attitrée lorsqu’elle se trouvait chez son (premier) mari était la production, non de bière en général, mais plus précisément de bière de manioc. Soit la composante dominante de la bière complète qu’affectionnent les Chimane, dont l’autre composante est la bière de maïs, une bière brun-jaune, tandis que celle de manioc est blanche. La même analyse révèle aussi autour de cette femme une constante chromatique qui la place sous le signe du blanc – dont son association au sel apparaît comme un autre aspect (Daillant, 2006, p. 77). Par ailleurs, le terme général employé pour « fabriquer de la bière », jäsi’, est aussi employé pour « fabriquer de la bière de manioc », tandis que « fabriquer de la bière de maïs » est désigné par un verbe spécifique, co’raqui’. Or, s’il a un sens large qui s’applique à l’ensemble du processus de fabrication, jäsi’ en désigne surtout plus spécifiquement une étape : l’étape fondamentale qui consiste à mâcher le produit cuit de sorte qu’une enzyme contenue dans la salive en transforme l’amidon en sucre, ce qui permet la fermentation.
58En somme, l’activité attitrée de cette femme qui, à l’autre bout du monde, engendra le sel (produit jäsec, « très sucré/très salé » s’il en est), consistait – « déjà », peut-on dire – chez Micha’ à jäsi’ : à produire du sucre. Et il ne s’agit pas que d’un processus que nous révéleraient les chimistes : la masse de manioc ainsi mâchée, d’abord fade, devient réellement sucrée de façon évidente à tout palais. Caudyi, dans l’échelle des saveurs chimane, et non jäsec, comme le fut sa « production » suivante, l’enfant-sel, mais les deux activités n’en apparaissent pas moins apparentées, comme le sont aussi les deux termes cités, jäsi’ et jäsec17.
59Les Chimane n’érigent pas, ou du moins pas explicitement, cette femme primordiale en modèle des femmes actuelles. Mais on relèvera tout de même que, si les secondes n’engendrent plus exactement de sel (seulement des bébés qui transpirent et qui pleurent), fabriquer de la bière et engendrer des enfants demeurent leurs deux activités emblématiques – entre lesquelles le mythe établit ainsi un lien inscrit dans l’ordre des saveurs, et ce dans une composition à laquelle on a vu que des considérations sur la saveur des bébés étaient bien loin d’être étrangères, en même temps qu’on y trouve maints parallèles entre la production de sel et d’enfants. Mais revenons au lieu de naissance.
4. Mythe et paysage : le temps et l’espace
60Au-delà de la continuité organique que présente la saline, avec les pétroglyphes du col d’une part, et avec l’enfant qui y alimente un accouchement perpétuel d’autre part, on a aussi affaire ici à un emboîtement d’images à différentes échelles. Si la femme en train d’accoucher est, à une certaine échelle, entièrement contenue dans la source, cette femme, cet accouchement et cette naissance sont aussi figurés à l’échelle de l’ensemble du paysage. Paysage dans lequel on progresse à la fois anatomiquement et chronologiquement au fur et à mesure que l’on y pénètre, depuis l’entaille du col « aux vulves », qui topographiquement reproduit lui-même leur image à grande échelle, entrée et prélude à la femme qui perd ses eaux un peu plus loin, à la source, stade et lieu où l’enfant commence à apparaître, mais en tant que produit inachevé devant encore être mené à terme par la cuisson, tandis que comme produit fini, désormais inaccessible, il se trouve encore un peu plus loin. Du col à la montagne en passant par la source, on accompagne pratiquement la sortie de l’enfant, en suivant – de façon certes imparfaite, précisément parce que temps et espace se trouvent conjoints – le film de sa naissance.
61Autre aspect de l’anatomisation du paysage : la porosité des corps – évoquée à propos du bébé pur, et particulièrement accentuée dans la période entourant la naissance – devient ici une porosité des lieux. Porosité qui dans ce grand théâtre d’où toute sexualité est déjà bannie se manifeste encore dans une autre prescription : l’interdiction stricte d’énoncer « Je vais déféquer ». Sans quoi on aura beau s’éloigner autant que l’on voudra, les excréments annoncés ressortiront dans la saline, la souilleront et rendront le sel inconsommable.
