14. La compétition, l’action collective et le problème du savoir utile1
p. 369-401
Texte intégral
1Quelle devrait être la meilleure façon, pour une communauté démocratique, de prendre des décisions relevant de l’intérêt public ? Les citoyens de l’Athènes classique s’en remirent à une règle très simple : aussi bien les décisions adoptées que la façon dont on les prend doivent être bonnes pour la communauté et bonnes pour la démocratie. Un Athénien qui aurait voyagé dans le temps et se retrouverait projeté aujourd’hui à Washington ou à Paris, condamnerait assurément la pratique politique contemporaine, en constatant que nos gouvernements considèrent bien souvent de nos jours les libres citoyens comme des sujets passifs et font peu de cas du savoir que ceux-ci se trouvent posséder. L’Athènes démocratique était très différente. Le monde des cités grecques de l’Antiquité est un laboratoire expérimental naturel pour étudier les relations entre la démocratie et le savoir. À l’échelle du monde prémoderne, le monde grec a connu une remarquable croissance économique (Morris, 2004). La croissance est stimulée par l’innovation, et des innovations clefs dans le secteur de la gestion du savoir public sont apparues dans le contexte des institutions démocratiques de l’Athènes classique – cité qui, de toutes les cités-État de la Grèce classique, fut la plus influente et connut la plus grande réussite. Grâce à une approche originale des problèmes liés à l’agrégation, à l’alignement et à la codification du savoir utile, les Athéniens purent faire bon usage de leurs ressources, tirer profit des meilleures occasions et apprendre de leurs erreurs. La capacité à faire usage du savoir dispersé à travers une population vaste et diverse permit à l’Athènes démocratique de faire face à la concurrence de ses rivaux non-démocratiques. Athènes n’employa certes pas toujours son avantage démocratique, fondé sur le savoir, de manière avisée ou juste. Pourtant, sur le long terme, la culture des cités grecques a profité de la diffusion d’institutions politiques athéniennes novatrices. Et nous pourrions en profiter aussi à notre tour, si nous nous montrions capables d’apprendre d’Athènes.
2Depuis Aristote, la démocratie, en tant qu’objet d’étude, a favorisé la convergence de la philosophie politique normative et de l’analyse scientifique de pratiques politiques. Le projet d’unir la théorie de la démocratie à la pratique reste néanmoins incomplet. Beaucoup de travaux universitaires sur la démocratie acceptent encore la célèbre thèse d’Alexis de Tocqueville selon laquelle « il est de l’essence même des gouvernements démocratiques que l’empire de la majorité y soit absolu » (Tocqueville, 1835). Bien qu’impressionné par la vitalité de la société civile américaine, Tocqueville a soutenu que la « tyrannie de la majorité » y favorisait la médiocrité (particulièrement dans les entreprises militaires), l’instabilité législative et administrative, ainsi qu’une atmosphère générale d’imprévisibilité (Ibid., chap. VII, phrase liminaire). Dans le contexte d’une conception « majoritarienne » de la démocratie, les théoriciens américains du vingtième siècle ont mis au goût du jour les inquiétudes de Tocqueville concernant l’instabilité démocratique, en identifiant ce qui semblait être des défauts rédhibitoires au sein de la structure du vote démocratique. Kenneth Arrow a montré que la probabilité de cycles électoraux favorisant alternativement les différentes factions faisait de l’agrégation stable des choix de chacun un événement mathématiquement impossible (Arrow, 1951). Anthony Downs a soutenu que l’ignorance des questions politiques constituait une réaction rationnelle de la part du citoyen, compte tenu du coût élevé qu’il y a à rassembler l’information pertinente et de la chance infinitésimale qu’a le vote d’un individu de déterminer une élection (Downs, 1957). Au cours du dernier demi-siècle, la plupart des meilleures études en langue anglaise consacrées à la politique démocratique n’ont envisagé le savoir que comme le coût exorbitant de la participation politique. Tout en reconnaissant qu’il n’y a pas de meilleure option, les chercheurs anglophones en sciences politiques ont trouvé peu de raisons de considérer la démocratie comme quoi que ce soit de mieux que, pour reprendre les mots de Winston Churchill, « la plus mauvaise forme de gouvernement à l’exception de toutes ces autres formes qui ont été essayées à un moment ou à un autre »2.
3Dans le même temps, les philosophes politiques modernes considèrent couramment la démocratie comme un idéal normatif : la démocratie, suggèrent-ils, doit être prisée dans la mesure où elle propage les valeurs de liberté, d’égalité et de dignité, ainsi que des pratiques libérales telles que la non-interférence et la non-domination, la justice procédurale et la juste distribution du pouvoir et des ressources. Les formes participatives de la démocratie accroissent l’horizon de l’épanouissement humain, par l’exercice de la capacité politique des individus à s’associer avec d’autres dans la prise publique des décisions. L’attachement à la délibération exige que les décisions soient prises sur le fondement du discours persuasif et de l’argumentation réciproque, tandis que la tolérance eu égard au désaccord politique permet aux critiques d’exposer les incohérences entre les valeurs fondamentales et les pratiques courantes. La culture démocratique encourage la vertu civique sous la forme de la coopération sociale cohérente et volontaire, tandis que le gouvernement démocratique n’exige pas que ses citoyens soient des saints. Churchill avait raison de dire que les démocraties sont toujours imparfaites, mais une démocratie participative et délibérative devrait être capable de se corriger elle-même, et ainsi se bonifier avec le temps. Ces propriétés vertueuses devraient être la conséquence d’un processus de décision collective dans une communauté socialement diverse dont les membres se traitent les uns les autres comme des êtres moraux et égaux3.
4Considérer la démocratie à travers le prisme de l’Athènes classique permet de voir comment le « ce qui doit être » du philosophe politique pourrait être plus étroitement uni avec le « ce qui est » du spécialiste de sciences politiques. Le gouvernement participatif et délibératif, à la fois attaché à des valeurs morales et contraint par celles-ci, peut être ancré dans les choix faits par des individus interdépendants et raisonnables, c’est-à-dire par des personnes qui sont concernées – même si ce n’est pas de manière exclusive – par leur propre bien-être et conscientes que celui-ci dépend – même si ce n’est pas de manière absolue – du comportement des autres. Réconcilier la philosophie politique avec la philosophie de l’action collective et la science politique du choix rationnel ouvre un espace pour des avancées conceptuelles dans la théorie démocratique et l’épistémologie sociale : cela mène en effet à définir la démocratie comme la capacité que possède un public de faire des choses, plutôt que simplement comme la règle de la majorité. Cela nous encourage à nous concentrer sur la relation entre l’innovation et la faculté d’apprendre, et pas seulement sur la négociation et sur le vote. Enfin, cela nous met au défi de concevoir des institutions capables d’agréger le savoir utile, et non simplement des préférences ou des intérêts. La récompense en est grande : dans la mesure où elle promeut de meilleures valeurs et de meilleurs résultats, une démocratie participative et délibérative est légitimement favorisée vis-à-vis d’autres formes d’organisation politique.