62Ce phénomène d’emboîtement trouve de plus un autre prolongement à une échelle encore plus grande, celle du monde lui-même. L’équivalence « télescopique » existant entre le « centre-fond » du monde à l’échelle globale (la résidence de Dojity) et le « centre-fond » du monde lorsqu’il est envisagé à l’échelle locale (la saline) a déjà été signalée plus haut. Visuellement, elle est favorisée par le fait qu’en amont de la saline le Pachene ne longe pas le relief, mais le rompt. D’où un cours encaissé au tracé heurté et anguleux qui ne permet de lui voir aucune vallée, masquée qu’elle est à la vue dès le premier coude de sa ligne brisée. Selon que le contexte sera plus concret ou plus cosmologique, selon qu’un énoncé fera référence au monde connu ou au monde global, c’est l’un ou l’autre endroit qui peut être présenté comme le terme à la fois du parcours de Dojity et de son œuvre créatrice18. La mention de « La Paz » comme résidence de Dojity, même en sachant qu’il ne s’agit pas de la vraie ville de La Paz, peut malgré tout aisément prêter à confusion, et peut-être éloigner le lieu pour les Chimane eux-mêmes (c’est-à-dire étirer leur carte mentale) lorsqu’ils l’appellent ainsi. En effet, dans des versions où ce nom ne figure pas, il peut être précisé que Dojity a juste remonté davantage le Pachene avant de s’établir. Une version bilingue publiée récemment par des membres de l’élite lettrée (Mayer Roca et Caymani, 2000, p. 54-55) est intéressante de ce point de vue. D’une part, sous la plume de ces auteurs connaissant La Paz, « La Paz » n’apparaît pas. D’autre part, dans la version chimane (la version espagnole est loin d’être aussi précise), apprenant qu’il n’était pas tout à fait au centre du monde, Dojity est juste parti « un peu plus loin en amont » (dam’dye ñichche’) pour s’établir « à la source » (jadyicche’) du Pachene, rivière qui a ici l’orthographe correspondant à la prononciation chimane du terme (Pa’tsene), mais non son nom traditionnel, tombé en désuétude, dont on se souviendra qu’il était Jicoj-ĉan, « dans le sel ». En somme, c’est à la source [de la Rivière] du sel que s’établit Dojity, source elle-même ainsi dédoublée entre la source salée proprement dite (lieu de l’accouchement) et la source du Pachene/Jicoj-ĉan (résidence de Dojity). Et le dédoublement de sa femme entre ces deux lieux, comme celui de l’enfant par le biais du placenta (cf. supra) s’inscrivent eux aussi dans le cadre général de ce jeu d’équivalences et de dédoublements.
63En même temps, les lignes qui relient entre elles ces images de taille différente (les différentes pièces de ce télescope) et le long desquelles court leur correspondance se trouvent thématisées dans le motif récurrent, temporellement et spatialement, du « pas tout à fait » – du « presque au terme de » qui rejoint le « presque à terme ». Signe, peut-être, d’incomplétude (que ce soit celle des philosophes, ou celle que soulignent les biologistes à propos du nouveau-né humain), du moins tire-t-il aussi les fils entre un temps ou un lieu et le suivant, celui que le premier n’est « pas tout à fait » mais vers lequel il tend, incite à progresser et, en même temps, est presque déjà lui-même.
64Dans le grand mythe d’origine, l’épisode du sel se situe presque au terme de l’histoire, presque au terme du parcours de Dojity, presque au terme de la création, presque au centre du monde… Le sel extrait de la saline provient d’une eau précédant de peu la naissance (le liquide amniotique) et est un produit pas tout à fait achevé qu’il faut mener à terme par cuisson. Celle-ci engendre un produit consolidé, représentant une étape plus avancée de la formation tant de l’enfant que du sel, en même temps que représentée un peu plus loin sur l’itinéraire par l’enfant déjà né et le sel « déjà cuit » – et, pourtant, lui non plus pas complètement achevé. Puisque, « détail » qu’il devient temps d’introduire et qui ne prend tout son sens qu’en tant qu’il participe de cette récurrence : dans le terrain accidenté du haut Pachene, la femme volée par Dojity, déjà très enceinte, fit une chute qui provoqua un accouchement prématuré… Quoique déjà bien formé, l’enfant-sel est donc né avant terme. Mais presque à terme. Ayant sans doute dû naître, en principe, là où Dojity se crut à tort déjà parvenu : au centre-fond du monde et au terme de son parcours, là où, finalement, il s’établit.
65La coïncidence des deux lieux (celui qui aurait correspondu à une naissance à terme, et celui de la naissance effective) se devait pourtant d’être imparfaite. En effet, pourquoi donc cet enfant est-il né avant terme ? Dans l’ensemble du symbolisme et du parallélisme que nous avons vu entre production de bloc de sel et d’enfant, il semble pourtant que, si l’enfant-sel devait effectivement se trouver un peu au-delà de la source salée, en tant que bloc et enfant constitués, il pouvait tout aussi bien représenter un produit et un être réellement achevés. Pourquoi, alors, introduire cet élément supplémentaire caractérisant sa naissance comme légèrement prématurée ? Ce qu’il faut en fait se demander est : qu’en serait-il, dans le mythe tel qu’il est par ailleurs, si cet élément n’était pas introduit, donc si la femme avait accouché à terme ? Or, de deux choses l’une. Compte tenu des caractéristiques du lieu de naissance prévu – terme du parcours de Dojity, et lieu de sa résidence au centre-fond du monde – qui paraissent inhérentes au mythe, si la femme avait accouché, toujours à la saline, mais à terme, cela aurait instauré celle-ci en « vrai » centre-fond du monde (global, et plus seulement local). Or une telle représentation paraît difficile à associer à un lieu que l’on fréquente effectivement : où, même avec un horizon barré, on voit bien qu’il y a encore des montagnes un peu plus loin, et où l’on a qui plus est amplement eu l’occasion de constater que l’on n’y rencontrait pas Dojity (c’est le même constat qui, lorsqu’il a pu être fait à La Paz, comme ville réelle, a bousculé l’appellation de « La Paz » pour la résidence de Dojity). Et la seule alternative pour faire coïncider le lieu de l’accouchement avec celui correspondant à une gestation menée à terme aurait consisté à situer l’accouchement plus loin – donc dans un lieu où, que l’on sache, il n’y a pas de sel. Ce qui induirait nécessairement pour le mythe un autre type de chute, sapant au passage le mythe d’origine du sel connu. Dans les deux cas, il y a quelque chose qui ne marche pas. En somme, la saline étant où elle est et pas ailleurs, pour qu’elle puisse représenter localement le centre-fond du monde, il fallait que celui-ci se trouve en fait un peu plus loin, donc une naissance avant terme doublée de ces jeux de correspondances et de dédoublements qui se tissent autour d’elle et assurent les connexions nécessaires entre les deux points.
66Dans cette topographie faite topo-graphie, où, pour reprendre les termes de Fernando Santos (1998), les « topogrammes » singuliers, de par leur agencement en série, deviennent ce qu’il appelle un topograph, l’inscription dans le paysage des héros et des événements confère, de fait, au paysage lui-même des propriétés scripturales. Les cas qu’étudie cet auteur, ethnographe, justement, du Cerro de la Sal, semblent cependant se limiter à cette « écriture topographique », qu’il contraste avec l’écriture pictographique – autre procédé d’identification mnémonique rappelant ou suscitant des énoncés, mais
While pictographic writing is based on human-made signs that recall things or events, topographic writing is based on attributing the character of signs to particular elements in the landscape believed to manifest some kind of supernatural intervention (op. cit., p. 140)19.
67Or, chez les Chimane, comme sur le chemin du sel des Hopi par exemple, lui aussi saturé de « topogrammes » formant série (et, pour certains, fortement sexualisés, voire « vaginisés », Talayesva 1959, p. 250-266, 444-445), ceux-ci se combinent avec des motifs gravés. Représentant les emblèmes claniques, les pétroglyphes hopi, quoique également figuratifs, relèvent plus du code que les vulves chimane. Mais, en tant que celles-ci « disent » – ou font dire – que « La femme du Père a accouché là » (donc autre chose que « Ce sont des vulves ») et que cela signifie la proximité du sel, elles ont bien, elles aussi, fonction de signe. Comme d’autres motifs marginaux et non figuratifs qui se trouvaient gravés dans le col, elles sont, pour les Chimane, des sanacdye’, terme qu’ils emploient à la fois pour « dessin », « motif » et « écriture »20. À la différence toutefois des Hopi, où les deux procédés de marquage – par « topogrammes » et par pictogrammes – ne font apparemment que coexister sur le chemin de la saline bien qu’ils y intègrent une même narration, chez les Chimane, leur combinaison se présente de façon à participer elle-même de l’emboîtement fractal évoqué plus haut entre des images de différentes échelles.