5Avant d’embrasser le problème de la délibération et de la participation, nous devons néanmoins répondre à une question pratique : de bonnes valeurs coûtent-elles trop cher dans un environnement compétitif ? Les critiques soulignent justement que la démocratie participative est coûteuse : impliquer des milliers d’amateurs dans la pratique du gouvernement, comme ce fut le cas d’Athènes, place un fardeau sur les finances de l’État et exige des citoyens beaucoup de temps et d’effort. Des gouvernements autoritaires, semble-t-il, peuvent prendre des décisions à plus bas coût et leurs sujets peuvent passer plus de temps à produire des biens et des services possédant une valeur économique directe. Si la participation et la délibération sont des processus si coûteux, est-ce qu’un gouvernement par le peuple (aussi bien que de et pour le peuple) peut entrer en compétition avec des rivaux autoritaires ? De plus, les problèmes que n’importe quel gouvernement, antique ou moderne, doit affronter, sont complexes. Est-ce que la démocratie participative est à la hauteur des défis de notre avenir – les défis du changement climatique, de l’épuisement des ressources naturelles, des transitions démographiques et des épidémies ? Dans ces conférences et dans le livre sur lequel elles s’appuient (Ober, 2008b), je soutiens que la démocratie peut accroître sa capacité à faire face à la concurrence de ses rivaux autoritaires et à relever les défis de l’avenir en renforçant le gouvernement par le peuple. Si, dans la pratique comme dans la théorie, la démocratie favorise le meilleur alignement possible des choix politiques raisonnables et des choix moraux, et si en outre cet alignement promeut une performance exceptionnelle, alors la démocratie pourrait à juste titre se revendiquer comme étant la meilleure forme possible de gouvernement. Dans un tel cas, choisir la démocratie signifierait beaucoup plus que consentir à un moindre mal : cela exprimerait une préférence informée et justifiable pour un système politique qui promet des valeurs, y compris (mais non seulement) la liberté, la justice et la prospérité matérielle durable, et qui peut être légitimement désiré comme une fin en soi4.
6Ma thèse, selon laquelle la démocratie peut produire l’alignement des choix politiques et des choix moraux afin de produire des résultats exceptionnels, repose sur des arguments concernant la connaissance, les institutions et la capacité de l’État. Athènes était singulière, au sein du monde des cités grecques, pour sa taille relativement importante (une population de peut-être un quart de million de personnes), pour la diversité sociale de sa population et pour ses institutions démocratiques fortement participatives. Je décrirai comment, dans l’Athènes antique, le gouvernement par le peuple a permis à une population de citoyens nombreuse et socialement diverse de trouver des réponses particulièrement pertinentes à des problèmes très compliqués, qui supposent le recours à l’action conjointe et l’adoption de valeurs communes. Ces problèmes surgissent chaque fois que des groupes d’individus, à la fois interdépendants et déterminés à poursuivre leur intérêt personnel, cherchent à développer et mettre en œuvre des plans coopératifs. Les problèmes de l’action conjointe sont un défi pour toutes les organisations, antiques et modernes, et ils sont potentiellement exacerbés par la taille et la diversité sociale. Si ces problèmes d’action publique ne sont pas résolus, l’organisation ne survit pas dans un environnement compétitif – que ce soit une polis, un État-nation, ou une société d’affaires5. La coopération ne serait pas un problème si un groupe possédait effectivement une volonté générale à la façon dont Rousseau le postule à titre d’idéal politique dans son Contrat Social (2002 [1762]). Mais comme le dit Michael Bratman, le philosophe de l’action, les intentions sont portées par des individus : dire que « nous avons l’intention » de faire quelque chose signifie que nos intentions sont partagées, mais l’intention partagée, à la différence d’une volonté générale, n’empêche ni les désaccords substantiels ni la compétition (Bratman, 1999, p. 93-161). Bratman soutient que l’on peut expliquer philosophiquement l’action conjointe comme une activité coopérative partagée par des individus. Afin d’agir de manière conjointe, les individus doivent non seulement partager certaines intentions, mais ils doivent aussi fusionner certains de leurs projets collatéraux, manifester un minimum de stabilité coopérative et posséder un savoir commun approprié. Il est de prime abord difficile de voir comment des individus libres et égaux seraient capables de constituer des intentions cohérentes, de partager des croyances communes sur les intentions d’autrui, ou pourraient acquérir un savoir commun. Pourtant, l’Athènes démocratique, avec ses institutions fortement participatives et délibératives, a formulé et mis en place des projets complexes, et fut une cité grecque prédominante tout au long des 180 ans que dura son histoire en tant que démocratie indépendante. Expliquer l’action conjointe démocratique au sein de l’Athènes classique exige d’expliquer pourquoi et comment des personnes politiquement libres et égales furent capables d’agir de façon coopérative afin de réaliser des fins communes6.
7Les institutions publiques sont une partie essentielle de mon propos. Les institutions sont mieux décrites si on les considère comme des règles qui guident l’action (action-guiding rules). L’action conjointe au sein d’une organisation complexe est plus facile à comprendre quand elle est fondée sur une hiérarchie formelle, dans laquelle les règles sont fortes et sans équivoque. Quand, au sein d’une hiérarchie, un ordre provient d’un individu ayant pouvoir et autorité, chacun des nombreux destinataires de cet ordre voit certaines fins lui être imposées. Si tous ont – et croient que d’autres ont – une intention prioritaire d’obéir aux ordres émis par l’individu possédant le pouvoir et si l’ordre est publiquement communiqué et donc devient l’objet d’un savoir commun, la fin désirable peut être réalisée. Cependant, même dans la hiérarchie la plus rigide, le problème de l’action conjointe persiste, parce que les individus conservent leurs volontés propres. Même dans le régime le plus brutal, la capacité individuelle à l’action ne peut jamais être réduite à zéro : ceux qui sont sous les ordres ne peuvent pas être considérés simplement comme les instruments passifs de la volonté d’un autre7. Il reste néanmoins que dans une démocratie, dans laquelle l’autorité pour donner des ordres a été dispersée au sein d’une vaste population, le problème de l’action conjointe semble être particulièrement insoluble. Sa solution, comme nous verrons, doit être trouvée dans des institutions bien conçues pour agréger, aligner et codifier le savoir utile. C’est seulement en déplaçant l’accent de la démocratie au sens de mécanisme d’expression des préférences et des intérêts des électeurs, vers une démocratie conçue comme mécanisme d’organisation du savoir social et technique utile, dispersé dans une population diverse, que l’on pourra expliquer le succès de la démocratie participative à Athènes.