68On l’a relevé en effet, « aux vulves », entre les pétroglyphes et le col échancré dans lequel ils sont disposés, les uns comme l’autre ouvrant la voie, chacun à leur façon, au flux salé. Mais on peut aussi se demander si la pierre qui, pour autant que les photos de 1952 permettent d’en juger, paraît avoir occupé une place « centrale » (ou du moins prééminente) dans le col n’intégrerait pas elle aussi le tableau, en dupliquant – par sa forme même, naturelle ou non – le même motif à une troisième échelle, intermédiaire (fig. 9 et 10, p. 35 et 36). Quoi qu’il en soit, les deux modes de représentation sont bien, ici, articulés et intégrés, et pas seulement juxtaposés, ce qui résulte en une puissance figurative ou scripturale accrue des lieux, c’est-à-dire de la saline et de ses environs. Et celle-ci s’en trouve d’autant plus mise en valeur et en exergue que, contrairement aux autres cas cités qui utilisent plus largement leurs procédés d’inscription respectifs, les Chimane, on l’a vu, concentrent le leur sur leur saline, ainsi nichée au centre-fond du monde dans ce décor sur-déterminé qui lui sert d’écrin en même temps qu’il en écrit l’histoire.
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Notes de bas de page
1 La récente traduction espagnole a plus de chances d’être consultée mais, précisément sur ce point, elle remplace malencontreusement un singulier de l’original par un pluriel, parlant de plusieurs sources importantes. « Importante » est ici autant comparatif que qualitatif, il existe en effet aussi en territoire chimane quelques sources très mineures qui, si elles sont connues localement (comme le constata Nordenskiöld sur le haut Cosincho), n’ont aucune place dans la tradition d’ensemble liée au sel.
2 « Estos indios [Chanas y Mayas] son rricos, porque en su tierra tienen cierto manantial de agua, que la cuecen y quaxan en sal muy buena, y con ella contratan, y se la vienen á comprar de todas las provincias comarcanas, á trueque de rropa, balsas, almendras y animales, que después ellos venden á los españoles de Caracato y La Paz por cosas de hierro, y rropa. »
3 « En esta nacion hay sal de la que carecen las demas misiones » (Jorquera, [1790-1791], p. 14). « Medio dia de embarcacion hacia abajo desde el lugar de nuestra morada es lo que dista la incorporacion del Chulumani [= Río La Paz-Bopi] con el Veni, y en sus inmediaciones se junta un arroyuelo de cuyas aguas se proveen los Mozetenes con abundancia de una sal de muy buena calidad, y que casi no se distingue de la nuestra. A este arroyo llaman Buopi los mismos Mozetenes, y quiza de el podrian proveerse los pueblos de Apolobamba, Reyes y Mojos si acaso carecen de este condimento » (Coche, [1803], p. 31). Un « Arroyo salado » (« Ruisseau salé ») se jetant à main gauche dans le bas Bopi figure par ailleurs sur la carte de Rebuelta Velarde en 1797, là même où une carte de Herrero ([s. d., ca 1815-1824]) signale le « Rio Ymathie donde hay Pueblo, y una salina buena », en amont duquel se trouve un « Arroyo donde esta la Salina », tandis qu’une saline est indiquée dans le même secteur, mais sur la rive droite du « Vopi », sur celle d’Armentia en 1880. Il s’agit vraisemblablement de celle sur laquelle des témoignages oraux ont été recueillis à Covendo (cf. infra).