8Trois problèmes concernant les biens publics et l’action conjointe vont s’imposer dans notre enquête sur les institutions démocratiques Athéniennes : l’action collective, la coordination et le fonds commun des ressources8. Chacun d’eux concerne certaines difficultés que les groupes sociaux éprouvent à récolter les bénéfices de la coopération. Des difficultés surgissent pour deux raisons. En premier lieu, les individus rationnellement intéressés à leur propre bien-être ne répondent pas nécessairement par l’affirmative lorsqu’ils se posent la question suivante : « est-ce qu’il est raisonnable pour moi de coopérer avec d’autres ? ». En deuxième lieu, même quand la réponse serait : « oui, tant qu’ils coopèrent avec moi », les gens peuvent manquer de la connaissance appropriée des intentions des autres, de telle sorte qu’ils laissent passer l’opportunité d’une coopération fructueuse. Les théories contemporaines du choix rationnel supposent que nous répondons d’ordinaire aux questions concernant la coopération en nous référant à une perspective de gains (« étant données nos fins respectives, est-ce que l’on a donné à chacun d’entre nous une raison adéquate pour coopérer ? ») plutôt qu’à des motifs d’altruisme (« avons-nous raison de croire que notre coopération permettrait à d’autres de réaliser leurs fins ? »)9. Le modèle du choix rationnel individuel ne tient pas la bienveillance altruiste pour une motivation indépendante. Il est pourtant essentiel de garder à l’esprit que l’acteur parfaitement rationnel est une fiction méthodologique – une simplification excessive de la psychologie humaine qui gagne en puissance analytique par le fait d’ignorer les complexités des motivations humaines dans le monde réel. Ici, j’adopte une approche parcimonieuse (non-altruiste) de la rationalité pour aiguiser le problème analytique présenté par l’action démocratique conjointe. Je ne suppose pas cependant que l’égoïsme est ou doit être une base adéquate pour expliquer la psychologie morale de quiconque10.
9Le premier de nos trois problèmes impliquant l’action conjointe concerne l’action collective : le problème surgit parce que, bien qu’un résultat collectif substantiellement meilleur pourrait être obtenu par la coopération mutuelle, il est rationnel pour chaque individu de faire défection (c’est-à-dire d’agir dans son intérêt personnel étroit) plutôt que de coopérer. Ce problème d’action collective est modélisé dans la théorie des jeux sous la forme du fameux « dilemme du prisonnier ». Le deuxième problème relève de la coordination. Il diffère du premier type par le fait de supposer que les gens veulent coopérer sur quelques projets, mais qu’ils auront des difficultés à le faire s’ils manquent d’un savoir commun concernant les préférences de chacun et ses intentions. Le problème de la coordination explique, par exemple, que des dictatures impopulaires puissent se maintenir pendant une longue durée. Le troisième problème concerne le fonds commun de ressources. Le problème surgit alors parce qu’il est rationnel, pour chaque individu dans un groupe donné, de tricher eu égard aux accords réglementant l’utilisation de ressources partagées, en prenant une plus grande part pour elle ou pour lui. Ce problème est souvent mentionné sous l’appellation de « tragédie des biens communs (tragedy of commons) ». Je me référerai aux problèmes relevant de l’action conjointe qui sont ceux de l’action collective, de la coordination et du fonds commun de ressources en tant qu’ils peuvent être des problèmes d’action publique, tout simplement parce que mon objet est la démocratie. En sa forme grecque originelle (dêmokratia), la démocratie signifiait que « la capacité à agir pour produire un changement » (kratos) repose dans les mains d’un public (dêmos) composé de beaucoup d’individus, qui sont en mesure de prendre des décisions (Ober, 2008b). Je cherche à montrer comment des solutions spécifiquement démocratiques aux problèmes de l’action publique peuvent être économiquement efficaces, ce qui aura pour conséquence que des formes robustes de démocratie participative n’ont pas besoin d’être rejetées pour des raisons de compétitivité. L’ultime raison de préférer la démocratie est cependant qu’elle est moralement préférable : c’est un régime plus libéral dans le sens où il promeut davantage la liberté de l’individu, la dignité et la justice sociale, offre aux gens une meilleure opportunité de participer aux décisions publiques et favorise l’expression des capacités humaines (Ober, 2007).
10La démocratie est un système sociopolitique qui présente des formes relativement douces d’idéologie et de persuasion culturelle. Elle offre aux individus une large gamme de choix et un libre accès à l’information sociale. Le pouvoir dans une démocratie n’est pas monopolisé par un individu ou par une petite élite, ni exercé uniquement dans des institutions formelles. La question de savoir comment les avantages de la coopération sociale peuvent être gérés, distribués et déployés doit être négociée (par exemple par une prise de décisions délibérative ou par un vote) parmi des groupes relativement vastes et divers de citoyens, plutôt qu’être soumise au mandat d’une élite dirigeante restreinte et exclusive. Dans un environnement compétitif (comme le monde des cités grecques), un État organisé comme une démocratie doit trouver des moyens de faire face à la concurrence de rivaux autoritaires. Les démocraties semblent, à première vue, souffrir d’un handicap réel. Comme les critiques antiques et modernes de la démocratie l’ont souvent indiqué, les démocraties semblent être particulièrement vulnérables aux resquilleurs, avoir du mal à rendre crédible leur capacité d’engagement, paraître peu claires quant à la relation entre « directeurs » et « agents » assignés à l’exécution des ordres, et insuffisamment attentives au jugement expert11. Pourtant, dans l’Antiquité, comme dans la Modernité, certaines démocraties, y compris celle d’Athènes, ont atteint d’excellents niveaux de performance. Ces trois conférences cherchent à expliquer pourquoi et comment. Mon hypothèse est que la supériorité économique et militaire de l’Athènes classique était, du moins en partie, le produit d’institutions démocratiques et d’une culture civique qui ont rendu le savoir utile plus aisément disponible aux Athéniens, en tant que communauté, et leur a permis d’en faire une meilleure utilisation. Les démocraties dans le style athénien peuvent prendre un avantage compétitif en inventant des institutions réactives au changement, grâce à leur usage du savoir en action.
11Par « savoir en action » (knowledge in action), j’entends l’information socialement utile mise à disposition des choix individuels qui sont accomplis dans le cadre de processus institutionnels et qui impliquent aussi bien l’innovation que l’apprentissage12. La clef de la prise de décisions démocratique réussie est l’intégration de la connaissance technique dispersée et latente, de la connaissance sociale et des valeurs communes. Athènes a atteint un niveau de performance supérieur par un meilleur traitement de l’information : en transformant des données brutes, non encore traitées, en une connaissance politiquement valable13. Cette transformation était effectuée par des processus propres à agréger, aligner et codifier le savoir tout en équilibrant les tendances potentiellement contradictoires que sont l’innovation en tant que source de solutions nouvelles et l’apprentissage en tant que socialisation fondée sur des habitudes dont la valeur a été prouvée. Le théoricien de l’organisation James March a montré que l’innovation et l’apprentissage sont des tendances contradictoires. L’apprentissage social est de valeur s’il permet la formation d’habitudes et si celles-ci favorisent le retour à l’effort. Mais la capacité d’innovation, qui est essentielle pour le succès dans des environnements compétitifs changeants, suppose que la socialisation par les habitudes établies reste incomplète. Dans des environnements volatiles, un excès d‘apprentissage peut mettre en péril l’avantage compétitif, comme le peut aussi le manque d’apprentissage lorsque les conditions sont plus prévisibles14. Si l’équilibre entre l’innovation et l’apprentissage est bon, la capacité productive reste haute. Nous pouvons décrire un tel système comme témoignant d’un bon design organisationnel. Il est important de noter que le design ne suppose pas nécessairement qu’il y ait un unique designer. Un système politique peut être le produit de processus non guidés d’adaptation expérimentale sur le long terme (sur le modèle de la « Constitution » britannique), ou le produit d’une planification formelle (comme les Constitutions de l’Allemagne de l’Ouest et du Japon de l’après-guerre). Ou cela peut être une certaine combinaison d’expérimentation et de formalisme (comme dans le cas de la Constitution américaine). Je n’essayerai pas de résoudre, dans ces conférences, la difficile question de savoir dans quelle mesure la conception organisationnelle d’Athènes a résulté d’une série d’expériences ou peut être attribuée à un plan idéal type, fruit d’un choix intelligent, imposé d’en haut par ses dirigeants.
12La figure 1 présente un modèle schématique et statique des facteurs épistémiques à l’œuvre dans une démocratie.
13La tâche de mes deux prochaines conférences sera de placer ces divers facteurs dans une relation dynamique, afin de donner vie au système en expliquant sa capacité au changement. Cela exigera que je montre, d’abord, pourquoi des individus rationnels peuvent choisir de partager et d’échanger le savoir utile dans des contextes institutionnels particuliers. Je montrerai ensuite comment les institutions guidant l’action ont été tout à la fois en mesure de promouvoir le développement de l’apprentissage social et de stimuler l’innovation. Enfin, j’aurai à expliquer comment les institutions Athéniennes ont évité l’ossification tout en restant assez prévisibles pour que les gens ordinaires – préoccupés par leurs vies quotidiennes – puissent choisir de consacrer du temps à apprendre comment ces institutions fonctionnaient et à « faire marcher la machine » de l’autogouvernance athénienne.
14L’Athènes classique offre un cas particulièrement approprié pour étudier la démocratie et la performance de l’État. C’est un cas historiquement complet, présentant des phases prédémocratiques, démocratiques et post-démocratiques longues et raisonnablement bien documentées. Prendre pour objet le monde des cités grecques anciennes, centré sur la Méditerranée (Horden et Purcell, 2000 ; Morris, 2003) nous permet de garder constantes les variables culturelles et environnementales, ce qui renforce l’argument en faveur du caractère endogène de la productivité démocratique, c’est-à-dire le fait que l’accroissement de la capacité étatique résulte de la démocratie elle-même plutôt que d’un facteur externe.
15Le monde des cités était caractérisé par des niveaux intenses de compétition et de coopération entre États. Ce n’était pas un « petit jardin » : la Grèce antique manifesta, tout particulièrement au Ve et au IVe siècles, une croissance démographique et économique remarquablement forte. Le niveau de vie de la Grèce classique et la densité de la population étaient exceptionnellement hauts pour des sociétés prémodernes et, au moins dans quelques régions géographiques du monde grec, semblent s’être approchés de niveaux modernes. Le besoin de solutions publiques efficaces aux problèmes de l’action publique était aigu dans l’Athènes démocratique en raison de sa taille relativement grande, de la diversité sociale de sa population, de sa culture de la liberté personnelle et du choix individuel. En tant que société, Athènes est suffisamment complexe pour même susciter l’intérêt des spécialistes du monde contemporain : il est en effet possible de parler, sans caprice ni paradoxe, de l’Athènes antique comme étant, d’une certaine façon, « moderne »15. On n’a évidemment pas besoin d’être un théoricien politique, un historien antique, ou un spécialiste des sciences sociales pour considérer le succès de l’Athènes démocratique comme une énigme intéressante. Comment est-ce qu’un dispositif de décision politique, caractérisé par les discussions ouvertes, dans des assemblées publiques, suivies par des centaines voire des milliers de décideurs non experts, a-t-il pu tellement contribuer « à la gloire qui fut la Grèce »16 ?
16En affirmant que la solution athénienne, exceptionnellement robuste et productive, aux problèmes de l’action publique, était fondée sur la découverte des moyens efficaces d’organiser ce que se trouvaient savoir les individus composant une vaste et diverse communauté, je me concentre sur trois processus épistémiques, impliquant tous l’innovation et l’apprentissage. D’abord l’agrégation, par laquelle je désigne le processus de collecte de la bonne sorte de savoir dispersé, au bon moment, en vue de la prise de décisions. Le deuxième processus est l’alignement, qui permet aux gens qui ont la même préférence pour un résultat donné de coordonner leurs actions par référence à des valeurs partagées et à un seul et même corpus de savoir commun. Le troisième est la codification, à savoir le processus par lequel les décisions mises en œuvre deviennent des règles guidant l’action, capables d’influencer à l’avenir le comportement social et les échanges interpersonnels.
17Chacun de ces processus épistémiques a été étudié en profondeur par les spécialistes des sciences sociales, mais souvent de façon isolée les uns des autres. Ainsi, par exemple, les écrits sur la délibération et l’agrégation du savoir traitent typiquement le savoir commun et les cascades informationnelles comme des pathologies de la prise de décision. Pourtant, une fois la décision prise, le savoir commun et les cascades doivent entrer en jeu pour permettre aux groupes non-hiérarchiques de passer de la décision à l’exécution. De même, la littérature qui étudie le rôle des règles codifiées dans l’abaissement des coûts de transaction a tendance à ignorer la question de la création et de la révision des règles en contexte démocratique. Puisque nous cherchons à expliquer le rôle du savoir dans la performance d’un état démocratique, nous devons garder à l’esprit la totalité de la situation épistémique et essayer de saisir l’interaction dynamique entre ces processus épistémiques. Les trois processus sont schématiquement illustrés dans la figure 2.
18Le tableau 1 offre une description préliminaire de ces trois processus. Je consacrerai les deux prochaines conférences suivantes à l’explication des commentaires trop condensés de ce tableau, en développant l’argument sur la façon dont des institutions démocratiques bien conçues peuvent promouvoir des formes d’épistémologie sociale qui sont favorables à la croissance de la capacité de l’État.