4 Lorsque Herrero arrive en 1815 dans le hameau où il fonda Santa Ana, les habitants lui offrent, en échange de ses cadeaux, « camotes, yucas, maiz, algodón y sal » ([1815] transcrit in Sans 1887, p. 122). Son journal précise même « algunas ollitas de sal » ([s. d., ca 1815-1824], p. 24). Même si on ignore la taille de ces « petites marmites » (ou pots), il ne s’agit manifestement pas d’une quantité négligeable. Que sa carte (cf. note 3) ne mentionne que la saline de l’affluent du bas Bopi suggère que les Mosetene de Santa Ana (les Inicuanis) s’approvisionnaient à la même source que ceux de l’amont parlant un autre dialecte.
5 « … de aquí [Santa Ana] se puede entablar una ruta para salir con balsa hasta Irupana ó Chulumani [bourgades des Yungas accessibles par le Bopi], como alguna vez lo han hecho ellos para traer sus provisiones necesarias » et, cinq lignes plus bas, « tienen unas salinas muy ricas, de que se proveen para su uso y para regalos y comprar lo necesario » (Herrero, [1815] in Sans, 1887, p. 123 ; souligné par moi). Les « provisions nécessaires » du premier fragment, comme « le nécessaire » du second, renvoient à ce que l’on appelle toujours dans la région « les nécessités » (las necesidades), à savoir les produits commerciaux. (Pour des échanges entre voisins indiens, il ne serait du reste pas question d’« achat » de produits).
6 « Tous les ans, lorsque les balsas [radeaux] vont à La Espía, elles rapportent à la mission, parmi les marchandises, de nombreuses boîtes en fer blanc remplies de sel, qui sont distribuées équitablement entre les hommes ; on en donne cependant quelques-unes de plus au cacique, au capitaine et aux majordomes [ « al cacique, al capitán, ecc. » dans l’original]. Les néophytes [Indiens des missions] vont au moins une fois l’an au port de Reyes où ils vendent le sel et, avec l’argent obtenu, ils payent ce qu’ils doivent au missionnaire. »
7 Les consonnes avec des accents circonflexes sont aspirées, ty et dy sont des consonnes palatales, le j marque une aspiration ([h]), le v se prononce [w] devant a et o, le ä comme le eu de « beurre », le o est intermédiaire entre nos o et ou, le u correspond au i barré [i], sauf derrière une voyelle où il se prononce [w], les voyelles soulignées sont nasalisées.
8 En aval de l’embouchure du Yucumo, dans le prolongement du massif de la rive droite, là où la route passe à proximité de la rivière (fig. 2, p. 16).
9 Une distorsion que l’on trouve chez Hissink est d’un autre ordre : que ce soit l’enfant qui soit dit lécher le sel et non le Sel l’enfant (1955, p. 61 ; Hissink et Hahn, 1989, p. 65-66) tient manifestement à un problème de compréhension linguistique et non à un « effet d’optique » produit par une version abrégée.
10 En 1989-1990, si cet abandon apparaissait en fin de récit, cela n’impliquait pas l’affirmation d’un lien causal entre les deux. Cependant, la juxtaposition le sous-entend souvent, ce qui orientait vers une telle compréhension de l’histoire. Mais dire « Autrefois, il s’est passé ceci. Aujourd’hui, on n’extrait plus de sel au Pachene » ou « Autrefois, il s’est passé ceci, et depuis lors on ne peut plus extraire de sel au Pachene » n’est malgré tout pas exactement pareil.
11 La date provient d’un habitant de San Borja, né en 1910, qui se souvenait d’avoir alors eu 15 ou 16 ans (sur cette épidémie et sur ses conséquences, cf. Daillant, 2003, p. 35-36, 202, 235- 236, 371-372).
12 Des versions abrégées peuvent omettre l’épisode de l’os hyoïde – telle celle que recueillit Nordenskiöld en 1913 (1924, p. 112, 2001, p. 145 ; autre version « avec os » : Pérez Diez, 1983, p. 333-334 ; version en chimane : Mayer Roca, 2000, p. 112-113).
13 D’un Trinitario qui s’était rendu à la saline avec son grand-père lorsqu’il avait environ 15 ans. Les Trinitarios sont originaires de l’ancienne mission jésuite de Trinidad dans la savane et connurent, depuis la fin du XIXe siècle, plusieurs vagues d’un mouvement messianique (la Loma Santa) orienté vers l’Ouest qui, à partir des années 1920-1930, en amena certains en pays chimane.