19La façon dont je me concentre sur l’épistémologie sociale, sur le savoir comme clef du succès d’un État démocratique, peut de prime abord sembler étrange, étant donné que le succès exige de l’expertise et que la démocratie participative place une grande part de la responsabilité des affaires publiques dans les mains d’amateurs. Les commentateurs ont justement indiqué que la culture et les institutions démocratiques contribuent à stimuler l’état d’esprit des citoyens et à accroître la crédibilité du gouvernement quant à son engagement à rembourser ses dettes. Ces traits démocratiques se traduisent en avantages dans les domaines vitaux de la mobilisation militaire ou de la levée de capitaux17.
20Pourtant, à la lumière de la question de l’expertise, il est souvent tenu pour acquis que les succès d’une démocratie participative comme Athènes doivent avoir été obtenus en dépit, plutôt qu’à cause, de son approche de l’organisation du savoir utile. La République de Platon fournit un cas paradigmatique. Platon, cela est bien connu, a défendu dans la République l’idée que la démocratie est une forme de gouvernement systématiquement défectueuse parce qu’elle est fondée sur une mauvaise relation entre le savoir (conçu comme opinion vraie justifiée) et l’autorité politique. Il argumente de la manière suivante : la pratique de la démocratie requiert, de la part de citoyens ordinaires sans expertise, une capacité à bien juger, individuellement ou en groupe, de la question fondamentale de savoir quels choix sont les meilleurs en vue du bien humain. Platon refuse aux hommes ordinaires la capacité de produire de bons jugements à propos du bien humain et ne croit pas qu’ils puissent jamais acquérir une telle capacité. Il affirme que dans tout domaine, qu’il s’agisse de cordonnerie ou de gouvernement, le jugement doit être laissé aux experts qui disposent du savoir spécialisé qui seul rend leurs jugements valides. Il déclare que dans un État idéal seul les philosophes gouverneraient. Son argument est fondé sur la supposition que le domaine du gouvernement requiert un savoir expert ayant pour objet la Forme du Bien. Comme seul un très petit nombre de gens ont la capacité de développer un jour une expertise philosophique, et cela même seulement après une longue éducation, le gouvernement doit toujours rester entre les mains d’une élite très restreinte de sages18.
21Peu de spécialistes de la théorie et de la pratique du gouvernement ont suivi Platon en faisant de la connaissance philosophique de la Forme du Bien un réquisit préalable pour gouverner, et il est possible que Platon lui-même ait offert des solutions différentes dans ses dialogues politiques ultérieurs19. Mais la thèse générale de Platon, dans la République, selon laquelle, d’une part, diriger est principalement une question d’expertise spécialisée, et, d’autre part, la capacité à développer l’expertise appropriée est limitée à un nombre relativement réduit de personnes et exige un entraînement spécial, s’est amplement répandue. Platon a creusé un profond fossé entre l’opinion et le savoir, en affirmant que ceux qui ne sont pas des experts dans un domaine donné ne peuvent avoir que des opinions à ce sujet et non une connaissance réelle. Sa théorie du gouvernement est fondée sur une séparation stricte entre les sphères de l’opinion et du savoir. Or nombre de théoriciens politiques et sociaux modernes ont tendance à être d’accord avec Platon sur la distinction du savoir et de l’opinion. La plupart rompent certes avec Platon en affirmant que pour être légitime, un système politique doit trouver une façon de donner aux opinions des non experts un certain poids. Considéré de ce point de vue, le gouvernement démocratique peut être conçu comme un système visant à concéder une place à l’opinion publique des non experts dans un domaine de connaissance experte. Les démocraties modernes réalisent cette opération principalement par la règle du vote majoritaire et par les structures de représentation. Mais cela laisse une place considérable pour des arguments militant en faveur de la limitation de la participation populaire au nom de l’efficacité20. Dans un modèle influent (et explicitement anti-platonicien), Robert Dahl décrit la démocratie conformément à une conviction largement partagée (considérée par Platon comme fausse) suivant laquelle chaque individu est le meilleur juge de ses intérêts propres (Dahl, 1989). Mais cette présomption n’entraîne pas la supposition que l’individu soit capable de formuler, ou même de choisir entre différentes politiques publiques effectives, celle qui pourrait le mieux faciliter l’accomplissement de ses intérêts. Sans cette capacité, l’individu, avec ses opinions, ne peut pas être un législateur direct compétent au service de son propre intérêt. Cela suggère que le rôle de l’opinion du non expert eu égard à la gouvernance est probablement nuisible, à moins qu’il ne soit très soigneusement contrôlé ; par conséquent des structures de représentation sont nécessaires. Dans la théorie de Dahl, comme dans la plupart des théories du gouvernement républicain depuis James Madison, pour qu’un gouvernement soit légitime, il doit être permis au citoyen non expert de voter pour des représentants, c’est-à-dire de faire un choix parmi divers dirigeants possibles, choix fondé sur son opinion quant à celui d’entre eux qui travaillera le plus efficacement pour satisfaire ses intérêts à lui. La direction réelle est laissée aux experts. Cette ligne de pensée élimine, par définition, la démocratie directement participative comme forme de gouvernance21.
22La théorie démocratique invoque la représentation et les experts pour deux raisons : pour régler le problème d’échelle et pour produire un mécanisme institutionnel susceptible de pallier l’incapacité des non experts à décider directement de leurs intérêts propres. Le problème de l’échelle est un problème sérieux. Parce que l’échelle de la plupart des États modernes est bien plus grande que celle de la plus grande cité grecque, on ne saurait penser que le cas athénien offre une alternative participative à la représentation pour un État démocratique moderne. Mais la prothèse représentative est souvent maladroite en pratique. Les institutions délibératives et participatives athéniennes, avec leur insistance sur l’emploi des sources diverses de savoir en vue de la résolution de problèmes, pourraient offrir un supplément valable aux formes existantes de gouvernement représentatif, tout particulièrement au niveau local. Bien sûr, l’expérience politique d’Athènes ne peut être féconde en tant que supplément à la pratique représentative moderne que si l’on peut montrer que les institutions athéniennes ont des caractéristiques distinctives et valables qui pourraient potentiellement être extraites de leur cadre antique originel. Cette entreprise, tout autant théorique que descriptive, est menée dans ces conférences.
23L’hypothèse qui sera explorée dans les deux conférences suivantes peut maintenant être délimitée comme suit :
L’Athènes démocratique a été capable de tirer profit de sa taille et de ses ressources de manière à s’imposer durablement dans la compétition avec ses rivaux autoritaires, parce que les coûts des pratiques politiques participatives y ont été contrebalancés par des bénéfices supérieurs tirés de la coopération sociale, qui furent le résultat de l’organisation et du déploiement du savoir utile dans le contexte d’institutions et d’une culture démocratiques à la fois favorables à l’innovation et ancrées dans l’apprentissage.
24Cette hypothèse peut être mise à l’épreuve sur le terrain des institutions gouvernementales athéniennes et de l’histoire : si l’hypothèse est correcte, alors on devrait pouvoir expliquer avec économie certaines caractéristiques distinctives du modèle institutionnel athénien, en se référant simplement à leur rôle d’organisation et de déploiement du savoir utile. Plus encore, il devrait être possible de montrer que les institutions démocratiques ont en effet organisé un savoir utile dispersé, et cela d’une façon que l’on peut relier, d’une manière plausible, à la prospérité matérielle générale. Enfin, si l’hypothèse est bonne, on devrait pouvoir démontrer que les institutions athéniennes, considérées individuellement et comme système, ont servi à promouvoir l’apprentissage social et ainsi à faciliter l’apparition d’habitudes fécondes. Elles devraient aussi s’être adaptées au changement au cours du temps, grâce à l’innovation constante. L’hypothèse serait réfutée si les institutions athéniennes manifestaient une forte dépendance à leur histoire spécifique (path dependancy), associée à des formes robustes de socialisation, ou si elles avaient changé de la manière volatile et indisciplinée que Tocqueville a attribuée à la démocratie dans sa conception majoritaire.
25Avant de mettre à l’épreuve cette hypothèse sur la démocratie et le savoir, nous devons néanmoins confirmer qu’il y a vraiment un problème substantiel qu’elle pourrait résoudre. Est-ce que l’Athènes démocratique était, en fait, une cité particulièrement fructueuse ? Est-ce qu’Athènes s’est illustrée d’une manière particulièrement éclatante si on la compare à ses cités rivales ? Que la réponse soit « oui » est une conclusion qui n’étonnera pas les historiens classiques. Les spécialistes des sciences sociales, cependant, exigent des données et j’ai donc essayé de rassembler ce qui est disponible : quelques résultats sont présentés dans les figures 3, 4 et 5. Le jugement des historiens sur le relatif haut niveau d’Athènes trouve appui sur le matériel rassemblé dans l’Inventory of Archaic and Classical Poleis (Hansen et Nielsen, 2004), un catalogue des faits disponibles pour environ un millier de cités grecques. Quantifier le matériau rassemblé dans l’Inventory nous permet de développer des profils statistiques sur quelques aspects de la performance individuelle des cités. Dans la figure3, les cités ont été classées selon quatre mesures : taille de territoire, célébrité, activité internationale et bâtiments publics ; les classements ont été standardisés sur une échelle à 80 points.
26Un deuxième ensemble de données est constitué par l’Inventory of Greek Coin Hoards (Thompson, Mørkholm et Kraay, 1974), qui recense 852 trésors monétaires à travers la Grèce entière. En déterminant dans combien de trésors les pièces de monnaie d’une cité donnée apparaissent, et combien de pièces de monnaie de cette cité apparaissent dans chaque trésor, nous pouvons déterminer la distribution des pièces de monnaie d’une cité et comparer les distributions des pièces de chaque cité. Les figures 3 et 4 présentent les vingt cités arrivées en tête de chaque classement. Les résultats sont clairs – Athènes surpasse ses rivaux tant du point de vue de la mesure de « la performance générale » fondée sur l’Inventory of Poleis, que du point de vue de la distribution des pièces de monnaie. D’autres indicateurs statistiques, par exemple le nombre de fois que le nom d’une cité apparaît dans la littérature grecque parvenue jusqu’à nous, ou le nombre de « personnalités culturelles » (artistes, écrivains, etc.) actifs à Athènes livrent des résultats semblables. Bref, quelle que soit la mesure statistique que j’ai pu mettre en œuvre, la réponse est la même : « Le prix est attribué à… Athènes ». Étant donné « le bruit » des données, ces chiffres sont seulement suggestifs, mais la conclusion qu’Athènes était, de plusieurs points de vue, prééminente parmi les cités grecques semble inéluctable.
27La question que nous devons nous poser alors est celle de savoir si la démocratie a joué un rôle dans les performances de l’État athénien. Pour mettre cette idée à l’épreuve, j’ai cherché à enregistrer, de 600 à250 av. J.-C., la variation historique de la capacité étatique athénienne (mesurée en termes d’activité militaire, de construction publique et de programme domestique) et les variations du niveau de démocratie (mesurée sur la base de l’agrégation d’une portion de la population d’adultes mâles natifs ayant la pleine citoyenneté, du pouvoir politique du dêmos et de l’autorité de la loi). Le résultat (avec un tableau de contrôle pour la population des citoyens) se trouve dans la figure 5. De manière générale, à l’exception notable de la tyrannie du milieu du sixième siècle (où le niveau de démocratie tombe en même temps que la capacité augmente), les lignes correspondant à la capacité d’État, au niveau de démocratie et au niveau de population se suivent d’une manière assez étroite. Si nous regardons de plus près, une première tendance selon laquelle la démocratie précède la croissance en capacité et en population, est claire, particulièrement dans les années qui suivirent l’établissement de la démocratie en 508 et le rétablissement de la démocratie en403. La même tendance plaçant la démocratie en position d’indicateur principal est manifeste dans la reconstruction de la capacité militaire d’Athènes après le désastre en Sicile en 413-12 et dans la reconstruction de l’infrastructure institutionnelle et physique en 410-406 après l’écroulement de l’oligarchie. La deuxième tendance, selon laquelle la démocratie est moins volatile que la capacité étatique, est manifeste dans les époques où le niveau de la démocratie reste stable tandis que se produisent de fortes baisses dans la capacité ou qu’adviennent des périodes de rétablissement dans lesquelles la capacité revient à de hauts niveaux : la démocratie reste haute pendant le sac de la ville par les Perses en 480 et l’époque suivante de reconstruction, après la peste de 430, durant la coûteuse guerre sociale des années 350 et après la perte de l’indépendance en matière de politique étrangère au profit des Macédoniens en 338.
28Il serait imprudent d’affirmer que la capacité étatique athénienne s’explique entièrement par la démocratie. Mais il semble sûr de conclure que les institutions et pratiques démocratiques participatives étaient bel et bien un facteur important dans le succès d’Athènes sur le long terme. Dans les deux conférences suivantes, je chercherai à répondre à l’évidente question : en quoi la démocratie participative a-t-elle contribué à la performance exceptionnelle d’Athènes en tant que cité-État ?
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Notes de bas de page
1 Conférence traduite de l’anglais par Daniela Sztern.
2 Sur les coûts de l’acquisition de savoir, voir Sowell (1980) ; Hardin (2002). Pour la citation de Churchill, Hansard, 11 novembre 1947.
3 Cette esquisse de la théorie démocratique s’appuie sur Dewey (1954) ; Rawls (1971, 1996) ; Pettit (1997) ; Cohen (1996) ; Gutmann et Thompson (2004) ; Ober (2007).