14 Cette année-là, un Bolivien s’y trouvait avec des employés chimane, destinant le sel extrait au marché de San Borja. Pour les deux Boliviens qu’elle mentionne, Hissink parle elle aussi de « 1935 ? » (op. cit., p. 64 – sans préciser que son estimation semble provenir d’un « 1935 » qui se trouvait gravé dans la pierre). Un jaguar noir avec des dents en or serait apparu là-bas, après quoi les Chimane n’y seraient plus allés, ajoutait le Trinitario qui, tout en attribuant l’abandon à cette cause que nous connaissons, le situait donc, contrairement à Hissink (cf. supra), à une date ultérieure.
15 Rebecca Ellis vit également les pétroglyphes, sans poursuivre jusqu’à la saline, mais elle ne fait que les mentionner (1996, p. 44, 127, 167). Un premier article, destiné à porter témoignage de la destruction des lieux, en fournit une description ainsi que des précisions topographiques bien plus détaillées que celui-ci (Daillant, 1997).
16 Lorsque je m’y trouvais, bien que nous ayons évacué une interminable série de marmites de cette eau nauséabonde, la vidange ne fut pas complète. Cette description, enregistrée après-coup, est donc indirecte.
17 Le -i (/-i’ au féminin) est une terminaison verbale très courante, et l’ajout d’un -c final pour qualifier un goût se retrouve aussi dans achic, « qui a mauvais goût » (par opposition à a’chis, « mauvais » dans les autres sens du terme).
18 Par exemple, dans la lettre de dénonciation rédigée en espagnol par le Grand Conseil chimane après la destruction des pétroglyphes, et où le contexte prescrivait un cadre de référence concret, territorial bien plutôt que cosmologique, le fait que Dojity ait poursuivi son chemin au-delà de la saline n’apparaît absolument pas (in Daillant, 1997, p. 67).
19 Du moins écarte-t-il la question des pétroglyphes pour son manque de pertinence dans le cadre étudié (op. cit., p. 146, n. 21).
20 Sur les autres motifs du col, cf. Hissink (1955), et sur l’interprétation de certains d’entre eux, tous des sanacdye’, en termes d’écriture proprement dite par les Chimane, cf. Daillant (1997, p. 56). Par ailleurs, une indication de Hissink – selon laquelle les motifs gravés sur la falaise effondrée aux abords de la saline vers 1926 auraient été les mêmes que ceux que les Chimane peignaient alors encore sur leurs tuniques (op. cit., p. 65) –, permet d’envisager un parallèle plus poussé avec les Hopi : en effet, sur un lien entre ces motifs et les anciens sous-groupes endogames chimane, cf. Daillant (2003, p. 395-398).
21 AGN : Archivo General de la Nación.
Auteur
Ethnologue, chargée de recherche au CNRS et membre du Centre EREA (Enseignement et recherche en ethnologie amérindienne, Villejuif) du LESC (Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, Université Paris X-Nanterre/CNRS). Elle a mené ses recherches pendant plus de quatre ans en Bolivie (notamment, de 1996 à 1998, dans le cadre de l’Institut français d’études andines, l’IFEA). L’essentiel de son travail de terrain, effectué dans la partie amazonienne du pays, a été consacré aux Chimane du bas piémont andin, avec également des enquêtes chez leurs voisins et « parents », les Mosetene. Auteur de Sens dessus dessous. Organisation sociale et spatiale des Chimane d’Amazonie bolivienne (Société d’ethnologie, 2003), elle a aussi coordonné, avec Jean-Pierre Lavaud, La catégorisation ethnique en Bolivie. Labellisation officielle et sentiment d’appartenance (L’Harmattan, 2007). Outre ses recherches personnelles portant maintenant sur divers aspects de la tradition orale chimane (et mosetene) et comprenant aussi un volet d’ethno-ichtyologie, elle est responsable de la partie française d’un groupe de travail sur l’ethnohistoire du piémont bolivien (étudié, en particulier, en tant que charnière entre les hautes et basses terres Sud-américaines) et membre d’une équipe ANR consacrée au Traitement informatique des phénomènes de parenté (groupe TIPP).
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