4 Quoique je n’y emploie pas de modèles économiques formels, l’ambition de mon livre de 2008 (Ober, 2008b) d’expliquer des développements historiques complexes par la référence aux théories sociales du choix et de l’action collective est comparable à celle de Bates et alii (1998, voyez en particulier l’introduction) ; Rodrick (2003) ; Greif (2006). Il ne s’agit du reste que de proposer une explication partielle. Pour une explication plus complète de la façon dont la démocratie athénienne fonctionnait, on peut se reporter à mon analyse du rapport entre pouvoir et rhétorique (Ober, 1989) et de l’histoire intellectuelle du désaccord avec la démocratie (Ober, 1998).
5 Le problème général de l’action conjointe, qui sous-tend tout comportement économique ou politique, est à la croisée de la philosophie de l’action, de la philosophie de l’esprit et de la psychologie morale. J’adopte ici le cadre développé par Philip Pettit et Christian List dans leur livre récemment paru (Pettit et List, 2011), cadre élaboré à partir de Bratman (1999), et de Pettit et Schweikard (2006). La principale différence entre mon approche et celle de Pettit et List est surtout une affaire d’accent : ils s’intéressent principalement aux procédures de vote dans la perspective de l’agrégation des jugements collectifs, dans des situations où il est présumé qu’il y a une bonne réponse (par exemple pour les procédures judiciaires impliquant des jurys), tandis que je m’intéresse à ces procédures du point de vue de l’agrégation du savoir social et technique dans le cadre de l’élaboration des politiques et de la prise de décision publiques.
6 Morris et Manning (2005) présentent les problèmes méthodologiques impliqués dans le type d’étude entrepris ici.
7 Le taylorisme (voir à ce sujet Rothschild, 1973, et Ober, 2008b, chapitre 3) ignore le fait que les donneurs d’ordres (les « directeurs ») et ceux qui les reçoivent (les « agents ») ont des motivations différentes. La question du différentiel directeur/agent est au cœur des discussions sur la gestion organisationelle (voyez Roberts, 2004).
8 La terminologie de ce que j’appellerai les « problèmes d’action publique », dérivée de la théorie des jeux, est employée de manières diverses par les différents spécialistes. L’« action collective » peut être restreinte, comme je le fais ici, aux problèmes des resquilleurs ; on utilise parfois ce concept pour désigner une gamme plus large de choix sociaux, sur le modèle des jeux non-coopératifs, et parfois tout aussi bien dans le contexte de jeux coopératifs que de jeux non-coopératifs. Pour une présentation de ces questions, voyez Mueller (2003).
9 Sur les problèmes d’action collective résultant du choix rationnel, voyez Olson (1965), et Hardin (1982). Sur la question du fonds commun de ressources, voyez Hardin (1968), et les études rassemblées dans Ostrom et al. (2002). Sur la question de la coordination, voir Chwe (2001) ; sur celle de la démocratie considérée comme un problème de coordination des citoyens, voir Weingast (1997). La théorie du choix rationnel suppose qu’un agent rationnel est motivé par un gain attendu plutôt que par l’altruisme, et se préoccupe avant tout du problème de la défection (ou des resquilleurs) eu égard aux accords coopératifs. Le gain est la somme des préférences d’un agent, qui peut inclure une préférence pour des politiques publiques qui dépassent son intérêt individuel le plus strict. La question de savoir de quelle manière la rationalité est liée à des normes culturelles et éthiques ou à des contraintes cognitives (Simon, 1955) est le problème fondamental pour les théoriciens du choix. Ferejhon souligne la nécessité de relier le choix rationnel et l’interprétation culturelle, à la fois parce que les valeurs et les gains sont dépendants de la culture, et pour limiter la gamme de situations d’équilibre possibles dans les jeux répétés (Ferejohn, 1991). En bref, si je suppose que la rationalité de chaque Athénien était liée à des normes éthiques et culturelles, je suppose aussi que nous devons chercher à comprendre le comportement de collectivités telles que l’Athènes classique en termes de choix accomplis par des individus qui coopèrent volontairement les uns avec les autres à la condition de croire que cela comporte une chance raisonnable de répondre à leurs propres attentes. Le choix rationnel peut contribuer à l’explication historique lorsqu’il permet d’attirer l’attention sur la façon dont des systèmes complexes émergent des choix individuels et sont nourris par ceux-ci. Les historiens ne doivent pas cependant confondre les automates, ou « agents modèles », avec les agents humains effectifs, dont les motivations et les capacités cognitives sont bien plus complexes (voyez les critiques adressées aux applications de la théorie du choix par Green et Shapiro, 1994 ; Gaddis, 2002 ; Mackie, 2003 ; Mueller, 2003, passe en revue la littérature p. 657-670).
10 La psychologie morale de la raison, de l’empathie et de l’altruisme est un champ à la croisée de la théorie politique, de la psychologie, de l’économie et de la philosophie morale : voyez, récemment Frank (1988) ; Mansbridge (1990) ; Sen (1993) ; Elster (1999) ; Nussbaum (2001, 2006) ; Gintis et alii (2004) ; Pettit (2002, p. 167-69 et p. 222-44) ; Haidt (2006). Pour la défense d’un égoïsme robuste, sur des fondements aristotéliciens, voyez T. Smith (2006). Sur les conséquences sociales mauvaises résultant du fait de réduire toute valeur à des formes économiquement mesurables, voir Smith (2004).
11 Sur les problèmes de discipline militaire, voir Wallace (2005) ; sur l’inattention à l’expertise, voir Cary (1927-1928). Sur les désavantages démocratiques résultant du coût de la participation – ce revers de l’« avantage démocratique » discuté par Schultz et Weingast (2003) –, voir infra.
12 Même si cette définition s’inspire du pragmatisme philosophique, elle ne contredit pas nécessairement la définition analytique ordinaire du savoir comme « croyance vraie justifiée » (justified true belief). Elle reconnaît l’intuition fondamentale de l’épistémologie sociale, selon laquelle la recherche de la vérité est fortement et inévitablement influencée par les dispositifs institutionnels qui affectent ce que les agents humains, avec leurs croyances, se disent les uns aux autres. Pour approfondir ce point, voyez Goldman (1999, épistémologie sociale analytique) et Rorty (1979, épistémologie sociale pragmatique).
13 Les termes « données » (data), « information » (information) et « savoir » (knowledge) sont définis de manière diverses par les théoriciens de l’organisation. Davenport et Prusak (1998, p. 1-6), suggèrent que les données sont des informations relatives à des événements, que l’information consiste en données qui ont été jugées pertinentes et utiles à quelque but, et que le savoir est un creuset d’expérience, de valeurs, d’intuitions et d’information contextuelle qui permet l’incorporation de nouvelles expériences et de nouvelles informations. Voyez aussi Dixon (2000, p. 13) ; Brown et Duguid (2000, p. 119-202) ; Ober (2008b, chapitre3).
14 Levitt et March (1988), et March (1991), attirent l’attention sur les dangers des « pièges de compétence » (competency traps) dans lesquels les gens apprennent un processus inférieur avec une trop grande précision et échouent par là même à expérimenter des processus supérieurs ; sur « l’apprentissage superstitieux », résultant d’un excès de succès ou d’échecs ; sur la difficulté d’enregistrer adéquatement et de transformer en habitude ce qui est connu ; sur les divergences dans l’interprétation des événements et de l’expérience qui en a été faite (voyez aussi Brown et Duguid, 2000, p. 95-96 ; Chang et Harrington, 2005 ; Ober, 2008b, chapitre 3).
15 Sur la modernité d’Athènes, voyez Ober (2008a), où je m’appuie sur la définition de la modernité par Anthony Giddens (Giddens, 1990).
16 [Note de traduction : l’auteur cite un vers d’Edgar Alan Poe : « Thy hyacinth hair, thy classic face/Thy Naiad airs have brought me home/To the glory that was Greece/And the grandeur that was Rome » (Stances to Helen) ; nous reproduisons la traduction de Mallarmé] Bien entendu, la culture qui est typiquement associée « à la gloire qui fut la Grèce » n’est pas uniquement un produit de l’Athènes démocratique (Boedeker et Raaflaub, 1998 ; Robinson, 2007). Cependant, la culture grecque classique fut en fait, dans une mesure tout à fait remarquable, produite par Athènes, que ce soit par ses citoyens ou ses résidents étrangers. Morris (2009), relève les marques de la domination culturelle d’Athènes au Ve siècle. Un corpus de plus en plus nourri d’études de la performance musicale (Wilson, 2000 ; Shear, 2003) suggère une domination persistante d’Athènes, au moins dans certains domaines culturels, au IVe siècle.
17 Sur la motivation et la mobilisation, voyez les Discours de Machiavel et la littérature citée par Ferejohn et Rosenbluth (2005). Reiter et Stam (2002) démontrent que les démocraties modernes ont tendance à gagner les guerres. Leur explication de ce phénomène combine l’argument standard sur la motivation (les soldats qui se sentent partie prenante du régime se battent mieux) avec un argument selon lequel la contrainte d’avoir à la fois besoin de gagner et de conserver un mandat populaire amène les dirigeants démocratiques à s’engager dans les guerres qu’ils pensent assez raisonnablement pouvoir gagner. Sur la mobilisation et les républiques grecques, voir Morris (2009) ; Scheidel (2005). Sur la démocratie et la performance militaire athénienne, avec une insistance spécifique sur le début de la guerre du Péloponnèse, voir Ober (2010). Schultz et Weingast (2003), se concentrent sur la crédibilité des engagements des États démocratiques à rembourser leurs emprunts et sur les avantages qui en découlent pour s’assurer un financement sûr durant des périodes longues de conflit entre États.
18 Sur Platon à propos du savoir et de la démocratie, voyez Sharples (1994) ; Hitz (2004, chapitre2) ; Schofield (2006). Au sujet de la façon dont Platon décrit la démocratie, voyez Anton (1998) ; Ober (1998, chapitre4) ; Monoson (2000) ; Wallach (2001) ; Euben, (2003) ; Saxonhouse (2006).
19 Pour une présentation de divers avis sur la dernière philosophie politique de Platon, voyez, par exemple, Piérart (1974) ; Bertrand (1999) ; Bobonich (2002).
20 Estlund (2007) critique l’« épistocratie » de type platonicien, le gouvernement de ceux qui savent, tout en acceptant qu’il n’y ait, en toute probabilité, qu’un petit nombre seulement de gens qui savent véritablement mieux ce qu’il faut faire, et que ces gens gouverneraient mieux que les autres. C’est que, selon Estlund, une procédure de sélection des gouvernants, pour être légitime, doit pouvoir être acceptée de tous les points de vue raisonnables possibles ; or, comme la possibilité d’un accord de tous les gens raisonnables sur l’identité de ceux qui sont les mieux placés pour gouverner est peu probable, toute procédure de désignation sera confrontée à l’existence d’un point de vue raisonnable pour la critiquer. L’argument d’Estlund aboutit à la nécessaire divergence de l’efficacité maximale (ceux qui savent mieux gouvernent sans interférence inopportune) et de la légitimité optimale (le gouvernement doit pouvoir être accepté de tous les points de vue raisonnables possibles). Caplan (2007) défend des changements institutionnels, qui, au sein de la démocratie, limiteraient le rôle des « électeurs irrationnels » au profit des décisions des experts en économie (dont il fait partie). Les théoriciens de l’organisation qui sont favorables à la démocratie d’entreprise, par exemple Fitzgerald (1971) et Putterman (1982), considèrent pourtant parfois la rareté de l’expertise managériale et le fait que les intérêts des managers concordent avec des formes hiérarchiques d’organisation comme des obstacles potentiellement rédhibitoires pour les organisations démocratiques en environnement compétitif. Voyez néanmoins Orlikowsky (2002, en particulier p. 265-69) ; Locke et al. (2007).
21 Bien sûr, les représentants pour lesquels on vote en effet n’ont pas à être des experts législatifs – il suffit qu’ils s’en remettent aux experts lorsqu’ils prennent des décisions. Sur les théories contemporaines de la représentation, voir Ober (2008b, chapitre 3). On compte parmi les critiques théoriques de la représentation, promouvant des formes plus participatives de démocratie Dahl (1970) ; Pateman (1970) ; Mansbridge (1983) ; Barber (1984) ; Wolin (1994 et 1996). Ces critiques n’ont pas autant d’effet qu’elles pourraient en avoir, en partie à cause des limites des expérimentations participatives de diverses sortes. Mon livre de 2008 suggère que ces limites peuvent, au moins en partie, être attribuées à la pauvreté du mode d’organisation adopté eu égard au savoir utile. Des processus participatifs locaux satisfaisants sont répertoriés par Fung (2003 et 2004) ; Baiocchi (2005).
Auteur
Occupe la chaire « Constantine Mitsotakis » à l’université de Stanford, où il est professeur en sciences politiques et lettres classiques. Il travaille sur les institutions, la culture et la théorie politiques, et plus particulièrement la pensée et la pratique des anciens Grecs. Son livre de 2008, Democracy and Knowledge : Innovation and Learning in Classical Athens, est consacré à la démocratie athénienne ancienne, qui y est analysée comme un système pour agréger, aligner et codifier le savoir utile. Ce livre entreprend d’expliquer l’étroite corrélation qu’il y a entre le développement des institutions démocratiques et la performance d’État à l’âge de Thucydide, Platon et Aristote. Ses projets en cours ont trait à la relation entre la coopération et le savoir dans la pensée politique grecque, à la dignité humaine et civique, ainsi qu’au rôle de l’expertise dans la prise de décision en démocratie.
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